La lettre juridique n°491 du 28 juin 2012

La lettre juridique - Édition n°491

Éditorial

Recherche identitaire et anonymat du don de sperme : le juge administratif s'en lave les mains

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N2610BTT

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


A n'en pas douter, la décision du tribunal administratif de Montreuil, rendue le 14 juin 2012, aux termes de laquelle le juge rejette la demande, présentée par une femme née d'un don de sperme anonyme, tendant à la communication de documents et d'informations concernant le donneur de gamètes à l'origine de sa conception, est bien une décision visant à conforter l'ordre social, conformément aux voeux aristotéliciens ; mais constitue-t-elle, pour autant, une décision de Justice, selon ceux de Kelsen ?

En l'espèce, la requérante demandait notamment la communication -sous réserve de son accord quant à la divulgation de cette filiation-, des données non identifiantes relatives au donneur (en particulier, son âge à ce jour ou son éventuel décès, sa situation professionnelle et familiale au moment du don, sa description physique, les motivations de son don), des données non identifiantes de nature médicale relatives au donneur (comme ses antécédents médicaux personnels et familiaux, le nombre de personnes conçues à partir de gamètes du même donneur, tout support d'information lui permettant de savoir si son frère était ou non issu des gamètes du même donneur).

A proprement parler, il ne s'agissait donc pas d'une levée de l'anonymat du donneur qui était réclamée, et encore moins sans son consentement. Tout au plus, s'agissait-il de conforter le lien familial établi entre une femme et son frère, alors que le tribunal, au comble de l'ironie, considéra que la règle de l'anonymat du donneur de gamètes répond, notamment, à l'objectif de respect de la vie familiale au sein de la famille légale de l'enfant conçu à partir de gamètes issues de ce don. Par où l'on voit que le juge administratif est meilleur arbitre du bien familial que les protagonistes eux-mêmes...

Une fois encore, le juge sort son Ethique à Nicomaque de chevet, et trouve la vertu comme juste milieu entre deux vices, comme juste milieu entre le tort commis (la crise identitaire de l'enfant) et le tort subi (celle du père qui ne se reconnaît pas comme tel). Le problème avec ce mesotês, à lire Kelsen, c'est que la vertu se définit par rapport au vice et que c'est l'autorité de l'ordre social qui détermine ce qui est mal. L'éthique aristotélicienne, sensée définir quasi-scientifiquement la Justice, laisse à l'ordre social et au droit positif -le droit de son temps donc-, finalement, le soin de déterminer l'alpha et l'oméga de ce qui est juste et, par extension, pire, de ce qui est moral...

Le don de sperme n'est pas une affaire nouvelle : les premières réussites attestées remontent à 1884 ! En France, les centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humain (CECOS) centralisent, depuis 1973, la "collecte" et jouent les intermédiaires avec les 4 000 couples demandeurs annuels. 38 à 40 000 enfants pour 9 300 "pères anonymes" : la question de la requérante prenait alors tout son sens ; les chances que son "frère de lait" fusse son "frère biologique" sont bien réelles. Est-ce, dès lors, moral de laisser une famille dans un doute aussi saisissant ?

Assurément, la question a fait débat puisque l'ancienne ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, avait proposé, en 2010, une levée partielle de cet anonymat, sur le modèle du Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP), qui aide depuis 2002 les enfants nés d'un accouchement sous X à connaître leurs origines : proposition rejetée, elle aussi, par les parlementaires. Ces derniers craignaient que la levée de l'anonymat entraînerait une raréfaction des dons de sperme ; mais surtout, intimement, ils se prévalaient de John Irving, dans Le monde selon Garp : c'est que l'anonymat garantit l'honnêteté.

Mais, où a-t-on vu que la levée de l'anonymat entraînait une baisse des dons ? En Allemagne et en Suède, le droit de connaître ses origines interdit l'anonymat du donneur qui, pour autant, ne sera jamais reconnu père de l'enfant. Et, aux Etats-Unis, le choix du père biologique se fait sur catalogue : l'industrie y est florissante, même si l'éthique n'est pas nécessairement au rendez-vous. Mais, c'est qu'en Amérique, comme en Grande-Bretagne, le don est à titre onéreux : les dérives relatives à l'exploitation du corps humain et à celle de l'espérance des milliers de couples dans l'attente d'un don semblent avoir plus trait au mercantilisme qu'à la levée de l'anonymat. C'est la gratuité du don qui semble, dès lors, garantir l'honnêteté et non l'anonymat.

Encore que la requérante, dans la décision du 14 juin 2012, ne demandait aucunement une telle transgression du droit. Elle rappelait, à juste titre, que le droit français n'interdit que la diffusion d'informations qui permettent d'identifier le donneur ; or, elle souhaitait recueillir uniquement des informations non identifiantes sur son père biologique (antécédents médicaux, raisons du don, nombre d'enfants nés de l'échantillon...).

Finalement, la Justice est un problème de valeurs et "le problème de valeurs est d'abord et avant tout un problème de conflit de valeurs", résume Kelsen. Dans ce juste milieu, éthique, entre la non reconnaissance du don, comme en Italie, parce que, pour se donner, encore faut-il s'appartenir -la laïcité italienne, on le sait, est encore en gestation-, et le merchandising de l'enfantement eugénique, la France choisit l'anonymat contre la "crise identitaire", car "mieux vaut donner sans promettre que promettre sans tenir" croit-elle : un voeu pieux car il n'est rien d'anonyme en ce monde qui ne soit, au final, révélé ; une question de temps, de moeurs, d'ordre social positif et uniquement positif. Mais, n'attendons pas que le juge administratif bouge les lignes...

newsid:432610

Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Champ d'application du secret professionnel des correspondances de l'avocat : errare humanum est, perseverare diabolicum

Réf. : Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-14.008, FS-P+B (N° Lexbase : A6622IKH)

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N2597BTD

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par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE)

Le 28 Juin 2012

L'arrêt rendu le 3 mai 2012 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation rompt avec la jurisprudence de la Chambre criminelle sur le champ d'application du secret professionnel des correspondances de l'avocat, tel qu'il résulte de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ). La Chambre commerciale casse une ordonnance en date du 2 mars 2011 de la juridiction du premier président de la cour d'appel de Rouen (CA Rouen, 2 mars 2011, n° 10/5180 N° Lexbase : A3751G9S), rejetant une demande d'annulation d'une décision du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d'Evreux, lequel avait autorisé sept agents de la direction générale des finances publiques spécialement habilités par le directeur général des impôts, assistés de quatre de leurs collègues et de trois officiers de police judiciaire, à procéder aux visites et saisies domiciliaires "nécessités par la recherche de la preuve des agissements présumés" dans divers locaux susceptibles d'être occupés par deux sociétés. Dix-sept correspondances d'avocat ont été saisies à cette occasion. Pour rejeter la demande d'annulation de la saisie des correspondances d'avocat, la motivation de l'ordonnance heureusement cassée est la suivante :

"Sur la régularité de la saisie des correspondances d'avocats qui seraient, selon elle soumise à la règle de la confidentialité, les dix-sept courriels à l'en-tête de 'X..., Avocats', pourvus d'un avis de confidentialité, celles-ci sont, en réalité, relatives à des prestations étrangères à la mission confidentielle qui doit être protégée d'un avocat dans l'exercice de sa mission de défense. En effet elles sont relatives à la domiciliation concrète des installations de la société Y.. au Luxembourg, à son raccordement téléphonique, à l'établissement de son bilan, aux retards de paiement de l'impôt au Luxembourg et au paiement des honoraires du commissaire aux comptes, toutes missions de pure gestion qui auraient pu être exercées par un autre mandataire non protégé".

La Chambre commerciale de la Cour de cassation casse l'ordonnance du 2 mars 2011 pour violation des dispositions de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 dont elle rappelle les termes.

Depuis 1990, la rédaction de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 a été modifiée à de nombreuses reprises, au gré notamment de la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui a résisté à son application.

Cette évolution rédactionnelle doit être relatée, comme doit l'être celle de la jurisprudence de la Chambre criminelle, dans laquelle s'inscrit la décision cassée par la Chambre commerciale.

Une ordonnance du 30 janvier 2009 (ordonnance n° 2009-112, portant diverses mesures relatives à la fiducie N° Lexbase : L6939ICY), et en dernier lieu une loi du 28 mars 2011 (loi n° 2011-331, de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées N° Lexbase : L8851IPI), ont complété l'article 66-5 pour tenir compte de la nouvelle activité de fiduciaire de l'avocat puis de celle d'agent sportif, instituant dans ces domaines particuliers d'exercice de l'avocat des exceptions aux principes généraux du secret professionnel énoncés à l'alinéa 1er, tenant aux règles spécifiques de ces activités. Nous n'évoquerons pas ces exceptions nouvelles, sauf pour souligner qu'elles sont les seules prévues par le texte de l'article 66-5.

Faut-il rappeler qu'il n'existe pas de société démocratique sans prééminence du droit, pas de prééminence du droit sans une justice indépendante capable de le faire appliquer, pas de justice équitable si les droits de la défense ne sont pas garantis ?

Faut-il rappeler que le secret professionnel est l'une des garanties fondamentales des droits de la défense, établi non pas dans l'intérêt de l'avocat, ni davantage dans celui de son client, mais exclusivement dans l'intérêt général, celui de la Justice ? Que dans une société libre qui consacre et protège les droits de la défense, toute personne doit pouvoir trouver en son avocat un interlocuteur auquel elle pourra se confier avec une absolue confiance, leur relation étant protégée par une confidentialité sans faille ?

Le secret professionnel est la condition sine qua non de l'exercice de la profession d'avocat.

Que les autorités de poursuites, judiciaires ou administratives, pour pallier les difficultés de leurs enquêtes, aient la tentation constante de puiser des informations à la source, directement dans la relation entre l'avocat et son client, est regrettable mais compréhensible.

Que le juge, auquel incombe également le devoir de garantir les libertés et les droits fondamentaux, succombe à la même tentation, soit en initiant soit en validant des perquisitions ou des saisies dans le cabinet d'un avocat, dans le but d'obtenir commodément des informations pourtant couvertes par le secret professionnel, voilà qui est bien plus regrettable encore, et totalement incompréhensible.

Ni l'efficacité de l'enquête ou de l'instruction, ni la nécessité de protéger les intérêts de la société ne peuvent justifier une atteinte aux droits de la défense par une violation du secret professionnel.

L'avocat est un auxiliaire de justice, non un auxiliaire de police judiciaire ou administrative.

L'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, issu de la loi du 30 décembre 1990, affirmait clairement la règle intangible du secret professionnel :

"Les consultations adressées par un avocat à son client et les correspondances échangées entre le client et son avocat sont couvertes par le secret professionnel".

Visant tout à la fois les consultations et les correspondances dans la relation entre l'avocat et son client, sans aucune restriction quant au domaine d'activité de l'avocat, le champ d'application du secret professionnel tel que défini par la loi ne semblait souffrir aucune ambigüité.

Complétant ces dispositions, la loi du 4 janvier 1993 (loi n° 93-2, portant réforme de la procédure pénale N° Lexbase : L8015H3A) a précisé, à propos des consultations, qu'étaient couvertes par le secret professionnel non seulement les consultations adressées par un avocat à son client, mais également celles qui étaient "destinées à celui-ci".

"En toute matière les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci et les correspondances échangées entre le client et son avocat sont couvertes par le secret professionnel".

Par arrêt en date du 7 mars 1994, dans un cas d'espèce où des saisies de correspondances avaient été pratiquées dans le cabinet d'un ancien conseil juridique devenu avocat, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé "qu'en effet si, selon les principes rappelés par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, les correspondances entre le client et son avocat sont, en toutes matières, couvertes par le secret professionnel, il demeure que le juge d'instruction tient de l'article 97 du Code de procédure pénale [N° Lexbase : L4269DG9 dans sa version en vigueur à l'époque des faits] le pouvoir de les saisir dès lors qu'elles ne concernent pas l'exercice des droits de la défense" (Cass. crim., 7 mars 1994, n° 93-84931, publié au bulletin N° Lexbase : A4422CGU).

Sans doute fallait-il clarifier davantage encore ce qui, pourtant, paraissait clair dans les mots "en toutes matières".

Le législateur a complété le 7 avril 1997 (loi n° 97-308, modifiant les articles 54, 62, 63 et 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L4398IT3) les termes de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, d'une part, en précisant que l'expression "en toutes matières" visait tout à la fois le domaine du conseil et celui de la défense, d'autre part, en spécifiant que le secret professionnel couvrait aussi les correspondances entre avocats, ainsi que les notes d'entretien.

Consacrant de la façon la plus explicite qui soit le principe du secret professionnel de l'avocat, et manifestement dans le but d'infléchir une jurisprudence qui n'était conforme ni au texte, ni à l'esprit de la loi, le législateur a pris soin de conclure l'énumération des documents couverts par le secret professionnel par une formulation générale englobant "toutes les pièces du dossier".

"En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel".

Pourtant et à nouveau, par arrêt en date du 30 juin 1999, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté un pourvoi formé contre un arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, en date du 5 novembre 1997, confirmant une ordonnance du juge d'instruction qui rejetait une demande de restitution de pièces saisies dans le cabinet d'un avocat, au motif notamment :

"Qu'en effet, il résulte des articles 97 et 99 du Code de procédure pénale et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme que le juge d'instruction peut s'opposer à la restitution de documents saisis dans le cabinet d'un avocat et couverts par le secret professionnel, dès lors que leur maintien sous la main de la justice en vue de déterminer l'existence d'infractions pénales est nécessaire à la manifestation de la vérité et qu'il ne porte pas atteinte aux droits de la défense" (Cass. crim., 30 juin 1999, n° 97-86.318 N° Lexbase : A5390AWK).

Relevons que dans cet arrêt, la Cour de cassation admet explicitement que les documents saisis dans le cabinet de l'avocat sont couverts par le secret professionnel, et qu'ainsi le champ d'application de ce secret tel qu'il résulte des dispositions de l'article 66-5 est enfin reconnu par la Haute juridiction.

Mais, de façon surprenante, la Cour de cassation n'en déduit pas que les pièces saisies et couvertes par le secret professionnel devraient être écartées, puisqu'elles permettent de déterminer l'existence d'infractions pénales, sont nécessaires à la manifestation de la vérité... et ne portent pas atteinte aux droits de la défense.

Oserons-nous remarquer que la défense devient infiniment plus compliquée quand au nom de la manifestation de la vérité, la preuve des infractions pénales est recherchée dans le secret de la relation entre l'avocat et son client ?

Errare humanum est, perseverare diabolicum.

Gageons que l'arrêt de la Chambre commerciale du 3 mai 2012 soit le signe annonciateur d'un revirement de la Chambre criminelle.

