Jurisprudence : CEDH, 29-08-1996, Req. 71/1996/690/882, A.P., M.P. et T.P. c. Suisse

CEDH, 29-08-1996, Req. 71/1996/690/882, A.P., M.P. et T.P. c. Suisse

A8286AWS

Référence

CEDH, 29-08-1996, Req. 71/1996/690/882, A.P., M.P. et T.P. c. Suisse. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065213-cedh-29081996-req-711996690882-ap-mp-et-tp-c-suisse
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Cour européenne des droits de l'homme

29 août 1996

Requête n°71/1996/690/882

A.P., M.P. et T.P. c. Suisse



AFFAIRE A.P., M.P. et T.P. c. SUISSE

(71/1996/690/882)

ARRÊT

STRASBOURG

29 août 1996

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1997, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.

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SOMMAIRE

Arrêt rendu par une chambre

Suisse – sanction pénale infligée aux héritiers pour une fraude fiscale commise par le de cujus (article 130 § 1 de l'arrêté concernant la perception d'un impôt fédéral direct)

I. ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION

A. Applicabilité de l'article 6

Réaffirmation de la jurisprudence de la Cour sur la notion d'« accusation en matière pénale ».

Nature et gravité de la sanction encourue : les amendes n'étaient pas négligeables et auraient pu être quatre fois plus importantes.

Nature de l'infraction : la législation fiscale prescrit certaines conditions qu'elle assortit de sanctions - ces sanctions ne tendent pas à la réparation pécuniaire d'un préjudice, mais sont de caractère essentiellement punitif et dissuasif.

Qualification de la procédure en droit interne : importance du constat fait par le Tribunal fédéral dans l'arrêt rendu en l'espèce, à savoir que l'amende en question est de nature « pénale » et est fonction de la « culpabilité » du contribuable fautif.

Conclusion : article 6 applicable (sept voix contre deux).

B. Observation de l'article 6 § 2

Le recouvrement auprès des requérants des impôts impayés ne saurait prêter à discussion, et cela n'a pas été le cas - à vrai dire, il est normal que les dettes fiscales, à l'instar des autres dettes contractées par le de cujus, soient réglées par prélèvement sur la masse successorale – cependant, infliger des sanctions pénales aux survivants pour des actes apparemment commis par une personne décédée est une question différente.

Non-lieu à décider si la culpabilité du défunt a été légalement établie – la procédure en recouvrement a été engagée contre les héritiers eux-mêmes et c'est à eux que l'amende a été infligée – ils ont fait l'objet d'une sanction pénale pour une fraude fiscale imputée au défunt.

La règle fondamentale du droit pénal est que la responsabilité pénale ne survit pas à l'auteur de l'acte délictueux – règle aussi requise par la présomption d'innocence consacrée à l'article 6 § 2.

Conclusion : violation (sept voix contre deux).


II. ARTICLE 6 § 1 ET 3 DE LA CONVENTION

Vu le constat de violation de l'article 6 § 2, non-lieu à examiner les questions soulevées au regard de l'article 6 § 1 et 3.

Conclusion : non-lieu à examen (unanimité).

III. ARTICLE 50 DE LA CONVENTION

Frais et dépens exposés devant les organes de la Convention à rembourser.

Conclusion : Etat défendeur tenu de verser une certaine somme aux requérants (unanimité).

Références à la jurisprudence de la Cour

21.2.1984, Öztürk c. Allemagne ; 24.2.1994, Bendenoun c. France

En l'affaire A.P., M.P. et T.P. c. Suisse,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement B, en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM. R. Bernhardt, président,

L.-E. Pettiti,

C. Russo,

J. De Meyer,

I. Foighel,

A.B. Baka,

L. Wildhaber,

J. Makarczyk,

D. Gotchev,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 avril et 30 juin 1997,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

210. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 28 mai 1996, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 19958/92) dirigée contre la Confédération suisse et dont trois ressortissants de cet Etat, Mme A.P., M. M.P. et M. T.P., avaient saisi la Commission le 13 mars 1992 en vertu de l'article 25.

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration suisse reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 § 1 et 2 de la Convention.


211. En réponse à l'invitation prévue à l'article 35 § 3 d) du règlement B, les requérants ont exprimé le désir de participer à l'instance et ont désigné leur conseil (article 31), que le président a autorisé à employer l'allemand (article 28 § 3).

212. Le 10 juin 1996, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a décidé qu'il y avait lieu de confier à une chambre unique (article 21 § 7 du règlement B), dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'examen de la présente cause et celui de l'affaire E.L., R.L. et J.O.- L. c. Suisse.

