La lettre juridique n°963 du 9 novembre 2023 : Sociétés

[Jurisprudence] Les bénéfices de la SEL, distribués à la holding financière détentrice de son capital social, entrent dans l’assiette des cotisations de Sécurité sociale

Réf. : Cass. civ. 2, 19 octobre 2023, n° 21-20.366, F-B N° Lexbase : A65071NC

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par Bernard Saintourens - Professeur émérite de l’Université de Bordeaux et Philippe Duprat - Avocat à la cour - ancien Bâtonnier et chargé d’enseignement à l’Université de Bordeaux

le 13 Novembre 2023

Mots-clés : société d’exercice libéral • bénéfice • revenus d’activité non salariée (oui) • dividendes • société de participations financières de profession libérale • cotisations sociales (oui)

Les dividendes de la société d’exercice libéral revêtent la nature de revenus d’activités non salariées au sens du Code la Sécurité sociale, de sorte qu’ils entrent dans l’assiette des cotisations sociales, alors même qu’ils sont distribués à la société de participations financières de profession libérale qui détient son capital social.


La publication des arrêts au Bulletin de la Cour de cassation est le signe de l’importance que la Haute juridiction souhaite donner aux décisions qu’elle rend.

Tel est le cas de l’arrêt rendu le 19 octobre 2023 par la deuxième chambre civile, qui ne manquera pas de susciter de vives réactions dans le milieu des professions libérales. Dans la présente décision, la Haute juridiction a considéré, au regard de l’article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5949MAL, dans sa version applicable au litige dont elle était saisie, que les bénéfices de la SEL, au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité, « constituent le produit de son activité professionnelle et doivent entrer dans l’assiette des cotisations de Sécurité sociale dont il est redevable, y compris lorsque ces bénéfices sont distribués à la société de participations financières de profession libérale qui détient le capital de la société d’exercice libéral ».

La portée et les conséquences de cette décision intéresseront tous les professionnels libéraux qui cherchent, par le biais de l’ingénierie juridique, à minimiser soit l’assiette des prélèvements sociaux, soit l’impact de la fiscalité, soit les deux en même temps.

Les faits qui sous-tendent la décision rendue reflètent une pratique très usuelle, ce qui est de nature à conforter la portée de la position adoptée. Un chirurgien-dentiste, exerçant seul son art, fait le choix de le faire dans le cadre d’une société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL). Cette dernière n’a que deux associés : le chirurgien-dentiste et une société de participations financières de professions libérales (SPFPL), laquelle est détenue à égalité par le praticien et son épouse.

Sur demande de la Caisse Autonome des Chirurgiens-Dentistes et des Sages-Femmes chargée de gérer le régime de retraite des professions concernées, la cour d’appel d’Aix-en-Provence décide, dans un arrêt du 11 juin 2021 [1], d’assujettir à cotisations les dividendes versés par la SELARL à la SPFPL.

Critiquant cette décision, le chirurgien-dentiste forme un pourvoi contre l’arrêt en soutenant, pour l’essentiel, que les dividendes versés par la société d’exercice à sa holding soumise à l’impôt sur les sociétés ne constituent pas des revenus d’activité perçus par le travailleur indépendant, mais de simples revenus du capital, échappant à l’assiette des cotisations sociales. Le praticien voyait dans la décision attaquée une violation combinée de l’article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale et des articles 108 N° Lexbase : L2059HLT, 205 N° Lexbase : L3748HLE et 206 du Code général des impôts N° Lexbase : L8067MHA.

La Cour de cassation reste totalement hermétique à la critique du chirurgien-dentiste. Elle rejette son pourvoi et considère, d’une part, que les bénéfices de la SEL constituent le produit de l’activité professionnelle du travailleur indépendant et, d’autre part, que ce dernier était le seul associé de la SEL pour détenir, avec son conjoint, l’intégralité du capital de la SPFPL, de sorte que ces dividendes correspondent à la rémunération d’un travail, plutôt qu’à des revenus d’un patrimoine.

L’importance de l’arrêt doit être appréciée en le resituant dans le contexte – tant jurisprudentiel que législatif – dans lequel il s’insère, ce qui conduit à devoir relever que, s’il confirme la position actuelle s’agissant de la soumission aux cotisations sociales des bénéfices réalisés dans le cadre de la SEL (I), il procède surtout à une innovation en retenant l’extension de cette position lorsque les bénéfices sont versés à la SPFPL (II), faisant naître ainsi de délicates interrogations quant à l’avenir du montage reposant sur le recours à une SPFPL (III).

