Le Quotidien du 16 octobre 2025 : Urbanisme

[Commentaire] Effet utile de l’annulation du refus d’un maire de faire dresser un procès-verbal d’infraction au Code de l’urbanisme : la légalité s’apprécie à la date du refus

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 2 octobre 2025, n° 503737, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : B5956BYA

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N3096B33

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[Commentaire] Effet utile de l’annulation du refus d’un maire de faire dresser un procès-verbal d’infraction au Code de l’urbanisme : la légalité s’apprécie à la date du refus. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/124863273-commentaire-effet-utile-de-lannulation-du-refus-dun-maire-de-faire-dresser-un-procesverbal-dinfracti
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par Ambroise Vienet-Legué, Avocat associé, Ancien Secrétaire de la Conférence, Louve avocats

le 14 Octobre 2025

Mots clés : urbanisme • procès-verbal • permis de construire • contrôle des travaux • prescription de l'action publique

Lorsqu’il doit se prononcer sur la légalité d’une décision d’un maire refusant de dresser un procès-verbal d’infraction au Code de l’urbanisme, le juge administratif doit se placer à la date de cette décision de refus et non pas à la date à laquelle il statue. En cas d’annulation, il doit enjoindre au maire de faire dresser un procès-verbal, sauf à ce que l’action publique soit prescrite.


 

 

I. Faits et procédure

Les requérants ont constaté la réalisation de travaux sans autorisation d’urbanisme sur un terrain voisin au leur.  

Ils ont demandé au maire de faire dresser un procès-verbal d’infraction au Code de l’urbanisme et d’en transmettre une copie au ministère public, conformément aux dispositions de l’article L. 480-1 de ce code N° Lexbase : L0742LZI.

Une décision implicite de refus est née puisque le maire a gardé le silence pendant deux mois.

Ils ont alors saisi le tribunal administratif afin, d’une part, que cette décision de refus soit annulée et, d’autre part, qu’il soit enjoint au maire de faire dresser un procès-verbal d’infraction.

Cependant, à la date à laquelle le tribunal administratif est saisi, l’infraction a été régularisée en raison de la délivrance d’une autorisation d’urbanisme a posteriori.

Le tribunal administratif  a décidé de saisir le Conseil d’État d’une demande d’avis contentieux sur le fondement de l’article L. 113-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2626ALT.

En substance, les deux questions qui se posent sont les suivantes :

  • à quelle date le juge de l’excès de pouvoir doit-il se placer pour apprécier la légalité de la décision de refus de dresser un procès-verbal d’infraction au Code de l’urbanisme ?
  • dans l’hypothèse où la légalité doit s’apprécier à la date de la décision de refus, faut-il enjoindre au maire de dresser un procès-verbal d’infraction ?

II. Les rappels préalables du Conseil d’État

Avant de répondre précisément aux deux questions posées par le tribunal administratif, le Conseil d’État procède à trois rappels préalables.

Premièrement, en matière de recours pour excès de pouvoir,  la légalité d’un acte administratif s’apprécie à la date de son édiction.

Ce n’est que par exception, lorsque cela est nécessaire pour conférer un « effet utile » à sa décision, que le juge administratif doit se placer à la date à laquelle il statue.

Comme la Haute Juridiction le précise, l’intérêt de basculer vers une telle « appréciation dynamique » de la légalité d’un acte s’évalue « eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l’écoulement du temps et l’évolution des circonstances de droit et de fait » [1].

Deuxièmement, lorsque le maire a connaissance d’une infraction au Code de l’urbanisme, il a l’obligation de faire dresser un procès-verbal [2].

Cette obligation ressort expressément des dispositions de  l’article L. 480-1 du Code de l’urbanisme.

En d’autres termes, le maire est en situation de « compétence liée » lorsqu’est portée à sa connaissance l’existence d’une infraction au Code de l’urbanisme. Dans cette hypothèse, il doit faire dresser un procès-verbal d’infraction et en transmettre une copie au ministère public.

C’est ensuite ce dernier qui déterminera si l’infraction doit être pénalement poursuivie ou non, conformément au principe d’opportunité des poursuites (CPP, art. 40-1 N° Lexbase : L7457LBS).  

Troisièmement, le fait que des travaux effectués en infraction au Code de l’urbanisme soient régularisés – comme cela a été le cas en l’espèce par la délivrance d’une autorisation d’urbanisme de régularisation – ne fait pas « disparaître l’infraction ».

En effet, dans une telle hypothèse, des poursuites pénales peuvent toujours être engagées [3].

III. Une légalité qui doit s’apprécier au jour de la décision de refus

Le Conseil d’État répond à la première question posée par le tribunal administratif en indiquant que le juge de l’excès de pouvoir doit apprécier la légalité de la décision de refus de dresser un procès-verbal d’infraction au Code de l’urbanisme en se plaçant à la date de celle-ci, et non pas à la date à laquelle il statue.

Cela est commandé par la nécessité de conserver l’ « effet utile » d’une éventuelle décision d’annulation.  

En effet, si le juge administratif devait se placer à la date à laquelle il prend sa décision (« appréciation dynamique » de la légalité), cela ne serait pas sans poser de difficultés.

