Lexbase Affaires n°419 du 9 avril 2015 : Bancaire

[Jurisprudence] La mention du taux effectif global sur les relevés périodiques d'un compte courant peut suppléer pour l'avenir l'irrégularité du taux figurant dans le contrat initial

Réf. : Cass. com., 10 mars 2015, n° 14-11.616, F-P+B (N° Lexbase : A3247NDM)

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N6857BUI

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par Philippe Emy, Maître de conférences à la Faculté de droit de Bordeaux, Institut de Recherche en Droit des Affaires et du Patrimoine (IRDAP)

le 09 Avril 2015

Au fil des ans, le contentieux relatif au taux effectif global (TEG) ne se tarit pas. La faiblesse des taux d'intérêt actuels, et par voie de conséquence du taux légal, incite par ailleurs les emprunteurs à multiplier les actions en justice, dans la mesure où l'absence d'indication du taux effectif global -à laquelle il faut assimiler l'irrégularité du taux- est sanctionnée par la nullité de la stipulation du taux d'intérêt conventionnel et donc par l'application du taux légal. Afin d'adapter cette sanction à la complexité du découvert en compte, la Cour de cassation a édifié un système tout en subtilité. Pour cela, elle a dû composer avec deux contraintes. La première est juridique : le TEG doit être fixé par écrit, habituellement dans le contrat (1). La seconde est d'ordre pratique : le TEG ne peut matériellement être calculé qu'après utilisation de l'ouverture du crédit, car certains éléments indispensables à sa détermination varient en fonction de l'utilisation qui est faite de l'autorisation de découvert (2). Au final, une jurisprudence maintes fois réitérée affirme que le TEG doit figurer dans la convention initiale, et ce sous forme d'exemples chiffrés, tout en sachant que chaque relevé doit indiquer pour la période écoulée le TEG effectivement appliqué (3). Ce compromis entre impératif juridique et exigence pratique pose bien entendu un certain nombre de difficultés, comme le montre l'arrêt rendu le 10 mars 2015 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Une nouvelle fois, la question est posée à la Haute juridiction de savoir quelles conséquences peuvent être tirées de l'absence d'indication du TEG dans la convention initiale en cas de fixation dudit taux dans les relevés postérieurs. En l'espèce, une société souscrit auprès de sa banque une ouverture de crédit d'un montant de 1 320 000 euros et d'une durée de 24 mois, et ce par acte notarié daté du 31 octobre 2006. Le contrat précise que la banque sera rémunérée par le versement d'intérêts, au taux de 5,333 % par an. Ce taux est stipulé variable en fonction de l'évolution du taux moyen Euribor à trois mois, mais aucune mention n'indique la base annuelle sur laquelle il est calculé. Le lien avec la technique du compte courant est a priori loin d'être évident, mais l'acte authentique nous informe que la créance en capital de la banque résultera du solde d'un compte identifié, que le compte en question a la nature de compte courant et qu'il sera soumis aux conditions générales de la banque. La société a demandé la nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel, dans la mesure où la banque a eu recours à l'usage bancaire "du diviseur 360", encore appelé technique de l'année lombarde -qui permet d'augmenter la rémunération du banquier tout en facilitant les calculs pour déterminer le montant des intérêts-, alors que le contrat ne contenait aucune clause en ce sens (4). De son côté, la banque a estimé que la clause spécifique prévoyant l'utilisation de cette méthode dite "lombarde" était effectivement intégrée au contrat puisque l'acte authentique renvoyait aux conditions générales de la banque, ces dernières faisant référence à ce mode de calcul. La cour d'appel de Lyon (5) a interprété l'acte authentique ainsi que les conditions générales visées par l'acte pour en conclure que le recours à l'année lombarde ne figurait dans aucun des deux documents. La société aurait dès lors pu demander une restitution des intérêts indûment versés, c'est-à-dire calculés irrégulièrement par rapport au taux débiteur qui, lui, était régulièrement indiqué dans l'acte en application de l'article 1907 du Code civil (N° Lexbase : L2132ABL). Elle a cependant choisi, et on la comprend, de demander la nullité de la stipulation du taux pour cause d'irrégularité du TEG. En effet, le calcul du TEG comprenant le taux d'intérêt débiteur, une erreur d'application de ce taux débiteur se traduit nécessairement par une erreur de calcul du TEG. La cour d'appel de Lyon a fait droit à cette demande et a décidé, en conséquence, que la banque devait rembourser à la société la somme de 89 144,89 euros.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans sa décision en date du 10 mars 2015, a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Lyon en visant les articles 1907 du Code civil et L. 313-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7963IZX). Ce n'est bien entendu pas l'interprétation de la convention qui a justifié cette cassation -dans la mesure où les juges du fond sont souverains en la matière sauf en cas de dénaturation de l'acte- mais bien les conséquences que la cour d'appel a pu déduire de l'irrégularité du TEG dans le contrat initial.