I. La confirmation : la soumission aux cotisations sociales des bénéfices réalisés par la SEL

L’exercice des professions libérales a longtemps souffert de l’absence d’un réel statut juridique, permettant tout à la fois de protéger le professionnel libéral contre la mauvaise fortune d’un exercice libéral déficitaire et contre la concurrence de tous ceux qui, sans avoir toujours sa compétence technique, disposent néanmoins de capitaux suffisants pour financer des activités concurrentes.

Avec le temps, la situation s’est notablement améliorée. Schématiquement, trois étapes sont à distinguer. La société civile professionnelle a constitué, dans le temps, la première forme sociale de l’exercice d’une profession libérale. Elle a assuré un progrès certain par rapport à l’exercice individuel. Néanmoins, la simplicité de son fonctionnement cache assez mal ses faiblesses sociales et fiscales, au point d’en faire, à cet égard, une structure très onéreuse. Dans une deuxième étape, afin d’améliorer l’exercice commun des professions libérales, le législateur a pris des dispositions, objet de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales N° Lexbase : L3046AIN [2]. Depuis cette date, les professionnels libéraux sont autorisés à exercer dans des structures juridiques de sociétés commerciales, initialement réservées à certaines professions (experts-comptables et conseils juridiques notamment). Le droit applicable aux sociétés d’exercice libéral présente une double caractéristique. Il est tout d’abord soucieux d’adapter le droit commun des sociétés aux particularités des professions libérales qui peuvent y recourir. Il tient, par ailleurs, compte de la réglementation propre à chaque profession libérale.

Au fil du temps, le législateur – souvent sous l’influence des professionnels – a fait évoluer le statut général de la société d’exercice libéral en lui permettant d’adopter la forme d’une société unipersonnelle [3] ou d’une société par actions simplifiée [4]. En 2001, par la loi n° 2001-1168 du 11 décembre [5], le législateur a enrichi le dispositif par la création des sociétés de participations financières des professions libérales (SPFPL).

Enfin récemment, dernière étape, l’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 [6] a procédé à un toilettage des dispositions antérieures pour favoriser la création et la croissance des structures juridiques. Ces dispositions, qui entreront en vigueur au 1er septembre 2024, n’apportent toutefois aucun élément nouveau sur les points de droit en discussion dans l’arrêt rapporté.

L’évolution législative et réglementaire a, dans bien des hypothèses, favorisé l’imagination des professionnels qui se sont alors livrés à des opérations d’ingénierie juridique dont le but premier était d’optimiser leur situation fiscale et sociale d’ensemble, se traduisant par une moindre taxation tant sur le plan social (cotisations de Sécurité sociale et de retraite) que sur le plan fiscal (imposition des revenus).

On a donc vu fleurir des montages par lesquels la constitution d’une SEL permettait au professionnel libéral, lequel en était majoritairement ou seul associé – ce qui est possible avec les SEL unipersonnelles – de se faire racheter, par la structure nouvellement créée, sa propre clientèle ; l’emprunt souscrit par la SEL étant alors fiscalement intégralement déductible.

Au cas d’espèce, le montage était différent : la SEL était détenue par une SPFPL, elle-même détenue par le professionnel et son conjoint, ce qui devait permettre de soustraire à l’assujettissement des cotisations retraite la plus grande partie des revenus de son travail, puisqu’une part importante des bénéfices réalisés par la SEL remontaient par voie de distribution dans la holding financière. Au résultat, seule la fiscalité, au niveau de la holding, vient taxer les bénéfices qui échappent à l’assiette des cotisations sociales.

C’est ce schéma que la Cour de cassation remet en cause.

Reprenant en cela une précédente position adoptée en 2008 [7], la deuxième chambre civile affirme que les bénéfices de la société d’exercice libéral au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité constituent le produit de son activité, servant, dès lors, d’assiette au calcul des cotisations sociales. Alors même que cette position suscite bien des réserves, sa réaffirmation témoigne de l’attachement de la Cour de cassation avec une telle approche.

Sans reprendre ici l’ensemble des réactions suscitées par cette position, on relèvera qu’elle apparaît contestable au regard du cadre normatif. En effet, selon l’article 38, 1° du Code général des impôts N° Lexbase : L5626MAM, le bénéfice net d’une société s’entend d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuée pour l’entreprise et selon l’article 39 du même code N° Lexbase : L4100MGX, « le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges ». Toujours selon le même texte, « […] les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu ».