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Bancaire

[Jurisprudence] La "garantie solidaire" de l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier à l'aune du principe de liberté contractuelle

Réf. : Cass. com., 5 juin 2012, n° 11-18.210, F-P+B (N° Lexbase : A3916IND)

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N2569BTC

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par Alexandre Bordenave, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

Le 28 Juin 2012

On prête ces mots un rien pressés à la Marquise de Sévigné, à l'occasion d'un échange épistolaire avec sa fille, Madame de Grignan : "le tourbillon nous emporte, nous n'avons pas le loisir de nous arrêter si longtemps sur une même chose". Je ne saurai dire s'il nous emporte, mais le tourbillon financier qui tient lieu de toile de fond à nos chroniques depuis quatre ans est bien réel. Pourtant, il nous laisse le loisir de nous arrêter, à intervalles réguliers, sur une même chose : la cession de créance professionnelle des articles L. 313-23 (N° Lexbase : L9256DYH) et suivants du Code monétaire et financier (dite "cession Dailly" (1)). A ce propos, un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 5 juin 2012 nous invite à réfléchir à un point particulier du régime de la cession Dailly : le second alinéa de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9257DYI), qui dispose que "sauf convention contraire, le signataire de l'acte de cession [...] est garant solidaire du paiement des créances cédées ou données en nantissement".
Une société (le cédant) avait cédé, sous le régime de la cession Dailly, à un établissement de crédit (le cessionnaire), une créance (la créance cédée) détenue à l'encontre de l'un de ses clients (le débiteur cédé), pour garantir son obligation de remboursement d'une dette de compte courant pour laquelle le cessionnaire bénéficiait également d'une caution. Le moment venu, le cessionnaire se retourna contre le cédant (et la caution) pour obtenir le paiement des sommes lui étant dues au titre de la dette garantie ; il essuya un refus net : la cession Dailly portant sur la créance cédée ayant déjà pour objet d'assurer son complet paiement, le cessionnaire devait trouver de quoi se désintéresser directement auprès du débiteur cédé. Les tribunaux du fond abondèrent en faveur de cette thèse défendue par le cédant (et la caution), au grand dam du cessionnaire qui en appela au juge de cassation.
Ainsi, la Cour de cassation était-elle invitée à répondre à la question de droit suivante : le cessionnaire d'une créance cédée sous le régime de la cession Dailly doit-il obligatoirement diligenter ses premières poursuites en direction du débiteur cédé puis, à la condition qu'elles s'avèrent malheureuses, exciper auprès du cédant de la garantie qui lui est offerte par l'alinéa second de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier ? Au nom du sacro-saint visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), la Chambre commerciale de la Cour de cassation répond à cette question de la manière la plus simple qui soit : parce que la cession dont il était question en l'espèce avait été réalisée sous l'empire d'une convention stipulant que "le client [le cédant] s'interdit d'exiger de la banque [le cessionnaire] l'accomplissement d'une formalité quelconque ou une intervention de quelque nature que ce soit auprès du débiteur cédé, et le décharge de toute responsabilité en cas de non recouvrement pour quelque motif que ce soit des créances cédées", le cessionnaire était bel et bien en droit de poursuivre directement un paiement auprès du cédant.

Cette décision, qui n'est pas sans rappeler certaines rendues précédemment sur des sujets proches, confirme une chose : comme le laisse clairement comprendre le second alinéa de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier, la garantie due par le cédant au titre d'une cession Dailly à son cessionnaire est gouvernée par un entier principe de liberté contractuelle, s'agissant tant de l'existence même de la garantie (I) que de ses modalités de mises en oeuvre (II).

I - La "garantie solidaire", option à la disposition des parties

En disposant que la garantie qu'il met en place vaut "sauf convention contraire", l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier instaure évidemment le règne de la liberté contractuelle : les parties peuvent exclure l'application de ce texte (A) mais, à défaut de le faire, il leur est applicable (B).

A - La possible exclusion de la "garantie solidaire"

Que le cédant d'une créance garantisse (ou désire le faire) au cessionnaire le bon paiement par le débiteur cédé de la créance qu'il lui transporte ne va pas de soi. C'est ainsi que l'article 1694 du Code civil (N° Lexbase : L1804ABG), à propos d'une question fort proche (pour ne pas dire économique identique), dispose que "[celui qui vend une créance] ne répond de la solvabilité du débiteur que lorsqu'il s'y est engagé", ce que l'article 1695 du même code (N° Lexbase : L1805ABH) complète avec sévérité de la manière suivante : "lorsqu'il a promis la garantie de la solvabilité du débiteur, cette promesse ne s'entend que de la solvabilité actuelle, et ne s'étend pas au temps à venir, si le cédant ne l'a expressément stipulé". Là, l'idée directrice est claire : par principe, l'aléa de la valeur de la créance cédée (qui, in fine, ne peut valoir plus que le crédit du débiteur de ladite créance) est supporté par le cessionnaire (2). En matière de cession Dailly, vraisemblablement au nom de l'initiative prise par le cédant dans la signature du bordereau de cession et -lorsque la cession Dailly intervient à titre de garantie et non d'escompte- dans la dette qu'il a contractée envers le cessionnaire qu'il cherche à garantir via cette cession de créance, la règle de départ est inversée : si le débiteur cédé fait défaut, alors qu'il plaise au cessionnaire de discuter avec le cédant... sauf si les parties en ont décidé autrement.

En pratique, la décision contraire est souvent prise au nom d'accords commerciaux trouvés entre le cessionnaire et le cédant ; c'est d'ailleurs le cas que la cession Dailly intervienne à titre d'escompte ou de simple garantie. A titre d'exemple, dans les schémas d'escompte, on peut imaginer le cas d'un affacturage sans recours, dans lequel le factor prend à sa charge la gestion du poste clients du cédant et garantit un financement à ce dernier, nonobstant la survenance d'impayés : clairement, cela renchérit le coût de l'opération pour le cédant, puisque ce dernier transfère alors l'intégralité du risque de crédit pris sur ses clients au factor. Cette exclusion se justifie parfois par le souci de pouvoir traiter, en termes comptables, la cession comme une opération déconsolidante au sens de la norme IAS39 (3), laquelle interdit au bénéficiaire du financement de garder, eu égard aux créances cédées, un quelconque risque.

B - Le caractère supplétif de la "garantie solidaire"

L'option que nous venons de décrire n'avait pas été retenue dans les faits de l'espèce ayant abouti à l'arrêt du 5 juin 2012, dans lequel les parties avaient donc choisi de se maintenir sous le droit commun de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier. A proprement parler, ce n'est pas véritablement une surprise : la cession Dailly était consentie par le cédant à titre de garantie de certaines de ses dettes envers le cessionnaire. Or, à défaut de cette "garantie solidaire" entre le cédant et le débiteur cédé, la cession Dailly ne peut pleinement tenir lieu de garantie : elle ne réalise qu'un transfert, plus ou moins absolu, des droits du cessionnaire du chef du cédant à celui du débiteur cédé. Certes, même sans la "garantie solidaire", la cession Dailly ne libère pas automatiquement le cédant, mais elle n'offre pas au cessionnaire-bénéficiaire de la "garantie solidaire" la plénitude de ses prérogatives : non seulement, il peut agir contre le cédant au titre de la dette principale, mais encore plus contre le débiteur cédé et le cédant au titre de la créance cédée.

En l'espèce, c'était bien ce que devaient avoir en tête les parties : le cessionnaire jouissait de la cession de créance, et de la "garantie solidaire" offerte par le cédant quant au paiement par le débiteur cédé, laquelle n'est pas véritablement un cautionnement mais une sorte de garantie sui generis doublant les recours du cessionnaire (un peu comme pourrait le faire une délégation imparfaite).

Les parties ont donc toute latence pour retenir ou non la "garantie solidaire" que leur propose le législateur dans l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier. Reste ensuite à savoir ce que sont les modalités de mise en oeuvre de cette "garantie solidaire" et, plus précisément, les obligations particulières qu'elle est susceptible de créer à l'égard du cessionnaire qui en profite.

II - Les modalités de mise en oeuvre de la "garantie solidaire" à la disposition des parties

Au-delà du rappel général de ce que le second alinéa de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier est à la libre des dispositions des parties, l'arrêt du 5 juin 2012 constitue surtout un enrichissement très appréciable du régime de mise en oeuvre des droits du cessionnaire au titre de cette garantie : elle est essentiellement contractuelle (A) et peut être assortie d'une exonération de responsabilité du cessionnaire infructueux dans ses poursuites contre le débiteur cédé (B).

A - La contractualisation des modalités de mise en oeuvre de la "garantie solidaire"

La jurisprudence récente nous avait déjà fourni des éléments assez nombreux à partir desquels il était possible de déduire un régime général de mise en oeuvre par le cessionnaire des droits qu'il tire de l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier. Ainsi,

- le cessionnaire, une fois qu'il a notifié le débiteur cédé dans les formes prévues par l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9261DYN) (4), n'est pas tenu de justifier d'une poursuite judiciaire préalable à l'encontre du débiteur cédé (5 ). En l'espèce commentée, il n'était donc pas possible de reprocher au cessionnaire de ne pas avoir assigné le débiteur cédé en paiement ;

- pour autant, le cessionnaire ne peut refuser au cédant des explications quant aux raisons l'amenant à exercer ses droits au titre de la garantie légale (6 ), même si la Haute juridiction avait pu laisser entendre que l'engagement légal du cédant devait s'entendre comme faisant de lui un véritable codébiteur, justifiant un choix complet au bénéfice du cessionnaire (7). C'était précisément ce que la cour d'appel de Montpellier reprochait au cessionnaire, en l'espèce : ne pas avoir justifié d'une demande amiable adressée au débiteur cédé ou d'un événement rendant impossible le paiement par ce dernier.

Et pourtant, la Cour de cassation désapprouve, dans son arrêt du 5 juin 2012, la position des juges héraultais. Cela s'explique tout simplement parce que le contrat de cession qui régissait les conditions de la cession de créance réalisée sous l'empire du régime des cessions Dailly stipulait, en son article 10, que "le client [le cédant] s'interdit d'exiger de la banque [le cessionnaire] l'accomplissement d'une formalité quelconque ou une intervention de quelque nature que ce soit auprès du débiteur cédé, et le décharge de toute responsabilité en cas de non recouvrement pour quelque motif que ce soit des créances cédées". Les conventions légalement formées tenant lieu de loi à ceux qui les ont faites, les magistrats devaient suivre la lettre et l'esprit de cette clause qui dispensait purement et simplement le cessionnaire de toute démarche à l'égard du débiteur cédé : la cession de créance opérait donc comme une véritable alternative, une roue de secours, créant dans le patrimoine du cessionnaire des droits qu'il pouvait mettre en oeuvre ou non. Pour des raisons qui le regardent (8), il avait choisi de ne pas le faire : le cédant n'a rien à lui reprocher.

Au final, par le jeu de l'arrêt du 5 juin 2012, on constate donc une véritable extension de la contractualisation de la garantie légale de l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier : il peut y être renoncé par les parties, à la faveur du débiteur cédé, mais la possibilité pour le cessionnaire-bénéficiaire d'y faire appel peut aussi être extrêmement aménagée, au grand avantage de ce dernier.

B - L'exonération de responsabilité du cessionnaire

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin, car, à bien lire la Cour de cassation, la possibilité d'écrire contractuellement le régime de la garantie donnée par le cédant d'une cession Dailly quant au paiement de la créance cédée par le débiteur cédé va plus loin. En effet, implicitement, la Chambre commerciale semble avoir donné sa bénédiction à la partie finale de la clause que nous avons déjà citée : "[le cédant...] décharge [le cessionnaire] de toute responsabilité en cas de non recouvrement pour quelque motif que ce soit des créances cédées". Nous pensons qu'il faut comprendre qu'il est licite de stipuler dans les contrats cadres de cession Dailly (9) des clauses exonérant le cessionnaire de la responsabilité qu'il pourrait encourir à l'égard du cédant pour le préjudice que ce dernier viendrait éventuellement à subir de l'incapacité du cessionnaire à se faire payer la créance cédée par le débiteur cédé. C'est évidemment un dispositif contractuel très intéressant pour le cessionnaire qui se retrouve ainsi, en plus de ses droits au titre de la créance principale, avec deux poches dans lesquelles glisser la main pour se faire payer, sans contrainte de diligenter ses poursuites dans un ordre particulier et sans pouvoir encourir de responsabilité vis-à-vis du cédant si ce dernier est amené à payer en lieu et place du débiteur cédé.

Cela va sans dire : cette exonération ne peut avoir lieu que pour autant qu'elle repose dans les limites de la jurisprudence "Chronopost" (10), même si, comme d'autres (11), nous manquons quelque peu d'imagination quant à ce qui pourrait constituer l'obligation essentielle du cessionnaire-bénéficiaire de la garantie de l'alinéa second de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier : serait-ce l'absence de notification dans les formes prévues par l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier ? Une notification tardive, quand bien même le cessionnaire avait connaissance de difficultés financières du débiteur cédé ?

Messieurs les Magistrats, nous sommes déjà impatients de vous lire à propos de cette chose, sur laquelle nous avons, malgré le tourbillon qui nous embrasse, tout le loisir et le plaisir de nous arrêter !


(1) Disons-le une (nouvelle) fois pour toutes !
(2) Ce qui peut laisser à croire que le législateur a, historiquement, compris les cessions de créances comme des opérations spéculatives.
(3) Cf. norme IAS39.
(4) De sorte que la cession de créance réalisée sous le régime de la cession Dailly lui soit opposable, ce qui constitue la première étape de mise en oeuvre de son droit principal au titre de la créance cédée.
(5) Cass. com., 14 mars 2000, n° 96-14.034 (N° Lexbase : A3701AUM), RTDCom., 2000, p. 996, obs. R. Cabrillac.
(6) Cass. com., 18 septembre 2007, n° 06-13.736, F-P+B (N° Lexbase : A4231DYD), RTDCom., 2000, p. 821, obs. D. Legeais ; D. Robine, Les conditions du recours en garantie du cessionnaire Dailly contre le cédant, Lexbase Hebdo n° 277 du 18 octobre 2007 - édition privée (N° Lexbase : N8785BCD).
(7) Cass. com., 11 décembre 2001, n° 98-18.580, FS-P (N° Lexbase : A6421AX4), RDBF, 2002, 129, obs. A. Cerles.
(8) Sans doute pour pouvoir obtenir un paiement auprès de la caution, qu'il aura jugée plus solvable que le débiteur cédé.
(9) Voilà plusieurs fois que nous faisons référence à de tels contrats. Soyons clairs : la loi n'oblige pas à leur conclusion et la signature d'un simple bordereau conforme aux exigences formelles de l'article L. 313-23 du Code monétaire et financier. Néanmoins, des raisons pratiques commandent à ce qu'une telle convention soit conclue, en particulier lorsque des cessions sont envisagées à titre régulier.
(10) Cass. com., 22 octobre 1996, n° 93-18.632, publié (N° Lexbase : A2343ABE), Bull. civ. IV, n° 261 ; et pour le dernier avatar en matière de clause limitative de responsabilité, cf. l'arrêt "Faurecia" : Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11.841, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5360E3W), D., 2010, 1707, obs. X. Delpech ; D. Bakouche, in La Chronique de droit des contrats - Septembre 2010 (1ère esp.), Lexbase Hebdo n° 406 du 2 septembre 2010 - édition privée (N° Lexbase : N7023BPS).
(11) D., 2012, Actualité, 13 juin 2012, obs. X. Delpech.

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Congés

[Jurisprudence] La charge de la preuve du respect du droit à congés annuels

Réf. : Cass. soc., 13 juin 2012, n° 11-10.929, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8714IN3)

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N2613BTX

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 28 Juin 2012

Depuis 1936, les salariés bénéficient en France d'un droit à congés annuels qu'il paraîtrait impensable aujourd'hui de remettre en cause. Sa vocation, sinon sa vertu, est de permettre au salarié de se reposer, de se ressourcer ce qui contribue tout à la fois à permettre la matérialisation du droit au repos tiré de l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU), mais aussi à assurer un certain renouvellement de la force de travail. En somme, le repos du salarié est bénéfique au salarié comme à l'entreprise si bien qu'il ne devrait pas être permis de remplacer ces congés par une indemnité s'ajoutant au salaire. C'est ce que vient confirmer la Chambre sociale par un arrêt rendu le 13 juin 2012 (I), décision qui va cependant plus loin que le simple rappel de cette règle puisqu'elle pose désormais la charge de la preuve de l'imputabilité de la privation des congés sur les épaules de l'employeur (II).
Résumé

Eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 (N° Lexbase : L5806DLM), concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement.

