Lexbase Affaires n°419 du 9 avril 2015 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Conditions de mise en oeuvre de la compensation légale ou l'exigence d'une créance certaine, liquide et exigible

Réf. : Cass. com., 24 mars 2015, n° 13-23.791, F-P+B (N° Lexbase : A6798NEI)

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR (CRJFC, EA 3225), UFR SJEPG (Université de Franche-Comté)

le 09 Avril 2015

En pratique, la compensation pour dettes connexes est plus fréquemment évoquée en jurisprudence, que la compensation légale. Pour cette raison, l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 24 mars 2015 (1) apporte des précisions utiles quant aux conditions de sa mise en oeuvre en cas de défaillance de l'une des parties à ce mode de compensation.
L'article 1289 du Code civil (N° Lexbase : L1399ABG) indique que "lorsque deux personnes se trouvent débitrices l'une envers l'autre, il s'opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes". Celles-ci sont éteintes à concurrence de la plus faible. Ainsi, la compensation est une sorte de double paiement abrégé sans utilisation d'instruments monétaires, car le débiteur paie sa dette et, en même temps, est payé de sa propre créance (2). Toutefois, la compensation légale du Code civil se heurte à l'une des règles fondamentales du droit des entreprises en difficultés : l'interdiction des paiements des dettes non prioritaires, énoncée à l'article L. 622-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L7285IZT). En effet, en raison de son caractère automatique, la compensation produit un effet extinctif immédiat des dettes à concurrence de la plus faible. Pour cette raison, la compensation légale ne peut pas, en principe, intervenir après l'ouverture de la procédure collective de l'une des parties, dès lors que la dette du tiers est soumise à l'obligation de déclaration au passif de la procédure, c'est-à-dire qu'elle est née avant l'ouverture de la procédure, ou bien qu'il ne s'agit pas d'une dette postérieure prioritaire visée à l'article L. 622-17, I du Code de commerce (N° Lexbase : L8102IZ4) (3).
En l'espèce, dans le cadre d'une opération de construction immobilière, une société a sous-traité l'exécution de terrassement à une autre société. Invoquant un retard dans leur livraison, la société de construction immobilière a refusé de payer le solde du prix. L'entreprise de terrassement l'a assignée en paiement le 10 octobre 2008. La première lui a opposé une exception de compensation avec sa créance au titre des pénalités de retard contractuelles. La liquidation judiciaire de l'entreprise de terrassement a été prononcée par jugement du 4 janvier 2010, le liquidateur est intervenu volontairement à l'instance. La cour d'appel a rejeté l'exception de compensation. Dans son pourvoi, la société de construction immobilière prétendait que la cour d'appel aurait violé les articles 1290 (N° Lexbase : L1400ABH) et 1291 (N° Lexbase : L1401ABI) du Code civil en considérant que sa dette ne présentait pas les caractères d'une dette compensable, au motif que la dette indemnitaire du débiteur sous-traitant ne présentait pas les caractères de dette certaine, liquide et exigible. La Cour de cassation rejette cette argumentation. Elle précise, qu'en cas de contestation du débiteur, la créance de pénalités de retard qui constitue une clause pénale, n'est pas certaine liquidation et exigible (I). Par conséquent, la compensation légale n'avait pu s'opérer avant le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire du sous-traitant (II).

I - Les caractéristiques de la créance compensable selon le droit commun

Pour que les créances et les dettes réciproques entre deux personnes puissent être compensées, certaines conditions doivent impérativement être remplies. Tout d'abord, les créances doivent être réciproques. Elles doivent également présenter des caractéristiques supplémentaires.

En l'espèce, pour que la compensation intervienne de plein droit, il faut que les créances et dettes interviennent entre les mêmes personnes conformément à l'article 1289 du Code civil. Pour l'application de cette règle, la jurisprudence considère que les personnes doivent intervenir avec la même qualité (4). En l'espèce, cette condition ne posait pas de difficulté particulière, les deux sociétés intervenaient en qualité de promoteur immobilier pour la première (débiteur des travaux de terrassement effectués et créancier d'une créance indemnitaire) et en qualité de sous-traitant pour la société débitrice (débiteur de l'indemnité et créancier des travaux de terrassement effectués). Par conséquent, la créance de pénalités de retard pourrait être compensée avec le prix des travaux (5).

Par ailleurs, les créances et dettes doivent être certaines, liquides et exigibles conformément aux exigences posées par l'article 1291 du Code civil. En l'espèce, la société de promotion immobilière prétendait que sa créance était certaine, liquide et exigible car la mise en oeuvre de la clause pénale n'était pas sérieusement contestée par le débiteur sous-traitant. Seul le montant portait à discussion. Toutefois, le contrat permettait d'évaluer cette créance indemnitaire car la société avait été contrainte, en application des clauses contractuelles, de faire exécuter par un tiers les prestations non réalisées par le sous-traitant, pour un montant de 46 681,32 euros. Dans la mesure où cette somme n'était pas contestée par le débiteur, ni dans son principe, ni dans son montant, la société créancière affirmait qu'elle pouvait alors la compenser avec sa dette de travaux (8 879,28 euros au titre du marché principal et 9 328,80 au titre des prestations complémentaires) et la dette de retenue de garantie (23 919,80 euros), soit un total de 22 127,88 euros. La Cour de cassation rejette cette analyse en rappelant que la clause pénale, qualification qui doit être donnée à la clause de pénalités de retard du contrat litigieux, n'est pas certaine, liquide et exigible en présence d'une contestation du débiteur de celle-ci. Dans ces conditions, les caractéristiques légales énoncées à l'article 1291 du Code civil ne sont pas remplies, et par voir de conséquence, la compensation légale ne peut provoquer l'extinction des créances et des dettes réciproques à concurrence du montant de la plus faible de celles-ci. Outre le fait de ne pas pouvoir compenser, le créancier est dans une situation délicate pour ne pas avoir respecté les obligations mises à sa charge par le droit des entreprises en difficulté.

