Lexbase Public n°316 du 23 janvier 2014 : Droit des étrangers

[Questions à...] Le statut protecteur des réfugiés est-il en sursis ? - Questions à Caroline Lantero, avocat et docteur en droit public

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N9871BTR

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 28 Janvier 2014

Un réfugié, une réfugiée est une personne qui a fui son pays parce qu'elle y a subi des violations de ses droits fondamentaux du fait de son identité ou de ses convictions, et qui ne peut ou ne veut être protégée par son Etat. Ce statut est protégé par plusieurs textes internationaux, mais l'on observe depuis un certain nombre d'années une propension des autorités et des juridictions des Etats susceptibles d'accueillir ces personnes à essayer de limiter au maximum leur droit à bénéficier des garanties dont elles doivent légitimement bénéficier, faisant parfois écho à l'effarouchement des populations locales, souvent promptes à voir derrière chaque personne réfugiée un potentiel "détourneur" de procédure. Pour faire le point sur cette question, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Caroline Lantero, avocat et docteur en droit public. Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler la manière dont la Convention de Genève définit le statut de réfugié ?

Caroline Lantero : La Convention du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés (N° Lexbase : L6810BHP), dite Convention de Genève, donne une définition du réfugié, mais reste assez peu directive sur le statut juridique et personnel proprement dit du réfugié, renvoyant aux organismes étatiques de détermination du statut (en France, l'OFPRA) le soin de reconnaître la qualité de réfugié, et aux législateurs de leur élaborer un statut (en France, une carte de résident de dix ans, voir C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 314-1 N° Lexbase : L5730G4Y et suivants). Au sens de la Convention de Genève, une personne a la qualité de réfugié lorsqu'elle "craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques" et qu'elle "se trouve hors du pays dont elle a la nationalité" et ne veut ou ne peut se réclamer de la protection de ce pays. Pour entrer dans la définition, il faut donc établir une crainte à la fois personnelle et raisonnable (concept éminemment subjectif) de persécution (dont la Convention de Genève ne donne pas de définition) en raison de motifs limitativement énumérés, dont la fameuse "appartenance à un groupe social", très difficile à définir.

On peut prendre pour acquis que la Convention de Genève ne concerne pas les personnes déplacées au sein de leur propre pays, les personnes parfois qualifiées de "réfugiés économiques" ou de "réfugiés écologiques". On relève, également, que dans le cadre communautaire, plusieurs instruments normatifs sont venus préciser la définition du réfugié. C'est le cas, notamment, et surtout de la Directive (CE) 2004/83 du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié (N° Lexbase : L7972GTG), dite Directive "Qualification", aujourd'hui refondue par la Directive "Qualification II" (Directive (UE) 2011/95 du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 N° Lexbase : L8922IRU), entrée en vigueur le 22 décembre 2013.

Ces précisions ne sont pas toujours des garanties supplémentaires de la protection des réfugiés.

Lexbase : Existe-t-il une volonté de "mettre à distance" cette Convention pour affaiblir ce statut ?

Caroline Lantero : Le discours des autorités politiques des Etats occidentaux révèlent parfois une mentalité d'assiégés, avec force chiffres indiquant toujours une augmentation de la demande d'asile et, plus généralement, une pression migratoire incontrôlable. En pratique, si nous prenons l'année 2012, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Refugiés (HCR) a recensé neuf millions de réfugiés dans le monde, pour 900 000 demandes d'asile dont un peu moins de 300 000 enregistrées dans l'Union Européenne dont 55 000 enregistrées en France. En chiffres toujours, le Pakistan et l'Iran sont depuis plus de dix ans les pays les plus accueillants avec, pour l'année 2012, respectivement 1,6 millions et 860 000 réfugiés chacun sur leur territoire. La demande est forte, il ne faut pas le nier. Mais elle ne mérite pas la sémantique habituelle et étrangement très aquatique relative aux déferlements, flots, afflux, torrents, vannes ouvertes, débordements, etc..

Les Etats occidentaux sont parallèlement confrontés à leurs propres engagements en matière de droits fondamentaux, et n'entendent pas frontalement les renier. La France notamment, qui est un Etat de droit et se revendique historiquement "terre d'asile", ne reviendra jamais sur son attachement politique et juridique à la Convention de Genève, pas davantage que les autres Etats signataires de ce texte.

