Jurisprudence : CEDH, 08-06-1976, Req. 5100/71, Engel et autres

CEDH, 08-06-1976, Req. 5100/71, Engel et autres

A5111AYX

Référence

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Cour européenne des droits de l'homme

8 juin 1976

Requête n°5100/71

Engel et autres




COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

En l'affaire Engel et autres,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, statuant en séance plénière par application de l'article 48 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:

MM. H. MOSLER, président,

A. VERDROSS,

M. ZEKIA,

J. CREMONA,

G. WIARDA,

P. O'DONOGHUE,

Mme H. PEDERSEN,

MM. T. VILHJÁLMSSON,

S. PETREN,

A. BOZER,

W. GANSHOF VAN DER MEERSCH,

Mme D. BINDSCHEDLER-ROBERT,

M. D. EVRIGENIS,

ainsi que de MM. M.-A. EISSEN, greffier, et H. PETZOLD, greffier adjoint,

Après avoir délibéré en chambre du conseil les 30 et 31 octobre 1975, puis du 20 au 22 janvier et du 26 au 30 avril 1976,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1. L'affaire Engel et autres a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") et par le gouvernement du Royaume des Pays-Bas ("le Gouvernement"). A son origine se trouvent cinq requêtes dirigées contre le Royaume des Pays-Bas et dont les ressortissants néerlandais Cornelis J.M. Engel, Peter van der Wiel, Gerrit Jan de Wit, Johannes C. Dona et Willem A.C. Schul avaient saisi la Commission en 1971.

2. La demande de la Commission - qui s'accompagnait du rapport prévu à l'article 31 (art. 31) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") - et la requête du Gouvernement ont été déposées au greffe de la Cour dans le délai de trois mois institué par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47), la première le 8 octobre 1974, la seconde le 17 décembre. Elles renvoyaient aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) et à la déclaration par laquelle le Royaume des Pays-Bas a reconnu la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elles ont pour objet d'obtenir une décision de la Cour sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de l'Etat défendeur, un manquement aux obligations qui lui incombent aux termes des articles 5, 6, 10, 11, 14, 17 et 18 de la Convention (art. 5, art. 6, art. 10, art. 11, art. 14, art. 17, art. 18).

3. Le 15 octobre 1974, le président de la Cour a procédé, en présence du greffier, au tirage au sort des noms de cinq des sept juges appelés à former la Chambre compétente, M. G.J. Wiarda, juge élu de nationalité néerlandaise, et M. H. Mosler, vice-président de la Cour, siégeant d'office aux termes de l'article 43 (art. 43) de la Convention et de l'article 21 par. 3 b) du règlement respectivement. Les cinq juges ainsi désignés étaient MM. A. Verdross, M. Zekia, P. O'Donoghue, T. Vilhjálmsson et R. Ryssdal (article 43 in fine de la Convention et article 21 par. 4 du règlement) (art. 43).

En application de l'article 21 par. 5 du règlement, M. Mosler a assumé la présidence de la Chambre.

4. Le président de la Chambre a recueilli par l'intermédiaire du greffier l'opinion de l'agent du Gouvernement, de même que celle des délégués de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Par une ordonnance du 31 octobre 1974, il a décidé que le Gouvernement présenterait un mémoire dans un délai devant expirer le 14 février 1975 et que les délégués auraient la faculté d'y répondre par écrit dans un délai de deux mois à compter de la réception dudit mémoire. Le 22 janvier 1975, il a prorogé jusqu'au 1er avril le délai ainsi accordé au Gouvernement.

Le mémoire du Gouvernement est arrivé au greffe le 1er avril, celui des délégués le 30 mai 1975.

5. Par une ordonnance du 30 juin 1975, le président a fixé au 28 octobre la date d'ouverture des audiences, après avoir consulté l'agent du Gouvernement et les délégués de la Commission par l'intermédiaire du greffier.

6. Réunie à huis clos le 1er octobre 1975 à Strasbourg, la Chambre a décidé, en vertu de l'article 48 du règlement, de se dessaisir, avec effet immédiat, au profit de la Cour plénière, "considérant que l'affaire soulev(ait) des questions graves qui touch(aient) à l'interprétation de la Convention (...)". En même temps, elle a pris note de l'intention des délégués de la Commission de se faire assister pendant la procédure orale par l'ancien représentant des requérants devant la Commission, Me van der Schans, qu'elle a autorisé à s'exprimer en néerlandais (articles 29 par. 1 in fine et 27 par. 3 du règlement).

7. Le 27 octobre 1975, la Cour a tenu une réunion consacrée à la préparation de la phase orale de la procédure. A cette occasion, elle a dressé deux listes de demandes et questions qu'elle a communiquées aux comparants. Les documents ainsi demandés ont été déposés par la Commission le jour même et par le Gouvernement le 21 novembre 1975.

