Le Quotidien du 16 octobre 2025 : Avocats/Gestion de cabinet

[Questions à...] La réponse de l’avocat au bouleversement de l’immobilier individuel et commercial - Questions à Florence Bouthillier, DS avocats

Lecture: 9 min

N3102B3B

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Questions à...] La réponse de l’avocat au bouleversement de l’immobilier individuel et commercial - Questions à Florence Bouthillier, DS avocats. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/124874165-questions-a-la-reponse-de-lavocat-au-bouleversement-de-limmobilier-individuel-et-commercial-question
Copier

le 15 Octobre 2025

Mots clés : immobilier • réglementations environnementales • vacance commerciale • e-commerce • diagnostic de performance énergétique

Nouvelles normes incessantes, bureaux et espaces commerciaux « classiques » qui se vident à mesure de l’évolution des modes de vie et de salariat, difficultés à obtenir des financements auprès des banques pour mener à bien les rénovations énergétiques nécessaires, le domaine de l’immobilier est en plein bouleversement depuis plusieurs années. Pour nous éclairer sur cette problématique, Lexbase a interrogé Florence Bouthillier, DS avocats, spécialisée en droit de l’immobilier et de la construction*.


 

Lexbase : Quels sont les bouleversements majeurs à l'œuvre dans les domaines de l'immobilier et de la construction ?

Florence Bouthillier : Je citerai l'augmentation des taux d'intérêt, le changement des comportements post-Covid et la transition écologique.

Concernant les taux d'intérêt, cela a induit des conséquences sur le marché immobilier, donc sur l'activité immobilière et la construction. Cette hausse a également réduit la capacité d'emprunt des ménages, et d'une façon générale des sociétés, avec pour ces dernières des difficultés déjà présentes depuis la crise du covid. Cette hausse a logiquement conduit à une baisse des prix de l'immobilier, pas entièrement compensée par la stabilisation des taux observée début 2025. Nous assistons donc à un ralentissement très net de l'activité en construction et en transaction immobilière.

Concernant le changement des habitudes post-Covid, on a assisté à une sorte d’exode des villes avec une population en demande d’espaces plus grands, de jardins, d'espaces verts, etc. Dans le secteur professionnel, avec l'explosion du télétravail, les besoins de surfaces de bureaux ont fortement diminué, entraînant une perte de terrain du bail commercial classique. Les clients nous demandent maintenant de beaucoup travailler sur des contrats de prestations de services (coworking, baux flexibles).

Il y a aussi une reconfiguration des espaces, toujours dans le secteur professionnel, puisqu’au lieu de bureaux classiques qui ne sont que des lieux de travail finalement où chacun est dans son espace, les bureaux deviennent des lieux de rencontre, de collaboration, de culture, avec des espaces modulables sans postes attribués, avec pour objectif que les gens se mélangent.

Il y a évidemment aussi un phénomène de délocalisation partielle, avec pas mal d'entreprises qui ont déplacé une partie de leurs activités vers des villes de moindre importance, moins chères, avec parfois, dans certains cas, une vitrine conservée dans les grandes métropoles.

En industrie et en logistique, compte tenu de l'explosion du e-commerce, est apparu un besoin important de plateformes logistiques et de data centers. De ce point de vue là, les zones en périphérie des grandes villes ont pris de l'importance et de la valeur puisqu’évidemment, ce sont des activités qu'on ne peut pas mener en centre-ville. Il y a aussi l'automatisation, la technicisation des bâtiments qui est maintenant recherchée puisqu’on a besoin de sites industriels qui sont adaptés aux nouvelles technologies. On doit sortir techniquement des bâtiments capables d'accueillir une robotisation de la gestion intelligente, y compris de gestion intelligente des stocks. Les start-up et PME sont aussi en recherche de baux plus courts et plus flexibles. On assiste également à une forte demande d'immeubles en tertiaire qui comportent des salles de sport, des cantines healthy, avec des produits bio, des crèches, des services de conciergerie… Tout cela a pour conséquence l’augmentation de vacances dans les bureaux dits « classiques ».

Le troisième point que je voudrais aborder concerne la transition écologique et les nouvelles normes auxquelles sont soumis l'immobilier et la construction. Apparaît au grand jour un clivage accentué entre les immeubles modernes, qui comportent toutes les caractéristiques que je viens de vous citer, et puis ceux qui sont anciens, voire maintenant qualifiés d'obsolètes et qui sont quasiment invendables, sauf à y faire des travaux importants. Les logements énergivores vont être progressivement retirés du marché locatif pour ceux qui sont à louer, et connaître une forte décote à la vente pour les autres, de 10 à 30 %.

À cela s'ajoutent l'explosion des coûts de rénovation, l’une des conséquences de la guerre en Ukraine et la difficulté d'obtenir des matières premières d'une façon générale pour construire ou pour rénover de manière « vertueuse » écologiquement (dépense énergétique, éclairages LED, isolation thermique, recharges électriques, certification HQE). Des travaux importants peuvent se chiffrer en plusieurs dizaines de milliers  d'euros pour les particuliers et bien davantage pour des immeubles de bureaux, avec un accès au crédit rendu justement plus difficile par la hausse des taux d’intérêts et aux aides par leur complexité. Mais ce n'est plus seulement une question de financement, mais aussi d'image et de valeurs. D’ailleurs, les centres commerciaux qui sont mal notés énergétiquement perdent en attractivité.

Lexbase : De quelle manière affectent-ils la conduite de vos dossiers ?