Une stratégie d'évitement a donc été mise en place au cours des dix dernières années et consiste, non pas à violer directement la Convention de Genève, mais à s'organiser pour ne pas avoir à l'appliquer : soit en désignant les candidats à l'asile comme de "faux réfugiés", qui par définition n'entrent pas dans son champ d'application, soit en empêchant les réfugiés de venir, lesquels ne pourront logiquement pas déposer de demande d'asile. La première méthode avance masquée et est essentiellement discursive. La seconde est, en revanche, normativement bien rodée. Elle s'illustre par une multitude de mesures prises au niveau européen ou national, telles que la désignation de pays tiers sûrs ou de pays d'origine sûrs en provenance desquels les candidats à l'asile seront disqualifiés, l'instauration extensive de visas et de visas de transit aéroportuaire qui empêchent les candidats à l'asile de venir, voire de faire escale en France, l'interception en mer, les accords de réadmission avec des Etats en périphérie de l'Union européenne, la responsabilité des transporteurs, le développement de nouvelles définitions de la protection internationale, la rendant "temporaire" ou "subsidiaire", etc..

Lexbase : Le juge administratif français, en tant qu'émanation de l'Etat de droit, a-t-il pleinement joué son rôle de protecteur du réfugié ?

Caroline Lantero : En France, le rôle du juge de l'asile est endossé par la Cour nationale du droit d'asile (en appel des décisions de l'OFPRA, qui n'est pas une juridiction) et par le Conseil d'Etat en cassation. Les juges administratifs du fond (tribunaux administratifs et cour administratives d'appel) n'interviennent pas dans les questions de reconnaissance du statut de réfugié mais dans celles des refus de titre, obligation de quitter le territoire, mesures d'éloignement et décisions fixant le pays de renvoi. Pour répondre à la question, on peut dire que le juge de l'asile français a joué son rôle de protecteur de réfugié autant que son office lui permettait. Il a protégé la Convention de Genève, d'une part, et le réfugié, d'autre part.

Il a protégé la Convention de Genève par son contrôle de la conventionalité des lois, des règlements et des décisions, ce qui lui a permis de maintenir le texte international au coeur de ses décisions, d'en préserver autant que possible la lettre, et même l'esprit en allant jusqu'à isoler des principes généraux du droit propres au droit des réfugiés, comme en consacrant le principe de non-refoulement, inscrit à l'article 33, qui vise les réfugiés dont le pays d'origine réclameraient l'extradition (1). Comme, encore, en consacrant l'application du principe de l'unité familiale à la reconnaissance du statut de réfugié au conjoint (2), avec une solution constante et étendue depuis à l'enfant mineur ou à l'ascendant incapable, mais qui vient d'être limitée s'agissant des parents d'un enfant réfugié (3). Il a consacré la possibilité de reconnaître le statut à un enfant né en dehors du pays dont il a la nationalité (4).

Il a été vigilant sur toute tentative de recourir à un asile discrétionnaire (notamment à l'époque de "l'asile territorial" instauré par la loi n° 98-349 du 11 mai 1998, relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile N° Lexbase : L9660A9N, et supprimé par la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003, modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile N° Lexbase : L9630DLA), concept tendant à faire du droit d'asile une question de souveraineté de l'Etat et non de protection de l'individu et à rechercher des alternatives à la Convention de Genève (5). Il a également rejeté la notion d'"asile interne" jusqu'à ce que celui-ci soit consacré par la Directive "Qualification" de 2004 (6). Il a estimé que le demandeur d'asile devait être autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire du pays auquel il demandait le statut de réfugié (7), jusqu'à ce que la réglementation communautaire "Dublin" (Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers N° Lexbase : L9626A9E) remette en cause ce principe.

Il a également protégé le réfugié en lui reconnaissant le bénéfice de textes, procédures et principes au-delà de la Convention de Genève, comme en érigeant le droit de solliciter le statut de réfugié au rang des libertés fondamentales visées dans le cadre du référé-liberté de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS) (8). Comme en appliquant régulièrement les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales au bénéfice du demandeur d'asile, notamment ses articles 3 (N° Lexbase : L4764AQI) et 8 (N° Lexbase : L4798AQR).

Il n'a en revanche, on le voit, pas pu faire grand chose contre certains textes communautaires et on peut, en outre, s'interroger sur le renouvellement de son attachement à l'esprit de la Convention de Genève lorsque le Conseil d'Etat décide de ne pas accorder le bénéfice du principe de l'unité familiale et la reconnaissance du statut aux parents de jeunes fillettes exposées aux mutilations sexuelles qui, elles, se voient reconnaître le statut (9).

Lexbase : Que vous inspirent les récentes décisions de la CJUE concernant l'octroi ou le refus du bénéfice de ce statut à certaines personnes (concernant les personnes homosexuelles ou suspectées de terrorisme par exemple) ?