Commentaire

I - L'interdiction de monétiser les congés annuels

  • Le droit des salariés au bénéfice de congés annuels

Comme l'énonce sans aucune ambiguïté l'article L. 3141-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0552H9C), "tout salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l'employeur". Ce droit, construit progressivement tout au long du XXème siècle, répond à des "motifs impérieux de santé physique, de détente intellectuelle et morale" (1) qui n'ont pas échappé au droit de l'Union européenne puisque la Directive 2003/88 du 4 novembre 2003 a vocation à fixer "des prescriptions minimales de sécurité et de santé", notamment par le biais de l'octroi de congés annuels (2). Compte tenu de l'importance revêtue par le bénéfice de ce repos annuel, le non-respect par l'employeur des règles relatives à ces congés constitue une contravention de cinquième classe prévue par l'article R. 3143-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9223H9H) (3).

Ce droit n'est cependant pas tout à fait absolu puisque le salarié peut en être privé s'il quitte l'entreprise, à son initiative ou à celle de l'employeur (4). Dans ce cas, le salarié qui n'aura pas été en mesure de solder l'ensemble des congés payés acquis au moment de la rupture pourra bénéficier d'une indemnité compensatrice de congés payés calculée selon les modalités prévues par les articles L. 3141-22 (N° Lexbase : L3940IBK) et suivants du Code du travail (5).

En outre, les modalités d'exercice de ce droit sont strictement encadrées par le Code du travail qui donne d'importantes prérogatives à l'employeur en la matière. Si les congés annuels sont un droit du salarié, les modalités de mise en oeuvre des congés ne sont pas, contrairement à une croyance populaire fortement ancrée, abandonnées au salarié qui pourrait prendre ses congés quand il le souhaite. Les articles L. 3141-12 (N° Lexbase : L0562H9P) et suivants du Code du travail placent en effet clairement l'employeur en position de décideur. Ainsi, par exemple, l'employeur peut-il imposer à tous ses salariés des dates de congés identiques lorsque l'entreprise connaît une période de fermeture annuelle (6). De la même manière, et sauf accord collectif relatif à cette question, la période durant laquelle les congés peuvent être pris est déterminée par l'employeur (7). Après demande d'avis des délégués du personnel et en respectant les critères posés par l'article L. 3141-14 du Code du travail (N° Lexbase : L0564H9R), l'employeur est libre d'établir l'ordre des départs en congés.

  • La substitution d'une indemnité au bénéfice effectif de congés annuels

Reste que la conciliation entre le droit du salarié et les pouvoirs de l'employeur est parfois malaisée. Si le comportement d'un employeur visant délibérément à priver le salarié de ses congés est évidemment condamnable (8), que faire lorsque le salarié demande à l'employeur de ne pas prendre de congés pour bénéficier d'une majoration de son salaire parce qu'il a besoin d'argent ?

Par principe, la Cour de cassation considère, dans ces cas de figure que l'indemnité de congés payés ne peut se cumuler avec un salaire : soit le salarié est en congés, il ne perçoit pas de salaire mais perçoit l'indemnité ; soit le salarié travaille, il n'est pas en congés, perçoit son salaire mais ne peut percevoir l'indemnité (9). Il n'est donc pas possible de "monétiser" les congés payés (10). Le salarié ne peut obtenir le paiement des congés dont il n'a pas bénéficié qu'à la condition de montrer qu'il en a été privé du fait de l'employeur.

Ainsi, la Chambre sociale juge, par exemple, qu'une indemnité "n'est due qu'au salarié qui prend ses congés payés ou, s'il ne les prend pas, qui a été empêché de les prendre du fait de l'employeur" (11). Dit autrement, le salarié ne peut obtenir d'indemnité remplaçant les congés qu'à la condition que l'employeur se soit "opposé à la prise de congés" (12). Une indemnité peut également être versée si le salarié a été privé d'une partie de ses congés du fait d'une erreur de calcul de l'employeur (13). Certaines décisions, rendues il est vrai à propos d'autres congés que les congés annuels, vont plus loin encore en exigeant du salarié qu'il réclame le bénéfice de ses congés (14). Bref, une recherche parfois hasardeuse et, en tous les cas, très factuelle de l'imputabilité de la privation de congés est effectuée par le juge prud'homal (15). Selon que le salarié a été privé de congés du fait de l'employeur ou de son propre fait, selon l'imputabilité de la privation de congés, l'indemnité de congés payés devra ou non être servie au salarié.

Allant jusqu'au bout de cette logique, la Chambre sociale considéra à plusieurs reprises que la charge de la preuve du comportement fautif de l'employeur reposait sur les épaules du salarié. Ainsi était débouté de ses demandes le salarié qui ne parvenait pas à rapporter "la preuve de ce qu'il n'avait pas pu prendre l'intégralité de ses congés du fait de l'employeur" (16).

  • L'espèce

Un salarié avait été engagé en 1992 pour distribuer des prospectus et démissionna six ans plus tard, démission à la suite de laquelle il saisit le conseil de prud'hommes de diverses demandes.

Parmi les nombreux moyens soulevés par le demandeur au pourvoi, seul le cinquième retiendra notre attention. Pendant les six années de travail dans l'entreprise, le salarié n'avait visiblement pas bénéficié de congés payés annuels. Pour autant, la cour d'appel débouta le salarié de ses demandes d'indemnisation du préjudice subi du fait de la privation de ses congés car, si les bulletins de salaire ne mentionnaient pas de date de congés payés, ils attestaient en revanche du versement de 10% du salaire alors que, dans le même temps, le salarié ne démontrait pas s'être trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés du fait de l'employeur.

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse la décision d'appel sur ce moyen au visa des articles L. 3141-12, L. 3141-14, D. 3141-5 (N° Lexbase : L9452H9X) et D. 3141-6 (N° Lexbase : L9449H9T) du Code du travail. Après avoir énoncé, dans un chapeau de tête, qu'"eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement", la Chambre sociale conclut que "le versement d'une indemnité ne peut suppléer la prise effective des congés" si bien que "l'employeur ne justifiait pas avoir satisfait à ses obligations".

  • Première analyse

Au moins trois éléments importants peuvent être extraits de cette motivation.

D'abord, et c'est là une précision tout à fait essentielle, la Chambre sociale s'appuie sur les textes visés et sur la Directive 2003/88/CE de l'Union européenne pour poser le principe selon lequel c'est à l'employeur qu'il appartient de prendre toutes les mesures nécessaires pour que ses salariés puissent effectivement bénéficier de leurs congés payés.

Ensuite, la Chambre sociale tire les conséquences de cette affirmation en posant le fardeau de la preuve sur les épaules de l'employeur : si le salarié n'a pas pu bénéficier de ses congés, l'employeur devra démontrer qu'il a pris toutes les mesures nécessaires, qu'il a accompli "les diligences qui lui incombent légalement".

Enfin, et c'est probablement là le plus important, la Chambre sociale n'utilise plus la formule habituelle qui consistait à affirmer que l'indemnité de congés payés ne peut se cumuler avec le salaire sauf si le salarié a été privé du bénéfice de ses congés du fait de l'employeur. Au contraire, elle énonce très clairement qu'"une indemnité ne peut suppléer la prise effective des congés" et que l'employeur aurait dû être condamné à réparer le préjudice subi par le salarié puisqu'il "ne justifiait pas avoir satisfait à ses obligations".

II - L'inversion de la charge de la preuve de l'imputabilité de la privation des congés

  • Une clarification opportune : un droit au repos

La règle est désormais posée avec une plus grande clarté par la Chambre sociale : la prise effective des congés ne peut être remplacée par le versement d'une indemnité. La Chambre sociale ne fait plus de distinction selon que la privation des congés est imputable à l'employeur ou au salarié : l'employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour que ses salariés puissent bénéficier de leurs congés. La précision apportée est d'une grande importance et, surtout, est satisfaisante pour plusieurs raisons.

Sur le fond, d'abord, parce que la règle posée permet de donner corps à l'idée selon laquelle les congés payés sont seulement destinés à se reposer, que le repos ne peut être troqué contre de l'argent. Elle permet, d'ailleurs, de mettre le droit français en conformité avec l'article 7-2 de la Directive 2003/88/CE, lequel dispose, en effet, que "la période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail" et d'écarter l'exception à ce texte lorsque la privation était imputable à l'employeur.

Sur le plan probatoire, aussi, la solution doit être saluée tant il semblait parfois bien difficile pour le salarié de rapporter la preuve que la privation des congés était imputable à l'employeur. La règle nouvelle imputant à l'employeur le manquement aux règles relatives aux congés, sauf à démontrer qu'il a pris les diligences nécessaires, répond harmonieusement aux pouvoirs de l'employeur de déterminer les dates de prises de congés ainsi que l'ordre des départs en congés annuels pour les salariés. C'est à cette fin, d'ailleurs, que la Chambre sociale vise des textes qui, de prime abord, ne semblaient avoir qu'un rapport lointain avec l'interdiction de remplacer les congés annuels par une simple indemnisation. En effet, comme nous l'avons vu, ces textes donnent de larges pouvoirs à l'employeur quant aux modalités des congés. A l'inverse, le salarié n'a pas le pouvoir d'imposer à l'employeur la prise de ses congés à telle ou telle date, pour telle ou telle durée, selon telle ou telle modalité. Partant, il aurait été fort peu logique d'attendre du salarié qu'il démontre que c'est l'employeur qui ne lui a pas permis de prendre ses congés alors même que, l'aurait-il souhaité, le salarié ne pouvait forcer l'employeur à prendre lesdits congés quand il le souhaitait !

  • Conséquences en cas de privation des congés : les dommages et intérêts remplacent l'indemnité de congés payés

Reste désormais à savoir ce qu'il se produira lorsque l'employeur n'aura pas fait bénéficier ses salariés de congés annuels. La première conséquence s'appliquera à tous les cas de figure. La seconde dépendra de l'imputabilité de la privation des congés.

Dans tous les cas de figure, d'abord, les congés ne pourront être remplacés par une indemnité, que ce soit au moment de l'exécution du contrat de travail lorsque le salarié n'aura pas été mis en mesure de prendre ses congés ou, plus tard, au moment d'un litige au cours duquel le salarié ne devrait pouvoir demander d'indemnités de congés payés pour remplacer les congés non pris. Evidemment, cette règle ne jouera pas lorsque le contrat de travail aura été rompu, rupture qui justifiera l'impossibilité de bénéficier des congés (17). En poussant la logique jusqu'à ses extrêmes, on peut cependant se demander si, dans cette hypothèse, l'employeur ne devrait pas mettre à profit le délai de préavis de démission ou de licenciement pour permettre au salarié de bénéficier effectivement de ses congés...

La seconde conséquence, ensuite, dépendra de l'imputabilité de la privation : le salarié a-t-il été privé de ses congés par l'employeur ou a-t-il refusé de les prendre ? Si l'employeur ne démontre pas qu'il a accompli toutes les diligences qui lui incombent, il aura manqué à ses obligations et, comme en l'espèce, le salarié pourra obtenir l'indemnisation du préjudice subi du fait de ce manquement. Si, au contraire, la privation est imputable au salarié, l'employeur n'ayant pas manqué à ses obligations, le salarié ne devrait percevoir aucune contrepartie, ni indemnité compensatrice, ni réparation d'un préjudice qu'il se serait finalement causé à lui-même...

  • Le passage d'une indemnisation objective à une indemnisation au cas par cas

A la vérité, ces conséquences laissent au commentateur un sentiment bien mitigé.

D'un côté, le système semble équilibré : l'employeur doit utiliser ses pouvoirs pour que le salarié prenne ses congés, s'il ne le fait pas, il est responsable et ce n'est, finalement, que dans le cas où le salarié se sera clairement opposé à la prise de ses congés malgré les efforts de l'employeur que ce dernier sera exonéré. L'obligation de l'employeur en matière de congés devient une quasi obligation de résultat dont il ne pourra s'exonérer que par la preuve de la faute de la victime. Au nom du pouvoir de direction de l'employeur, qui lui permet de sanctionner un salarié qui refuse de respecter ses décisions en matière de congés (18), la Cour aurait pu aller plus loin et imposer une véritable obligation de résultat.

D'un autre côté, le remplacement du paiement de l'indemnité de congés payés par une réparation du préjudice subi suscite l'interrogation. En effet, l'appréciation du préjudice relèvera du pouvoir judiciaire si bien qu'à une indemnité dont le montant était objectivement déterminé par le Code du travail sera substituée des dommages et intérêts dont le montant pourra varier selon l'appréciation du préjudice effectivement subi. S'il nous semble que, selon les cas, le préjudice peut être bien plus important que le seul montant des indemnités de congés payés non perçues, il serait utile de poser ce montant objectif comme plancher, comme montant minimal du préjudice qui, selon les atteintes à la santé, à la sécurité, au droit à la détente et aux loisirs, pourrait être majoré par les juges du fond. A la décharge de la Chambre sociale, il n'est pas certain qu'il soit de son ressort de déterminer un tel plancher. A bon entendeur, salut !


(1) V. J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Dalloz, 26ème édition, n° 803.
(2) V. Directive 2003/88/CE, art. 7.
(3) L'octroi de ses congés au salarié est un droit auquel l'employeur ne peut s'opposer, v. Cass. crim., 3 novembre 1994, n° 93-84.771, inédit (N° Lexbase : A1998AYN).
(4) Il en va également ainsi à l'échéance du terme d'un contrat à durée déterminée (C. trav., art. L. 1242-16 N° Lexbase : L1453H9P) ou d'une mission de travail temporaire (C. trav., art. L. 1251-19 N° Lexbase : L1558H9L).
(5) Le salarié en sera cependant privé en cas de licenciement pour faute lourde, v. C. trav., art. L. 3141-26, alinéa 2 (N° Lexbase : L0576H99).
(6) C. trav., art. L. 3141-20 (N° Lexbase : L0570H9Y).
(7) C. trav., art. L. 3141-13 (N° Lexbase : L0563H9Q).
(8) Par ex. s'agissant d'un employeur qui avait privé le salarié de congés pendant quatre années, v. Cass. soc., 10 mars 2004, n° 01-45.069, inédit (N° Lexbase : A4836DBQ).
(9) V. par ex. Cass. soc., 9 janvier 1990, n° 87-44.825, inédit (N° Lexbase : A1905AGN) ; Cass. soc., 11 avril 1995, n° 92-41.423, inédit (N° Lexbase : A1696ABG).
(10) Même le compte épargne temps, qui permet pourtant de monétiser certains repos, ne permet de transformer en rémunération que les congés au-delà des trente jours annuels, v. C. trav., art. L. 3153-2 (N° Lexbase : L3763IBY).
(11) Cass. soc., 10 février 1998, n° 95-42.334, publié (N° Lexbase : A9644AAG).
(12) Ibid.
(13) Cass. soc., 4 décembre 1996, n° 93-46.408, publié (N° Lexbase : A1940AA4).
(14) A propos d'un congé conventionnel, v. Cass. soc., 2 avril 2003, n° 01-41.698, inédit (N° Lexbase : A6618A7A).
(15) Pour une illustration tout à fait significative, v. Cass. soc., 15 décembre 2010, n° 08-42.290, F-D (N° Lexbase : A2395GNZ).
(16) Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-40.913, F-P (N° Lexbase : A1203DQM).
(17) L'exception est d'ailleurs prévue par l'article 7 de la Directive 2003/88/CE.
(18) V. par ex. Cass. soc., 23 mars 2004, n° 01-45.225, inédit (N° Lexbase : A6297DBT), RJS, 2004, p. 484.

