Le Quotidien du 3 octobre 2024

Le Quotidien

Éditorial

[A la une] Faire du beau avec du laid

Lecture: 3 min

N0495B3Q

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par Jean-Baptiste Thierry, Professeur, Université de Lorraine (EA 7301), Directeur de l’IEJ de Lorraine

Le 02 Octobre 2024

S’il est une chose connue des pénalistes, c’est que la justice pénale est sale. Elle n’est un havre de paix que lorsqu’un alignement des planètes se produit. L’histoire judiciaire est ainsi parsemée de quelques procès où la vertu cathartique du procès – bien réelle, quoiqu’on en dise – a pleinement joué son rôle. Mais au-delà, le propre du procès pénal suppose d’exposer les aspects les plus sombres, parfois les plus extraordinaires, mais souvent les plus normaux de la délinquance ordinaire. Pour qui n’est pas familier de la justice pénale, la vision du procès ou de l’audience est nécessairement déformée. La victime de l’infraction – qui à ce stade n’est, au mieux, qu’une victime de faits présentant la matérialité d’une infraction – comprendra mal de voir sa parole questionnée, sinon remise en cause. Le public – qui n’assiste pas aux audiences – retiendra des débats ce que la presse en laisse transparaître dans un exercice d’équilibriste consistant à résumer sans trahir.

Le procès « Pélicot » est un cas d’école. L’atrocité des faits reprochés – et reconnus – par le principal accusé tend à mettre de côté le principe processuel qui détermine la marche du procès pénal : la présomption d’innocence. Il y a certes eu une longue information judiciaire, des charges suffisantes justifiant la mise en accusation, il n’en demeure pas moins que l’accusé reste présumé innocent et que cette présomption perdra progressivement en substance lorsque la condamnation interviendra jusqu’à ce qu’elle devienne définitive. Personne ne doute réellement de l’issue du procès sur la culpabilité de l’accusé principal. Mais en sera-t-il de même de la cinquantaine de co-accusés ? Car il faut bien discuter de la caractérisation de chacun des éléments constitutifs pour chacun d’entre eux. Et si la matérialité de la pénétration sexuelle ne semble pas faire débat au vu des preuves fournies, l’élément moral, lui, doit bien être prouvé. Car entre l’immoralité d’un comportement et sa répression, il y a un pas à franchir, que seul le procès pénal permet de franchir.

Et si la justice choque, dans ses questions, dans le rôle reconnu à la défense (qui pourrait s’épargner des communications hasardeuses sur les réseaux sociaux) ou dans les précautions de langage du président de la cour criminelle, c’est tant mieux. Il faut toutefois insister encore et encore sur le rôle de ce procès, sur le fait que questionner la parole de la victime n’est pas une approbation des violences sexuelles, et qu’il n’y aura de décision juste que pour autant que les règles du jeu auront été respectées. Un procès d’une telle ampleur interroge également sur la juridiction compétente : aussi attaché que l’on soit au jury, on ne peut s’empêcher de considérer que la compétence de juges professionnels pour appréhender une telle affaire est bienvenue. 

Peut-être alors faudrait-il convier le nouveau ministre de l’Intérieur à s’intéresser de plus près au fonctionnement de la justice, judiciaire et administrative, pour l’inciter à comprendre les règles à l’œuvre au lieu de voir dans l’application de chacune d’entre elles une cause de dénonciation d’un laxisme devenu obsession. Ces appels à l’intelligence et à la parole réfléchie semblent vains : ils sont autant de contre-feux dérisoires à l’inéluctable en marche. Maintenons nos efforts pour que l’explication, la pédagogie et la répétition finissent par faire revenir à la raison des concitoyens écartelés par la radicalisation punitive, systématique et incontrôlée.

newsid:490495

Contrats et obligations

[Brèves] Application combinée de l’obligation pré-contractuelle d’information du Code du tourisme et de celle du Code civil

Réf. : Cass. civ. 1, 25 septembre 2024, n° 23-10.560, FS-B N° Lexbase : A297754Z

Lecture: 3 min

N0513B3E

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 02 Octobre 2024

► L’obligation pré-contractuelle d’information du Code de tourisme (C. tour., art. R. 211-4) n’exclut pas l’application de l’obligation d’information pré-contractuelle du Code civil (C. civ., art. 1112-1).

