La lettre juridique n°493 du 12 juillet 2012

La lettre juridique - Édition n°493

Éditorial

Préjudice sexuel et agrément baroque

Lecture: 3 min

N2865BTB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/6546493-edition-n-493-du-12072012#article-432865
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Décidément, le vocabulaire juridique a sa singularité qu'un esprit baroque ne reconnaîtrait pas. L'on sait, grâce à Cornu, que l'abandonnement est une opération par laquelle on attribue un bien en partage à un indivisaire pour le remplir de ses droits, et en rien un acte de délaissement d'une chose ou d'autrui ; que, si l'indu est ce qui n'est pas dû, encore est-il le trop perçu ; ou bien, plus "perfide", que la tradition, en droit, ne tire rien des us et coutume, mais transfère la possession d'une chose mobilière. Par un arrêt du 28 juin 2012, les juges du quai de l'Horloge nous enseignent pareillement, et nous en déplaise, que le sexe n'est pas un agrément.

Pour la deuxième chambre civile, doit être apprécié distinctement du préjudice d'agrément, lequel vise exclusivement l'indemnisation du préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs, le préjudice sexuel qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle.

Un brin choqué par ce partage dans le dommage, bien qu'il soit de jurisprudence constante, j'ouvre, dès lors mon Littré.

"J'ai présupposé qu'elle avait l'agrément de Madame" écrivait l'épistolaire Bossuet. Que nenni Monsieur l'Evêque de Condom, il n'est besoin en rien du consentement de Madame pour vous parer de votre calotte. Le sexe n'est pas affaire d'approbation, selon la Cour de cassation.

"Ce qui est de certain, c'est qu'avec tous ses agréments et tous ses charmes, le monde n'a rien de comparable à ces saints délices et à ces joies secrètes que la religion nous fait goûter" renchérit un autre prédicateur, Bourdaloue. L'agrément se rapproche, ici, presque physiquement du sexe, mais même s'il revêt la qualité de ce qu'il plait, le juge de cassation dit encore non.

"Je fis cinq charges en tout : j'en fus quitte pour la croupière de mon courtaud coupée, et un agrément d'or de mon habit bleu déchiré" nous livrait, jadis, Saint-Simon. Pour le coup, si l'agrément est un ornement, les fidèles dionysiaques n'en renieraient pas au sexe l'insigne qualificatif. Mais, que voulez-vous, "comme la mode fait l'agrément aussi fait-elle la justice" et le juge suprême se fait plus pascalien que nietzschéen !

Résolument baroque, l'agrément donne également la note, mais, pour le magistrat, le sexe n'est pas là. Si l'agrément est un accessoire qui donne au chant plus d'élégance et de grâce, force est de constater, avec Farinelli, que la castration permit au jeune napolitain de conserver une "voix de soprano pénétrante, pleine, riche, rayonnante et bien modulée..." nous livre Quantz, flûtiste de renom lui-même. Comme quoi sans sexe, l'agrément donne de la voix.

On omettra cet "agrément" usité à titre de "lavement" au XVIIème siècle, pour lui préférer le terme de "remède". Là encore, point de sexe, l'agrément est pour l'hygiène.

Mais il reste un dernier écueil : "la France, [est le pays] où les connaissances ont été portées aussi loin et les agréments de la vie plus loin que partout ailleurs", nous confie Fontenelle. Presque centenaire, le neveu de Corneille sait de quoi il parle lorsqu'il évoque l'agrément ; l'académicien ne fut-il pas condamné par l'Eglise pour ses interprétations blasphématoires ? N'était-il pas, excusez du peu, chevalier de l'Ordre de la Mouche à Miel auprès de la duchesse du Maine ? Tout un programme. Non ! Autour du Palais de justice, le sexe n'est ni plaisir, ni contentement. "Il n'y a dans l'homme que l'estomac à pouvoir être pleinement satisfait. La soif de connaissance et d'expérience, le désir d'agrément et de confort, ne peuvent jamais être apaisés", nous éclaire Edison.

Et, la Cour de cassation l'entend bien de cette oreille : le préjudice d'agrément est le préjudice subjectif de caractère personnel résultant des troubles ressentis dans les conditions d'existence. Aussi, est privée des agréments d'une vie normale une personne qui est atteinte d'une affection rendant pénibles les gestes quotidiens, s'est trouvée privée de toute activité physique, de toute vie sociale ou familiale et subit des contraintes dues au traitement. En revanche, le préjudice sexuel comprend le préjudice morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi. Il comprend le préjudice lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel, qu'il s'agisse de la perte de l'envie ou de la libido. Il comprend, enfin, le préjudice lié à l'acte sexuel lui-même, qu'il s'agisse de la perte de la capacité physique de réaliser l'acte, ou de la perte de la capacité à accéder au plaisir.

De l'adage populaire, l'on sait que le chemin compte tout autant que le but. Et, bien si l'agrément est le plaisir, le sexe en est l'un des chemins. Il convient donc bien de faire, ici, le distingo. Deux valeurs, deux préjudices, deux indemnisations... CQFD.

newsid:432865

Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] Cession de clientèle et collaboration : attention au risque de requalification

Réf. : CA Poitiers, 30 mai 2012, n° 10/01027 (N° Lexbase : A2451IMQ)

Lecture: 8 min

N2870BTH

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/6546493-edition-n-493-du-12072012#article-432870
Copier

par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 12 Juillet 2012

Après une procédure rocambolesque, c'est à une nouvelle hypothèse de requalification de la relation entre un avocat et une société d'exercice libéral en contrat de travail que donne lieu l'arrêt rendu le 30 mai 2012 par la cour d'appel de Poitiers. Il ne faut, cependant, pas se laisser abuser par les faits de cette espèce qui pourraient laisser penser que la cession de clientèle comporte désormais un fort risque de requalification. En effet, hier comme aujourd'hui, le juge judiciaire accorde une grande importance à l'indépendance de l'avocat collaborateur et, en particulier, à sa faculté de traiter des dossiers personnels. Au contraire, l'existence d'une cession de clientèle, d'une location de clientèle et, même, l'absence de contrat écrit entre les parties ne restent que des éléments secondaires dans l'identification d'une collaboration salariée.
Résumé

CA Poitiers, 30 mai 2012, n° 10/01027

Constitue une relation de travail fondée sur un contrat de travail à durée indéterminée la situation dans laquelle un avocat vend une partie de sa clientèle et loue l'autre partie à une société d'exercice libéral à responsabilité limitée. En effet, le cédant ne pouvait plus avoir de clientèle propre, avait vu son nom disparaître du papier en-tête de la société, travaillait dans des locaux loués par la société et en collaboration avec le personnel engagé par celle-ci, était rémunéré mensuellement et forfaitairement par la société qui payait les cotisations sociales afférentes et, enfin, bénéficiait de congés payés déterminés par la société. Ces éléments caractérisent l'existence d'un lien de subordination, dans le respect de l'indépendance de l'avocat telle qu'exigée par l'article 14-1 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8), si bien que la relation entre les parties relevait d'une collaboration salariée, par contrat de travail à durée indéterminée, faute d'écrit et de cas de recours valable au contrat de travail à durée déterminée.

I - Cession de clientèle, collaboration et salariat

  • Une procédure anormalement longue

Voilà une affaire qui devrait être présentée comme modèle aux étudiants et autres élèves avocats dans tous les cours de procédure pour illustrer comment parfois, le mélange de négligences et, peut-être, d'un peu de mauvaise foi, peuvent étendre la durée des procédures judiciaires bien au-delà du raisonnable (1). Après de nombreux renvois liés à l'absence de dépôt de conclusions pourtant prêtes en date et en heure, après remises de plusieurs notes en délibéré, la cour d'appel de Poitiers est enfin parvenue, plus de deux ans après la décision de première instance rendue par le Bâtonnier de La Rochelle, à trancher le litige opposant un avocat rochelais et la société avec laquelle il avait été associé et était, ensuite, devenu collaborateur (2).

  • Des faits complexes

Il est vrai, à la décharge des parties, que l'affaire était complexe. Un avocat, préparant son départ à la retraite, avait décidé de céder la moitié de sa clientèle à une société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) et de lui donner l'autre moitié en location, cette seconde moitié faisant encore l'objet d'une promesse d'achat par la société, promesse devant être réalisée au moment du départ à la retraite de l'avocat. L'avocat, en parallèle de ces cessions, devenait actionnaire et co-gérant de la société.

A la suite de dissensions entre les associés originels et le nouvel arrivant, un contrat était conclu et stipulait que l'avocat cédant démissionnait de ses fonctions de gérant et d'associé, qu'il poursuivait la relation par une simple collaboration moyennant rémunération et paiement des charges afférentes par la société. Un nouveau protocole était négocié pour prévoir les conditions de la collaboration mais ne parvenait pas être conclu par les parties, l'avocat collaborateur continuant malgré tout à travailler et à être rémunéré. A la suite de divers manquements reprochés à son collaborateur, la société mit fin à la relation.

  • La requalification en collaboration salariée

Le collaborateur éconduit saisit le Bâtonnier de La Rochelle afin de voir reconnaître l'existence d'un contrat de travail à durée indéterminée et de condamner la société à diverses sommes en raison du caractère abusif de la collaboration salariée. Le Bâtonnier fit droit à cette demande, ce qui n'empêcha pas le collaborateur de relever appel de cette décision, estimant finalement que la relation devait être qualifiée de contrat à durée déterminée et que la société devait, par voie de conséquence, être condamnée à verser l'intégralité des salaires dus jusqu'à l'échéance du terme du contrat. Par demande reconventionnelle, la société soulevait la nullité de la procédure, question qui ne sera pas développée ici.

La cour d'appel de Poitiers, par un arrêt du 30 mai 2012, réforme partiellement la décision du Bâtonnier sur le montant des indemnités servies en raison de la rupture, mais la confirme pour le reste et, en particulier, pour la qualification de contrat de travail à durée indéterminée conférée à la relation entre les parties.

II - La subordination juridique du contrat de travail adaptée à la collaboration d'avocat

  • La distinction entre contrat de travail et collaboration salariée

L'article 14-1 du règlement intérieur national de la profession d'avocat définit très clairement les deux statuts de collaboration par lesquels un avocat peut être lié à une société (3). D'un côté, la collaboration libérale est "un mode d'exercice professionnel exclusif de tout lien de subordination, par lequel un avocat consacre une partie de son activité au cabinet d'un ou plusieurs avocats". Le règlement ajoute que le collaborateur peut "développer une clientèle personnelle".

De l'autre, la collaboration salariée est présentée comme "un mode d'exercice professionnel dans lequel il n'existe de lien de subordination que pour la détermination des conditions de travail". Au contraire du collaborateur libéral, le salarié "ne peut avoir de clientèle personnelle, à l'exception de celle des missions d'aide juridique".

On sait que ces règles ont donné lieu, ces dernières années, à quelques retentissantes requalifications de collaborations libérales en collaborations salariées, faute pour l'avocat de disposer de la faculté de traiter des dossiers personnels (4).

La différence, comme en droit commun du travail, se joue essentiellement sur le lien de subordination. En droit du travail en effet, l'existence d'un contrat de travail est conditionnée à l'identification de trois caractéristiques que sont la rémunération, la prestation de travail et le lien de subordination (5). L'avocat collaborateur salarié est, comme certains hauts cadres ou autres médecins salariés de clinique, un salarié disposant d'une grande indépendance, comme le rappelle d'ailleurs l'article 14-3 du RIN.

Dans cette affaire, c'est donc le versement d'une rémunération et des charges afférentes par la société, la mise à disposition de matériel (locaux loués) et de personnel et, surtout, l'impossibilité de disposer d'une clientèle propre qui permettent la requalification de la relation en collaboration salariée.

  • Cession ou location de clientèle : un critère secondaire

Une lecture un peu rapide de la décision pourrait laisser croire que la cour d'appel requalifie deux contrats de cession de clientèle, d'une part, de location de clientèle, d'autre part, en un contrat de travail. Que les sociétés qui reprennent les clientèles cédées par des avocats partant à la retraite soient rassurées, ces contrats ne seront pas remis en cause ou, du moins, ce ne sont pas ces contrats de cession qui justifieront la requalification en contrat de travail.

En effet, une autre leçon peut être tirée de la compatibilité du droit du travail avec les statuts d'avocats collaborateurs : celle de l'applicabilité des modes de preuve de l'existence du contrat de travail (6).

La preuve de l'existence d'un contrat de travail est gouvernée par un principe dit de réalité (7). Le juge, pour établir cette qualification, ne s'arrête pas à la qualification donnée par les parties à leur relation mais recherche, dans les faits, quelle est la réalité de celle-ci, s'il existe en pratique une rémunération, une prestation de travail et une subordination (8).

Ainsi, en droit commun du travail, peu importe que les relations entre les parties soient gouvernées par un contrat de location (9), par un contrat de règlement de participation à un jeu de télé-réalité (10) ou, même, qu'elles ne soient régies par aucun contrat (11). Cette règle est importée dans les relations entre l'avocat collaborateur et la société pour laquelle il travaille. Certes, le RIN impose l'existence d'un contrat écrit afin d'établir les conditions dans lesquelles la collaboration salariée se déroulera (12). Pour autant, si l'absence d'écrit cause un préjudice à l'avocat salarié qui ne peut déterminer avec précision un certain nombre de ces droits (13), il ne s'agit pas d'une formalité ad validitatem, le contrat de travail peut exister sans écrit, il n'est pas un contrat solennel, y compris dans les relations entre avocats.

En somme, les contrats de cession de clientèle ou de location de clientèle sont totalement indifférents à la qualification de contrat de travail, en ce sens qu'une relation de travail peut être décelée en leur présence tout comme, à l'inverse, ces contrats peuvent être conclus sans qu'aucune relation salariée ne puisse être identifiée. Il n'aurait pu y avoir de reconnaissance d'une relation de travail si, nonobstant la cession et la location de clientèle, l'avocat collaborateur avait pu continuer à traiter des dossiers personnels (14). La règle énoncée impose ainsi de prendre garde à ce qu'après la cession de clientèle, l'avocat cédant intégré au personnel du cabinet continue d'avoir la faculté de traiter des dossiers personnels, comme tout autre collaborateur non salarié.

  • Collaboration à durée déterminée ou à durée indéterminée ?

C'est encore grâce à la compatibilité entre statut des avocats collaborateurs et droit du travail que la cour d'appel a pu rejeter la demande de qualification en contrat à durée déterminée. On sait, en effet, que le contrat de travail à durée déterminée est soumis à deux conditions essentielles, l'une de forme, l'autre de fond.

En la forme, le contrat à durée déterminée est impérativement écrit faute de quoi (15), s'il s'agit toujours bien d'une relation de travail salariée, celle-ci est nécessairement à durée indéterminée comme le juge de manière constante la Chambre sociale de la Cour de cassation (16). L'argument n'est cependant que d'une faible portée en l'espèce puisque, si l'employeur ne peut combattre la qualification de CDI faute d'écrit, le salarié bénéficie en principe de la faculté de démontrer que le contrat verbal était conclu pour une durée déterminée (17). Sur le fond, le contrat à durée déterminée est exceptionnel et ne peut être utilisé pour pourvoir un emploi lié à l'activité durable et permanente de l'entreprise (18). Ainsi, ce contrat ne peut être utilisé qu'à condition qu'un cas de recours légal soit invoqué : remplacement d'un salarié absent, accroissement temporaire d'activité, etc. (19). Faute que le contrat ait été rédigé par écrit et qu'un cas de recours légal ait été invoqué, la collaboration salariée devait nécessairement être qualifiée de contrat à durée indéterminée.

Là encore, contrairement à ce que les apparences pourraient laisser penser, cette qualification de CDI n'est pas défavorable à la société employeur du collaborateur salarié. En effet, alors que la rupture anticipée non justifiée par une faute grave du contrat à durée déterminée impose à l'employeur le paiement des salaires dus jusqu'à l'échéance du contrat (20), la rupture du contrat à durée indéterminée répond aux règles du licenciement et peut, par conséquent, être rompu sans que le salarié n'ait commis de faute grave, comme cela était le cas en l'espèce. Dans l'immense majorité des cas, les indemnités servies pour licenciement causé seront, compte tenu des calculs légaux ou conventionnels, nettement moins substantielles que le versement des salaires dus jusqu'à l'échéance du terme...

Décision

CA Poitiers, 30 mai 2012, n° 10/01027 (N° Lexbase : A2451IMQ)

Réformation partielle, Décision du Bâtonnier de l'Ordre des avocats de La Rochelle, 2 février 2010

Textes concernés : Règlement intérieur national de la profession d'avocat, art. 14-1 (N° Lexbase : L4063IP8)

Mots-clés : Avocat. Cession de clientèle. Collaboration salariée. Contrat à durée indéterminée.

