Jurisprudence : Cass. crim., 08-01-1991, n° 90-80.593, Cassation partielle



Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 8 Janvier 1991
Cassation partielle
N° de pourvoi 90-80.593
Président M. Berthiau, conseiller doyen faisant fonction

Demandeur X et autres
Rapporteur M. ...
Avocat général M. Robert
Avocats la SCP Waquet, Farge et Hazan, M. ...
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par X veuve Y, Y, épouse Z, ... Béatrice, parties civiles, aux droits de Y, contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, chambre correctionnelle, en date du 8 décembre 1989, qui, dans la procédure suivie contre A et B du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public et la société C comme civilement responsable, se prononçant en matière d'intérêts civils, a déclaré nulles les citations délivrées aux deux prévenus le 4 août 1987 et a constaté que l'action civile était prescrite.
LA COUR,.
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 565 et 593 du Code de procédure pénale, 5 et 7 bis du décret du 29 février 1956, défaut de motifs, manque de base légale
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré nulle la citation délivrée le 4 août 1987 à A et constaté l'extinction de l'action civile par prescription ;
" au motif qu'il est incontestable que la citation délivrée au domicile de A l'a été par le ministère d'un huissier territorialement incompétent ; que cette nullité est d'ordre public et doit être relevée d'office par la juridiction saisie, sans qu'il soit besoin de la preuve que le vice a fait grief aux droits de la partie citée ; que peu importe que la partie citée ait contribué à une telle erreur ;
" alors, d'une part, que, dès lors qu'une voie publique est située sur le territoire d'une commune déterminée, dont l'un de ses côtés constitue par ailleurs la ligne limitrophe avec une autre commune, l'huissier compétent territorialement pour signifier des actes sur le territoire de la commune à laquelle appartient cette voie publique l'est également pour signifier à personne des actes aux personnes dont le domicile, quoique situé sur la commune limitrophe, se trouve placé sur la ligne divisoire des deux communes et ouvre directement sur cette voie ; qu'ainsi l'huissier parisien qui a signifié la citation du 4 août 1987 à la personne de A, en son domicile, situé le long de la voie publique sur le territoire de la commune de Boulogne-Billancourt mais ouvert sur l'avenue D, c'est-à-dire sur la voie publique parisienne, était territorialement compétent ;
" alors, d'autre part, que la citation délivrée par un huissier territorialement incompétent n'est pas affectée d'une nullité d'ordre public ;
" alors, en toute hypothèse, que la nullité d'un exploit ne peut être prononcée que lorsqu'elle a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la personne qu'il concerne ; que la cour d'appel ne pouvait annuler la citation du 4 août 1987 sans constater le préjudice qu'aurait subi A du fait que celle-ci lui a été délivrée à personne, par un huissier territorialement incompétent ;
" alors, enfin, qu'il est constant que A lui-même situe son propre domicile à Paris, que c'est ainsi qu'il l'indique aux tiers, et que l'admet l'administration postale ; que, dès lors que le destinataire de l'acte se présente communément comme domicilié à Paris, il ne peut se prévaloir de l'irrégularité qui affecterait l'acte délivré par un huissier parisien, au seul prétexte que son domicile serait administrativement situé sur le territoire de la commune limitrophe " ;
Attendu que pour soutenir que la citation qui lui avait été délivrée le 4 août 1987 était nulle, en raison de l'incompétence territoriale de l'huissier instrumentaire, A a fait valoir que, malgré l'adresse indiquée, à Paris 16e, l'immeuble où il demeurait était situé sur le territoire de la commune de Boulogne-Billancourt dans le ressort du tribunal de grande instance de Nanterre et en a déduit l'incompétence de l'huissier auprès du tribunal de grande instance de Paris qui l'avait cité ;
Attendu que pour faire droit à cette exception, l'arrêt attaqué observe qu'il est indifférent que le prévenu ait lui-même, en l'absence de fraude, contribué à l'erreur de l'huissier qui ne peut se prévaloir de l'apparence créée et qui devait se référer au cadastre et aux services municipaux ;
Attendu qu'en cet état, c'est sans encourir les griefs du moyen que l'arrêt a constaté l'incompétence de l'huissier auquel il incombait de vérifier sa compétence laquelle est d'ordre public ; que dès lors l'acte délivré est dépourvu de tout effet légal ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 555, 556, 557 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré nulle la citation délivrée le 4 août 1987 à B et constaté l'extinction de l'action civile par prescription ;
" aux motifs que la remise d'un acte sur les lieux de travail n'est qu'une modalité de citation à personne ; que l'huissier s'est contenté de remettre la citation à l'hôtesse sur la seule affirmation de celle-ci qu'elle était habilitée à la recevoir, ce dont il n'a rapporté aucune preuve ; qu'il n'est pas établi que l'huissier ait envoyé au destinataire de la citation une lettre recommandée avec avis de réception, destinée à l'informer des conditions de remise de l'acte ; que cette carence a nui aux intérêts de B qui était absent dans les jours suivant la citation et qui invoque qu'il aurait pu autrement faire en temps opportun des offres de preuve ;
" alors, d'une part, que le domicile d'une personne s'entend du lieu où celle-ci réside habituellement ; que le domicile d'une personne citée en qualité de président d'une société anonyme se trouve au siège de la société anonyme ; que la citation délivrée à B, président de la SA C, au siège de cette société, et remise à une hôtesse employée de cette société, dont l'huissier n'a pas à vérifier la qualité, constituait une citation à domicile parfaitement régulière au regard de l'article 556 du Code de procédure pénale ;