L’obligation pré-contractuelle d’information du Code du tourisme (C. tour., art. R. 211-4 N° Lexbase : L0270LIT) se cumule avec celle de l’article 1112-1 du Code civil N° Lexbase : L0598KZ8. Voilà l’enseignement de l’arrêt rendu le 25 septembre 2024 par la première chambre civile de la Cour de cassation dans lequel une substitution de motifs est opérée.

Faits et procédure. En l’espèce, une agence de voyage à l’étranger (archipel d’Hawaï) avait vendu à des particuliers un voyage sur mesure quelques jours avant la date du départ. Cependant, les documents nécessaires pour accéder au territoire américain avaient été refusés (Esta) car leur passeport mentionnait un voyage en Iran. Le voyage n’avait donc pas pu avoir lieu. Les acheteurs du voyage assignèrent l’agence de voyage pour voir sa responsabilité engagée.

La cour d’appel considéra que l’agence était tenue d’informer les voyageurs sur les obstacles juridiques susceptibles de rendre l’entrée aux États-Unis impossible et de s’assurer de la situation spécifique des clients et des mentions éventuelles sur leur passeport (CA Amiens, 17 novembre 2022, n° 21/04018 N° Lexbase : A87818W7).

Solution. Le pourvoi est rejeté mais une substitution de motifs néanmoins opérée. Après avoir rappelé que le contrat en cause relevait de la Directive UE n° 2015/2302 du 25 novembre 2015, relative au contrat à forfait et aux prestations de voyages liées N° Lexbase : L6878KUB, dont les règles ont été transposées aux articles L. 211-1 et suivants du Code du tourisme N° Lexbase : L6675LHP, lesquels contiennent une obligation d’information pré-contractuelle, la Cour de cassation rappelle l’existence et le contenu de l’obligation précontractuelle de droit commun (C. civ., art. 1112-1). Elle considère qu’ « en n’alertant pas (les acheteurs) sur les risques de ne pas obtenir les documents administratifs leur permettant d’entrer aux Etats-Unis d’Amérique en raison de la date rapprochée du voyage envisagé, ce qui constituait une information dont l’importance était déterminante pour leur consentement, la société (agence de voyage) a commis une faute engageant sa responsabilité ».

Ce faisant, l’existence d’une obligation spéciale n’exclut pas l’application de la disposition de droit commun. Une application cumulative est opérée : l’obligation d’information du Code du tourisme n’exclut pas l’application de l’article 1112-1 du Code civil. L’arrêt s’inscrit dans la lignée de celui rendu le 20 décembre 2023 par cette même chambre s’agissant de l’obligation d’information précontractuelle de l’article L. 111-1 du Code de la consommation et de cette même disposition du commun (Cass. civ. 1, 20 décembre 2023, n° 22-18.928, FS-B N° Lexbase : A844519N).

newsid:490513

Éducation

[Brèves] Conformité à la loi de l’interdiction du port de l’abaya dans les établissements scolaires

Réf. : CE, 1re-4e ch. réunies, 27 septembre 2024, n° 487944, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A844854N

Lecture: 3 min

N0500B3W

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par Yann Le Foll

Le 02 Octobre 2024

► Est légale l’interdiction du port de l’abaya par les élèves dans les établissements scolaires publics, celui-ci pouvant être considéré comme une manifestation ostensible d’une appartenance religieuse, interdite par la loi du 15 mars 2004.

Faits. Les associations requérantes demandent au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir la note de service du 31 août 2023 du ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse intitulée « Principe de laïcité à l'École - Respect des valeurs de la République ».

Rappel.  Il résulte des dispositions de l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation N° Lexbase : L3320DYM, issu de l'article 1er de la loi du 15 mars 2004, encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics N° Lexbase : L1864DPQ, que les élèves des écoles, collèges et lycées publics, peuvent porter des signes religieux discrets.

Sont en revanche interdits, d'une part, les signes ou tenues, tels notamment un voile ou un foulard islamique, une kippa ou une grande croix, dont le port, par lui-même, manifeste ostensiblement une appartenance religieuse, d'autre part, ceux dont le port ne manifeste ostensiblement une appartenance religieuse qu'en raison du comportement de l'élève.