Liens base : (N° Lexbase : E9968ETD) et (N° Lexbase : E9218ETL)


(1) Rappelons que la France est régulièrement condamnée pour la longueur trop importante de ses procédures devant la Cour européenne des droits de l'Homme, v. par ex. CEDH, 11 février 2010, Req. 24997/07 (N° Lexbase : A7446ER9).
(2) Les juges d'appel, excédés par les manoeuvres dilatoires des parties ont décidé, compte tenu de "ces errements procéduraux regrettables eu égard à la qualité des parties [...] d'ordonner la communication du présent arrêt pour information à madame le Procureur général et à monsieur le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de La Rochelle-Rochefort" (v. p. 6 de la décision)... Nul doute qu'une telle publicité n'est guère fréquente !
(3) La collaboration peut lier l'avocat à "un avocat individuel ou un groupement d'avocats sous la forme d'une association, d'une société civile professionnelle, d'une société d'exercice libéral ou d'une société en participation", v. loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, art. 7 (N° Lexbase : L6343AGZ).
(4) Cass. mixte, 12 février 1999, n° 96-17.468, publié (N° Lexbase : A4601AY3) ; Dr. soc., 1999, p. 404, obs. Ch. Radé ; Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12.966, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9766EGS) et les obs. de G. Auzero, Requalification d'un contrat de collaboration libérale en contrat de travail : l'importance de la clientèle personnelle, Lexbase Hebdo n° 353 du 4 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6304BKP) ; JCP éd. G, 2009, n° 25, 6, note C. Puigelier.
(5) V.-P. Fieschi-Vivet, Les éléments constitutifs du contrat de travail, RJS, 7/1991, p. 414 ; E. Dockès, La détermination de l'objet des obligations nées du contrat de travail, Dr. soc., 1997, p. 140.
(6) Les juges judiciaires ont, en effet, de plus en plus tendance à appliquer les règles générales du droit du travail aux relations entre cabinets et avocats salariés, comme le démontrait déjà l'acceptation de la prise d'acte de la rupture de la collaboration salariée, v. CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 29 septembre 2009, n° 08/11698 (N° Lexbase : A0547EM9) et nos obs., L'influence du droit du travail sur la rupture du contrat d'avocat collaborateur, Lexbase Hebdo n° 10 du 3 décembre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N4739BMH).
(7) A. Jeammaud, L'avenir sauvegardé de la qualification de contrat de travail - A propos de l'arrêt Labanne, Dr. soc., 2001, p. 230. D'autres auteurs préfèrent la qualification de "principe de réalisme" ce qui, au fond, semble refléter le même concept, v. Ch. Radé, La figure du contrat dans le rapport de travail, Dr. soc., 2001, p. 803.
(8) Ass. plén., 4 mars 1983, n° 81-15.290, publié (N° Lexbase : A3665ABD), D., 1983. 381, concl. J. Cabannes, D., 1984, IR, 164, obs. J.-M. Béraud ; Cass. soc., 19 décembre 2000, n° 98-40.572 (N° Lexbase : A2020AIN), D., 2001, IR, 355, RJS, 2001 203, n° 275, Dr. soc., 2001, p. 227, note A. Jeammaud ; Cass. soc., 25 octobre 2005, n° 01-45.147, FS-P+B (N° Lexbase : A1443DLZ) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Requalification d'une société en participation ou l'application du principe "Participe qui peut et non qui veut", Lexbase Hebdo n° 189 du 10 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N0520AKH), D., 2005, IR, 2898, ibid., 2006, Pan, 410, obs. E. Peskine, RJS, 2006, 88, n° 62, Dr. soc., 2006, p. 94, obs. J. Savatier ; Cass. soc., 27 juin 2007, n° 04-45.767, F-D (N° Lexbase : A9371DWY) et nos obs., Les frontières encore floues du salariat, Lexbase Hebdo n° 268 du 12 juillet 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7835BBS).
(9) Cass. soc., 19 décembre 2000, préc. ; Cass. soc., 27 juin 2007, préc..
(10) CA Paris, 18ème ch., sect. D, 12 février 2008, 3 arrêts, n° 07/02721 (N° Lexbase : A0261D7S), n° 07/02722 (N° Lexbase : A0260D7R), n° 07/02723 (N° Lexbase : A0250D7E) et nos obs., Les candidats salariés de "l'Ile de la tentation", Lexbase Hebdo n° 296 du 13 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3805BEN) ; Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-40.981, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5653EHT), v. les obs. de Ch. Radé, TF1 production pris à son propre jeu ! (à propos de la requalification des contrats des participants à l'émission de télévision "L'Ile de la tentation"), Lexbase Hebdo n° 355 du 18 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6564BKC) et Questions à Maître Jérémie Assous : quand la télé-réalité devient fiction... elle doit être soumise au Code du travail, Lexbase Hebdo n° 334 du 22 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N3536BIS).
(11) Ce qui est très souvent le cas, par exemple, dans les relations de travail identifiées dans les cercles familiaux.
(12) RIN, art. 14-2. V. également l'article 137 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID).
(13) V. par ex. CA Colmar, 10 janvier 2011, n° 09/00102 (N° Lexbase : A8532HCY).
(14) Ibid. dont il résulte que le critère déterminant et suffisant pour asseoir la qualification d'un contrat de collaboration libérale tient à la faculté effective dont dispose l'avocat de créer et de développer une clientèle personnelle.
(15) C. trav., art. L. 1242-12 (N° Lexbase : L1446H9G).
(16) C. trav., art. L. 1245-1 (N° Lexbase : L5747IA4).
(17) V. Cass. soc., 27 novembre 2002, n° 00-46.788, inédit (N° Lexbase : A1209A4K).
(18) C. trav., art. L. 1242-1 (N° Lexbase : L1428H9R).
(19) C. trav., art. L. 1242-2 (N° Lexbase : L3209IMS).
(20) C. trav., art. L. 1243-4 (N° Lexbase : L2988IQQ).

newsid:432870

Domaine public

[Jurisprudence] La "taxe trottoir" imposée à certains commerçants utilisant momentanément le domaine public d'une commune est illégale

Réf. : CAA Marseille, 7ème ch., 26 juin 2012, n° 11MA01675, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9703IP3)

Lecture: 8 min

N2805BT3

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/6546493-edition-n-493-du-12072012#article-432805
Copier

par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 25 Juillet 2012

La cour administrative d'appel de Marseille conclut à l'illégalité de la "taxe trottoir" visant les commerçants ou les établissements bancaires dans un arrêt rendu le 26 juin 2012, énonçant que "l'utilisation d'une dépendance du domaine public d'une personne publique dans les limites ne dépassant pas le droit d'usage qui appartient à tous ne nécessite la délivrance d'aucune autorisation et ne donne pas lieu à assujettissement au paiement d'une redevance au titre de cette utilisation". Depuis le début de l'année 2011, une municipalité du sud de la France avait imposé aux commerces dont les clients stationnent dans la rue une "redevance d'utilisation du domaine public" visant les commerces qui "ont besoin du domaine public pour effectuer leur vente", principalement les snacks disposant d'un comptoir donnant directement sur la rue et les banques équipées de distributeurs. Elle excluait, toutefois, les commerces procédant à la vente ou à la location de services ou biens culturels (cinéma, distributeurs automatiques de supports vidéo, etc.). La mairie a annoncé son intention de se pourvoir en cassation, indiquant que la portion du trottoir sur laquelle les clients attendent d'être servis (ou attendent pour retirer de l'argent) est soustraite à la circulation des piétons. Selon elle, les commerçants tirent donc bien avantage du domaine public "en utilisant ce dernier de façon habituelle, comme espace de clientèle". Le pourvoi en cassation n'étant pas suspensif de l'arrêt de la cour administrative d'appel, la mairie a indiqué étudier la possibilité d'obtenir un sursis à exécution. L'instauration de cette taxe était intervenue après une délibération du conseil municipal, comme la jurisprudence en a réitéré l'obligation (CE S., 27 juillet 1984, n° 34860, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2868ALS), et selon des modes de calcul différenciés de manière à prendre en compte l'usage fait du domaine public et la nature des commerces exercés comme la personne publique en a l'obligation (CE 9° et 8° s-s-r., 7 mai 1980, n° 05969, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5052B7A, CE, 10 février 1978, n° 7652, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3255AIE). L'assemblée délibérante avait fixé le tarif de cette redevance à 1 500 euros par an pour les distributeurs de billets et distributeurs de toute autre nature. S'agissant des commerces dont les vitrines ou les comptoirs ouvrent sur le domaine public, le tarif avait été fixé à 130 euros par mètre linéaire et par mois. Au total, une cinquantaine d'établissements était concernée, ce qui devait rapporter entre 90 000 et 100 000 euros par an à la municipalité. Le jugement attaqué (TA Nîmes, 3 mars 2011, n° 1002678 N° Lexbase : A3816HNN) avait rejeté les demandes tendant à l'annulation de la délibération, se fondant sur le Code général de la propriété des personnes publiques, pour relever que le temps de présence sur le trottoir avait "un caractère momentané", "ne dépassant pas le droit d'usage reconnu à tous".

I - La décision contraire de la cour administrative d'appel a bien évidemment soulevé l'ire des commerçants concernés et provoqué de multiples réactions médiatiques. L'on peut, cependant, penser que celles-ci n'étaient pas totalement justifiées car l'utilisation privative du domaine public n'est pas un droit, celui-ci supposant, en effet, des coûts de réalisation, d'aménagement, d'entretien et de surveillance (CE, Ass., 21 novembre 1958, Syndicat national des transporteurs aériens). En outre, les trottoirs des communes font partie du domaine public routier des communes depuis plus d'un siècle (CE, 28 janvier 1910, Robert ; CE, 14 mars 1975, Chatard). Par ailleurs, l'administration a une totale liberté d'appréciation pour décider ou refuser l'octroi d'une autorisation d'occuper le domaine public, même si elle a l'obligation de motiver son refus (CAA Bordeaux, 6ème ch., 27 octobre 2009, n° 09BX00027, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5914HMY) et de ne pas contrevenir directement au droit de la concurrence ou indirectement en mettant un opérateur économique dans une situation contraire aux exigences de la concurrence (CE 2° et 7° s-s-r., 23 mai 2012, n° 348909, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0935IML) et de toujours agir dans un but d'intérêt général (CAA Paris, 1ère ch., 11 avril 2006, n° 02PA03952, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2998DPQ).

L'occupation du domaine public constitue, en effet, une ressource rare, pour laquelle les opérateurs économiques intervenant sur un marché concurrentiel sont prêts à entrer en compétition car elle devient un avantage économique pour celui qui en bénéficie, comme en témoigne la bataille autour du contrat confiant l'exploitation des équipements sportifs du stade Jean Bouin (CE, S, 3 décembre 2010, n° 338272 et n° 338527, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4439GMD). La situation de l'occupant domanial reste précaire sur le domaine public (CE 3° et 8° s-s-r., 5 février 2009, n° 305021, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9334ECP), et le paiement d'une redevance d'occupation domaniale tient clairement compte de la situation économique de l'occupant et, précisément, des avantages comme des désavantages de toutes natures qui lui sont procurés (CE 1° et 4° s-s-r., 10 février 1978, n° 07652, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7015B7X ; CE 2° et 7° s-s-r., 7 octobre 2009, n° 309499, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8618ELR ; CE, Ass., 16 juillet 2007, n° 293229, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4716DXX ; CE 3° et 8° s-s-r., 11 octobre 2004, n° 254236, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5895DDP), comme l'imposent les articles L. 2125-1 (N° Lexbase : L1665IPD) et L. 2125-3 (N° Lexbase : L4561IQY) du Code général de la propriété des personnes publiques.

Ce critère peut être complété, le cas échéant, par la prise en compte de la valeur locative de propriétés privées comparables à cette dépendance. Il faut donc que la fixation du montant d'une redevance tienne compte d'éléments concrets relatifs aux conditions d'exploitation et de rentabilité de la concession d'occupation, au chiffre d'affaires qu'elle produit pour l'occupant et à la possibilité, pour lui, de jouir de manière purement privative d'une partie du domaine public. En conséquence, si le conseil municipal peut déterminer des catégories d'occupation afin de fixer une grille tarifaire pour les redevances de voirie, ces catégories doivent être suffisamment précises, faute de quoi les tarifs pourront être contestés comme ne correspondant pas aux avantages de toute nature procurés à la catégorie correspondante d'occupants du domaine public.

Par ailleurs, historiquement, le domaine public reste le siège ou le support de nombreuses missions de service public (CE, S., 29 janvier 1932, n° 99532, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9585B8I ; CE, S., 5 mai 1944, n° 66679, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3590B74). C'est donc logiquement que la privatisation de l'espace public a un prix qui s'incarne dans une redevance fixée par le propriétaire du dit domaine, même si l'article L. 2125-1 précité n'interdit pas à une collectivité d'exiger de l'utilisateur du domaine public le paiement d'une redevance du fait de cette utilisation, même si ce dernier est dépourvu de titre (CAA Marseille, 10 janvier 2011, n° 08MA05219 N° Lexbase : A2914HRD ; CE 9° et 10° s-s-r., 16 mai 2011, n° 317675, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0301HSX). L'article L. 2125-1, alinéa 2, du Code général de la propriété des personnes publiques dispose, en effet, que "l'autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public peut en effet être délivrée gratuitement [...] soit lorsque l'occupation ou l'utilisation est la condition naturelle et forcée de l'exécution de travaux ou de la présence d'un ouvrage, intéressant un service public qui bénéficie gratuitement à tous [...] soit lorsque l'occupation ou l'utilisation contribue directement à assurer la conservation du domaine public lui-même".

A ces deux exceptions, l'article L. 2125-2 du même code (N° Lexbase : L2910IQT) en ajoute une troisième, en dispensant les communes et leurs groupements qui gèrent eux-mêmes leur service d'eau potable ou d'assainissement du paiement de toute redevance, dans l'hypothèse où leurs canalisations ou réservoirs occuperaient le domaine public de l'Etat. Enfin, l'affaire dite "des radars automatiques" (CE 3° et 8° s-s-r., 31 octobre 2007, n° 306338, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2028DZ7), dans laquelle certains départements réclamaient à l'Etat le paiement d'une redevance pour l'occupation de leur domaine public routier par des installations de contrôle de vitesse, a généré une quatrième exception. Depuis 2009, le titre d'occupation peut aussi être "délivré gratuitement aux associations à but non lucratif qui concourent à la satisfaction d'un intérêt général". Précisions, toutefois, que la mise à disposition gratuite des dépendances du domaine public communal en vue de l'organisation d'une manifestation ponctuelle est illégale, au motif que cet avantage n'était pas justifié par un intérêt communal (CAA Marseille, 6 décembre 2004, n° 00MA02638, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1520DGE).

II - En l'espèce, la redevance litigieuse excluait expressément les personnes titulaires d'une autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public. Toutefois, et c'est bien là ce qui faisait débat en l'espèce, l'on n'était pas en présence d'une installation sur le domaine public lui-même, mais d'une simple "utilisation" de ce domaine, prenant la forme d'un stationnement de la clientèle sur le trottoir. Or, ces files d'attente peuvent empêcher la circulation normale des piétons tout en permettant aux commerçants de réaliser, ainsi, leur chiffre d'affaires. Les premier juges l'avaient d'ailleurs relevé : "les personnes qui ne peuvent exercer leur activité lucrative et réaliser les opérations matérielles de vente ou de transactions que parce que leur clientèle stationne temporairement sur la voie publique devant leur établissement, doivent être regardées comme utilisant, pour elles-mêmes, le domaine public". L'on peut souligner que d'autres juridictions avaient adopté une position différente, tel le tribunal administratif de Grenoble qui avait estimé que la ville d'Annecy ne pouvait instituer un droit de voirie du fait de l'installation de distributeurs automatiques de billets, ce jugement statuant, toutefois, sur une décision rendue avant l'entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques (TA Grenoble, 15 décembre 2009, n° 0703737 N° Lexbase : A7044ERC). La Haute juridiction avait elle-même considéré, à propos de fabricants de pizzas ambulants, que "le versement d'un droit de stationnement ne peut être exigé des professionnels ambulants circulant sur les voies publiques en quête d'acheteurs lorsqu'ils se bornent à s'arrêter momentanément pour conclure une vente" (CE 3° et 5° s-s-r., 15 mars 1996, n° 133080, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8080ANL).