8. Les débats se sont déroulés en public les 28 et 29 octobre 1975 à Strasbourg, au Palais des Droits de l'Homme.

Ont comparu devant la Cour:

- pour le Gouvernement:

M. C.W. VAN SANTEN, jurisconsulte adjoint au ministère des affaires étrangères,

agent;

M. C.W. VAN BOETZELAER VAN ASPEREN, représentant permanent des Pays-Bas auprès du Conseil de l'Europe,

agent suppléant;

M. E. DROOGLEEVER FORTUIJN, Landsadvocaat,

M. R.J. AKKERMAN, fonctionnaire au ministère de la défense,

M. W. BREUKELAAR, fonctionnaire au ministère de la justice,

M. J.J.E. SCHUTTE, fonctionnaire au ministère de la justice,

M. A.D. BELINFANTE, professeur à l'Université d'Amsterdam,

conseillers;

- pour la Commission:

M. J.E.S. FAWCETT, délégué principal,

M. F. ERMACORA, délégué,

Me E. VAN DER SCHANS, ancien représentant des requérants devant la Commission, assistant les délégués en vertu de l'article 29 par. 1, deuxième phrase, du règlement de la Cour.

La Cour a ouï en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses aux questions posées par elle, M. Fawcett, M. Ermacora et Me van der Schans pour la Commission et, pour le Gouvernement, MM. van Santen, Droogleever Fortuijn et Belinfante.

9. Le 30 octobre, la Commission a produit certains documents que ses représentants avaient mentionnés lors des audiences.

10. Sur les instructions de la Cour, le greffier a prié la Commission, les 3 et 13 novembre 1975, de lui fournir des précisions au sujet d'un point particulier de l'affaire; elle les lui a données les 4 et 14 novembre.

FAITS

11. Les faits de la cause peuvent se résumer ainsi:

12. Au moment où ils ont saisi la Commission, tous les requérants accomplissaient leur service militaire dans les forces armées néerlandaises en qualité d'homme de troupe ou de sous-officier. Leurs chefs de corps les avaient frappés, dans des circonstances distinctes, de diverses sanctions pour des infractions à la discipline militaire. Les requérants s'en étaient plaints à l'officier de recours (beklagmeerdere), puis à la Haute Cour militaire (Hoog Militair Gerechtshof) qui avait confirmé pour l'essentiel les décisions attaquées, mais réduit dans deux cas la peine infligée.

LE SYSTEME DU DROIT DISCIPLINAIRE MILITAIRE AUX PAYS-BAS

13. A l'époque des mesures litigieuses, le droit disciplinaire concernant l'armée néerlandaise figurait dans la loi du 27 avril 1903 sur la discipline militaire (Wet op de Krijgstucht, "la loi de 1903"), le règlement de discipline militaire du 31 juillet 1922 (Reglement betreffende de Krijgstucht), le code pénal militaire du 27 avril 1903 (Wetboek van Militair Strafrecht) et le code de procédure des armées de terre et de l'air dans sa version du 9 janvier 1964 (Rechtspleging bij de Land- en Luchtmacht).

Ce régime juridique a évolué au cours des années. En particulier certaines clauses de la loi de 1903, appliquées en l'espèce, ont été abrogées ou amendées par une loi du 12 septembre 1974, entrée en vigueur le 1er novembre 1974.

14. A côté du droit disciplinaire, il existe aux Pays-Bas un droit pénal militaire. Les procédures auxquelles donne lieu celui-ci se déroulent en première instance devant un conseil de guerre (Krijgsraad) puis, le cas échéant, en appel devant la Haute Cour militaire.

Les développements qui suivent se rapportent uniquement au droit disciplinaire militaire. Comme le droit pénal militaire, il vaut tant pour les appelés du contingent, tels les requérants, que pour les volontaires.

Les infractions disciplinaires militaires

15. Les infractions à la discipline militaire se trouvent définies à l'article 2 de la loi de 1903 comme étant:

"1. tout acte non visé par la législation pénale, mais contraire à un ordre ou règlement officiels ou incompatible avec l'ordre et la discipline militaires;

2. toute infraction pénale relevant de la compétence du juge militaire, dans la mesure où elle est incompatible avec l'ordre et la discipline militaires, mais en même temps assez légère pour pouvoir faire l'objet d'une procédure non pénale."

Le règlement de discipline militaire du 31 juillet 1922 énonce les principes fondamentaux de celle-ci (article 15 par. 2). D'après l'article 16 par. 1, la compatibilité du comportement d'un membre des forces armées avec l'ordre et la discipline militaires doit s'apprécier par référence aux considérations générales exposées dans la première partie dudit règlement.

Les articles 17 à 26 énumèrent - à titre d'exemples, ainsi que le précise l'article 16 par. 2 - des infractions à la discipline militaire: appartenance à des organisations extrémistes, inobservation du secret, détention et diffusion d'écrits répréhensibles, manifestation de mécontentement, manquement aux devoirs militaires, absence non autorisée, comportement incorrect ou insoumis, atteinte à la propriété, manquement au devoir d'assistance, négligence en matière d'hygiène et de propreté, manquement aux devoirs de garde et de patrouille, etc.

Plusieurs de ces actions et omissions constituent en même temps des infractions pénales réprimées par le code pénal militaire, telles l'absence non autorisée d'un jour ou plus (article 96), la non-exécution d'un ordre militaire (article 114) et la diffusion d'écrits répréhensibles (article 147).

