La lettre juridique n°963 du 9 novembre 2023 : Procédure pénale

[Jurisprudence] Conformité au droit au respect des biens du refus de restitution fondé sur l’expiration du délai de six mois

Réf. : Cass. crim., 13 septembre n° 22-86.404, F-D N° Lexbase : A47911GK

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par Matthieu Hy, Avocat au Barreau de Paris, ancien secrétaire de la Conférence

le 09 Novembre 2023

Mots-clés : non-restitution • saisie pénale • prescription acquisitive

Aux termes de l’article 41-4, alinéa 3, du Code de procédure pénale, lorsque la dernière juridiction saisie a épuisé sa compétence sans statuer sur le sort d’un bien placé sous main de justice, son propriétaire dispose d’un délai de six mois pour en demander restitution. À l’expiration de ce délai, la propriété du bien est transférée à l’État. Selon la Chambre criminelle, ce mécanisme de prescription acquisitive ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens. En outre, le moyen tiré du caractère disproportionné de l’atteinte portée au droit de propriété et au droit à un procès équitable par la mise en œuvre de ce mécanisme est inopérant.


 

Contexte : Cass. crim., 15 février 2011, n° 10-90.124, F-P+B N° Lexbase : A7439GZK ; Cons. const., décision n° 2014-406 QPC, du 9 juillet 2014 N° Lexbase : A0585MU9.

Par jugement contradictoire et définitif, une société a été condamnée du chef d’escroquerie à la peine de 10 000 euros d’amende avec sursis. Le tribunal correctionnel n’ayant pas statué sur le sort d’un bien immobilier appartenant à la société, le procureur de la République a, plus de trois ans après le jugement, dit n’y avoir lieu à restitution de ce bien.

En effet, l’article 41-4, alinéa 3, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7474LPI donne notamment compétence au procureur de la République ou au procureur général pour décider d’office ou sur requête de la restitution d’un bien placé sous main de justice lorsque la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution dudit bien.

La société a déféré cette décision de non-restitution à la chambre de l’instruction de la cour d’appel. Le président de la chambre de l’instruction a rejeté la requête de la société, faisant valoir que celle-ci n’avait pas sollicité la restitution dans le délai légal de six mois, de sorte que le bien était devenu propriété de l’État. La société s’est pourvue en cassation.

L’alinéa 3 de l’article 41-4 du Code de procédure pénale prévoit en effet un mécanisme de prescription acquisitive au profit de l’État [1] lorsque la restitution du bien saisi n’a pas été demandée ou décidée dans un délai de six mois à compter « de la décision par laquelle la dernière juridiction saisie a épuisé sa compétence ».

Devant la Chambre criminelle, la société soutenait notamment que le mécanisme de prescription acquisitive au profit de l’État résultant de la simple absence de demande de restitution dans un délai de six mois à compter du jugement portait une atteinte disproportionnée au droit de propriété, en violation de l’article premier du Protocole additionnel n°1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, et au droit au procès équitable.

Sans surprise, la Haute juridiction refuse une nouvelle fois toute remise en cause d’un mécanisme pourtant particulièrement contestable.


En premier lieu, elle assure que le mécanisme même de prescription acquisitive résultant du délai de forclusion de 6 mois « ne porte pas au droit au respect des biens une atteinte disproportionnée ».

À l’appui de cette affirmation, la Chambre criminelle relève d’une part que les dispositions de l’article 41-4, alinéa 3, du Code de procédure pénale « poursuivent les buts légitimes, conformément à l'intérêt général, de bonne administration de la justice et de bon emploi des deniers publics, en permettant une gestion efficace des biens saisis et la clôture des dossiers ». À l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, la Haute juridiction avait eu l’occasion de justifier ce mécanisme par « l’objectif à valeur constitutionnelle d’une bonne administration de la justice » et « plus précisément, la nécessité d’éviter l’encombrement des services des scellés des juridictions par des objets dont la propriété n’est pas revendiquée, laissant aux parties au procès pénal un délai raisonnable pour revendiquer la propriété des objets saisis » [2]. Un écho à cette formulation se trouve dans une décision rendue trois ans plus tard par le Conseil constitutionnel [3] qui, pour estimer que les dispositions susmentionnées ne portaient « pas au droit de propriété une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi », faisait valoir qu’elles visaient « à permettre une gestion efficace des scellés dans les juridictions et à permettre la clôture des dossiers » poursuivant ainsi « les objectifs de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et de bon emploi des derniers publics ».

Le passage du terme « scellés » en 2011 et 2014 à celui de « biens saisis » dans l’arrêt commenté est loin d’être anodin. En effet, à l’époque, étaient concernés les « scellés », objets de taille variable encombrant matériellement les services de scellés des juridictions après avoir été appréhendés notamment au cours de perquisitions. Les saisies pénales spéciales, applicables notamment à des sommes inscrites au crédit de comptes bancaires, aux instruments financiers, aux biens immobiliers ou à tout bien saisi sans dépossession, n’étaient alors qu’embryonnaires [4]. Il s’agit là d’un changement de circonstances qui pourrait rendre recevable une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité, identique à celle de 2014, pour au moins trois raisons.