Lors de l'audience du 29 mai 2012, le rapporteur public avait estimé illégale cette taxe en faisant valoir, notamment, que les commerces n'avaient pas demandé l'autorisation d'occuper le domaine public, en retour de quoi une redevance aurait pu leur être demandée. En outre, leur clientèle n'est pas à l'origine d'un stationnement prolongé sur la voie publique, avait-il ajouté. La cour administrative d'appel va suivre ses préconisations. Elle énonce que "l'utilisation, le temps d'une transaction, de la dépendance du domaine public de la commune [...] présente un caractère momentané [et] ne dépasse pas le droit d'usage qui appartient à tous et ne requiert pas ainsi la délivrance par la commune d'une autorisation". Elle en conclut que, "s'il est constant que ladite utilisation du domaine public communal concourt à l'exercice par les établissements concernés d'une partie de leurs activités commerciales et économiques, elle ne peut, toutefois, donner lieu à l'assujettissement desdits établissements au paiement d'une redevance d'utilisation du domaine public".

Les communes tentées d'instaurer le même type de taxe se heurteront, toutefois, à la question du champ d'application de ce type de redevance. Le tribunal administratif avait estimé qu'elle pouvait s'appliquer "aux personnes qui ne peuvent exercer leur activité lucrative et réaliser des opérations matérielles de vente ou de transaction que parce que leur clientèle stationne temporairement sur la voie publique devant leur établissement". Pourraient donc être concernés tous les commerçants, les cinémas, théâtre et autres lieux de spectacle vivant, mais aussi les magasins vendant des biens culturels à l'occasion de la venue d'une célébrité provoquant un attroupement. L'on pourra objecter que les enseignes commerciales ayant une vitrine donnant sur le domaine public ne saurait, en effet, être regardée comme équivalente à celle des commerces ne pouvant réaliser leurs transactions qu'en utilisant le domaine public. En effet, les clients des premières achètent à l'intérieur du magasin les objets exposés en vitrine, ce qui n'est pas le cas des commerçants concernés par la délibération en litige, qui ne possèdent pas de locaux destinés à l'accueil du public et à la vente. Il n'est donc pas certain que, malgré le mouvement de valorisation financière des usages du domaine public en cours depuis quelques années, cette "taxe trottoir" se généralise. L'avenir sera riche d'enseignements en la matière, la ville d'Angers venant d'adopter le principe de cette redevance, avec une application prévue dans le centre-ville dès le 1er janvier 2013.

newsid:432805

Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Retenue à la source sur dividendes versés à une société liée étrangère versus libre circulation des capitaux : le Conseil d'Etat protège le système français

Réf. : CE 3° 8° 9° et 10° s-s-r., 9 mai 2012, n° 342221, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0104ILG)

Lecture: 28 min

N2978BTH

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/6546493-edition-n-493-du-12072012#article-432978
Copier

par Thibaut Massart, Professeur à l'Université Paris-Dauphine, Directeur du Master Fiscalité de l'entreprise

Le 03 Décembre 2012

Une société déficitaire résidente de l'Union européenne possédant une participation de moins de 5 % dans le capital social d'une société française peut-elle demander le remboursement de la retenue à la source prélevée sur les dividendes versés ? La réponse semble négative selon cette importante décision du Conseil d'Etat en date du 9 mai 2012.

Cette question nouvelle est apparue à la suite de l'arrêt "Sté Denkavit" rendu par la CJUE le 14 décembre 2006 (CJUE, 14 décembre 2006, aff. C-170/05 N° Lexbase : A8816DSC, Rec. CJUE, 2006, I, p. 11949 ; Dr. fisc., 2006, n° 52, act. 264 ; RJF, 3/07, n° 374, voir aussi CE, 10° et 9° s-s-r., 6 avril 2007, n° 235069, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4108DYS, Dr. sociétés, 2007, comm. 145, note J.-L. Pierre ; RJF, 2007, n° 807 ; BDCF, 2007, n° 87, concl. C. Landais). La Cour avait jugé que le régime français des sociétés mères comportait une restriction discriminatoire à la liberté d'établissement en ce qu'il prévoyait, pour les seules sociétés mères non résidentes, une imposition par voie de retenue à la source des dividendes distribués par des filiales résidentes. Tirant les conséquences de cet arrêt, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie adopta l'instruction du 10 mai 2007 (BOI 4 C-7-07 N° Lexbase : X8652ADS). Ce texte prévoyait de modifier, à partir du 1er janvier 2007, le traitement fiscal des distributions de source française effectuées au profit de sociétés ayant leur siège dans un autre Etat de l'Union européenne. En particulier, le paragraphe 5 de cette instruction indiquait qu'en l'absence de montage artificiel, lorsqu'une société européenne bénéficie de dividendes de source française afférents à une participation supérieure à 5 % du capital de la société distributrice et se trouve, du fait d'un régime d'exonération applicable dans son Etat de résidence, privée de toute possibilité d'imputer la retenue à la source en principe prélevée en France sur le fondement de l'article 119 bis du CGI (N° Lexbase : L3387IGK), les distributions en question ne sont plus soumises à la retenue. Ce paragraphe précisait enfin que, si l'impossibilité d'imputer tout ou partie de la retenue à la source apparaissait postérieurement à la date de la distribution, du fait par exemple d'une situation déficitaire ou d'une liquidation, la restitution de la quote-part de retenue non imputable pourrait être demandée par voie de réclamation contentieuse (ce qui, au passage, constitue un mode peu satisfaisant de réparation d'une discrimination contraire au droit communautaire, voir en ce sens A. de Waal et L. Ragot, La réclamation contentieuse constitue-t-elle un moyen satisfaisant de réparer une discrimination contraire au droit communautaire ?, Dr. fisc., 2009, n° 23, 351).

Fortes de cette nouvelle orientation, des sociétés mères non résidentes qui détenaient pourtant des participations inférieures à 5 % du capital d'une filiale française avaient demandé à l'administration qu'elle leur restitue la retenue à la source prélevée sur les dividendes perçus en tant qu'actionnaires de sociétés françaises (CAA Paris, 2ème ch., 21 mars 2012, n° 10PA04218, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6677II7, Dr. fisc., 2012, n° 18, comm. 287, note Y. Egloff ; CAA Paris,2ème ch., 21 mars 2012, n° 10PA05940 N° Lexbase : A6737IID et n° 10PA05941 N° Lexbase : A6738IIE, inédits au recueil Lebon ; CAA Paris, 2ème ch., 21 mars 2012, n° 10PA05943, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6740IIH, Dr. fisc., 2012, n° 18, comm. 287, note Y. Egloff). Si la cour administrative d'appel de Paris avait rejeté leurs requêtes, la doctrine attendait cependant de connaître la position du Conseil d'Etat.
En optant pour le contentieux de l'annulation, une société étrangère fournit l'occasion au Haut conseil de répondre rapidement.

Dans cette affaire, une société holding luxembourgeoise détenait une participation de 4 % dans le capital de la société Total, société établie en France. En 2008, Total a distribué à la société holding des dividendes et des acomptes sur dividendes d'un montant brut de 107 millions d'euros environ. Cette distribution a donné lieu à l'application de la retenue à la source prévue à l'article 119 bis du CGI pour les dividendes versés par des sociétés établies en France à des sociétés actionnaires établies à l'étranger. Le taux de cette retenue à la source, fixé à l'article 187 (N° Lexbase : L5693IRB), est en principe de 25 %. Toutefois, les articles 8.2 a) et 19.3 a) de la Convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 (N° Lexbase : L6716BH9) stipulent que ce taux est limité à 5 % si l'actionnaire détient au moins 25 % du capital de la société distributrice, et 15 % dans les autres cas. La retenue a donc été appliquée au taux de 15 %, pour un montant de 16 millions d'euros environ.

Malheureusement pour la holding, cette retenue ne pouvait être imputée sur un impôt dans son Etat de résidence, dans la mesure où elle était en situation déficitaire. La société luxembourgeoise introduit alors une réclamation contentieuse devant l'administration française visant à en obtenir le remboursement. Selon elle, si sa participation dans Total, inférieure à 5 %, ne lui permettait pas de bénéficier du régime mère-fille communautaire issu des Directives 90/435/CEE du 23 juillet 1990 (N° Lexbase : L7669AUL) et 2003/123/CE du 22 décembre 2003 (N° Lexbase : L1808DNB), transposées à l'article 119 ter du CGI (N° Lexbase : L3840IAH), l'imposition n'en était pas moins contraire au droit communautaire, notamment au principe de libre circulation des capitaux, eu égard, notamment, à l'impossibilité d'imputer dans son Etat de résidence l'imposition subie en France. A la suite du rejet de cette demande, la société saisit le tribunal administratif de Montreuil, devant lequel l'affaire est toujours pendante. En parallèle, la holding entama un contentieux de l'annulation qui donna lieu à la présente décision. Plus précisément, estimant que la position de rejet de l'administration était fondée sur une interprétation du 2 de l'article 119 bis du CGI, telle qu'elle a été exprimée dans les paragraphes 1 à 5 de la sous-section 4 relative aux conditions d'exigibilité de la retenue à la source de la documentation administrative référencée 4 J-1334 à jour au 1er novembre 1995 et dans l'instruction fiscale 4 C-7-07 du 10 mai 2007, précitée, la société luxembourgeoise a saisi le Conseil d'Etat de deux requêtes tendant, dans la mesure de ses conclusions, à l'annulation pour excès de pouvoir de ces instructions. Par ces deux requêtes, qui furent jointes, la société demanda, en réalité, par les mêmes moyens, au Conseil d'Etat de constater l'incompatibilité avec le droit de l'Union européenne des dispositions du 2 de l'article 119 bis du CGI.

Même si la société holding n'obtint pas satisfaction, la stratégie judiciaire déployée par cette dernière était, a priori, habile. En demandant l'annulation à la fois de la documentation fiscale qui rappelait le régime de droit commun de la retenue à la source et de l'instruction qui mentionnait le régime dérogatoire pour les sociétés mères non résidentes, la société luxembourgeoise multipliait les chances d'obtenir satisfaction et obligeait le Conseil d'Etat à répondre différemment aux deux demandes.

I - La demande d'annulation du paragraphe 5 de l'instruction du 10 mai 2007

Le contentieux de l'annulation s'est beaucoup développé, en raison de la lenteur du contentieux d'assiette. Le recours pour excès de pouvoir est plus rapide et plus efficace puisqu'il s'agit de s'attaquer directement à l'acte qui fonde l'imposition ou la rectification. L'intérêt du recours pour excès de pouvoir en matière fiscale a été fortement accru par des avancées jurisprudentielles récentes qui ont sensiblement étendu le domaine de cette action. Malheureusement, le Conseil d'Etat rappelle, par la présente décision, que ce recours nécessite de justifier d'un intérêt à agir.

A - L'extension du domaine du recours pour excès de pouvoir

En principe, le recours pour excès de pouvoir n'est pas recevable contre tout acte : seuls sont recevables les recours contre les décrets et les décisions des autorités administratives françaises, dès lors qu'elles ont un caractère réglementaire. En conséquence, la doctrine administrative échappait, en général, à la censure du juge de l'excès de pouvoir, dès lors que les circulaires, les instructions ou les notes de service servaient essentiellement à l'administration, dans l'exercice de son pouvoir hiérarchique, à préciser l'interprétation qu'il convenait de donner à des dispositions de la législation et de la réglementation fiscales.
Seules certaines instructions ou circulaires qui ajoutaient à la loi et, par suite, présentaient un caractère réglementaire, pouvaient être regardées comme illégales, dans la mesure où le ministre ne dispose normalement d'aucun pouvoir réglementaire en matière fiscale. Cette distinction entre les circulaires interprétatives et les circulaires réglementaires avait été consacrée par l'arrêt d'Assemblée du 29 janvier 1954 (CE Ass., 29 janvier 1954, n° 7134 N° Lexbase : A1297AWX, Rec. CE, p. 64, concl. B. Tricot ; RPDA, 1954, p. 50 et 56).

Mais une décision du 18 décembre 2002, relevant du contentieux administratif général (CE Section, 18 décembre 2002, n° 233618, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9733A7M, Procédures, juin 2003, n° 154, note S. Deygas ; RFD adm., 2003, p. 280, concl. Mme P. Fombeur ; AJDA, 2003, p. 487, chron. F. Dommat et D. Casas), a mis à mal cette analyse, en considérant qu'un recours pour excès de pouvoir peut être formé à l'encontre d'une circulaire ou d'une instruction, dès lors que cette dernière contient des "dispositions impératives à caractère général". Est abandonnée la distinction traditionnelle entre circulaires réglementaires et non réglementaires, qui est remplacée par une distinction entre circulaires impératives et non impératives. Mais qu'est-ce qu'une circulaire impérative ? La réponse est délicate, car impérativité et normativité sont deux notions distinctes (M. Collet, La recevabilité du recours en annulation contre les instructions fiscales, Dr. fisc., 2005, n° 25, p. 23). Il semble qu'une circulaire peut être considérée comme impérative lorsqu'elle dicte à l'administration son comportement, c'est-à-dire lorsqu'elle comporte une forme "d'imperium" (en ce sens J. Turot, Annulation, où est donc ta victoire ? - Réflexions sur la portée de l'annulation d'une instruction fiscale, Dr. fisc., 2012, n° 11, p. 188). En conséquence, le Conseil d'Etat a admis qu'une instruction fiscale, même si elle se borne à reproduire mot pour mot les termes de la loi, est susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, dès lors qu'elle revêt un caractère impératif et général (CE 9° et 10° s-s-r., 6 mars 2006, n° 262982, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4849DNW : "l'interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d'instructions l'autorité administrative donne des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en oeuvre n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu'en soit le bien-fondé, faire grief ; qu'en revanche, les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief, alors même qu'elles se borneraient à réitérer une règle déjà contenue dans une norme juridique supérieure, le cas échéant en en reprenant les termes exacts ; que par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir qu'en dépit du caractère général et impératif de la règle qu'elles fixent, les circulaires contestées ne feraient pas grief, au motif que cette règle découlerait directement des textes législatifs sus-rappelés, auxquels il ne serait donc rien ajouté"). Le recours pour excès de pouvoir contre une instruction ayant un caractère impératif fut admis lorsque ladite instruction fixe, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d'incompétence ou si, alors même qu'elle a été compétemment prise, il peut être soutenu qu'elle est illégale pour d'autres motifs. Il en est ainsi lorsque l'interprétation que l'instruction prescrit d'adopter, "soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure" (CE 8° et 3° s-s-r., 19 février 2003, n° 235697, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2732A7C, Dr. fisc., 2003, n° 38, comm. 646, concl. P. Collin ; RJF, mai 2003, n° 616).

Cet infléchissement pragmatique de la jurisprudence est des plus intéressants pour les justiciables, dès lors qu'il les autorise à porter directement devant le Conseil d'Etat la question de la contrariété entre une disposition fiscale de niveau législatif recopiée telle quelle et une norme supérieure, sans passer par les commentaires faits de ces dispositions et sans attendre que la difficulté soit tranchée dans le cadre d'un pourvoi en cassation.

Cette orientation est d'ailleurs conforme à la prise de position du Conseil d'Etat qui a jugé, le 9 juillet 2010 (CE 10° et 9° s-s-r., 9 juillet 2010, n° 337320, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1399E4L), qu'une question prioritaire de constitutionnalité pouvait être soulevée à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir formé contre une circulaire. Il était par conséquent envisageable de contester la constitutionnalité d'une loi à la faveur d'un recours formé contre une instruction fiscale.

L'articulation de ces différentes décisions et évolutions est néanmoins surprenante, puisque le recours formé contre une instruction fiscale qui se borne à recopier la loi apparaît comme un nouveau moyen reconnu aux justiciables de contester directement devant le Conseil d'Etat la constitutionnalité du texte même de la loi. Le recours pour excès de pouvoir de l'administration se mue en un recours pour excès de pouvoir du législateur lui-même.

Cette métamorphose, mise en relief dans le rapport public de Laurent Olléon, est, implicitement, mais nécessairement, consacrée par la présente décision du Conseil d'Etat.
Cet arrêt met cependant à jour le talon d'Achille d'une telle action, à savoir la justification d'un intérêt à agir.

B - La justification d'un intérêt à agir

D'après l'administration, le requérant doit justifier d'un intérêt personnel suffisamment caractérisé selon le principe de procédure "Pas d'intérêt, pas d'action" (Doc. adm., 13 O-7132, § 6). L'intérêt est, avec la qualité pour agir, une des conditions de recevabilité de la requête. Intérêt et qualité se distinguent en ce que la qualité tient à la capacité du requérant, considéré, en lui-même, à ester en justice ou à représenter une autre personne au nom de laquelle il agit, tandis que l'intérêt concerne la possibilité d'introduire un recours déterminé. La qualité touche à la personne du requérant, l'intérêt à l'action qu'il engage. La notion d'intérêt pour agir est cependant particulièrement délicate à déterminer, car toute personne agit en justice parce qu'elle voit un intérêt à le faire. Or, cet intérêt-là ne peut pas, bien évidemment, être le critère d'ouverture de l'action. Confrontés au caractère indécis et multiforme de la notion d'intérêt à agir, les auteurs et la jurisprudence se sont efforcés de la circonscrire et de l'analyser en déterminant les contours de ses caractères.