Décision

Cass. soc., 13 juin 2012, n° 11-10.929, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8714IN3)

Cassation partielle, CA Paris, Pôle 6, 6ème ch., 30 juin 2010, n° 09/00130 N° Lexbase : A3809E4T) sur renvoi (Cass. soc., 28 octobre 2008, n° 07-43.250, F-D N° Lexbase : A0719EBA)

Textes visés : C. trav., art. L. 3141-12 (N° Lexbase : L0562H9P), L. 3141-14 (N° Lexbase : L0564H9R), D. 3141-5 (N° Lexbase : L9452H9X) et D. 3141-6 (N° Lexbase : L9449H9T)

Mots-clés : congés annuels, indemnité, privation du fait de l'employeur, preuve

Liens base : (N° Lexbase : E0006ETE)

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Contrats administratifs

[Jurisprudence] La délivrance d'une autorisation d'occupation du domaine public n'est pas, par elle-même, susceptible de porter atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 23 mai 2012, n° 348909, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0935IML)

Lecture: 7 min

N2634BTQ

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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers - Institut de droit public

Le 27 Juin 2012

Par un important arrêt n° 348909 du 23 mai 2012, le Conseil d'Etat précise les fonctions de la liberté du commerce et de l'industrie. Classiquement, cette liberté interdit aux personnes publiques de brider l'activité des opérateurs économiques par des régimes d'interdiction, d'autorisation ou de déclaration préalables qui ne seraient pas justifiées par les nécessités de l'intérêt général. En outre, le respect de la liberté du commerce et de l'industrie impose aux personnes publiques de ne prendre en charge une activité économique que sous réserve de l'existence d'un intérêt public, lequel peut résulter, notamment, de la carence de l'initiative privée. En revanche, et c'est l'apport de cet arrêt, la liberté du commerce et de l'industrie ne saurait être invoquée par les opérateurs économiques pour contraindre les personnes publiques à attribuer des autorisations d'occupation de leur domaine public de façon à améliorer la concurrence. Les personnes publiques conservent, ainsi, une liberté dans la gestion de leurs propriétés, étant entendu, toutefois, qu'elles ne doivent pas, par leurs actes, contrevenir directement au droit de la concurrence ou indirectement en mettant un opérateur économique dans une situation contraire aux exigences de la concurrence. Pour faire le point sur cette décision, Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de découvrir les observations de François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623). C'est à l'occasion d'une affaire riche d'enjeux économiques et financiers que le Conseil d'Etat a choisi de préciser la portée de la liberté du commerce et de l'industrie, en refusant d'en faire un principe permettant aux opérateurs économiques d'exiger des personnes publiques qu'elles prennent toutes les mesures nécessaires pour favoriser la concurrence sur leurs propriétés. Dans l'arrêt du 23 mai 2012, le Conseil d'Etat était saisi d'un litige né entre plusieurs sociétés diffusant des journaux dits "gratuits", c'est-à-dire des journaux financés par la seule publicité et distribués, notamment, dans les stations et couloirs du métro parisien. La RATP avait lancé en 2006 un avis public à manifestation d'intérêt en vue d'autoriser une (ou plusieurs) entreprise(s) à installer sur son domaine public (1) des présentoirs à journaux dans au moins 150 stations de métro et 20 stations de RER. La société X, qui gère deux journaux gratuits, a été choisie. La société Y, dont l'offre n'a pas été retenue, a, alors, saisi le tribunal administratif de Paris qui a annulé, par un jugement du 5 novembre 2010 (2), la décision de rejet de son offre, la décision de conclure la convention et la décision implicite rejetant sa demande de résiliation du contrat. Le tribunal administratif de Paris a, également, enjoint aux parties de saisir le juge du contrat, à défaut de résolution amiable, dans un délai d'un mois afin qu'il prononce cette résolution. Les juges de première instance ont considéré que, "par l'effet conjugué du découpage des lots, de la sélection d'un seul éditeur pour le lot principal et l'exclusivité accordée à cet éditeur, de l'absence de tout critère objectif dans la détermination du montant de la redevance, de l'existence de clauses faisant obstacle à l'installation de concurrents et visant à favoriser le candidat ayant remporté le lot principal, la RATP a porté une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie".

La RATP a fait appel et a demandé le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Paris. La cour administrative d'appel de Paris (3) a rejeté sa requête au motif que le moyen d'appel de la RATP tiré de l'absence d'atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie n'était pas sérieux (4). Saisi d'un recours en cassation dirigé contre l'arrêt de la cour administrative d'appel, il appartenait au Conseil d'Etat de dire si la RATP était tenue de respecter la liberté du commerce et de l'industrie au moment d'attribuer les autorisations d'occupation de son domaine public et si elle y avait porté une atteinte excessive. Plus largement, le Conseil d'Etat avait à se prononcer sur le positionnement et les fonctions de la liberté du commerce et de l'industrie.

1 - Classiquement, on sait que la liberté du commerce et de l'industrie, qui a la valeur d'un principe général du droit (à la différence de la liberté d'entreprendre qui a valeur constitutionnelle), remplit deux fonctions parfaitement mises en évidence par le rapporteur public M. Bertrand Dacosta (5). En premier lieu, la liberté du commerce et de l'industrie renvoie à la liberté d'exercer une activité professionnelle. Ce premier volet interdit, notamment, à une autorité administrative d'imposer une autorisation d'exercice (sauf à ce que le législateur l'ait préalablement instituée) (6). Par ailleurs, obligation lui est faite de n'imposer que les sujétions nécessaires à la sauvegarde des missions d'intérêt général qui lui reviennent.

En deuxième lieu, la liberté du commerce et de l'industrie renvoie à l'obligation qui est faite aux personnes publiques de n'intervenir dans le secteur marchand que sous réserve du respect de strictes conditions, posées par la jurisprudence dite du "socialisme municipal" en 1930 (7) et récemment rappelées et réaménagées par le Conseil d'Etat (8). Les personnes publiques ne peuvent prendre en charge une activité économique que si l'intérêt public le justifie, étant entendu que cet intérêt public peut résulter, par exemple, d'une carence de l'initiative privée (9).

Dans la présente espèce, aucune des deux fonctions précitées n'étaient en cause. La société Y entendait attribuer une troisième fonction à la liberté du commerce de l'industrie, imposée à une personne publique dans sa mission de gestion de son domaine public. Plus précisément, elle considérait que la liberté du commerce et de l'industrie lui donnait le droit "de concurrencer de manière égale les autres opérateurs privés sur les propriétés publiques" et impliquait "l'obligation pour les autorités administratives de ne pas fausser, par leurs actes, le libre jeu de la concurrence, voire de l'organiser sur leur propriété lorsqu'elle est publique" (10). Convaincu par cette argumentation, le tribunal administratif de Paris avait considéré que le RATP avait porté une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie en ne choisissant finalement qu'une offre alors qu'elle aurait pu en retenir plusieurs.

2 - Le Conseil d'Etat n'a pas retenu cette argumentation et a préféré brider la liberté du commerce et de l'industrie (11). Cette liberté ne permet donc pas aux opérateurs économiques d'imposer aux personnes publiques de prendre toutes les mesures nécessaires pour favoriser la concurrence. Cette solution paraît logique et équilibrée, même si un certain nombre d'arguments pouvait militer dans le sens d'une interprétation plus dynamique de la liberté du commerce et de l'industrie.

Dans son avis du 21 octobre 2004 (12) relatif à l'occupation du domaine public pour la distribution de journaux gratuits, le Conseil de la concurrence n'avait pas manqué de souligner que "les solutions de transport en commun, qui constituent des espaces disponibles pour l'installation de présentoirs, sont nécessairement en nombre limité et constituent une ressource rare pour les entreprises de distribution de journaux gratuits. Les restrictions d'accès à cette ressource doivent donc être justifiées par des raisons objectives [...] lorsque l'imposition d'une clause d'exclusivité résulte de raisons techniques ou financières sérieusement justifiées, le Conseil recommande qu'elle ait pour contrepartie l'organisation d'une publicité préalable pour son attribution et une durée brève d'application". Autrement dit, le Conseil de la concurrence avait considéré que le domaine public constituait une infrastructure essentielle et qu'il importait donc à la personne publique d'offrir un accès dans des conditions équitables et non discriminatoires. De la même façon, la soumission des personnes publiques au droit de la concurrence dans leurs activités de gestion du domaine public (13) pouvait plaider pour une interprétation renouvelée et élargie de la liberté du commerce et de l'industrie. On doit, d'ailleurs, relever que la jurisprudence administrative pouvait être interprétée dans le sens invoqué par la société Y. En effet, l'arrêt n° 202256 du 26 mars 1999 (14) précisait bien que l'autorité affectataire des dépendances du domaine public devait "lorsque, conformément à l'affectation de ces dépendances, celles-ci sont le siège d'activités de production, de distribution ou de services, prendre en considération les diverses règles, telles que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ou l'ordonnance du 1er décembre 1986 (ordonnance n° 86-1243, relative à la liberté des prix et de la concurrence N° Lexbase : L8307AGR), dans le cadre desquelles s'exercent ces activités [...] il revient au juge de l'excès de pouvoir, à qui il appartient d'apprécier la légalité des actes juridiques de gestion du domaine public, de s'assurer que ces actes ont été pris compte tenu de l'ensemble de ces principes et de ces règles et qu'ils en ont fait, en les combinant, une exacte application".

Malgré cela, le Conseil d'Etat a fait un autre choix, plus en phase avec l'intérêt d'une bonne gestion du domaine public. Il faut bien voir que l'occupation du domaine public par un opérateur économique n'est pas de droit. Elle est à la discrétion de la personne publique, qui est libre d'accorder une autorisation d'occupation de son domaine public et qui doit même opposer un refus aux demandes d'occupation qui ne sont pas compatibles avec l'affectation et la conservation du domaine. Cette solution s'explique par le fait que l'utilisation ou l'occupation privative du domaine public ne doit en aucun cas être préjudiciable au domaine public, c'est-à-dire à son affectation à l'utilité publique ou à son intégrité (notamment lorsqu'il s'agit du domaine public naturel). L'article L. 2121-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L8540AAK) le rappelle explicitement en disposant que "les biens du domaine public sont utilisés conformément à leur affectation à l'utilité publique. Aucun droit d'aucune nature ne peut être consenti s'il fait obstacle au respect de cette affectation". Ce souci d'une protection et d'une bonne gestion du domaine public justifie alors que la liberté du commerce et de l'industrie soit inopposable à la personne publique au moment de choisir l'occupant de son domaine. Elle est, en quelque sorte, sans effet à ce stade et n'impose donc pas à la personne publique d'organiser sur son domaine public une libre et égale concurrence, tout simplement parce que les missions d'intérêt général attachées à la gestion du domaine public dépassent celles qui se rattachent à la libre concurrence.

Faut-il en déduire que la personne publique est totalement libre et qu'elle peut à sa guise accorder une autorisation d'occupation du domaine public sans se préoccuper de ses effets sur la concurrence ? Certainement pas. Si la liberté du commerce et de l'industrie est sans effet à ce stade, le respect du droit de la concurrence s'impose, comme l'a jugé le Conseil d'Etat dès 1997 (15). En effet, la personne publique ne peut délivrer légalement une autorisation d'occupation de son domaine public lorsque sa décision aurait pour effet de méconnaître le droit de la concurrence, soit en elle-même, soit parce qu'elle place son bénéficiaire dans une situation contraire aux exigences de la concurrence.

En définitive, l'arrêt du 23 mai 2012 cantonne le champ d'application du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, mais ne réduit nullement la portée du principe de libre concurrence. Les deux principes demeurent complémentaires dans la mesure où le second prend le relais du premier. Même si la liberté du commerce et de l'industrie ne peut pas être invoquée par les opérateurs économiques pour favoriser une plus grande concurrence, le principe de libre concurrence impose aux personnes publiques de ne jamais ignorer le droit de la concurrence dans la gestion de leur domaine public. C'est dire que la liberté de gestion du domaine public, si elle continue d'exister, demeure tout de même très encadrée.


(1) La RATP n'était nullement tenue d'organiser une telle procédure de mise en concurrence (voir en ce sens, CE, S., 3 décembre 2010, n° 338272 et n° 338527, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4439GMD, BJCP, 2011, p. 36, concl. N. Escaut, AJDA, 2011, p. 21, note E. Glaser, Dr. adm., 2011, comm. 36, note F. Brenet et F. Melleray, RD imm., 2011, p. 162, note S. Braconnier et R. Noguellou).
(2) TA Paris, 5 novembre 2010, n° 0808815 (N° Lexbase : A7137GMB).
(3) CAA Paris, 1ère ch., 14 avril 2011, n° 10PA05734, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0953IMA).
(4) Il faut rappeler qu'aux termes de l'article R. 811-15 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3292ALI), "lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement".
(5) Que nous remercions pour l'aimable communication de ses conclusions.
(6) CE, Ass, 22 juin 1951, n° 00590, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5220B8T), Rec. CE, p. 362, D., 1951, p. 589, concl. Gazier, GAJA 65.
(7) CE, S., 30 mai 1930, n° 06781, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0744B9G), Rec. CE, p. 593.
(8) CE, Ass., 31 mai 2006, n° 275531, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7224DPA), Rec. CE, p. 272, concl. D. Casas, BJCP, 2006, p. 295, concl., CJEG, 2006, p. 430, concl., RFDA, 2006, p. 1048, concl., AJDA, 2007, p. 1584, chron. C. Landais et F. Lénica, Contrats Marchés publ., 2006, comm. 202, note G. Eckert, JCP éd. A, 2006, 113, comm. F. Linditch.
(9) Selon la formule employée par l'arrêt CE, Ass., 31 mai 2006, n° 275531, publié au recueil Lebon, précité.
(10) M. N. Boulouis, concl. préc..
(11) S. Braconnier, Domaine public : la liberté du commerce et de l'industrie réhabilitée, mais bridée, AJDA, 2012, p. 1129.
(12) Avis Conseil de la concurrence n° 04-A-19, 21 octobre 2004 (N° Lexbase : X4772ACQ).
(13) CE S., 26 mars 1999, n° 202256, publié au recueil Lebon ([LXB=A3523AXR)]), Rec. CE, p. 96, AJDA, 1999, p. 427, concl. J.-H. Stahl, note M. Bazex, CJEG, 1999, p. 264, concl., D. 2000, p. 204, note J.-P. Markus, RFDA, 1999, p. 977, note D. Pouyaud.
(14) CE, S., 26 mars 1999, n° 202256, publié au recueil Lebon, préc..
(15) CE, S., 3 novembre 1997, n° 169907, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5178ASL), Rec. CE, p. 406, concl. J.-H. Stahl, AJDA, 1997, p. 945, chron.T.-X. Girardot et F. Raynaud, CJEG, 1997, p. 441, concl., RFDA, 1997, p. 1228, concl., RDP, 1998, p. 256, note Y. Gaudemet.

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Fiscalité financière

[Jurisprudence] Assujettissement à l'IS des revenus mobiliers tirés du placement des sommes déposées dans les caisses des CARPA : la sanction de la rente

Réf. : CAA Lyon, 5ème ch., 24 mai 2012, n° 11LY01141, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8185INH)

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N2635BTR

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par Bernard Thévenet, Conservateur des hypothèques honoraire, Avocat au barreau de Lyon

Le 11 Juillet 2012

Dans un arrêt rendu le 24 mai 2012, la cour administrative d'appel de Lyon a accueilli le pourvoi formé par le ministre du Budget visant à assujettir la CARPA Lyon Ardèche à l'IS à raison des produits financiers qu'elle tire des placements opérés par elle avec l'argent déposé par les avocats dans ses caisses. La cour, après avoir rappelé qu'une association constituée en application de la loi de 1901 n'est pas passible, pour ses activités à but non lucratif, de l'IS, décide que les revenus des capitaux mobiliers dont la CARPA dispose relèvent de cet impôt, alors même que l'association n'en aurait la disposition qu'à titre de dépositaire. En revanche, ne sont pas à comprendre dans les bases d'imposition à l'IS, celles des recettes de l'association qui lui ont été procurées par une activité indissociable du but non lucratif poursuivi par elle, et dont la perception découle, non de la mise en valeur d'un patrimoine ou du placement de sommes disponibles, mais de la réalisation même de la mission désintéressée qui correspond à son objet social, ce qui n'est pas le cas des sommes déposées par des avocats. I - Les éléments du litige

A - Le contexte

La Caisse des règlements pécuniaires des avocats aux barreaux de Lyon et de l'Ardèche (CARPA Lyon Ardèche), constituée sous forme d'une association à but non lucratif régie par la loi du 1er juillet 1901 (loi du 1er juillet 1901, relative au contrat d'association N° Lexbase : L3076AIR), a pour objet d'organiser tous services destinés à faciliter l'exercice de la profession d'avocat et, en particulier, de tenir une caisse pour le maniement des fonds provenant des séquestres amiables et judiciaires et des ventes immobilières.