En conséquence, la rémunération constitue la rétribution du travail, sous condition d’être proportionnée au service rendu, et elle est une charge fiscalement déductible. Par opposition, les dividendes sont les sommes distribuées par une société à ses associés, au titre de leur participation aux bénéfices. Les dividendes rétribuent le capital, en proportion des droits de chacun des associés.

La distinction rémunération/bénéfices revêt donc une importance majeure puisqu’elle génère deux régimes distincts de taxation. Le Code de la Sécurité sociale n’ignore pas cette distinction puisque, selon l’article 131-6, les cotisations d'assurance maladie et maternité, d'allocations familiales et d'assurance vieillesse des travailleurs indépendants non agricoles, autres que ceux mentionnés à l'article L. 613-7 N° Lexbase : L7467MDW, sont assises sur leur revenu d'activité non salarié. Le Code de la Sécurité sociale retient donc comme assiette des cotisations la rémunération de l’activité perçue par le travailleur indépendant.

La Cour de cassation a cependant eu une lecture différente puisque pour elle, en 2008 comme en 2023, les cotisations sociales – en l’occurrence de retraite – ont pour assiette les produits de l’activité professionnelle, réalisée dans le cadre de la SEL.

Témoignant du caractère pour le moins discutable de la position en cause, on rappellera que, de son côté, le Conseil d’État, dans une décision du 14 novembre 2007 [8], avait considéré que les dividendes versés aux associés d’une société de capitaux étaient des revenus du patrimoine, relevant de la catégorie fiscale des revenus de capitaux mobiliers, excluant donc que les dividendes versés aux associés d’une SEL puissent être regardés comme devant être assujettis aux cotisations sociales.  

C’est au regard de ce contexte jurisprudentiel que le législateur était intervenu, par la loi du 17 décembre 2008 [9], en procédant à l’adjonction à l’article L. 131-6 du code de la Sécurité sociale d’un troisième alinéa aux termes duquel, pour les SEL, se trouve incluse dans l’assiette des cotisations sociales une partie (part des revenus supérieure à 10 % du capital social et des primes d’émission versées en compte courant) des dividendes et des produits des comptes courants perçus par le professionnel associé en exercice au sein de la société, mais aussi par son conjoint partenaire auquel il est lié par un PACS ainsi que par ses enfants mineurs non émancipés. Validée par le Conseil constitutionnel [10], cette loi a donc fixé le cadre normatif pour les SEL à l’égard duquel l’arrêt analysé se trouve en cohérence.

Depuis lors, le Conseil d’État juge que les revenus distribués, qui ont en principe le caractère de revenus de capitaux mobiliers passibles de la contribution sociale sur les revenus du patrimoine, doivent être regardés, pour leur assujettissement aux prélèvements sociaux, lorsqu’ils proviennent d’une SEL, comme des revenus d’activité pour leur fraction excédant 10 % du capital social et des primes d’émission ainsi que des sommes versées en compte courant. Cette fraction, qui entre ainsi dans le champ des contributions portant sur les revenus d’activité, ne saurait être soumise à celles assises sur les revenus du patrimoine [11].  

II. L’innovation : la soumission aux cotisations sociales des bénéfices distribués à la SPFPL

L’apport spécifique du présent arrêt est à rechercher au regard du montage, assez habituel, par lequel une société de participations financières de professions libérales détient une part du capital de la SEL. C’est sur ce point que se situe l’innovation, puisque la Haute juridiction juge que les bénéfices réalisés dans le cadre de la SEL doivent entrer dans l’assiette des cotisations sociales « y compris lorsque ces bénéfices sont distribués à la société de participations financières de profession libérale qui détient le capital de la société d’exercice libéral ».

Une telle approche suppose que l’on mette de côté la personnalité morale spécifique de la SPFPL et son propre objet social. La cour d’appel avait estimé à ce propos « qu’il importe peu qu’au regard de la réglementation applicable, la société de participations financières soit dotée d’une personnalité morale distincte et soit soumise à l’impôt sur les sociétés et non à l’impôt sur le revenu » et la Haute juridiction valide cette approche en rejetant le pourvoi qui contestait une telle position.