En l'espèce, le Conseil d'Etat considère que la société requérante "ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour demander, par la voie du recours pour excès de pouvoir, l'annulation du paragraphe 5 de l'instruction attaquée". Plus précisément, il lui est reproché de n'avoir pas établi "qu'elle serait affectée par l'absence de retenue à la source dont peuvent se prévaloir les sociétés mères non résidentes dans les conditions prévues par l'instruction contestée". L'affirmation est sibylline et ne permet pas d'apprécier la notion d'intérêt à agir adoptée par les magistrats. La lecture du rapport public apporte fort opportunément des éclaircissements intéressants. Selon Laurent Olléon, pour demander, comme en l'espèce, l'annulation d'un paragraphe d'une instruction impérative, il convient que la disposition fasse grief, ce qui suppose que l'intérêt personnel lésé soit suffisamment direct et certain pour justifier d'un intérêt à agir. Le caractère direct de l'intérêt à agir suppose que l'auteur du recours devant le Conseil d'Etat appartienne à une catégorie de personnes concernées par l'acte attaqué ou susceptibles d'être lésées du fait de son application. Plus précisément, le rapporteur public évoque la théorie dite des "cercles d'intérêts". Selon cette approche, l'intérêt à agir des tiers contre les instructions fiscales instituant un régime de faveur est réservé aux personnes qui appartiennent au même cercle d'intérêt que celles qui bénéficient du régime fiscal de faveur alors qu'elles en sont exclues (CE Section, 4 mai 1990, n° 55124-55137, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4632AQM, RJF, 6/90, n° 674), ainsi qu'aux personnes qui se voient reconnaître l'extension d'un tel régime qui leur était réservé (CE 8° et 7° s-s-r., 8 août 1990, n° 68387, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4655AQH, RJF, 8-9/90, n° 1101). Pour Laurent Olléon, "le cercle d'intérêt réunit donc toutes les personnes susceptibles d'être directement concernées par les distorsions de concurrence créées à l'intérieur d'une catégorie". Or, pour le rapporteur public, les sociétés qui relèvent du régime mère-fille sont dans une catégorie distincte de celles qui n'en relèvent pas.

Il est vrai que la différence ne tient pas uniquement au seuil de détention, car, pour prétendre au régime des sociétés mères filles, plusieurs conditions, prévues par les articles 145 (N° Lexbase : L3391IGP) et 216 (N° Lexbase : L0666IPD) du CGI doivent être réunies. Certaines sont relatives à la participation. Par exemple, les titres de participations doivent revêtir la forme nominative (ou être déposés dans un établissement désigné par l'administration), avoir été conservés pendant un délai de deux ans, conférer en principe des droits de vote (ce qui implique, selon la jurisprudence et de manière contestable, d'être détenus en pleine propriété). D'autres conditions tiennent aux sociétés en cause. Ainsi l'article 145, 6 et 7 du CGI exclut du champ d'application du régime des sociétés mères et filiales, les dividendes provenant de filiales établies dans des Etats ou territoires non coopératifs, ou encore provenant de SICOMI, sociétés d'investissements immobiliers cotées ou sociétés de capital-risque qui ont été prélevés sur des bénéfices exonérés. Toutes ces règles visent à favoriser la stabilité des investissements et à simplifier la fiscalité entre mère et fille. La volonté tant du législateur européen que du législateur national consiste donc bien à distinguer les sociétés mères des simples investisseurs en capital.

Pourtant, ce raisonnement ne convainc pas entièrement.

D'abord, il aurait été certainement facile à la société holding luxembourgeoise de justifier qu'elle remplissait toutes ces conditions posées par les articles 145 et 216 du CGI, à l'exception bien entendu du seuil de détention de 5 % du capital de la société émettrice. Toute l'argumentation du rapporteur public se serait alors effondrée. La prochaine requête pour excès de pouvoir du paragraphe 5 de l'instruction du 10 mai 2007 ne tombera certainement pas dans le piège de l'imprécision des règles procédurales.
Ensuite, si la volonté du législateur consiste bien à distinguer les sociétés mères des simples investisseurs, il conviendrait de prendre en compte la situation économique réelle de la société requérante, et non les critères purement objectifs retenus pour l'application du régime des sociétés mères filiales. En effet, la réglementation fiscale n'impose nullement que la société se comporte véritablement comme une société mère, au sens économique du terme, c'est-à-dire comme un associé actif contrôlant directement ou indirectement la gestion de la société émettrice. Or, une société qui détient 4 % du capital de la société Total, soit une participation de plus de 3 milliards d'euros, exerce certainement une influence plus importante sur la gestion de cette société qu'une société holding possédant 10 % du capital d'une société fermée. Si les sociétés mères forment une catégorie particulière pour l'application de la théorie des cercles d'intérêts, la notion même de société mère prête aussi à discussion.

Enfin, cette approche ne semble pas conforme à la position relativement libérale de la jurisprudence en matière d'intérêt à agir. En effet, le Conseil d'Etat avait implicitement admis, dans un contexte juridique où seuls les psychanalystes, docteurs en médecine, pouvaient légalement être exonérés de TVA, que des psychanalystes non docteurs en médecine avaient un intérêt pour agir contre une instruction accordant le bénéfice de l'exonération de TVA à des psychanalystes également non docteurs en médecine, mais titulaires de certains diplômes de psychologie (CE Section, 4 mai 1990, précité). On notera malgré tout que l'application de la théorie des cercles d'intérêts donne des résultats parfois déroutants. Il a ainsi été jugé qu'une société d'exercice libéral à forme anonyme d'avocats à la cour de Paris ne justifie pas d'un intérêt propre à déférer au juge de l'excès de pouvoir un arrêté du ministre de l'Economie, du ministre de la Justice et du secrétaire d'Etat au Budget en ce qu'il porte homologation d'un règlement du Comité comptable relatif au traitement comptable d'opérations de fusions ou assimilées réalisées entre sociétés commerciales au motif qu'une SELAFA n'est pas une société commerciale (CE 9° et 10° s-s-r., 8 juin 2005, n° 270581, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6401DIW, Dr. fisc., 2005, n° 36, comm. 586). Le cercle des intérêts ressemble parfois à un cercle vicieux...

Déboutée de sa première demande d'annulation, la société holding luxembourgeoise pouvait espérer obtenir gain de cause sur sa seconde demande.

II - La demande d'annulation d'une partie de la documentation fiscale 4 J-1334

A titre principal, la société luxembourgeoise demandait au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les paragraphes 1 à 5 de la sous-section 4, relative aux conditions d'exigibilité de la retenue à la source, de la documentation administrative référencée 4 J-1334, à jour au 1er novembre 1995, précitée. Ce texte réitère le 2 de l'article 119 bis du CGI, qui laisse subsister une retenue à la source à la charge de sociétés établies dans les Etats membres de l'Union européenne autres que la France et détenant moins de 5 % du capital d'une société distributrice établie en France. La question centrale posée au Conseil d'Etat consistait à déterminer la contrariété du régime de l'article 119 bis du CGI avec le principe communautaire de liberté de circulation des capitaux.

Pour répondre par la négative, le Conseil d'Etat ne pouvait invoquer le défaut d'intérêt à agir de la société requérante, car le texte attaqué ne traite pas seulement des sociétés relevant du régime mère-fille français ou qui en relèveraient si elles étaient françaises, mais bien de l'ensemble du dispositif de retenue à la source de l'article 119 bis du CGI qui a été appliqué à la société holding. D'autant que les paragraphes attaqués, comme le souligne le Haut conseil, sont divisibles du reste de l'instruction, et les dispositions qu'ils contiennent présentent bien un caractère général et impératif.

Le Conseil d'Etat rejette la demande d'annulation de la documentation administrative litigieuse en rappelant les principes applicables en la matière et en affirmant qu'il n'existe en droit français, pour les participations ne relevant pas du régime des sociétés mères, aucune différence de traitement entre sociétés résidentes et non résidentes déficitaires.

A - Le principe de la liberté de circulation des capitaux et la lutte contre la double imposition économique des bénéfices distribués

Le Conseil d'Etat commence sa démonstration en mentionnant le texte fondateur de la liberté de circulation des capitaux, à savoir le paragraphe 1 de l'article 73 B du Traité instituant la Communauté européenne, dans sa rédaction issue du Traité de Maastricht applicable à la date de la documentation administrative en litige, devenu article 56 de ce même traité après l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam et article 63 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne après l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne (N° Lexbase : L2713IP8). Ce texte indique très clairement que "toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites". Mais ce principe est assorti d'exceptions figurant à l'article 73 D du même Traité, devenu article 65 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2715IPA). Cet article autorise les Etats membres à élaborer des règles fiscales qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis, pourvu toutefois que ces dispositions ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux.

Ces règles font ainsi obstacle aux mesures nationales qui, soit découragent les capitaux d'un Etat membre de s'investir dans un autre Etat membre, soit pénalisent les capitaux qui, provenant d'un autre Etat membre, s'investissent sur le territoire d'un autre Etat de l'Union. Par l'arrêt "Verkooijen" du 6 juin 2000 (CJUE, 6 juin 2000, aff. C-35/98 N° Lexbase : A1828AWM, Dr. fisc., 2000, comm. 792, étude P. Dibout, p. 1365 à 1372 ; RJF, 2000, n° 1185), la Cour de justice de l'Union européenne a estimé qu'une différence de traitement concernant l'imposition de dividendes d'actions est susceptible d'affecter la liberté de circulation des capitaux, dans la mesure où elle dissuade l'investissement de capitaux par un ressortissant d'un Etat membre dans des sociétés situées dans un autre Etat membre, et produit ainsi un effet restrictif à l'égard des sociétés concernées. A travers l'arrêt "Denkavit", qui concernait précisément le système de prélèvement d'une retenue à la source opérée sur les dividendes distribués par une filiale française au profit d'un holding résident d'un autre Etat de l'Union, en application des articles 119 bis et 187, 1 du CGI, la Cour de Luxembourg a estimé que les sociétés mères n'ayant pas leur siège en France subissaient un traitement discriminatoire du fait de la double imposition économique dont elles étaient victimes, alors même qu'elles se trouvent dans une situation comparable à leurs homologues résidentes. D'autres décisions, relatives à des législations de différents Etats membres, ont confirmé cette analyse (CJUE, 8 novembre 2007, aff. C-379/05 N° Lexbase : A3642DZW, JOUE n° C 22, 28 janvier 2006, p. 3 ; CJUE, 19 novembre 2009, aff. C-540/07 N° Lexbase : A6591ENG). En particulier, l'affaire "Amurta" (premier arrêt cité) pouvait servir de fondement des plus intéressants pour la société holding luxembourgeoise. Statuant conformément aux conclusions de l'Avocat général, la Cour a jugé, par cet arrêt du 8 novembre 2007, que "les articles 56 et 58 CE s'opposent à une législation d'un Etat membre qui -dès lors que le seuil minimal de participation de la société mère dans le capital de la filiale, instauré à l'article 5, paragraphe 1, de la Directive n° 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, n'est pas atteint-, prévoit une retenue à la source sur les dividendes distribués par une société établie dans cet Etat membre à une société bénéficiaire établie dans un autre Etat membre, tout en exonérant de cette retenue les dividendes versés à une autre société bénéficiaire qui est assujettie, dans le premier Etat membre, à l'impôt sur les sociétés ou dispose, dans ce même Etat membre, d'un établissement stable auquel appartiennent les parts détenues dans la société distributrice". A la suite des arrêts "Denkavit" et "Amurta", il était possible de se demander, avec Henri de Feydeau (Vers la fin de la retenue à la source sur les dividendes intra-communautaires ?, Dr. fisc., 2007, n° 51, 1053), si ces décisions ne sonnaient pas le glas de toute retenue à la source sur les dividendes intra-communautaires. Telle était également la thèse de la société holding luxembourgeoise, qui prétendait que l'article 119 bis du CGI provoque une discrimination prohibée puisque, depuis les décisions précitées, les sociétés holdings françaises et étrangères doivent être regardées comme placées dans une situation comparable, alors que seules les sociétés étrangères sont soumises à une retenue à la source et sont, par conséquent, exposées à un risque de double imposition.

Certes, ce risque de double imposition juridique existe, puisque le régime fiscal français prévoit la taxation à la source des dividendes tirés par une société établie au Luxembourg de ses participations françaises, alors que le Luxembourg peut également taxer ces revenus. Mais, contrairement à ce que soutient la holding luxembourgeoise, les Etats membres de l'Union européenne n'ont, pour l'instant, nullement l'obligation de lutter contre la double imposition. Une communication de la Commission au Parlement européen, relative à la double imposition au sein du marché unique en 2011 (COM/2011/0712), rappelle que, si les Etats membres appliquent déjà des mesures unilatérales, bilatérales, voire multilatérales, pour atténuer la double imposition, "en l'état actuel du droit de l'Union européenne, ils ne sont pas obligés d'éliminer la double imposition en règle générale" et que "si les règles des Etats membres qui privilégient les situations nationales par rapport aux situations transfrontalières, notamment en matière de double imposition économique, sont contraires aux libertés fondamentales en l'absence de justifications pertinentes (voir arrêts de la Cour de justice du 12 décembre 2002 dans l'affaire C-324/00 N° Lexbase : A0411A7D, point 32, du 14 décembre 2006 dans l'affaire C-170/05, Denkavit International, point 39, du 8 novembre 2007 dans l'affaire C-379/05, Amurta, point 28, du 1er juillet 2010 dans l'affaire C-233/09 N° Lexbase : A5668E3C, point 23 et du 22 décembre 2010 dans l'affaire C-287/10 N° Lexbase : A7099GNA, point 15), la double imposition n'est pas contraire aux Traités, dès lors qu'elle résulte de l'exercice parallèle de la souveraineté fiscale des Etats membres concernés (CJUE, arrêts du 14 novembre 2006, aff. C-513/04 N° Lexbase : A3179DSK, du 12 février 2009, aff. C-67/08 N° Lexbase : A1105EDB et du 16 juillet 2009, aff. C-128/08 N° Lexbase : A9526EIN)". L'élimination de la double imposition n'est ainsi pas une obligation pour les Etats membres, mais relève d'un choix librement opéré.

La législation française maintient d'ailleurs bien une double imposition. Par principe, en effet, les bénéfices distribués subissent l'impôt sur les sociétés chez la société les ayant réalisés puis, une seconde fois, au même taux chez la société bénéficiaire de la distribution. Pour qu'il en soit autrement, le régime de l'intégration fiscale ou celui des sociétés mères doit s'appliquer.

Les conventions fiscales visent fréquemment à éliminer les doubles impositions, en prévoyant un crédit d'impôt tenant compte de l'imposition supportée dans l'Etat de la source. Comme le fait remarquer le rapporteur public, "c'est donc le Luxembourg qui pourrait éliminer, par un tel mécanisme, le risque de double taxation des dividendes sortants taxés à la source en France". La France peut, dès lors, exercer pleinement sa compétence fiscale et prélever une retenue à la source sur les dividendes versés à une société luxembourgeoise, d'autant que la Convention franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 prévoit bien cette faculté, même si elle en limite le taux. Si le Luxembourg décide d'exonérer d'impôt les dividendes perçus, ce choix ne rétroagit pas sur la législation française, en contraignant la France à revoir ses propres règles pour supprimer la retenue à la source et assurer, ce faisant, à la société luxembourgeoise, l'exonération d'impôt prévue par le droit luxembourgeois.

Il n'existe en réalité, et a priori, aucune discrimination en défaveur des sociétés non résidentes qui ne relèvent pas du régime mère-fille. Bien au contraire, alors que les sociétés françaises acquittent l'impôt sur les sociétés au taux de 33,3 % sur les dividendes perçus, les sociétés étrangères ne supportent qu'une retenue à la source de 25 %, sauf convention fiscale prévoyant un taux plus faible. Les sociétés étrangères, en particulier les sociétés luxembourgeoises, subissent par conséquent une imposition inférieure aux sociétés françaises. Cette affirmation doit cependant être nuancée par la situation de l'espèce, à savoir la situation déficitaire de la société luxembourgeoise bénéficiaire des distributions de dividendes.

B - La comparaison de l'imposition des sociétés résidentes et non résidentes déficitaires

Selon la société requérante, en raison de l'article 119 bis du CGI, les dividendes qu'elle perçoit sont soumis à un taux global discriminatoire par rapport aux dividendes perçus par une société française placée dans la même situation déficitaire qu'elle.