213. La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein droit M. L. Wildhaber, juge élu de nationalité suisse (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement B). Le 10 juin 1996, M. Ryssdal a tiré au sort, en présence du greffier, le nom des sept autres membres, à savoir MM. L.-E. Pettiti, C. Russo, J. De Meyer, I. Foighel, A.B. Baka, J. Makarczyk et D. Gotchev (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement B).

214. En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement B), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement suisse (« le Gouvernement »), l'avocat des requérants et la déléguée de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 39 § 1 et 40). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et des requérants les 6 et 10 décembre 1996 respectivement.

215. Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 17 mars 1997, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu :

– pour le Gouvernement

M. F. Schürmann, chef de la section des droits de l'homme

et du Conseil de l'Europe, Office fédéral de la justice, agent,

M. J. Lindenmann, conseiller technique, section des droits

de l'homme et du Conseil de l'Europe, Office fédéral

de la justice,

M. P. Schneeberger, conseiller technique assistant,

division juridique, service de l'impôt fédéral direct, conseillers ;

– pour la Commission

Mme J. Liddy, déléguée ;


pour les requérants

Mes H.P. Derksen, avocat à Wallisellen

(pour l'affaire A.P., M.P. et T.P.), conseil,

R. Küchler, avocat à Lucerne

(pour l'affaire E.L., R.L. et J.O.-L), conseil,

H. Hegetschweiler, avocat à Wallisellen

(pour l'affaire A.P., M.P. et T.P.), conseiller.

La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Liddy, Me Derksen, Me Küchler et M. Schürmann.

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

A. La genèse de l'affaire

216. Les requérants, tous trois citoyens suisses domiciliés dans le canton de Zurich, sont respectivement la veuve et les fils de feu M. P., décédé le 28 février 1984.

M. P. était l'unique actionnaire d'une société de construction. Les requérants sont ses seuls héritiers. L'entreprise que possède la société est gérée par les fils de M. P.

217. Le 8 mai 1984, les autorités municipales dressèrent un inventaire de la succession de M. P. Copie de ce document a été versée au dossier de la Commission ; elle porte la date du 17 mai 1984.

218. Le délai de trois mois dans lequel les requérants auraient pu répudier la succession (articles 566 § 1 et 567 § 1 du code civil suisse – paragraphe 24 ci-dessous) expira, semble-t-il, le 28 mai 1984.

219. Entre le 1er et le 3 octobre 1985, le fisc examina les registres de la société. Il en ressortait que, sur plusieurs années, M. P. s'était approprié certains arriérés de paiement dus à la société et ne les avait pas déclarés comme revenus, se soustrayant ainsi à l'impôt à la fois cantonal et fédéral.

220. Les services fiscaux cantonaux et fédéraux engagèrent chacun contre les requérants une procédure en recouvrement de l'impôt impayé, et leur imposèrent simultanément des amendes pour fraude fiscale.


221. Il semble que les requérants aient coopéré avec ces services en leur fournissant les informations nécessaires à une évaluation exacte des sommes dues. Ils s'opposèrent cependant aux amendes infligées et se pourvurent devant les tribunaux compétents, se déclarant innocents de l'infraction fiscale commise par M. P.

222. La procédure cantonale prit fin le 2 novembre 1989 avec un jugement du tribunal administratif du canton de Zurich. Cette juridiction estima que c'était un principe de droit pénal dans un Etat de droit que de ne pas punir l'innocent et - renversant sa jurisprudence - elle déclara qu'il était dès lors illégal d'imposer des amendes aux héritiers pour une fraude fiscale commise par le de cujus.

B. La procédure au niveau fédéral

223. Le 16 janvier 1990, la Direction de l'impôt fédéral direct de l'Office cantonal des impôts de Zurich, se prononçant sur la réclamation déposée par les requérants, procéda à l'évaluation de l'impôt fédéral direct illégalement soustrait par M. P. pour les exercices 1981-1982 et 1983-1984, et infligea aux requérants des amendes s'élevant à 3 875,85 francs suisses (CHF) pour 1981–1982 et 2 882,90 CHF pour 1983-1984. Elle motiva ainsi sa décision :