Dans un attendu de principe, la Cour de cassation affirme qu'"en cas d'ouverture de crédit en compte courant, la mention sur les relevés périodiques de compte du taux effectif global régulièrement calculé pour la période écoulée vaut information de ce taux pour l'avenir à titre indicatif, et, suppléant l'irrégularité du taux figurant dans le contrat initial, emporte obligation, pour le titulaire du compte, de payer les intérêts au taux conventionnel à compter de la réception sans protestation ni réserve de cette information, même si le taux effectif global constaté a posteriori, peu important qu'il soit fixe ou variable, est différent de celui qui a été ainsi communiqué". Elle précise ainsi une solution classique selon laquelle, en matière de compte courant, le TEG indiqué sur les relevés envoyés par la banque peut suppléer l'absence d'indication de TEG dans la convention principale (6). L'importance quantitative du contentieux et la résistance opposée par certains juges du fond justifient, semble-t-il, que l'arrêt reçoive les honneurs de la publication au Bulletin.

Afin de présenter au mieux la solution de l'arrêt, nous exposerons, dans un premier temps, le principe selon lequel le TEG mentionné dans le relevé de compte peut suppléer l'absence de fixation dudit taux dans la convention initiale (I), avant de détailler, dans un second temps, le régime applicable (II).

I - Le principe : la prise en compte du TEG mentionné dans le relevé comme palliatif à l'absence de fixation du taux dans le contrat

La solution dégagée par la Cour de cassation n'est pas en soi innovante, mais le détail du raisonnement tenu permet de mieux saisir le mécanisme mobilisé (A) et son domaine d'application (B).

A - Le mécanisme justifiant la prise en compte du TEG mentionné dans le relevé

Avant de détailler le raisonnement qui sous-tend la solution retenue par la Cour, il est nécessaire de clarifier un point précis. On avance souvent l'idée selon laquelle, pour respecter le formalisme de l'article 1907 du Code civil et de l'article L. 313-2 du Code de la consommation, le taux d'intérêt doit simplement, en matière de compte courant, être indiqué par écrit, mais n'a pas à être accepté. Cela est vrai pour l'indication du TEG appliqué sur les relevés envoyés au client, mais cela suppose tout de même qu'un accord concernant le taux ait été trouvé préalablement dans le contrat initial : soit le taux débiteur y est fixé, soit il est fait référence à un taux variable objectif (comme c'était le cas en l'espèce), soit la variation est en partie laissée à l'appréciation de la banque par renvoi au taux de base bancaire (7). Il faut bien comprendre, pour appréhender correctement la difficulté propre au compte courant, que l'irrégularité du TEG entraînant nullité de la stipulation du taux débiteur, il en résulte que le contrat conclu ne contient rétroactivement aucun accord concernant ce taux, ni sur son montant, ni sur son mode de détermination. Dès lors, une fixation ultérieure dudit taux requiert nécessairement un nouvel accord de volontés.

