Le Quotidien du 16 octobre 2025 : Environnement

[Questions à...] PFAS, une action insuffisante des pouvoirs publics ? Questions à Gabrièle Gien, Avocate associée, Phusis Avocats

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[Questions à...] PFAS, une action insuffisante des pouvoirs publics ? Questions à Gabrièle Gien, Avocate associée, Phusis Avocats. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/124862216-questions-a-pfas-une-action-insuffisante-des-pouvoirs-publics-questions-a-gabriele-gien-avocate-asso
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le 21 Octobre 2025

Mots clés : PFAS • polluants éternels • risques sanitaires • environnement • consommateurs

Eau potable, air respiré, aliments, vêtements, cosmétiques, produits manipulés quotidiennement, les per- et polyfluoroalkylées (PFAS) sont des substances chimiques utilisées massivement par les industriels pour concevoir leurs produits du fait, notamment, de leur forte résistance à la chaleur. Ils ont toutefois la particularité de persister pendant des décennies dans l’environnement, leur dégradation finale pouvant, en outre, engendrer de nouveaux problèmes sanitaires. Les pouvoirs publics, longtemps passifs du fait de fréquents chantages à l’emploi en cas de restrictions envisagées à leur usage, sont-ils enfin prêts à réagir ? Lexbase a interrogé à ce sujet Gabrièle Gien, Avocate associée, Phusis Avocats*.


 

Lexbase : De nombreuses collectivités ont vu leur eau potable inutilisable du fait de la présence de PFAS. La réglementation est-elle insuffisante ?

Gabrièle Gien : La réglementation encadrant la concentration en PFAS dans l’eau du robinet est relativement récente. Ce n’est qu’en 2020 que la Directive (UE) n° 2020/2184 du 16 décembre 2020, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine N° Lexbase : L7955MED, a inclus, parmi les valeurs paramétriques devant faire l’objet d’un contrôle, certaines substances alkylées per- et polyfluorées.

Selon cette Directive, l’eau ne peut pas être considérée comme potable :

  • si elle contient plus de 0,5 microgramme de PFAS par litre d’eau du robinet ;
  • ou si elle contient plus de 0,1 microgramme de PFAS considérés comme préoccupants (et dont la liste figure à l’annexe III, partie B, point 3 de la Directive précitée).

Cette Directive précisait par ailleurs que les valeurs paramétriques ne s’appliqueraient « qu’une fois que des lignes directrices techniques pour la surveillance de ce paramètre auront été élaborées ». Or, il a fallu attendre 2024 pour que soient enfin publiées ces lignes directrices au Journal officiel de l’Union européenne [1].

Dans cette communication, la Commission précise, en outre, que les États membres sont tenus de respecter ces paramètres au plus tard le 12 janvier 2026. Autrement dit, entre l’adoption de la Directive (UE) n° 2020/2184 et la date à laquelle les États, dont la France, devront être en conformité, il se sera écoulé un peu plus de cinq ans !

Les valeurs paramétriques ont parallèlement été transposées, en France, dans l’arrêté du 11 janvier 2007, relatif aux limites et références de qualité des eaux brutes et des eaux destinées à la consommation humaine N° Lexbase : L4772M8A.

Ce n’est donc pas tant une question d’insuffisance de la réglementation qu’une question de délai de réaction dans la mise en œuvre de la réglementation. Concrètement, on se demande comment, d’ici le 12 janvier 2026, la France pourra assurer la conformité de l’entièreté du réseau avec les paramètres fixés par la Directive, alors qu’elle en est encore à découvrir des taux extrêmement élevés de PFAS dans les réseaux d’eau de nombreuses communes en France.

Lexbase : Les juges administratif et judiciaire ont-ils une approche répressive ou libérale en la matière ?

Gabrièle Gien : Il est encore difficile d’estimer quelle approche retiendront les juges sur cette question, dans la mesure où les seuils sont rendus obligatoires seulement à partir du 12 janvier 2026.

Néanmoins, on peut imaginer que du côté du juge administratif, certains usagers de l’eau pourront engager la responsabilité de l’État, dans la mesure où ce dernier ne sera visiblement pas en mesure, à cette date, d’avoir une vision claire et exhaustive de l’étendue de la contamination du réseau en France. Ce faisant, une carence fautive pourrait être caractérisée, du fait des risques pour la santé des consommateurs d’eau du robinet.

Par ailleurs, cette absence d’identification claire et précise du degré de contamination dans le cadre du contrôle sanitaire réalisé par les Agences régionales de santé (ARS) place également les distributeurs d’eau, et en premier lieu les communes, dans une situation particulièrement délicate. En tant que fournisseurs, ces derniers sont tenus d’une obligation de résultat à l’égard des usagers, en échange de la redevance versée annuellement : distribuer de l’eau potable.

Si ce service public n’est pas correctement mis en œuvre par les communes, leurs groupements ou leurs délégataires privés, les usagers pourraient exiger un remboursement des redevances versées devant le juge judiciaire – mais également l’indemnisation du préjudice de jouissance, l’eau ne pouvant plus être consommée. En l’occurrence, il existe une jurisprudence abondante en matière judiciaire, le juge civil considérant que la méconnaissance de son obligation de résultat par le fournisseur d’eau l’expose à devoir indemniser l’usager qui ne peut plus consommer l’eau de son robinet.

