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par Jean-Baptiste Thierry, Professeur, Université de Lorraine (EA 7301), Directeur de l’IEJ de Lorraine
le 02 Octobre 2024
S’il est une chose connue des pénalistes, c’est que la justice pénale est sale. Elle n’est un havre de paix que lorsqu’un alignement des planètes se produit. L’histoire judiciaire est ainsi parsemée de quelques procès où la vertu cathartique du procès – bien réelle, quoiqu’on en dise – a pleinement joué son rôle. Mais au-delà, le propre du procès pénal suppose d’exposer les aspects les plus sombres, parfois les plus extraordinaires, mais souvent les plus normaux de la délinquance ordinaire. Pour qui n’est pas familier de la justice pénale, la vision du procès ou de l’audience est nécessairement déformée. La victime de l’infraction – qui à ce stade n’est, au mieux, qu’une victime de faits présentant la matérialité d’une infraction – comprendra mal de voir sa parole questionnée, sinon remise en cause. Le public – qui n’assiste pas aux audiences – retiendra des débats ce que la presse en laisse transparaître dans un exercice d’équilibriste consistant à résumer sans trahir.
Le procès « Pélicot » est un cas d’école. L’atrocité des faits reprochés – et reconnus – par le principal accusé tend à mettre de côté le principe processuel qui détermine la marche du procès pénal : la présomption d’innocence. Il y a certes eu une longue information judiciaire, des charges suffisantes justifiant la mise en accusation, il n’en demeure pas moins que l’accusé reste présumé innocent et que cette présomption perdra progressivement en substance lorsque la condamnation interviendra jusqu’à ce qu’elle devienne définitive. Personne ne doute réellement de l’issue du procès sur la culpabilité de l’accusé principal. Mais en sera-t-il de même de la cinquantaine de co-accusés ? Car il faut bien discuter de la caractérisation de chacun des éléments constitutifs pour chacun d’entre eux. Et si la matérialité de la pénétration sexuelle ne semble pas faire débat au vu des preuves fournies, l’élément moral, lui, doit bien être prouvé. Car entre l’immoralité d’un comportement et sa répression, il y a un pas à franchir, que seul le procès pénal permet de franchir.
Et si la justice choque, dans ses questions, dans le rôle reconnu à la défense (qui pourrait s’épargner des communications hasardeuses sur les réseaux sociaux) ou dans les précautions de langage du président de la cour criminelle, c’est tant mieux. Il faut toutefois insister encore et encore sur le rôle de ce procès, sur le fait que questionner la parole de la victime n’est pas une approbation des violences sexuelles, et qu’il n’y aura de décision juste que pour autant que les règles du jeu auront été respectées. Un procès d’une telle ampleur interroge également sur la juridiction compétente : aussi attaché que l’on soit au jury, on ne peut s’empêcher de considérer que la compétence de juges professionnels pour appréhender une telle affaire est bienvenue.
Peut-être alors faudrait-il convier le nouveau ministre de l’Intérieur à s’intéresser de plus près au fonctionnement de la justice, judiciaire et administrative, pour l’inciter à comprendre les règles à l’œuvre au lieu de voir dans l’application de chacune d’entre elles une cause de dénonciation d’un laxisme devenu obsession. Ces appels à l’intelligence et à la parole réfléchie semblent vains : ils sont autant de contre-feux dérisoires à l’inéluctable en marche. Maintenons nos efforts pour que l’explication, la pédagogie et la répétition finissent par faire revenir à la raison des concitoyens écartelés par la radicalisation punitive, systématique et incontrôlée.
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