Comme le souligne le Conseil d'Etat, la différence de traitement entre les contribuables selon leur Etat de résidence doit concerner des situations qui ne sont pas objectivement comparables. Or, la comparaison n'est pas si simple en l'espèce, car les règles de détermination du résultat imposable diffèrent d'un pays à l'autre, et le fait que la société holding luxembourgeoise soit considérée comme déficitaire dans son pays de résidence ne signifie nullement qu'elle le serait en application des règles fiscales françaises. Pour apprécier si la société luxembourgeoise déficitaire est discriminée par rapport à une société française également déficitaire, il faudrait les placer dans des situations comparables, ce qui imposerait de recalculer le résultat de la société luxembourgeoise en appliquant les règles françaises.

Malgré cette difficulté, mise en relief par le Conseil d'Etat, il était toutefois possible de procéder par un raisonnement hypothétique, en faisant comme si la société luxembourgeoise était déficitaire selon les règles françaises. Ce mode de raisonnement ne constitue certes pas la marque de fabrique du droit fiscal, marqué plutôt par le réalisme de l'appréciation des situations que par la spéculation sur ce qu'elles auraient pu être (L. Olléon, concl. sous CE 8° et 3° s-s-r., 3 février 2011, n° 329618, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2625GRN, Dr. fisc., 2011, n° 27, comm. 414). Il n'est cependant pas inconnu de la jurisprudence fiscale du Conseil d'Etat (CE Section, 30 décembre 2003, n° 233894, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6487DAI ; Dr. fisc., 2004, n° 16, comm. 427, concl. G. Bachelier ; Dr. sociétés, 2004, comm. 50, note J.-L. Pierre ; JCP E, 2004, 429, note P. Masquart ; RJF, 2004, n° 238, concl. préc. p. 166 s. ; BDCF, 2004, n° 33, concl. préc. ; Bull. Joly Sociétés, 2004, § 67, note C. Nouel ; BGFE, mai 2004, p. 12 s., obs. N. Chahid-Nouraï. - L. Olléon, Article 212 du CGI, suite et fin, RJF, 2004, p. 83 s.). En l'espèce, le Conseil d'Etat semble l'admettre, même timidement, puisqu'il affirme que "lorsqu'un Etat membre, de manière unilatérale ou par voie conventionnelle, assujettit à l'impôt non seulement les actionnaires résidents, mais également les actionnaires non résidents pour les dividendes qu'ils perçoivent d'une société résidente, la situation des actionnaires non résidents se rapproche de celle des actionnaires résidents" (nous soulignons).

Cet obstacle étant franchi, il convient de comparer l'imposition d'une société résidente avec celle d'une société non résidente.

Il est vrai que les sociétés mères françaises, même si elles possèdent une participation inférieure à 5 % du capital de la société filiale, perçoivent l'entier dividende versé et ne supportent aucune imposition immédiate sur ce dividende, dès lors que leur résultat fiscal est déficitaire. En revanche, la société luxembourgeoise, également déficitaire, ne reçoit qu'un dividende amputé d'une retenue à la source, sans pouvoir profiter corrélativement d'un véritable crédit d'impôt, l'autorisant à récupérer l'intégralité de l'imposition perçue par les autorités françaises. Mais, pour le Conseil d'Etat, les situations sont en réalité assez proches.

En effet, le droit français ne prévoit aucune exonération des dividendes reçus par une société résidente lorsque ses résultats sont déficitaires, ce qui implique que ces dividendes sont compris dans le résultat de cette société et viennent en diminution du déficit reportable (ce qui génère déjà une imposition indirecte, voir en ce sens, le raisonnement tenu par CJUE, 12 février 2009, aff. C-138/07 N° Lexbase : A1099ED3, pt 39 et 40, Europe, 2009, comm. 168, note A.-L. Mosbrucker). Aussi, lorsque le résultat de cette société redevient bénéficiaire, la diminution de ce déficit reportable implique que ces dividendes seront effectivement imposés à l'impôt sur les sociétés au titre d'une année ultérieure, au taux de droit commun alors applicable.

Pour le Conseil d'Etat, la société luxembourgeoise et la société française sont toutes les deux imposées sur les dividendes qu'elles perçoivent. La première immédiatement, par la perception de la retenue à la source, la seconde ultérieurement à l'impôt sur les sociétés, lorsque la situation redeviendra bénéficiaire. Il n'y aurait qu'un simple décalage dans le temps qui résulterait d'une technique différente d'imposition des dividendes perçus par la société selon qu'elle est non résidente ou résidente. Mais, pour le Conseil d'Etat, "le seul désavantage de trésorerie que comporte la retenue à la source pour la société non résidente ne peut ainsi être regardé comme constituant une différence de traitement caractérisant une restriction à la liberté de circulation des capitaux".

Une telle allégation surprend.

D'abord, le raisonnement entrepris par le Conseil d'Etat n'est pas hypothétique, mais conjectural. Il repose sur l'affirmation que les résultats de la société française redeviendront bénéficiaires, ce qui ne ressort pas de l'évidence. Or, le prétendu décalage de trésorerie pourrait aboutir, comme le prétend la société requérante, à une charge d'imposition définitive pour la société étrangère si elle ne renouait pas avec les bénéfices alors qu'une société française n'aurait, dans cette situation, jamais payé l'impôt.

Ensuite, le désavantage de trésorerie est loin d'être anodin dans la gestion d'une entreprise. Les études sur les causes de défaillances des entreprises montrent qu'une structure inadaptée du financement de l'entreprise (besoin en fonds de roulement non suffisamment financé par des ressources à long terme, poids important de la dette) est généralement à l'origine de l'ouverture d'une procédure collective (voir par exemple "La défaillance des entreprises en France entre 2000 et 2010", réalisée par le laboratoire Economix et publiée par l'Observatoire des PME d'OSEO, Regards sur les PME, 2011, n° 21). Un désavantage de trésorerie peut constituer un frein très important, tant à la liberté de circulation des capitaux qu'à la liberté d'établissement.

Pourtant, il convient d'admettre que la jurisprudence communautaire ne condamne pas systématiquement les différences de traitement qui aboutissent à des décalages de trésorerie. Dans l'arrêt "Truck Center", la !cour estimait que "la différence de traitement résultant de la réglementation fiscale en cause dans le litige au principal ne procure pas nécessairement un avantage aux sociétés bénéficiaires résidentes, dès lors que [...] celles-ci sont tenues d'effectuer des versements anticipés de l'impôt des sociétés" (CJUE, 22 décembre 2008, aff. C-282/07 N° Lexbase : A9974EBZ, en particulier point 49, Dr. fisc., 2009, n° 26, comm. 389 ; RJF, 3/2009, n° 302 ; BDCF, 3/2009, n° 40, concl. J. Kokott). De même, la Cour, saisie d'une discrimination consistant en l'application d'un taux d'impôt sur les sociétés plus élevé aux sociétés de personnes non résidentes par rapport aux résidentes, considère que l'"argument selon lequel la différence de taux ne produirait pas d'effet dissuasif sur l'exploitation de sociétés de personnes par l'intermédiaire d'un établissement stable en Grèce n'est pas pertinent en l'espèce, dès lors que la législation hellénique comporte une différence de traitement non justifiée de situations comparables et ne différant qu'en raison du lieu d'établissement de la société" (CJUE, 23 avril 2009, aff. C-406/07 N° Lexbase : A5560EGZ, Europe, 2009, comm. 232, note A.-L. Mosbrucker, pt 41), ce qui pourrait impliquer, par un raisonnement a contrario, lorsque les situations sont incomparables, qu'un traitement défavorable puisse être admis (en ce sens E. Raingeard de la Blétière, Compatibilité du prélèvement obligatoire [CGI, art. 125 A, III] avec le droit communautaire , Dr. fisc., 2010, n° 3, comm. 81). Au regard de cette jurisprudence, la décision du Conseil d'Etat paraît nettement moins choquante, même si elle souligne l'inadéquation du système français de la retenue à la source perçue sur les dividendes versés à des sociétés non résidentes.

En conclusion, bien que la présente décision n'indique nullement que la retenue à la source serait, per se, contraire au droit communautaire (contrairement à ce que soutient H. de Feydeau, Vers la fin des retenues à la source sur les dividendes intracommunautaires ?, Dr. fisc., 2007, n° 51, étude 1053 ; voir aussi, dans le même sens, A. de Waal et L. Ragot, La réclamation contentieuse constitue-t-elle un moyen satisfaisant de réparer une discrimination contraire au droit communautaire ?, Dr. fisc., 2009, n° 23, 351), il pourrait être envisagé, à l'instar de la Grande-Bretagne, de supprimer la retenue à la source sur les dividendes versés entre sociétés établies dans les Etats membres de l'Union européenne). D'autres solutions ayant un impact budgétaire moindre pourraient également être étudiées. Par exemple, la mise en place d'un système déclaratif permettrait aux sociétés bénéficiaires des dividendes de déclarer les produits reçus au titre de l'exercice de distribution et de ne verser in fine l'impôt français que l'exercice suivant, si elles sont en mesure d'imputer la retenue à la source dans leur Etat de résidence. Ou encore élaborer un système de révision de la retenue à la source calqué sur celui existant en matière de bénéfices des sociétés étrangères ayant des exploitations en France, prévu à l'article 115 quinquies du CGI (N° Lexbase : L2095HL8), ce qui entraînerait une liquidation provisoire de la retenue à la source pouvant être ultérieurement révisée si l'imputation de la retenue s'avère partiellement ou totalement impossible (voir A. de Waal et L. Ragot, La réclamation contentieuse constitue-t-elle un moyen satisfaisant de réparer une discrimination contraire au droit communautaire ?, art. précité).

A quand la réforme ?

newsid:432978

Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Procédure disciplinaire conventionnelle : entre garanties de fond et respect des droits de la défense !

Réf. : Cass. soc., 27 juin 2012, n° 11-14.036, FS-P+B (N° Lexbase : A1398IQT)

Lecture: 15 min

N2898BTI

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/6546493-edition-n-493-du-12072012#article-432898
Copier

par Bernard Gauriau, Professeur à l'Université d'Angers, Avocat au barreau de Paris (Cabinet Idavocats)

Le 12 Juillet 2012

Réaffirmant une solution déjà adoptée par le passé, la Chambre sociale de la Cour de cassation nous rappelle l'importance qu'elle attache au respect des dispositions conventionnelles qui introduisent la faculté pour le salarié de saisir une commission de conciliation dans le cadre d'une procédure disciplinaire, singulièrement l'obligation faite à l'employeur d'informer le salarié de cette faculté. Cette exigence conventionnelle est une garantie de fond dont la violation prive le licenciement de cause réelle et sérieuse. En revanche, l'irrégularité tenant au non-respect par l'employeur de son obligation conventionnelle d'indiquer par écrit au salarié les motifs de la mesure envisagée à son encontre n'emporte aucune sanction dans la mesure où le salarié -qui a eu, par ailleurs, connaissance de ces motifs- n'a pas été privé d'assurer utilement sa défense devant la commission précitée. Cet arrêt s'inscrit dans une tendance plus générale à la "procéduralisation" du droit du travail.
Résumé

La faculté conventionnelle de saisir une commission de conciliation faite au salarié concerné par une procédure disciplinaire est une garantie de fond. Le licenciement prononcé en violation de cette exigence est dépourvu de cause réelle et sérieuse. L'absence de transmission par écrit au salarié des motifs de la mesure disciplinaire est sans conséquence dès lors que le salarié -qui en a eu connaissance par ailleurs- a pu utilement assurer sa défense devant la commission.

Observations

Un responsable clientèle, licencié par lettre du 2 août 2007, a contesté son licenciement en invoquant le non-respect de la procédure disciplinaire prévue par la convention collective applicable. Le salarié a développé divers arguments que l'on peut ici distinguer.

Il a tout d'abord mis en avant les stipulations de la Convention collective nationale de travail du personnel des agences de voyages et de tourisme (N° Lexbase : L3328INL), singulièrement son article 53, selon lequel, en cas "[...] de saisine [de la commission de conciliation], [...], les motifs de la mesure envisagée par l'employeur doivent être indiqués par écrit au salarié et être communiqués à la commission". Le salarié y voyait une formalité substantielle qui n'avait pas été respectée. Pourtant, la cour d'appel a considéré que si l'intéressé ne s'était pas vu indiquer par écrit les motifs de la mesure envisagée par l'employeur, il avait toutefois connaissance des faits qui lui étaient reprochés au moment de l'entretien préalable.

Ensuite, le salarié critiquait aussi le défaut d'information dont il avait été victime de la part de l'employeur. Il s'appuyait à nouveau sur la Convention collective, dans deux de ses stipulations.

L'article 53 de cette Convention, tout d'abord, dans ses dispositions applicables en cas de rétrogradation ou de licenciement : "l'entretien préalable est de droit ; les parties ont la faculté de saisir pour avis la commission de conciliation de l'entreprise ; dans les entreprises ne comportant pas de commission de conciliation, les parties ont la faculté de saisir pour avis la commission paritaire nationale ; cette faculté devra être indiquée au salarié dans la lettre de convocation à l'entretien préalable ; la saisine de l'une ou l'autre de ces commissions doit être faite dans un délai de deux jours ouvrés à l'issue de l'entretien préalable ; l'employeur suspend sa décision de sanction durant ce délai dans l'attente de la décision qui sera prise par le salarié ; en cas de saisine, la décision de l'employeur est suspendue jusqu'à l'avis de la commission".

L'article 57 de la Convention, ensuite : "en matière disciplinaire, en cas de partage des voix, le différend pourra être porté dans les huit jours, à la demande de l'une ou de l'autre des parties, devant la commission paritaire nationale".

La cour d'appel a toutefois jugé que la procédure conventionnelle avait été là encore respectée. Sa motivation s'articulait autour de l'idée selon laquelle, selon les articles 52 et suivants de la Convention collective ici applicable, l'employeur doit mentionner dans la lettre de convocation à l'entretien préalable au licenciement la faculté pour le salarié de saisir pour avis la commission de conciliation dans l'entreprise et en cas d'absence d'une commission d'entreprise, la faculté de saisir la commission paritaire nationale. Or, l'employeur avait bien informé le salarié de sa faculté de saisir la commission de conciliation de l'entreprise.

Il n'était en revanche -selon la cour d'appel- tenu à aucune obligation d'information sur la saisine de la commission nationale en cas de partage de voix de la commission d'entreprise. La cour d'appel en a déduit que le défaut d'information, à le supposer avéré, ne pouvait violer une garantie de fond ; en effet, une fois appliquées les dispositions conventionnelles l'employeur pouvait poursuivre l'application et la mise en oeuvre de son pouvoir disciplinaire.

A l'issue de son pourvoi, le salarié va voir sa première argumentation rejetée mais obtenir gain de cause s'agissant de la seconde.

Sur le premier point, en effet, la Chambre sociale va reprendre les constatations de la cour d'appel selon lesquelles "le salarié avait eu connaissance des faits qui lui étaient reprochés et qu'il avait donné des éléments de réponse aux membres de la commission de conciliation, de sorte que l'irrégularité tenant au non-respect par l'employeur de son obligation d'indiquer par écrit au salarié les motifs de la mesure envisagée à son encontre n'avait pas eu pour effet de priver l'intéressé d'assurer utilement sa défense devant la commission".

Si donc l'employeur n'avait pas formellement respecté les exigences imposées par la convention collective, cette irrégularité était sans conséquences dans la mesure où le salarié avait eu connaissance des motifs du licenciement envisagé et avait pu utilement assurer sa défense devant la commission. La Cour de cassation ne reprend pas à son compte la motivation des seconds juges selon lesquels le salarié avait eu connaissance des motifs à l'occasion de l'entretien préalable, dont la tenue est imposée par la convention collective, laquelle ne fait sur ce point que reprendre la substance des dispositions légales. On ne sait donc pas à quel moment précis le salarié a eu connaissance des motifs qui fondent la mesure disciplinaire envisagée, du moins ce moment se situe-t-il avant la saisine de la commission voire au moment où celle-ci s'est réunie.

Sur le second point, en revanche, et reprenant les articles 53 et 57 de la Convention collective, la Cour de cassation va juger qu'il résulte de ces textes que la consultation de l'une ou l'autre des commissions, dont la saisine suspend la décision de l'employeur, constitue pour le salarié une garantie de fond qui oblige l'employeur à informer le salarié de la faculté pour lui de saisir la commission de conciliation de l'entreprise lorsqu'elle existe ou à défaut la commission paritaire nationale et, en cas de partage des voix devant la commission de l'entreprise, de la possibilité de porter le différend devant la commission paritaire nationale. Or, la cour d'appel avait constaté que le salarié n'avait pas été avisé de la faculté de porter le différend devant la commission paritaire nationale en cas de partage des voix de la commission de conciliation de l'entreprise, ce dont il résultait que le licenciement était privé de cause réelle et sérieuse.