Position CE. Les signalements d'atteinte à la laïcité dans les établissements d'enseignement publics adressés au ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse ont connu une forte augmentation au cours de l'année scolaire 2022-2023, 4 710 signalements ayant été recensés, contre respectivement 2 167 et 2 226 les deux années scolaires précédentes. Parmi ces 4 710 signalements, 1 984 étaient relatifs au port, dans les établissements d'enseignement publics, de signes ou tenues méconnaissant les dispositions de l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation précitées, contre 617 l'année scolaire précédente et 148 lors de l'année scolaire 2020-2021.

En outre, le port de ces tenues par des élèves dans les établissements d'enseignement publics s'inscrit dans une logique d'affirmation religieuse, la synthèse des « remontées académiques » du mois d'octobre 2022 faisant apparaître, à ce titre, qu'il s'accompagnait en général, notamment au cours du dialogue engagé avec les élèves faisant le choix de les porter, de discours en grande partie stéréotypés, inspirés d'argumentaires diffusés sur des réseaux sociaux et élaborés pour contourner l'interdiction énoncée par ces dispositions. 

Décision. Les requêtes sont rejetées (confirmation CE référé, 25 septembre 2023, n° 487896 et 487975 N° Lexbase : A11661IZ et CE référé, 7 septembre 2023, n° 487491 N° Lexbase : A28361G7).

Pour aller plus loin : Lire G. Poissonnier, Abaya et qamis, des vêtements religieux par destination ?, Lexbase Public, septembre 2023, n° 717 N° Lexbase : N6687BZP.

newsid:490500

Fiscalité internationale

[Brèves] Premier bilan décevant pour la « taxe plastique »

Réf. : Cour européenne des comptes, actualité, 16 septembre 2024

Lecture: 2 min

N0455B3A

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par Marie-Claire Sgarra

Le 02 Octobre 2024

La Cour européenne des comptes a dressé un premier bilan de la ressource propre de l’Union européenne fondée sur les déchets d’emballages en plastique non recyclés.

Chaque pays doit s’acquitter d’une contribution fixée à 0,8 euro par kilogramme de déchets d’emballages en plastique non recyclés. Les données exactes n’étant disponibles que deux ans après l’année concernée, les contributions sont calculées sur la base de prévisions qui sont ensuite ajustées. En 2023, la ressource propre fondée sur le plastique a rapporté 7,2 milliards d’euros, soit 4 % des recettes totales de l’UE.

Seuls cinq pays de l’Union avaient intégré, dans les délais impartis, la directive relative aux emballages et aux déchets d’emballages dans leur législation nationale. Ceci a conduit la Commission européenne à engager des procédures d’infraction pour les 22 autres États membres.

Pour la première année de mise en œuvre de la ressource propre fondée sur le plastique (2021), les estimations produites par la majorité (22) des États membres étaient inférieures aux volumes finalement calculés à partir des données définitives. Globalement, la quantité totale de déchets d’emballages en plastique non recyclés prévue pour 2021 était inférieure de 1,4 milliard de kilogrammes aux quantités calculées en 2023. En conséquence, la ressource propre fondée sur le plastique pour 2021 a été sous-estimée de 1,1 milliard d’euros (près d’un cinquième des 5,9 milliards d’euros perçus cette année-là) et a dû être compensée par une autre ressource pour équilibrer le budget.

Seuls six États membres ont communiqué des données de recyclage en utilisant le point d’entrée dans l’opération de recyclage, comme l’exige la législation, tandis que les autres ont principalement utilisé les données obtenues au point de sortie de l’installation de tri et ont appliqué des taux moyens de perte. Cela rend les estimations des quantités recyclées par les États membres difficiles à comparer et moins fiables.

Enfin, l’absence de contrôles appropriés entraîne un risque important que certains déchets d’emballages en plastique ne soient pas réellement recyclés.

newsid:490455

Licenciement

[Brèves] Nullité du licenciement fondé sur le contenu de messages électroniques à caractère personnel émis par le salarié

Réf. : Cass. soc., 25 septembre 2024, n° 23-11.860, FS-B N° Lexbase : A2981548

Lecture: 8 min

N0469B3R

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par Fanny Gabroy, Professeure de droit privé à l’Université CY Cergy Paris Université

Le 02 Octobre 2024

► Même au temps et au lieu de travail, le salarié a droit au respect de l’intimité de sa vie privée, laquelle implique le secret des correspondances ; par conséquent, l’employeur ne peut utiliser le contenu des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, pour le sanctionner.