II - Les caractéristiques des créances compensables selon le droit des entreprises en difficulté

En effet, la discipline collective des créanciers n'est pas mise entre parenthèses par la compensation légale. Ainsi, tout créancier dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture a l'obligation de déclarer sa créance au passif de la procédure collective du débiteur, dans les délais impartis par le législateur pour satisfaire cette obligation (6). Dans la présente affaire, la liquidation judiciaire du sous-traitant a été ouverte par jugement du 4 janvier 2010, publié au BODACC le 22 janvier suivant. Or, la société de promotion immobilière n'a déclaré sa créance entre les mains du liquidateur que le 26 mars 2010, autrement dit après le 22 mars 2010, date à laquelle expirait le délai de deux mois au cours duquel le créancier devait déclarer sa créance. En outre, il n'a pas demandé à se faire relever de la forclusion dans le délai de six mois de l'article L. 622-26 du Code de commerce (N° Lexbase : L8103IZ7). A défaut d'avoir été relevé de la forclusion, le créancier ne peut plus prétendre à participer aux répartitions et aux dividendes, en application de l'article L. 622-26 précité. Conformément à l'analyse proposée par la doctrine (7), cette inopposabilité au débiteur doit être comprise comme existant à tous les stades de la procédure, y compris en matière de compensation des dettes. Dans ces conditions, la société de promotion immobilière ne pouvait opposer sa créance à la liquidation judiciaire.

En effet, l'obligation de déclarer constitue une condition indispensable pour que le créancier puisse invoquer la compensation de sa créance avec la dette du débiteur. La Cour de cassation l'a affirmé très solennellement par un arrêt rendu le 3 mai 2011 (8), publié au Rapport annuel pour 2011. Puis, elle a confirmé l'application de cette solution à la compensation légale dans un arrêt du 5 février 2013 (9). L'arrêt du 24 mars 2015 se trouve donc dans la continuité de cette jurisprudence.

Au final, l'arrêt du 24 mars 2015 permet de faire la synthèse des conditions nécessaires à la mise en oeuvre de la compensation légale après le jugement d'ouverture d'une procédure collective à l'encontre de l'une des parties à ce mode d'extinction des créances :
- même si les créances ont une origine antérieure à la procédure collective, le créancier est tenu de déclarer sa créance à la procédure collective, sous peine d'inopposabilité ;
- toutes les créances et les dettes comprises dans l'opération de compensation légale doivent être certaines, liquides et exigibles ; tel n'est pas le cas, dès lors, qu'il existe une contestation sur une créance.

Pour conclure, le créancier dont la créance est inopposable, semble avoir tenté d'invoquer la compensation légale pour pondérer les effets de la forclusion. Il n'en est rien. Il devra régler la totalité de sa dette au liquidateur du sous-traitant, sans rien avoir à espérer dans le cadre du paiement collectif des créanciers réalisé par le mandataire de justice.


(1) Contestation de la créance de pénalité de retard par le débiteur : absence de compensation légale avec la créance contractuelle, Lexbase Hebdo n° 418 du 2 avril 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N6729BUR)
(2) A. Sériaux, Conception juridique d'une opération économique, RTDCiv., 2004, p. 225.
(3) Nos obs., Le paiement à l'épreuve des procédures collectives, Mélanges B. Gross, PUN, 2009, p. 449.
(4) Cass. com., 7 février 1983, n° 81-13.993, publié (N° Lexbase : A4264CGZ), Bull. civ. IV, n° 49.
(5) Cass. com., 1er décembre 2008, n° 08-20.178, F-D (N° Lexbase : A3442EP8).
(6) C. com., art. L. 622-24 (N° Lexbase : L7290IZZ).
(7) P.-M. Le Corre, Les créanciers antérieurs dans le projet de sauvegarde des entreprises, LPA, 10 juin 2004, p. 24 ; Ph. Roussel Galle, JCP éd. E, 2011, 1411.
(8) Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-16.758, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7122HPH), Bull civ. IV, n° 66 ; JCP éd. E, 2011, 1656, nos obs. ; JCP éd. E, 2011, 1596, n° 11, obs. Ph. Pétel ; D., 2011, p. 1215, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2011, comm. 160, note M.-L. Coquelet; Rev. proc. coll., 2012, comm. 10, note F. Legrand et M.-N Legrand ; LPA, 3 janvier 2012, obs. Fl. Reille., Rev. Lamy droit des affaires, juillet-août 2011, p. 18 note H. Guyader ; E. Le Corre-Broly, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Mai 2011 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 251 du 19 mars 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N2759BSY).
(9) Cass. com., 5 février 2013, n° 12-12.808, F-P+B (N° Lexbase : A6298I7E), JCP éd. E, 2013, 1259, nos obs. ; Rev. Sociétés, 2013, p. 181, obs. Ph. Roussel Galle ; Act. proc. coll. 2013, com. 47, obs. P. Cagnoli ; P.-M. Le Corre, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Février 2013 (2nd comm.), Lexbase Hebdo n° 328 du 21 février 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N5838BTE).

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