Cette conception du rôle des SPFPL ne manquera pas de susciter des réactions tant elle apparaît discutable sur le terrain juridique et préjudiciable au regard du montage patrimonial en cause. On rappellera que, selon les termes de l’article 31-1 de la loi n° 90-1258, les SPFPL ont « pour objet la détention de parts ou d’actions de sociétés mentionnées au premier alinéa de l’article 1er » (les SEL). Ces sociétés ne peuvent donc servir de cadre à l’exercice d’une profession, elles sont l’habit juridique d’un placement strictement financier ou patrimonial [12]. Considérer que les dividendes qu’elles perçoivent « correspondent à la rémunération d’un travail plutôt qu’à des revenus d’un patrimoine », comme cela est mentionné dans l’arrêt sous examen, peut apparaître comme une contradiction flagrante avec le statut juridique des SPFPL. Au-delà, c’est en quelque sorte nier leur singularité et, par voie de conséquence, pour partie, leur raison d’être. La doctrine avait clairement relevé cet intérêt spécifique du montage faisant intervenir une SPFPL, en mentionnant que « les dividendes distribués par la SEL à la SPFPL sont exonérés de charges sociales » [13]. C’est cette conception du rôle des SPFPL qui se trouve anéantie.

La position adoptée par la deuxième chambre civile va donc bien au-delà de la reprise de celle adoptée en 2008 à propos des SEL. Il s’agit d’une approche, bien sûr respectable en ce qu’elle émane de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, mais qui manque toutefois de convaincre de sa pertinence et qui est de nature à provoquer un bouleversement dans la pratique observée jusqu’alors. Elle fait naître de nombreuses et délicates interrogations auxquelles il n’est pas certain de pouvoir apporter, en l’état du droit, des réponses sûres.

III. L’interrogation : quel avenir pour le montage SEL/SPFPL ?

L’arrêt rapporté suscite, en premier lieu, la question de savoir si la solution retenue par la Cour de cassation demeurera cantonnée au schéma de l’espèce qui lui était soumise, ou s’il faut y voir une solution de principe aux conséquences sociales et fiscales plus larges, qui seraient alors préoccupantes pour les professionnels libéraux.

Dès lors que l’affaire ne concernait pas ce type de société, l’arrêt ne permet pas de dire si la règle doit désormais être la même au sein de la SASU, autre forme de société unipersonnelle très pratiquée à raison notamment de la souplesse contractuelle qui préside à sa constitution et à son fonctionnement. Il est cependant à craindre que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, on ne juge, lors d’un contentieux futur concernant cette forme de société, que l’activité professionnelle de l’associé unique, président de la société, génère seule le bénéfice de la société, ce qui devient suffisant pour inclure les dividendes dans l’assiette des charges sociales. Il est également à craindre que la détention du capital de la SASU par une SPFPL soit toute aussi inefficace qu’elle l’a été dans l’hypothèse de l’arrêt sous examen.

L’interrogation sur la portée de la décision concerne, au-delà des sociétés unipersonnelles, l’ensemble des SEL pluripersonnelles qui auraient recours au montage consistant en la détention du capital par une SPFPL. Le fait que, dans la motivation de son arrêt, la Cour de cassation relève que le chirurgien-dentiste « est le seul associé professionnel en exercice au sein de la SARL et le seul à générer des revenus » pourrait faire penser que la position adoptée, consistant à intégrer dans l’assiette des cotisations sociales les dividendes distribués à la SPFPL, est réservée à cette situation d’associé unique. Pour autant, on peut aussi estimer que le même raisonnement pourrait être tenu lorsque les revenus réalisés au niveau de la SEL résultent de l’activité des associés et qui constituent ainsi « la rémunération d’un travail plutôt que les revenus d’un patrimoine », pour reprendre les termes de l’arrêt. En définitive, on peut penser (craindre ?) que la position retenue à propos des dividendes remontés au niveau de la SPFPL soit appliquée à l’égard de toute SEL, pluripersonnelle comme unipersonnelle.

L’arrêt examiné pourrait, en outre, engendrer une conséquence désastreuse pour le professionnel libéral. Le caractère rétroactif de toute jurisprudence ne va-t-il pas ouvrir droit, au profit des organismes sociaux, à la remise en cause, sur le temps de la prescription, de situations que l’on pensait à l’abri de toute incertitude ? L’effet serait à l’évidence financièrement désastreux pour le professionnel concerné. Il n’est cependant pas acquis qu’il ne se produise pas.