Florence Bouthillier : Avec ces nouvelles tendances que je vous ai décrites, on va demander de plus en plus de qualifications techniques aux avocats. Sans avoir évidemment les qualifications identiques à celles d'un constructeur, d'un promoteur, d'un architecte, on doit quand même s'adapter en développant de nouvelles expertises. On doit dorénavant connaître, dans nos équipes en droit de l’immobilier, le droit de l'énergie et de l'environnement. Or, ces réglementations environnementales se sont multipliées de manière critique depuis 10 ans, donc ce n'est pas toujours évident d'être à jour dans ces nouveaux domaines. Parallèlement, il faut savoir maintenant faire des montages juridiques qui comportent des rénovations énergétiques. Or, compte tenu du rythme de sortie des règles et des normes environnementales, l’actualisation de nos connaissances pour anticiper les risques juridiques doit être constante.

Émergent également de nouvelles formes de contrats et de contentieux, comme le « bail vert », devenu un facteur de valorisation de votre immobilier et de votre image de marque, ou les litiges en matière de DPE ou de vices cachés environnementaux, qui peuvent conduire à l’annulation d’une vente.

Au final, ces nouvelles expertises dont il faut qu'on fasse bénéficier notre client et ces nouvelles formes de contrat et de contentieux, aboutissent à un accompagnement relevant du conseil stratégique, très en amont, pour permettre au client futur propriétaire ou utilisateur, locataire ou bailleur, de bénéficier d'une situation locative ou de propriété optimisée. Par exemple, dans le cadre de la réhabilitation d'un immeuble ancien classé, il va falloir coordonner la partie urbanisme avec la partie environnement, la partie fiscalité, la partie copropriété, dans un souci de l'environnement et de la performance énergétique.

Citons enfin la transformation de logements obsolètes en hôtels ou d'immeubles à usage de bureaux en habitations, évidemment le tout aux normes, avec l’obtention des conformités administratives pour le changement d'usage.

Lexbase :  Certains confrères sont-ils plus exposés que d'autres ?

Florence Bouthillier : Oui, par définition je dirais les petits cabinets et les confrères qui, de par leur ancienneté dans la profession, seraient peut-être moins ouverts à la modification des comportements et à l'utilisation des techniques pour travailler ces dossiers-là. En outre, l'immobilier est devenu beaucoup plus technique qu'avant. On fait maintenant du droit immobilier technique, environnemental, énergétique et certains avocats travaillant à l'ancienne, sans avoir été formés aux enjeux environnementaux, peuvent avoir du mal à s'adapter. Ils peuvent ne pas avoir nécessairement facilement les nouveaux réflexes concernant par exemple, la mise en œuvre du décret « tertiaire » (décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 N° Lexbase : L4181MUE), les changements d'usage des immeubles, les normes environnementales qui se multiplient. Ils peuvent aussi manquer de temps et de moyens. Or, les clients attendent maintenant de notre part des retours très rapides et si nous ne savons pas nous doter des outils qui vont nous permettre d'accélérer notre capacité de réflexion, en réalité, on perd alors du terrain.

Et même pour les avocats faisant du contentieux, on voit que l'intelligence artificielle s'insère dorénavant à l'intérieur du processus des recherches préalables au lancement d'un contentieux, que ce soit dans la recherche de jurisprudences, de cas semblables, y compris dans l'appréciation du risque à lancer telle ou telle procédure dans telle ou telle circonstance.

Donc, il convient absolument d'adopter ces nouveaux outils tout en conservant un esprit critique car ils ne sont pas sans défauts. Il faut réinventer finalement le métier d'avocat en sachant se faire accompagner sans se faire déborder par ces nouveaux outils.

Lexbase : La crise immobilière qui sévit depuis deux ans a-t-elle également des répercussions (vacance commerciale, expulsions) ?

Florence Bouthillier : Sans aucun doute. Le télétravail massif, la crise économique, l'inflation, la baisse de la consommation, la fermeture de commerces physiques au profit de l'e-commerce, la montée des normes écologiques, tous ces éléments contribuent à ce que la vacance commerciale explose. Elle a dépassé 10 % des cellules commerciales en centre-ville et jusqu'à 20 % dans certaines villes moyennes et 20 à 30 % parfois dans les galeries commerciales secondaires.

La seconde conséquence de cette évolution est la hausse des expulsions commerciales. L’on assiste à une multiplication des défauts de paiement du fait de la fin des mesures Covid, du refus de négociation par certains bailleurs qui cherchent à faire face aux difficultés économiques, à rebondir et trouver de meilleurs locataires, davantage porteurs d'une bonne image. Ils veulent des garanties à première demande plutôt que des cautions, ou même des dépôts de garantie « cash » plutôt que des cautions ou des garanties à première demande.

Et puis dans certaines villes, des rues commerçantes se vident de manière assez effrayante. Or, moins il y a de commerçants, moins il y en a d’attractivité et les seuls restants sont quasiment obligés de partir et d'aller s'implanter ailleurs.

Lexbase :  Que pensez-vous de l'IA juridique dans votre spécialité ?

Florence Bouthillier : Cela peut apporter une automatisation des tâches répétitives et faciliter une analyse prédictive du risque. En revanche, cela ne doit pas déresponsabiliser l'avocat, obérer son esprit critique et empêcher de faire fonctionner son propre esprit d'analyse et de réflexion. L'IA peut être une façon de collecter des informations efficaces et rapides mais il ne faut surtout pas s'abstraire de la tâche essentielle de l'avocat, à savoir réfléchir à la problématique posée par le client.

*Propos recueillis par Virginie Natkin, chargée d’affaires grands comptes Avocats et Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

newsid:493102

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus