La lettre juridique n°299 du 3 avril 2008

La lettre juridique - Édition n°299

Éditorial

Dépénalisation de la vie des affaires :
éviter Sisyphe

Lecture: 3 min

N6219BE3

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


"Dépénaliser la vie des affaires, c'est ainsi réduire non seulement l'espace pénal, mais également le risque anormal et le temps. C'est retrouver une cohérence, une plus grande sécurité juridique, une confiance des acteurs dans la norme et la capacité à l'appliquer par les acteurs et les opérateurs juridiques". Le programme de la réforme présente bien, mais la pièce est-elle à la hauteur des attentes du milieu juridique et de celui des affaires ?

Lorsque, le 20 février 2008, le groupe de travail présidé par Jean-Marie Coulon, ancien Premier Président de la cour d'appel de Paris, remet son rapport sur la dépénalisation de la vie des affaires au Garde des sceaux, sur lequel Jean-Baptiste Lehnof, Maître de conférences à l'ENS Cachan, revient cette semaine, on était loin d'imaginer tout le spectre que les membres de la commission ad hoc allaient couvrir et, parfois même, réveiller.

Pourtant, la dépénalisation du droit des affaires n'est pas une "lubie" politique de dernière mandature présidentielle ou législative. L'ordonnance du 1er décembre 1986 en matière de concurrence supprima la plupart des infractions pénales en la matière ; la loi "NRE" du 15 mai 2001 dépénalisa une vingtaine de délits figurant dans la loi de 1966 ; les lois du 1er août 2003, sur la sécurité financière et sur l'initiative économique, procédèrent à la dépénalisation d'infractions qui punissaient la violation d'obligations formelles ; les ordonnances du 25 mars 2004, sur la simplification du droit et des formalités pour les entreprises, et du 25 juin 2004, sur les valeurs mobilières, entraînèrent à une nouvelle dépénalisation au profit de sanctions civiles ; autant de réglementations qui firent écho à la vision "pénale et commercialiste" de nombreux auteurs et parlementaires qui ont longtemps critiqué une pénalisation excessive des affaires, qualifiée "d'erreur de politique criminelle".

Mais, s'il ne s'agissait que de la cohérence juridique de l'arsenal dissuasif tourné à contre l'abus de confiance, l'abus de droit, l'escroquerie ou la tromperie, le rapport, dont la quasi-totalité des recommandations devrait être reprise dans un prochain projet de loi, n'aurait sans doute pas suscité l'émoi. Certes la suppression et la modification d'infractions pénales tombées en désuétude, obsolètes, ou pour lesquelles un dispositif civil efficace est déjà prévu s'inscriraient bien dans le cadre d'un simple toilettage. Mais, la suppression du cumul sanction pénale/sanction administrative en matière boursière et de concurrence, ainsi que la modification des règles de la prescription de l'action publique, posant comme point de départ intangible la date des faits et en allongeant les délais de prescription, semblent, pour certains magistrats et universitaires, aller contre la protection même des entrepreneurs, dont les droits de la défense sont topiquement garantis en matière pénale. En effet, "celui qui est mis en examen a le droit d'accéder à l'intégralité de son dossier et il est informé de tous les actes de la procédure, qu'il peut contester. Le déroulement de l'enquête administrative est quant à elle plus opaque, jusqu'à ce que soit adressée aux parties une notification de griefs et que s'ouvre la phase contradictoire". Par ailleurs, certains magistrats craignent de voir "enterrer" un certain nombre de délits fondés sur la "dissimulation" ou la "tromperie" et s'attendent à "un traitement clément des entreprises récidivistes". Enfin, "une entreprise agit d'une façon rationnelle : si elle s'engage dans une pratique abusive, c'est en fonction d'un calcul coûts/bénéfices où les gains escomptés sont pondérés par les risques financiers (le montant de l'amende qu'elle risque de payer). Elle anticipe même ce risque et inclue une prime au risque dans son calcul initial. Ce qui rend la sanction administrative quasi-indolore, à moins que l'autorité de régulation ne décide de montants d'amende très importants". Est-ce que le risque d'être condamné à verser une amende d'un montant titanesque concourt bien à la dépénalisation du droit des affaires et la confiance en l'économie, filigrane d'une telle réforme ?

"Les circonstances atténuantes sont une sourdine mise au Code pénal" écrivit Victor Hugo, dans Faits et croyances, marquant ainsi toute sa réticence à l'égard d'une relativité du droit pénal au service du bien public. Pour sûr, le rapport "Coulon", qui constitue, sans contestation possible, un remarquable travail de synthèse combinatoire en vue de préserver l'essence du droit pénal des affaires, sa modernisation au sein de l'économie mondiale et les nécessités de la prise de risque des entrepreneurs en matière d'investissement, devrait susciter de nouveaux débats au sein du Parlement, lors de l'examen de sa traduction législative. Gageons qu'il ne restera pas lettre morte ; même si la discussion doit laisser place à certains aménagements, il ne s'agit pas de remonter, sans cesse, pour voir redescendre cette réforme à l'allure tarpéienne.

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - avril 2008

Lecture: 15 min

N6232BEK

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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette chronique débute par une nouvelle illustration de la règle de l'identité d'entreprise relative à une société de personnes ayant fait l'objet d'une "mutation temporaire d'activité". Puis, en matière de procédures fiscales, le Conseil d'Etat vient de rendre deux décisions relatives à la possibilité, pour l'administration fiscale, d'invoquer à la fois les dispositions de l'article L. 170 du LPF et celles relatives à la prorogation du délai de reprise en cas d'agissements faisant l'objet de poursuites pénales pour fraude fiscale. Enfin, la Cour de cassation met un terme à une longue procédure judiciaire relative à l'application des dispositions de l'article 809 I bis du CGI en matière de taxation des apports au titre des droits d'enregistrement lors d'une mise en société d'une entreprise individuelle.
  • Règle de l'identité d'entreprise en cas de "mutation temporaire d'activité" (CE 3° et 8° s-s-r., 25 février 2008, n° 287726, M. et Mme Gatineau N° Lexbase : A3698D74)

Les décisions rendues quant à la notion d'identité d'entreprise ont été particulièrement importantes ces derniers mois s'agissant de sociétés soumises à l'IS (CE 3° et 8° s-s-r., 30 novembre 2007, n° 284621, Société Marché actif N° Lexbase : A9628DZM, cf. nos obs., Chronique de fiscalité des entreprises, Lexbase Hebdo n° 286 du 20 décembre 2007 - édition fiscale N° Lexbase : N5615BDC ; CE 3° et 8° s-s-r., 10 juillet 2007, n° 288484, SARL Final N° Lexbase : A2853DXX, cf. nos obs., Chronique mensuelle de fiscalité des entreprises, Lexbase Hebdo n° 272 du 13 septembre 2007 - édition fiscale N° Lexbase : N2767BCH).

L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 25 février 2008 s'inscrit dans une perspective comparable bien qu'il s'agisse d'une société semi-transparente soumise au régime de l'article 8-4° du CGI (CGI, art. 8 N° Lexbase : L2685HNR) : l'EURL Gatineau Transactions et Investissements Immobiliers (GTII), société à responsabilité limitée ne comportant comme associé qu'une personne physique, a interrompu son activité principale de marchands de biens au profit de la location de deux logements lui appartenant.

A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a considéré que le changement d'activité de l'entreprise devait être assimilé à une cessation d'entreprise entraînant, au cas d'espèce, l'imposition immédiate des bénéfices et la réintégration d'une provision sur le stock de biens immobiliers (CGI art. 201 N° Lexbase : L1704HNG ; CGI art. 202 ter N° Lexbase : L2487HNG ; comp. s'agissant des sociétés soumises à l'IS, notamment quant aux conséquences (1) : CGI, art. 221-5° N° Lexbase : L4150HLB). Par ailleurs, l'administration fiscale a contesté la nature commerciale de l'activité de l'EURL pour requalifier les revenus en revenus fonciers et, ainsi, interdire l'imputation des déficits sur le revenu global du foyer fiscal (CGI, art. 156 I-3° N° Lexbase : L2487HZ7).