Sur ce point, on ne peut que relever l'interprétation à laquelle les juges se sont livrés. Formellement, si l'article 57 stipule qu'"en matière disciplinaire, en cas de partage des voix, le différend pourra être porté dans les huit jours, à la demande de l'une ou de l'autre des parties, devant la commission paritaire nationale", il n'est fait nulle part mention que l'employeur ait une quelconque obligation d'informer le salarié de sa faculté de saisir la commission nationale, à la différence de l'article 53 selon lequel "cette faculté devra être indiquée au salarié dans la lettre de convocation à l'entretien préalable".

Toutefois, la Cour de cassation va contourner cet obstacle littéral en considérant que la consultation de l'une ou l'autre des commissions, dont la saisine suspend la décision de l'employeur, constitue pour le salarié une garantie de fond. Cette qualification emporte selon la Cour de cassation l'obligation pour l'employeur d'informer le salarié de la faculté pour lui de saisir la commission de conciliation de l'entreprise lorsqu'elle existe ou à défaut la commission paritaire nationale et, en cas de partage des voix devant la commission de l'entreprise, de la possibilité de porter le différend devant la commission paritaire nationale.

Dans la mesure où la cour d'appel avait constaté que le salarié n'avait pas été avisé de la faculté de porter le différend devant la commission paritaire nationale en cas de partage des voix de la commission de conciliation de l'entreprise, il en résultait que le licenciement était privé de cause réelle et sérieuse.

Cet arrêt de situe dans le droit fil de la jurisprudence de la Chambre sociale en matière de procédure conventionnelle de licenciement ou disciplinaire. Il illustre une nouvelle fois le phénomène dit de "procéduralisation" en droit du travail (1).

Illustration du principe de faveur, l'article L. 2251-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2406H9Y) dispose qu'"une convention collective ou un accord peut comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur [...]".Il n'est donc pas surprenant que, depuis de nombreuses années, de multiples conventions collectives aient institué une procédure conventionnelle qui s'ajoute à la procédure disciplinaire ou à la procédure de licenciement. La question s'est posée de savoir quelle était la nature de ces étapes conventionnelles ajoutées aux étapes légalement instituées, et quelle sanction pouvait frapper leur violation.

I - Garantie de fond et obligation d'information

Une distinction s'est rapidement fait jour entre garanties de fond et simple règle de procédure ou de forme.

A - Garanties de fond

Lé référence aux garanties de fond ne peut se faire sans évoquer l'arrêt fondateur, du 26 octobre 1976 qu'est l'arrêt "Janousek" (2) selon lequel l'employeur avait l'obligation légale de porter à la connaissance du salarié (les motifs du licenciement) si celui-ci en avait fait la demande dans les délais impartis par la loi et qu'il était réputé de manière irréfragable ne pas en avoir s'il n'en avait pas énoncé, ce qui n'était pas une simple irrégularité de forme, le juge ne pouvant apprécier le caractère réel et sérieux (que de ceux) qu'il avait invoqu(és) dans les conditions légales. La solution est depuis constante : l'obligation pour l'employeur d'énoncer le ou les motifs de licenciement dans la lettre de licenciement, imposée par l'article L. 1232-6 du Code du travail (N° Lexbase : L1084H9Z), constituait une règle de fond dont la violation rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse. La solution ne concernait alors qu'une procédure légale et non conventionnelle mais avait pour intérêt principal d'appréhender une étape de la procédure comme une garantie de fond dans la mesure où elle permettait au juge d'apprécier l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

Le qualificatif a été transposé depuis à l'analyse des étapes conventionnelles de la procédure de licenciement voire de la procédure disciplinaire.

Au titre des garanties de fond, la Cour de cassation a ainsi intégré la consultation d'un organisme chargé de donner un avis : conseil de discipline ou conseil paritaire sur la mesure disciplinaire envisagée par l'employeur (3) ou encore l'information donnée au salarié de l'existence de la faculté de saisir un conseil de discipline (4)

Sans doute doit-on souligner l'importance d'un arrêt du 21 octobre 2008 (Cass. soc., 21 octobre 2008, n° 07-42.170, FS-P+B N° Lexbase : A9495EAW) dans lequel la Chambre sociale relève "qu'aux termes de l'article 27.1 de la Convention collective du personnel des banques, le salarié dispose d'un délai de cinq jours calendaires à compter de la notification du licenciement pour, au choix et s'il le souhaite, saisir par lettre recommandée avec accusé de réception, la commission paritaire de recours interne à l'entreprise mise en place par voie d'accord d'entreprise, si elle existe, ou la commission paritaire de la banque, ces recours, exclusifs l'un de l'autre, étant suspensifs et le licenciement ne pouvant être effectif qu'après avis de la commission saisie s'il a été demandé par le salarié sanctionné ; [...] il en résulte que la consultation de l'une ou l'autre de ces commissions constitue pour le salarié une garantie de fond qui oblige l'employeur à informer le salarié du recours dont il dispose". La similitude avec l'arrêt ici commenté est saisissante et le lien entre l'existence d'une garantie de fond et l'obligation d'information déjà affirmé.

Dans le même registre, on relèvera un arrêt du 21 janvier 2009 (Cass. soc. 21 janvier 2009, n° 07-41.788, FS-P+B+R, sur le premier moyen N° Lexbase : A6458EC8) selon lequel l'avis au délégué du personnel ou au président de la commission nationale de conciliation, mis à la charge de l'employeur par l'article 9.3 de la Convention collective nationale des personnels de formation de l'enseignement agricole privé, en cas de faute grave ou lourde susceptible d'entraîner le licenciement, constitue pour le salarié une garantie de fond dont la méconnaissance prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

B - Simples règles de procédure

Le vocable "procédure" a pour racine étymologique le terme procedere, lequel signifie "procéder" et "poursuivre", "aller vers l'avant". En matière disciplinaire, il s'entend des étapes qu'il convient de suivre jusqu'à la sanction. La procédure, au sens juridique du terme, peut-être définie comme "l'ensemble des actes accomplis pour parvenir à une décision" (5). Elle se rapporte au negotium tandis que la forme est relative à l'instrumentum (6). Ainsi l'écrit exigé pour la lettre de licenciement motivée est une règle de forme tandis que les règles d'information et consultation des IRP relèvent de la procédure car elles contribuent à la prise de décision elle-même.

Au titre des simples règles de procédure, on relève l'absence de motivation de la décision du conseil de discipline qui s'est réuni, mais dont les membres n'ont pu se départager (Cass. soc., 3 juin 2009, n° 07-42.432, FP-P+B N° Lexbase : A6186EHL, Bull. civ. V, n° 142). De façon générale, la Cour de cassation juge assez régulièrement que le non-respect d'un délai conventionnel de saisine d'un organisme consultatif ne constitue pas la violation d'une garantie de fond, sauf si cette irrégularité a eu pour effet de priver le salarié de la possibilité d'assurer utilement sa défense devant cet organisme (7). Un parallèle est sans doute possible avec la jurisprudence du Conseil d'Etat pour lequel il incombe à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, d'apprécier, sous le contrôle du juge administratif, si les règles de procédure d'origine conventionnelle préalables à la saisine sont observées et selon lequel la formalité de la communication du dossier prévue par l'article L. 521-1 (N° Lexbase : L5336ACM) recodifié sous l'article L. 2511-1 (N° Lexbase : L0237H9N) du Code du travail en cas de procédure disciplinaire pour inobservation des dispositions relatives au préavis de grève, "est une règle déterminante" (V. CE 30 juin 2000, 3° s-s-r., n° 191542 N° Lexbase : A7316AT7)

A la vérité, dans l'espèce ici analysée, on peut constater que la Cour de cassation n'adopte pas une position rigide sur le premier point soulevé par le salarié : si l'employeur n'a pas respecté la procédure selon laquelle il devait transmettre au salarié les motifs de la décision envisagée, il n'encourra aucune sanction s'il s'avère qu'en réalité, le salarié avait eu connaissance des faits qui lui étaient reprochés et qu'il avait donné des éléments de réponse aux membres de la commission de conciliation, de sorte que l'irrégularité tenant au non-respect par l'employeur de son obligation d'indiquer par écrit au salarié les motifs de la mesure envisagée à son encontre n'avait pas eu pour effet de priver l'intéressé d'assurer utilement sa défense devant la commission. Il s'agit d'un critère évoqué plus haut.

En revanche, la Chambre sociale adopte une toute autre attitude s'agissant de l'information qui doit être faite au salarié sur les possibilités qui sont le siennes de saisir telle out elle commission, et ce d'autant plus que la saisine de telle ou telle commission va suspendre la décision envisagée par l'employeur. L'effet suspensif attaché à la saisine de la commission, bien entendu, est ici essentiel. Il importe peu qu'ensuite, une fois l'avis délivré, y compris lorsqu'il est défavorable, l'employeur "conserve son droit d'appliquer la mesure" (article 57 de la Convention collective en question).

II - Sur la sanction de sa violation

La question est récurrente. Convient-il d'annuler la mesure prise en violation de la convention collective ou d'octroyer des dommages-intérêts ?

A - La nullité

S'agissant du licenciement, la nullité est exclue tout d'abord, par application de l'article L. 1333-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1873H9A), lequel dispose que "le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise" ; l'article L. 1333-3 du Code du travail (N° Lexbase : L1875H9C) précise, que "lorsque la sanction contestée est un licenciement les dispositions du présent chapitre ne sont pas applicables". En clair, un licenciement ne peut donc pas être annulé parce qu'il est simplement irrégulier (il faut ici réserver l'hypothèse du licenciement irrégulier d'un salarié protégé, pour défaut d'autorisation administrative préalable, ce licenciement irrégulier est nul). Par ailleurs et selon une jurisprudence constante, la nullité d'un licenciement ne peut être prononcée en l'absence d'une disposition expresse la prévoyant ou de violation d'une liberté fondamentale. (Cass. soc. 13 mars 2001, n° 99-45.735, publié N° Lexbase : A0149ATP, Bull. civ. V, n° 87 ; Cass. soc., 31 mars 2004, n° 01-46.960, F-P+B N° Lexbase : A7474DBG, Bull. civ. V, n° 101)

S'agissant d'une sanction moindre que le licenciement, le pouvoir conféré au juge par l'article L. 122-43 du Code du travail (N° Lexbase : L5581ACP ; recod. art. L. 1333-2) pour annuler une sanction irrégulière en la forme s'exerce, non seulement en cas d'inobservation des règles de la procédure disciplinaire édictées par l'article L. 122-41 du même Code (N° Lexbase : L5579ACM), mais encore dans l'hypothèse où auraient été méconnues des règles prévues par une procédure conventionnelle ou statutaire, comportant, pour les salariés faisant l'objet de poursuites disciplinaires, des garanties supérieures ou des avantages supplémentaires à ceux prévus par la loi. Ainsi en a jugé la Cour de cassation il y a déjà quelques années (Cass. soc., 7 mai 1996, n° 92-40.931, publié N° Lexbase : A3910AA3 Dr. soc., 1996, p. 738, obs. A Jeammaud).

B - Les dommages-intérêts

Pour en revenir au licenciement prononcé en violation des stipulations conventionnelles, la solution indemnitaire a été préférée. La jurisprudence a toutefois sensiblement évolué sur cette question à partir du moment où les juges ont fait appel à la notion de garantie de fond. A l'origine, la jurisprudence analysait les manquements comme de simples irrégularités de procédure susceptibles d'entraîner l'allocation de dommages-intérêts (8).

Par la suite, un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 23 mars 1999 (9) fut perçu comme un revirement de jurisprudence car il faisait précisément mention de l'existence d'une garantie de fond sanctionnée par l'allocation de dommages-intérêts associés au défaut de cause réelle et sérieuse. Les conséquences financières attachées au défaut de cause réelle et sérieuse sont connues : indemnité au minimum égale aux six derniers mois de salaires si les conditions légales sont vérifiées.

De façon générale, l'importance que la Cour de cassation attache à l'obligation d'information qui pèse sur l'employeur déborde le seul contentieux ici évoqué. On en relève d'autres manifestations dans des situations similaires mais non identiques à celle qui nous retient ici. Un exemple particulièrement instructif peut être puisé dans le contentieux qui s'attache aux situations dans lesquelles la mesure patronale est susceptible de provoquer une modification du contrat de travail. Passons ici sur la jurisprudence qui s'est construite depuis l'arrêt "Raquin" (10), jusqu'à l'arrêt "Franfinance" (11) et les débats qu'ils ont suscités (12).

Un arrêt plus récent vient d'accentuer le phénomène de "procéduralisation" déjà évoqué. L'arrêt rendu par la Cour de cassation, le 28 avril 2011 (Cass. soc., 28 avril 2011, n ° 09-70.619, FS-P+B N° Lexbase : A5359HP8), répond à l'espèce suivante. Une salariée, assimilée cadre, s'est vue notifier une mesure de rétrogradation au poste d'agent de réservation avec une baisse de rémunération. Elle a en conséquence pris acte de la rupture de son contrat de travail puis a saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir juger que cette prise d'acte avait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ultérieurement, l'employeur a avisé l'intéressée qu'il transformait la sanction en avertissement.

La difficulté résultait notamment du fait que la salariée n'avait pas formellement refusé la sanction qui lui avait été notifiée mais qu'elle avait pris acte de la rupture du contrat de travail. La cour d'appel a jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail avait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans son pourvoi, l'employeur fit valoir divers arguments. Tour d'abord, précisément, que la salariée n'avait jamais refusé formellement la sanction, elle avait pris acte de la rupture. Ensuite, qu'il n'était plus en situation dans le délai de deux mois de la prescription des faits fautifs, pour prononcer une autre sanction ou renoncer à toute sanction ; qu'enfin, la rétrogradation litigieuse n'avait jamais été mise en oeuvre.

La Chambre sociale de la Cour de cassation va, toutefois, juger que "lorsque l'employeur notifie au salarié une sanction emportant modification du contrat de travail, il doit informer l'intéressé de sa faculté d'accepter ou refuser cette modification". Les seconds juges avaient, semble-t-il, constaté que la rétrogradation avait été notifiée avec effet définitif et en ont déduit que la salariée était fondée à prendre acte de la rupture. La prise d'acte ne s'explique donc pas par l'existence d'une sanction qui modifie le contrat de travail mais par une sanction non précédée de l'information désormais exigée par la Cour de cassation !


(1) V. S. Frossard, La sanction de la violation d'une procédure disciplinaire conventionnelle, signe de la procéduralisation du droit du travail, Dalloz, 2001, p. 417 ; Ass. plén., 5 mars 2010, rapport de Madame Laporte, II, A,1° ; B. Gauriau, La procéduralisation de la sanction en droit du travail, in La sanction, Cycle des conférences organisées par le Laboratoire de droit social à l'Université de Paris II, sous la direction de B. Teyssié, édition Panthéon-Assas, 2012.
(2) Cass.soc., 26 octobre 1976 n° 75-40.659, publié (N° Lexbase : A1120CKP).
(3) Cass. soc., 28 mars 2000, n° 97-43.411, publié (N° Lexbase : A6374AG8) Bull. civ. V, n° 136 ; Cass. soc., 11 juillet 2000, n° 97-45.781, publié (N° Lexbase : A3560AUE), Bull. civ. V, n° 272 ; Cass. soc., 5 juin 2002, n° 00-44.266, F-D (N° Lexbase : A8601AY9) ; Cass. soc., 12 octobre 2004, n° 02-43.552, F-D (N° Lexbase : A6069DD7) ; Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 06-42.443, F-D (N° Lexbase : A7541DPY).
(4) Cass. soc., 8 janvier 2002, n° 99-46.070, FS-D (N° Lexbase : A7816AXR) ; Cass. soc., 29 avril 2003, n° 01-42.442, F-D (N° Lexbase : A7589BSU) ; Cass. soc., 31 janvier 2006, n° 03-43.300, F-P (N° Lexbase : A6480DMX), Bull. civ. V, n° 45 ; Cass. soc., 5 décembre 2007, n° 06-40.869, F-D (N° Lexbase : A0408D3I) ; Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 07-41.323, F-D (N° Lexbase : A6391D9L) ; Cass. soc., 17 juin 2009, n° 08-40.931, F-D (N° Lexbase : A3098EIL).
(5) G. Cornu, Vocabulaire juridique, V° procédure, Association Henri Capitant.
(6) R. Hostiou, Formes et formalités de l'acte administratif unilatéral en droit français, préf. G. Dupuis, LGDJ, Bibliothèque de droit public, 1974, p.17.
(7) Cass. soc., 3 juin 2009, n° 07-42.432, FP-P+B (N° Lexbase : A6186EHL) ; v. aussi la saisine d'un organisme chargé de donner un avis si cette saisine est facultative, Cass. soc.10 novembre 2010, n° 09-41.437, F-D (N° Lexbase : A9015GGY) ; J. Savatier, observations sous Cass. soc., 23 mars 1999, n° 97-40.412, inédit (N° Lexbase : A3552AU4), Dr. soc., 1999, n° 6, p. 634 ; Ch. Radé, Observations sous Cass. soc., 11 juillet 2000, préc., Dr. soc., 2000, n° 11, p. 1028 ; L. Dauxerre, L'irrégularité de la procédure de consultation d'un conseil de discipline rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse, JCP éd. S, 2008, 1615 ; S. Frossard, La sanction de la violation d'une procédure disciplinaire conventionnelle, signe de la procéduralisation du droit du travail, Recueil Dalloz, 2001, p. 417 ; v. les obs. de G. Auzero, Mise en oeuvre des procédures conventionnelles de licenciement : de quelques distinctions autour de la notion de garantie de fond, Lexbase Hebdo, n° 355 du 18 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6572BKM).
(8) Cass. soc., 7 février 1995, n° 93-42.549, inédit (N° Lexbase : A9406CNP), Dr. soc., 1995, p. 388 ; Cass. soc., 28 novembre 1995, n° 92-41.995, publié (N° Lexbase : A1072ABC), Bull. civ. V, n° 316 : "l'inobservation de la procédure disciplinaire prévue par l'article 52 du statut du personnel des caisses d'épargne ne peut entraîner que le paiement d'une indemnité pour inobservation de la procédure, sans le rendre le licenciement abusif" ; Cass. soc. 18 février 1998, n° 95-42.500, publié (N° Lexbase : A2531ACQ), Bull. civ. V, n° 95.
(9) Dr. soc., 1999, p. 634, note Jean Savatier.
(10) Cass. soc., 16 juin 1998, n° 95-45.033, publié (N° Lexbase : A5390ACM), Bull. civ., V, n° 320, p. 243 ; JCP éd. E, 1998, n° 40, p. 1552, note D. Boulmier ; JCP éd. G, 1998, n° 41, p. 1769, note D. Corrignan-Carsin ; Dalloz, 1999, n° 8, p. 125, note C. Puigelier ; D., 1999, n° 34, p. 359, note J. Mouly.
(11) Cass. soc., 11 juillet 2001, n° 99-41.574, publié (N° Lexbase : A5096AGT), Bull. civ. V, n° 265 p. 213.
(12) A. Mazeaud, Contractuel, mais disciplinaire, Dr. soc., 2003, pp. 164 et s. ; Jean Mouly, Disciplinaire, donc non contractuel, Dr.soc., 2003, pp. 395 et s..