" alors, d'autre part, qu'il résulte des mentions de la citation elle-même, qui valent jusqu'à inscription de faux, que " la lettre prévue par l'article 658 du nouveau Code de procédure civile avec la copie de l'acte de signification ont été adressées le 4 août 1987 " ; que les formalités de l'article 658 du nouveau Code de procédure civile sont analogues à celles de l'article 557 du Code de procédure pénale - envoi d'une lettre au destinataire de l'acte si celui-ci a été remis, en son absence, à son domicile à une personne s'y trouvant ; que ces mentions faisaient donc la preuve, en l'absence d'inscription de faux, de ce que les formalités de l'article 557 du Code de procédure pénale avaient été respectées, et de la régularité de la signification ;
" alors, enfin et en toute hypothèse, que la cour d'appel ne pouvait affirmer sans contradiction que la prétendue absence d'envoi d'une lettre recommandée aurait causé un grief à B en le privant du droit d'invoquer l'exception de nullité, dès lors, d'une part, que le délai pour invoquer cette exception est de 10 jours à compter de la signification de la citation, et qu'il résulte de l'arrêt lui-même que B aurait été absent du 5 au 17 août 1987, c'est-à-dire pendant plus de 10 jours après la citation du 4 août 1987 ; dès lors, d'autre part, qu'il est constant que la SA C, elle-même citée, dont B est le président-directeur général, avait notifié dans le délai légal des offres de preuve, ce qui démontrait que B avait été informé des citations et avait pu prendre les dispositions nécessaires " ;
Attendu que la citation délivrée le 4 août 1987 à la requête de Y à B du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public en raison de certains passages contenus dans l'ouvrage publié sous le titre " Seule la vérité blesse ", signé d'A, par la société C, dont le prévenu est le président du conseil d'administration, a été remise au siège de ladite société à une personne s'étant dite habilitée à la recevoir ;
Que, pour prononcer l'annulation de cette citation, la cour d'appel relève notamment qu'il n'est pas établi que l'huissier, ainsi que le prévoit l'article 557 du Code de procédure pénale, ait adressé au prévenu la lettre recommandée avec avis de réception destinée à l'informer des conditions de remise de l'acte ; que les juges ajoutent que " cette carence a nui aux intérêts de B qui invoque qu'il aurait pu autrement faire en temps opportun les offres de preuve prévues aux articles 35 et 55 de la loi sur la presse " ;
Attendu qu'en cet état, l'arrêt attaqué a justifié sa décision ;
Que, d'une part, contrairement à ce qui est allégué la référence à l'article 658 du nouveau Code de procédure civile ne saurait faire présumer qu'il a été satisfait aux prescriptions de l'article 557 du Code de procédure pénale, ce dernier texte imposant l'envoi d'une lettre recommandée avec avis de réception alors que l'article 658 précité ne prévoit qu'une lettre simple ;
Que, d'autre part, ni l'absence de Paris du prévenu ni le fait que la société qu'il dirige ait elle-même formulé des offres de preuve, n'impliquent que B n'ait pas, personnellement, été empêché de formuler de telles offres en raison de l'ignorance de l'existence de la citation qui lui était adressée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 29, 31, 65 de la loi du 29 juillet 1881, et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale
" en ce que l'arrêt attaqué a constaté l'extinction de l'action civile par prescription ;
" aux motifs que le nouveau tirage du livre litigieux survenu le 28 août 1987 n'était pas susceptible de constituer une infraction distincte de l'édition du 10 juin 1987 ; qu'un tirage subséquent ne change rien à l'affaire ;
" alors que lorsqu'un livre, réputé diffamatoire, fait l'objet de plusieurs éditions successives, la prescription ne remonte pas au jour de la première édition mais au jour de chacune des éditions nouvelles ; que la nouvelle édition de l'ouvrage le 28 août 1987 a donc fait courir un nouveau délai de prescription de 3 mois qui a été interrompu par les citations du 21 septembre 1987 et du 28 septembre 1987 " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'en matière d'infractions à la loi sur la presse, le point de départ de la prescription est le jour de la publication de l'écrit incriminé puisque c'est par cette publication que se consomment les délits que peut contenir cet écrit ; qu'il suit de là que, lorsqu'il s'agit d'une publication nouvelle ou d'une réimpression, la prescription ne remonte pas au jour de la première publication mais au jour de chacune des publications nouvelles ;
Attendu que le 21 septembre 1987, Y a fait délivrer par un huissier du ressort du tribunal de grande instance de Nanterre à A une nouvelle citation introductive d'instance fondée à la fois sur la publication de l'ouvrage incriminé mis en vente le 10 juin 1987 mais également sur une réédition du même ouvrage intervenue le 28 août 1987 ;
Attendu que pour déclarer l'action des parties civiles prescrite au regard de la réédition du 28 août 1987 comme de l'édition précédente, les juges du second degré énoncent que cette citation est inopérante au regard du nouveau tirage ce fait n'étant en rien susceptible de constituer une infraction distincte ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les principes ci-dessus rappelés et que la cassation est encore encourue de ce chef ;

Par ces motifs
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, du 8 décembre 1989, en ses seules dispositions relatives à la prescription des faits de diffamation résultant de la réédition du 28 août 1987 faisant l'objet de la citation du 21 septembre 1987, et pour qu'il soit jugé conformément à la loi
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen

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