L'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 1ère ch., 26 septembre 2005, n° 03NT00032, M. et Mme Alain Gatineau N° Lexbase : A7130DLN) confirmera l'analyse de l'administration fiscale en relevant que l'EURL n'a pas accompli "au cours de la période litigieuse, des démarches effectives afin d'acquérir des immeubles ou de vendre les appartements qu'elle détenait". Partant, "l'activité de la société a définitivement subi de profonds changements" ; ce qui justifie l'application du régime de la cessation d'entreprise.

Cette décision sera censurée par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 25 février 2008 : la Haute juridiction considère que la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits de la cause.

En effet, il résulte de l'instruction que le contribuable prétend n'avoir jamais entendu, en 1994, mettre fin à son activité de marchands de biens, par ailleurs reprise en 1998 : cette dernière a été volontairement et temporairement suspendue du fait de la crise immobilière.

Réglant l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), la Haute juridiction relève que l'EURL a concentré son activité sur la gestion de logements qui constitue une activité accessoire à celle principale de marchands de biens. L'activité principale doit être regardée comme ayant été simplement suspendue pendant quatre ans et cinq mois, pour des raisons conjoncturelles, dès lors que la société peut justifier avoir acquis un immeuble quelques années plus tard dans le cadre de son activité principale de marchands de biens : le Conseil d'Etat a, de par le passé, déjà jugé que le changement d'activité devait s'entendre comme un abandon définitif et complet de l'ancienne activité (CE Contentieux, 17 mai 1982, n° 21759 N° Lexbase : A2205ALA).

Ainsi, le Conseil d'Etat considère que la "mutation temporaire opérée par l'EURL GTII dans son activité" pour des raisons économiques ne peut pas être regardée "comme un changement définitif d'activité d'une importance telle qu'il doive emporter cessation de l'entreprise au sens de l'article 202 ter du Code général des impôts".

Cette solution doit être rapprochée de l'arrêt "SARL Sophie B" admettant qu'après une période d'inactivité -cette fois-ci totale- de trente et un mois, du renouvellement du collège des associés et du changement de gérant, le régime de la cessation d'entreprise devait être écarté dès lors qu'après avoir vendu des polos Benetton, la société revendait des tee-shirts Nike (CE 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2005, n° 259275, SARL Sophie B N° Lexbase : A3450DIM ; CAA Douai, 3ème ch., 4 juin 2003, n° 02DA00781, SARL Sophie B N° Lexbase : A4754C9X) (2).

L'arrêt "Gatineau" prend en compte l'environnement économique, plus spécifiquement l'état désastreux du marché immobilier au début des années 90, subi par l'entreprise. Les Hauts magistrats font preuve d'une certaine largeur de vue au profit des contribuables puisque leur société n'a repris son activité principale, jusqu'alors suspendue au profit d'une activité accessoire, que quatre ans et cinq mois après les faits leur permettant ainsi d'exciper d'un évènement fortuit intervenu bien après l'interruption de l'activité de marchands de biens : le rebond du marché immobilier à compter de 1997 qui a incité l'EURL a renoué avec ses premières amours en 1998. Ce fait n'est pas neutre au regard du présent litige car, sans nul doute possible, il a permis aux contribuables de justifier, a posteriori, du caractère temporaire de l'interruption de leur activité principale. Il est en outre vraisemblable que les conséquences de cette interruption d'activité, au regard des dispositions de l'article 202 ter du CGI diversement interprétées par l'administration et le juge de l'impôt, n'aient pas été, à l'époque des faits, appréciées par les contribuables dans toute leur mesure -si tant est qu'elles aient été tout simplement appréhendées- : pourtant, s'"il est malaisé de parer à un accident imprévu ; à un accident prévu, c'est chose aisée" (3).

  • Prorogation du délai de reprise : combinaison possible des articles L. 170 et L. 187 du LPF (CE 9° et 10° s-s-r., 20 février 2008, n° 281130, M. Cheneviere, N° Lexbase : A0420D7P ; CE 9° et 10° s-s-r., 20 février 2008, n° 281178, Société anonyme L'Hexagone N° Lexbase : A0421D7Q)

La prescription du délai de reprise de l'administration fiscale est un enjeu de première importance en matière de procédures fiscales. Fixé, jusqu'au 31 mai 2008 (4), à dix ans à compter du jour du fait générateur de l'impôt (LPF, art. L. 186 N° Lexbase : L8360AED), le droit commun de la prescription fiscale souffre de nombreuses exceptions : ainsi, à titre d'illustration, le délai abrégé de trois ans (LPF, art. L. 180 N° Lexbase : L8488AE4) applicable en matière d'ISF pour les éléments déclarés par le contribuable sera cependant écarté si l'administration doit effectuer des recherches ultérieures (Cass. com., 20 février 2007, n° 05-17.953, F-P+B N° Lexbase : A4256DU8 ; Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-19.698, F-D N° Lexbase : A1209DMQ ; Cass. com., 27 janvier 1998, n° 96-13.260, Monsieur Bourlon de Rouvre c/ Directeur des Services Fiscaux de Paris-Nord et autre N° Lexbase : A2674ACZ).

Le LPF mentionne également des délais de reprise spéciaux, c'est-à-dire dérogatoires au délai prévu par l'article L. 186 du LPF. Telle est l'hypothèse, à titre d'illustration, de l'article L. 169 du LPF (N° Lexbase : L4751HWU) applicable à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés, qui prévoit que le droit de reprise de l'administration s'exercera alors "jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due". Leurs effets peuvent être écartés au profit d'une prorogation tenant au dépôt, par l'administration fiscale, d'une plainte contre le contribuable s'étant livré à des agissements frauduleux (LPF, art. L. 187 N° Lexbase : L8361AEE ; CE Contentieux, 7 décembre 1981, n° 17826 N° Lexbase : A6425AK8 ; CE Contentieux, 26 juillet 1978, n° 4851 N° Lexbase : A2791AI9) ; d'une commission d'activités occultes (LPF, art. L. 169 ; LPF, art. L. 174 N° Lexbase : L8372AES ; LPF, art. L. 176 N° Lexbase : L7609HEK) ou du recours, par l'administration fiscale, à l'assistance administrative internationale (LPF, art. L. 188 A N° Lexbase : L5372G74).

Lorsque les délais de reprise de l'article L. 169 du LPF sont écoulés, l'administration peut appliquer l'article L. 170 du LPF qui dispose que "les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuses peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due". Mais ce texte interdit à l'administration de demander au juge de l'impôt d'établir lui-même l'imposition due (5) (CE Contentieux, 6 janvier 1984, n° 29639, M. Joseph Vilain N° Lexbase : A7320ALP).

La rédaction actuelle de l'article L. 170 du LPF est issue d'une substantielle modification opérée par la loi de finances pour 1990 (loi n° 89-935 du 29 décembre 1989, art. 104-I et 104-II) portant sur le champ d'application du texte. D'une part, les dispositions de l'article L. 170 ne sont plus réservées aux seules instances introduites devant les tribunaux répressifs : tous les litiges sont, à compter du 1er janvier 1990, concernés. Il en est ainsi d'une instance notamment prud'homale, commerciale, civile, administrative ou pénale qui sont par ailleurs autant de pépites d'informations pour l'administration fiscale exploitables au moyen du droit de communication (LPF, art. L. 101 N° Lexbase : L7897AE9 ; CE 3° et 8° s-s-r., 22 mai 2002, n° 231105, SARL Berre Station N° Lexbase : A8251AYA). D'autre part, quant au fait générateur de l'impôt concerné, le champ d'application rationae temporis de l'article L. 170 du LPF fixe un butoir à l'exercice du droit de reprise (sur la jurisprudence relative à l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions : CE 9° et 10° s-s-r., 17 novembre 2006, n° 254526, M. et Mme Giral N° Lexbase : A5440DSB).

Mais quid de l'application de l'article L. 170 en cas d'agissements frauduleux du contribuable ? Le monde de la nuit nous offre l'opportunité d'y voir un peu plus clair. Par deux décisions rendues le 28 février 2008 (CE 9° et 10° s-s-r., 20 février 2008, n° 281130, M. Cheneviere ; CE 9° et 10° s-s-r., 20 février 2008, n° 281178, Société anonyme L'Hexagone), le Conseil d'Etat a considéré que les deux actions pouvaient être combinées : elles ne s'excluent nullement.

Les faits de ces deux arrêts rapportent qu'une importante fraude comptable a été mise à jour consistant en l'existence d'une double billetterie (6) au sein d'une discothèque exploitée par une société anonyme. Des redressements ont alors été notifiés en 1994, portant sur les années 1987 à 1989, relatifs à l'impôt sur les sociétés et la TVA à l'encontre de la personne morale ; ainsi que l'impôt sur le revenu concernant le dirigeant par ailleurs poursuivi pour fraude fiscale devant les juridictions répressives.

Le Conseil d'Etat rappelle que les dispositions des articles L. 170 et L. 187 du LPF "ont pour objet commun d'ouvrir un délai spécial de reprise après expiration du délai ordinaire de prescription, elles permettent à l'administration de procéder à des rehaussements des bases d'imposition dans des conditions et des durées différentes".

Le Haut conseil en déduit, alors, que "la circonstance que les conditions de mise en oeuvre de l'article L. 187 soient remplies ne saurait en elle-même faire obstacle à ce que l'administration procède à des redressements en application de l'article L. 170, si les conditions en sont également réunies".

Ainsi, le grief des contribuables reposant sur la prétendue méconnaissance du champ d'application de l'article L. 170 du LPF par l'administration fiscale "alors qu'elle avait engagé une instance pénale à la suite de la découverte de la double billetterie frauduleuse ne peut qu'être écarté".

Cette jurisprudence s'inscrit dans l'esprit de celle auparavant adoptée par la Haute juridiction administrative acceptant le principe d'une combinaison des articles L. 170 et L. 169 du LPF (7) (CE Contentieux, 21 décembre 2001, n° 204181, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. Pekmez N° Lexbase : A9404AXL).

S'agissant de l'application des dispositions de l'article L. 170 du LPF, la jurisprudence a permis de préciser ce que le terme "révélées" signifiait. Ainsi, la juridiction administrative estime que si l'administration disposait de l'ensemble des éléments propres lui permettant d'établir l'imposition supplémentaire avant que le contribuable n'introduise sa réclamation, l'insuffisance d'impôt ne lui a pas été révélée au sens de l'article L. 170 du LPF (CE Contentieux, 22 mars 1985, n° 42952, Ministre du Budget c/ Malichaud N° Lexbase : A2947AM4). De même, l'administration ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 170 du LPF dès lors que les insuffisances d'imposition ont été révélées par la vérification de la situation fiscale du contribuable et "non par l'instance engagée postérieurement à son encontre devant les tribunaux répressifs" (8) (CE Contentieux, 28 novembre 1986, n° 47147, De Bierre N° Lexbase : A3804AMT). En revanche, une réclamation du contribuable révélant une insuffisance d'imposition justifie l'application des dispositions de l'article L. 170 du LPF (CE Contentieux, 21 décembre 2001, n° 204181, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. et Mme Pekmez N° Lexbase : A9404AXL).

Au cas d'espèce, les contribuables n'ont pu prétendre que la juridiction administrative d'appel avait méconnu le sens de l'article L. 170 du LPF dès lors que les informations sur lesquelles l'administration s'était fondée, afin de rehausser leurs impositions respectives, ont été recueillies auprès de l'autorité judiciaire dans le cadre d'une commission rogatoire délivrée par le président du tribunal de grande instance statuant en matière correctionnelle. En effet, même si l'administration a bien eu connaissance en 1991 d'une double billetterie, c'est la procédure pénale mise en oeuvre qui permettra de mesurer l'ampleur de la fraude commise portant sur quatorze mille quatre cents billets -dont cent d'entre eux avaient déjà été découverts par l'administration fiscale en 1991- équivalant à un chiffre d'affaires de 576 000 francs (9) non comptabilisé.

  • Droits d'enregistrement et apport d'une entreprise individuelle à une société : régime de l'article 809 I bis du CGI (Cass. com., 12 février 2008, n° 07-15.218, F-P+B N° Lexbase : A9334D4H)

Afin de se conformer au dogme de la neutralité fiscale, le législateur a introduit des dispositions favorables à la mise en société des entreprises individuelles codifiées à l'article 151 octies du CGI (N° Lexbase : L2463HNK) se traduisant par un report des impôts directs. Cet aspect est particulièrement sensible quant à l'imposition des plus-values latentes s'agissant notamment des actifs incorporels de l'entreprise individuelle dont le fonds de commerce.

Concernant les droits d'enregistrement, il est fait une distinction entre la nature des apports : lorsqu'ils sont rémunérés par des droits sociaux, tels que les actions ou les parts sociales, ils sont soumis à l'aléa social et qualifiés d'apports à titre pur et simple. Par principe, ils sont exonérés. En revanche, si la société bénéficiaire de l'apport prend en charge le passif qui incombait à l'exploitant individuel, les apports sont à titre onéreux. Ces derniers sont alors soumis à une taxation (10) sous réserve de l'application, sous conditions, notamment, quant à la durée de conservation des titres reçus en échange (11) et de l'apport de l'ensemble des éléments de l'actif immobilisé par une personne physique, d'un régime de faveur prévu par les dispositions de l'article 809 I bis du CGI (N° Lexbase : L8320HLQ).

Les faits de l'espèce ont trait à l'apport d'un fonds de commerce de courtage et de négoce de produits informatiques exploités sous la forme d'une entreprise individuelle placé sous le régime du report d'imposition des plus-values de l'article 151 octies du CGI et celui prévu par l'article 809 I bis du CGI. Aux termes du contrat d'apport enregistré en mars 1992, l'actif immobilisé a été valorisé pour un montant de 11 015 411 francs (12) et l'actif circulant s'est élevé à 23 170 229 francs (13). La rémunération de l'apport était constituée par la prise en charge du passif à hauteur de 14 474 476 francs (14), l'inscription au compte courant de l'apporteur dans les comptes de la SA bénéficiaire de l'apport de la somme de 9 711 164 francs (15) et l'attribution de 100 000 actions de 100 francs (16) chacune.

Concernant les droits d'enregistrement, un droit fixe de 500 francs (17) a alors été acquitté.

A la suite d'une notification de redressements en juillet 1995, l'administration a remis en cause le bénéfice du régime de faveur issu de l'article 809 I bis du CGI (18).

Quelle interprétation la jurisprudence a-t-elle arrêté au regard de l'application de l'article 809 I bis du CGI ?

En 2004, la Cour de cassation (Cass. com., 3 mars 2004, n° 00-22.810, FS-P+B N° Lexbase : A3919DBR) a dit pour droit que le régime de l'article 809 I bis du CGI n'était pas applicable lorsque l'apport n'avait pas été uniquement rémunéré par des droits sociaux, "mais également par une attribution de liquidités en faveur de [l'apporteur au moyen d'une inscription au compte courant de l'actionnaire], de sorte que l'apport correspondant n'avait pas été intégralement consenti à titre pur et simple".