Décision

Cass. soc., 27 juin 2012, n° 11-14.036, FS-P+B (N° Lexbase : A1398IQT)

Rejet, CA Bordeaux, ch. soc., sect. A, 18 janvier 2011, n° 09/07339 (N° Lexbase : A8671GQ9)

Texte visé : Convention collective nationale de travail du personnel des agences de voyages et de tourisme (N° Lexbase : L3328INL)

Mots-clés : procédure disciplinaire, garanties de fond, commission de conciliation, obligation d'information, procéduralisation

Liens base : (N° Lexbase : E2533ETY)

newsid:432898

Sociétés

[Jurisprudence] L'expression dans un acte du consentement unanime des associés d'une société civile

Réf. : Cass. com., 12 juin 2012, n° 11-17.042, F-P+B (N° Lexbase : A8831INE)

Lecture: 5 min

N2867BTD

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/6546493-edition-n-493-du-12072012#article-432867
Copier

par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique (Université Toulouse I Capitole)

Le 14 Juillet 2012

Le législateur offre aux associés plusieurs possibilités de prise des décisions collectives. Si, d'une manière générale, celles-ci sont arrêtées en assemblée, les statuts peuvent prévoir qu'elles résultent d'une consultation (1). En outre, dès lors qu'il ne restreint pas la liberté des associés de déterminer les modalités de leurs consultations, les statuts pourraient, semble-t-il, limiter la possibilité de consultation par correspondance à certaines décisions, telles que celles qui n'entraînent pas modification des statuts autres que l'approbation annuelle des comptes. De plus, rien ne s'opposerait à ce que les statuts offrent le choix au gérant entre une consultation écrite et la réunion d'une assemblée, pour chaque décision à prendre. Par ailleurs, toujours selon la loi, les décisions collectives peuvent être prises par acte sous seing privé ou notarié signé par tous les associés (2). C'est le procédé souvent utilisé dans les sociétés dont le nombre d'associés est peu élevé. Tandis que la procédure de consultation écrite doit être prévue par les statuts, la constatation des décisions collectives dans un acte signé par tous les associés demeure possible en l'absence de toute disposition statutaire. Il n'empêche que l'expression dans un acte du consentement unanime des associés n'est pas exempte de difficulté. La mise en oeuvre d'une telle procédure fait l'objet de l'arrêt rapporté de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 12 juin 2012.

I - Les faits de l'espèce, relativement simples, peuvent être exposés en quelques lignes.

Ils ont trait aux statuts d'une société civile de moyens (SCM) constituée entre avocats et prévoyant que la contribution de chaque associé aux dépenses serait proportionnelle à sa participation au capital. L'un des trois associés ayant été exclu, les 90 parts représentant le capital social ont été réparties entre les deux associés restant à raison de 50 parts pour l'un et de 40 pour l'autre.
A la suite d'un désaccord entre ces deux associés relatif à la contribution de chacun aux charges salariales, la société et l'associé majoritaire ont demandé la condamnation du minoritaire au paiement d'une certaine somme arrêtée en fonction d'une répartition égalitaire de ces charges. Saisie du litige, la cour d'appel de Nîmes a, dans sa décision du 8 février 2011 (CA Nîmes, 8 février 2011, n° 09/03775 N° Lexbase : A6168HQI), accueilli la demande au motif que les déclarations fiscales signées par les deux associés font état d'une répartition égalitaire dans la prise en charge des dépenses de la société. Ainsi, ces documents fiscaux traduisent la volonté réitérée des associés de considérer qu'ils se trouvaient à égalité dans la répartition des dépenses et des déficits. Elle a infirmé le jugement précédemment rendu sur cette affaire le 8 février 2011 par le tribunal de grande instance de Nîmes.

A la suite du recours en cassation formé par l'associé minoritaire, la Chambre commerciale a censuré l'arrêt d'appel sur le fondement des articles 1853 (N° Lexbase : L2050ABK) et 1854 (N° Lexbase : L2051ABL) du Code civil, ainsi que des articles 45 et 46 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 (N° Lexbase : L1376AIS). La Cour régulatrice considère en effet qu'en statuant ainsi, alors que les déclarations fiscales ne constituent pas des actes, la juridiction de seconde instance a porté atteinte aux dispositions de l'article 1854 du Code civil.

II - Au-delà même de la question de savoir si les déclarations fiscales constituent ou non des actes, le présent arrêt de la Cour de cassation faisant une stricte application des textes susvisés consacre l'idée selon laquelle quand, en l'absence d'une réunion d'assemblée ou d'une consultation écrite, les décisions des associés résultent de leur consentement unanime, celui-ci doit être exprimé dans un acte. Cette question qui ne se pose qu'à propos de certaines sociétés, a donné lieu à une évolution jurisprudentielle.
En effet, un litige de cette nature ne naît qu'au sein de structures sociétaires pour lesquelles les modifications statutaires résultent du consentement unanime des associés et s'expriment dans un acte, à savoir les sociétés civiles et les SARL (3). Aussi, n'est-il pas surprenant que l'actuel arrêt ait pour cadre une société civile de moyens.

Il en va autrement dans les sociétés en nom collectif à propos desquelles l'article L. 221-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L5802AIQ) exige une consultation écrite. Dans les sociétés anonymes, dès lors que la réunion d'une assemblée s'impose, une modification des statuts même décidée par tous les associés est invalide pour avoir été réalisée en dehors d'une assemblée générale extraordinaire (4). A l'inverse, s'agissant des sociétés par actions simplifiée, la question reste discutée car il revient aux statuts de déterminer les modalités selon lesquelles les décisions collectives sont prises (5), sans toutefois que soit admise une modification implicite (6).

La solution retenue en l'espèce par la juridiction du droit, exigeant un consentement formellement exprimé dans un acte, est fort éloignée, pour ne pas dire contraire à la décision auparavant prise par la première chambre civile. Celle-ci avait estimé qu'il ne fallait pas revenir sur une répartition de bénéfices non conforme aux stipulations statutaires, dès lors que celle-ci l'avait été d'un commun accord (7).
En revanche, elle se situe dans le droit fil d'un arrêt plus récemment rendu par cette chambre qui, statuant au vu des articles 1853 et 1854 du Code civil, relatifs à la société civile de droit commun, ainsi que de l'article 14 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 (N° Lexbase : L3146AID) ayant trait aux sociétés civiles professionnelles, avait repris à son compte le principe selon lequel lorsqu'en l'absence d'une réunion d'assemblée ou d'une consultation écrite, les décisions des associés résultent de leur consentement unanime, ce consentement doit être exprimé dans un acte (8).

Ce formalisme, imposé par les textes et consacré par la jurisprudence, se justifie en ce que les statuts constituent la loi des associés qu'ils doivent respecter et qui ont vocation à s'appliquer tout au long de la vie sociale ; d'où la nécessité, en cas de modification, de respecter strictement les conditions, notamment de forme, posées par la loi. Une modification statutaire ne saurait résulter du simple consentement apparent ou même réel des associés.
Au sujet du "consentement exprimé dans un acte", l'article 42 du décret du 3 juillet 1978 impose que le texte des résolutions proposées, tout comme les documents nécessaires à l'information des associés, soient adressés à chacun d'eux par courrier recommandé avec demande d'avis de réception. Chaque associé dispose alors du délai minimal de 15 jours à compter de leur réception pour émettre son vote, la justification du respect des formalités et la réponse des intéressés étant annexées au procès-verbal. En cela, ces exigences formelles ne vaudrait pas seulement comme condition de preuve ou pour l'opposabilité aux tiers ; étant considérées comme d'ordre public, elles viseraient également à préserver le consentement des associés. Toute décision qui résulterait d'une autre forme serait nulle et, en conséquence, serait censée n'avoir jamais existé (9).
A défaut de respect du formalisme légal ou réglementaire, les associés et les tiers ne pourraient avoir connaissance de la dernière version de leur teneur, s'ils pouvaient être modifiés intempestivement. De surcroît, il serait difficile, voire impossible, d'accomplir les formalités de publicité qui permettent l'opposabilité aux tiers de ces modifications, si la décision collective qui se situe à leur origine n'était pas adoptée dans les formes édictées par la loi ou le règlement.

Reste à savoir si, en dépit de la loi n° 2000-516 du 13 mars 2000, sur l'adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et signature électronique (N° Lexbase : L0618AIQ), l'acte par lequel les associés expriment leur consentement doit toujours être "un écrit sur support papier" ou, s'il peut être "un écrit sur support électronique". Le recours à la version électronique semble possible car, bien que l'article 1845 du Code civil exige que les statuts soient rédigés par écrit, il ne sanctionne pas cette règle par la nullité (10). Par conséquent, contrairement aux propos précédents, l'écrit serait requis en tant que mode de preuve et ne constituerait pas nécessairement une condition de validité de l'acte. Par ailleurs, si en matière de preuve, l'article 1316-3 du Code civil (N° Lexbase : L0629ANM) (11) assimile l'écrit sur support électronique à l'écrit sur support papier, en la situation actuelle, le dépôt au greffe d'un écrit sur support électronique est pratiquement impossible à réaliser (12).

Il n'en demeure pas moins qu'en l'espèce, il n'y a pas lieu de respecter le formalisme requis puisque, comme le décide la Cour régulatrice dans son arrêt de censure, les déclarations fiscales ne constituent pas un acte au sens de l'article 1854 du Code civil. La volonté de tous les associés de modifier les statuts ne saurait se déduire d'une déclaration fiscale, quand bien même serait-elle signée par eux.


(1) C. civ., art. 1853 (N° Lexbase : L2050ABK).
(2) C. civ., art. 1854 (N° Lexbase : L2051ABL).
(3) C. civ., art. 1854 (sociétés civiles) et C. com., art. L. 223-27 (N° Lexbase : L6001IS3 SARL) ; Y. Chartier, note s/s Cass. civ. 1, 21 mars 2000, n° 98-14.933 (N° Lexbase : A5483AWY), Rev. Sociétés, 2000, p. 509.
(4) CA Amiens, 7 mai 1963, Gaz. Pal., 1963, 2, p. 246 ; RTDCom., 1963, p. 859, obs. R. Houin.
(5) C. com., art. L. 227-9 (N° Lexbase : L2484IBM).
(6) A. Lienhard, obs. s/s Cass. civ. 1, 21 mars 2000, préc., D., 2000, act. jur., p. 191.
(7) Cass. civ. 1, 22 novembre 1994, n° 92-21.792 (N° Lexbase : A8418CYG), Bull. Joly Sociétés, 1995, p. 169, note B. Saintourens ; JCP éd. E, 1995, I, 447, n° 6, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain.
(8) Cass. civ. 1, 21 mars 2000, préc., D., 2000, act. jur., p. 191, obs. A. Lienhard ; D., 2000, p. 475, note Y. Chartier ; Rev. Sociétés, 2000, p. 509, note Y. Guyon ; Defrénois, 2000, p. 849, note B. Saintourens.
(9) Cass. civ. 1, 21 mars 2000, préc. et les réf. préc. note 8.
(10) C. civ., art. 1844-10 (N° Lexbase : L2030ABS).
(11) C. civ., art. 1316-3 "L'écrit sur support électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier".
(12) En ce sens, Y. Guyon, note s/s Cass. civ. 1, 21 mars 2000, préc., note 8.

newsid:432867

Successions - Libéralités

[Jurisprudence] Droit de retour conventionnel stipulé dans une donation : la renonciation des enfants du donataire prédécédé équivaut à une absence de postérité

Réf. : Cass. civ. 1, 23 mai 2012, n° 11-14.104, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9031IL3)

Lecture: 9 min

N2896BTG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/6546493-edition-n-493-du-12072012#article-432896
Copier

par Sophie Deville, Maître de conférences en droit privé, Institut de droit privé EA 1920, Université Toulouse 1 Capitole

Le 12 Juillet 2012

Bien qu'elle soit traditionnellement appréhendée comme une pièce maîtresse du règlement successoral à côté de la libéralité à cause de mort, la donation entre vifs n'en est pas moins un acte juridique. Manifestation de volonté du donateur, acceptée par le bénéficiaire, elle peut être assortie de clauses aménageant son exécution, dans le respect de l'ordre public. A ce titre, le droit de retour figure parmi les stipulations les plus usitées, l'essentiel des donations étant consenties par des ascendants au profit de leur progéniture. Pour autant, il ne donne lieu qu'à peu de jurisprudence, en dépit des difficultés pratiques qu'il peut engendrer (1). Dans ce contexte, l'important arrêt de la première chambre civile du 23 mai 2012 doit retenir l'attention, car il présente le mérite de mettre en lumière les hésitations qui peuvent naître de l'interprétation des clauses prévoyant un droit de retour, face à certaines situations qui n'ont pas été anticipées par le disposant lorsqu'il a consenti la donation.

Dans l'espèce soumise aux juges, une personne a fait donation à son fils, par deux actes séparés, d'une maison d'habitation et de plusieurs terrains en ayant pris soin, comme l'y autorise l'article 951 du Code civil (N° Lexbase : L0107HPN), de se réserver un droit de retour sur tous les biens pour le cas où le donataire décèderait avant elle sans postérité, mais encore dans l'hypothèse où les enfants du donataire viendraient eux-mêmes à décéder sans descendance. Quelques années plus tard, le gratifié décède en laissant deux enfants qui décident de renoncer à la succession, en considération de l'importance du passif laissé par leur père, placé de son vivant en liquidation judiciaire. La grand-mère agit alors pour obtenir restitution de l'objet des donations. Les juges du fond, considérant la demande recevable, déboutent néanmoins le disposant au motif, principalement, que la renonciation des héritiers du donataire ne peut en aucun cas être assimilée à leur décès ; de ce fait, l'élément érigé en condition résolutoire ne s'est aucunement réalisé et le droit de retour ne peut être exercé. Les magistrats d'appel se livrent à une interprétation littérale des termes de la stipulation qui, combinée à une exacte application des principes innervant le mécanisme de la condition, conduisent à rejeter la prétention. Ceci étant, l'argumentation n'obtient pas les faveurs de la Cour de cassation qui censure la décision avec force en statuant sur un moyen relevé d'office. La première chambre retient, en effet, que la renonciation d'un descendant ne peut faire obstacle à l'exercice du droit de retour, que celui-ci soit légal ou conventionnel. Le renonçant étant appréhendé comme un étranger à la succession, il en résulte que "le donataire ne laissait aucune postérité pour lui succéder" ; dès lors, la condition résolutoire affectant les libéralités consenties par l'ascendante est réputée réalisée et cette dernière doit être considérée comme seule propriétaire des biens depuis l'origine.