La difficulté principale tient ici à la nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel prévu dans le contrat de crédit, consécutive à l'absence de fixation du TEG ou à l'irrégularité de ce taux stipulé dans la même convention. Dans cette hypothèse, on doit considérer que la convention n'a jamais mentionné le taux débiteur applicable, en conséquence de quoi seul le taux légal est dû (8). Mais alors, comment un relevé de compte pourrait-il faire en sorte qu'une clause nulle du contrat principal puisse produire des effets pour le futur ? L'idée développée ici par la Cour de cassation tient à ce que l'envoi du relevé va participer à la formation d'un nouvel accord de volontés concernant la stipulation du taux. Cet accord est certes tacite -nous y reviendrons- mais il doit permettre à l'ouverture de crédit de produire des intérêts. Bien entendu, les intérêts en question ne seront dus qu'à compter de cet accord de volontés : ici, toute rétroactivité est à exclure. La décision commentée est particulièrement éloquente quant à cette analyse. En effet, elle insiste sur le fait que l'information ainsi délivrée vaut pour l'avenir et à titre indicatif. Cette référence au rôle indicatif renvoie bien entendu à la jurisprudence selon laquelle, dans un compte courant, la convention initiale censée contenir le TEG doit proposer un ou des exemples à titre indicatif. Le TEG ne pouvant être, en la matière, déterminé par avance, la jurisprudence exige simplement un ou des exemples chiffrés dans la convention initiale, puis la fixation du taux appliqué dans les relevés. Le nouvel accord de volontés étant formalisé par le relevé de compte, on lui applique logiquement le même régime que celui initialement prévu pour l'accord de volontés constaté dans le contrat initial.

On remarquera que la solution applicable ici au compte courant, c'est-à-dire au découvert en compte, a quelque chose de surprenant au regard du droit commun du TEG. Rappelons tout d'abord que la solution jurisprudentielle commandant d'indiquer le TEG en deux temps -un TEG à titre indicatif dans le contrat initial puis le TEG appliqué dans chaque relevé- tient à ce qu'il n'est pas possible matériellement de calculer le TEG de façon préalable à l'utilisation du découvert. La double information a donc pour objet de sauver le mécanisme du compte courant au regard des exigences d'ordre public posées en matière de TEG. Ensuite, il faut insister sur le fait que, dans un prêt classique, la jurisprudence ne permet pas de suppléer l'absence de TEG dans le contrat initial par un relevé -quelle que soit sa fréquence- ou tout autre document précisant ledit taux et adressé postérieurement à l'emprunteur. La Chambre commerciale le reconnait d'ailleurs en réservant expressément sa solution au seul compte courant. Pour les prêts classiques, la sanction -consistant en l'application du taux légal- est alors irrémédiable. On voit dès lors difficilement ce qui juridiquement justifie d'accorder un traitement plus favorable au compte courant. L'ouverture du crédit est un contrat unique, et non pas une succession de contrats aussi nombreux qu'il y aurait de relevés de compte. Pourquoi permettre de sauvegarder la perception d'intérêts conventionnels futurs dans le découvert en compte et pas dans les autres opérations de crédit ? La justification purement juridique fait ici défaut. On nous objectera que la solution est, d'un point de vue pratique, particulièrement opportune. Elle l'est très certainement... mais pour les établissements de crédit et non pas pour leurs clients.

B - Le domaine d'application de la prise en compte du TEG fixé dans le relevé

La solution est opportune, c'est en tout cas ce que considère la Chambre commerciale qui l'applique depuis plusieurs années. Les termes employés dans l'attendu de principe permettent d'en déterminer le domaine d'application.

Tout d'abord, la Cour de cassation prend soin de rappeler que la solution s'applique en matière de compte courant, ce qui exclut a contrario son application pour d'autres contrats de prêt ou ouvertures de crédit. On peut regretter l'emploi persistant de ces termes utilisés par la jurisprudence et la pratique pour décrire des réalités au final fort différentes. Le compte courant est souvent présenté comme une technique de règlement des créances réciproques entre deux commerçants, permettant de dégager un solde unique. Ce n'est donc pas par nature un compte bancaire. Pourtant, il est évident qu'ici la solution concerne des comptes en banque. De même, on distingue parfois -même si la doctrine se rend compte de l'inanité de l'opposition- le compte courant et le compte de dépôt, en ce que ce dernier, simple cadre comptable, ne permettrait pas de dégager à tout moment un solde provisoire unique par fusion des créances réciproques. Ce n'est certainement pas cette analyse structurelle qui est retenue par la Chambre commerciale dans ce contentieux. Reste une dernière conception attachée à la qualification de compte courant : il s'agirait d'un compte ouvert par une banque à un commerçant ou à un professionnel. C'est sans doute cette conception des choses qu'il faut retenir ici. Sans que cela porte véritablement à conséquence, dans la mesure où la première chambre civile de la Cour de cassation fait également parfois référence à la notion de compte courant pour des questions relatives au TEG.

On peut justement s'interroger sur le point de savoir si la première chambre civile de la Cour de cassation, qui a également à connaître de ce contentieux, partage le point de vue de la Chambre commerciale. Dans deux décisions, la chambre civile a estimé que "en matière de prêt d'argent, l'exigence d'un écrit mentionnant le taux de l'intérêt conventionnel est une condition de validité de la stipulation d'intérêts ; et qu'en l'absence d'un accord écrit sur ce point, l'indication du taux d'intérêt sur les relevés de compte ne répond pas à cette exigence, lors même qu'elle ne fait pas l'objet d'une protestation de la part du client" (9). A priori, sa position est incompatible avec celle retenue par la Chambre commerciale. Cependant, ces deux décisions ne visent que l'article 1907, alinéa 2, du Code civil et font référence à un compte de dépôt assorti d'un découvert en compte. D'autres arrêts plus récents, hélas non publiés au Bulletin, semblent retenir une solution identique à celle posée par la Chambre commerciale, cette fois-ci applicable aux ouvertures de crédit en compte courant (10), en visant à la fois les articles 1907 du Code civil et L. 313-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6649IM9) (11). La contradiction n'est sans doute qu'apparente, dans la mesure où un arrêt plus ancien de la première chambre civile a pu affirmer à la fois que, concernant l'article 1907 du Code civil, "en matière de prêt d'argent, l'exigence d'un écrit mentionnant le taux de l'intérêt conventionnel est une condition de validité de la stipulation d'intérêt, et qu'en l'absence d'un accord écrit sur ce point, l'indication du taux d'intérêt sur les relevés de compte ne répond pas à cette exigence, lors même qu'elle ne fait pas l'objet d'une protestation de la part du client" et que, concernant la mention du TEG, "la reconnaissance de l'obligation de payer des intérêts conventionnels suppose la fixation préalable, par écrit, de leur taux ; que cette reconnaissance peut résulter de la réception sans protestation ni réserve des relevés de compte par l'emprunteur" (12). Cette différence de traitement peut tout à fait se justifier en ce que le taux d'intérêt débiteur est un élément constitutif du contrat sur lequel il faut s'entendre alors que le TEG, qui n'en est que la conséquence, doit simplement être mentionné.

Ensuite, la Chambre commerciale précise que sa solution s'applique que le taux soit fixe ou variable. A ce propos, la formule employée par la Cour de cassation n'est pas la plus heureuse, étant donné qu'on a l'impression que c'est le TEG qui peut être stipulé fixe ou variable. En réalité, comme la doctrine l'a démontré, le TEG n'est pas en soi un véritable taux mais une information standardisée apportée à l'emprunteur. Seul le taux débiteur peut être fixe ou variable, et s'agissant d'un découvert en compte, il est pratiquement rarissime qu'il ne soit pas stipulé variable. Le TEG peut également être affecté en fonction des différentes commissions qui pourront être prélevées à l'occasion de l'utilisation de l'ouverture de crédit. Et l'on sait que ce sont ces deux raisons qui justifient que le TEG d'un découvert en compte ne peut être fixé définitivement par avance. Même si la conclusion d'un découvert en compte à taux fixe est hypothétique, cela signifie tout de même que, pour la Chambre commerciale, les solutions spécifiques attachées au compte courant en matière de TEG ne tiennent aucunement à la variabilité du taux d'intérêt mais bien à la structure de ce contrat en tant qu'opération de crédit.

II - Le régime attaché à la prise en compte du TEG mentionné dans le relevé

La possibilité de suppléer à l'absence de TEG dans la convention initiale par une mention du TEG dans les relevés postérieurs, fondée sur un accord entre les parties quant à la modification du taux applicable, justifie, d'une part, que seuls certains intérêts seront concernés par l'application du nouveau taux (A) et, d'autre part, que le client a normalement la possibilité d'émettre des protestations ou des réserves à la suite de la réception de cette information (B).

A - Les intérêts dus par le client

En l'absence de clause indiquant le TEG dans le contrat initial, le fait de mentionner un tel TEG permettrait donc de sceller l'accord des parties sur cette question. Le consentement de l'établissement de crédit serait attaché à l'envoi du relevé comportant le taux alors que celui du client serait de nature tacite, l'absence d'opposition de sa part permettant de démontrer son accord. Cette rencontre des consentements aura bien souvent tout d'une fiction. En effet, la plupart du temps, l'établissement de crédit et le client n'ont pas conscience, au moment de l'envoi du relevé, de l'irrégularité du TEG fixé dans la convention initiale. Dès lors, comment pourraient-ils vouloir cantonner les effets de cette nullité en consentant à la perception d'intérêts pour le futur sans même en connaître l'existence ?

D'un point de vue pratique, il est évident qu'il faut dissocier les intérêts en fonction de leur date de naissance. Les intérêts dus avant l'envoi du relevé comprenant le TEG sont toujours affectés par la nullité et seul le taux légal sera dû pour ce qui les concerne. Seuls les intérêts postérieurs au relevé de compte portant mention du TEG seront dus. On remarquera -et c'est tout l'intérêt de la solution- que la sanction qui devait frapper l'ouverture de crédit dans sa totalité se réduira comme peau de chagrin, dans la mesure où le premier relevé indiquant un TEG envoyé au client mettra fin à la sanction. Au final, le client ne pourra espérer la restitution de la différence entre les intérêts au taux conventionnel et ceux calculés à partir du taux légal que pour la période séparant la conclusion du contrat et le premier relevé comportant mention d'un TEG. Autant dire que le montant sera bien moindre que les 89 144,89 euros qui, en l'espèce, avaient été accordés par la cour d'appel.

La Cour de cassation met en avant l'erreur d'analyse commise par la cour d'appel de Lyon. Cette dernière avait cru pouvoir juger que l'envoi d'un relevé avec indication d'un TEG ne pouvait suppléer l'irrégularité d'origine, puisque le taux effectif global pratiqué n'a jamais été identique, pour la période suivant l'envoi d'un relevé de compte, au taux indiqué sur ce relevé. On comprend que l'analyse de la cour d'appel ne pouvait pas ici prospérer. En effet, dès lors que le relevé permet de démontrer l'existence d'un accord entre les parties sur le futur taux appliqué, cet accord est lui-même soumis au particularisme du compte courant. On le sait, il est, en la matière, impossible de prévoir par avance le TEG applicable. Un nouvel accord de volontés ne peut ainsi proposer que des taux indicatifs, le taux applicable pour le mois ou le trimestre précédent -même si ces intérêts ne sont pas dus- constituant sans doute le taux indicatif le plus pertinent à communiquer au client.

B - L'exception liée à la protestation du client

La Cour considère que la mention du TEG sur le relevé emporte obligation pour le titulaire du compte de payer les intérêts conventionnels à compter de sa réception, mais ajoute une condition : l'absence de protestation ou de réserve de la part du client une fois le relevé reçu.

La possibilité de valider certaines opérations dès lors qu'elles sont portées sur le relevé est une technique éprouvée en droit bancaire. Il convient cependant ici d'expliquer le ressort juridique mobilisé par la Cour de cassation. Pour cela, il faut rappeler que, si la mention du TEG sur le relevé permet de pallier partiellement l'irrégularité dans le contrat initial, c'est parce que les parties décident, par un nouvel accord de volontés, de modifier le contrat en cours et donc de déterminer le taux d'intérêt à verser. On comprend que le seul envoi du relevé ne peut suffire et qu'il faut donc caractériser l'acceptation du titulaire du compte, même si la tâche en est facilitée par la Cour de cassation. En effet, l'acceptation par le client revêt ici un caractère tacite : l'absence de protestation après réception de l'arrêté de compte. Cela signifie a contrario que le client peut émettre certaines réserves ou protester contre l'indication du TEG.

A notre avis, il importe de distinguer cette solution de la clause -devenue de style- selon laquelle la non-contestation de certaines opérations par le client dans un délai convenu -généralement un mois- entraîne reconnaissance des opérations concernées. En effet, dans ce cas là, la Cour de cassation a pu décider qu'une telle clause avait pour effet, en cas de silence gardé pendant un mois, non pas d'accepter tacitement les opérations portées en compte mais de les présumer valides. Il ne s'agit là que d'une présomption simple, le client conservant la possibilité de contester la réalité ou la validité d'une opération pendant toute la durée de la prescription (13). Si la formule retenue par la Cour de cassation semble voisine de celle employée dans cette clause, le mécanisme utilisé quant à lui diffère. Tout d'abord, on remarquera qu'il ne peut s'agir ici de présumer valables des opérations antérieures, puisqu'en l'espèce la fixation d'un taux débiteur ne vaut que pour l'avenir (14). Dès lors, si la référence à une protestation ou à une réserve peut avoir un sens, et nous pensons qu'elle en a un, c'est uniquement en ce que le titulaire du compte pourrait refuser la modification proposée. Ensuite, et de façon plus essentielle, il y a effectivement ici une présomption, mais celle-ci n'est pas un effet du contrat voulu par les parties mais a, au contraire, pour objet de prouver le consentement à une clause dudit contrat. L'objectif est donc de prouver un consentement à une modification du contrat sans recours à un écrit, c'est-à-dire de démontrer un consentement tacite. La jurisprudence est généralement réservée quant à cette possibilité et exige à tout le moins un silence circonstancié. Deux analyses peuvent ici être envisagées. Soit l'on voit dans cette solution un usage, même si la Cour de cassation ne l'a jamais présenté de la sorte, le risque tenant alors à une délimitation stricte du périmètre de l'usage en question. Soit il s'agit d'une présomption du fait de l'homme permettant de démontrer l'acceptation tacite. Un fait juridique -en l'espèce le silence gardé après réception du relevé- permet de présumer le consentement du client. Du point de vue du régime juridique, l'explication fondée sur la présomption du fait de l'homme conduit à ne pas appliquer le délai d'un mois auparavant évoqué. Les juges du fond devraient donc souverainement décider du moment à partir duquel on peut considérer qu'il y a eu acceptation tacite.