C'est très logiquement que la Haute juridiction judiciaire écartera le régime de l'article 809 I bis du CGI lorsque le stock de marchandises a été vendu par les apporteurs à la société bénéficiaire des apports : en effet, "la société Kervilly avait pris en charge les dettes afférentes au stock qu'elle avait acheté à M. et Mme Le G., ce dont il résultait qu'elle avait supporté des éléments de passif autres que ceux dont étaient grevés les éléments d'actifs immobilisés apportés" (Cass. com., 17 mars 2004, n° 02-14.711, FS-P+B N° Lexbase : A6326DBW).

Ces solutions sont en accord avec les réponses ministérielles "Borloo" (19) et "Fosset" (20) publiées au milieu des années 90 (QE n° 20447 de M. Jean-Louis Borloo, réponse publ. au JOANQ du 20 février 1995 p. 964N° Lexbase : L2006DPY ; QE n° 04794 M. André de FOSSET, réponse publ. au JOSQ du 23 février 1995 p. 439 N° Lexbase : L2005DPX) dont il faut comprendre que l'apport de l'entreprise individuelle doit être à titre pur et simple à hauteur de sa valeur nette et à titre onéreux à hauteur de la prise en charge du passif (21).

Par la présente décision, la Cour de cassation met fin à une longue procédure judiciaire ayant opposé les parties à l'instance : par un arrêt du 22 novembre 2005 (Cass. com., 22 novembre 2005, n° 03-12.550, F-D N° Lexbase : A7414DL8), la cour régulatrice a censuré la décision rendue par la cour d'appel de Versailles dont le raisonnement était fondé sur le fait que "pour bénéficier du régime de faveur, la valeur des actions attribuées en contrepartie de l'apport doit être au moins égale à la valeur de l'actif immobilisé et non à la valeur de l'actif net, après déduction du passif social". En effet, selon les Hauts magistrats "en statuant ainsi, alors que la prise en charge par la société du passif dont sont grevés les biens apportés constituant la contrepartie de l'apport à concurrence de ce passif, seul l'actif net apporté doit être intégralement réalisé à titre pur et simple, la cour d'appel a violé [l'article 809 I bis du CGI]".

La cour d'appel de renvoi (CA Paris, 1ère ch., sect. B, 2 février 2007, n° 06/08836 N° Lexbase : A5757DUR) ayant à statuer sur la cause, appliquera la jurisprudence de la Cour de cassation et constatera que "le compte courant créditeur de l'exploitant dans l'entreprise individuelle ne correspond pas au passif dont sont grevés les biens de nature de ceux énumérés au 3° du I [immeuble, droits immobiliers, fonds de commerce, clientèle, droit à bail, promesse de bail] qui sont compris dans l'apport". Par conséquent, la cour d'appel de renvoi écartera l'application du régime de faveur prévu par l'article 809 I bis du CGI. En effet, aux termes du contrat d'apport, l'actif net apporté s'est élevé à 19 711 164 francs (22) et la rémunération de l'apport s'est élevée à 10 000 000 francs à titre pur et simple à la suite de l'attribution de 100 000 actions de cent francs chacune. La différence, soit 9 711 164 francs, a été portée en compte courant dont la cour de renvoi relève que le contrat d'apport n'a pas précisé s'il devait être considéré comme bloqué pendant cinq ans (23). Il s'agit, alors, d'une simple attribution de liquidités incompatible avec les dispositions de l'article 809 I bis du CGI dès lors que le compte courant "n'est pas de même nature que le passif visé par l'article 809, I bis susvisé et ne peut être assimilé, pour l'opération d'apport considérée, au passif à prendre en compte dans le calcul de l'actif net".

A nouveau saisie d'un pourvoi en cassation, la Cour régulatrice (Cass. com., 12 février 2008, n° 07-15.218, F-P+B N° Lexbase : A9334D4H) tranche définitivement ce contentieux en décidant que le régime de faveur doit être écarté lorsque la société bénéficiaire de l'apport "a supporté des éléments de passif autres que ceux dont ont été grevés les éléments d'actif immobilisés". Ce qui était le cas en l'espèce puisque l'exploitant individuel effectuait des prélèvements personnels à son profit : "le montant du compte courant [...] dépendait pour partie des prélèvements personnels effectués par [l'apporteur] à son profit, les mouvements l'affectant ne résultaient pas uniquement de l'exploitation directe de l'activité de l'entreprise, de sorte que ce compte ne pouvait être assimilé, pour l'opération d'apport, au passif à prendre en compte pour le calcul de l'actif net".


(1) Le changement d'objet social ou d'activité réelle emporte la cessation avec, pour conséquence, l'imposition immédiate du résultat, des plus-values latentes et des provisions, sauf application du régime de l'article 221 bis du CGI (N° Lexbase : L2497HNS). Enfin, s'agissant des déficits générés par l'activité initiale de la société soumise à l'IS, ils ne peuvent plus être reportés en avant et être imputés sur les bénéfices à venir issus de la nouvelle activité. On a voulu ainsi prévenir la reprise de sociétés déficitaires pour des considérations purement fiscales. Il devrait en être différemment en ce qui concerne le régime du carry-back qui fait naître une créance d'impôt au profit de la société.
(2) V. également : CE Contentieux, 7 mai 1980, n° 16700 (N° Lexbase : A5908AIN).
(3) Machiavel, L'art de la guerre, livre septième chapitre XIV, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 895.
(4) A compter du 1er juin 2008, la loi "TEPA" du 21 août 2007 (loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat N° Lexbase : L2417HY8) a réduit la prescription de droit commun en matière fiscale à six ans (LPF, art. L. 186 [LXB=L9273HZH).
(5) " Même si les délais de reprise prévus à l'article L. 169 sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux répressifs ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'Administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance' ; que, toutefois, s'il appartient à l'Administration, dans la mesure où elle s'y croit fondée, de faire application de ces dispositions, elle ne peut, sur leur fondement, demander au juge de l'impôt d'établir lui-même des impositions".
(6) Dans une affaire opposant les cédants et le cessionnaire de titres sociaux d'une société exploitant une discothèque, un conflit éclata entre les intéressés à la suite d'un redressement fiscal notifié par l'administration à l'encontre de la société. Les termes de la décision rendue par la cour d'appel, rapportés par la Cour de cassation, sont édifiants car on y apprend l'existence de surprenantes "coutumes" justifiant, selon l'une des parties à la procédure, d'écarter la garantie de passif octroyée par les cédants : "Attendu que pour rejeter la demande [du cessionnaire], l'arrêt retient que celui-ci ne peut, sans manquer à la bonne foi, se prétendre créancier à l'égard des cédants dès lors que, dirigeant et principal actionnaire de la société Les Maréchaux, il aurait dû se montrer particulièrement attentif à la mise en place d'un contrôle des comptes présentant toutes les garanties de fiabilité, qu'il ne pouvait ignorer que des irrégularités comptables sont pratiquées de façon courante dans les établissements exploitant une discothèque et qu'il a ainsi délibérément exposé la société aux risques, qui se sont réalisés, de mise en oeuvre des pratiques irrégulières à l'origine du redressement fiscal invoqué au titre de la garantie de passif", Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-14.768, M. Gérard Fromont, dit Gérard Louvin, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A2234DXZ, P. Stoffel-Munck, Créancier déloyal dans l'exécution n'est pas moins créancier, D., 2007, p. 2839. Les parties évoquent ouvertement l'existence d'irrégularités comptables et non d'erreurs !
(7) "Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'en se fondant, pour juger que l'administration ne pouvait pas exercer, comme elle l'a fait, le droit de reprise prévu par l'article L. 170 du Livre des procédures fiscales sur ce qu'à la date de la réclamation du contribuable, l'année 1981 était couverte par la prescription édictée par l'article L. 169 du Livre des procédures fiscales, la cour a commis une erreur de droit".
(8) A noter que la jurisprudence du juge de l'impôt considère que la saisine d'un juge d'instruction équivaut à l'introduction d'une instance pénale, au sens de l'article L. 170 du LPF, sans devoir attendre le prononcé d'un jugement : TA Lille, 16 décembre 2004, n° 02-1445, 02-1449, 02-1446 et 02-1450, 4ème ch., SA Import Rebergue, RJF, avril 2005, n° 357 ; TA Dijon 19 septembre 2002 n° 01-2786 et 01-2787, 2ème ch., Dogliani, RJF, mars 2003, n° 340.
(9) 87 811 euros.
(10) CGI, art. 810 (N° Lexbase : L8335HLB).
(11) Le délai de conservation des titres est de trois ans depuis le 1er janvier 2002. Auparavant, il était de cinq ans.
(12) 1 679 289 euros.
(13) 3 532 279 euros.
(14) 2 206 620 euros.
(15) 1 480 457 euros.
(16) 15 euros.
(17) 76 euros.
(18) Extrait de l'article 809 du CGI modifié par la loi de finances pour 1992 n° 91-1322 du 30 décembre 1991 (art 12 I, art 13, art 43) JORF 31 décembre 1991 applicable aux faits de l'espèce (N° Lexbase : L8315HLK) : "3° Les apports faits à une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés par une personne non soumise à cet impôt sont assimilés à des mutations à titre onéreux dans la mesure où ils ont pour objet un immeuble ou des droits immobiliers, un fonds de commerce, une clientèle, un droit à un bail ou à une promesse de bail. I bis En cas d'apport réalisé à compter du 1er avril 1981, dans les conditions fixées au II de l'article 151 octies, par une personne physique à une société de l'ensemble des éléments d'actif immobilisé affectés à l'exercice d'une activité professionnelle, la prise en charge du passif, dont sont grevés les biens de la nature de ceux énumérés au 3° du I qui sont compris dans l'apport, donne ouverture à un droit de mutation dont le taux est ramené à 8,60 % prévu par le III de l'article 810. Pour les apports réalisés à compter du 1er janvier 1992, le droit de mutation est remplacé par un droit fixe de 500 F si l'apporteur s'engage à conserver pendant cinq ans les titres remis en contrepartie de l'apport. En cas de non-respect de l'engagement de conservation des titres, les dispositions prévues au III de l'article 810 sont applicables. Si la société cesse de remplir les conditions qui lui ont permis de bénéficier de cet avantage, la différence entre, d'une part, le droit de mutation majoré des taxes additionnelles et, d'autre part, les droits et taxes initialement acquittés est exigible immédiatement".
(19) "L'article 151 octies du Code général des impôts prévoit un report d'imposition des plus-values réalisées à l'occasion de l'apport à une société soumise à un régime réel d'imposition de tous les éléments de l'actif immobilisé affectés à l'exercice de l'activité d'une entreprise individuelle ; pour l'application de ce texte, l'apport peut s'accompagner de la prise en charge des éléments de passif qui sont directement attachés à cette entreprise. Ce report d'imposition est justifié pour les seuls apports rémunérés par des actions ou parts sociales, qui ne dégagent pas de liquidités au profit de l'apporteur. Par suite, la rémunération de tout ou partie des actifs transférés par le versement de sommes d'argent ou par la prise en charge d'un passif personnel à l'apporteur ou encore par l'ouverture d'un compte courant au nom de l'apporteur dans les écritures de la société bénéficiaire exclut l'apport en cause du champ d'application de l'article 151 octies. Dans la situation évoquée par l'honorable parlementaire, l'apport à titre onéreux, qui s'analyse en une vente, fait donc obstacle au bénéfice du régime de faveur. Dès lors qu'une partie de l'entreprise est vendue, et non apportée, le régime de faveur prévu à l'article 809 I bis qui prévoit l'application d'un taux réduit de droit de mutation ou d'un droit fixe de 500 francs à hauteur du passif incombant à l'exploitant, n'est également pas applicable".
(20) "Les régimes prévus aux articles 151 octies et 809-1 bis du Code général des impôts ont pour objet de favoriser la transformation d'une entreprise individuelle en société. Ils visent également l'apport à une société d'une entreprise individuelle avec prise en charge du passif si les éléments de ce passif sont directement attachés à l'entreprise apportée et sous réserve que l'ensemble des conditions requises pour l'application de ces régimes soient remplies. En revanche, ces dispositions ne s'appliquent pas lorsqu'une partie des éléments d'actif est vendue. Or, un apport rémunéré pour partie par des droits sociaux, pour l'autre partie par l'ouverture d'un compte courant s'analyse en une vente à hauteur du montant du compte courant. Dès lors, l'opération d'apport évoquée par l'honorable parlementaire ne portant pas sur l'intégralité des éléments d'actif, les dispositions relevant des articles précités ne peuvent s'appliquer".
(21) En ce sens : EFL, ENR, VI, 7362.
(22) 34 185 640 francs (actif brut) - 14 474 476 francs (passif pris en charge).
(23) Cet aspect a été critiqué par le demandeur au pourvoi : "que l'obligation de conserver les actions pendant cinq ans ne peut concerner que l'apport pur et simple ; que dès lors, en reprochant au compte courant repris de ne pas avoir été bloqué pendant cinq ans, alors que la reprise de ce compte courant constitue un apport à titre onéreux non concerné par l'obligation de conservation des titres durant cinq ans, l'arrêt attaqué a violé par fausse interprétation l'article 809 I bis du Code général des impôts". La Cour de cassation y répond ainsi : "qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel en a déduit à bon droit, abstraction faite des motifs critiqués par la troisième branche, qui, fussent-ils erronés, sont surabondants, que le régime de faveur prévu par les dispositions de l'article 809 I bis du Code général des impôts n'était pas applicable".

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Procédure prud'homale

[Jurisprudence] La prohibition des stratagèmes et la loyauté de la preuve dans l'instance prud'homale

Réf. : Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-45.093, M. Gérard Bonnici, FS-P+B (N° Lexbase : A4784D7C) ; Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-40.852, Société Colom, FS-P+B (N° Lexbase : A4765D7M)

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N6280BEC

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010



Une chose est d'avoir raison, une autre est de pouvoir le prouver ! C'est cette amère leçon que doivent méditer, aujourd'hui, les employeurs qui tentent de se constituer des preuves contre certains salariés indélicats et qui perdent, pourtant, leurs procès lorsque les conditions dans lesquelles ces preuves ont été récoltées ne sont pas conformes à l'exigence de loyauté. C'est ce que rappelle, avec force, la Chambre sociale de la Cour de cassation dans deux arrêts rendus le 18 mars 2008 et qui rejettent les preuves obtenues grâce à des "stratagèmes" imaginés avec la complicité de salariés de l'entreprise (I), voire d'huissiers de justice (II).
Résumés

Pourvoi n° 06 45.093 : si l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de surveillance clandestin et, à ce titre, déloyal.

Constitue un stratagème des vérifications effectuées par des agents EDF mandatés par le chef de centre, qui s'étaient rendus dans l'établissement tenu par l'épouse de l'intéressé en se présentant comme de simples clients, sans révéler leurs qualités et le but de leur visite.

Pourvoi n° 06 40.852 : si un constat d'huissier ne constitue pas un procédé clandestin de surveillance nécessitant l'information préalable du salarié, il est, en revanche, interdit à cet officier ministériel d'avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve.

Commentaire

I - L'interdiction des stratagèmes mis en oeuvre par l'employeur

  • Principe de loyauté de la preuve

Le principe de la loyauté de la preuve constitue incontestablement un principe fondamental du droit de la preuve. Depuis l'arrêt "Néocel", rendu en 1991, cette exigence se fonde sur l'article 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3201ADW) (1). On se rappellera que, dans cet arrêt fondateur, un employeur avait dissimulé une caméra dans une caisse de manière à surveiller le comportement des salariés sans qu'ils s'en doutent, ce qui avait justifié la cassation de l'arrêt, qui avait admis la recevabilité des preuves ainsi récoltées : "si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps du travail, tout enregistrement, quels qu'en soient les motifs, d'images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite".

Depuis, la loi du 31 décembre 1992 (loi n° 92-1446, relative à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et à l'assurance-chômage N° Lexbase : L0944AIS) est venue préciser l'obligation d'informer préalablement à leur mise en oeuvre le candidat à l'emploi "des méthodes et techniques d'aide au recrutement utilisées à son égard" (C. trav., art. L. 121-7 N° Lexbase : L5449ACS), ainsi que des dispositifs de collecte d'information, cette obligation concernant, d'ailleurs, également, tous les salariés (C. trav., art. L. 121-8 N° Lexbase : L5450ACT).

L'article 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3201ADW) reçoit, parfois, le secours des articles 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR) et 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY), pour assurer le respect de la vie privée des salariés (2), mais pas nécessairement. Dans de nombreuses hypothèses, en effet, c'est le seul caractère clandestin de la méthode qui suffit à écarter les preuves du débat. C'est la raison pour laquelle il a été jugé que, "si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut [...] mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas été porté à la connaissance des salariés" (3). En revanche, la production en justice d'un SMS adressé par un employeur à un salarié est licite, dans la mesure où ce dernier n'est pas sans savoir que le contenu du message s'affichera sur le téléphone du salarié et pourra être lu par toute personne (4).

  • Confirmation en l'espèce

C'est cette jurisprudence qui se trouve, ici, confirmée (pourvoi n° 06 45.093).

Dans cette affaire, un agent EDF avait été licencié pour avoir participé, sur son temps de travail, à l'activité professionnelle de son épouse, qui tenait un restaurant. Pour parvenir à l'établir, l'employeur avait demandé à des cadres de l'entreprise d'aller prendre leur repas dans cet établissement, en leur fournissant des photographies de l'intéressé, et ce, afin d'établir le rapport servant de base aux poursuites disciplinaires.

La cour d'appel avait admis la recevabilité de cette preuve, après avoir relevé que l'établissement était ouvert au public, que les agents mandatés ne s'étaient pas cachés pour procéder aux constatations, qu'ils n'étaient pas tenus de révéler leurs fonctions, ni le but de leur visite, agissant en simples clients, comme aurait pu l'être tout agent EDF venu inopinément dans l'établissement, et que les contrôles ponctuels ne se sont pas réalisés à l'insu du salarié, les agents s'étant présentés au restaurant sans se dissimuler, alors que l'agent mis en cause faisait le service au vu et au su de l'ensemble des clients quels qu'ils puissent être.

Cet arrêt est cassé, la Haute juridiction considérant, après avoir visé l'article 9 du Code de procédure civile, que "si l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de surveillance clandestin et à ce titre déloyal", que ces "agents EDF, mandatés par le chef de centre, s'étaient rendus dans l'établissement tenu par l'épouse de l'intéressé en se présentant comme de simples clients, sans révéler leurs qualités et le but de leur visite, ce dont il résultait que leurs vérifications avaient été effectuées de manière clandestine et déloyale, en ayant recours à un stratagème".

La solution n'est guère surprenante au regard de la jurisprudence dégagée classiquement par la Cour de cassation, qui reprend, ici, les termes de la solution dégagée dans l'arrêt "Néocel", la Cour faisant, toutefois, référence, de manière quasi-inédite (5), à la prohibition de tous "stratagèmes" et en affirmant que la mise en oeuvre d'un dispositif de surveillance clandestin est "à ce titre déloyal".

  • Une solution sévère mais nécessaire

Cette jurisprudence pourrait sembler sévère dans la mesure où elle conduit à donner raison à un salarié dont les fautes sont patentes. Elle semble, toutefois, nécessaire pour assurer le respect du principe de loyauté dans les relations professionnelles. Lorsqu'il se trouve dans l'entreprise, le salarié sait pertinemment que tous ses faits et gestes peuvent valablement être observés et consignés par son encadrement. Mais, en dehors de l'entreprise, le salarié n'a pas à redouter la présence de tiers, ni celle de ses collègues. Certes, il faut un certain humour pour suggérer, comme le fait la Cour de cassation dans cet arrêt, que les salariés venus pour "espionner" leur collègue aurait dû l'informer de l'objet de leur visite...

L'employeur n'aura donc d'autre choix que d'avoir recours à un huissier de justice pour garantir la recevabilité de ce genre de preuve et, encore, à condition de respecter un certain nombre de principes rappelés dans un autre arrêt rendu le même jour.

II - L'interdiction des stratagèmes mis en oeuvre par les huissiers de justice

  • Règles professionnelles des huissiers de justice

L'article 1er de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945, relative au statut des huissiers (N° Lexbase : L8061AIE), dispose que les huissiers "peuvent être commis par justice pour effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter ; ils peuvent également procéder à des constatations de même nature à la requête de particuliers ; dans l'un et l'autre cas, ces constatations n'ont que la valeur de simples renseignements".

La situation des huissiers de justice, au regard du droit de la preuve, est, toutefois, assez difficile à cerner.

Il est, en effet, admis que, "un constat d'huissier ne constitue pas un procédé clandestin de surveillance nécessitant l'information préalable du salarié" (6). La Cour de cassation a, même, récemment admis qu'un huissier de justice n'a pas à s'identifier, dès lors qu'il se trouve dans un lieu public (7). Les huissiers peuvent, également, "si ce n'est à seule fin d'éclairer leurs constatations" (8), interroger les personnes présentes. Mais, ils ne sauraient se montrer plus actifs en interrogeant des salariés, en dehors de l'hypothèse exceptionnelle où ils cherchent à expliciter leurs propres constatations (9), ni mener d'enquête (10), ni procéder à un contrôle d'identité (11), ni procéder à une filature (12).

  • Précisions restrictives sur le rôle de l'huissier

Renouant avec une expression qui n'avait, jusque-là, que très rarement été utilisée par la Cour de cassation (13), la Chambre sociale précise, dans son arrêt en date du 18 mars 2008 (pourvoi n° 06 40.852), qu'"il est, en revanche, interdit à cet officier ministériel d'avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve". Constitue pareil stratagème toute provocation à la preuve (14), le fait d'écouter une conversation téléphonique sans que le correspondant ne sache que celle-ci était écoutée par un tiers (15), ou le fait de prendre "une fausse qualité pour obtenir des renseignements d'un interlocuteur" (16).

C'est dans ce courant extrêmement strict que se situe ce nouvel arrêt.

Dans cette affaire, une caissière avait été licenciée pour faute grave après que son employeur eut fait constaté, par un huissier, l'absence en caisse, à deux dates déterminées, du montant d'achats effectués en espèces auprès d'elle aux mêmes dates. Ces constats avaient été écartés des débats par la cour d'appel, et le licenciement considéré comme dénué de cause réelle et sérieuse, ce que contestait, bien entendu, l'employeur dans son pourvoi. Ce dernier faisait valoir que l'huissier s'était "borné à effectuer des constatations purement matérielles dans un lieu ouvert au public" (17). L'argument n'a pas convaincu la Haute juridiction, qui relève, à la suite de la cour d'appel, que "l'employeur s'était assuré le concours d'un huissier qui avait organisé un montage en faisant effectuer, dans les différentes boutiques et par des tiers qu'il y avait dépêchés, des achats en espèces puis en procédant, après la fermeture du magasin et hors la présence de la salariée, à un contrôle des caisses et du registre des ventes", ce qui caractérisait "un stratagème pour confondre la salariée".

Cette solution est parfaitement conforme aux solutions admises et qui dénient toute valeur aux constats opérés dans le cadre d'une provocation à la preuve (18). Ni l'employeur, ni un huissier de justice ne peuvent donc piéger un salarié en provoquant la situation illicite justifiant des sanctions disciplinaires, ce qui est bien conforme au principe de loyauté qui gouverne le droit de la preuve et aux règles du procès équitable, au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) (19). L'huissier doit donc se contenter d'observer passivement les faits, sans que par son intervention il puisse, à un titre quelconque, influer sur le cours des événements.


(1) Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-43.120, Mme Neocel c/ M. Spaeter, publié (N° Lexbase : A9301AAQ).
(2) Ainsi, s'agissant de la protection du courrier électronique, voir, Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, Société Nikon France c/ M. Frédéric Onof, publié (N° Lexbase : A1200AWD) : "le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur". Lire Questions à... Jean-Emmanuel Ray, à propos de l'arrêt Nikon (N° Lexbase : N1201AAQ).
(3) Cass. soc., 15 mai 2001, n° 99-42.937, Mme Claude Aymard c/ Cabinet Regimbeau (N° Lexbase : A4308ATQ) et n° 99-42.219, Société Transports frigorifiques européens (TFE) c/ M. Mourad Smari (N° Lexbase : A5741AGQ), D., 2002, jurispr. p. 2292, note J.-C. Planque.
(4) Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-43.209, Société civile professionnelle (SCP) Laville-Aragon, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3964DWQ) et nos obs., La recherche de la vérité plus forte que le respect de la vie privée, Lexbase Hebdo n° 262 du 31 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1969BBK) : "si l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n'en est pas de même de l'utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits SMS, dont l'auteur ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur".
(5) Cass. soc., 16 janvier 1991, n° 89-41.052, M. Benamou c/ Société Pullflex (N° Lexbase : A9408AAP), Bull. civ. V, n° 15 ; Cass. crim., 4 décembre 2002, n° 02-86.353, Simon Marie-Hélène, F-D (N° Lexbase : A7360D7Q).
(6) CE 8° et 3° s-s-r., 7 juin 2000, n° 191828, SA Roulle (N° Lexbase : A9325AGH), concernant un huissier de justice constatant des faits sans avoir informé le salarié de sa qualité ; Cass. soc., 5 juillet 1995, n° 92-40.050, M. Boissière c/ Société Support Systems International (N° Lexbase : A3900AAP) : "l'huissier de justice ne s'était pas borné à taire son identité".
(7) Cass. soc., 6 décembre 2007, n° 06-43.392, M. Didier Patyn, F-D (N° Lexbase : A0451D34) : "Mais attendu que la cour d'appel a pu retenir comme mode de preuve licite un constat dressé par un huissier qui s'est borné à effectuer dans des conditions régulières à la demande de l'employeur des constatations purement matérielles dans un lieu ouvert au public et à procéder à une audition à seule fin d'éclairer ses constatations matérielles".
(8) Cass. soc., 6 décembre 2007, n° 06-43.392, préc. : "Mais attendu que la cour d'appel a pu retenir comme mode de preuve licite un constat dressé par un huissier qui s'est borné à effectuer dans des conditions régulières à la demande de l'employeur des constatations purement matérielles dans un lieu ouvert au public et à procéder à une audition à seule fin d'éclairer ses constatations matérielles".
(9) Cass. soc., 29 octobre 2002, n° 00-42.918, Société Eda holding c/ M. Max Blanc, FS-P+B (N° Lexbase : A4153A39), Bull. civ. V, n° 326 : "l'huissier de justice avait été commis pour interroger des salariés d'une entreprise concurrente" ; Cass. soc., 28 avril 2006, n° 04-13.932, M. Jean-Marie Vernel c/ Société La Fonte ardennaise, FS-P (N° Lexbase : A2066DP9) : "l'huissier avait procédé à des auditions de grévistes qui n'avaient pas pour seule fin d'éclairer ses constatations".
(10) Cass. soc., 22 mars 2006, n° 03-43.602, Société Erlène c/ M. Bernard Verdot-Bourdon, F-D (N° Lexbase : A7886DNE) : "l'huissier de justice commis par l'employeur avait outrepassé les pouvoirs qu'il tient de l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945, en procédant à une enquête, notamment, auprès des autres salariés pour tenter d'établir les dates de péremption des produits, y compris en procédant par déduction, ce dont il s'évinçait que le constat litigieux ne pouvait valablement constituer une preuve".
(11) Cass. soc., 2 mars 2004, n° 01-44.644, Société Agam Branson c/ M. José Teixeira, FS-P (N° Lexbase : A3999DBQ), voir nos obs., Quels pouvoirs pour l'huissier dans les conflits collectifs ? Motus et bouche cousue ?, Lexbase Hebdo n° 111 du 11 mars 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N0836ABL) : "la cour d'appel [...] a exactement décidé que l"huissier commis par l'employeur avait excédé ses pouvoirs en demandant aux salariés de décliner leur identité et d'enlever des véhicules".
(12) Cass. soc., 24 janvier 2002, n° 00-18.215, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Grenoble c/ M. Michel Bonnet, FS-P (N° Lexbase : A8366AX7), Bull. civ. V, n° 35.
(13) Cass. soc., 16 janvier 1991, n° 89-41.052, préc. ; Cass. crim., 4 décembre 2002, n° 02-86.353, préc..
(14) Cass. soc., 16 janvier 1991, n° 89-41.052, préc. : "la réception de ces pièces, reprochée au salarié, résultait d'une provocation de l'employeur".
(15) Cass. soc., 29 janvier 2008, n° 06-45.814, Mme Stéphanie, Marie-Claude Prieto, F-D (N° Lexbase : A6088D4A) : "Mais attendu qu'ayant retenu qu'il n'est pas contesté que l'enregistrement d'une conversation téléphonique a été effectué par Mme X... à l'insu de son correspondant, la cour d'appel, abstraction faite d'un motif surabondant tiré de l'exécution de bonne foi du contrat de travail, en a déduit à bon droit que ce procédé était déloyal et qu'il rendait la preuve ainsi obtenue irrecevable en justice".
(16) Cass. soc., 5 juillet 1995, n° 92-40.050, M. Boissière c/ Société Support Systems International (N° Lexbase : A3900AAP) : "l'huissier de justice ne s'était pas borné à taire son identité, mais qu'il avait téléphoné à la société Comptoir médical caladois en prétendant, pour obtenir des renseignements, qu'il avait l'intention d'ouvrir un magasin de matériel agricole".
(17) Circonstance relevée dernièrement par la Cour de cassation pour valider des constats : Cass. soc., 6 décembre 2007, n° 06-43.392, préc..
(18) Cass. soc., 16 janvier 1991, n° 89-41.052, préc..
(19) En matière policière, Cass. crim., 11 mai 2006, n° 05-84.837, Chauveau Antoine, FS-P+F (N° Lexbase : A7700DPU), Bull. crim. n° 132 ; Cass. crim., 7 février 2007, n° 06-87.753, C. C., FS-P+F (N° Lexbase : A4239DUK).


Décisions

1° Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-45.093, M. Gérard Bonnici, FS-P+B (N° Lexbase : A4784D7C)

Cassation (CA Nîmes, ch. soc., 27 juillet 2006)

Texte visé : C. proc. civ., art. 9 (N° Lexbase : L3201ADW)

Mots clef : preuve ; loyauté ; prohibitions des stratagèmes.

Lien base :

2° Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-40.852, Société Colom, FS-P+B (N° Lexbase : A4765D7M)

Rejet (CA Limoges, ch. soc., 13 décembre 2005)

Texte visé : C. proc. civ., art. 9 (N° Lexbase : L3201ADW)

Mots clef : preuve ; loyauté ; huissier de justice ; prohibition des stratagèmes.