Dans l’hypothèse où l’infraction aurait été régularisée, comme en l’espèce, le juge administratif ne pourrait pas prononcer l’annulation de la décision de refus de dresser un procès-verbal puisque l’infraction aurait cessé au jour où il se prononcerait.

D’abord, cela entrerait en contradiction avec l’essence même de l’obligation qui pèse sur le maire de faire dresser un procès-verbal d’infraction dès lors qu’il a connaissance de celle-ci (C. urb., art. L. 480-1).

Ensuite, et plus concrètement, cela aurait pour conséquence que l’inaction administrative puisse faire obstacle à l’action publique tendant à réprimer les infractions pénales en matière d’urbanisme.  

En effet, comme il a été rappelé, le fait que l’infraction soit régularisée ne fait pas disparaître celle-ci aux yeux du juge répressif : l’auteur de l’infraction peut toujours être poursuivi pénalement. Ainsi, par le biais d’une régularisation de l’infraction commise, celui-ci pourrait finalement échapper à la constatation formelle de l’infraction et, par suite, à d’éventuelles poursuites.

Cette position du Conseil d’État s’inscrit dans la droite ligne d’un avis précédemment rendu en matière de contravention de grande voirie [4].

Il y était notamment relevé que « si la disparition de l’atteinte à l’intégrité du domaine ou la fin de son occupation irrégulière peuvent être de nature à priver d’objet l’action domaniale, un tel changement de circonstances ne saurait priver d’objet l’action publique ».

La Haute juridiction soulignait ainsi que la légalité de la décision de refus de l’administration de constater une contravention de grande voirie devait être appréciée à la date de cette décision.

IV. Une annulation impliquant d’enjoindre au maire de faire dresser un procès-verbal

Dans son avis, le Conseil d’État se prononce également sur le pouvoir d’injonction du juge administratif afin de répondre à la deuxième question posée par le tribunal administratif.  

Ainsi, lorsqu’une décision de refus de constater une infraction pénale est annulée, le juge administratif doit enjoindre au maire de répondre à son obligation légale en faisant dresser un procès-verbal d’infraction dont une copie doit être transmise au ministère public.

En d’autres termes, l’annulation de la décision de refus « implique nécessairement » qu’un procès-verbal soit dressé (CJA, art. L. 113-1).

Une exception à ce principe est toutefois fixée : l’injonction ne peut pas être imposée lorsque l’action publique est prescrite.

En effet, en vertu de l’article 8 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3314MMP relatif à la prescription de l’action publique en matière délictuelle, une infraction au Code de l’urbanisme ne peut plus être poursuivie, en principe, dans un délai de six ans à compter de l’achèvement des travaux [5].

En cas de prescription, un procès-verbal d’infraction ne peut donc pas être valablement dressé, quand bien même la réalité d’une infraction pénale commise quelques années plus tôt ne serait pas contestée.

L’auteur de l’infraction échapperait ainsi à toute poursuite pénale.

Les requérants lésés n’auraient plus que pour seule solution d’engager la responsabilité de l’État [6].

V. Le constat possible d’une infraction régularisée

Quand bien même l’action publique ne serait pas encore prescrite à la date à laquelle le juge administratif statue sur la légalité d’une décision de refus de dresser un procès-verbal, une autre difficulté pratique peut se poser s’il est enjoint au maire d’y procéder : comment procéder au constat d’une infraction pénale qui a été régularisée ?

Sur ce point, les conclusions de la rapporteure publique Dorothée Pradines rendues sous cet avis sont éclairantes.

Si l’infraction au Code de l’urbanisme a cessé puisqu’elle a été régularisée, le procès-verbal peut se fonder sur divers « éléments matériels » attestant rétrospectivement de l’existence d’une infraction.

Les conclusions évoquent notamment les « courriers ou courriels échangés avec l’intéressé ou des voisins de celui-ci » ou encore, plus simplement « les motifs de la décision du juge administratif » ayant annulé le refus de dresser un procès-verbal.

Cette possibilité de constater une infraction au Code de l’urbanisme en dépit d’une régularisation confirme l’ « effet utile »  d’une décision d’annulation du juge administratif qui se serait placé à la date de la décision de refus pour se prononcer.   

Néanmoins, un procureur saisi d’un procès-verbal constatant une infraction qui a été régularisée – si bien que le trouble à l’ordre public généré par celle-ci a cessé – pourra-t-il vraiment trouver « opportun » d’engager des poursuites ?

C’est sans doute la pratique qui permettra de déterminer si l’annulation juridictionnelle du refus d’un maire de constater une infraction qui a ensuite été régularisée aura un effet utile ou non…

 

[1] CE, 12 juin 2020, n° 422327, publié au Lebon N° Lexbase : A43403N3.

[2] CE, 23 septembre 2019, n° 424270, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3909ZPH.

[3] Cass. crim., 16 janvier 2018, n°17-81.157, FS-P+B N° Lexbase : A8768XAY.

[4] CE, avis, 31 mars 2023, n° 470216 N° Lexbase : A83139MT.

[5] Cass. crim., 20 mai 1992, n° 90-87.350, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0484ABK.

[6] CE, 21 octobre 1983, n° 31728, publié au Lebon N° Lexbase : A2240AMW.

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