La CARPA Lyon Ardèche a spontanément déclaré et acquitté, au titre des années 2000 à 2005, l'impôt sur les sociétés au taux réduit de 10 % sur ses revenus issus de placements de fonds. Pour l'exercice 2006, elle n'a pas acquitté la cotisation d'impôt sur les sociétés établie sur la base de sa déclaration qui a été mise en recouvrement le 5 octobre 2007. Elle a demandé le dégrèvement d'office des impositions acquittées au titre des exercices 2000 à 2003 et la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2004 à 2006.

B - Une décision favorable du tribunal administratif

Après le rejet de ses réclamations par l'administration fiscale, la CARPA Lyon Ardèche a saisi le tribunal administratif de Lyon qui, par un jugement en date du 22 février 2011, a reconnu fondée la demande de décharge des cotisations à l'impôt sur les sociétés auxquelles la caisse a été assujettie au titre des années 2004 à 2006, mais a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision de l'administration de ne pas accorder le dégrèvement d'office au titre des années 2000 à 2003. Le ministre du Budget a fait appel de cette décision.

C - Annulation du jugement par la cour administrative d'appel de Lyon

Dans son arrêt du 24 mai 2012, la cour administrative d'appel de Lyon a rappelé, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions de la loi du 31 décembre 1971 (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ) et du décret du 27 novembre 1991 (décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat N° Lexbase : L8168AID) que :

  • les caisses des règlements pécuniaires des avocats ont été instituées par le législateur et que leur ont été confiées différentes missions, au nombre desquelles figure la gestion des fonds, effets ou valeurs reçus par les avocats pour le compte de leurs clients ;
  • l'adhésion des avocats à ces caisses est obligatoire ;
  • la loi prévoit que les fonds perçus par les caisses doivent obligatoirement être affectés aux services d'intérêts collectifs de la profession d'avocat, à la couverture des dépenses de fonctionnement de l'aide juridictionnelle et au financement de l'aide à l'accès au droit.

Ce rappel étant fait, la cour a considéré que la CARPA Lyon Ardèche, association régie par la loi du 1er juillet 1901, n'était pas passible de l'impôt sur les sociétés de droit commun (CGI, 206-1 N° Lexbase : A1343AQS) dès lors qu'elle se bornait, pour les avocats inscrits aux barreaux de Lyon et de l'Ardèche, à exercer les attributions dévolues aux caisses des règlements pécuniaires des avocats par les dispositions législatives et réglementaires rappelées supra, et qu'elle établissait que sa gestion était désintéressée.

S'agissant de l'imposition au taux réduit de l'impôt sur les sociétés des revenus de capitaux mobiliers, la cour a rappelé que, pour l'application des dispositions du 5 de l'article 206 du CGI précité, doivent être compris dans les bases d'imposition les revenus des capitaux mobiliers dont une association dispose, et notamment les produits des placements de sommes en attente d'emploi, alors même que l'association n'en aurait la disposition qu'à titre de dépositaire. En revanche, ne sont pas à comprendre dans les bases d'imposition à l'IS, celles des recettes de l'association qui lui ont été procurées par une activité indissociable du but non lucratif poursuivi par elle et dont la perception découle, non de la mise en valeur d'un patrimoine ou du placement de sommes disponibles, mais de la réalisation même de la mission désintéressée qui correspond à son objet social.

Or, en l'espèce, la cour a considéré que, même si la CARPA Lyon Ardèche est autorisée, pour ses fonds propres comme pour les fonds qui lui sont confiés, à procéder au placement de ces fonds, et même si les produits financiers qu'elle peut ainsi se procurer participent de ses sources principales de financement et doivent, par détermination de la loi, être obligatoirement réinvestis dans les missions d'intérêt collectif qu'elle gère, la perception de ces produits ne peut être regardée comme découlant directement de la réalisation même de la mission désintéressée qui correspond à son objet social, mais de l'activité complémentaire de placement desdits fonds. Par suite, ces produits financiers entrent dans le champ d'application des dispositions du 5 de l'article 206 du CGI, autrement dit sont imposables au taux réduit de l'IS.

II - Commentaire

Le régime fiscal des organismes sans but lucratif et, notamment, des associations, varie selon la nature des revenus. Les éventuels bénéfices tirés des activités correspondant à l'objet de l'association sont en principe exonérés de l'IS. En revanche, les revenus patrimoniaux sont, sauf exception, imposables à l'IS, mais à des taux réduits.

A - L'impôt sur les sociétés de droit commun

1 - Dispositions légales

Les personnes morales sont assujetties à l'impôt sur les sociétés en vertu des dispositions de l'article 206-1 du CGI qui prévoit : "sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés à responsabilité limitée, [...] et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif".

A contrario, les personnes morales qui exercent une activité sans but lucratif ne sont donc pas passibles de l'impôt sur les sociétés.

2 - La doctrine administrative

L'administration fiscale a précisé dans son instruction du 18 décembre 2006 (BOI 4 H-5-06 N° Lexbase : X7805ADG) que pour déterminer si les opérations d'une association sont ou non lucratives, il convient d'examiner :
- si sa gestion est désintéressée ou non ;
- si elle concurrence, ou non, le secteur commercial ;
- et si, en cas de réponse positive à la question précédente, elle exerce son activité selon des modalités de gestion similaires ou différentes de celles des entreprises commerciales.

3 - Situation de la CARPA Lyon Ardèche

S'agissant de l'assujettissement à l'IS de droit commun, la cour administrative d'appel de Lyon tranche rapidement la question. En effet, dès lors que la CARPA Lyon Ardèche ne fait qu'exercer les attributions dévolues par des dispositions législatives et réglementaires aux caisses des règlements pécuniaires des avocats, et qu'il est établi que sa gestion est désintéressée, elle n'est pas passible de l'IS de droit commun (CGI, art. 206-1). Autrement dit, la gestion de cette CARPA étant désintéressée, et son activité ne concurrençant pas le secteur commercial, son caractère non lucratif doit être reconnu sans hésitation. Même si la question de la lucrativité a été, à juste titre, rapidement tranchée, il était nécessaire qu'elle le fût. En effet, si, compte tenu des conditions de gestion de la CARPA Lyon Ardèche et/ou de la nature de ses activités, il y avait eu lieu de conclure que l'activité de l'association avait un caractère lucratif, la question de l'assujettissement ou non de ses revenus de capitaux mobiliers à l'IS (CGI, art. 206-5) devenait immédiatement sans objet. En effet, dans un tel cas, les produits financiers sont, purement et simplement, rattachés aux résultats de l'activité lucrative.

B - L'impôt sur les sociétés frappant les revenus patrimoniaux

1 - Dispositions légales

L'article 206-5 du CGI prévoit que : "sous réserve des exonérations prévues aux articles 1382 (N° Lexbase : L5733IRR) et 1394 (N° Lexbase : L8980IQN), les établissements publics, autres que les établissements scientifiques, d'enseignement et d'assistance, ainsi que les associations et collectivités non soumis à l'impôt sur les sociétés en vertu d'une autre disposition, à l'exception, d'une part, des fondations reconnues d'utilité publique et, d'autre part, des fonds de dotation dont les statuts ne prévoient pas la possibilité de consommer leur dotation en capital, sont assujettis audit impôt en raison des revenus patrimoniaux qui ne se rattachent pas à leurs activités lucratives.
Sont qualifiés de revenus patrimoniaux :
a. les revenus de la location des immeubles bâtis et non bâtis dont ils sont propriétaires, et de ceux auxquels ils ont vocation en qualité de membres de sociétés immobilières de copropriété visées à l'article 1655 ter
(N° Lexbase : L1910HMP) ;
b. les revenus de l'exploitation des propriétés agricoles ou forestières ;
c. les revenus de capitaux mobiliers dont ils disposent, lorsque ces revenus n'entrent pas dans le champ d'application de la retenue à la source visée à l'article 119 bis
(N° Lexbase : L3387IGK) ;
ces revenus sont comptés dans le revenu imposable pour leur montant brut
".

2 - Application s'agissant des revenus de capitaux mobiliers

Sont imposables à l'IS, en vertu de l'article 206-5, c du CGI, les revenus de capitaux mobiliers dont disposent les associations, lorsque ces revenus n'entrent pas dans le champ d'application de la retenue à la source visée à l'article 119 bis du CGI. Selon la nature de ces revenus, le taux d'IS applicable est différent.

3 - Les différents taux

a - Taux de 10 %

Sont taxables aux taux de 10 % :

- les produits attachés aux titres de créances négociables sur un marché réglementé en application d'une disposition législative particulière et non susceptibles d'être cotés. Entrent actuellement dans cette définition, les certificats de dépôts, les billets de trésorerie, les billets dénommés bons des institutions financières spécialisées et les bons du Trésor en compte courant, les bons des sociétés financières et les bons à moyen terme négociables. Pour ces produits, sont imposables, les intérêts et tous produits du capital représentés par le titre de créance, ainsi que toutes les prestations que le créancier reçoit à titre de rémunération complémentaire du capital, notamment sous forme de prime de remboursement. En revanche, les gains qui résultent de la cession des titres en cause ne sont pas imposables. En effet, les plus-values ne figurent pas au nombre des revenus soumis à l'impôt sur les sociétés entre les mains des organismes sans but lucratif au titre de l'article 206-5 du CGI (Doc. adm. 4 H-6112) ;

- les revenus des obligations, des titres participatifs, des effets publics et de tous autres titres d'emprunts négociables émis à compter du 1er janvier 1987 par l'Etat, les départements, les communes, les établissements publics français, les associations de toute nature, les sociétés, les compagnies et entreprises quelconques financières, ainsi que les lots et primes de remboursement attachés à ces titres.

b - Taux de 15 %

S'agissant des exercices clos à compter du 31 décembre 2009, les dividendes de source française ou étrangère perçus par les organismes sans but lucratif sont imposables au taux de 15 %.

c - Taux de 24 %

Il y a lieu de considérer que le taux de 24 % est le taux normal et qu'il s'applique dès lors que les taux de 10 et 15 % ne sont pas applicables. Sont, notamment, taxables pour leur montant brut, au taux de 24 % :
- les intérêts, arrérages et autres produits des créances, dépôts, cautionnements et comptes courants ;
- les avances, prêts ou acomptes reçus en qualité d'associés de sociétés de capitaux.

4 - Revenus de capitaux mobiliers non imposables

Deux catégories de revenus de capitaux mobiliers ne sont pas imposables à l'impôt sur les sociétés prévu à l'article 206-5 du CGI : les revenus expressément exonérés et les revenus considérés comme indissociables de l'activité non lucrative.

a - Revenus de capitaux mobiliers expressément exonérés

Les associations imposables en vertu du 5 de l'article 206 n'ont pas à comprendre, dans leurs revenus imposables :

  • les intérêts des sommes inscrites sur les livrets A et sur les anciens comptes d'épargne-construction, mentionnés aux articles L. 315-19 (plus en vigueur [LXB= L7422ABI]) à L. 315-32 du Code de la construction et de l'habitation dans un plafond de 76 500 euros (CGI, art. 208 ter, a N° Lexbase : L7435ABY) ;
  • les intérêts des sommes inscrites sur les comptes spéciaux sur livrets ouverts avant le 1er janvier 2009, dans des conditions définies par décret, par les caisses de crédit mutuel adhérentes à la Confédération nationale du crédit mutuel dans un plafond de 76 500 euros (CGI, art. 208 ter B-1 N° Lexbase : L2721IBE).
  • les intérêts, arrérages et autres produits des emprunts non négociables contractés par les régions, départements, communes, syndicats de communes et établissements publics ;
  • les produits qui entrent dans le champ d'application de la retenue à la source, en particulier les bons de caisse (CGI, art. 1678 bis N° Lexbase : L2008HMC) ;
  • les intérêts de bons sur formule qui sont soumis d'office à un prélèvement libératoire.

b - Revenus de capitaux mobiliers considérés comme indissociables de l'activité non lucrative

Le Conseil d'Etat considère que les dispositions de l'article 206-5 du CGI, c'est-à-dire l'assujettissement à l'IS des revenus de la gestion patrimoniale, ne trouvent pas à s'appliquer aux associations dont les revenus de cette nature proviennent d'une activité indissociable du but non lucratif qu'elle s'est assignée.

Cette jurisprudence, qui a été élaborée à l'égard des revenus fonciers et des bénéfices agricoles, est également applicable aux revenus de capitaux mobiliers.

C'est ainsi que le Conseil d'Etat a considéré que les revenus, qu'un comité interprofessionnel du logement (CIL) retire des prêts consentis à des taux plus avantageux que ceux du marché à des personnes appartenant à des catégories sociales dignes d'intérêt, ne sont pas imposables à l'IS frappant les revenus patrimoniaux des organismes sans but lucratifs (CE 7° et 8° s-s-r., 19 octobre 1988, n° 63939, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6765APA). Ces prêts, qui sont consentis dans un but non lucratif, participent de l'objet même du comité et les revenus qui en sont retirés ne résultent pas de la gestion du patrimoine au sens des dispositions de l'article 206-5 du CGI.

Dans ses conclusions, le commissaire du Gouvernement Le Roy a indiqué la distinction qu'il lui semblait devoir être faite des "trois régimes d'imposition dont sont susceptibles de relever les intérêts de créances perçus par un organisme non lucratif tel qu'un CIL, selon l'affectation du patrimoine qui les produit :
- non assujettissement des intérêts qui naissent de l'affectation du patrimoine (en l'espèce les fonds collectés) à l'objet non lucratif ;
- assujettissement au taux de droit commun (CGI, art. 206-1
N° Lexbase : L0111IKC) pour les intérêts qui proviendraient, le cas échéant, d'une activité commerciale (et s'y rattacheraient) ;
- assujettissement, en vertu de l'article 206-5, pour les seuls intérêts nés des placements s'apparentant à une gestion civile du patrimoine, non assimilable, ni rattachable à des BIC...
" (RJF, 1988, p. 217, concl. Le Roy).

Cette jurisprudence a été confirmée en ce qui concerne des intérêts perçus par un CIL à raison de prêts consentis à des sociétés de construction. En effet, précise l'arrêt, le comité fait valoir, sans être contredit par l'administration, que lesdits intérêts résultent de l'application de conventions conclues en conformité avec les dispositions réglementaires applicables en la matière et ont été utilisés, conformément aux prescriptions de l'article R. 313-25 du Code de la construction (N° Lexbase : L1506ITX), pour la réalisation de l'objet social dudit comité. Le moyen invoqué par l'administration pour justifier l'assujettissement des intérêts dont il s'agit est inopérant dès lors qu'il consiste simplement à relever que les prêts productifs des intérêts en litige ont été consentis pour une durée pouvant aller jusqu'à cinq ans, à des sociétés commerciales de droit commun à des taux allant de 8 à 13,5 %.

En revanche, le Conseil d'Etat a jugé que le CIL de Voiron n'était pas fondé à revendiquer l'exonération des revenus de capitaux mobiliers ou les produits des placements des sommes en attente d'emploi dont il disposait (CE 9° et 8° s-s-r., 1er octobre 1993, n° 96424, inédit au recueil Lebon [LXB=A11026ANC]). En effet, ces revenus ne pouvaient être regardés, ni comme la contrepartie de services rendus à ses membres, ni comme le produit d'opérations faites à des prix homologués par l'autorité publique ou à des prix non comparables à ceux du secteur commercial.