À terme, il serait donc envisageable que les distributeurs d’eau, publics comme privés, se retournent contre l’État pour exiger qu’il prenne en charge le coût des travaux nécessaires à la décontamination de l’eau du robinet.

Lexbase : Comment forcer les grands industriels à changer leurs pratiques ?

Gabrièle Gien : Les PFAS retrouvés dans l’eau du robinet peuvent en effet résulter des rejets émis par les activités industrielles. Il existe déjà un arsenal de mesures juridiques qui visent à contraindre certaines industries à changer leurs pratiques.

En particulier, l’arrêté du 20 juin 2023, relatif à l’analyse des substances per- ou polyfluoroalkylées N° Lexbase : L9799MHE, impose aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) soumises à autorisation de réaliser des campagnes trimestrielles d’identification et d’analyses des PFAS dans les rejets aqueux, avec tenue d’une liste des PFAS émis et campagnes menées, en vue d’une surveillance pérenne et d’actions de réduction.

La loi n° 2025-188 du 27 février 2025, visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkyléesN° Lexbase : L7350M8Q, a également créé un nouvel article L. 213-10-2 du Code de l’environnement N° Lexbase : L7345M8K imposant aux exploitants émetteurs une redevance « pour pollution de l’eau d’origine non domestique des industriels non raccordés au réseau public de collecte des eaux usées, pour tout ou partie de ces rejets », reversée aux Agences de l’eau. Parallèlement, la loi du 27 février 2025 prévoit également une interdiction progressive de mise sur le marché de produits contenant des PFAS à partir du 1er janvier 2026 (cosmétiques, fart, certains textiles, chaussures et imperméabilisants) puis une extension à d’autres textiles en 2030 (C. env., art. L. 524-1 N° Lexbase : L7347M8M).

Enfin, il existe une obligation de remise en état à la cessation des ICPE, appréciée au regard des intérêts protégés par l’article L. 511-1 du Code de l’environnement N° Lexbase : L6525L7S, sans exiger une dépollution totale mais avec un niveau suffisant pour prévenir dangers et inconvénients. Dans le cadre de ce régime de responsabilité environnementale, le préfet, qui dispose du pouvoir de police des ICPE, peut imposer la remise en état au détenteur du bien (et non seulement à l’exploitant) en cas de défaillance. L’exécution d’office aux frais de l’exploitant peut également être ordonnée et, en cas d’urgence, l’administration peut décider de prendre elle-même les mesures nécessaires. Des amendes peuvent parallèlement être prononcées, conformément à l’article L. 171-7 du Code de l’environnement N° Lexbase : L9520MIG.

À l’image de la redevance créée à l’article L. 213-10-2 du Code de l’environnement N° Lexbase : L7345M8K, il pourrait être intéressant de créer une taxe, perçue par les distributeurs d’eau, pour pollution du réseau d’eau du robinet. Le produit de cette taxe pourrait ainsi servir à financer la dépollution et l’installation de filtres dans les stations d’eau potable, souvent très coûteux.

Lexbase : Les pouvoirs publics devront-ils de leur côté adopter des textes plus contraignants ?

Gabrièle Gien : Au niveau européen, l’Agence européenne des produits chimiques étudie actuellement la possibilité d’imposer une restriction « REACH » sur l’ensemble du groupe PFAS. Pour rappel, le Règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques N° Lexbase : L0078HUG, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH) encadre les substances chimiques pour protéger la santé humaine et l’environnement, notamment en limitant ou en interdisant la fabrication, la mise sur le marché ou l’utilisation de ces substances considérées comme dangereuses.

Une telle restriction serait particulièrement efficace, puisqu’elle s’appliquerait directement dans les États membres, mais nécessite un long processus d’évaluation, toujours en cours. Cette proposition se heurte surtout à une opposition massive de la part des groupes de pression industriels des secteurs concernés (chimie, textile, électronique, cosmétiques).

En France, bien que la loi du 27 février 2025 visant à protéger la population des risques liés aux PFAS soit plus ambitieuse que le cadre européen, les ustensiles de cuisine, et notamment les poêles antiadhésives, ainsi que les emballages ont été exclus du champ de l’interdiction. Des arguments tenant à la préservation des emplois et de la compétitivité du groupe Tefal, qui utilise un revêtement antiadhésif à base de PTFE (polytétrafluoroéthylène), avaient été avancés pour exclure les ustensiles de cuisine du périmètre fixé par la loi.

De son côté, le récent décret n° 2025-958 du 8 septembre 2025, relatif aux modalités de mise en œuvre de la trajectoire nationale de réduction progressive des rejets aqueux de substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées des installations industrielles N° Lexbase : L1844NBW, fixe un objectif de diminution de 70 % des rejets d’ici le 27 février 2028 et une fin des rejets d’ici le 27 février 2030. La réalisation de ces objectifs impliquera nécessairement l’arrêt de la fabrication d’autres produits contenant des PFAS que ceux actuellement énumérés à l’article L. 524-1 du Code de l’environnement.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

[1] Communication de la Commission C/2024/4910 du 7 août 2024.

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