Faits et procédure. Un salarié, occupant les fonctions de directeur général chargé des ventes, est licencié pour faute grave pour avoir envoyé, à l’un de ses collègues et à trois autres personnes, des messages électroniques à partir de sa messagerie professionnelle, dont le contenu semblait porter sur des blagues et commentaires vulgaires et sexistes. Le salarié saisit la juridiction prud’homale.

La cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 8 décembre 2022, n° 22/00880 N° Lexbase : A92778YA) considère que le licenciement est bel et bien justifié par une faute grave, eu égard au contenu « dégradant pour les femmes » des messages envoyés.

L’arrêt d’appel est cassé par la Cour de cassation, reprochant aux juges du fond de s’être fondés, pour retenir la faute grave, sur la charte interne destinée à prévenir le harcèlement sexuel, alors que les messages litigieux ne constituaient pas des faits de harcèlement sexuel (Cass. soc., 2 février 2022, n° 19-23.345, F-D N° Lexbase : A51407LX).

Sur renvoi, la cour d’appel de Versailles prononce la nullité du licenciement, estimant ce dernier fondé sur une atteinte à la liberté d’expression du salarié. La société, au soutien de son pourvoi, tentait de faire admettre à la Chambre sociale de la Cour de cassation que les propos tenus dans les messages électroniques dépassaient les limites de l’exercice de la liberté d’expression.

Enjeux. Lorsque le licenciement est fondé sur une atteinte à une liberté fondamentale, comme la liberté d’expression, sa sanction est particulièrement énergique. Le licenciement prononcé est nul, solution initialement retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt « Clavaud » (Cass. soc., 28 avril 1988, n° 87-41.804 N° Lexbase : A4778AA9), puis consacrée par le législateur à l’article L. 1235-3-1 du Code du travail N° Lexbase : L1441LKL. L’annulation du licenciement entraîne un droit à la réintégration du salarié dans l’entreprise ainsi qu’un droit à une indemnité d’éviction, destinée à compenser la totalité du préjudice économique subi au cours de la période écoulée entre le licenciement et la réintégration effective dans son emploi. En cas de non-réintégration, le salarié peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, l’application des barèmes Macron étant écartée (C. trav., art. L. 1235-3-1).

Solution. La Cour de cassation rejette le pourvoi de la société, mais en procédant à une substitution de motifs. Elle considère que le licenciement est fondé, non pas sur une violation de la liberté d’expression du salarié, mais sur une atteinte au droit au respect de l’intimité de sa vie privée.

La Chambre sociale rappelle, dans un premier temps que, sur le fondement des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme N° Lexbase : L4798AQR, 9 du Code civil N° Lexbase : L3304ABY et L. 1121-1 du Code du travail N° Lexbase : L0670H9P, le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée, laquelle implique le secret des correspondances. Dès lors, l’employeur ne peut utiliser le contenu des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, pour le sanctionner. La Cour de cassation précise, dans un deuxième temps, qu’en principe, un motif tiré de la vie personnelle d’un salarié ne peut justifier un licenciement, sauf si ce motif constitue un manquement à une obligation découlant du contrat de travail. En conséquence, le licenciement fondé sur une violation du droit au respect de l’intimité de la vie privée du salarié doit être annulé.

En l’occurrence, les propos reprochés au directeur général avaient été échangés lors d’une conversation privée, dans un cadre strictement privé, sans rapport avec l’activité professionnelle. Cette conversation, de nature privée, ne pouvait constituer un manquement aux obligations découlant du contrat de travail et justifier le licenciement pour faute grave du salarié.

