La lettre juridique n°559 du 20 février 2014 : Éditorial

La pop star, le fan et le juge cathartique

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La pop star, le fan et le juge cathartique. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/14197271-la-i-pop-star-i-le-fan-et-le-juge-cathartique
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


A ceux qui sont convaincus que l'avenir de la justice peut se faire sans le juge, que la déjudiciarisation est un mouvement inéluctable, salutaire et souhaitable au regard des faibles moyens accordés à la justice en France, un juge de proximité d'Orléans vient d'apporter le démenti le plus cinglant. La reconnaissance d'un préjudice "d'affection" subi par les fans d'un artiste décédé des suites d'une erreur médicale témoigne, en effet, de l'un des avatars essentiel de la fonction de juger, que la déjudiciarisation se propose de facto d'abandonner au service de la rentabilité et du consensualisme : la fonction cathartique du juge.

On connaissait le juge-pacificateur, des sociétés traditionnelles, restaurant l'ordre lorsqu'un conflit particulièrement aigu ou une faute particulièrement grave risque de compromettre une situation acquise. On connaissait le juge-arbitre, des sociétés libérales, chargé uniquement de faire respecter les règles. On connaissait le juge-entraîneur, des sociétés post-industrielles, qui tantôt par ses conseils, tantôt par ses décisions, s'efforce de concourir à la victoire collective. La nomenclature et la métaphore sportive afférentes à la fonction de juger et au rôle du juge sont connues depuis plus vingt ans grâce à l'excellente thèse de François Ost.

Mais, au-delà de l'homme de concorde qui doit amener les adversaires à composer ; au-delà de l'homme adjudicateur qui donne raison à l'un et tort à l'autre ; au-delà de l'homme qui participe à la réalisation des politiques déterminées par les pouvoirs publics et assure, pour ce faire, le meilleur règlement des intérêts concernés ; il y a cet homme réceptacle des peines, des troubles, des afflictions des justiciables, dernier recours des innocents, qui, même s'il ne peut aller jusqu'à accorder de lourds subsides en réparation du préjudice subi, peut, à tout le moins, reconnaître, "à l'aide de témoignages, voire de certificats médicaux", au nom de la société démocratique, la douleur des suites du décès d'une personnalité mondialement connue, et parfois même idolâtrée, lorsque la mort brutale est intervenue des suites d'une négligence fautive.

L'euro symbolique accordé aux fans de Michael Jackson peut prêter à sourire, mais l'action de juger, en matière de responsabilité, comporte deux temps bien distincts ; eux aussi aux fonctions bien différentes. Dans un premier temps, le juge appréciera l'existence d'un préjudice, ici le pretium doloris qui comme tout préjudice moral (préjudice d'anxiété, préjudice esthétique, préjudice sexuel, atteinte à l'honneur, etc.) relève d'une extension croissante de la nature de la douleur et de l'affliction des victimes prise en considération par le juge. Alors pourquoi pas la reconnaissance de la douleur morale subie par les idolâtres d'une pop star ? Il semble que, chacun étant libre d'exprimer sa peine, il soit admis de revendiquer sa douleur ubi et orbi, et dans les prétoires qui plus est.

Dans cet engrenage de l'individualisation de la douleur et de la considération portée à chaque affliction, le juge n'a donc plus d'autre choix que d'accepter sa fonction cathartique, après l'écriture, après les médias. Mais puisque dans un second temps, il est en charge d'évaluer le montant de la réparation idoine du préjudice subi, là et seulement là, le juge cathartique se "transubstantiera" en juge-entraîneur, chargé de rappeler que toutes les peines ne se valent pas et que la réparation pécuniaire du préjudice n'est pas, elle, le corollaire de la méthode cathartique freudienne, mais bien le regard du juge sur ce qu'il convient d'ordonner pour réparer le pretium doloris : et, en l'espèce, rien ne semble pouvoir combler le vide idolâtrique des fans du feu roi de la pop. Alors, l'euro symbolique n'aura d'autre vertu que de consacrer la condamnation au civil de Conrad Murray, après sa condamnation au pénal pour homicide involontaire de la star.

On sait, toutefois, que le statut de victime ainsi judiciairement reconnu, ces fans éplorés pourront demander à avoir accès au lieu d'inhumation de Michael Jackson, à Los Angeles ; lieu interdit au public. Et tel était bien l'enjeu au final.

On peut, dès lors, se poser la question du lien inhérent entre réalité du préjudice et statut de victime. Il n'est pas certain que le juge-cathartique se satisfasse de participer à l'oeuvre de victimisation collective. Et, l'avenir de l'action de groupe à la française nous fera connaître sa réaction.

"Un baudet chargé de reliques
S'imagina qu'on l'adorait :
Dans ce penser il se carrait,
Recevant comme siens l'encens et les cantiques.
Quelqu'un vit l'erreur, et lui dit :

'Maître baudet, ôtez-vous de l'esprit
Une vanité si folle.
Ce n'est pas vous, c'est l'idole,
A qui cet honneur se rend,
Et que la gloire en est due'.
D'un magistrat ignorant
C'est la robe qu'on salue
".

La Fontaine, L'Ane portant des reliques, Livre V, Fable 14

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