De la même façon, les produits financiers tirés du placement des ressources dont bénéficie le Groupement national interprofessionnel des semences et plants, qui a pour objet la surveillance et le contrôle du marché des graines de semences et des plants, ont été considérés comme taxables par le Conseil d'Etat (CE 9° et 8° s-s-r., 25 janvier 1989, n° 58877, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0848AQH). En effet, bien que le groupement ait soutenu que, compte tenu des aléas culturaux inhérents à toute activité agricole et dont dépend le volume de ses ressources, il est tenu de se constituer des recettes financières lui permettant d'assurer la permanence de ses activités, le juge a, pour sa part, considéré que les produits financiers retirés par le Groupement du placement des sommes non utilisées constituent des revenus de capitaux mobiliers qui ne peuvent pas être regardés comme des recettes procurées par une activité indissociable du but non lucratif qu'il poursuit et dont la perception découlerait de la réalisation même de sa mission désintéressée.

Il a, également, été jugé que les revenus perçus par l'Office franco-québécois pour la jeunesse ne peuvent pas être regardés comme indissociables du but poursuivi par cet organisme, dès lors que ces revenus sont le produit de placements de sommes en attente d'emploi (CAA Paris, 6 décembre 1990, n° 89PA00908, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8931A8B).

Cette jurisprudence n'est pas d'une clarté aveuglante. Il faut comprendre, semble-t-il, que lorsqu'une association, comme une CARPA, dispose de fonds en attente d'emploi et que, en gestionnaire avisé, elle place ces fonds dans le but d'en retirer des produits financiers, cet acte de gestion est, sauf exception, détachable de la mission désintéressée qui correspond à son objet social. Mais il est aussi possible de soutenir la position inverse, consistant à dire que les placements avisés de l'association vont lui procurer des nouvelles ressources qui lui permettront une action plus soutenue dans le cadre de sa mission désintéressée. Toutefois, cette thèse reviendrait à priver l'article 206-5 de toute portée puisque, dans la généralité des cas, les revenus patrimoniaux vont abonder les autres ressources de l'association, celles spécifiquement dédiées à l'activité non lucrative.

Or, cet assujettissement à l'IS des revenus patrimoniaux vise à "sanctionner" fiscalement les associations qui, grâce, à leurs excédents de recettes, accumulent du patrimoine et se transforment en rentières, étant observé que ces excédents de recettes sont, en général, regardés comme un indice de lucrativité. Pourtant, s'agissant des organismes dont la vocation est de collecter des fonds en attente d'emploi, la thèse de la constitution d'une rente n'est pas opérante. Si les produits financiers retirés du placement de ces fonds constituent, sans doute, une aubaine, ne pas procéder à ces placements serait une faute. En ce qui concerne les CARPA, il est évident que ce sont les produits financiers procurés par ses placements qui lui permettent de participer, plus ou moins, selon les gains obtenus, au financement des actions de formation, des dépenses de fonctionnement du service de l'aide juridictionnelle et de l'aide à l'accès au droit. Mais cette participation aux frais du barreau, relatifs à ces actions, ne correspond pas à l'objet statutaire des CARPA, qui est d'organiser tous services destinés à faciliter l'exercice de la profession d'avocat et, en particulier, de tenir une caisse pour le maniement des fonds provenant des séquestres amiables et judiciaires et des ventes immobilières. Par conséquent, les produits financiers tirés des placements des fonds en attente de placement ne sont pas directement liés à la réalisation de l'objet social, ils sont simplement le fruit d'une bonne gestion dissociable du but non lucratif. Il est autorisé de penser que, pour les CARPA, seuls les produis financiers retirés des services destinés à faciliter l'exercice de la profession d'avocat pourraient répondre au critère d'exonération défini par la jurisprudence : il pourrait s'agir, par exemple, des intérêts produits par des prêts consentis à des taux inférieurs à ceux du marché à des avocats qui s'installent, qui investissent, ou connaissent des difficultés financières. En effet, ces produits financiers seraient tirés d'une activité indissociable du but non lucratif poursuivi, notamment la fourniture de services destinés à faciliter l'exercice de la profession d'avocat.

Il reste à attendre la décision du Conseil d'Etat (s'il a été saisi), lequel devrait, selon toute logique, confirmer sa propre jurisprudence, à moins d'un revirement...

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Pénal

[Jurisprudence] Pot-pourri autour de la notion de peine

Réf. : CJUE, 5 juin 2012, aff. C-489/10 (N° Lexbase : A1022IN8)

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N2688BTQ

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par Romain Ollard, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV, Institut de sciences criminelles et de la justice (ISCJ : EA 4633)

Le 28 Juin 2012

En dépit de son apparente simplicité, la peine est l'une des notions les plus incertaines de notre droit pénal contemporain, l'une de ces arlésiennes qui ne se laisse pas découvrir au premier regard. La tâche de l'observateur est rendue plus malaisée par l'émergence du concept de "matière pénale" qui, dépassant la sphère du seul droit pénal stricto sensu, englobe toutes les sanctions de type punitif, qu'elles soient pénales, bien sûr, mais encore, administratives, économiques ou disciplinaires. Par-delà l'organe prononçant la sanction, il existerait, ainsi, un socle commun de règles et principes, tant substantiels que processuels, s'appliquant indifféremment à toutes les sanctions punitives. La tâche est d'autant plus délicate que plusieurs instances sont amenées à se prononcer sur le concept de peine -le Conseil constitutionnel, la Cour européenne des droits de l'Homme, la Cour de justice de l'Union européenne- et toutes ne retiennent pas les mêmes critères d'identification. Un arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 5 juin 2012 est l'occasion de revenir sur ces interrogations. En l'occurrence, la sanction litigieuse prévue à l'article 138, alinéas 2 et 3, paragraphe 1, du Règlement n° 1973/2004 (Règlement (CE) n° 1973/2004 de la Commission du 29 octobre 2004, portant modalités d'application du Règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil, en ce qui concerne les régimes d'aide prévus aux titres IV et IV bis dudit Règlement et l'utilisation de terres mises en jachère pour la production de matières première N° Lexbase : L3379ITC), consistait à exclure un agriculteur du bénéfice d'une aide financière, en cas de fausse déclaration quant à la superficie de ses terres. A titre de moyen de défense, l'agriculteur faisait valoir le fait que ladite sanction pécuniaire, consistant en une privation de l'aide escomptée, constituait, en réalité, une peine intégrant la matière pénale, qualification à laquelle de nombreuses conséquences sont attachées.

En effet, depuis quelques années, l'idée est née d'un "droit commun de la sanction" (1) punitive, dépassant le cadre du seul droit pénal, pour s'appliquer indistinctement à toutes les sanctions de type punitif, lesquelles appartiendraient à cette matrice informe appelée "matière pénale", selon l'expression consacrée par la Cour européenne des droits de l'Homme. A ce titre, toutes les sanctions punitives sont soumises aux grands principes protecteurs gouvernant la matière et, en premier lieu, à des principes d'ordre substantiel, principalement, au principe de légalité et à ses corollaires (principe de non rétroactivité, etc.). La soumission s'exerce, en second lieu, à l'égard de principes de droit processuel, notamment, à l'égard des garanties procédurales qui gouvernent le procès pénal, dont on sait qu'elles sont à la fois plus larges et plus draconiennes que celles attachées au procès civil, contenues dans l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) (2).

En l'espèce, la Cour de justice de l'Union européenne décide que ces mesures litigieuses, revêtant une nature administrative, ne constituent pas des "sanctions de nature pénale". Se fondant expressément sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, la Cour de justice de l'Union européenne affirme que "trois critères sont pertinents" pour qualifier une sanction de peine : "le premier est la qualification juridique de l'infraction en droit interne, le deuxième la nature même de l'infraction et le troisième la nature et le degré de sévérité de la sanction" (3). Faisant siens les critères dégagés par la Cour européenne des droits de l'Homme (4), la Cour de justice de l'Union européenne fait, ainsi, oeuvre d'harmonisation, oeuvre qui ne va pas, toutefois, jusqu'à l'assimilation, puisque quelques différences peuvent être relevées, ici ou là, entre les solutions. La convergence simplement partielle des solutions n'en laisse pas moins apparaître tant des critères indifférents (I), que des critères efficients (II) d'identification de la peine.

I - Les critères indifférents à la qualification de peine

Si le critère organique, tiré de l'organe prononçant la sanction (A), est, assurément, indifférent à l'identification de la peine, l'analyse est, toutefois, moins certaine, s'agissant du critère de généralité, fondé sur l'application de la sanction à l'ensemble des citoyens (B).

A - Le critère organique

Que ce soit au plan constitutionnel ou européen, le critère organique, fondé sur l'autorité compétente pour prononcer la sanction, est sans incidence sur la qualification de sanction pénale. Ainsi, le Conseil constitutionnel répète-t-il à l'envie que les garanties constitutionnelles attachées à la matière pénale "ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives, mais s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire" (5) ou "non juridictionnelle" (6). C'est d'ailleurs là, tout l'intérêt du concept de matière pénale, qui transcende les disciplines juridiques pour s'appliquer indifféremment à toutes les sanctions de nature punitive, quelle que soit leur qualification formelle en droit interne ou l'autorité compétente pour les prononcer (7).

Certes, la Cour de justice de l'Union européenne affirme, en l'espèce que "les mesures prévues à l'article 138, paragraphe 1, du Règlement n° 1973/2004, ne sont pas considérées comme étant de nature pénale par le droit de l'Union européenne, lequel doit, en l'occurrence, être assimilé au droit interne, au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme" (8), de sorte que la qualification formelle de la sanction au sein du système normatif envisagé constituerait l'un des critères de la peine.

Mais, il ne s'agit là, en réalité, que d'un trompe-l'oeil. D'une part, les trois critères énumérés par la Cour européenne des droits de l'Homme sont alternatifs et non cumulatifs, si bien que le défaut de dénomination de peine dans un système juridique n'exclut pas nécessairement cette qualification. D'autre part, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'Homme que les concepts de peine et de matière pénale sont des notions autonomes, indépendantes des qualifications du droit interne (9), ce qui se comprend bien, puisque ces notions seraient dépourvues de tout intérêt si la Cour se trouvait prisonnière de ces qualifications. Ainsi, contrairement à la Cour de cassation française tenue, en vertu du principe de légalité criminelle, par les qualifications du législateur (10), l'équivalent allemand de notre rétention de sûreté a pu être qualifié de peine, nonobstant sa qualification formelle de mesure de sûreté (11). Les exemples pourraient être multipliés à l'envie, la Cour de Strasbourg ayant retenue la qualification de peine pour des sanctions administratives (12), fiscales (13) ou disciplinaires (14).

Il apparaît, ainsi, que ce prétendu critère de l'identification de la peine n'en est pas véritablement un, la qualification du droit interne ou l'autorité compétente pour prononcer la sanction ne constituant, en réalité, que de simples indices dans la recherche de la nature réelle des sanctions. D'ailleurs, la Cour européenne des droits de l'Homme, elle-même, corrobore cette analyse en décidant que la qualification formelle du droit interne ne constitue qu'un "simple point de départ", de sorte que "l'indication qu'il fournit n'a qu'une valeur formelle et relative" (15). Si l'indifférence du critère organique apparaît ainsi certaine, elle l'est moins, en revanche, s'agissant du critère de généralité de la sanction.

B - Le critère de généralité

Dans plusieurs décisions, la Cour européenne des droits de l'Homme a pu subordonner les qualifications de peine et de matière pénale à la condition que la sanction ait vocation à s'appliquer de manière indifférenciée à l'ensemble des citoyens, et non seulement à un groupe déterminé de personnes, comme un corps professionnel par exemple (16). Si la Cour de justice de l'Union européenne ne fait pas mention d'un tel critère, elle n'en paraît pas moins en faire implicitement application puisque, pour dénier la qualification de peine, elle se fonde, notamment, sur le fait que "les mesures et sanctions administratives [...] sont prévues dans des réglementations sectorielles", ou encore, sur le fait que ces mesures "n'ont vocation à s'appliquer qu'aux opérateurs économiques qui font appel au régime d'aides institué par ce règlement" (17).

Pour autant, il n'est pas certain que ce critère de généralité de la sanction soit décisif de la qualification de peine. D'abord, il est possible de trouver des décisions dans lesquelles la Cour européenne des droits de l'Homme retient cette qualification, alors même, que les sanctions litigieuses n'avaient vocation à s'appliquer qu'à un corps d'individus déterminés, comme à des membres de l'armée (18) ou à des prisonniers (19). Ensuite, il est possible de s'interroger sur la pertinence d'un tel critère, dès lors qu'il est de nombreuses infractions pénales qui n'ont vocation à s'appliquer qu'à un groupe d'individus déterminés sans que nul n'ait jamais songé à dénier leur appartenance à la matière pénale. Ainsi, en est-il, notamment, de diverses infractions pouvant seulement être commises par des personnes dépositaires de l'autorité publique, comme le faux public ou divers manquements à la probité (20). Dans ces conditions, il est permis de se demander si ce pseudo critère ne constitue pas, en réalité, un instrument de politique jurisprudentielle, entre les mains de la Cour de Strasbourg, lui permettant de retenir ou au contraire d'exclure, à son gré, la qualification de peine. D'autres critères paraissent, en revanche, efficients.

II - Les critères efficients de la qualification de peine

Si les critères fonctionnels (A), tirés de la finalité de la mesure, et de sévérité la sanction (B) sont décisifs de la qualification de peine, leur imprécision pourrait, toutefois, laisser perplexe.

A - Le critère fonctionnel

En l'espèce, la Cour de justice de l'Union européenne se fonde explicitement sur un critère d'ordre fonctionnel pour exclure la qualification de peine et, par suite, les garanties inhérentes à la matière pénale : "la finalité des mesures n'est pas répressive, mais consiste, pour l'essentiel, à protéger la gestion des fonds de l'Union européenne" (21). Ce faisant, la Cour de justice de l'Union européenne se situe dans le sillage de la jurisprudence tant de la Cour européenne des droits de l'Homme que du Conseil constitutionnel.

Ainsi, le Conseil constitutionnel a pu exclure la qualification de peine et de sanction ayant le caractère d'une punition, s'agissant tant de la surveillance judiciaire (22) que de la rétention de sûreté (23), dès lors que ces deux mesures, reposant "non sur la culpabilité de la personne condamnée, mais sur sa dangerosité", ont pour but essentiel "d'empêcher et de prévenir la récidive". En d'autres termes, ces mesures étant tournées vers l'avenir, pour prévenir la récidive, bien plus que vers le passé, pour sanctionner l'auteur, elles auraient une nature essentiellement préventive les faisant échapper à la matière pénale. La question a récemment rebondi à propos des peines dites accessoires, automatiquement attachées au prononcé d'une peine principale. Critiquées sur le fondement du principe de l'individualisation des peines, précisément en raison de leur automaticité, ces mesures ont connu des fortunes diverses. Si le Conseil constitutionnel admet de les censurer, lorsqu'elles apparaissent comme des sanctions ayant le caractère d'une punition (24), il refuse, en revanche, de les abroger lorsqu'elles poursuivent une finalité préventive. Ainsi, par exemple, a-t-il refusé de censurer plusieurs mesures d'inéligibilité lorsqu'elles tendent simplement à garantir l'intégrité et la moralité d'une profession ou d'une fonction déterminée (25). De même, a-t-il refusé d'invalider la mesure d'interdiction d'exploiter un débit de boissons attachée à la condamnation pour certaines infractions, dès lors que ces mesures ont "pour objet d'empêcher que l'exploitation d'un débit de boissons soit confiée à des personnes qui ne présentent pas les garanties de moralité suffisantes requises pour exercer cette profession" (26). La finalité préventive de ces mesures les fait, ainsi, échapper à la qualification de sanction punitive et, par suite, aux garanties attachées à la matière pénale.