Observations sur le caractère illicite du licenciement. La solution, s’inscrivant dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation, ne surprend pas. De jurisprudence constante, les employeurs ne peuvent « prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur » (Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942 N° Lexbase : A1200AWD). Outre la présomption du caractère professionnel des messages et fichiers contenus sur un outil numérique professionnel, s’il s’avère que le contenu du document est personnel, l’employeur ne peut l’utiliser à l’appui d’une sanction disciplinaire (Cass. soc., 5 juillet 2011, n° 10-17.284, F-D N° Lexbase : A9555HUG, à propos de photos érotiques échangées entre deux salariés de l’entreprise).

La Cour de cassation juge de manière tout aussi constante qu’un fait tiré de la vie personnelle du salarié ne peut à lui seul justifier un licenciement. Seuls deux tempéraments sont admis. Premièrement, bien que de moins en moins admis, lorsque les faits reprochés au salarié entraînent un trouble objectif caractérisé au fonctionnement de l’entreprise (Cass. soc., 17 avril 1991, n° 90-42.636 N° Lexbase : A3738AAP ; Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 89-44.605 N° Lexbase : A9479AAC). Secondement, lorsque le comportement du salarié constitue un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail. Seule cette seconde exception justifie un licenciement disciplinaire (Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464, FS-P+B N° Lexbase : A2484HQ3 ; Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A41383W8 ; Cass. soc., 4 octobre 2023, n° 21-25.421, F-B N° Lexbase : A03711KX).

Cette dernière règle a été récemment rappelée par l’Assemblée plénière, à propos de messages à caractère insultant et homophobe, échangés dans une conversation privée entre deux collègues au moyen de la messagerie intégrée au compte Facebook personnel du salarié, installé sur son ordinateur professionnel (Cass. ass. plén., 22 décembre 2023, n° 21-11.330 N° Lexbase : A27232A4).

Aussi, les contenus des messages à caractère privé échangés entre deux salariés, y compris au moyen des outils numériques professionnels, ne peuvent en eux-mêmes constituer un manquement à une obligation du contrat de travail, fussent-ils homophobes, racistes (v. en ce sens : Cass. soc., 6 mars 2024, n° 22-11.016 N° Lexbase : A29592SE) ou encore sexistes. Bien entendu, il en serait autrement si le message était insultant à l’endroit de son destinataire.

Observations sur la sanction du licenciement illicite. Pour la Cour de cassation, dans la présente décision, l’utilisation de ces messages privés par l’employeur, afin de sanctionner le salarié, constitue une atteinte au droit au respect de l’intimité de la vie privée du salarié, entraînant la nullité du licenciement. C’est sur ce dernier point que l’arrêt apporte, à notre sens, une solution quelque peu nouvelle.

Auparavant, la Cour de cassation semblait conclure à un licenciement sans cause réelle et sérieuse (par ex., Cass. soc., 9 mars 2011, n° 09-42.150, FS-P+B N° Lexbase : A2470G9D ; Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464, FS-P+B N° Lexbase : A2484HQ3 ; Cass. soc., 4 octobre 2023, n° 21-25.421, F-B N° Lexbase : A03711KX ; Ass. plén., 22 décembre 2023, n° 21-11.330 N° Lexbase : A27232A4 ; Cass. soc., 6 mars 2024, n° 22-11.016 N° Lexbase : A29592SE), suscitant un doute sur la sanction de ce licenciement illicite.

Dans cet arrêt du 25 septembre 2024, elle affirme clairement que le licenciement intervenu « même en partie » en violation du droit au respect de l’intimité de la vie privée du salarié, qui est une « liberté fondamentale », entraîne « à lui seul » la nullité du licenciement. On aura par ailleurs reconnu derrière ces deux formules le motif contaminant (v. Ch. Radé, Le motif contaminant, Lexbase Social, février 2016, n° 644 N° Lexbase : N1350BWW).