Il est ici question d'analyser les effets de la renonciation des petits-enfants à la succession de leur père donataire sur le mécanisme conditionnel que constitue le droit de retour apposé aux donations consenties par la grand-mère. Les enjeux de la solution ne sont pas négligeables, notamment en l'espèce, en ce sens que la mise en oeuvre du retour permet à la donataire d'obtenir la restitution des biens libres de toutes charges (C. civ., art. 952 N° Lexbase : L0108HPP), lesquels ne figureront pas à l'actif de la succession de son fils, dont on sait qu'elle se trouve affectée d'un passif très important. Par ailleurs, les liens unissant les libéralités consenties par l'ascendante et l'hérédité du donataire peuvent se comprendre par référence aux objectifs du droit de retour.

Cette clause est entièrement motivée par le souhait du disposant d'éviter, à tout le moins de son vivant, la transmission des biens objets de la gratification à des personnes autres que sa descendance, les stipulations étant susceptibles de varier selon le degré d'intuitu personae qui anime le donateur. On comprend aisément pourquoi certains événements, tel le prédécès du donataire, voire de ses propres descendants, peuvent mettre à mal le désir du donateur de conserver les biens au sein de la proche famille ; les règles de dévolution conduiront à les attribuer à d'autres personnes figurant en rang utile pour succéder. Dès lors, le législateur a très tôt admis que certains éléments soient érigés en conditions résolutoires de la gratification. En ce sens, l'article 951 du Code civil énonce que "le donateur pourra stipuler le droit de retour des objets donnés, soit pour le cas du prédécès du donataire seul, soit pour le cas du prédécès du donataire et de ses descendants". La clause permet au donateur d'obtenir la restitution des biens au cas de prédécès du donataire ou de ses descendants en vertu du mécanisme conditionnel qui emporte l'anéantissement rétroactif de la libéralité ; la propriété du donataire s'efface et c'est le disposant qui est réputé seul titulaire de droits sur les biens depuis l'origine (2). Cette stipulation ne fait nullement échec à l'irrévocabilité spéciale qui s'impose aux donations puisque l'événement élevé en condition échappe en principe à toute influence du disposant ; la libéralité entre vifs peut parfaitement s'accommoder d'une telle modalité en l'absence de toute potestativité (3).

Le retour conventionnel produit des effets particulièrement énergiques par comparaison avec les droits de retour d'origine légale qui se sont multipliés sous l'impulsion des lois n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 (N° Lexbase : L0288A33) et n° 2006-728 du 23 juin 2006 (N° Lexbase : L0807HK4). En effet, le droit de retour légal demeure une prérogative de nature successorale (4) ; le bénéficiaire agit en qualité d'héritier et supporte de ce fait les obligations afférentes à sa situation, en particulier le passif s'il accepte purement et simplement la succession anomale. Par ailleurs, le mécanisme n'est aucunement doté d'un effet rétroactif au contraire du droit de retour conventionnel.

Simplement, la clause de retour présente la spécificité de ne pouvoir permettre au donateur de s'opposer aux aliénations consenties par le donataire dès lors que les évènements qui conditionnent l'existence de l'obligation ne sont pas survenus. Ainsi, le bénéficiaire pourra-t-il librement céder les biens donnés à des tiers ; toutefois, au cas de réalisation de la condition, le disposant en obtiendra restitution sans que les ayants cause du donataire puissent lui opposer leurs droits (5). Pour éviter ces situations qui peuvent se révéler délicates, le droit de retour est fréquemment assorti d'une clause d'inaliénabilité. Cette dernière, destinée à conforter l'efficacité du procédé, est alors considérée comme justifiée par un intérêt sérieux et légitime, et respectueuse des dispositions de l'article 900-1 du Code civil (N° Lexbase : L0041HP9) (6).

Le droit de retour stipulé par le donateur manifeste sa volonté de renforcer l'intuitu personae qu'abrite son acte en considération de certains objectifs. En ce sens, si la clause ne peut profiter qu'à lui seul selon les termes légaux, le choix des modalités affectant la libéralité est laissé au disposant. La condition principale réside dans le prédécès du donataire, mais il est tout à fait possible d'adjoindre d'autres éléments, conformément au souhait de l'ascendant. Si le retour peut être stipulé du seul fait du décès du donataire (7), il est plus fréquent que l'auteur de la libéralité conditionne la restitution au prédécès du descendant sans postérité, voire à celui de son enfant et de sa postérité. Dans ce dernier cas, la survivance d'un seul descendant du donataire suffit en principe à faire échec à la restitution. De telles stipulations manifestent le désir de conservation des biens dans la proche famille.

Là étaient exactement les priorités de l'ascendante dans l'espèce soumise aux juges le 23 mai 2012 ; le droit de retour se trouvait en effet conditionné au décès du donataire sans postérité ainsi qu'au prédécès éventuel des descendants du gratifié lui-même. Toute la difficulté réside ici dans le fait que les enfants du bénéficiaire prédécédé, vivants par hypothèse, ont décidé de renoncer à la succession de leur père, répudiant dans le même temps les biens donnés, alors laissés entre les mains des créanciers successoraux. La mise en oeuvre éventuelle de la clause, défendue par l'ascendante, doit dès lors dépendre, a priori, de l'interprétation de ses termes. La renonciation peut-elle être assimilée au décès du donataire sans postérité en dépit du silence de la loi -et avec elle de la stipulation litigieuse- qui ne visent que le dernier ? La question mérite une attention toute particulière ; bien que peu envisagée par la doctrine contemporaine, elle est susceptible de se poser fréquemment en pratique. La problématique a toutefois occupé des auteurs plus anciens bien qu'aucun consensus ne puisse être constaté. Une partie de la doctrine rejetait l'influence de la renonciation sur le droit de retour au motif qu'une interprétation stricte des termes de la stipulation devait s'imposer (8), à moins que le disposant ne l'ait expressément élevée au rang de condition résolutoire (9). Un autre mouvement admettait au contraire que l'assimilation du prédécès et de la renonciation était possible au regard des effets classiquement attribués à cette dernière, à savoir l'effacement rétroactif de la qualité d'héritier (10).

C'est sans conteste en faveur de la première analyse que s'est prononcée la cour d'appel dans cette affaire. Pour refuser la mise en oeuvre du droit de retour, les juges du fond procèdent à une interprétation littérale des stipulations contenues dans les deux donations, précisant que "[...] la renonciation par des descendants à la succession de leur auteur ne peut être assimilée au décès de ceux-ci [...]", mais encore que "[...] l'hypothèse de la renonciation des héritiers du donataire n'a pas été anticipée dans les donations avec stipulation du droit de retour conventionnel [...]". En d'autres termes, en l'absence de clause visant la renonciation, la restitution ne peut être obtenue car les seules conditions résolutoires envisagées par l'ascendant donateur ne se sont pas réalisées (11).

Si cette analyse est respectueuse de la lettre des clauses incluses dans l'acte par le disposant, elle s'éloigne néanmoins des motivations qui animaient ce dernier lorsqu'il les a stipulées. La renonciation des enfants du donataire produit les mêmes effets que leur décès en ce que les biens donnés reviendront à des étrangers au cercle familial. Cet élément n'a pas échappé aux magistrats de la Cour de cassation qui sanctionnent la décision d'appel en préférant une interprétation téléologique. Après avoir rappelé que l'héritier renonçant est censé n'avoir jamais été héritier selon l'article 805 du Code civil (N° Lexbase : L9880HNA), les Hauts magistrats poursuivent en constatant que la condition résolutoire affectant la donation s'est réalisée, "le donataire ne laissant aucune postérité pour lui succéder [...]".

A priori, la position de la Cour de cassation peut surprendre en ce qu'elle prend des distances avec certaines notions bien connues du droit successoral. D'abord, le décès d'un héritier et sa renonciation semblent difficilement assimilables bien qu'aujourd'hui certains mécanismes tendent à les rapprocher (12). Au-delà, en considération des stipulations prévoyant le droit de retour, il apparaît délicat de déduire de la renonciation une absence de postérité, les enfants du donataire étant bel et bien vivants à l'époque de la demande de restitution. Bien que non héritiers de leur père en raison de l'option successorale exercée, ils n'en demeurent pas moins des descendants du gratifié, ce qui inciterait à conclure à une défaillance de la condition résolutoire.

Pour autant, d'autres arguments doivent selon nous conduire à approuver la décision. En premier lieu, la référence déterminante aux objectifs de ce type de clauses et aux souhaits de l'ascendante lorsqu'elle les a stipulées doit guider les juges dans leur interprétation. Si une interprétation littérale conduit à contrarier les intentions qui étaient celles du disposant au moment de la rédaction de l'acte, il nous semble préférable de privilégier une analyse téléologique. Ensuite, l'assimilation de la renonciation des petits-enfants à l'absence de postérité peut tout à fait se comprendre en raison de l'influence importante de la dimension successorale sur la destinée des biens donnés affectés d'une clause de retour. En réalité, c'est la qualité d'héritier qui permet aux descendants de recueillir l'objet des libéralités et par là même de satisfaire au dessein de conservation des biens dans la famille ; la renonciation produit, de ce fait, des effets équivalents à ceux du prédécès des petits-enfants de la donatrice. L'idée a très justement été résumée par un auteur en ces termes : "[...] s'il [le donataire] a bien laissé une postérité au sens physique, il n'est pas certain qu'il en ait laissé une au sens successoral" (13). La cour d'appel de Pau avait d'ailleurs adopté un raisonnement similaire dans une affaire tranchée en juin 2004, avant de revenir sur sa position dans la présente espèce (14).

Finalement, l'analyse défendue par la Cour de cassation semble à la fois respectueuse des souhaits de l'ascendante et de l'objectif qu'abritent ces stipulations, même si l'issue peut paraître particulièrement sévère pour les créanciers de la succession du donataire. Il ne faut pas oublier que le droit de retour est avant toute chose un procédé de nature contractuelle au sein duquel les volontés individuelles occupent une place primordiale (15), dans le respect de l'ordre public. En ce sens, ces clauses font classiquement l'objet d'une interprétation souple, guidée par le respect des intentions du disposant (16).

Cette décision devrait encourager à une nouvelle appréhension des conditions susceptibles de fonder la mise en oeuvre du droit de retour conventionnel. Si les notaires rédigent ces clauses, quasi-systématiques dans les donations, en contemplation des termes de l'article 951 du Code civil, il leur est tout à fait possible d'assortir la condition principale d'autres éléments que le décès des descendants du gratifié dès lors que les modalités apposées à l'acte sont exemptes de potestativité. Aussi, une référence à la perte de la qualité d'héritier de la postérité du donataire permettrait-elle d'envisager toutes les situations dans lesquelles le but poursuivi par le disposant risque d'être contrarié en raison d'événements indépendants de sa volonté (17). De nombreuses difficultés d'interprétation pourraient, de la sorte, être évitées...


(1) Notamment, lorsqu'il n'est pas conforté par une clause d'interdiction d'aliéner. Voir, sur les spécificités du droit de retour conventionnel : M. Grimaldi, Droit civil, Libéralités-Partages d'ascendants, Litec, 2000, p. 174.
(2) Sur la qualification de la clause en condition résolutoire : Cass. civ. 1, 6 février 1996, n° 92-19.895, publié au bulletin (N° Lexbase : A9313ABK), Bull. civ. I, n° 62 ; D., 1997, p. 119, note V. Tardy ; RTDCiv., 1997, p. 718, obs. J. Patarin.
(3) Sur la validité des donations conditionnelles en général, voir par exemple : nos obs., L'objet de la libéralité, Coll. Doctorat et Notariat, Defrénois, 2012, p. 208 et s..
(4) Il est classiquement appréhendé comme une succession anomale bien que les hypothèses consacrées par les lois récentes entretiennent des relations particulières avec la dévolution de droit commun, ce qui ne va pas sans poser un certain nombre de difficultés pratiques et théoriques. Il en est notamment ainsi du droit de retour accordé aux collatéraux privilégiés dont l'assiette n'est que d'une quotité des biens reçus à titre gratuit par le défunt de leurs ascendants communs (C. civ., art. 757-3 N° Lexbase : L9838HNP). Sur l'origine de ces droits de retour et les interrogations qu'ils soulèvent, voir par exemple : M.-C. de Roton-Catala, Successions anomales, in Droit patrimonial de la famille, Dalloz Action, sous la direction de M. Grimaldi, 2011-2012, n° 235, 13 et s., p. 506 ; G. Goubeaux, Réforme des successions : l'inquiétant concours entre collatéraux privilégiés et conjoint survivant, Defrénois, 2002, art. n° 37519 ; Y. Lequette, La règle de l'unité de la succession après la loi du 3 décembre 2001 : continuité ou rupture ?, Etudes offertes au Doyen Philippe Simler, Dalloz-Litec, 2006, p. 167.
(5) Sous réserve des tempéraments de droit commun -protection des tiers acquéreurs de bonne foi (C. civ., art. 2276 N° Lexbase : L7197IAS)- et de l'hypothèque légale des époux visée à l'article 952 du Code civil.
(6) En ce sens : Cass. civ. 1, 15 juin 1994, n° 92-12.139, publié au bulletin (N° Lexbase : A3866AC8), Bull. civ. I, n° 211 ; D., 1995, p. 342, note A. Leborgne ; ibid., Somm., p. 50, obs. M. Grimaldi ; Defrénois, 1995, p. 51, note X. Savatier ; JCP éd. N, 1995, I, 3876, n° 8, obs. R. Le Guidec ; RTDCiv., 1995, p. 666, obs. J. Patarin ; ibid., p. 919, obs. F. Zénati).
(7) La clause témoigne alors d'un intuitu personae renforcé, concentré sur le bénéficiaire de la donation. Une doctrine avertie avait parfaitement traduit cette idée en énonçant que dans de telles situations, les donateurs "[...] préfèrent le donataire à eux-mêmes, mais qu'ils se préfèrent aux héritiers du donataire". Voir Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, par Trasbot et Loussouarn, T.V, n° 449.
(8) Planiol et Ripert, par Trasbot et Loussouarn, op.cit., n° 452-2.
(9) Toullier, Le droit civil français suivant l'ordre du Code, Paris, 1830, T.V., p. 294.
(10) Cours analytique de droit civil, Paris, 2ème éd., T. IV, p. 219.
(11) Les juges du fond semblent par là même admettre que la renonciation peut être appréhendée comme une modalité conditionnelle, malgré les termes de l'article 951 du Code civil qui ne visent que l'hypothèse du prédécès du donataire et de sa postérité. La proposition ne doit pas, à notre sens, surprendre ; par référence au droit commun, tout événement peut accéder au rang de condition dès lors qu'il n'est pas d'essence potestative. Or, la renonciation des héritiers échappe en principe à l'emprise du donateur.
(12) Depuis la loi du 23 juin 2006, la renonciation d'un héritier peut permettre, tout comme son prédécès ou son état d'indignité, à ses propres descendants de le représenter dans la succession du de cujus.
(13) Th. de Ravel d'Escaplon, Renonciation à succession et exercice du droit de retour, D. Actualité, 22 juin 2012. L'appréhension de la renonciation doit évidemment être similaire pour ce qui concerne le droit de retour légal qui est un mécanisme purement successoral. La Cour de cassation l'énonce clairement dans cet arrêt, ce qui contribue à éclairer les conditions d'application des droits consacrés aux articles 738-2 (N° Lexbase : L9834HNK) et 757-3 (N° Lexbase : L9838HNP) du Code civil.
(14) CA Pau, 7 juin 2004, n° 01/18244, D., Jurisprudence, cité par Monsieur de Ravel d'Escaplon, op.cit..
(15) Voir W. Merle, Le droit de retour de l'article 951 du Code civil : un droit conventionnel, JCP éd. N, 2010, p. 1477.
(16) Voir, par exemple, sur les modalités d'exécution du retour quant à son objet : Ph. Delmas Saint-Hilaire, Réflexions sur les mécanismes de rétention dans les donations, JCP éd. N, 2011, n° 1207, p. 48, n° 33, notamment. L'auteur explique que, selon les hypothèses et les souhaits du stipulant, le retour pourra viser des biens subrogés aux objets donnés ou au contraire se réaliser en valeur.
(17) Il pourra s'agir indifféremment du décès, de la renonciation ou de l'indignité successorale, étant entendu qu'aujourd'hui les descendants du renonçant ou de l'indigne sont admis à le représenter. Ainsi, le droit de retour ne jouera que si la descendance de l'enfant du donataire est inexistante ou n'a pas, elle-même, la qualité d'héritier.

newsid:432896

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.