Sans entrer dans le détail, il est permis de relever le caractère simpliste et manichéen de cette distinction entre finalités répressive et préventive des sanctions, qui constitue, pourtant, la clé de voûte du système mis en place par le Conseil constitutionnel, dans la mesure où une sanction est toujours à la fois préventive et répressive et ce, d'autant que le Conseil constitutionnel admet, lui-même, la démultiplication des fonctions de la peine (27). Mais, il s'agirait, en réalité, nous dit-on, de déterminer quelle est la fonction principale de la sanction, la matière pénale n'étant en cause qu'en cas de prééminence de la fonction punitive. Mais, outre que ces deux fonctions sont très difficiles à dissocier et à hiérarchiser en pratique, on avoue mal percevoir comment une même sanction, ayant donc la même nature -comme l'interdiction d'exercer une profession-, puisse changer de fonction, selon qu'elle est prononcée par des juges différents, par exemple par le juge pénal à titre de peine complémentaire ou par le juge disciplinaire (28).

Si la position du Conseil constitutionnel paraît figée à cet égard, celle de la Cour européenne des droits de l'Homme est plus nuancée. Certes, pour elle aussi le but de la mesure est décisif de sa nature (29). Elle se fonde, ainsi, essentiellement sur l'objectif répressif de la sanction en excluant la qualification de peine, s'agissant de mesures ayant exclusivement une finalité préventive et dissuasive (30). Une évolution est, toutefois, peut-être perceptible dans sa jurisprudence, puisqu'elle considère, désormais, que les sanctions mixtes, poursuivant plusieurs finalités, à la fois préventive et répressive, peuvent être qualifiées de peines (31). La Cour de justice de l'Union européenne paraît, d'ailleurs, adopter une position semblable dans la présente espèce, puisqu'elle indique que le deuxième critère par elle énoncé "implique de vérifier si la sanction infligée à l'opérateur poursuit, notamment, une finalité répressive" (32). Bien plus, dans ses développements les plus récents, la Cour européenne des droits de l'Homme a pu décider, à propos de rétention de sûreté du droit allemand, que "l'objectif de prévention peut aussi se concilier avec celui de répression et peut être considéré comme l'un des éléments constitutifs de la notion même de peine" (33). En d'autres termes, même si l'objectif de la mesure est essentiellement préventif, la Cour ne s'interdit pas d'y voir une peine régie par la matière pénale. En définitive, la qualification de peine ne serait irrémédiablement exclue qu'en cas de finalité exclusivement préventive de la sanction.

Il resterait encore, toutefois, à identifier ce qu'est une fonction exclusivement préventive parce qu'en la matière, les différentes instances amenées à se prononcer sur le concept de peine ne sont guère prolixes en définition. La même imprécision est encore de mise, s'agissant du critère de sévérité de la sanction.

B - Le critère de sévérité

La Cour de justice de l'Union européenne se fonde sur le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l'intéressé, pour en conclure, en l'espèce, que les sanctions litigieuses ne sont pas de nature pénale, dès lors "qu'elles ont pour seul effet de priver l'agriculteur concerné de la perspective d'obtenir une aide". Ce faisant, la Cour de justice de l'Union européenne adopte une démarche identique à celle de la Cour européenne des droits de l'Homme qui se fonde, elle aussi, sur la gravité de la sanction pour déterminer si celle-ci constitue une peine (34). Si le choix d'un tel critère se conçoit bien, il n'en est pas moins difficile à mettre en pratique.

Certes, les sanctions privatives de liberté revêtent assurément un degré de sévérité suffisant pour justifier la qualification de peine, "hormis celles qui par leur nature, leur durée ou leurs modalités d'exécution ne sauraient causer un préjudice important", vient, toutefois, préciser la Cour européenne des droits de l'Homme (35). Ainsi, nonobstant sa qualification formelle de mesure de sûreté, la Cour de Strasbourg n'en a pas moins qualifié de peine, l'équivalent allemand de notre rétention de sûreté, laquelle doit, en conséquence, être soumise au principe de non rétroactivité de la loi nouvelle (36). De même, certains droits disciplinaires, militaire et pénitentiaire notamment, ont été considérés par la Cour comme relevant de la matière pénale, dès lors que les sanctions infligées avaient des incidences sur la liberté d'aller et venir des intéressés (37). Le Conseil constitutionnel adopte, quant à lui, une position similaire, quoi que plus nuancée. Il a ainsi pu décider que, au regard de sa "nature privative de liberté" et de "la durée de cette privation", la rétention de sûreté devait être soumise au principe de non rétroactivité en refusant, toutefois, de la qualifier de peine et de sanction ayant le caractère d'une punition (38) : curieuse démarche que celle de dénier la qualification de peine à l'endroit d'une mesure tout en décidant de lui appliquer les exigences de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme (N° Lexbase : L1372A9P), qui vise pourtant des peines...

Quoi qu'il en soit, il est possible de relever une convergence entre les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l'Homme et du Conseil constitutionnel en observant que tous deux s'appuient sur la nature même de la mesure et son degré de sévérité -la privation de liberté- pour en déduire sa soumission aux principes gouvernant la matière pénale, peu important, à cet égard, la qualification formelle du législateur. Mais, si la qualification de peine apparaît ainsi évidente, s'agissant des mesures privatives de liberté, au-delà, quel est le degré de sévérité requis pour retenir cette qualification ? Il est, en effet, des sanctions pour lesquelles le doute est permis : une confiscation, une contrainte par corps, une interdiction d'exercer une profession, revêtent-elles un degré de sévérité suffisant pour admettre la qualification de sanction punitive ? A ces incertitudes, succèdent, en outre, parfois certaines incohérences. Ainsi, il serait possible de se demander comment une interdiction définitive d'exercer sa profession peut ne pas être considérée comme une peine, tandis qu'un simple blâme adressé par une autorité administrative indépendante peut recevoir cette qualification (39). Le critère de sévérité apparaît, ainsi, comme un critère à la fois subjectif et relatif : par rapport à quel élément de référence juge-t-on de la sévérité d'une sanction ? Par référence à la gravité du comportement ? Par référence à la nature abstraite de la mesure ?

On le voit, le concept de peine est empreint de nombreuses incertitudes qui tiennent sans doute, pour l'essentiel, au fait que, quelle que soit l'instance amenée à se prononcer sur le concept de peine, celle-ci ne reçoit aucune définition précise. C'est particulièrement vrai du Conseil constitutionnel qui, s'il s'attache à dire négativement, au regard de la finalité de la sanction, ce que n'est pas une sanction punitive, ne définit nullement ce qu'elle est positivement (40) Quant à la Cour européenne des droits de l'Homme, si elle a le mérite de dégager des critères positifs, ceux-ci sont à ce point imprécis qu'il est extrêmement difficile d'affirmer à l'avance si telle ou telle sanction est constitutive d'une peine appartenant à la matière pénale. Mais est-il vraiment possible, en la matière, de dégager des critères théoriques sûrs et infaillibles ?


(1) M. Delmas-Marty, Pour un droit commun, Seuil, 1994, p. 36.
(2) Ainsi, le rattachement à la matière pénale a pour conséquence de soumettre également le procès en cause aux garanties énumérées à l'article 6, alinéas 2 et 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) : présomption d'innocence, droit d'être informé de l'accusation, droit d'interroger des témoins, etc..
(3) Point 37.
(4) CEDH, 8 juin 1976, Req. 5100/71 (N° Lexbase : A5111AYX), Série A n° 22, § 80 à 82 ; CEDH, 17 septembre 2009, Req. 10249/03 (N° Lexbase : A0692EL9), § 96 ; CEDH, 10 février 2009, Req. 14939/03 (N° Lexbase : A0804ED7), § 52 et 53.
(5) Cons. const., décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989 (N° Lexbase : A8194ACH) ; Cons. const., décision n° 2011-199 QPC du 25 novembre 2011 (N° Lexbase : A9851HZU), cons. 6 et 7.
(6) Cons. const., décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989 (N° Lexbase : A8202ACR), Cons. const., décision n° 2000-433 du 27 juillet 2000 (N° Lexbase : A9054AGG).
(7) V., encore récemment, Cons. const., décision n° 2010-85 QPC, 13 janvier 2011 (N° Lexbase : A8477GPN), JCP éd. G, 2011, p. 274, note D. Mainguy (amende civile prévue par l'article L. 442-6 du Code de commerce N° Lexbase : L8640IMX) ; Cons. const., décision n° 2010-103 QPC du 17 mars 2011 (N° Lexbase : A8912HC3) (amende fiscale).
(8) Pt 38.
(9) CEDH, 26 mars 1982, Req. (N° Lexbase : A6754IPT), Série A, n° 49, §30 ; CEDH, 9 février 1995, Req. 1/1994/448/527 (N° Lexbase : A6656AWG), Série A, n° 307-A ; CEDH, 8 juin 1995, Req. 11/1994/458/539 (N° Lexbase : A6664AWQ), Série A, n° 317-B ; CEDH, 17 septembre 2009, Req. 10249/03, précité.
(10) Cass. crim., 16 décembre 2009, n° 09-85.153, FP-P+F (N° Lexbase : A7290EPP), Bull. crim. n° 216, DP 2010, Chr. 2, n° 59, obs. V. Peltier, ayant retenu la qualification de mesure de sûreté à l'endroit des mesures prononcées en cas d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, pour rejeter l'application de la non rétroactivité de la loi pénale, après avoir pourtant retenu la qualification de peine pour décider exactement l'inverse (Cass. crim., 21 janvier 2009, n° 08-83.492, F-P+F N° Lexbase : A6539EC8, Bull. crim. n° 24).
(11) CEDH, 17 décembre 2009, Req. 19359/04 (N° Lexbase : A5437EP3).
(12) V. par exemple : CEDH, 11 juin 2009, Req. 5242/04 (N° Lexbase : A1869EI3).
(13) CEDH, 23 novembre 2006, Req. 73053/01 (N° Lexbase : A5011DSE), RTDH 2007, p. 237, obs. I. Costea.
(14) CEDH, 23 juin 1981, Req. 00006878/75 (N° Lexbase : A3823AU7), série A, vol. 43 ; CEDH, 22 septembre 1994, Req. 17/1993/412/491 (N° Lexbase : A6624AWA), série A, n° 292 B ; CEDH, 26 septembre 1995, Req. 25/1994/472/553 (N° Lexbase : A3826AUA), série A, n° 325.
(15) CEDH, 23 novembre 1976, Req. 5100/71, § 82, précité.
(16) CEDH, 21 février 1984, Req. 8544/79 (N° Lexbase : A5092AYA), §53 ; CEDH, 24 février 1994, Req. 00012547/86 (N° Lexbase : A2994AUG), §47 ; CEDH, 10 juin 1996, Req. 7/1995/513/597 (N° Lexbase : A8408AWC), § 56 ; CEDH, 29 août 1996, Req. 71/1996/690/882 (N° Lexbase : A8286AWS), § 41.
(17) Point 40.
(18) CEDH, 8 juin 1976, Req. 5100/71, précité ; CEDH, 18 février 1999, Req. 24436/94 (N° Lexbase : A6779AWY) ; CEDH, 25 février 1997, Req. 110/1995/616/706 (N° Lexbase : A8434AWB).
(19) CEDH, 28 juin 1984, Req. 7819/77 (N° Lexbase : A5090AY8), Série A, n° 80.
(20) C. pén., art. 441-4 (N° Lexbase : L1812AM3) ; C. pén., art. 432-10 (N° Lexbase : L1845AMB) et s..
(21) Point 40.
(22) Cons. const., décision n° 2005-527 DC du 8 décembre 2005, loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales (N° Lexbase : A8970DLS).
(23) Cons. const., décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (N° Lexbase : A0152D7R), cons. 9.
(24) Cons. const., décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 (N° Lexbase : A8020EYP), DP 2010, comm. 84, obs. J.-H. Robert (C. élect., art. L. 7 N° Lexbase : L2506AA3, prévoyant la radiation des listes électorales de personnes condamnées à raison de certains délits).
(25) Cons. const., décision n° 2011-211 QPC du 27 janvier 2012 (N° Lexbase : A4116IB3), JCP Ed. G 2012, p. 338, note J.-M. Brigant (inéligibilité aux organes professionnels du notariat) ; Cons. const., 1er avril 2010, n° 2010-114, QPC, DP 2011, comm. 82, obs. J.-H. Robert (inéligibilité aux fonctions de juge au tribunal de commerce).
(26) Cons. const., décision n° 2011-132 QPC du 20 mai 2011 (N° Lexbase : A6759HRR), JCP 2011, act. 642, obs. S. Détraz.
(27) V. par exemple, décision n° 93-334 DC du 20 janvier 1994 (N° Lexbase : A8300ACE). Dans le même sens, v. CEDH, 21 février 1984, Req. 8544/79, précité.
(28) Cons. const., décision n° 2011-211 QPC du 27 janvier 2012, précité.
(29) E. Garçon, V. Peltier, Droit de la peine, Litec, 1ère éd., 2010, n° 99.
(30) V. particulièrement, CEDH, 17 décembre 2009, Req. 16428/05 (N° Lexbase : A5515EPX), DP 2010, Chr. 3, n° 24, obs. E. Dreyer. Adde, CEDH, 8 juin 1995, Req. 11/1994/458/539, précité.
(31) CEDH, 9 février 1995, Req. 1/1994/448/527, précité.
(32) Point 39.
(33) CEDH, 17 décembre 2009, Req. 19359/04, précité.
(34) V. notamment CEDH, 28 juin 1984, Req. 7819/77 (N° Lexbase : A5090AY8), Série A, n° 80 ; CEDH, 24 février 1994, Req. 00012547/86, § 47, précité ; CEDH, 10 juin 1996, Req. 7/1995/513/597, § 46, précité.
(35) CEDH, 8 juin 1976, Req. 5100/71, précité.
(36) CEDH, 17 décembre2009, Req. 19359/04, précité.
(37) CEDH, 23 juin 1981, Req. 00006878/75, série A, vol. 43, précité ; CEDH, 10 février 1983, Req. 7299/75 (N° Lexbase : A3824AU8), série A, vol. 58 ; CEDH, 26 septembre 1995, Req. 25/1994/472/553, série A, n° 325, précité.
(38) Cons. const., décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, précité.
(39) CEDH, 11 juin 2009, Req. 5242/04 (N° Lexbase : A1869EI3).
(40) En ce sens, voir E. Dreyer, "Le Conseil constitutionnel et la matière pénale. La QPC et les attentes déçues", JCP. Ed. G. 2011, p. 976 ; J.-F. de Montgolfier, "L'apport de la jurisprudence du Conseil constitutionnel au critère de la peine", in Droit pénal : le temps des réformes, Lexis-Nexis, 2011, p. 231 ; M. Van de Kerchove, "Le sens de la peine dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel français", RSC 2008, p. 805.