« En procédant à une déclaration inexacte, le contribuable a retenu à son profit des impôts dus à l'Etat et s'est ainsi rendu coupable de soustraction fiscale. En vertu des articles 130 § 1 et 129 § 1 de l'arrêté du Conseil fédéral concernant la perception d'un impôt fédéral direct – « l'arrêté » –, ses héritiers doivent donc payer, outre les impôts ainsi retenus, une amende pouvant atteindre le quadruple du montant de ceux-ci. Pour l'exercice fiscal 1981-1982, au cours duquel la soustraction a porté sur plus de 5/10e de l'impôt dû, l'amende est fixée à 1,5 fois la somme détournée. Pour l'exercice 1983-1984, au cours duquel plus de 3/10e de l'impôt dû ont été soustraits, l'amende est fixée à 1,3 fois la somme détournée. Toutefois, comme on peut constater que les héritiers ont fait tout leur possible pour redresser la déclaration inexacte, l'amende est ramenée à un quart de la somme due. »

L'Office cantonal des impôts refusa de suivre le précédent de l'arrêt rendu par le tribunal administratif du canton de Zurich le 2 novembre 1989 (paragraphe 13 ci-dessus), au motif qu'il ne pouvait pas s'écarter des dispositions très claires d'une loi fédérale tant que leur inconstitutionnalité n'avait pas été établie.

224. Les requérants attaquèrent cette décision devant la commission fédérale de recours en matière fiscale du canton de Zurich, en invoquant notamment l'article 6 § 2 de la Convention.

225. La commission se prononça le 19 septembre 1990.


Elle annula l'évaluation faite pour l'exercice 1981-1982 au motif qu'elle n'avait pas été légalement communiquée aux requérants dans le délai de prescription de cinq ans (article 134 de l'arrêté).

Elle confirma en revanche l'évaluation faite pour 1983-1984. Dans ce contexte, la commission de recours déclara que l'on ne pouvait directement invoquer l'article 6 § 2 que dans la mesure où il fournissait des garanties complémentaires à celles de la Constitution fédérale - ce qui n'était pas le cas.

Dans un obiter dictum, la commission fédérale de recours fit une distinction entre la présomption d'innocence et le principe que seul le coupable doit être puni. L'obligation pour les héritiers d'acquitter les amendes encourues par le contribuable, qui ne heurtait pas ce dernier principe - tel que l'interprète le droit interne et qu'il a été appliqué au défunt - n'était pas non plus nécessairement contraire à la présomption d'innocence.

226. Le 21 décembre 1990, les requérants déposèrent devant le Tribunal fédéral un recours de droit administratif.

Réitérant leur opposition aux amendes, ils prétendaient en outre avoir droit, en vertu de l'article 6 § 1 et 3 de la Convention, à faire entendre publiquement leur cause et à se voir reconnaître les droits de la défense.

227. La commission fédérale de recours en matière fiscale à Zurich, et l'Administration fédérale des contributions, invitées à soumettre des observations écrites conformément à l'article 110 de la loi fédérale d'organisation judiciaire (paragraphe 28 ci-dessous), exprimèrent l'avis qu'il fallait rejeter le recours. La Direction de l'impôt fédéral direct de l'Office cantonal des impôts de Zurich, également priée de présenter des observations, déclina l'invitation.

228. Le Tribunal fédéral rejeta le recours sans tenir d'audience (article 109 de la loi fédérale d'organisation judiciaire - paragraphe 29 ci-dessous) par un arrêt rendu le 5 juillet 1991 et signifié aux requérants le 16 octobre. Ses motifs étaient notamment les suivants :

« Contrairement aux arriérés d'imposition, l'amende pour soustraction fiscale (sauf dans la mesure où elle peut englober l'intérêt moratoire), prévue à l'article 129 de l'arrêté concernant la perception d'un impôt fédéral direct, est de nature pénale (...). Au surplus, la définition de la soustraction fiscale exige que le débiteur soit coupable, soit par commission soit par omission, de manquement à ses obligations ayant conduit à une taxation insuffisante.

Toutefois, eu égard au principe de transmission aux héritiers des obligations fiscales (...), ceux-ci, aux termes de l'article 130 § 1 de l'arrêté précité, répondent de l'impôt soustrait et des amendes encourues par le défunt jusqu'à concurrence de leur part successorale, même si aucune faute ne leur est imputable. En effet, la disposition applicable de l'arrêté énonce expressément que les héritiers, indépendamment de toute faute de leur part, se substituent au défunt, y compris quant aux amendes fiscales. Les requérants ne sauraient donc invoquer, pour s'exonérer de leur responsabilité en tant qu'héritiers, la présomption d'innocence consacrée par l'article 6 de la Convention, laquelle ne s'applique qu'aux personnes accusées d'une infraction (...). De même, dans les circonstances de l'espèce, les requérants ne sauraient se prévaloir des principes généraux de droit pénal qu'ils invoquent. »

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