Tout d’abord, sans qu’il s’agisse d’une règle absolue, l’enjeu financier pour le justiciable est souvent infiniment supérieur en matière de saisie spéciale qu’en matière de scellés. En l’espèce, il est particulièrement notable que la société ne se voit condamnée qu’à une peine d’amende avec sursis tout en perdant, sans qu’aucune juridiction de jugement ne l’ait décidé, la propriété d’un bien immobilier dont la valeur est aisément imaginable.

Ensuite, si l’encombrement d’un service des scellés peut se révéler coûteux pour l’institution judiciaire, y compris lorsqu’il s’agit d’un petit objet, la saisie pénale immobilière ne met aucun frais à la charge de l’État, le bien restant entre les mains du propriétaire. Les produits d’épargne restent bloqués sur les comptes de l’établissement bancaire, à l’exception des sommes inscrites au crédit d’un compte bancaire, qui sont transférées à la Caisse des Dépôts et Consignations, lesquelles génèrent cependant des intérêts. Si la gestion efficace des biens saisis et la clôture des dossiers demeurent des objectifs applicables aux saisies pénales spéciales, elles ne justifient pas la brièveté du délai. Il doit toutefois être noté que la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté un pourvoi formé contre un arrêt d’une chambre de l’instruction affirmant l’objectif de bonne gestion des scellés et de bon emploi des deniers publics ne se réduisait pas « à une question de surface et de volume d’objets saisis » mais affectait « aussi l’administration de ces saisies », de sorte que la nature immobilière du bien saisi était indifférente quant à l’application du délai de six mois [5].

Enfin, le délai de six mois vient sanctionner l’inertie du propriétaire qui, laissant plusieurs mois s’écouler sans demander la restitution de son bien, démontre son désintérêt pour celui-ci. Or, cet argument est inopérant s’agissant notamment d’un bien immobilier dont le justiciable n’a, à aucun moment de la procédure, été dépossédé. N’ayant par ailleurs pas été condamné à la peine de confiscation, il peut légitimement ignorer qu’il doit entamer des diligences auprès du ministère public dans un délai d’autant plus court que le jugement écrit peut lui parvenir longtemps après l’expiration du délai de six mois. Il est permis d’ajouter qu’il n’est nullement informé des dispositions de l’article 41-4 du Code de procédure pénale par la juridiction de jugement au moment où elle rend son délibéré. En pratique, il arrive même qu’il ait été induit en erreur par des praticiens du droit, avocats comme magistrats, lui ayant annoncé que l’absence de prononcé de la peine de confiscation suffisait à lui rendre la pleine propriété de son bien.

À ce stade, l’unique concession jurisprudentielle concerne le point de départ du délai. En effet, celui-ci ne court pas à compter de la décision par laquelle la dernière juridiction saisie a épuisé sa compétence si cette décision n’a pas été portée à la connaissance du propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure [6]. S’agissant des parties, il court à compter du jugement contradictoire [7].

En second lieu, la Chambre criminelle juge inopérant « le moyen pris du caractère disproportionné de l’atteinte au droit de propriété et au droit à un procès équitable par la mise en œuvre des dispositions » susmentionnées. Elle rappelle que le transfert de propriété à l’État « constitue un effet de la loi qui est seulement constaté par les juges ».

Si le principe de proportionnalité peut s’appliquer au refus de restitution fondé sur un des motifs de l’alinéa 2 de l’article 41-4 du Code de procédure pénale [8], il ne s’applique donc pas au refus fondé sur l’expiration du délai de six mois.


[1] L’article L. 1125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L5447I37 dispose également que « les objets placés sous main de justice qui ne sont pas restitués sont acquis par l'État selon les règles fixées aux troisième et dernier alinéas de l'article 41-4 du code de procédure pénale ».

[2] Cass. crim., 15 février 2011, n° 10-90.124, F-P+B N° Lexbase : A7439GZK.

[3] Cons. const., décision n° 2014-406 QPC, du 9 juillet 2014 N° Lexbase : A0585MU9.

[4] Les saisies pénales spéciales ont été créées par la loi n° 2010-768, du 9 juillet 2010, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale N° Lexbase : L7041IMQ.

[5] Cass. crim., 19 octobre 2022, n° 21-87.450, F-D N° Lexbase : A50138QQ : dans ce même arrêt, la Chambre criminelle affirme que l’article 41-4, alinéa, 3 du Code de procédure pénale « est conforme à l'article 8 de la directive n° 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l'Union européenne qui, laisse au droit national le soin de fixer les conditions ou règles de procédure de restitution », ce qui signifie également qu’il n’a nullement été imposé par le droit de l’Union européenne.

[6] Cons. Const., décision n° 2014-406 QPC, du 9 juillet 2014, préc.

[7] Cass. crim., 19 octobre 2022, n° 22-80.271, F-D N° Lexbase : A50418QR ; Cass. crim., 19 octobre 2022, n° 21-87.450, préc.

[8] Sur l’application du contrôle de proportionnalité au refus de restituer l’instrument de l’infraction : Cass. crim., 18 mars 2020, n° 19-82.978, F-P+B+I N° Lexbase : A49563KR ; sur son application au refus de restituer un bien dont la restitution comporterait un danger pour la sécurité des personnes : Cass. crim., 21 mai 2019, n° 18-84.004, FS-P+B+I N° Lexbase : A9117ZBB.

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