Il n’aura toutefois pas échappé au lecteur le plus averti que si les arrêts précités sanctionnaient le licenciement fondé « sur un motif tiré de la vie personnelle du salarié » par le défaut de cause réelle et sérieuse, l’arrêt du 25 septembre 2024 justifie la nullité par la « violation du droit au respect de l’intimité de la vie privée ». Est-ce à dire que, pour la Chambre sociale, seul le droit au respect de l’intimité de la vie privée peut être qualifié de liberté fondamentale, au sens de l’article L. 1235-3-1 ? Le cas échéant, qu’engloberait ce droit ? À la lecture de cette décision, on pourrait y inclure, assez sûrement, le secret des correspondances. Mais, pour le reste, il faudrait tracer les frontières du « droit au respect de l’intimité de la vie privée » et celles « de la vie personnelle » du salarié, ce qui ne sera guère aisé…

Pour aller plus loin :

  • v. ÉTUDE : Droit du travail et nouvelles technologies, Le contrôle du travail par les NTIC, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E1365Y9G ;
  • v. ÉTUDE : La cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif personnel, la vie personnelle du salarié, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3369Z38.
 

newsid:490469

Procédure pénale/Audience correctionnelle

[Brèves] Dématérialisation de la procédure dans les dossiers sur intérêts civils devant la 19e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris

Réf. : Protocole du 1er octobre 2024 du tribunal judiciaire de Paris, sur la communication électronique dans les dossiers sur intérêts civils devant la 19e chambre correctionnelle

Lecture: 3 min

N0512B3D

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par Pauline Le Guen

Le 21 Octobre 2024

Le 16 septembre 2024, un protocole a été signé par le président du tribunal judiciaire de Paris, la procureure de la République près ledit tribunal, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Paris, ainsi que la directrice de greffe du tribunal, visant à définir le fonctionnement et l’organisation de la mise en état électronique en matière de liquidation de dommages et intérêts devant la 19e chambre correctionnelle, entre la juridiction et les avocats ; ce protocole est entré en vigueur le 1er octobre 2024.

Contexte. La 19e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris traite des renvois sur intérêts civils lors des audiences correctionnelles pour la liquidation des préjudices corporels complexes. Toutefois, de nombreuses difficultés ont été constatées dans le traitement des intérêts civils à la suite des décisions pénales, que cela concerne les magistrats, les greffes, les avocats ou les parties elles-mêmes. C’est dans ce contexte que la chambre s’est engagée à simplifier le traitement de ces dossiers, par la mise en œuvre d’une communication électronique et la dématérialisation des dossiers. 

Champ d’application. Cette nouvelle procédure trouve à s’appliquer à la mise en état électronique de l’ensemble des affaires renvoyées sur intérêts civils en matière de préjudices corporels complexes, dans lesquelles les parties sont assistées ou représentées par un avocat, du barreau de Paris ou extérieur à celui-ci. Seules les parties qui ne seraient pas assistées ou représentées par un avocat ne sont pas concernées.

Modalités d’organisation. Afin de faciliter le traitement des dossiers, ces derniers seront enregistrés par le greffe sous le logiciel dénommé « WINCI » et disposeront par la suite d’un numéro de référencement. Il est ici recommandé aux parties de comparaître physiquement à la première audience afin d’être informées de ce numéro, nécessaire pour communiquer électroniquement avec le greffe. 

Par la suite, les communications entre les avocats et la chambre correctionnelle se feront de façon dématérialisée, par message RPVA (Réseau privé virtuel des avocats). 

Tout message concernant la mise en état des dossiers devra parvenir au greffe au plus tard le vendredi à 15 heures, sinon, il ne sera pas pris en considération. 

Concernant les conclusions, les avocats devront les communiquer via le RPVA, en pièce jointe d’un message. 

Actes concernés. Les actes concernés par ces communications électroniques sont les demandes de renvoi, l’envoi des conclusions et bordereau de communication de pièces, l’envoi des actes de significations et les conclusions de désistement, ainsi que les demandes de relance aux experts ou les relevés de caducité. Les autres demandes devront être envoyées par la boîte structurelle.

Comparution physique. La comparution physique des parties ne sera désormais exigée qu’à l’audience de plaidoiries. Elle sera sinon privilégiée dans les affaires où certaines parties ne seraient pas assistées ou représentées par un avocat, ou en cas de difficultés particulières, sur mention expresse du magistrat dans le bulletin de renvoi. 

Après l’audience de plaidoiries, l’affaire est mise en délibéré à une date fixée par le magistrat. Une fois qu’il aura signé la décision, une copie dématérialisée de celle-ci sera accessible via le RPVA, ou consultable au SAUJ. En cas de prolongation du délibéré, les parties seront aussi avisées par le RPVA.

newsid:490512

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