Nous avons déjà évoqué la fiction selon laquelle le client est censé savoir, dès la réception du relevé, que le taux prévu dans le contrat initial est erroné. Nous pouvons ici en dénoncer une autre : celle qui présume que le client a connaissance de la solution jurisprudentielle en vertu de laquelle l'indication du TEG pour l'échéance passée sur le relevé vaut également offre de stipulation d'intérêts pour l'avenir. En effet, seule la connaissance de cette jurisprudence pourrait justifier le recours à la technique de l'acceptation tacite. Le cas d'espèce montre d'ailleurs ce que la solution peut avoir d'excessif. Pour mémoire, il y avait une discordance entre le mode de calcul du taux d'intérêt débiteur tel que prévu par le contrat et le mode de calcul effectivement appliqué par la banque, ce qui s'est traduit par un TEG erroné. L'envoi du relevé indiquant a posteriori le TEG appliqué de façon irrégulière emportait dans le même temps validation de la stipulation d'intérêts pour l'avenir et donc de l'utilisation de la méthode de l'année lombarde. Si seul le TEG est fixé sans autres précisions, cela ne revient-il pas à valider du même coup les éléments de calcul de ce TEG et, en l'espèce, le recours au calcul de l'année lombarde, sans que le titulaire du compte n'en ait conscience ? Finalement, on peut se demander si ce que la Cour de cassation accorde d'une main en proclamant que le défaut de mention du TEG dans la convention initiale entraîne nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel, elle ne le reprend pas d'une autre. Autrement dit, puisque le nouveau taux est censé à la fois répondre au formalisme légal mais également respecter l'exigence d'une rencontre des consentements, il serait pertinent de déterminer si la simple mention du TEG suffit ou s'il ne faudrait pas de nouveau que les éléments essentiels au calcul de ce TEG, dont notamment le taux débiteur, soient détaillés (15). En effet, la stipulation d'origine étant nulle, il faut s'accorder sur tous les éléments participant à la détermination de ce TEG. En ce sens, la Cour y fait référence, certes un peu rapidement, en exigeant que le taux effectif global soit régulièrement calculé pour la période écoulée. Or, un calcul régulier suppose logiquement que l'on s'accorde sur les éléments nécessaires à ce calcul, et donc qu'ils soient indiqués dans le relevé. C'était sans doute le cas en l'espèce, dans la mesure où le pourvoi formé par la banque affirmait que, de façon générale, les indications figurant sur le relevé peuvent suppléer l'absence de fixation du taux si elles sont "suffisamment complètes". Une jurisprudence antérieure avait pu statuer en ce sens (16). On aurait apprécié que la Cour de cassation, récapitulant dans son attendu de principe tous les éléments de régime applicables, reprenne expressément à son compte cette condition.