Caroline Lantero : Lorsqu'elle est saisie de questions préjudicielles par les juridictions nationales, la Cour de justice de l'Union européenne est sollicitée pour apporter un éclairage sur les dispositions du droit communautaire primaire (dont la Charte des droits fondamentaux N° Lexbase : L8117ANX) ou dérivé (dont les Directives). A l'occasion de questions portant sur la Directive "Qualification" du 29 avril 2004, la Cour a estimé que les dispositions correspondent, en substance, à celle de la Convention de Genève et n'hésite pas à apporter ses éclairages sur ladite Convention. Dans un arrêt du 9 novembre 2010 (10), la Cour devait se prononcer sur les clauses d'exclusion du statut de réfugié et indiquer si un demandeur d'asile appartenant à une organisation terroriste était susceptible d'être ipso facto exclu du bénéfice du statut. Par une interprétation tout à fait téléologique de la Convention de Genève, la Cour a répondu que non, en rappelant que l'exclusion du statut suppose, en premier lieu, l'examen de l'éligibilité au statut, puis l'évaluation individuelle de faits précis (et non pas allégués par une liste) susceptibles d'être qualifiés de crimes graves de droit commun et d'exclure le demandeur du bénéfice du statut. Rien ne saurait mieux coller au texte international, n'était-ce l'interprétation qu'en donne le HCR depuis des décennies.

La Cour s'est donc positionnée comme un organe juridictionnel propre à renforcer le respect de la Convention de Genève. Mais, lorsque la Directive communautaire ne reprend pas véritablement la substance de la Convention de Genève, la position de la Cour de justice s'en éloigne nécessairement.

Ainsi, dans un arrêt très récent du 7 novembre 2013 (11), elle s'est prononcée sur un autre élément de la définition du réfugié avec la question de "l'appartenance à un certain groupe social" des personnes homosexuelles comme motif de persécution de ces personnes. Dans sa réponse, elle resserre son interprétation sur les dispositions de la Directive et s'éloigne de l'esprit de la Convention de Genève. A première vue, cet arrêt est protecteur puisque la Cour reconnaît les homosexuels comme susceptibles de composer un groupe social au sens de la Directive et d'être persécutées à ce titre. Mais la Directive exige que la reconnaissance d'un groupe soit subordonnée à deux conditions cumulatives : le partage d'une caractéristique innée ou essentielle pour l'identité et la perception sociale extérieure de ce groupe. Certes, la Convention de Genève n'avait pas précisé la définition du groupe social, et la Directive a utilisé les brèches en posant des conditions strictes.

La Cour précise que l'indice de l'existence d'un tel groupe social réside, en l'espèce, dans la pénalisation de l'homosexualité dans le pays d'origine, ce qui doit, à mon sens, impérativement rester un indice et non une condition, qui ne ressort nullement de l'esprit de la Convention de Genève laquelle ne prévoit pas non plus que la définition du groupe social dépende de la persécution dont il peut faire l'objet. Plus stricte encore, la Cour estime que la répression pénale de l'homosexualité n'est pas nécessairement constitutive d'une persécution tant qu'elle n'est pas effectivement appliquée et refuse d'exporter les standards communautaires de la protection des droits fondamentaux au-delà des frontières de l'Union.

La Cour ne peut donc pas protéger la Convention de Genève des rétrécissements de protection introduits par la Directive "Qualification".


(1) CE, Ass., 1er avril 1988, n° 85234, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7654AP8), Rec. p. 135.
(2) CE, Ass., 2 décembre 1994, n° 112842, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4039ASE), Rec. p. 523.
(3) CE 2° et 7° s-s-r., 20 novembre 2013, n° 368676, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8364KPH).
(4) CE, Ass., 21 décembre 2012, n° 332491, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1333IZE).
(5) CE 1° et 2° s-s-r., 26 janvier 2000, n° 201020 et 202537, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7665B8E).
(6) CE, 28 décembre 2001, n° 223266, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9580AX4) ; CE 3° s-s., 28 décembre 2001, n° 230477, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9467AXW).
(7) CE, Ass., 13 décembre 1991, publiés au recueil Lebon, n° 120560 (N° Lexbase : A0112ARL) et n° 119996 (N° Lexbase : A0111ARK).
(8) CE référé, 12 janvier 2001, n° 229039, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2611ATU).
(9) CE, Ass., 21 décembre 2012, n° 332492, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1334IZG) ; CE, avis, 20 novembre 2013, n° 368676, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8364KPH).
(10) CJUE, 9 novembre 2010, aff. C-57/09 et C-101/09 (N° Lexbase : A2076GEM).
(11) CJUE, 7 novembre 2013, aff. jointes C-199/12, C-200/12, C-201/12 (N° Lexbase : A1423KPE).

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