La lettre juridique n°492 du 5 juillet 2012

La lettre juridique - Édition n°492

Éditorial

Conversion de l'enfant et préjudice du parent : l'artifice juridique pour cacher la forêt prosélyte

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N2730BTB

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


A lire rapidement cet arrêt de la cour d'appel de Nîmes rendu le 12 juin 2012, l'octroi de dommages et intérêts à une mère à la suite de la "conversion" religieuse de son fils a de quoi surprendre. Ainsi, pour les juges nîmois, la rencontre de Dieu, de quelque religion au sein de laquelle il puisse être adoré, constituerait un préjudice dont la réparation serait satisfaite de manière pécuniaire. Bien entendu, ce n'est pas sur un fondement théologique que la cour d'appel a rendu sa décision : elle s'appuie sur le principe de l'exercice commun de l'autorité parentale, et après avoir constaté que le père divorcé de l'enfant avait organisé la bar-mitzvah de son fil, sans requérir le consentement exprès de son ex-femme, elle conclut à l'existence d'un préjudice moral... dont la victime est la mère et non l'enfant.

D'abord, à n'en pas douter, la conversion religieuse est un droit fondamental. Ce droit est reconnu autant par la Déclaration universelle des droits de l'Homme (art. 18), que par le Pacte international des droits civils et politiques (art. 18.2). Mais, on admettra que l'exercice de ce droit est subordonné à l'existence préalable d'un consentement libre et éclairé qu'il est difficile de concéder à un enfant, même de 13 ans.

Par conséquent, il incomberait aux parents du mineur de décider de cette conversion en son nom et, le plus souvent -dans le cadre des trois grandes religions monothéistes -, en son âme. Ce n'est pas rien, et le consentement des deux parents doit être requis, c'est le moins qu'il puisse être ; d'autant que ce que Dieu fait, seul Dieu peut le défaire et il n'est, en principe, pas possible de faire machine arrière, de théologiquement se "déconvertir". Fils du commandement tu es, Fils du commandement tu seras !

C'est pourquoi quelques voix s'élèvent, aujourd'hui, pour que les conversions, baptêmes, bar-mitzvah et autre chahada soient consentis, par l'intéressé lui-même, à l'âge adulte. D'une part, le rite rejoindrait ainsi les principes fondamentaux de l'Humanité et, d'autre part, il ferait écho aux conversions célèbres, celles qui montrèrent le "chemin de Damas" à tous les autres : Jésus lui-même n'a-t-il pas été baptisé à l'âge adulte ? Normal, diriez-vous, pour le "fondateur" d'une nouvelle religion ! Pourtant, la conversion de Paul de Tarse, persécuteur des premiers chrétiens, demeure l'archétype de toutes les conversions ; elle traduit une révolution spirituelle sans précédent. La conversion de Saint Augustin, professeur de rhétorique frivole et luxurieux, pour devenir l'un des Pères de l'Eglise les plus admirés du monde chrétien à travers ses Confessions l'est tout autant. La conversion de Paul Claudel, celle de Charles Péguy et celle, encore, d'Emile Zola le sont également, et ont laissé une prose qui ne laisse pas entrevoir un quelconque préjudice à la rencontre de Dieu : "En un instant, mon coeur fut touché et je crus. Je crus, d'une telle force d'adhésion, d'un tel soulèvement de tout mon être, d'une conviction si puissante, d'une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d'une vie agitée, n'ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. J'avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l'innocence, de l'éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable", nous livre le premier. La conversion, plus récente, de sportifs a fait grand bruit, mais les joueurs de l'équipe de France de football concernés n'ont fait que suivre si ce n'est leur conscience, du moins le chemin tracé jadis par Cassius Clay, autre converti médiatique à l'Islam. Toute ces conversions ont été consenties à l'âge adulte et suivent l'exemple des premiers disciples de chaque religion : c'est ce qui témoigne, en réalité, de leur vérité.

Dès lors, accorder la réparation d'un préjudice moral à la mère de l'enfant converti, pour atteinte à l'exercice de l'autorité parentale commune, paraît bien faible au regard du préjudice subi par l'enfant du fait du choix de ses parents -l'atteinte à l'intégrité spirituelle-, fussent-ils d'accord entre eux pour qu'il "adhère" à une religion.

Si le droit de la responsabilité civile oblige à la réparation du préjudice direct ou indirect, encore faut-il que la victime soit bien la personne qui subit le dommage, à l'exception des ayants droit. En l'espèce, la mère subit un dommage non pas du fait de la conversion de son fils en tant que telle, mais du non-respect par le père divorcé de l'exercice commun de l'autorité parentale. Le préjudice est direct. Mais, on admettra qu'il est difficile de détacher cette atteinte de la conversion religieuse elle-même. Car, bien entendu, les cas dans lesquels le père ou la mère prend une décision intéressant la vie de l'enfant sans le consentement de l'autre parent sont légion : de la manière de se vêtir au régime alimentaire, certains choix de la vie quotidienne peuvent être empreints d'une dimension toute spirituelle. La pratique d'un sport ou celle d'un art, le sont également, certaines religions y étant parfois hostiles. Mais, si votre enfant ne mange plus de tomate chez son père, est-ce à dire qu'il est sous l'emprise salafiste ? La frontière est parfois bien ténue entre la gestion de la vie quotidienne et le prosélytisme. Les cas d'atteinte à l'autorité parentale conjointe sont donc potentiellement nombreux, si ce n'est quotidiens. Et, on imagine mal les juges indemniser le préjudice moral éventuel au titre de chacun des cas relatés.

Mais, c'est bien parce que les questions religieuses sentent le soufre que l'autorité parentale conjointe pointe son nez dans cette histoire. Car il faut bien sanctionner l'attitude du père prosélyte, sans pour autant condamner civilement toute conversion d'un enfant. Au même titre que les parents ne peuvent pas demander réparation pour le préjudice subi du fait du handicap d'un enfant, en dehors du constat d'une faute médicale avérée, au nom du droit à la vie, cette dernière ne pouvant constituer un préjudice en soi ; au même titre est-il délicat de constater un préjudice moral du fait de la révolution spirituelle de son enfant et de son droit à la vie... éternelle.

Les juges auront donc bien fait de combattre le prosélytisme rampant au sein des familles en dehors de tout consentement éclairé de l'enfant, en usant du moyen de l'atteinte à l'autorité parentale conjointe, surtout dans le cadre de familles séparées dont les convictions religieuses divergent. Et, si la monétarisation de cette atteinte semble difficile à apprécier quant à son quantum, au moins fera-t-elle prendre conscience que le choix "d'adhérer" à telle ou telle religion, voire aucune, est un choix intime, qui ne doit relever que de l'individu lui-même. L'impérialisme théologique et les conversions forcées sont la marque d'un autre temps, que les droits fondamentaux ne sauraient tolérer, même lorsqu'il s'agit d'un enfant "baignant" dans une communauté ou une "famille" religieuse.

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Avocats/Honoraires

[Le point sur...] Quelques observations sur la réduction des honoraires de l'avocat

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N2757BTB

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

Le 06 Juillet 2012

Illustration de la pénétration en droit positif des contrats d'une exigence de juste mesure, la réduction des honoraires excessifs des professions libérales (1), et notamment des avocats, est importante (2). Il suffit en effet, pour s'en persuader, de rappeler que, dans les rapports entre particuliers, une telle exigence a parfois été ignorée, voire refoulée. Les canonistes avaient certes entendu faire de la justice commutative un principe et investir le juge d'un pouvoir modérateur destiné à faire fléchir, au nom de l'équité, la rigidité d'une règle dans les cas dans lesquels son application aurait des conséquences excessives (3). Néanmoins, cette vision n'a manifestement que peu inspiré les rédacteurs du Code civil. Sans doute ont-ils consacré quelques dispositions particulières à l'excès, notamment à travers la sanction des inscriptions hypothécaires excessives ou des libéralités excessives portant atteinte à la réserve héréditaire, reprenant d'ailleurs ainsi parfois des solutions antérieures issues, notamment, du droit romain (4). Toujours est-il qu'ils se sont montrés, pour l'essentiel, sinon assez hostiles, du moins indifférents, à l'équilibre ou même, plus strictement, à l'absence de démesure entre les choses. Le constat est très net en matière contractuelle où les codificateurs, peut-être influencés par la théorie de l'autonomie de la volonté, ont fermement consacré, à l'article 1134, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), l'intangibilité des contrats quel que soit l'équilibre interne de ceux-ci. Perçu, à l'aube du dix-neuvième siècle, comme le fruit d'un compromis auquel étaient parvenues deux volontés antagonistes, libres et égales, le contrat, même objectivement déséquilibré, devait demeurer à l'abri de toute immixtion du juge. Le refus de principe de sanction de la lésion, qui résulte de la conjonction de deux textes spéciaux, en l'occurrence de l'article 1706 du Code civil (N° Lexbase : L1829ABD) à propos du contrat d'échange et de l'article 2052, alinéa 2 (N° Lexbase : L2297ABP), à propos des transactions, et d'un texte général, l'article 1118 du Code civil (N° Lexbase : L1206ABB), en est le reflet classique. La jurisprudence n'a du reste pas entendu remettre en cause cette conception du contrat, affirmant, non plus au stade de la formation du contrat mais de son exécution, dans la célèbre affaire du "Canal de Craponne", son indifférence à l'imprévision en des termes particulièrement évocateurs : "la règle [consacrée par l'article 1134 du Code civil] est générale, absolue, et régit les contrats dont l'exécution s'étend à des époques successives de même qu'à ceux de toute autre nature", de telle sorte que "dans aucun cas, il n'appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions entre les parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants" (5). Imposant ainsi la soumission du juge au contrat, la Cour de cassation dénie par là même tout recours à l'équité hors des cas exceptionnels dans lesquels celui-ci est explicitement permis, quitte même à laisser s'accentuer, selon l'heureuse formule de  François Terré, "l'écart pouvant exister entre la justice et le droit" (6).

Cependant, une évolution a pu être remarquée, la prise de conscience de plus en plus vive de la fréquente inégalité entre les contractants et, partant, de l'exploitation du faible par le fort, justifiant de faire du contrat le lieu d'un nécessaire équilibre (7). Progressivement en effet, l'idée selon laquelle la force obligatoire du contrat ne pouvait plus être le corollaire d'une libre expression de la volonté s'est imposée et l'on a commencé à ressentir le besoin de limiter son automatisme en soumettant l'efficacité ou la validité des stipulations contractuelles au contrôle de leur équilibre. A l'approche toute subjective du rapport contractuel qui avait pu être celle des rédacteurs du Code civil s'est substituée, de façon particulièrement sensible durant la seconde moitié du vingtième siècle, une approche objective, l'apparition d'un "ordre public de l'économie interne du contrat" (8) commandant de sauver, en rétablissant un équilibre minimum, une relation contractuelle vouée à l'échec ou compromise en raison notamment de l'excès pouvant la vicier (9). Le développement d'une exigence de juste mesure ou, plutôt, d'absence de démesure manifeste, réalisée par l'entremise du juge investi d'un pouvoir modérateur, devint ainsi perceptible (10). Sans, naturellement, reprendre ici l'ensemble de la discussion, on aimerait, compte tenu de son importance pratique, resituer la question de la réduction des rémunérations excessives des professions libérales, et spécialement des avocats, dans ce contexte plus global.

Origine de la règle. La règle selon laquelle les honoraires de l'avocat peuvent, en cas d'excès, être réduits, est ancienne. Historiquement, il faut rappeler que la Cour de cassation a d'abord reconnu aux juges du fond le pouvoir souverain de réduire le prix de cession des offices ministériels s'il est excessif et les rémunérations excessives des mandataires et agents d'affaires, indiquant, par un arrêt de principe en date du 12 janvier 1863, que les juges du fond avaient "le droit et le devoir de rechercher le rapport de l'importance des soins, démarches et peines des mandataires, avec l'importance de la rémunération convenue, et de la réduire dans le cas où elle [leur] paraîtrait excessive" (11). La solution, rappelée de façon constante, est devenue traditionnelle (12). Le pouvoir souverain des juges du fond a ensuite été étendu, durant la seconde moitié du vingtième siècle, aux honoraires des professions libérales, à condition toutefois que le bénéficiaire de la prestation n'ait pas, après la fin de l'opération, reconnu devoir, à celui qui la lui a fournie, la somme réclamée (13). A ce titre, les juges du fond apprécient souverainement si les honoraires des notaires (14), des avocats (15), des conseils juridiques (16), des experts comptables (17), des généalogistes (18), etc. (19), sont ou non excessifs. S'agissant des avocats, une procédure spéciale est prévue : avocat non réglé de ses honoraires, ou client contestant la note présentée pour la faire réduire et éventuellement même se faire restituer une partie des provisions versées peuvent indifféremment saisir le Bâtonnier de leurs demandes. Celui-ci rendra une décision motivée au terme d'une procédure contradictoire où il entendra les parties. Sa décision pourra devenir exécutoire, par ordonnance du président du tribunal de grande instance, et le cas échéant faire l'objet d'un recours devant le premier président de la cour d'appel qui peut renvoyer l'affaire devant la cour.

Fondement de la règle. Ces solutions s'inscrivent dans une tendance plus générale : lorsque le vice du contrat tient dans le caractère excessif du prix stipulé, la jurisprudence, à supposer bien entendu qu'elle accepte le principe d'une sanction, semble aujourd'hui éviter, de façon opportune, d'anéantir le contrat dans son entier, et préfère ainsi ordonner la réduction du montant illicite. Parmi les nombreux exemples qui peuvent être donnés, on redira que, si le Code civil, dans les cas dans lesquels il a admis la sanction de la lésion, a opté pour la nullité totale de la convention, il apparaît, en revanche, que les lois et la jurisprudence postérieure ayant étendu la lésion ont fait une place non négligeable à la réduction comme modalité de sanction du prix excessif. Il suffira, ici, de rappeler que la loi du 8 juillet 1907, modifiée par les lois du 10 mars 1937 et du 13 juillet 1979, relative à la vente d'engrais et diverses autres denrées destinées à l'agriculture, a, pour la première fois semble-t-il, institué une action en réduction pour lésion en permettant à l'acheteur lésé de plus du quart de demander non la rescision mais la réduction du prix pour cause de lésion. Depuis, il est permis de croire, en dépit de quelques solutions particulières contraires, et d'ailleurs contestables, que la réduction comme sanction de la lésion est plus systématiquement préférée à l'anéantissement de l'acte litigieux : la loi du 29 avril 1916, relative à l'assistance et au sauvetage maritime, la loi du 29 juin 1935, instaurant provisoirement une action en réduction du prix de vente des fonds de commerce, l'article L. 313-5 du Code de la consommation (N° Lexbase : L2438IBW) en matière d'usure... en sont des illustrations significatives. La réduction d'origine purement prétorienne du prix de cession des offices ministériels ainsi que la rémunération des mandataires, agents d'affaires et membres de professions libérales, participe d'ailleurs de cette extension de la réduction comme mode de sanction du prix excessif en matière contractuelle.

Encore faut-il toutefois noter, à ce propos, que la réduction du prix de cession des offices ministériels et la réduction des rémunérations excessives, bien qu'envisagées par la plupart des auteurs comme relevant du phénomène de l'extension de la sanction de la lésion en droit positif, poursuivent des objectifs différents et reposent sur des fondements qui ne doivent pas être confondus : alors que la première constitue l'une des manifestations de l'ordre public économique, de l'interventionnisme étatique dans le contrat, la seconde a pour inspiration l'idée de justice commutative. Son fondement juridique a donné lieu à de nombreuses hésitations doctrinales : si la justification traditionnelle tirée de la gratuité naturelle du mandat (C. civ., art. 1986 N° Lexbase : L2209ABG) est aujourd'hui abandonnée par la quasi-totalité de la doctrine (20), un consensus semble avoir été obtenu autour de l'idée selon laquelle "le pouvoir exorbitant du juge est tout simplement, dans sa pérennité, l'une des illustrations les plus marquantes de la jurisprudence d'équité" et s'expliquerait par le fait que les rémunérations réduites sont celles de "professions dans lesquelles la fixation des honoraires est sujette à certains coefficients d'élasticité et donc à certains dangers d'exagération" (21). C'est que, en effet, dans le contrat d'entreprise, où la fixation du prix lors de la conclusion du contrat n'est pas une condition de validité, et donc où il peut parfaitement n'être fixé unilatéralement qu'au stade de l'exécution du contrat, le risque que celui qui a le pouvoir de fixer le prix en abuse pour fixer un prix excessif est grand. Sous cet aspect, le contrôle a posteriori du juge apparaît comme la contrepartie de ce pouvoir de fixation unilatérale du prix. C'est d'ailleurs ce qui explique, dans l'hypothèse d'un défaut d'acceptation du prix, "[puisqu'un] accord préalable sur le montant exact de la rémunération n'est pas un élément essentiel du contrat de louage d'ouvrage", que la Cour de cassation décide "qu'en l'absence d'un tel accord, il appartient aux juges du fond de fixer la rémunération compte tenu des éléments de la cause" (22).

Justification de la règle. Le principe de la révision des honoraires excessifs mérite ainsi d'être approuvée, d'autant que, comme on l'a justement fait remarquer, il semble en réalité que, dans bon nombre d'affaires, où soi-disant le juge intervient pour réviser le prix, celui-ci n'avait pas fait l'objet d'une détermination précise, si bien qu'on se rapproche davantage d'une fixation que d'une révision du prix (23). Plus discutable, parce que révélant sans doute une immixtion plus nette du juge dans le contrat et, ainsi, une atteinte à sa force obligatoire, est en revanche l'extension par la jurisprudence de ce pouvoir des juges du fond de révision des honoraires forfaitaires, autrement dit, cette fois, en présence d'un prix déterminé entre les parties. La première affaire était relative aux honoraires de l'avocat, qui avait conclu avec son client un contrat "d'abonnement" lequel donnait lieu à une rémunération forfaitaire fixée annuellement, associée à des honoraires complémentaires liés au nombre de dossiers. Après une rupture des relations, le client avait refusé de payer le trimestre non effectué ainsi que les honoraires complémentaires. La question se posait donc de savoir si le juge pouvait modifier les honoraires fixés conventionnellement. La Cour de cassation a répondu positivement : l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) "ne fait pas obstacle au pouvoir des tribunaux de réduire les honoraires convenus initialement entre l'avocat et son client lorsque ceux-ci apparaîssent exagérés au regard du service rendu" (24). Une deuxième affaire, concernant cette fois une convention de révélation de succession, est venue confirmer ce pouvoir de réduire des honoraires excessifs, même en présence d'un forfait (25). Le raisonnement de la Cour de cassation est donc le suivant : si le juge a le droit de "réviser" le prix, il peut exercer celui-ci sur tous les prix, y compris ceux qui sont fixés d'une manière ferme et définitive. Il reste pourtant que l'hypothèse d'un forfait devrait inciter à ne pas traiter la question de la même manière que dans les hypothèses où le pouvoir de révision n'intervient que pour faire échec à la présentation d'une facture fixée unilatéralement, a posteriori, et non acceptée par le client -autrement dit dans des hypothèses dans lesquelles, comme on l'a dit plus haut, où en fait de "révision", c'est plutôt de fixation du prix dont il est question-. D'ailleurs, la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait précédemment jugé que "sauf si elle est affectée d'une cause de nullité dont il appartient à celui qui l'invoque de rapporter la preuve, la convention d'honoraires soumise par l'avocat à son client et acceptée par celui-ci fait la loi des parties" (26). C'est bien, comme on l'a relevé, "que la décision de faire abstraction d'un accord des parties sur le prix définitif ne va pas de soi, qu'elle heurte directement le principe de la force obligatoire du contrat" (27). Reste que, le contrat d'entreprise reposant sur une prestation à venir, tout contrôle des juges sur la contre-prestation ne peut sans doute être banni.


(1) D. Mazeaud, La réduction des obligations contractuelles, in Que reste-t-il de l'intangibilité du contrat ?, Colloque de Chambéry, Droit et patrimoine, 1998, p. 60.
(2) Parmi une littérature abondante, voir not. J. Hamelin et A. Damien, Les règles de la profession d'avocat, Dalloz, 9ème éd., 2000 ; B. Boccara, Du pouvoir judiciaire de réduction de l'honoraire de l'avocat (libre critique et dialectique judiciaire), Gaz. Pal., 1998, 2, p. 1142 ; R. Martin, La réduction des honoraires de l'avocat par le pouvoir judiciaire, Recherche archéologique, JCP éd. G, 1999, I, 110 ; V. Lasbordes, Libres propos sur la fixation des honoraires de l'avocat : de l'utilité de la convention préalable d'honoraires, D., 2001, p. 1893.
(3) Ch. Lefèbvre, Le pouvoir du juge en droit canonique, thèse Paris, Sirey, 1938, spéc. p. 212 et s..
(4) Sur les origines de l'institution de la réserve héréditaire destinée à protéger les héritiers réservataires des libéralités excessives consenties par le de cujus, voir not., M. Grimaldi, Droit civil, Successions, Litec, n° 281.
(5) Cass. civ., 6 mars 1876, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, n° 163.
(6) F. Terré, Introduction générale au droit, Précis Dalloz, n° 13.
(7) Voir, en ce sens, J. Mestre, RTDCiv., 1986, p. 100.
(8) Selon l'expression de G. Farjat, L'ordre public économique, préf. B. Goldman, LGDJ, 1963, n° 157.
(9) Voir not., sur cette question, La tendance à la stabilité du rapport contractuel, Etudes de droit privé, sous la direction et avec une préface de Paul Durand, LGDJ, 1960 ; J. Mestre, L'évolution du contrat en droit privé français, in L'évolution contemporaine du droit des contrats, PUF, p. 41 ; M.-E. Pancrazi-Tian, La protection judiciaire du lien contractuel, préf. J. Mestre, PUAM, 1996.
(10) Ch. Brunet, Le pouvoir modérateur du juge en droit civil français, thèse Paris II, 1973.
(11) Cass. Req., 12 janvier 1863, DP, 1863, 1, 302.
(12) Cass. civ., 29 janvier 1867, DP, 1867, 1, 53, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, n° 266 ; Cass. Req., 28 mai 1913, S., 1915, 1, 116 ; Cass. com., 23 mai 1978, n° 77-11.601 (N° Lexbase : A7007CID), Bull. civ. IV, n° 146.
(13) Cass. civ. 1, 19 janvier 1970, n° 68-13.859 (N° Lexbase : A0814CIY), Bull. civ. I, n° 23 ; CA Paris, 28 janvier 1980, D., 1980, J., p. 161, concl. Jéol, JCP éd. G, 1980, II, 19338 ; Cass. civ. 1, 3 juin 1986, n° 85-10.486 (N° Lexbase : A5026AAE), Bull. civ. I, n° 150, JCP éd. G, 1987, II, 20791, note L. Viandier ; Cass. civ. 1, 2 avril 1997, n° 95-17.606 (N° Lexbase : A0616ACS) Bull. civ. I, n° 113, RTDCiv., 1998, p. 113, obs. J. Mestre.
(14) Cass. civ. 1, 14 mai 1969, n° 67-13.198 (N° Lexbase : A2327C93), Bull. civ. I, n° 181.
(15) CA Rouen, 15 septembre 1992, JCP éd. 1993, II, 21981, note R. Martin, RTDCiv., 1993, p. 354, obs. J. Mestre ; Cass. civ. 1, 3 mars 1998, n° 95-15.799 (N° Lexbase : A1902ACG), JCP éd. G, 1998, II, 10115, note J. Sainte-Rose, Rép. Defrénois, 1998, art. 36815, p. 743, obs. J.-L. Aubert, RTDCiv., 1998, p. 402, obs. P.-Y. Gautier.
(16) Cass. civ. 1, 19 juin 1990, n° 88-20.266 (N° Lexbase : A4097AH9), Bull. civ. I, n° 170.
(17) Cass. civ. 1, 3 juin 1986, préc..
(18) Cass. civ. 1, 5 mai 1998, n° 96-14.328 (N° Lexbase : A2255ACI), Contrats, conc., consom., 1998, n° 111, obs. L. Leveneur, Rép. Defrénois, 1998, p. 1402, obs. Ph. Delebecque, JCP éd. G, 1998, I, 177, obs. F. Labarthe, RTDCiv., 1998, p. 901, obs. J. Mestre.
(19) Voir, pour les conseils en gestion, Cass. com., 2 mars 1993, n° 90-20.289 (N° Lexbase : A6329ABZ), Bull. civ. IV, n° 83, D., 1994, Somm. 11, obs. J. Kullmann, RTDCiv., 1994, p. 346, obs. J. Mestre ; pour les médecins, CA Rouen, 12 novembre 1959, D., 1960, J., p. 164 ; pour les banquiers, Cass. civ. 1, 14 mai 1969, Bull. civ. I, n° 181 ; pour les détectives, Cass. civ. 1, 4 octobre 1989, n° 87-19.193 (N° Lexbase : A0790CGD), Bull. civ. I, n° 301.
(20) Outre le fait que la justification tirée de la gratuité du mandat semble ignorer la profonde évolution qu'a subi le contrat de mandat à l'époque contemporaine (voir not., sur ce point, Ph. Le Tourneau, De l'évolution du mandat, D., 1992, chr. p. 157), il est manifeste qu'elle ne permet pas de rendre compte de l'extension du contrôle judiciaire aux membres de professions libérales qui n'ont pas une activité de mandataire.
(21) G. Cornu, RTDCiv., 1971, p. 172 ; J. Ghestin, Traité de droit civil, La formation du contrat, LGDJ, n° 771.
(22) Cass. civ. 1, 24 novembre 1993, n° 91-18.650 (N° Lexbase : A5919AHP), Bull. civ. I, n° 339.
(23) F. Labarthe et C. Noblot, Le contrat d'entreprise, LGDJ, n° 432.
(24) Cass. civ. 1, 3 mars 1998, préc..
(25) Cass. civ. 1, 5 mai 1998, préc..
(26) Cass. civ. 1, 22 novembre 1994, n° 93-10.150 (N° Lexbase : A7498ABC), Bull. civ. I, n° 338.
(27) F. Labarthe et C. Noblot, op. cit., n° 437.

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Baux commerciaux

[Le point sur...] La charge des travaux au regard des obligations de délivrance et d'entretien du bailleur et de leurs aménagements contractuels

Lecture: 10 min

N2802BTX

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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

Le 05 Juillet 2012

Aux termes de l'article 1719 du Code civil (N° Lexbase : L8079IDL), le bailleur est obligé de délivrer au preneur la chose louée et de l'entretenir en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée. Le Code civil donne peu de précision sur l'étendue de cette obligation et les aménagements contractuels que les parties à un bail peuvent y apporter. Cette question est pourtant cruciale compte tenu de ses enjeux financiers. Elle est également d'actualité, notamment à la suite du "Grenelle 2" (loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement N° Lexbase : L7066IMN) et des travaux d'amélioration de la performance énergétique qui devront être réalisés dans les bâtiments existants à usage tertiaire (CCH, art. L. 111-10-3 N° Lexbase : L8867IMD).
Il est incombé à la jurisprudence d'apporter ces précisions. Nous en exposerons les traits principaux à la lumière de décisions récentes. I - L'étendue de l'obligation de délivrance

Le Code civil donne peu d'indication sur le contenu de l'obligation de délivrance. L'article 1720 du Code civil (N° Lexbase : L1842ABT) précise que le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce. L'obligation de délivrance a toutefois un objet plus vaste. L'obligation de délivrance, selon une formule de la Cour de cassation, est l'obligation de "délivrer un local immédiatement utilisable à la fin qu'ont en vue les parties" (Cass. civ. 3, 2 juillet 2003, n° 01-16.246, FP-P+B+I N° Lexbase : A0324C9U).

L'obligation de délivrance, dans une acception large, peut être divisée en deux composantes. Elle implique tout d'abord la mise à disposition "matérielle" du preneur de la chose louée, telle qu'elle est décrite au bail. C'est le coeur de cette obligation, la délivrance au sens strict. La mise à disposition de la chose louée n'épuise cependant pas l'obligation de délivrance. Cette dernière implique également que la chose louée dispose des caractéristiques physiques et juridiques permettant d'exercer effectivement l'activité stipulée au bail. Cette seconde composante de l'obligation de délivrance revêt une acuité particulière en matière de bail commercial, dans la mesure où de nombreuses normes peuvent venir encadrer ou limiter l'activité stipulée au bail.

En principe, sous réserve des clauses d'aménagement de l'obligation de délivrance, le bailleur sera tenu de permettre au preneur d'exercer son activité en conformité avec :

- la réglementation relative à la sécurité et l'hygiène : amiante (Cass. civ. 3, 2 juillet 2003, n° 01-16.246 N° Lexbase : A0324C9U), sécurité incendie (Cass. civ. 3, 16 septembre 2008, n° 07-18.303 N° Lexbase : A4060EAM), extraction pour un restaurant (Cass. civ. 3, 29 janvier 2002, n° 00-16.734, F-D N° Lexbase : A8924AXS ; CA Pau, 23 mai 2012, n° 11/02108 N° Lexbase : A8775ILL), mise en conformité d'un ascenseur dans un hôtel (CA Orléans, 12 mai 2011, n° 10/02813 [LXB=A5648HR]) ;

- la réglementation relative aux nuisances sonores : insonorisation pour un karting (Cass. civ. 3, 10 décembre 2008, n° 07-20.277, FS-D N° Lexbase : A7200EBB) ;

- les règles d'urbanisme (Cass. civ. 3, 2 juillet 1997, n° 95-14.151 N° Lexbase : A1836ACY)

- les règles interdisant le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation (Cass. civ. 3, 21 novembre 2001, n° 99-21.640, FS-D N° Lexbase : A2216AXD) ;

- les règles régissant les immeubles en copropriété (Cass. civ. 3, 7 mars 2006, n° 04-19.639, F-D N° Lexbase : A5023DND ; CA Pau, 23 mai 2012, n° 11/02108 N° Lexbase : A8775ILL).

Par ailleurs, l'obligation de délivrance implique également l'impossibilité pour le bailleur d'entraver la jouissance par le preneur des éléments essentiels à son commerce. Il a ainsi été jugé que le bailleur manquait à cette obligation s'il interdisait au preneur de poser une enseigne (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 5 janvier 2011, n° 09/12098 N° Lexbase : A2156GQW).

II - L'étendue de l'obligation d'entretien

En ce qui concerne l'obligation d'entretien, le Code civil précise que le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce et faire pendant la durée du bail toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires (C. civ., art. 1720). L'article 1754 du Code civil (N° Lexbase : L1887ABI) définit "les réparations locatives ou de menu entretien" dont est tenu le preneur, dessinant en creux et par exclusion celles incombant au bailleur. L'article 1755 (N° Lexbase : L1888ABK) exclut en outre des réparations locatives à la charge du preneur les réparations occasionnées par la vétusté ou par la force majeure.

Il a été jugé que sont à la charge du bailleur lorsqu'ils sont rendus nécessaires par la vétusté la mise en conformité de l'installation électrique (Cass. civ. 3, 9 novembre 2010, n° 09-69.762 , F-D N° Lexbase : A9060GGN) ou encore les travaux de réparation d'un ascenseur (Cass. civ. 3, 9 novembre 2010, n° 09-69.762, préc.). Par ailleurs, le bailleur manque à son obligation d'entretien dès lors que la fermeture administrative des locaux a été ordonnée pour des manquements concernant la structure, l'agencement et la vétusté, ne permettant pas la maîtrise des risques alimentaires (Cass. civ. 3, 18 janvier 2011, n° 09-72.913, F-D N° Lexbase : A2913GQX).

De manière quasiment systématique, les baux commerciaux stipulent des clauses qui répartissent entre le bailleur et le preneur la charge de certains travaux par référence à l'article 606 du Code civil (N° Lexbase : L3193ABU) qui énumère les travaux incombant au nu-propriétaire par opposition à ceux incombant à l'usufruitier.

La Cour de cassation avait initialement précisé que l'énumération de l'article 606 du Code civil était limitative. Elle a ensuite retenu une conception plus extensive pour retenir que les grosses réparations sont celles qui intéressent l'immeuble dans sa structure et sa solidité générale (Cass. civ. 3, 13 juillet 2005, n° 04-13.764, FS-P+B N° Lexbase : A9339DIQ). Ce même arrêt définit également "les réparations d'entretien" comme étant celles "qui sont utiles au maintien permanent en bon état de l'immeuble" (Cass. civ. 3, 13 juillet 2005, n° 04-13.764, FS-P+B N° Lexbase : A9339DIQ).

En outre, en cours de bail, les travaux prescrits par l'Administration ont été mis à la charge du bailleur au titre de son obligation d'entretien (Cass. civ. 3, 15 juin 2010, n° 09-12.187, F-D N° Lexbase : A0943E3C).

III - Le transfert de certaines composantes des obligations de délivrance et d'entretien

Les tribunaux admettent que les parties à un bail commercial puissent transférer sur le preneur certaines des composantes de l'obligation de délivrance et d'entretien. Ce transfert est cependant limité dans son étendue.
Les clauses de transfert doivent, par ailleurs, s'interpréter de manière restrictive et en faveur du preneur (C. civ., art. 1162 N° Lexbase : L1264ABG), ce qui a pour effet de limiter leur portée en présence de clauses imprécises.

A - Le transfert impossible : l'impossibilité d'utiliser les locaux et la charge des travaux rendus nécessaires par un vice de structure

Il ne peut être dérogé à l'obligation pour le bailleur de permettre l'accès et l'utilisation de la chose louée.

La Cour de cassation a ainsi précisé qu'un bailleur ne pouvait, par le biais d'une clause relative à l'exécution de travaux, s'affranchir de son obligation de délivrer les lieux loués (Cass. civ. 3, 1er juin 2005, n° 04-12.200, FS-P+B N° Lexbase : A5185DIU : en l'espèce, le bailleur avait interdit l'activité dans les locaux pendant un an et demi). Cet arrêt est intéressant à double titre :

- l'obligation de délivrance ne s'apprécierait pas seulement lors de l'entrée dans les lieux (en cours de bail, c'est généralement l'obligation d'entretien ou d'assurer une jouissance paisible qui est visée par la Cour de cassation) ;

- il ne pourrait être dérogé à cette obligation. Cette impossibilité de dérogation (et la permanence de l'obligation de délivrance) ne concerne a priori que l'impossibilité totale d'exploiter les locaux loués (Cass. civ. 3, 30 novembre 1994, n° 92-16.675 N° Lexbase : A8526AGU).

Le bailleur ne peut, en outre, en raison de l'obligation de délivrance à laquelle il est tenu, s'exonérer de l'obligation de procéder aux travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble (Cass. civ. 3, 9 juillet 2008, n° 07-14.631, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5449D9P ; Cass. civ. 3, 2 juin 2010, n° 09-13.749, FS-D N° Lexbase : A2166EYU ; Cass. civ. 1, 6 juillet 2011, n° 10-18.694, F-D N° Lexbase : A9605HUB).

B - L'interprétation stricte des clauses de transfert des obligations de délivrance et d'entretien

En l'état actuel de la jurisprudence, les parties à un bail commercial peuvent valablement prévoir le transfert au preneur de certains des aspects de l'obligation de délivrance et d'entretien. Ce type de clause est d'interprétation stricte et en présence d'une ambiguïté, elles doivent s'interpréter en faveur du preneur.

  • Les aspects des obligations de délivrance et d'entretien pouvant faire l'objet d'un transfert

Peuvent faire l'objet d'un transfert :

- l'obligation de délivrer des locaux "en bon état de réparations de toute espèce" (Cass. civ. 3, 27 novembre 2007, n° 06-21.350, F-D N° Lexbase : A9454DZ8)

- la mise en conformité des locaux avec la réglementation pour l'activité stipulée au bail (Cass. civ. 3, 15 juin 2010, n° 09-67.103, F-D N° Lexbase : A1114E3N) ;

- les travaux requis ou prescrits par l'administration (Cass. civ. 3, 15 juin 2010, n° 09-12.187, F-D N° Lexbase : A0943E3C).

  • L'interprétation restrictive des clauses du bail procédant au transfert sur le preneur des obligations de délivrance et d'entretien

Si des travaux incombent au bailleur au titre de son obligation de délivrance, ces travaux n'incomberont pas au preneur si le bail ne vise pas expressément que la catégorie de travaux considérée est à sa charge, même si le preneur s'est engagé à prendre les locaux en l'état ou à effectuer tous travaux. Si des travaux sont susceptibles de plusieurs qualifications, le fait que ces travaux soient à la charge du preneur, aux termes du bail, au titre de l'une de ces qualifications, ne permettra pas d'en exonérer le bailleur s'ils n'ont pas été mis à la charge du bailleur au titre d'une autre qualification.

- La clause par laquelle le preneur prend les lieux dans l'état où ils se trouvent

Cette clause ne permet pas :

i. de mettre à sa charge les travaux nécessaires dès la date de prise d'effet du bail pour permettre la mise en conformité des locaux (Cass. civ. 3, 20 janvier 2009, n° 07-20.854, F-D N° Lexbase : A6408ECC) ;
ii. de mettre à sa charge les travaux liés à la vétusté (Cass. civ. 3, 22 février 2005, n° 03-19.715, F-D N° Lexbase : A8721DG4) ;
iii. de mettre à sa charge les travaux prescrits par l'Administration (Cass. civ. 3, 19 juin 2002, n° 01-01.769, FS-D N° Lexbase : A9408AY4).

Les travaux prescrits par l'Administration

i. La clause mettant à la charge du preneur les travaux de mise en conformité à la réglementation ne permet pas de mettre à la charge du preneur les travaux prescrits par l'Administration (Cass. civ. 3, 29 janvier 2002, n° 00-19.460, F-D N° Lexbase : A8847AXX).
ii. La clause mettant à la charge du preneur certains travaux laisse à la charge du bailleur ces travaux si ces derniers ont été prescrits par l'Administration (Cass. civ. 3, 10 mai 2001, n° 96-22.442 N° Lexbase : A3945ATB).
iii. Les travaux prescrits par l'Administration sont à la charge du bailleur même s'il s'agit de travaux d'entretien à la charge du preneur (Cass. civ. 3, 19 décembre 2001, n° 00-12.561, FS-D N° Lexbase : A6852AX3).

Les travaux liés à la vétusté

La clause prévoyant que le bailleur n'est tenu que des grosses réparations ne l'exonère pas de la charge des réparations qui ne seraient pas de grosses réparations mais qui ont été rendues nécessaires par la vétusté (Cass. civ. 3, 9 novembre 2010, n° 09-69.762, F-D N° Lexbase : A9060GGN ; Cass. civ. 3, 5 avril 2011, n° 10-14.877, F-D N° Lexbase : A3436HNL) ;

Les travaux rendus nécessaires en raison de la force majeure

Ces travaux ne peuvent incomber au preneur même si ce dernier a à sa charge tous les travaux, sauf clause expresse contraire (Cass. civ. 3, 31 octobre 2006, n° 05-19.171, FS-P+B N° Lexbase : A3094DSE).

IV - Vers un renforcement des obligations de délivrance et d'entretien du bailleur ?

Il semble s'esquisser depuis plusieurs années un renforcement des obligations de délivrance et d'entretien, tant en ce qui concerne l'étendue de ces obligations qu'en ce qui concerne les limitations apportées à la possibilité pour le bailleur de s'en exonérer.

La Cour de cassation a ainsi récemment affirmé qu'en raison de l'obligation de délivrance à laquelle il est tenu, le bailleur ne pouvait s'exonérer des travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble (Cass. civ. 3, 9 juillet 2008, n° 07-14.631, préc. N° Lexbase : A5449D9P ; Cass. civ. 1, 6 juillet 2011, n° 10-18.694, préc.). L'obligation de délivrance, traditionnellement présentée comme n'étant pas d'ordre public, se voit ainsi conférer une dimension impérative et permanente.

C'est peut être à la lumière de cette solution, et du principe d'interprétation restrictive, que peut être expliqué un arrêt du 29 septembre 2010 qui, en dépit d'une clause du bail transférant au preneur la charge des grosses réparations et celle du clos et du couvert, a refusé de mettre à sa charge la réfection totale de la toiture (Cass. civ. 3, 29 septembre 2010, n° 09-69.337, FS-P+B [LXB=A7698GA])

Certaines décisions ont par ailleurs retenu une conception extensive de la notion de gros travaux, notamment ceux de l'article 606 du Code civil, en principe à la charge du bailleur. Ont ainsi été qualifiés de gros travaux ou de travaux touchant au gros-oeuvre :

- la réfection totale des canalisations ayant entraîné des désordres fonciers (Cass. civ. 3, 2 juin 2010, n° 09-13.749, préc.) ;

- la réfection du système de climatisation (qualifié d'élément essentiel à la construction dans un immeuble de très grande hauteur) qui incombe au bailleur même en présence d'une clause mettant à la charge du preneur les travaux de mise en conformité car ces travaux atteignent la structure même (plancher) ; il s'agit de gros travaux (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 22 septembre 2010, n° 09/03422 N° Lexbase : A1825GAT) ;

Il doit également être relevé que certaines décisions, relatives à la prise en charge par le preneur des travaux de mises en conformité, ont souligné le fait que le preneur avait connaissance de l'étendu des travaux à effectuer à ce titre (Cass. civ. 3, 15 juin 2010, n° 09-67.103, F-D [LXB=A1114E3ND] ; Cass. civ. 3, 20 septembre 2005, n° 03-10.382, F-D N° Lexbase : A5005DKL).

La possibilité d'aménager contractuellement l'obligation de délivrance et d'entretien du bailleur peut conduire, en l'état actuel de la jurisprudence, à faire peser sur le preneur l'obligation de prendre en charge des travaux dont le coût pourrait paraître excessif. Le preneur pourrait néanmoins, dans ce cas, invoquer certains mécanismes de droit commun des obligations pour tenter de limiter des obligations disproportionnées.

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Congés

[Jurisprudence] Du droit, pour un travailleur en incapacité de travail survenue durant la période de congé annuel payé, de bénéficier ultérieurement du congé annuel

Réf. : CJUE, 21 juin 2012, aff. C-78/11 (N° Lexbase : A3116IP4)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

Le 05 Juillet 2012

Le régime des congés payés n'est pas au coeur des débats actuels de l'Europe (avenir de l'euro, place de la Grèce, peut-être aussi d'autres Etats latins du sud de l'Europe, ...), mais dans le champ des rapports aussi bien individuels que collectifs du travail, il reste sensible. En effet, il peut donner lieu à des pratiques discutables de certains employeurs, tentés de supprimer des droits aux congés payés au nom d'une recherche d'économies justifiée par la situation tendue dans laquelle une entreprise peut se trouver ; mais aussi à des pratiques tout aussi critiquables de certains salariés, dont la capacité à alterner congés payés et arrêts maladie peut exprimer un comportement contraire à la loyauté. En droit comparé, les médias (1) ont relaté l'adoption récente d'une réforme des jours fériés d'origine religieuse (question différente du droit aux congés payés) au Portugal, le Gouvernement portugais ayant décidé de la suppression de deux fêtes religieuses du calendrier des jours fériés, la Fête-Dieu et la Toussaint. En droit interne, le débat a été réactivé par une proposition de l'association nationale des directeurs de ressources humaines (le 29 juin 2012) d'ouvrir un débat afin de neutraliser trois jours fériés d'origine chrétienne en les transformant en trois jours non travaillés ouverts aux salariés désirant célébrer des fêtes non chrétiennes. Dans ce contexte, la CJUE se prononce à nouveau sur la question de l'articulation congés payés/maladie (CJUE, 21 juin 2012, aff. C678/11 (2)), après plusieurs décisions rendues en 2012 (CJUE, 3 mai 2012, aff. C-337/10 (3), un fonctionnaire a droit à l'indemnisation ou au report de congés payés non pris pour maladie ; CJUE, 24 janvier 2012, aff. C-282/10 (4), le droit au congé annuel payé ne peut être subordonné à une période de travail effectif minimale de dix jours ou d'un mois pendant la période de référence) et une autre, rendue en 2009 (5), dont les faits sont très proches. La décision rendue le 21 juin 2012 permet de clarifier le débat sur l'opportunité/la possibilité juridique, pour les employeurs, de réduire le périmètre des congés payés ; parallèlement, pour les salariés, d'obtenir des tribunaux une consécration du droit aux congés payés comme droit fondamental. Bref, flexibilité versus sanctuarisation.
Résumé

L'article 7 § 1 de la Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (N° Lexbase : L5806DLM), doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des dispositions nationales prévoyant qu'un travailleur, en incapacité de travail survenue durant la période de congé annuel payé, n'a pas le droit de bénéficier ultérieurement du congé annuel coïncidant avec la période d'incapacité de travail.

L'affaire C-78/11 porte sur une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 267 TFUE (N° Lexbase : L2581IPB), introduite par le Tribunal Supremo (Espagne), le 26 janvier 2011, dans la procédure Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución contre Federación de Asociaciones Sindicales (FASGA et autres syndicats, Fetico). La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de la Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 (art. 7 § 1) au sujet de recours collectifs intentés par ces syndicats visant à faire reconnaître le droit pour certains travailleurs de bénéficier de leur congé annuel payé même lorsque celui-ci coïncide avec des périodes de congé pour incapacité temporaire de travail.

I - Le droit aux congés payés, un droit fondamental

La doctrine (6) a souligné l'évolution sociale et sociologique du législateur européen et de la CJUE, relativement à la place qu'il convient d'accorder au droit aux congés payés, à l'origine modeste pour finalement être reconnu comme "principe de droit social revêtant une importance particulière", selon une formule consacrée.

En l'espèce, les salariés (réunis au sein de la FASGA) avaient ouvert une procédure de règlement d'un conflit collectif afin qu'il soit constaté que les travailleurs soumis à la Convention collective des grands magasins 2009-2010 bénéficient de leur congé annuel payé, même lorsque celui-ci coïncide avec des périodes de congé pour incapacité de travail. Les employeurs (au titre de l'ANGED) avaient considéré que les travailleurs qui se trouvent en situation d'incapacité temporaire de travail avant le début d'une période de congé fixé au préalable, ou au cours de cette période, n'ont pas le droit de bénéficier de leur congé après la fin de la situation d'incapacité de travail, excepté dans les cas expressément prévus par convention collective (à savoir ceux prévus à l'article 48 § 4 du statut). Par un arrêt du 23 novembre 2009, l'Audiencia Nacional a fait droit au recours présentés par le syndicat des salariés. Les employeurs ont alors formé un pourvoi en cassation devant le Tribunal Supremo. Celui-ci a estimé nécessaire, dans la mesure où ce pourvoi vise le cas où l'incapacité de travail survient après le début de la période de congé annuel payé, de surseoir à statuer et de poser à la CJUE la question préjudicielle relative à l'article 7 § 1 de la Directive 2003/88 et sa compatibilité avec une réglementation nationale qui ne permet pas d'interrompre le congé afin de bénéficier de la totalité du congé (ou du congé restant) à une date ultérieure si une incapacité temporaire de travail survient pendant ce congé.

A - Reconnaissance du droit au congé annuel payé comme principe de droit social

Le droit européen fait du droit au congé annuel un droit essentiel et central, contrairement au droit interne, qui n'y attache pas la même importance ni lui attribue la même valeur. Selon une jurisprudence constante, le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social de l'Union revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en oeuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la Directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (N° Lexbase : L7793AU8) (directive ayant été codifiée par la directive 2003/88).

L'arrêt rapporté précise (§ 17) que le droit au congé annuel payé revêt, en sa qualité de principe du droit social de l'Union, non seulement une importance particulière, mais qu'il est aussi expressément consacré à l'article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX). L'article 6 § 1 du TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités (7).

Le principe selon lequel le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en oeuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la Directive 93/104 elle-même a été énoncé en 2001 par la CJCE (8), puis confirmé à plusieurs reprises, notamment en 2004 (9), 2006 (10), 2009 (11) et enfin, 2011 (12).

B - Effets attachés à cette reconnaissance

Du principe selon lequel le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en oeuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites, la CJUE en déduit très logiquement que le droit au congé annuel payé ne saurait être interprété de manière restrictive (13).

La CJUE a mis en oeuvre ces solutions (principe du droit social de l'Union ; expressément consacré par la Charte ; pas d'interprétation restrictive) au cas de l'espèce.

II - Le droit aux congés payés du salarié en arrêt maladie professionnelle

La juridiction de renvoi demandait à la CJUE si le droit européen (article 7 § 1 de la Directive 2003/88) s'oppose à des dispositions nationales prévoyant qu'un travailleur, en incapacité de travail survenue durant la période de congé annuel payé, n'a pas le droit de bénéficier ultérieurement du congé annuel coïncidant avec la période d'incapacité de travail.

A - Consécration du droit aux congés payés par la CJUE

1 - Distinction entre Droit au repos pour congés payés et Droit au repos pour arrêt maladie

La CJUE rappelle (§ 19) que la finalité du droit au congé annuel payé est de permettre au travailleur de se reposer et de disposer d'une période de détente et de loisirs. Cette finalité diffère en cela de celle du droit au congé de maladie. Ce dernier est accordé au travailleur afin qu'il puisse se rétablir d'une maladie engendrant une incapacité de travail, comme l'a précisé la CJUE, dans un arrêt rendu en 2009 (14). Ainsi, de la reconnaissance de cette finalité du droit au congé annuel payé, la CJUE en tire la conséquence qu'un travailleur qui est en congé de maladie durant une période de congé annuel fixée au préalable a le droit, à sa demande et afin qu'il puisse bénéficier effectivement de son congé annuel, de prendre celui-ci à une autre époque que celle coïncidant avec la période de congé de maladie (arrêt préc., point 22).

Aussi, la CJUE débouche sur la conclusion (arrêt rapporté, § 21), s'agissant d'un travailleur en situation d'incapacité de travail avant le début d'une période de congé annuel payé, que le moment où est survenue l'incapacité est dépourvu de pertinence, puisque la CJUE marque bien l'autonomie du Droit au repos pour congés payés et Droit au repos pour arrêt maladie. Par conséquent, le travailleur a le droit de prendre son congé annuel payé coïncidant avec une période de congé de maladie à une époque ultérieure, et ce indépendamment du moment auquel cette incapacité de travail est survenue.

En effet, pour la CJUE (§ 22), il serait aléatoire et contraire à la finalité du droit au congé annuel payé, d'accorder ce droit au travailleur uniquement à la condition que ce dernier soit déjà en situation d'incapacité de travail lorsque la période de congé annuel payé a débuté.

Par sa jurisprudence (aff. C-277/08, préc., point 23), la CJUE a déjà jugé que la nouvelle période de congé annuel, qui correspond à la durée du chevauchement entre la période de congé annuel initialement fixée et le congé de maladie, dont le travailleur est en droit de bénéficier après son rétablissement, peut être fixée en dehors de la période de référence correspondante pour le congé annuel.

Bref, le droit européen (article 7 § 1 de la Directive 2003/88) s'oppose à des dispositions nationales prévoyant qu'un travailleur, en incapacité de travail survenue durant la période de congé annuel payé, n'a pas le droit de bénéficier ultérieurement du congé annuel coïncidant avec la période d'incapacité de travail.

2 - Extinction du droit aux congés payés non pris pour le salarié en incapacité de travail

Par un arrêt rendu en 2011 (CJUE, 22 novembre 2011, aff. C-214/10), la CJUE avait décidé que l'article 7 § 1 de la Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ne s'oppose pas à des dispositions ou à des pratiques nationales (telles que des conventions collectives), limitant, par une période de report de quinze mois à l'expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s'éteint, le cumul des droits à un tel congé, d'un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives. En cette espèce, l'employeur avait soutenu que les droits aux congés annuels payés du salarié, pour les années 2006 et 2007, étaient éteints, en raison de l'expiration de la période de report.

B - Une solution en devenir en droit interne

1 - Maladie avant les congés

Dans l'hypothèse où le salarié, malade avant le début des congés, n'est pas en mesure de prendre ceux-ci du fait de son état de santé, la Cour de cassation a infléchie sa jurisprudence, sous l'impulsion de la CJUE.

La CJUE a reconnu le droit au repos dans l'hypothèse où le travailleur n'a pu exercer ce droit pour cause de simple maladie (CJCE, 20 janvier 2009, aff. C-350/06 et C-520/06). Mais la Cour de cassation n'a pas admis cette solution, sauf en matière d'accident ou de maladie professionnelle (15). Lorsque la maladie n'était pas professionnelle, la Cour de cassation écartait cette possibilité, pour le salarié, de prendre ses congés payés postérieurement à l'arrêt maladie (16). Mais en 2009, la Cour de cassation a opéré un revirement, en admettant le droit de prendre ses congés payés au bénéfice du salarié en arrêt maladie non professionnelle (17).

2 - Maladie et accident durant les congés

Pour la Cour de cassation, le salarié qui tombe malade pendant la durée des congés ne peut exiger une prorogation de son congé d'une durée équivalente à celle pendant laquelle il a été malade (18). En effet, l'employeur qui a accordé au salarié le congé s'est acquitté de ses obligations pour l'année de référence : la maladie du salarié ne peut modifier ultérieurement l'étendue de son obligation légale. Cette jurisprudence a été remise en cause en 2009, s'agissant des maladies non professionnelles (19).


(1) S. Le Bars, L'association des DRH propose de "neutraliser" trois jours fériés chrétiens, Le Monde, 29 juin 2012.
(2) LSQ, n° 16129, 26 juin 2012 ; Liaisons Sociales Europe, n° 306,14 juin 2012 ; JCP éd. S, n° 26, 26 Juin 2012, act. 316 ; J.-P. Lhernould, Le droit français des congés payés continue sa mue (Cass. soc., 13 juin 2012, n° 11-10.929, FS-P+B+R N° Lexbase : A8714IN3, et CJUE, 21 juin 2012, aff. C-78/11), Liaisons Sociales Europe, n° 307, 28 juin 2012.
(3) CJUE, 3 mai 2012, aff. C-337/10 (N° Lexbase : A5062IKP, LSQ, n° 16106, 23 mai 2012 ; Liaisons Sociales Europe, n° 304, 17 mai 2012). Quand la relation de travail prend fin (départ à la retraite du salarié) et que la prise effective du congé payé n'est plus possible, l'article 7 § 2 de la Directive 2003/88 prévoit que le travailleur a droit à une indemnité financière, afin d'éviter que du fait de cette impossibilité, toute jouissance par le travailleur de ce droit, même sous forme pécuniaire, ne soit exclue. Pour la CJUE, ce texte s'oppose à des dispositions ou pratiques nationales prévoyant qu'"aucune indemnité financière de congé payé non pris n'est versée au travailleur qui a été en congé maladie durant tout ou partie de la période de référence et/ou d'une période de report, raison pour laquelle il n'a pas pu exercer son droit au congé annuel payé".
(4) CJUE, 24 janvier 2012, aff. C-282/10 (N° Lexbase : A2471IB7) ; E. Andréo et J. Misslin, Les conditions d'ouverture et d'acquisition de droit à congés payés en droit français ne sont pas conformes au droit européen, JCP éd. S, n° 13, 27 mars 2012, 1135.
(5) CJCE, 10 septembre 2009, aff. C-277/08 (N° Lexbase : A8889EKG), Rec. p. I-8405. M. P. travaille en qualité de chauffeur spécialisé pour une entreprise dont l'activité consiste à enlever les véhicules en stationnement irrégulier sur la voie publique, percevant en contrepartie les taxes et le droit de stationnement correspondants. Selon le calendrier des congés annuels du personnel de cette entreprise pour l'année 2007, M. P. s'est vu assigner la période de congé allant du 16 juillet au 14 août 2007. Par suite d'un accident de travail survenu le 3 juillet 2007, M. P. a été en incapacité de travail jusqu'au 13 août 2007, de sorte que la période de congé annuel dont il a bénéficié pour l'année 2007 sans se trouver simultanément en congé de maladie s'est limitée aux journées des 14 et 15 août 2007. Il a demandé à son employeur que lui soit accordée, en raison de son congé de maladie durant la période de congé annuel qui lui avait été initialement assignée, une nouvelle période de congé annuel payé pour l'année 2007, à savoir du 15 novembre au 15 décembre 2007.
(6) Bibliographie générale : S. Henion-Moreau, M. Le Barbier le Bris et M. Del Sol, Droit social européen et international, PUF 2010, collection Thémis, p. 337 à 352 (dir. 2000/78) ; F. Kessler et J.-P. Lhernould (dir.), Code annoté européen du travail, Groupe revue fiduciaire, 2010, p. 339 ; P. Rodière, Traité de droit social de l'Union européenne, LGDJ, 2008, p. 476 ; M. Schmidt, Droit du travail de l'Union européenne, Larcier, collection Manuels, 2012, p. 123 à 136 ; J.-M. Servais, Droit social de l'Union européenne, Bruylant, 2011, n° 671 à 684 ; B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec, collection Manuel, 3ème édition, 2010, n° 537 à 540. Bibliographie spécifique : v. les obs. de S. Tournaux, Report des congés payés en cas d'absence liée à l'état de santé : jusqu'où ira l'extension ? (Cass. soc., 16 février 2012, n° 10-21.300, FS-P+B N° Lexbase : A8674ICA), Lexbase Hebdo n° 476 du 8 mars 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N0627BTE), G. Vachet, Congés payés et droits du salarié, JCP éd. S, n° 19, 8 mai 2012, 1203.
(7) CJUE, 22 novembre 2011, aff. C-214/10 (N° Lexbase : A9722HZ4), point 37 ; CJUE, 3 mai 2012, aff. C-337/10, préc., non encore publié au Recueil, point 40.
(8) CJCE, 26 juin 2001, aff. C-173/99 (N° Lexbase : A1717AWI), Rec. p. I-4881, point 43 : RJS, 2001 p. 833-834 ; S. Mouthaan, The BECTU Case : A la recherche de la charte oubliée, European Current Law, 2001, Part 12 p. XI-XIV ; J.-L. Clergerie, L'utilisation de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs pour éclairer les dispositions d'une Directive, D., 2002, Jur. p. 446-447.
(9) CJCE, 18 mars 2004, aff. C-342/01 (N° Lexbase : A5883DBI), Rec. p. I-2605, point 29 : J.-P. Lhernould, Droit aux congés annuels payés à une période distincte du congé de maternité, RJS, 2004 p. 439-440 ; L. Idot, Egalité de traitement. Deux prises de position sur les droits de la femme pendant le congé de maternité, Europe, mai 2004, comm. nº 132 p. 19-20 ; G. Castegnaro, A. Claverie, C. Domingos, Dernières tendances jurisprudentielles: Les décisions majeures des tribunaux du travail luxemborgeois et européen, ACE : comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg, 2010, nº 8, p. 3-19.
(10) CJCE, 16 mars 2006, aff. C-131/04 et aff. C-257/04 (N° Lexbase : A6372DNC), Rec. p. I-2531, point 48 : G. Vachet, A propos de l'inclusion du paiement des congés annuels dans le salaire horaire ou journalier, JCP éd. S, 2006, nº 1308 p. 23 ; L. Idot, Inclusion du paiement du congé annuel dans le salaire horaire, Europe, mai 2006, comm. nº 153 p. 19-20 ; H. Tissandier, L'actualité de la jurisprudence communautaire et internationale, RJS, 2006, p. 657-659.
(11) CJCE, 20 janvier 2009, aff. C-350/06 et aff. C-520/06 (N° Lexbase : A3596EC8), Rec. p. I-179, point 22 : E. Broussy, F. Donnat, C. Lambert, Chronique de jurisprudence communautaire, social, AJDA, 2009 p. 248-249 ; J.-P. Lhernould, Droit au congé annuel payé en cas de maladie : le droit français appelé à se réformer ?, RJS, 2009 p. 263-267 ; L. Driguez, Congés payés et congés maladie: quelle articulation ?, Europe, mars 2009, comm. nº 128 p. 17-18 ; E. Andreo, Le report des congés payés : évolution ou révolution ?, JCP éd. S, 2009, nº 1152, p. 33-36 ; B. Pirker, La jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de première instance. Chronique des arrêts "Schultz-Hoff" et "Stringer", Revue du droit de l'Union européenne, 2009, nº 1, p. 142-150 ; G. Castegnaro, A. Claverie, C. Domingos, Dernières tendances jurisprudentielles : Les décisions majeures des tribunaux du travail luxembourgeois et européen, ACE : comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg, 2010, nº 8, p. 3-19 ; M. Véricel, chron., RDT, mars 2009, 170 ; JSL, n° 250, 23 février 2009, p. 2, note J.-E. Tourreil ; v. nos obs., Combinaison du droit au congé annuel payé et du congé de maladie en droit européen, Lexbase Hebdo n° 336 du 5 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4880BIL).
(12) CJUE, 22 novembre 2011, aff. C-214/10, préc., point 23.
(13) CJUE, 22 avril 2010, aff. C-486/08 (N° Lexbase : A7838EW9), Recueil, 2010 p.I-03527, L. Driguez, Droits des travailleurs à temps partiel, en CDD et en congé parental, Europe, juin 2010, comm. n° 215 p. 27 ; M. Schmitt, L'actualité de la jurisprudence européenne et internationale, RJS, 2010, p. 647 ; F. Bousez, Travail à temps partiel, travail à durée déterminée, congé parental : à propos de quelques droits sociaux européens revêtant une importance particulière, JCP éd. S, 2010 n° 42 p. 23 ; G. Castegnaro, A. Claverie, et C. Domingos, Dernières tendances jurisprudentielles: Les décisions majeures des tribunaux du travail luxembourgeois et européen, ACE : comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg, 2010, n° 8, p. 3 ; M. Vericel, La Cour de justice de l'Union européenne, la Cour de cassation et le droit à congés annuels payés, RDT, 2010 p. 523.
(14) CJCE, 10 septembre 2009, aff. C-277/08, Rec. p. I-8405, point 21, E. Jeansen, Le congé de maladie ne neutralise pas le droit à congés payés, JCP éd. S, 2009, n° 1492, p. 23 ; L. Driguez, Exercice du droit à congés payés des travailleurs en congé maladie, Europe, novembre 2009, comm., n° 416, p. 27 ; J.-P. Lhernould, L'actualité de la jurisprudence communautaire et internationale, RJS, 2009, p. 788 ; G. Castegnaro, A. Claverie, et C. Domingos, Dernières tendances jurisprudentielles : Les décisions majeures des tribunaux du travail luxemborgeois et européen, ACE : comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg, 2010, n° 8, p.3-19.
(15) Cass. soc., 27 septembre 2007, n° 05-42.293, FP-P+B+R (N° Lexbase : A5775DYK) ; RDT, 2007 p. 732, note M. Véricel ; Cass. soc., 27 septembre 2007, n° 05-44.312, FS-D (N° Lexbase : A5779DYP).
(16) Cass. soc., 20 mai 1998, n° 96-41.307, publié (N° Lexbase : A2974AGA) ; Cass. soc., 6 octobre 2004, n° 02-42.460, F-D (N° Lexbase : A5682DDS) ; Cass. soc., 9 juin 2004, n° 02-43.910, F-D (N° Lexbase : A6233DCT).
(17) Cass. soc., 24 février 2009, n° 07-44.488, FS-P+B (N° Lexbase : A3973EDI), Bull. civ. V, n° 49 et Cass. soc., 24 février 2009, n° 07-43.479, FS-D (N° Lexbase : A3964ED8) ; Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-43.767, F-P+B (N° Lexbase : A1993EEK), Bull. civ. V, n° 90 ; Cass. soc., 24 juin 2009, n° 07-41.994, F-D (N° Lexbase : A4114EI9) ; Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 07-45.479, F-D (N° Lexbase : A3395ELC) ; Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 08-40. 375, F-D (N° Lexbase : A0921EM3).
(18) Cass. soc., 4 juin 1962, n° 61.40.617, publié (N° Lexbase : A6460EDM), Bull. civ. IV, n° 525 ; Cass. soc., 18 mars 1975, n° 73-40.824, publié (N° Lexbase : A7090AGP), Bull. civ. V, n° 162 ; Cass. soc., 8 novembre 1984, n° 82-42.372, publié (N° Lexbase : A2332AAM), Bull. civ. V, n° 427 ; Cass. soc., 4 décembre 1996, n° 93-44.907, publié (N° Lexbase : A3117AB3), Bull. civ. V, n° 420.
(19) Cass. soc., 24 février 2009, n° 07-44.488, FS-P+B (N° Lexbase : A3973EDI) et n° 07-43.479, FS-D (N° Lexbase : A3964ED8), RJS, 2009, n° 442, 1ère espèce ; JCP éd. S, 2009, 1152, note E. Andréo, 2ème espèce, et les obs. de G. Auzero, Report des congés payés non pris du fait de la maladie : la Cour de cassation confirme et étend sa jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 341 du 11 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7759BI9) ; RDT, 2009, p. 241, obs. M. Véricel ; Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-43.767, F-P+B (N° Lexbase : A1993EEK) ; Cass. soc., 7 avril 2009, n° 07-45.251, F-D (N° Lexbase : A1059EGC).

Décision

CJUE, 21 juin 2012, aff. C-78/11 (N° Lexbase : A3116IP4)

Textes concernés : Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (N° Lexbase : L5806DLM), art. 1

Mots-clés : Directive 2003/88/CE, aménagement du temps de travail, droit au congé annuel payé, congé de maladie, congé annuel coïncidant avec un congé de maladie, droit de bénéficier du congé annuel payé à une autre période

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Droit des étrangers

[Jurisprudence] La suspension du refus d'autorisation provisoire de séjour n'implique pas que le demandeur d'asile éloigné soit réacheminé en France

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 13 juin 2012, n° 357712, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8690IN8)

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par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat

Le 05 Juillet 2012

Dans une décision rendue le 13 juin 2012, la Haute juridiction a dit pour droit que l'exécution de l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif a enjoint au préfet de procéder au réexamen de la demande d'admission au séjour au titre de l'asile présentée par un étranger n'implique pas nécessairement que les autorités françaises prennent des mesures propres à assurer le réacheminement en France de ce dernier, dès lors que le réexamen de la demande d'admission au séjour de l'intéressé ne nécessite pas qu'il se présente de nouveau à la préfecture, et que son réacheminement ne doit intervenir que dans l'hypothèse d'une nouvelle décision faisant droit à cette demande. I - Le cadre juridique et les faits de l'espèce

A - Le cadre juridique : la demande d'asile et le Règlement communautaire du 18 février 2003

L'étranger qui, se trouvant sur le territoire français, demande à bénéficier de l'asile doit, en principe, être admis au séjour jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande. Ce principe connaît, cependant, des exceptions, énumérées à l'article L. 741-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5127IQX). Tel est le cas si l'étranger a la nationalité d'un pays considéré comme sûr (2°), si sa présence constitue une menace grave pour l'ordre public (3°), ou encore si elle "repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile ou n'est présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente" (4°). Reste une dernière hypothèse, qui est la première mentionnée par l'article L. 741-4 : le cas où l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat en application des dispositions du Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers (N° Lexbase : L9626A9E). Ce Règlement, qui a pris le relais de la Convention de Dublin, pose le principe selon lequel une demande d'asile doit normalement être examinée par un seul Etat membre, l'Etat regardé comme responsable par application des critères prévus par le texte. Il s'agit d'éviter qu'un étranger puisse soit présenter des demandes successives dans différents Etats membres, soit choisir l'Etat dans lequel sa demande sera examinée.

Si l'étranger qui n'est pas admis au séjour bénéficie du droit de se maintenir en France jusqu'à la notification de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) dans les cas prévus aux 2°, 3° et 4° de l'article L. 741-4, il en va différemment lorsque l'examen de sa demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat : il ne peut alors saisir l'OFPRA, puisque les autorités nationales ne sont pas compétentes. L'étranger est alors transféré vers l'Etat responsable du traitement de sa demande. La décision de réacheminer l'intéressé doit, certes, être écrite et motivée, mais elle peut être exécutée d'office par l'administration, "après que l'étranger a été mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix", selon les dispositions combinées des articles L. 531-1 (N° Lexbase : L7216IQC) et L. 531-2 (N° Lexbase : L5045IQW) du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Le Règlement du 18 février 2003 prévoit, toutefois, un certain nombre de garanties pour l'étranger concerné et, en particulier, à son article 3, qu'il "est informé par écrit, dans une langue dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend, au sujet de l'application du présent règlement, des délais qu'il prévoit et de ses effets". Il existe, à cet égard, deux grandes hypothèses prévues par les articles 16 à 20 du texte. La première correspond au cas de l'étranger qui présente une demande d'asile dans un Etat membre, sans avoir au préalable déposé de demande dans un autre Etat, mais où l'Etat membre auprès duquel la demande a été introduite estime qu'un autre Etat est responsable de son examen. La seconde hypothèse est celle où l'étranger a déjà présenté une demande d'asile dans un Etat membre, qui est donc l'Etat responsable, mais où il se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d'un autre Etat. Dans les deux cas, l'Etat sur le territoire duquel se trouve l'étranger peut requérir l'Etat responsable de le "prendre en charge" (dans la première hypothèse) ou de le "reprendre en charge" (dans la seconde hypothèse).

Dans le cas où l'Etat sur le territoire duquel se trouve l'étranger requiert l'Etat qu'il estime responsable de le prendre en charge, il doit formuler sa demande dans les trois mois et l'Etat requis dispose alors d'un délai de deux mois pour se prononcer, son absence de réponse au terme de ce délai valant acceptation. L'Etat demandeur peut, toutefois, solliciter une réponse en urgence "dans les cas où la demande d'asile a été introduite à la suite d'un refus d'entrée ou de séjour, d'une arrestation pour séjour irrégulier ou de la signification ou de l'exécution d'une mesure d'éloignement et/ou dans le cas où le demandeur d'asile est maintenu en détention". L'Etat demandeur doit laisser un délai d'au moins une semaine à l'Etat requis, et celui-ci doit tout mettre en oeuvre pour le respecter, et, en tout état de cause, statuer dans un délai d'un mois. Aux termes de l'article 19 du Règlement, "lorsque l'Etat membre requis accepte la prise en charge d'un demandeur, l'Etat membre dans lequel la demande d'asile a été introduite notifie au demandeur la décision de ne pas examiner la demande, ainsi que l'obligation de le transférer vers l'Etat membre responsable". Cette décision doit être motivée et assortie des indications de délai relatives à la mise en oeuvre du transfert. Elle est susceptible de recours, mais ce recours n'a pas d'effet suspensif sur l'exécution du transfert, "sauf lorsque les tribunaux ou les instances compétentes le décident, au cas par cas, si la législation nationale le permet".

Dans le cas d'une demande de "reprise en charge", c'est-à-dire dans le cas où l'étranger a déjà déposé une demande d'asile dans un autre Etat, l'Etat requis dispose, selon les cas de deux semaines ou un mois pour répondre à la demande. Aux termes de l'article 20 du Règlement, l'Etat requérant doit notifier au demandeur d'asile la décision relative à sa reprise en charge par l'Etat membre responsable, avec les mêmes exigences que précédemment. Il découle de ces dispositions que l'Etat sur le territoire duquel une demande d'asile a été déposée, et qui s'aperçoit qu'il n'est pas responsable de son traitement, doit, dans tous les cas de figure, informer le demandeur, de façon formalisée, de la décision de ne pas examiner sa demande et de le transférer vers l'Etat responsable.

B - Les faits de l'espèce : l'absence de notification de la décision dans une langue compréhensible par le demandeur d'asile et la présentation d'une demande de réacheminement en France

En l'espèce, le requérant, de nationalité sri-lankaise, s'était présenté à la préfecture du Val-d'Oise afin de déposer une demande d'asile. A cette occasion, il avait déclaré être entré en France sans avoir transité par un autre pays de l'Union européenne. Une autorisation provisoire de séjour valable un mois lui avait été délivrée et sa demande avait été enregistrée par l'OFPRA. L'administration a, toutefois, appris par la suite que l'intéressé avait déjà sollicité l'asile auprès des autorités britanniques en octobre 2010. Le 18 novembre 2011, le préfet a, en conséquence, pris une décision de non-renouvellement de l'autorisation provisoire de séjour, informé le requérant de ce qu'il avait saisi les autorités britanniques d'une demande de reprise en charge de la procédure d'asile et convoqué celui-ci en préfecture le 23 janvier 2012. L'OFPRA s'est parallèlement dessaisi de l'examen de la demande. Le 23 janvier, M. X s'est vu notifier une décision de remise aux autorités britanniques, ainsi qu'une décision de placement en rétention. Le soir même, il a introduit une demande tendant à la suspension des trois décisions et à ce qu'il soit enjoint à la préfecture de "réexaminer sa situation administrative au regard du séjour", sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3058ALT). Mais les choses se sont accélérées, puisque, le 24 janvier 2012 au matin, avant même que la préfecture ait été avisée de ce recours, M. X a été mis dans un avion pour Londres.

Le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi d'un référé liberté, a statué le 25 janvier 2012. Il a considéré que les conclusions dirigées contre le placement en rétention administrative étaient devenues sans objet, ce qui est conforme à la jurisprudence antérieure (1). Il a aussi estimé qu'il n'y avait pas de non-lieu sur les conclusions relatives au refus de renouveler l'autorisation provisoire de séjour et à la décision de réadmission au Royaume-Uni, ce qui est, également, orthodoxe. Le Conseil d'Etat a, en effet, jugé, à propos d'une mesure de reconduite à la frontière, que la seule circonstance que celle-ci ait reçu exécution au cours de l'instruction ne saurait priver d'effet la procédure de référé de l'article L. 521-2, "qui est destinée à protéger les libertés fondamentales en permettant au juge des référés d'ordonner toute mesure nécessaire à cette fin" (2).

Statuant sur ces conclusions, le juge des référés a constaté que, si la décision du 23 janvier 2012 de réadmission au Royaume-Uni avait été notifiée à M. X en présence d'un interprète en langue tamoule, tel n'avait pas été le cas de la décision du 18 novembre 2011, alors que l'intéressé ne comprenait pas le français et qu'il n'était pas établi qu'il comprenne l'anglais, langue dans laquelle des informations lui auraient été données oralement ce jour-là. Par suite, selon l'ordonnance, le préfet n'a pas mis à même le requérant de bénéficier des garanties procédurales prévues par l'article 3 du Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 et a, ainsi, porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile, solution déjà retenue par le Conseil d'Etat (3). Le juge des référés a ordonné la suspension de ces deux décisions et, surtout, a jugé que cette suspension impliquait que les autorités compétentes étaient à nouveau saisies de la demande d'admission au séjour de M. X, d'où une injonction faite au préfet du Val-d'Oise de réexaminer cette demande dans un délai de quinze jours. Le préfet n'a pas fait appel de l'ordonnance.

Dès le lendemain, l'avocat de M. X lui a demandé d'organiser le retour de son client sur le territoire français. Le préfet lui a répondu qu'il lui appartenait d'inviter celui-ci à se présenter auprès de ses services afin qu'ils puissent se conformer à l'injonction faite par le juge des référés. L'avocat a, alors, saisi le tribunal administratif, sur le fondement de l'article L. 911-4 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3332ALY), d'une demande tendant à l'exécution de l'ordonnance, et, plus précisément, à ce qu'il soit enjoint au préfet de faire réacheminer le requérant en France et de procéder au réexamen de sa situation administrative dans les huit jours sous astreinte. Par un jugement en date du 5 mars 2012, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit à cette demande en estimant que l'exécution de l'ordonnance comportait nécessairement pour le préfet l'obligation de prendre toutes les mesures pour permettre le réacheminement en France de l'intéressé. Le ministre de l'Intérieur a fait appel de ce jugement devant le Conseil d'Etat.

II - La portée de l'exécution de la décision de justice imposant le réexamen de la demande d'autorisation de séjour au titre de l'asile

A - L'obligation de réexaminer la demande d'admission au séjour au titre de l'asile n'implique pas que le demandeur déjà éloigné soit réacheminé en France

Dans les décisions "Chermykhanov" et "Wahidi" précitées (4), le Conseil d'Etat a enjoint à l'administration de réexaminer la demande d'admission au séjour en conséquence de l'absence de notification de la décision dans une langue compréhensible par l'étranger mais il n'a pas prescrit le réacheminement vers la France, et ce alors même que les intéressés avaient été respectivement acheminés en Pologne et en Grèce : c'est donc bien que le réexamen de la demande d'admission au séjour au titre de l'asile peut se faire à distance et sans la présentation physique de l'étranger en préfecture.

Le réacheminement en France de l'étranger, s'il peut être la conséquence du réexamen de sa demande en cas de décision d'admission au séjour contredisant la décision initiale de refus, ne doit pas, en revanche, être la condition préalable au réexamen de sa demande. La décision du 13 juin 2012 l'affirme clairement : "l'exécution de l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a enjoint au préfet du Val d'Oise de procéder au réexamen de la demande d'admission au séjour au titre de l'asile présentée par M. [X] n'implique pas nécessairement que les autorités françaises prennent des mesures propres à assurer le réacheminement en France de ce dernier, dès lors que le réexamen de la demande d'admission au séjour de l'intéressé ne nécessite pas qu'il se présente de nouveau à la préfecture et que son réacheminement ne devra intervenir que dans l'hypothèse d'une nouvelle décision faisant droit à cette demande".

En l'espèce, il appartenait donc seulement au préfet du Val d'Oise de réexaminer "à distance" la demande d'admission au séjour de l'intéressé, en la lui notifiant dans une langue qu'il comprend : c'est seulement dans l'hypothèse où il ferait droit à cette demande qu'il y aurait lieu de le réacheminer en France. Cette procédure préserve, d'ailleurs, aussi la possibilité d'une admission au séjour de l'intéressé sur le territoire britannique et d'un renoncement à la demander sur le territoire français. D'ailleurs, la nouvelle décision à prendre était, en l'espèce, fort simple : il s'agissait de prendre la même décision que celle du 18 novembre 2011, fondée sur l'impossibilité d'admettre au séjour un étranger qui a déjà sollicité l'asile dans un autre Etat membre, en prenant, cependant, garde de la notifier par écrit dans une langue compréhensible pour le demandeur, c'est-à-dire en langue tamoule, ce qui certes était plus délicat que d'assurer une simple traduction orale de la décision.

B - Une ordonnance de référé liberté non exécutée en l'espèce en l'absence de tout réexamen de la demande d'admission au séjour au titre de l'asile

Il n'en demeure pas moins que la décision du 13 juin 2012 n'a pu que constater que l'injonction de réexamen de la demande d'autorisation de provisoire n'avait pas été respectée par le préfet et que l'ordonnance prononçant cette injonction n'avait donc pas été exécutée par l'administration. L'ordonnance du 25 janvier 2012 n'a pas été exécutée, en effet, puisque le préfet n'a pas procédé au réexamen de la demande de M. X. Or, le dispositif du jugement attaqué du tribunal administratif de Cergy-Pontoise s'est borné à enjoindre au préfet, sous astreinte, d'exécuter l'ordonnance, sans lui enjoindre, en outre, de prendre préalablement toutes mesures pour assurer le réacheminement en France de l'intéressé. Autrement dit, le jugement attaqué était erroné dans l'un de ses motifs, celui prescrivant le réacheminement, mais il était fondé dans son dispositif sanctionnant l'absence d'exécution de l'ordonnance de référé liberté ayant prescrit le réexamen de la demande d'autorisation provisoire de séjour : la décision du Conseil d'Etat du 13 juin 2012 a, en conséquence, censuré ce motif tout en confirmant ce dispositif.

Certes, le motif et le dispositif sont intimement liés, l'article 1er du jugement attaqué ne pouvait être lu que comme enjoignant au préfet d'exécuter l'ordonnance en procédant au réacheminement de l'étranger. Toutefois, dès lors qu'il était ici juge d'appel (5) et non juge de cassation, le Conseil a pu neutraliser cette erreur, solution opportune alors que l'annulation du jugement et le prononcé d'une nouvelle mesure d'injonction, dans une configuration où l'injonction sous astreinte était dès le départ justifiée, aurait au contraire pénalisé le demandeur. Après avoir censuré le motif erroné retenu par le tribunal administratif, le Conseil d'Etat a, ainsi, jugé que le ministre de l'Intérieur n'était pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait prononcé une astreinte à l'encontre de l'Etat, à défaut pour le préfet du Val-d'Oise de justifier avoir exécuté l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise lui enjoignant de procéder au réexamen de la demande d'admission sur le territoire au titre de l'asile de M. X.

La solution peut paraître sévère pour l'administration mais elle est juste : le préfet ne peut ignorer l'injonction de réexamen de la demande d'admission au séjour au titre de l'asile qui est prononcée par le juge administratif.


(1) CE référé, 12 septembre 2007, n° 309317, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2152DYD).
(2) CE référé, 30 janvier 2009, n° 324344, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7476ECU) ; voir, dans le même sens, CE 2° et 7° s-s-r., 18 juin 2010, n° 332916, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9853EZX).
(3) CE 2° et 7° s-s-r., 30 juillet 2008, n° 313767, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8629D9H) ; CE 4° et 5° s-s-r., 17 mars 2010, n° 332586, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8005ETN).
(4) CE 2° et 7° s-s-r., 30 juillet 2008, n° 313767, mentionné aux tables du recueil Lebon, et CE 4° et 5° s-s-r., 17 mars 2010, n° 332586, mentionné aux tables du recueil Lebon, précités.
(5) Il a en effet été jugé que la contestation du jugement du tribunal administratif ayant statué sur la demande d'exécution d'une ordonnance de référé liberté (qui fait l'objet d'un appel et non d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat) suivait la même voie que celle de la contestation de cette ordonnance, c'est-à-dire la voie de l'appel (CE 5° et 7° s-s-r., 29 octobre 2003, n° 259440, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9823C9P). En l'espèce, le Conseil d'Etat était donc juge d'appel pour statuer sur le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 5 mars 2012 ayant procédé à l'exécution de l'ordonnance de référé liberté du 25 janvier 2012.

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - juillet 2012

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N2709BTI

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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 05 Juillet 2012

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la cour, Docteur en droit et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de fiscalité des entreprises. Ce mois-ci, notre auteur a choisi de s'arrêter sur trois arrêts. Dans les deux premiers arrêts, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation traitent des notions d'apport partiel d'actif et de cession d'une branche complète d'activité quant à la restructuration d'un groupement d'intérêt économique (GIE), entité ayant connu ses heures de gloire au début des années 70 (Airbus, PMU, Groupement des cartes bancaires...), ainsi que d'une société à responsabilité limitée comportant un associé unique (EURL). La première décision a trait à l'éligibilité au régime de faveur des apports partiels d'actifs d'un apport de parts de GIE (CE 10° et 9° s-s-r., 16 mai 2012, n° 325370, mentionné aux tables du recueil Lebon). La deuxième décision accorde à un apport partiel d'actif le régime de faveur, considérant qu'il porte bien sur une branche complète d'activité, même en l'absence de transmission des créances clients (Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-17.972, F-P+B). Dans le troisième arrêt sélectionné, le Conseil d'Etat apporte des précisions quant à l'immobilisation de dépenses d'équipement de magasins au titre de signes distinctifs relevant d'une marque. En effet, les dépenses engagées pour équiper des magasins des signes distinctifs d'une marque doivent être immobilisées, alors même qu'elles n'ont pas concouru, à court terme, à augmenter le chiffre d'affaires des sociétés (CE 3° et 8° s-s-r., 30 mai 2012, n° 339321, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • Restructuration d'entreprise, apport partiel d'actif et branche complète d'activité (CE 10° et 9° s-s-r., 16 mai 2012, n° 325370, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7172IL9 ; Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-17.972, F-P+B N° Lexbase : A6912ILL)

La Cour de cassation et le Conseil d'Etat apportent, dans deux récentes décisions, d'importantes précisions quant à la notion de branche autonome d'activité dans le cadre d'une fiscalité dérogatoire.

A - Bref rappel sur la fiscalité applicable en cas de restructuration

En droit fiscal, les fusions et autres opérations de restructuration, telles que les scissions et les apports partiels d'actif, sont considérées, pour les personnes morales apporteuses ou absorbées, comme relevant du régime de la cessation d'entreprise. Les conséquences sont loin d'être neutres, notamment quant à la taxation des plus-values latentes et du bénéfice non encore imposé, la reprise des provisions et les droits d'enregistrement à raison de l'augmentation de capital de la personne morale absorbante.

Afin de ne pas freiner la nécessaire restructuration des entreprises françaises (P. Bertoni, Les politiques fiscales sous la cinquième république - Discours et pratiques (1958-1991), L'Harmattan, collection logiques juridiques, 1995, p. 100), alors perçue comme ayant un caractère intercalaire, le législateur a prévu une option codifiée à l'article 210 A du CGI (1) (N° Lexbase : L3936HLD), substantiellement modifiée en 2002 (loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001, de finances pour 2002, art. 85 N° Lexbase : L0938AWN (2) ; instruction du 25 octobre 2002, BOI 4 I-2-02 N° Lexbase : X2621ABP) et ne profitant qu'aux personnes morales ou organismes passibles de l'impôt sur les sociétés (CGI, art. 210 C N° Lexbase : L3945HLP). Les personnes morales placées sous ce régime sont alors tenues de formuler une option en ce sens. Elles doivent respecter les engagements issus de l'article 210 A-3 du CGI (3) et produire à chaque déclaration de résultat un état de suivi des plus-values qui n'ont pas fait l'objet d'une imposition lors de la réalisation de l'opération de restructuration, ainsi qu'un registre de suivi des plus-values sur éléments d'actif non amortissables dont l'imposition a été reportée (4). S'agissant des déficits de la personne morale absorbée, à compter du 1er janvier 2002, un régime d'agrément de droit (loi de finances pour 2002 précitée, et CGI, art. 209 N° Lexbase : L1156ITY) a été substitué au régime d'agrément discrétionnaire délivré jusqu'alors (5). Le régime d'agrément de droit est accordé lorsque l'opération est justifiée du point de vue économique et qu'elle obéit à des motivations principales autres que fiscales ; l'activité à l'origine des déficits dont le transfert est demandé doit être poursuivie par la ou les sociétés bénéficiaires des apports pendant un délai minimum de trois ans ; l'opération est effectuée sous le régime de l'article 210 A du CGI. Depuis le 1er janvier 2005, le montant des déficits transférés n'est plus plafonné (6) (loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004, art. 42 N° Lexbase : L5204GUB).

B - La décision du Conseil d'Etat (CE 10° et 9° s-s-r., 16 mai 2012, n° 325370, mentionné aux tables du recueil Lebon)

Une société avait, pour activité principale, l'exploitation d'installations de chauffage et de climatisation. Avec une autre société, elle était membre, à 99 %, d'un groupement d'intérêt économique (GIE) régi par l'ordonnance du 23 septembre 1967 (ordonnance n° 67-821 du 23 septembre 1967, sur les groupements d'intérêt économique N° Lexbase : L1328AIZ) dont la raison d'être était de permettre la mise en commun de certaines activités de leurs membres "(comptoirs de vente, bureaux d'exportation ou d'importation, organismes de recherche...), tout en conservant leur individualité et leur autonomie" (Ph. Merle, Sociétés commerciales, Dalloz, coll. : Précis Dalloz, 15ème édition, 2012, p. 783 ; C. com., art. L. 251-1 N° Lexbase : L6481AIU). Il ne peut donc s'agir que d'un prolongement de l'activité des membres du GIE (Ph. Merle, ibidem, p. 786 ; C. com., art. L. 251-3 N° Lexbase : L6483AIX).

Le 20 décembre 1990, la société a fait l'apport à sa filiale de 51 % de ses droits dans le GIE. Au titre de l'impôt sur les sociétés dû au 30 septembre 1991, la société s'est alors prévalue du régime spécial des apports partiels d'actifs portant sur une branche complète d'activité (CGI, art. 210 B). A la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices 1990 à 1992, l'administration fiscale a remis en cause le bénéfice de ce régime dont se prévalait le GIE dès lors que les caractéristiques d'un GIE ne permettent pas de considérer que l'apport des parts d'un GIE est constitutif d'une banche complète d'activité ou d'éléments assimilés. Selon la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 9ème ch., 4 décembre 2008, n° 06PA03297, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7887ILP), cet apport ne portait pas sur des participations dans le capital d'une société, mais sur des parts d'un GIE constitué sans capital (7). Il faut également souligner que la doctrine administrative se prononce pour l'application du régime de droit commun concernant les opérations de restructuration impliquant, notamment, un GIE (D. adm. 4 I-111, § 2 et 3, 1er novembre 1995), ce qui exclut implicitement le régime de faveur. De même, une réponse ministérielle (QE n° 40554 de M. Lemoine Jean-Claude, JOANQ 24 janvier 2000, p. 409, réponse publ. 27 mars 2000, p. 1995, 11ème législature N° Lexbase : L9273BB3) abonde dans le même sens (8), au motif que les GIE ne sont pas des sociétés et n'ont pas nécessairement de capital social ; ils ne peuvent pas émettre de titres négociables représentatifs des droits de leurs membres.

Cette opinion exclusive n'est pas reprise par le Conseil d'Etat : pour la Haute juridiction, un apport partiel d'actif s'entend d'une branche d'activité "susceptible [ce que nous comprenons comme une potentialité au jour de l'apport] de faire l'objet d'une exploitation autonome chez la société apporteuse comme chez la société bénéficiaire de l'apport, sous réserve que cet apport opère un transfert complet des éléments essentiels de cette activité tels qu'ils existaient dans le patrimoine de la société apporteuse et dans des conditions permettant à la société bénéficiaire de disposer durablement de tous ces éléments". La position du Conseil d'Etat s'inscrit dans une logique économique et subordonne l'application du régime de faveur à la pérennité de l'apport doté de tous les éléments d'actif et de passif permettant d'assurer son exploitation. Bien plus, la Haute juridiction estime, à juste titre, qu'il n'y a pas d'impossibilité de principe, quant à l'application du régime de faveur issu de l'article 210 A du CGI, lorsqu'un apport partiel d'actif peut être assimilé à une branche complète d'activité "notamment lorsqu'il consiste en une participation dans une entité juridique dont il permet le contrôle et que l'activité de cette entité est elle-même susceptible de faire l'objet d'une exploitation autonome".

Le Conseil d'Etat approuve l'analyse juridique des conseillers de la cour administrative d'appel de Paris, selon laquelle le GIE, qui est bien une entité juridique, a une activité propre et distincte de ses membres : à ce titre, l'apport des parts du GIE ne pouvait être considéré comme assimilable à une branche autonome d'activité de la société apporteuse. Pour autant, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris est censuré pour erreur de droit, et renvoyé devant la même cour, dès lors que la juridiction d'appel n'a pas examiné les clauses régissant le fonctionnement du GIE quant au contrôle conféré par la détention de ses parts par la société et n'a pas déterminé s'il aurait pu faire l'objet d'une exploitation autonome.

Une double lecture économique et juridique s'infère de cet arrêt : le pragmatisme économique issu de cette décision permet une solution vraisemblablement plus raisonnable que celle arrêtée jusqu'alors par la doctrine administrative précitée et qui se trouve, de fait, censurée. Outre qu'elle était anormalement restrictive, une telle position freinait la possibilité pour les GIE en place de se restructurer et incitait les différents acteurs économiques à préférer un autre instrument juridique. Les contribuables et leurs avocats se réjouiront d'une décision permettant de faciliter les opérations de restructuration pour les GIE mais nous relèverons également que le Conseil d'Etat s'appuie sur le pacte liant les parties au groupement : si l'une des caractéristiques du GIE est sa très grande liberté quant à son organisation, il faut en déduire corrélativement une plus grande responsabilité du rédacteur d'acte.

C - L'arrêt de la Cour de cassation (Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-17.972, F-P+B)

Le 29 décembre 2004, une société à responsabilité limitée comportant un associé unique (EURL) a acquis un cabinet d'expertise-comptable et de commissariat aux comptes tout en se prévalant de l'exonération des droits de mutation (CGI, art. 238 quaterdecies N° Lexbase : L4932HLA et CGI art. 724 bis N° Lexbase : L7939HLM) pour les branches complètes d'activité dont la valeur n'excède pas 300 000 euros. Cependant, l'administration fiscale a adressé à l'EURL une proposition de rectification, au motif que les conditions liées à l'exonération des droits de mutation n'avaient pas été satisfaites, dès lors que les créances clients n'avaient pas été cédées. Cette thèse, rejetée en appel par les juges du fond (CA Chambéry, 22 février 2011), sera à nouveau soutenue devant le juge de cassation. Cependant, le juge judiciaire s'appuiera sur le constat par la cour d'appel de l'existence d'un contrat aux termes duquel étaient cédés notamment le mobilier, les immobilisations corporelles et le matériel informatique, les licences d'exploitation et la bureautique, mais également -s'agissant plus spécifiquement de la clientèle- un droit de présentation d'un successeur aux clients du cabinet d'expertise-comptable, la liste des clients, ainsi que les dossiers et les documents relatifs à la clientèle. De telles circonstances permettent à la Cour de cassation de considérer qu'il s'agissait bien d'une branche complète d'activité consistant en une exploitation autonome capable de fonctionner par ses propres moyens, peu importe en l'espèce que des créances clients n'aient pas été transmises, dès lors que la société cessionnaire était en mesure d'exploiter de façon autonome et durable l'activité d'expertise-comptable et de commissariat aux comptes, objet de la cession. A nouveau, la rédaction du contrat matérialisant l'accord des parties quant à l'apport d'une branche complète d'activité porte en germe la solution qui sera retenue par le juge judiciaire qui fera le départ entre ce qui est indispensable à l'activité apportée -conditionnant, toute chose égale par ailleurs, l'application du régime de faveur- et ce qui ne l'est pas, évitant ainsi une remise en cause du régime dérogatoire pour des raisons qui confinaient au byzantinisme jusqu'à l'intervention salutaire de la Cour de cassation.

  • BIC : Immobilisation des dépenses d'équipement de magasins (CE 3° et 8° s-s-r., 30 mai 2012, n° 339321, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5432IM7)

Une société anonyme coopérative, ayant pour activité une centrale d'achats et de services, a conféré l'usage exclusif d'une marque, ainsi que de services attachés dans une zone géographique donnée, à des entreprises adhérentes d'un réseau. En contrepartie, il était prévu une rémunération composée d'un droit fixe et d'un droit proportionnel au chiffre d'affaires des magasins. Cette société a déduit de ses résultats imposables des exercices 1994 à 1996 le montant des contributions financières versées à certaines entreprises adhérentes dans le but de financer l'achat et la pose de logos et d'enseignes lumineuses. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause l'analyse de la contribuable en réintégrant les contributions financières déduites : pour le service, il existait une contrepartie consistant en l'accroissement de la valeur de la marque dont l'usage était concédé qui était un élément de l'actif immobilisé de la société.

Après avoir visé l'article 39 du CGI (N° Lexbase : L3894IAH), le Conseil d'Etat rappelle un classique de la littérature fiscale, puisque ne sont pas qualifiées de charges déductibles les dépenses qui entraînent normalement une augmentation de la valeur pour laquelle un élément immobilisé figure à son bilan (CE 9° et 8° s-s-r., 2 mars 1990, n° 67828, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4972AQ9) ou encore les dépenses qui ont pour effet de prolonger d'une manière notable la durée probable d'utilisation d'un élément de l'actif immobilisé (CE 8° s-s., 9 juillet 1980, n° 17194, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7395AIQ). On peut également ajouter les dépenses qui ont pour résultat l'entrée d'un nouvel élément dans l'actif immobilisé d'une entreprise (CE 8° et 9° s-s-r., 5 octobre 1977, n° 99687, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3804B7Z). Le Conseil d'Etat approuve les juges du fond d'avoir considéré que les dépenses en litige devaient être analysées comme un élément incorporel de l'actif immobilisé de la société requérante même si elles n'ont pas concouru à augmenter le chiffre d'affaires des sociétés à très court terme. Ce n'est, par conséquent, pas l'impact immédiat sur le chiffre d'affaires qui permettait de faire le départ entre des dépenses déductibles et une activation des charges, mais bien l'augmentation de la notoriété de la marque au moyen de travaux effectués sur les façades des magasins des entreprises adhérentes. Ces investissements étaient incompatibles avec l'entretien de la marque de la société ; la démarche de la contribuable était bien d'accroître la valeur commerciale de sa marque, élément incorporel de son actif. Reste en pratique à pouvoir faire la distinction entre l'entretien de la marque et sa valorisation : le juge de cassation, relevant que la cour administrative d'appel s'était fondée sur l'ensemble des pièces du dossier, approuve les juges du fond d'avoir révélé la "stratégie" (9) suivie par la société résultant de l'ampleur des dépenses engagées et du caractère durable de l'acquisition, et de la pose, de logos et d'enseignes lumineuses. La société ayant cherché à homogénéiser l'identité visuelle de son réseau, cette situation ne pouvait s'inscrire que dans le cadre d'un redéploiement d'ampleur de sa marque, peu compatible avec un simple entretien.


(1) Le régime optionnel profite également aux dissolutions sans liquidation -aussi appelées dissolution-confusion- visées par l'article 1844-5 du Code civil (N° Lexbase : L2025ABM) ; aux scissions et aux apports partiels d'actif : "1. Les dispositions de l'article 210 A s'appliquent à l'apport partiel d'actif d'une branche complète d'activité ou d'éléments assimilés lorsque la société apporteuse prend l'engagement dans l'acte d'apport : a De conserver pendant trois ans les titres remis en contrepartie de l'apport ; b De calculer ultérieurement les plus-values de cession afférentes à ces mêmes titres par référence à la valeur que les biens apportés avaient, du point de vue fiscal, dans ses propres écritures. Les dispositions de l'article 210 A s'appliquent à la scission de société comportant au moins deux branches complètes d'activités lorsque chacune des sociétés bénéficiaires des apports reçoit une ou plusieurs de ces branches et que les associés de la société scindée s'engagent, dans l'acte de scission, à conserver pendant trois ans les titres représentatifs de l'apport qui leur ont été répartis proportionnellement à leurs droits dans le capital. Toutefois, l'obligation de conservation des titres n'est exigée que des associés qui détiennent dans la société scindée, à la date d'approbation de la scission, 5 % au moins des droits de vote ou qui y exercent ou y ont exercé dans les six mois précédant cette date, directement ou par l'intermédiaire de leurs mandataires sociaux ou préposés, des fonctions de direction, d'administration ou de surveillance et détiennent au moins 0,1 % des droits de vote dans la société" (CGI, art. 210 B N° Lexbase : L3941HLK).
(2) Le législateur a, notamment, introduit une définition fiscale des fusions (CGI, art. 210-0 A N° Lexbase : L1155ITX), interprétée par l'administration fiscale comme un élargissement du champ d'application du régime optionnel aux dissolutions sans liquidation (instruction du 7 juillet 2003, BOI 4 I-1-03 N° Lexbase : X5337ABB).
(3) "L'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que la société absorbante s'engage, dans l'acte de fusion, à respecter les prescriptions suivantes : a) Elle doit reprendre à son passif : d'une part, les provisions dont l'imposition est différée ; d'autre part, la réserve spéciale où la société absorbée a porté les plus-values à long terme soumises antérieurement au taux réduit de 10 %, de 15 %, de 18 %, de 19 % ou de 25 % ainsi que la réserve où ont été portées les provisions pour fluctuation des cours en application du sixième alinéa du 5° du 1 de l'article 39 ; b) Elle doit se substituer à la société absorbée pour la réintégration des résultats dont la prise en compte avait été différée pour l'imposition de cette dernière ; c) Elle doit calculer les plus-values réalisées ultérieurement à l'occasion de la cession des immobilisations non amortissables qui lui sont apportées d'après la valeur qu'elles avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures de la société absorbée ; d) Elle doit réintégrer dans ses bénéfices imposables les plus-values dégagées lors de l'apport des biens amortissables. La réintégration des plus-values est effectuée par parts égales sur une période de quinze ans pour les constructions et les droits qui se rapportent à des constructions ainsi que pour les plantations et les agencements et aménagements des terrains amortissables sur une période au moins égale à cette durée ; dans les autres cas, la réintégration s'effectue par parts égales sur une période de cinq ans. Lorsque le total des plus-values nettes sur les constructions, les plantations et les agencements et aménagements des terrains excède 90 % de la plus-value nette globale sur éléments amortissables, la réintégration des plus-values afférentes aux constructions, aux plantations et aux agencements et aménagements des terrains est effectuée par parts égales sur une période égale à la durée moyenne pondérée d'amortissement de ces biens. Toutefois, la cession d'un bien amortissable entraîne l'imposition immédiate de la fraction de la plus-value afférente à ce bien qui n'a pas encore été réintégrée. En contrepartie, les amortissements et les plus-values ultérieurs afférents aux éléments amortissables sont calculés d'après la valeur qui leur a été attribuée lors de l'apport ; e) Elle doit inscrire à son bilan les éléments autres que les immobilisations pour la valeur qu'ils avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures de la société absorbée. A défaut, elle doit comprendre dans ses résultats de l'exercice au cours duquel intervient l'opération le profit correspondant à la différence entre la nouvelle valeur de ces éléments et la valeur qu'ils avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures de la société absorbée".
(4) CGI, art. 54 septies (N° Lexbase : L7172ICM). Des sanctions sont prévues par l'article 1763 du CGI (N° Lexbase : L5711IRX).
(5) Lorsque l'agrément discrétionnaire était délivré, le déficit transféré ne dépassait pas 40 % de la valeur d'apport des actifs industriels apportés. La doctrine rapporte que "le transfert de déficit a été accordé aux secteurs non industriels à haute intensité capitalistiques tels que les transports et le BTP par exemple", Dr. fisc., 2002, ét. 1, p. 15.
(6) Du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2004, le déficit de la société apporteuse pouvait être transféré -dans la limite la plus importante- soit de la valeur brute des éléments de l'actif immobilisé de la société apporteuse affectés à l'exploitation (hors immobilisations financières) ; soit la valeur d'apport de ces éléments.
(7) Il est, en effet, possible de constituer un GIE sans capital (C. com., art. L. 251-3 N° Lexbase : L6483AIX).
(8) "M. Jean-Michel Dubernard attire l'attention de M. le ministre délégué au Budget sur l'apport partiel d'actif. L'article 210 B, 1, b, dernier alinéa, du CGI, dispose que le régime fiscal de faveur visé à l'article 210 A du même code est applicable aux apports de participation portant sur plus de 50 % du capital de la société dont les titres sont apportés sous réserve que la société apporteuse respecte les règles et conditions prévues aux 2ème et 3ème alinéas du 7 bis de l'article 38 (N° Lexbase : L9369IQ3). Dans son instruction du 7 août 1993 (4 I-I-93) -qui commente ces dispositions-, l'administration a seulement indiqué que le régime fiscal applicable à la société dont les titres sont apportés est indifférent. Par suite, il lui demande de bien vouloir lui confirmer, compte tenu de l'esprit des textes susévoqués, qu'aucun obstacle ne s'oppose à ce que l'apport, par une société soumise à l'impôt sur les sociétés, à une société également passible de l'impôt sur les sociétés de plus de 50 % des parts d'un groupement d'intérêt économique, puisse bénéficier du régime de faveur des apports partiels d'actif.
Réponse. - Les apports de participations portant sur plus de 50 % du capital de la société dont les titres sont apportés sont assimilés à une branche complète d'activité, sous réserve que la société apporteuse respecte les règles et conditions prévues aux troisième et quatrième alinéas du 7 bis de l'article 38 du CGI, et peuvent bénéficier du régime fiscal de faveur des fusions prévu pour les apports partiels d'actif à l'article 210 B du même code. Ces mesures ne trouvent pas à s'appliquer aux apports de droits détenus dans un groupement d'intérêt économique (GIE), qui ne remplissent pas les conditions prévues pour en bénéficier. En effet, lesdits groupements ne sont pas des sociétés, n'ont pas nécessairement de capital social et ne peuvent pas émettre de titres négociables représentatifs des droits de leurs membres
".
(9) Terme employé par le Conseil d'Etat.

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Procédure pénale

[Chronique] Chronique de procédure pénale - Juin 2012

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N2744BTS

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par Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du CRDP de Tours (EA 2116), et Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'IDP de Toulouse (EA 1920)

Le 01 Août 2012

Lexbase Hebdo - édition privée vous invite cette semaine à retrouver la chronique de procédure pénale de Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du CRDP de Tours (EA 2116), et Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'IDP de Toulouse (EA 1920). Au sommaire de cette chronique, encore quelques précisions importantes, relatives à la constitution de partie civile, dont le régime s'affine au fur et à mesure que la notion de victime pénale se dessine (Ass. plén., 15 juin 2012, n° 10-85.678, F-P+B+R+I ; Cass. crim., 10 mai 2012, n° 12-81.197, F-P+B ; Cass. crim., 2 mai 2012, n° 11-85.120, F-P+B ; Cass. crim., 9 mai 2012, n° 11-83.150, F-P+B) ; un inévitable point sur le droit de la garde à vue (Cass. crim., 3 mai 2012, n° 11-88.725, F-P+B), dont la relecture provoque celle du droit de l'instruction (Cass. crim., 10 mai 2012, n° 11-87.328, F-P+B) ; une précision sur l'office du juge en matière de nullités de procédure (Cass. crim., 6 juin 2012, n° 11-87.180, F-P+B).

I - Quelques précisions supplémentaires sur la constitution de partie civile
  • Recevabilité de la constitution de partie civile du Président de la République du fait d'une infraction commise à son encontre durant son mandat (Ass. plén., 15 juin 2012, n° 10-85.678, F-P+B+R+I N° Lexbase : A8936INB)

Si l'on doutait encore, qu'il faille totalement délier les questions propres à l'auteur d'une infraction de celles relatives à la victime d'un tel fait, l'arrêt du 15 juin 2012 rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation ne l'autorise plus : alors que la responsabilité pénale du Président de la République, en ce qui concerne son comportement durant son mandat, demeure, pour le moment, une coquille vide (1), le plus haut personnage de l'Etat n'en est pas moins susceptible, du point de vue de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, de se constituer partie civile pour une infraction qu'il a subie durant ce même mandat.

Laissant de côté les autres questions formulées par les auteurs du pourvoi, notamment, celle de la partialité du procureur de la République -fût-elle, en l'occurrence, très concrète- dont on sait que, si elle peut, bien évidemment, poser problème (2), elle n'est pas en mesure de lui être reprochée en tant que telle, puisqu'il n'est pas celui qui se prononce sur le bien-fondé de l'accusation -son accusation-, ou encore, l'interrogation sur l'éventuelle inconstitutionnalité de l'article 2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9908IQZ), retenons simplement, que la Cour de cassation refuse de particulariser le Président de la République au sein des autres victimes d'infractions.

La solution ne satisfait pas totalement, tant certains arguments conduisant à une autre solution paraissent faire mouche : d'une part, le Président de la République devient, de la sorte, une partie civile sans devoirs, ne pouvant, par exemple, être requis de témoigner, ou encore être sanctionné pour un abus commis dans l'exercice de son droit ; d'autre part, il est celui qui nomme les magistrats qui, bien qu'indépendants dans l'exercice de leurs prérogatives -du moins au siège- n'en perdent pas, pour autant, toute mémoire et toute conscience de la fonction de la victime qu'ils envisagent. Pas sûr, comme l'affirme pourtant la Cour de cassation, que l'égalité des armes soit si sauve... Tout cela manque en tous les cas de nuance.

Quoi qu'on pense, au final, de l'arrêt ainsi rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, il constitue, certainement, une invitation à parachever, enfin, le statut pénal du chef de l'Etat et, par là même, à le clarifier.


Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du Centre de recherche en droit privé de l'Université François-Rabelais de Tours (EA 2116)


  • Recevabilité de la constitution de partie civile d'ayants cause de militaires français tués en Afghanistan du chef d'homicides involontaires (Cass. crim., 10 mai 2012, n° 12-81.197, F-P+B N° Lexbase : A1338IL7)

Il ne faut pas confondre recevabilité et bien-fondé, tel est le rappel opéré par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un contexte, il est vrai, des plus particuliers.

En l'espèce, à la suite de la mort de militaires français en Afghanistan, survenue au cours d'une offensive ennemie alors qu'ils effectuaient une mission de reconnaissance, leurs ayants droit déposent une plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction près le tribunal aux armées de Paris, contre personne non dénommée, des chefs de mise en danger d'autrui et non-empêchement d'un crime. Malgré des réquisitions contraires du ministère public, le magistrat instructeur dit y avoir lieu à informer du chef d'homicides involontaires, ce que confirme la chambre de l'instruction, après appel du procureur de la République près le tribunal aux armées.

Saisie à son tour, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Paris, précisant qu'"aucune fin de non-recevoir ne peut être opposée à la mise en mouvement de l'action publique par la partie lésée, autre que celles prévues par les articles 85 (N° Lexbase : L3897IRR) et suivants du Code de procédure pénale", même s'il s'agit, comme en l'espèce, de poursuivre, d'instruire et de juger des infractions en matière militaire en temps de paix. Autrement dit, à condition d'être une victime, au sens pénal du terme, et de respecter les formalités générales prescrites par le Code de procédure pénale, rien ne doit s'opposer à ce qu'une constitution de partie civile conduise au déclenchement de l'action publique, les prétentions de la victime seraient-elles inhabituelles.

En réalité, parce que les infractions en cause avaient été commises hors du territoire de la République, deux textes entraient en conflit : l'article 113-8 du Code pénal (N° Lexbase : L3293IQZ) qui, relativement aux seuls délits, fait du ministère public le seul véritable maître des poursuites (3) ; l'article 698-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4066AZM) qui, relativement aux seules infractions militaires, ne fait que renvoyer aux conditions générales, en vertu desquelles le déclenchement de l'action publique peut être le fait de l'initiative de la seule partie civile.

Bien que se référençant au droit commun en la matière, ce dernier texte demeure, à raison de son champ d'application, plus spécifique que le premier : specialia generalibus derogant. Dès lors, sauf à le vider de sa substance, il fallait le faire prévaloir et, partant, n'en déplaise au ministère public, permettre aux victimes d'obtenir l'ouverture d'une instruction.

Un autre point intéressant de l'arrêt concerne, principalement, le droit pénal de fond, à cette précision près que la Chambre criminelle de la Cour de cassation souligne que "contrairement aux réquisitions du ministère public, le juge d'instruction avait l'obligation d'instruire en l'absence de cause affectant l'action publique elle-même, d'où il aurait résulté que les faits démontrés ne pouvaient comporter une poursuite ou, si, à les supposer démontrés, ils ne pouvaient admettre aucune qualification pénale, la chambre de l'instruction a justifié sa décision, au regard des dispositions légales dont la violation est alléguée".

En conclusion, même si l'on se doute que le procès pénal n'aboutira pas à une condamnation, il n'en faut pas moins l'ouvrir, lorsque les conditions procédurales sont réunies. En bref, il ne faut pas confondre recevabilité et bien-fondé. Sauf à prendre en compte l'intervention déterminante de la victime, on confine alors avec un système dans lequel la légalité des poursuites supplante l'opportunité.


Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du Centre de recherche en droit privé de l'Université François-Rabelais de Tours (EA 2116)


La jurisprudence répressive amène, bien plus fréquemment, à s'interroger sur la question de la recevabilité des constitutions de partie civile (voir supra) que sur celle de leur sanction, lorsqu'elles sont considérées comme abusives ou dilatoires. C'est sur ce dernier point que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a, pourtant, été invitée à statuer dans deux décisions en date du 2 et du 9 mai 2012.

Dans la première affaire, une personne est attraite devant le tribunal correctionnel sur le fondement de l'article 91 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7165A47), par celui qu'elle avait accusé d'être l'auteur d'une escroquerie à son encontre. La disposition concernée autorise les personnes visées par une plainte avec constitution de partie civile à demander des dommages et intérêts au plaignant, lorsque l'information s'est soldée par une ordonnance de non-lieu. Elles peuvent alors saisir le tribunal correctionnel où l'affaire a été instruite d'une demande d'indemnisation, par voie de citation.

La plaignante, ainsi citée, s'efforçait de démontrer, devant le tribunal correctionnel, en quoi sa plainte n'était pas abusive, contrairement à ce qu'avait décidé le juge d'instruction qui l'avait condamnée au paiement d'une amende civile sur le fondement de l'article 177-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4539AZ7), par une ordonnance du 5 mai 2009 devenue définitive.

Selon la plaignante, le tribunal correctionnel n'était pas lié par la décision du juge d'instruction, qui n'avait pas autorité de la chose jugée et qui ne valait que comme présomption simple de faute. Elle pouvait donc apporter la preuve que son action n'était pas fautive.

Pourtant, comme le rappellent, très justement, les juridictions du fond, puis la Cour de cassation dans le présent arrêt, son argumentation ne tient pas, compte tenu du dernier alinéa de l'article 91 du Code de procédure pénale. Celui-ci prévoit, expressément et de façon très claire, que "lorsqu'une décision définitive, rendue en application de l'article 177-2 du Code de procédure pénale, a déclaré que la constitution de partie civile était abusive ou dilatoire, cette décision s'impose au tribunal correctionnel".

La contestation de la condamnation à une amende civile par le juge d'instruction, est prévue par la loi, même si la Chambre criminelle de la Cour de cassation, ayant considéré que ce dispositif sanctionnateur ne relevait pas du champ de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) (4), un double degré de juridiction ne s'imposait pas (5).

En effet, l'article 177-2 du Code de procédure pénale précise que la décision du juge d'instruction prononçant l'amende civile "ne peut intervenir qu'à l'issue d'un délai de vingt jours, à compter de la communication à la partie civile et à son avocat, par lettre recommandée ou par télécopie avec récépissé, des réquisitions du procureur de la République, afin de permettre à l'intéressé d'adresser des observations écrites au juge d'instruction", ajoutant que cette décision peut être frappée d'appel.

La discussion est donc ouverte sur le bien-fondé de l'amende civile. Mais, contrairement à ce que pouvait penser la plaignante, qui avait mal choisi le moment pour l'entamer, elle est bel et bien close une fois la décision devenue définitive.

L'argumentation soutenue par la plaignante, même séduisante, ne pouvait prospérer devant le tribunal correctionnel.

Dans la seconde affaire, par un arrêt en date du 9 mai 2012, la Cour de cassation vient, encore, rappeler ce qui pouvait passer pour une évidence, compte tenu de la clarté de la disposition légale en question.

En l'espèce, la constitution de partie civile formée par une société qui s'estimait victime de diffamation publique, a été suivie d'un renvoi devant le tribunal correctionnel, qui a condamné les prévenus. La cour d'appel a infirmé cette décision, considérant que la constitution de partie civile, qui ne répondait pas aux exigences légales, devait être annulée, ce qui entraînait la nullité des poursuites. Les prévenus, renvoyés des fins de la poursuite, sollicitaient des dommages et intérêts pour abus de constitution de partie civile, ce que leur accordait la cour d'appel.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation casse cette décision au visa de l'article 472 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9928IQR), selon lequel "dans le cas prévu par l'article 470 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9932IQW), lorsque la partie civile a elle-même mis en mouvement l'action publique, le tribunal statue par le même jugement sur la demande en dommages-intérêts formée par la personne relaxée contre la partie civile, pour abus de constitution de partie civile ". Or, l'article 470 du Code de procédure pénale vise une seule hypothèse, celle de la relaxe du prévenu.

A la cour d'appel, qui avait cru pouvoir assimiler nullité des poursuites et relaxe, la Cour de cassation répond fermement que "le prononcé de la nullité de la poursuite n'entre pas dans les cas prévus limitativement par l'article 470 du Code de procédure pénale, et ne saurait être assimilé à une décision de relaxe".

Les deux décisions de la Chambre criminelle de la Cour de cassation permettent de voir que la sanction financière, à laquelle peut aboutir l'abus de constitution de partie civile, peut être un moyen efficace de se prémunir contre les excès inhérents au rôle accordé aux accusateurs privés (6). Cette sanction reste, néanmoins, très encadrée, sans doute, afin de ne pas réduire à néant le mécanisme même de l'action civile.


Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'Institut de droit privé de l'Université Toulouse I - Capitole (EA 1920)


II - Un retour à la garde à vue

  • Applicabilité absolue dans le temps des impératifs européens, relatifs à la garde à vue ; sanction de l'information tardive du curateur d'une personne gardée à vue (Cass. crim., 3 mai 2012, n° 11-88.725, F-P+B N° Lexbase : A3780INC)

De l'arrêt du 3 mai 2012 rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, on pourrait retenir nombre de choses, tant le requérant a manifesté un zèle, bien compréhensible, dans l'exercice de sa défense. Il avait, notamment, posé une question, relative à la constitutionnalité de l'article 416 du Code civil (N° Lexbase : L8398HWX), que la Cour de cassation avait finalement refusé de transmettre au Conseil constitutionnel, parce que l'article en question n'était pas applicable au litige et qu'il ne constituait pas le fondement des poursuites engagées à son encontre (7). Reformulant cette question en invitant, cette fois, la Cour de cassation à y répondre directement, il se heurte, bien logiquement, à l'autorité de la chose précédemment jugée, la Cour de cassation refusant d'y répondre de nouveau, fût-ce dans une optique autre que celle de la saisine du Conseil constitutionnel.

Retenons donc simplement, que la Chambre criminelle de la Cour de cassation considère, en l'espèce que, malgré le fait que la garde à vue se soit déroulée antérieurement aux arrêts "Salduz" et "Dayanan", et à tout ce qu'ils ont provoqué par la suite, il n'en demeure pas moins nécessaire de sanctionner les inéluctables absence de notification du droit de se taire et assistance insuffisamment effective d'un avocat, propres au droit en vigueur à l'époque.

Point de nuance à faire, donc, selon le temps des gardes à vue mises en cause, mais il n'y a pourtant pas là objet à s'indigner puisque, d'une part, il ne s'agit que de suivre les directives de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, qui n'incitait pas à distinguer (8) et, d'autre part, cela permet de rappeler que les arrêts "Salduz" et "Dayanan" ont davantage provoqué une diffusion de la jurisprudence européenne, qu'un véritable changement de cap. Le point de départ de la relecture de la garde à vue à l'aune de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme est, en effet, bien antérieur à ces deux décisions dont, au demeurant, la portée est encore incertaine (9).

Retenons également, qu'il est, désormais, nécessaire, en vertu de l'article 706-113 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9289HWX), que le curateur d'une personne majeure protégée soit avisé des poursuites dont cette dernière fait l'objet. En l'espèce, cette information ayant été communiquée trop tardivement au curateur, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle à l'ordre les juges du fond qui n'avaient pas cru bon de voir dans ce retard un grief porté aux intérêts du mis en cause.


Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du Centre de recherche en droit privé de l'Université François-Rabelais de Tours (EA 2116)


III - Un regard comparatif porté sur l'encadrement des mesures d'instruction

  • Conventionalité d'un délai de quatre jours pour présenter une personne privée de liberté devant un juge ; inapplicabilité d'une déclaration d'inconstitutionnalité aux faits antérieurs à cette déclaration ; validité d'écoutes téléphoniques ; impossibilité d'invoquer la nullité de l'interrogatoire d'autrui (Cass. crim., 10 mai 2012, n° 11-87.328, F-P+B N° Lexbase : A0683IMA)

À l'aune du réexamen progressif du droit de la garde à vue, le droit de l'instruction est, à son tour, à l'incitation de justiciables encouragés par les décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'Homme, éprouvé par les juridictions pénales.

En l'espèce, une information était ouverte en France, plus précisément à Lyon, contre une personne dénommée, des chefs de proxénétisme aggravé en bande organisée et traite d'êtres humains aggravée en bande organisée. Par l'entremise d'un mandat d'arrêt européen, ladite personne était arrêtée en Allemagne, puis remise au procureur de la République de Strasbourg qui, un peu moins de quatre jours plus tard, la transférait, à son tour, au juge d'instruction mandant. Le mis en examen subissait alors différents interrogatoires et confrontations, mais ces derniers ne faisaient l'objet d'aucun enregistrement audiovisuel. Dans le cadre de l'information, des écoutes téléphoniques avaient été mises en place et d'autres personnes que le mis en examen, également mises en cause, avaient été auditionnées ou interrogées, tous ces éléments concourant à consolider les charges qui pesaient contre lui.

En conséquence, le mis en examen remettait en question le retard avec lequel il avait été présenté devant le juge d'instruction et l'absence d'enregistrement de ses interrogatoires et confrontations par ce dernier, et souhaitait aussi obtenir l'annulation de certaines écoutes téléphoniques ainsi que des déclarations des autres mis en cause qui l'incriminaient. Toutes ses demandes étaient rejetées par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, puis par la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

En premier lieu, la privation de liberté d'un peu moins de quatre jours qu'il a subie antérieurement à sa présentation au juge d'instruction, "magistrat habilité à statuer en toute impartialité sur la légalité et le bien-fondé de celle-ci", était, selon la Cour de cassation, compatible avec l'exigence de brièveté posée par l'article 5 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4786AQC). Le texte de cet article précise, en effet, que "toute personne arrêtée ou détenue [...] doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires", autorité judiciaire que ne peut être le procureur de la République, mais que constitue, sans conteste, le juge d'instruction.

Or, outre qu'"aussitôt" signifie davantage promptement qu'immédiatement (10), la Cour européenne des droits de l'Homme ayant déjà pu considérer qu'un délai de quatre jours, pris pour présenter une personne privée de liberté, à un juge n'était pas contraire à l'article 5 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (11), en l'espèce, ce délai ne pouvait pas être plus court, en raison d'impératifs logistiques et sécuritaires, dus, notamment, à la distance à parcourir et à la période hivernale. Dès lors, il n'y avait pas eu violation de l'article considéré.

En deuxième lieu, le mis en examen mettait en avant la décision du Conseil constitutionnel du 6 avril 2012 (Cons. const., décision n° 2012-228/229 QPC du 6 avril 2012, N° Lexbase : A1496IIA), ayant, notamment, invalidé une partie de l'article 116-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8634HWP) qui prévoyait, qu'en matière criminelle, les interrogatoires menés par le juge d'instruction ne feraient l'objet d'un enregistrement audiovisuel, qu'à la condition qu'il ne s'agisse pas, comme c'était le cas en l'espèce, de criminalité organisée (12). À la suite de cette décision, il faut donc procéder à l'enregistrement de l'ensemble des interrogatoires en matière criminelle.

Or, la mise en examen et les interrogatoires du requérant s'étant déroulés avant la décision du Conseil constitutionnel, aucun enregistrement n'avait effectivement été mis en oeuvre. La Chambre criminelle de la Cour de cassation ne s'en formalise, cependant, pas, précisant simplement que "dans sa décision du 6 avril 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnels les septièmes alinéas des articles 64-1 (N° Lexbase : L9757IP3) et 116-1 du Code de procédure pénale, a dit que leur abrogation prendrait effet à compter de la publication de sa décision et qu'elle ne s'appliquerait qu'aux auditions des personnes gardées à vue et aux interrogatoires des personnes mises en examen qui seront réalisés à compter de cette date".

On est alors en droit, sur ce point précis, de douter de la légitimité de la solution rendue par la Cour de cassation : au moment où le pourvoi est formé par le requérant, une question prioritaire a été formulée, mais la réponse du Conseil constitutionnel n'est pas encore connue. Le requérant s'est, cependant, référé à ladite question dans son pourvoi, s'inscrivant donc, de la sorte, dans la démarche de celui qui l'a posée. Or, contrairement à ce dernier, il ne bénéficiera ni du sursis à statuer dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel, ni de la décision elle-même, pourtant rendue avant celle de la Cour de cassation... Conception bien restrictive de la protection constitutionnelle !

Au surplus, par une appréciation globale qui, en vérité, masque surtout la véritable question, la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne perçoit pas non plus l'absence d'enregistrement audiovisuel des interrogatoires comme contrariant la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Selon elle, en effet, "il n'en est résulté aucune atteinte à ses droits conventionnellement protégés, qu'il s'agisse de ses droits de la défense ou de celui à un procès équitable, dès lors que l'intéressé a été mis en mesure d'être assisté par un avocat, qu'il a eu la possibilité de vérifier la transcription sur les procès-verbaux, authentifiée par un greffier, des questions posées et des réponses données, de demander toute rectification et de contester, à tous les stades de la procédure, le sens et la portée de ses propos transcrits". Quelle utilité, en ce cas, à prévoir un enregistrement des interrogatoires, au demeurant difficile à mettre en oeuvre ?

En troisième lieu, malgré plusieurs erreurs matérielles, apparemment commises par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, -les écoutes sont successivement présentées dans l'arrêt comme ayant débuté le 6 août 2008, 2009 puis 2010-, il semble que le problème concernait essentiellement des écoutes téléphoniques ayant eu lieu plus de quatorze jours après l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant décidé de leur mise en oeuvre pour cette durée, mais moins de quatorze jours après leur mise en place effective. Le choix du point de départ du délai était donc déterminant, puisque de celui-ci dépendait la validité des écoutes effectuées durant la période litigieuse. Pour la Cour de cassation, c'est la mise en place effective des écoutes qui marque le point de départ du délai, la procédure étant de la sorte sauve. Cela permet, d'ailleurs, de valider d'autres écoutes réalisées postérieurement, à la suite de plusieurs prolongations de la procédure, ces écoutes ayant eu pour support ce qui a été entendu durant la période litigieuse.

En dernier lieu, la Chambre criminelle de la Cour de cassation confirme sa jurisprudence récente, en vertu de laquelle on ne peut solliciter l'annulation de la garde à vue d'autrui (13), et l'étend aux interrogatoires par le juge d'instruction. La jurisprudence "Mathéron", pourtant née d'une nécessité pour la France de se conformer aux exigences européennes, paraît donc révolue...


Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du Centre de recherche en droit privé de l'Université François-Rabelais de Tours (EA 2116)


IV. Une précision sur l'office du juge en matière de nullités

  • L'incompétence de l'agent verbalisateur ne peut être relevée d'office par la juridiction de jugement (Cass. crim., 6 juin 2012, n° 11-87.180, F-P+B N° Lexbase : A8930IN3)

Le lien, que l'on pouvait croire inébranlable, entre la qualification d'ordre public accordée à une règle et la possibilité pour le juge de relever d'office sa violation, ne l'est pas, à la lecture de l'arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 6 juin 2012.

En l'espèce, la juridiction de proximité de Paris relaxe la prévenue du chef de violation d'un arrêté de police, en relevant d'office l'irrégularité du procès-verbal caractérisant l'infraction, motif pris de l'incompétence de l'agent verbalisateur.

La typologie des nullités est essentiellement élaborée par la jurisprudence, sous réserve des rares nullités textuelles émaillant le Code de procédure pénale, et les juridictions répressives classent traditionnellement la violation des règles de compétence au sein de la catégorie des nullités d'ordre public, par opposition aux nullités d'intérêt privé, pour lesquels il faut démontrer un grief.

Les règles de compétence concernées sont celles relatives à la compétence juridictionnelle (14), comme celles touchant à la compétence de différents intervenants au procès pénal. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi considéré que, doit être annulée, la perquisition réalisée par des agents de la répression des fraudes, chargés d'assister la police judiciaire, qui n'avaient pas prêté serment (15), comme celle réalisée par des agents des impôts qui y participaient irrégulièrement (16), ou une citation délivrée par un huissier territorialement incompétent (17).

L'incompétence de l'agent verbalisateur paraît donc, naturellement, relever de la même catégorie des nullités d'ordre public. On peut alors s'étonner, à la lecture de l'arrêt du 6 juin 2012, qu'elle ne puisse être relevée d'office par la juridiction de jugement et, partant, qu'elle ne puisse l'être même après l'ouverture des débats.

Néanmoins, le lien existant entre nullité d'ordre public et relevé d'office est distendu à la lecture d'arrêts de la Cour de cassation décidant, sur le même fondement que celui visé par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans l'arrêt du 6 juin 2012, "qu'il résulte de l'article 385 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3791AZG), que les juges ne peuvent prononcer la nullité de la citation ou d'un acte de la procédure antérieure, que s'il en a été excipé par les parties dans les conditions prévues par ce texte ; que cette règle s'applique à toutes les nullités, mêmes substantielles, touchant à l'ordre public, à la seule exception de celles affectant la compétence" (18). Le lien est d'autant plus distendu, que la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise que l'exception ne concerne que les règles affectant la compétence juridictionnelle (19).

La présente espèce, qui ne mettait pas en cause une question de compétence juridictionnelle, s'insère donc parfaitement dans la lignée de cette jurisprudence sélective.

Toutefois, il soulève une autre interrogation. En effet, l'article 429 alinéa 1er, du Code de procédure pénale ([LXB=L3835AZ3c]) dispose que "tout procès-verbal ou rapport n'a de valeur probante que s'il est régulier en la forme, si son auteur a agi dans l'exercice de ses fonctions et a rapporté sur une matière de sa compétence ce qu'il a vu, entendu ou constaté personnellement". Il ressort de cette disposition, que l'incompétence matérielle du rédacteur d'un procès-verbal n'est pas sanctionnée par la nullité, mais par la perte de force probante du procès-verbal. Si ces deux sanctions ont un effet commun, le procès-verbal ne pouvant alors plus fonder une condamnation pénale (20), elles suivent un régime juridique différent.

On peut en déduire, que seule l'incompétence territoriale du rédacteur d'un procès-verbal constitue une cause de nullité, les deux sanctions ne pouvant, logiquement, se cumuler, et une nullité qui, bien qu'étant d'ordre public, devra être soulevée avant toute défense au fond.


Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'Institut de droit privé de l'Université Toulouse I - Capitole (EA 1920)


(1) L'article 68 de la Constitution (N° Lexbase : L0897AHP), relatif au fonctionnement de la Haute Cour, seule juridiction apte à juger le Président de la République durant son mandat, fait, effectivement, référence à une loi organique qui n'a toujours pas été adoptée.
(2) Dans les hypothèses où un magistrat du ministère public a des compétences en matière de privation de liberté, puisqu'il peut alors y avoir contrariété avec l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Voir, à cet égard : CEDH, 10 juillet 2008, Req. 3394/03 (N° Lexbase : A5462D98).
(3) Même s'il faut, préalablement, une plainte de la victime ou de ses ayants droit, ou une dénonciation officielle par l'autorité du pays où le fait a été commis, le ministère public est, une fois cette formalité accomplie, le seul maître du déclenchement des poursuites.
(4) Cass. crim., 27 février 2002 (N° Lexbase : A3826AYD), Bull. crim., n° 47.
(5) La possibilité, pour le juge d'instruction, de prononcer l'amende civile à l'encontre de l'auteur d'une constitution de partie civile abusive ou dilatoire, jusque-là réservée à une juridiction de jugement saisie par le parquet, ne date que de la loi du 15 juin 2000 (loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes N° Lexbase : L0618AIQ). La décision précédemment indiquée de la Chambre criminelle de la Cour de cassation est donc postérieure à son entrée en vigueur.
(6) Sur cette question, lire O. Mouysset, Contribution à l'étude de la pénalisation, LGDJ, 2008, n° 11 à 13.
(7) Cass. crim., 4 avril 2012, n° 11-88.725, F-D (N° Lexbase : A6959IIL).
(8) Ass. plén., 15 avril 2011, 4 arrêts, n° 10-17.049, P+B+R+I (N° Lexbase : A5043HN4), n° 10-30.242, P+B+R+I (N° Lexbase : A5044HN7), n° 10-30.313, P+B+R+I (N° Lexbase : A5050HND) et n° 10-30.316, P+B+R+I (N° Lexbase : A5045HN8).
(9) Voir surtout : CEDH, 8 février 1996, Req. 41/1994/488/570 (N° Lexbase : A8396AWU).
(10) Promptement est, d'ailleurs, une meilleure traduction de l'anglais "promptly", adverbe utilisé dans la version anglaise de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.
(11) CEDH, 29 juin 1988, Req. 10/1987/133/184-187 (N° Lexbase : A6499AWM).
(12) Cons. const., décision n° 2012-228/229 QPC du 6 avril 2012 (N° Lexbase : A1496IIA) ; nos obs., Chronique de procédure pénale - Mai 2012, Lexbase Hebdo n° 483 du 3 mai 2012 - édition privée (N° Lexbase : N1662BTQ).
(13) Voir Cass. crim., 14 février 2012, n° 11-84.694, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3688ICL) ; nos obs., Chronique de procédure pénale - Mars 2012, Lexbase Hebdo n° 476 du 8 mars 2012 - édition privée (N° Lexbase : N0622BT9). Voir aussi Cass. crim., 7 mars 2012, n° 11-88.118, F-P+B (N° Lexbase : A8997IBT) ; Cass. crim., 13 mars 2012, n° 11-88.737, F-P+B (N° Lexbase : A9957IGU) ; nos obs., Chronique de procédure pénale - Mai 2012, Lexbase Hebdo n° 483 du 3 mai 2012 - édition privée (N° Lexbase : N1662BTQ).
(14) Cass. crim., 29 avril 1996, n° 95-83.110 (N° Lexbase : A9186ABT), Bull. crim., n° 172 ; Cass. crim., 22 mai 1996, n° 95-84.899 (N° Lexbase : A9252ABB), Bull. crim., n° 212.
(15) Cass. crim., 3 décembre 1998, n° 98-83.443 (N° Lexbase : A9512CEZ), Bull. crim., n° 333.
(16) Cass. crim., 22 février 1996, n° 95-85.861 (N° Lexbase : A9281ABD), Bull. crim., n° 87.
(17) Cass. crim., 8 janvier 1991 (N° Lexbase : A3335ACI), Bull. crim., n° 13.
(18) Cass. crim. 25 février 1991, n° 90-81.383 (N° Lexbase : A3368ACQ), Bull. crim., n° 94. Dans le même sens, voir : Cass. crim., 18 mai 1985, Bull. crim., n° 148.
(19) Cass. crim., 13 novembre 1996, n° 95-84.897 (N° Lexbase : A0929ACE), Bull. crim., n° 405 ; Cass. crim., 7 juin 2000, n° 99-82.788 (N° Lexbase : A4746CGU), Bull. crim., n° 219.
(20) Une précision mérite d'être apportée : le procès-verbal annulé disparaît du dossier pénal, alors que celui dépourvu de valeur probante vaut toujours, à titre de simple renseignement, la nuance étant importante dans un procès où la culpabilité repose sur l'intime conviction.

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