(1) C. consom., art. L. 313-2 (N° Lexbase : L7963IZX).
(2) Commission du plus fort découvert, commission de forçage dans certaines hypothèses... En ce sens, cf. Cass. com., 8 novembre 2005, n° 04-11.069, F-P+B (N° Lexbase : A5961DLD), Bull. civ. IV, n° 217.
(3) Cass. com., 9 juillet 1996, n° 94-17.612, publié (N° Lexbase : A2511ABM), Bull. civ. IV, n° 205 ; Cass. com., 5 mai 1998, n° 95-13.028, publié (N° Lexbase : A2354AC8), Bull. civ. IV, n° 148 ; Cass. com., 5 octobre 2004, n° 01-12.435, FS-P+B (N° Lexbase : A5566DDI), Bull. civ. IV, n° 180 ; Cass. com., 20 février 2007, n° 04-11.989, F-P+B+R (N° Lexbase : A2787DUR), Bull. civ. IV, n° 47 ; Cass. com., 18 mars 2014, n° 13-13.618, F-D (N° Lexbase : A7504MHE).
(4) Une telle clause est validée par la chambre commerciale (Cass. com., 24 mars 2009, n° 08-12.530, FS-P+B N° Lexbase : A2120EEA, Bull civ. IV, n° 44), mais pas par la première chambre civile, tout du moins pour les prêts consentis aux consommateurs (Cass. civ. 1, 19 juin 2013, n° 12-16.651, FS-P+B+I N° Lexbase : A2042KH4, Bull. civ. I, n° 132).
(5) CA Lyon, 31 octobre 2013, n° 12/03450 (N° Lexbase : A7868KNQ).
(6) Cass. com., 6 avril 1999, n° 96-15.337, publié (N° Lexbase : A6655AHX), Bull. civ. IV, n° 82 ; Cass. com., 18 février 2004, n° 01-12.123, FS-P (N° Lexbase : A3121DB9), Bull. civ. IV, n° 38 ; Cass. com., 30 octobre 2007, n° 06-13.852, F-D (N° Lexbase : A2309DZK).
(7) Une certaine doctrine considère que le taux de base de la banque est en soi un taux objectif, dans la mesure où il dépend des conditions de refinancement de la banque sur le marché. Il l'est sans doute d'un point de vue économique. Mais, d'un point de vue juridique, la faculté de laisser la banque fixer unilatéralement le taux n'a été possible qu'en évinçant l'article 1129 du Code civil (N° Lexbase : L1229AB7), ce qui revient à dire qu'il s'agit bien d'un pouvoir -qui peut être contractuellement réservé à la banque sous réserve de l'abus de droit- et donc d'une variation du taux au moins partiellement subjective.
(8) La nullité de la stipulation du taux d'intérêt -dépendant des articles 1907 du Code civil (N° Lexbase : L2132ABL) et L. 313-2 du Code de la consommation- ne doit pas être confondue avec la question du caractère onéreux ou gratuit du contrat de prêt qui est envisagée dans l'article 1905 du Code civil (N° Lexbase : L2129ABH), lequel ne pose qu'une règle de preuve et pas une règle de fond.
(9) Cass. civ. 1, 17 janvier 1995, n° 92-15.258, publié (N° Lexbase : A8146ABC), Bull. civ. I, n° 36 ; Cass. civ. 1, 6 mars 2003, n° 00-16.304, F-D (N° Lexbase : A8198BSG).
(10) Ce qui pourrait exclure les crédits dépendant du droit de la consommation, même si les arrêts ne disent rien de tel.
(11) Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 05-10.193, F-D (N° Lexbase : A0547EBU) ; Cass. civ. 1, 28 octobre 2010, n° 09-13.864, F-D (N° Lexbase : A0308GDR).
(12) Cass. civ. 1, 15 juillet 1999, n° 97-19.519, inédit (N° Lexbase : A7546CTN).
(13) Cass. com., 10 février 1998, n° 96-11.241, publié (N° Lexbase : A2618ACX), Bull. civ. IV, n° 63 ; Cass. com., 3 novembre 2004, n° 01-16.238, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7538DDK) ; Cass. com., 27 novembre 2012, n° 11-26.677, F-D (N° Lexbase : A8590IXG).
(14) Ainsi, la clause contractuelle présumant la validité de l'opération peut concerner le TEG appliqué qui a régulièrement été porté sur le relevé : on présumera que les éléments utilisés pour le calcul du taux ou que le calcul du taux lui-même sont réguliers, jusqu'à preuve du contraire. La solution envisagée dans notre arrêt ne concerne bien entendu pas cette hypothèse, mais celle d'une irrégularité de la stipulation d'intérêts, la fixation du TEG dans le relevé ouvrant droit à des intérêts conventionnels pour l'avenir. Pour une illustration de la distinction, cf. Cass. com., 18 février 2004, n° 03-13.035, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0345DEI), Bull. civ. IV, n° 205.
(15) Rappelons ici que l'article 1907, alinéa 2, du Code civil exige la mention du taux d'intérêt débiteur dans le contrat de prêt et que la mention du TEG ne dispense pas de cette obligation.
(16) Cass. com., 9 mars 1999, n° 96-16.554, publié (N° Lexbase : A8670AHL), Bull. civ. IV, n° 54 : "Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, sans préciser si les tickets d'agios ainsi reçus sans protestation ni réserve comportaient indication d'un taux effectif incluant globalement l'incidence de tous frais et commissions, et s'ils comportaient des indications suffisamment exemplaires pour informer exactement et préalablement les titulaires sur le taux effectif global des opérations postérieures, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

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