De la même manière, l’arrêt, en énonçant que les bénéfices de la SEL au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité doivent entrer dans l’assiette des cotisations sociales, car ils constituent le produit de son activité professionnelle, crée une zone d’incertitude s’agissant de la mise en réserve. On sait que la réserve est constituée d’une partie des bénéfices réalisés, mais non distribués, soit parce qu’il y a lieu de constituer la réserve légale (C. com., art. L. 232-10 N° Lexbase : L6290AIS), soit toute autre réserve statutaire. Or, dès lors que la réserve est juridiquement constituée d’une partie du bénéfice, lequel provient de l’activité du professionnel libéral, celui-ci s’exposerait, à raison de l’arrêt analysé, à devoir acquitter des cotisations sociales sur des sommes qu’il ne perçoit pas. Les conséquences de l’arrêt seraient alors plus strictes que ne le laisse penser la solution retenue par les Hauts magistrats.

Une dernière interrogation mérite d’être posée : comment conciliera-t-on la position adoptée avec les clauses d’un pacte d’associés qui auraient décidé de répartir inégalement des dividendes entre associés. Si les associés peuvent choisir de se répartir les dividendes sans respecter le pourcentage de capital détenu par chacun, sous réserve, bien sûr, des dispositions de l’article 1844-1, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L2021ABH relatif aux clauses léonines, comment déterminera-t-on l’assiette exacte des revenus de l’activité libérale soumise aux charges sociales ? Devra-t-on tenir compte de la répartition statutaire comme étant contenue dans un acte soumis à publicité ou bien faire application des clauses du pacte d’associés, lequel n’est cependant pas public ? 

C’est pourquoi, au-delà de ces remarques sur le terrain du droit des sociétés, on peut également s’interroger sur les suites que pourrait avoir le présent arrêt sur le terrain législatif, en ce qu’il se prononce à propos d’une SPFPL, comme cela avait été le cas à propos des SEL consécutivement au prononcé de l’arrêt de 2008, comme exposé ci-dessus. Afin d’éviter toute contestation par des contentieux successifs, le législateur pourrait estimer opportun d’intégrer dans le Code de la Sécurité sociale la position retenue par le présent arrêt. Au-delà, sans doute serait-il souhaitable que le législateur intervienne une bonne fois pour toutes pour définir clairement le régime d’imposition et de taxation des rémunérations des dirigeants et associés, alors que le projet de loi de finances pour 2024 [14] vient encore de modifier le régime applicable au gérant.


[1] CA Aix-en-Provence, 11 juin 2021, n° 20/09464 N° Lexbase : A85394US.

[2] Pour un commentaire d’ensemble, v. B. Saintourens, Sociétés d’exercice libéral, Répertoire Droit des sociétés, Dalloz.

[3] Loi n° 99-515, du 23 juin 1999, renforçant l’efficacité de la procédure pénale N° Lexbase : L2004ATE.

[4] Loi n° 2001-420, du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ.

[5] Loi n° 2011-1168, du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier N° Lexbase : L0256AWE.

[6] Ordonnance n° 2023-77, du 8 février 2023, relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées N° Lexbase : L7738MGP.

[7] Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 06-21.741, FS-P+B+R N° Lexbase : A5228D87, JCP E, 2008, 2112, note G. Vachet ; Revue Sociétés, 2008, note Th. Tauran ; JCP S, 2008, 1381, note D. Piau ; adde. D. Davodet, G. Kesztenbaum et C. Terrenoire, Le traitement social des dividendes de SELARL, JCP E, 2008, 2347 ; A. Lebescond, Soumission des dividendes perçus par les associés des sociétés d’exercice libéral aux cotisations sociales : entretien avec Jean-Yves Mercier, avocat associé du cabinet CSM Bureau Francis Lefebvre, Lexbase Social, janvier 2009, n° 332 N° Lexbase : N2252BIA.

[8] CE, 1°-6° s.-sect. réunies, 14 novembre 2007, n° 293642, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5808DZ7, Dr. soc., 2008, p. 195, note J. Barthélémy.

[9] Loi n° 2008-1330, du 17 décembre 2008, de financement de la sécurité sociale pour 2009 N° Lexbase : L2678IC8, art. 22.

[10] Cons. const., décision n° 2010-24 QPC, du 6 août 2010 N° Lexbase : A9232E73, Bull. Joly Sociétés, 2010, p. 829, note B. Saintourens.

[11] CE, 8°-3° ch. réunies, 20 octobre 2021, n° 440375, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A650249P.

[12] V. M. Cozian, A. Viandier, Fl. Deboissy, Droit des sociétés, 36ème éd., LexisNexis, n° 2201.

[13] B. Brignon, Les sociétés d’exercice libéral, LexisNexis, 2016, n° 234.

[14] Projet de loi de finances pour 2024 [en ligne].

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