D'après l'article 8 du code de procédure des armées de terre et de l'air, l'officier compétent prononce une sanction disciplinaire s'il estime l'intéressé coupable d'une infraction qui peut être réglée en dehors d'une procédure pénale.

Les sanctions et mesures disciplinaires militaires

16. A l'époque considérée, les dispositions relatives aux diverses sanctions encourues par les auteurs d'infractions disciplinaires figuraient aux articles 3 à 5 de la loi de 1903.

La nature des sanctions dépendait du grade du coupable. Ainsi, les principales peines disciplinaires applicables aux officiers étaient, d'après l'article 3-A, la réprimande, "les arrêts simples (licht arrest) pendant 14 jours au maximum" et "les arrêts de rigueur (streng arrest) pendant 14 jours au maximum". Pour les sous-officiers, l'article 4-A prévoyait notamment la réprimande, la consigne au quartier pendant la nuit, "les arrêts simples pendant 21 jours au maximum", "les arrêts aggravés (verzwaard arrest) pendant 14 jours au maximum" et "les arrêts de rigueur pendant 14 jours au maximum". Selon l'article 5-A, les hommes de troupe étaient passibles en gros des mêmes peines que les sous-officiers plus, pour les simples soldats, "l'affectation à une unité disciplinaire" (plaatsing in een tuchtklasse). Aux termes de l'alinéa B de chacun de ces articles, tout militaire pouvait en outre se voir infliger la perte de sa solde comme "peine supplémentaire".

17. Sous l'empire de la loi de 1903, les modalités d'exécution des peines disciplinaires variaient elles aussi en fonction du grade.

18. L'exécution des arrêts simples était régie par l'article 8:

"Les arrêts simples sont subis:

A. Par les officiers:

1. à terre: chez eux, sous leur tente ou dans leur quartier ou, en cas de bivouac, au lieu désigné par le chef de corps;

2. (...)

B. Par les sous-officiers et hommes de troupe:

1. à terre: à la caserne, au quartier ou chez eux ou, en cas de cantonnement, campement ou bivouac, au lieu désigné par le chef de corps;

2. (...)

(...)

Les militaires mis aux arrêts simples ne sont pas écartés de l'accomplissement du service."

En conséquence, un militaire aux arrêts simples devait d'ordinaire, quel que fût son grade, rester chez lui en dehors de ses heures de service s'il ne logeait pas à la caserne; il se trouvait consigné à l'intérieur de celle-ci dans le cas contraire.

Les officiers et sous-officiers logeaient d'habitude à l'extérieur de la caserne, tandis que les hommes de troupe avaient en droit l'obligation d'y loger. En pratique, les hommes de troupe jouissaient depuis quelque temps d'une certaine liberté de mouvement le soir entre cinq heures et minuit et en fin de semaine. Ils en profitaient fréquemment pour séjourner dans leur famille, mais il n'en résultait pas qu'ils ne fussent plus astreints à loger à la caserne.

A la différence d'un officier ou sous-officier, un homme de troupe ne pouvait donc pas, en général, subir les arrêts simples chez lui, de sorte qu'il perdait le privilège de regagner ses foyers en dehors de ses heures de service. Se trouvaient dans la même situation les appelés autorisés à loger à l'extérieur de la caserne: d'après l'article 123 du règlement relatif au service dans l'armée royale de terre (Reglement op de Inwendige Dienst der Koninklijke Landmacht), l'autorisation était suspendue notamment en cas d'arrêts disciplinaires; toutefois, cette disposition, jugée contraire à la loi de 1903, a disparu en 1974.

Le militaire purgeant des arrêts simples à la caserne avait la faculté de recevoir des visites, correspondre et téléphoner; il pouvait circuler librement dans la caserne en dehors de ses heures de service et par exemple se rendre au cinéma, à la cantine ou aux autres salles de loisirs.

19. L'exécution des arrêts aggravés, lesquels valaient seulement pour les sous-officiers et hommes de troupe, obéissait à l'article 9 de la loi de 1903. Les intéressés continuaient d'assurer leur service, mais le reste du temps ils devaient demeurer, en compagnie d'autres militaires frappés de la même peine, dans un local spécialement désigné mais non fermé à clef. Ils pouvaient recevoir des visites avec l'autorisation écrite du commandant de compagnie. A la différence des arrêts simples, les arrêts aggravés ne leur laissaient pas la liberté de circuler à l'intérieur de la caserne pour se rendre au cinéma, à la cantine ou aux salles de loisirs. Les hommes de troupe devaient autant que possible être séparés de leur camarades (afzondering) pendant la nuit.

20. Quant aux arrêts de rigueur, leur exécution faisait l'objet de l'article 10 de la loi de 1903. Les officiers les subissaient, pendant leurs heures de service comme en dehors d'elles, de la même manière que les arrêts simples, c'est-à-dire d'ordinaire en restant chez eux, alors que sous-officiers et hommes de troupe étaient enfermés dans une cellule. Les militaires de tout grade étaient écartés de l'accomplissement de leur service normal.

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