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Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - Juin 2012

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N2636BTS

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par Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université

Le 27 Juin 2012

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures fiscales. Ce mois-ci, notre auteur a choisi de s'arrêter sur trois arrêts rendus par le Conseil d'Etat. Dans le premier arrêt, en date du 30 mai 2012, la Haute juridiction administrative se prononce sur l'obligation qui pèse sur l'administration de communiquer, à la demande du contribuable, les documents auxquels il n'a pu avoir accès et qui fondent un redressement. Le juge décide que les données disponibles sur internet gratuitement ne font pas partie des documents que l'administration se doit de transmettre, puisque le contribuable peut y avoir accès (CE 3° et 8° s-s-r., 30 mai 2012, n° 345418, publié au recueil Lebon). Dans la deuxième décision, rendue le 4 juin 2012, le Conseil d'Etat traite de la vérification de comptabilité d'une EURL qui a été dissoute. En effet, son gérant associé unique, devenu liquidateur, est celui à qui doit être destiné l'avis de vérification de l'administration fiscale. Cet avis doit s'adresser au liquidateur, pas au gérant (CE 8° et 3° s-s-r., 4 juin 2012, n° 345183, inédit au recueil Lebon). Enfin, dans le troisième arrêt sélectionné, en date du 6 juin 2012, le juge suprême de l'ordre administratif considère que, lorsqu'un contrôle de billetterie à l'encontre d'une discothèque mobile comprend une visite des lieux, la procédure est illégale, car la visite des lieux est réglementée indépendamment du seul contrôle comptable (CE 3° s-s., 6 juin 2012, n° 345180, inédit au recueil Lebon).
  • L'administration peut refuser de communiquer à une société redressée les informations qu'elle a obtenues d'un serveur dont l'accès est libre (CE 3° et 8° s-s-r., 30 mai 2012, n° 345418, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2565IMX)

En l'espèce, une société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité. L'administration a notifié une proposition de rectification en matière d'impôt sur les sociétés. Ce faisant, elle a réintégré dans le résultat imposable des commissions versées à une autre société. Pour ce faire, l'administration a remis en cause la déductibilité de ces commissions à défaut de justification de la réalité des prestations facturées.

Le Conseil d'Etat rappelle ici qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès des tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre au contribuable de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en résultent.

Ce principe est aujourd'hui codifié sous l'article L. 76 B du LPF (N° Lexbase : L7606HEG).

Il a été jugé récemment que l'absence de communication, par l'administration, au contribuable qui en avait fait la demande, des copies de compte courant d'associé de son épouse contenant des renseignements qui ont été effectivement utilisés pour fonder les impositions en litige constitue une irrégularité substantielle entachant la procédure d'imposition et entraînant, de ce fait, la décharge de l'ensemble des droits (CE 9° et 10° s-s-r., 15 février 2012, n° 325737, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8513ICB, RJF, 2012, 5, comm. 496, concl. Alagjidi, Bulletin des conclusions fiscales, 2012, comm. 61).

Dans un avis rendu le 21 décembre 2006, le Conseil d'Etat a jugé que l'obligation ne s'étend pas aux informations fournies annuellement par des tiers à l'administration et au contribuable conformément aux dispositions du CGI (CE 8° et 3° s-s-r., avis, 21 décembre 2006, n° 293749, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1476DTT, RJF, 2007, 3, concl. Collin, Bulletin des conclusions fiscales, 2007, comm. 32).

La date limite de communication étant celle de mise en recouvrement, le Conseil d'Etat en conclut que l'administration n'a pas l'obligation de porter ces informations à la connaissance du contribuable dès la demande de justifications qu'elle lui adresse suivant les principes énoncés par l'article L. 16 du LPF (CE 8° et 9° s-s-s., 13 octobre 1999, n° 181010, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5023AXC, Droit fiscal, 2000, comm. 314). L'obligation ne s'impose pas non plus, ce qui peut être discuté, dès la notification des bases d'imposition qu'elle lui adresse en application de l'article L. 76 B précité (CE, 28 juillet 2000, n° 198440, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6528ATX, Droit fiscal, 2001, comm. 110). En pratique, le contribuable peut recevoir communication de l'information selon laquelle il peut demander communication des documents et informations recueillis par l'administration, soit dans la proposition de rectification, soit encore dans la réponse aux observations du contribuable, mais toujours avant la mise en recouvrement.

A suivre le Conseil d'Etat, l'administration n'est tenue de mettre à la disposition des contribuables qui en font la demande, que les documents qui contiennent des renseignements qui ont effectivement été utilisés pour procéder aux rectifications (CE 10° et 9° s-s-r., 3 mai 2004, n° 236669, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0629DCB, RJF, 2004, 7, comm. 773, concl. Mitjavile, Bulletin des conclusions fiscales, 2004, comm. 96).

Du point de vue de la charge de la preuve, il appartient au contribuable d'établir qu'il a demandé à l'administration la communication des documents en cause avant la mise en recouvrement des impositions (CE 8° et 3° s-s-r., 1er mars 2000, n° 181665, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9255AGU, RJF, 2000, 4, comm. 524, concl. Arrighi de Casanova, Bulletin des conclusions fiscales, 2000, comm. 50).

Lorsque le contribuable en fait la demande, l'administration est obligée, sauf dans l'hypothèse d'informations librement accessibles au public, de lui communiquer les documents ou copies de documents contenant les renseignements obtenus auprès des tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité, d'en discuter la teneur mais aussi la portée.

En ce qui concerne les documents ou copies contenant des renseignements recueillis sur des sites internet, ou des serveurs de données utilisés par l'administration pour fonder une rectification, il appartient à cette dernière de les mettre à disposition du contribuable, avant la mise en recouvrement des impositions qui en découlent. Si le contribuable indique, avant le recouvrement en réponse à un refus de communication fondé sur le caractère librement accessible des informations visées, qu'il n'a pu y avoir accès alors l'administration doit en faire communication.

Quand bien même la communication des documents serait enfin faite par l'administration devant le juge, les impositions doivent être annulées, dès lors que la procédure contradictoire visée à l'article L. 57 du LPF (N° Lexbase : L0638IH4) n'a pas été respectée (CE 9° et 8° s-s-r., 9 juillet 1986, n° 30770, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3898AMC, Droit fiscal, 1986, comm. 917, concl. Racine).

Dans l'affaire qui nous occupe, le vérificateur a indiqué à la société qu'il avait obtenu le renseignement selon lequel la société bénéficiaire des commissions avait cessé toute activité à son siège social installé à Londres antérieurement aux versements des sommes en cause, en se connectant au serveur télématique Eurodun. En conséquence, l'administration était fondée à refuser de faire droit à la demande du contribuable.

  • Lorsqu'une EURL a été dissoute et que son patrimoine a été transféré à celui de son associé unique, l'administration fait parvenir à ce dernier l'avis de vérification (CE 8° et 3° s-s-r., 4 juin 2012, n° 345183, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4032INN)

Le contribuable était, pour les années 1998 à 2000, l'unique associé et le gérant de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) dont l'objet principal était la location d'un bateau de plaisance avec skipper, mais aussi l'organisation de croisières de pêche et de plongée sous-marine.

Celle-ci a fait l'objet d'une dissolution anticipée par un procès-verbal, daté du 6 janvier 2001. Ce document, mentionnant que le contribuable était nommé liquidateur de l'EURL, a été publié le 15 mars 2001.

Postérieurement à la dissolution, l'administration a engagé une vérification de comptabilité de l'EURL, portant sur la période du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2000. Le 28 novembre 2001, elle a adressé un avis de vérification de comptabilité au contribuable, en sa qualité de gérant de la société. Puis, le 11 décembre 2001, elle a adressé un nouvel avis de vérification au contribuable mais, cette fois, en qualité de liquidateur. Cette pratique consistant à envoyer deux avis de vérification, à des dates et pour des raisons différentes, a très certainement jeté un trouble chez le contribuable.

A l'issue de la vérification de comptabilité, l'administration a requalifié les résultats de l'EURL et mis à la charge du contribuable, en application de l'article 8-4 du CGI (N° Lexbase : L1176ITQ), des cotisations d'impôt sur le revenu à raison des bénéfices réalisés par l'EURL pour les exercices de la période vérifiée.

Le contribuable se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 19 octobre 2010 (CAA Marseille, 4ème ch., 19 octobre 2010, n° 07MA03322, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7777GCZ), rejetant sa requête tendant à l'annulation du jugement du 15 mai 2007 par lequel le tribunal administratif de Montpellier avait rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions.

Le Conseil d'Etat, dans l'arrêt qui nous est donné de commenter, fait référence à l'article 1844-5 du Code civil (N° Lexbase : L2025ABM). Cet article dispose qu'à l'issue du délai d'opposition à la décision de dissolution d'une société dont les parts ont été réunies entre les mains d'un unique associé, ce dernier recueille dans son patrimoine l'ensemble des créances et des dettes de la société en raison de la transmission universelle du patrimoine social entraînée par la dissolution et qu'il se substitue à la société vis-à-vis des tiers pour l'exercice des droits et l'exécution des obligations correspondant aux créances et aux dettes transmises.

La solution retenue est de considérer, d'une part, que l'administration peut, dans le délai de reprise, contrôler les déclarations faites par une EURL et procéder aux rectifications qui s'imposent, sans tenir compte du fait de la dissolution de cette entreprise et, d'autre part, lorsque l'administration décide d'engager une vérification de comptabilité d'une EURL, après sa dissolution, l'avis de vérification (LPF, art. L. 47 N° Lexbase : L3907ALB) doit être adressé à la personne qui était associée unique de cette entreprise, à la date à laquelle sa dissolution est devenue opposable aux tiers. L'article précité dispose, notamment, que l'avis de vérification "doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix".

Pour la Cour de cassation, la vérification de comptabilité visée à l'article L. 47 du LPF se définit comme un examen contradictoire des livres et documents comptables (Cass. crim., 9 mai 1983, n° 82-91.577, publié au Bulletin N° Lexbase : A7721CG3, Dalloz, 1983, comm. 621, note Tixier et Robert). Au nom des garanties du contribuable en liquidation judiciaire ou non, le débat oral et contradictoire est l'un des principes à respecter.

Rappelons que, pour la Cour de cassation, en cas de vérification de comptabilité d'une société faisant l'objet d'une liquidation judiciaire, les dispositions de l'article L. 47 du LPF et le principe d'un débat oral et contradictoire doivent bénéficier tant au liquidateur qu'au dirigeant de la société, par ailleurs pénalement responsable du délit de fraude fiscale (Cass. crim., 1er mars 2000, n° 98-85.818 N° Lexbase : A8748AHH, RJF, 2001, 4, comm. 555). Par le même arrêt, la Cour a jugé que l'exception de nullité de la procédure doit être admise dès lors que le vérification s'est déroulée hors la présence du liquidateur et du gérant de droit de la société en liquidation judiciaire. L'avis exigé à l'article L. 47 du LPF ne doit être notifié qu'à la personne du contribuable personnellement tenu, même s'il est en redressement ou liquidation judiciaire, de l'obligation fiscale de déclarer annuellement l'ensemble de ses revenus (Cass. crim., 11 mars 2009, n° 08-83.684, F-P+F N° Lexbase : A5047EHE, Dalloz, 2009, comm. 1534).

Enfin le dirigeant d'une société mise en liquidation judiciaire ne peut utilement invoquer la circonstance qu'il n'a pas reçu l'avis de vérification de comptabilité, ni bénéficié du débat oral et contradictoire, car l'article L. 47 du LPF n'implique pas l'envoi ou la remise de l'avis de vérification à une personne autre que le redevable de l'impôt ou son représentant légal (Cass. crim., 1er juin 2005, n° 04-85.031, FS-P+F N° Lexbase : A5655DIB, RJF, 2006, 7, comm. 940).

  • Rôle du juge de l'impôt en cas de détournement de procédure par l'administration alléguée par le contribuable (CE 3° s-s., 6 juin 2012, n° 345180, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4031INM)

Un contrôle de billetterie a été diligenté par la brigade de contrôle et de recherche (BCR) à l'encontre d'une discothèque mobile, exploitée par une personne physique sous la forme d'une entreprise individuelle, et ce sur le fondement de l'article L. 26 du LPF (N° Lexbase : L5753IRI). A l'issue de cette intervention, un procès-verbal a été dressé le 24 novembre 2003. Cette intervention permet de vérifier certains établissements de nuit ainsi que les salles de spectacle.

L'article L. 26 du LPF permet aux agents de l'administration d'intervenir, sans formalité préalable, dans les locaux professionnels des personnes soumises, en raison de leur profession, à la législation des contributions indirectes, pour y procéder à des inventaires, aux opérations nécessaires à la constatation et à la garantie de l'impôt et, généralement, aux contrôles quantitatifs et qualitatifs prévus par cette législation. La garantie du procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) ne concerne pas la procédure de l'article L. 26 du LPF, bien qu'elle soit un préalable à l'engagement des poursuites (Cass. crim., 14 juin 2006, n° 05-86.912, F-P+F N° Lexbase : A1233DQQ, Droit fiscal, 2006, 42, comm. 680).

Ce texte n'autorise pas, pour autant, une visite des lieux qui, en application de l'article L. 38 du LPF, ne peut se faire qu'en cas de flagrant délit ou sur autorisation de l'autorité judiciaire et, dans tous les cas, avec l'assistance d'un officier de police judiciaire (Cass. crim., 25 juin 1998, n° 97-81.647 N° Lexbase : A5190AC9, Revue Droit pénal, 1999, 1, note Robert, p.16).

A compter du 3 juin 2004, l'entreprise individuelle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité. Il est difficile de considérer que les deux interventions sont sans lien d'autant que six mois à peine se sont écoulés depuis le contrôle de billetterie. La théorie de l'indépendance des procédures permet de considérer séparément les deux interventions. A la suite de la vérification de comptabilité, des rappels de TVA ont été signifiés pour la période du 1er janvier 2000 au 31 mars 2004. Le contribuable a en outre été assujetti à des cotisations supplémentaires, au titre de l'impôt sur le revenu, pour les années 2001 et 2002.

Par deux jugements du 26 juin 2008, le tribunal administratif a rejeté les demandes du contribuable tendant à la décharge des impositions et pénalités (TA Bordeaux, 6 mars 2008, n° 0602860 N° Lexbase : A5980E3U et n° 0701848 N° Lexbase : A1800E88). Il s'est pourvu en cassation contre les arrêts de la cour administrative d'appel, du 5 janvier 2010 (CAA Bordeaux, 3ème ch., 5 janvier 2010, n° 08BX02245 N° Lexbase : A1508E8D et n° 08BX02247 N° Lexbase : A1510E8G, inédits au recueil Lebon), qui a rejeté l'appel que le contribuable a interjeté des jugements rendus.

Le contribuable fait valoir que, selon lui, l'administration aurait détourné à des fins exclusivement fiscales une procédure de contrôle tendant à la constatation d'infractions en matière de contributions indirectes ou de législation économique. Il est précisé qu'aucune poursuite n'a été engagée et qu'aucune transaction n'a été conclue à raison des infractions ayant motivé le contrôle de billetterie. Le contribuable considère qu'il appartient au juge de rechercher, lui même, si l'administration fait état de l'existence, préalablement au recours à cette procédure, d'indices faisant naître des soupçons sérieux de nature à la justifier.

Il a déjà été jugé qu'une cour administrative d'appel dénature les faits en décidant que l'intervention sur les lieux de l'exercice d'une discothèque-bar d'agents de l'administration, sur le fondement de l'article L. 26 précité, était entachée de détournement de procédure pour avoir été opérée à la seule fin de permettre des rectifications en matière d'impôt sur les sociétés et de TVA, alors que les agents avaient constaté l'absence totale de billetterie et que l'administration avait adressé à l'exploitant une proposition d'accord transactionnel (CE 9° et 10° s-s-r., 17 avril 2008, n° 281852, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6479D8H, RJF, 2008, 7, comm. 835). La procédure n'est pas entachée de détournement de procédure malgré la circonstance que le contrôle de la billetterie n'a pas entraîné l'engagement de poursuites pour infraction à la législation relative à la billetterie (CE, 18 novembre 2009, n° 313774, RJF, 2010, 5, comm. 500).

Dans cette affaire, le Conseil d'Etat a jugé que la cour administrative d'appel, qui n'a pas recherché si le contrôle de billetterie était fondé sur des indices sérieux d'infractions à la législation spécifique à cette activité, a commis une erreur de droit. Par ce seul motif, le Conseil a jugé que le contribuable était fondé à demander l'annulation des arrêts qu'il attaquait, et renvoie l'affaire devant la cour administrative d'appel de Bordeaux pour qu'elle soit jugée à nouveau.

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