Lien base :

newsid:316280

Contrats et obligations

[Jurisprudence] Devoir d'objectivité de l'auteur d'un catalogue raisonné d'oeuvres d'art et responsabilité civile

Réf. : Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 07-13.024, Mme Camille Atlan, FS-P+B (N° Lexbase : A4064D7N)

Lecture: 5 min

N6206BEL

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

Il est devenu habituel de considérer que la faute des articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) du Code civil, autrement dit la faute intentionnelle ou de négligence ou d'imprudence, peut être soit une faute de commission soit une faute d'abstention, qu'il s'agisse d'ailleurs d'une abstention pure et simple ou d'une abstention dans l'action (1). La mise en oeuvre de la règle a, notamment, permis de reconnaître aux tribunaux un rôle important dans la définition des "obligations d'agir" et, tout particulièrement, des devoirs qu'impose l'exercice d'une activité professionnelle (2). Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 13 mars dernier, à paraître au Bulletin, justifie d'y revenir à nouveau. En l'espèce, l'acquéreur d'un tableau, désigné comme étant de Jean-Michel Atlan, souhaitant le revendre, a sollicité de la veuve et de la soeur de l'artiste, titulaires du droit moral, la délivrance d'un certificat d'authenticité qui lui a été refusé. Dans le même temps, l'auteur d'un catalogue raisonné et complet des oeuvres du peintre lui a fait savoir qu'il n'envisageait pas d'inscrire l'oeuvre dans les futures éditions de son ouvrage, ayant la conviction qu'il s'agissait d'un faux. Persistant dans leurs refus, et ce en dépit d'un rapport d'expertise judiciaire concluant à l'authenticité du tableau, l'acquéreur les a assignés pour les voir condamnés à lui délivrer un certificat d'authenticité, à insérer l'oeuvre litigieuse dans les futures éditions du catalogue, et à lui payer des dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de leur refus. La cour d'appel de Versailles, statuant sur renvoi après cassation (3), a dit que l'oeuvre litigieuse était une oeuvre authentique, que le refus des titulaires du droit moral de délivrer un certificat d'authenticité n'était pas constitutif d'un abus de droit, mais que, en revanche, le seul refus de l'auteur du catalogue d'envisager d'inclure le tableau en question, judiciairement authentifié, dans son prochain catalogue répertoriant l'oeuvre complète de l'artiste disparu était fautif et l'a, en conséquence, condamné à payer à l'acquéreur des dommages et intérêts et à procéder à l'insertion du tableau litigieux dans la nouvelle édition du catalogue raisonné, son supplément ou correctif en cours de préparation. C'est sur ces deux points que s'articule le pourvoi en cassation.

Le premier moyen, qui reprochait en effet, au nom de la liberté d'expression, aux juges du fond d'avoir enjoint à l'auteur du catalogue d'insérer l'oeuvre litigieuse dans toute nouvelle publication de son ouvrage, est écarté par la Cour de cassation qui relève "que c'est sans méconnaître les dispositions de l'article 10 § 2 de la Convention des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4743AQQ) ni porter atteinte au droit moral de l'auteur du catalogue dont l'originalité n'est pas contestée, que la cour d'appel a enjoint à [l'intéressé] d'insérer dans les prochaines éditions de son ouvrage ou de ses mises à jour le tableau litigieux en précisant que son authenticité avait été judiciairement reconnue sur la foi d'un rapport d'expertise judiciaire [...], une telle mesure, qui répond à l'impératif d'objectivité que requiert l'établissement d'un catalogue présenté comme répertoriant l'oeuvre complète d'un peintre, sans pour autant impliquer l'adhésion à cette mention de l'auteur de cet ouvrage, étant nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi".

Le second moyen reprochait à la cour d'appel d'avoir condamné l'auteur du catalogue à des dommages et intérêts, aux motifs que le "cataloguiste" doit répondre des fautes commises dans l'exercice de sa mission s'il peut être établi que son choix d'exclure l'oeuvre litigieuse résulte d'une omission volontaire, au mépris d'opinions émanant de personnes qualifiées et reconnues, au point de fournir dans son ouvrage une information non seulement partielle mais partiale. En somme, le refus de l'auteur du catalogue d'insérer dans une prochaine publication de son catalogue l'oeuvre litigieuse traduirait une légèreté blâmable et serait ainsi abusif.

Le raisonnement des juges du fond est condamné par la Haute juridiction qui, sous le visa de l'article 1382 du Code civil, décide "qu'en statuant ainsi quand la simple déclaration [de l'auteur du catalogue] selon laquelle il n'envisageait pas d'insérer, dans de futures publications de son ouvrage, le tableau dont il contestait l'authenticité, ne constituait qu'une simple velléité formulée en défense à l'action exercée à son encontre, soumise à l'appréciation des juges, mais ne permettait pas, à elle seule, de caractériser une abstention fautive, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

On pourrait peut-être s'étonner, dans une première approche, de la solution ou, plus exactement, des solutions apportées par la Cour de cassation aux deux questions qui lui étaient posées et, même, se demander si elle ne fait pas là en quelque sorte le "grand écart", obligeant, au nom du devoir d'objectivité auquel il serait tenu, l'auteur d'un catalogue raisonné des oeuvres d'un peintre à insérer un tableau effectivement peint par l'artiste, tout en refusant, dans le même temps, de voir dans le fait de ne pas faire mention dudit tableau dans le catalogue une faute au sens de l'article 1382 du Code civil justifiant une condamnation à des dommages et intérêts. L'étonnement pourrait d'ailleurs être d'autant plus grand que, on le sait bien, la jurisprudence décide, depuis longtemps déjà, que "la faute prévue dans les articles 1382 et 1383 [du Code civil] peut consister aussi bien dans une abstention que dans un acte positif ; que l'abstention, même non dictée par l'intention de nuire, engage la responsabilité de son auteur lorsque le fait omis devait être accompli soit en vertu d'une obligation légale, règlementaire ou conventionnelle, soit aussi, dans l'ordre professionnel, s'il s'agit notamment d'un historien, en vertu des exigences d'une information objective" (4). Ce qui vaut pour l'historien vaut bien pour l'auteur d'un catalogue raisonné qui se doit, pour être complet, de faire preuve d'objectivité et, donc, de présenter toutes les oeuvres de l'artiste et pas seulement celles qu'il aura bien voulu sélectionner. Et la jurisprudence se montre, dans l'ensemble, plutôt exigeante dans l'appréciation de ce devoir d'objectivité, encore qu'une décision assez récente de la cour d'appel de Paris ait paru quelque peu en retrait sur ce terrain, jugeant que la simple relation de thèses "révisionnistes" ne peut engager la responsabilité de celui qui, ne niant pas lui-même la réalité du génocide arménien, ne prend pas parti sur le bien-fondé des opinions visant à en contester la réalité, ne les reprend pas à son compte et n'entend ni légitimer la position turque sur la question arménienne, ni lui donner du crédit, alors même, il n'est pas inutile de le relever, qu'une loi du 29 janvier 2001 (loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001, relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 [LXB=PANIER]) avait affirmé que "la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915", loi dont il n'est curieusement pas fait mention dans l'arrêt (5).

Toujours est-il que, en dépit des apparences, la solution de la Cour de cassation parait assez cohérente. Il est, en effet, logique, au regard des obligations professionnelles qui s'imposent à lui, que l'auteur d'un catalogue raisonné et complet des oeuvres d'un peintre puisse être contraint d'insérer, dans les prochaines éditions de son ouvrage ou de ses mises à jour, un tableau qui, jusqu'ici, n'y figurait pas s'il est démontré que le tableau est bien une oeuvre authentique. L'affirmer ne suppose pas nécessairement, ce que révèle d'ailleurs bien l'arrêt, que l'auteur du catalogue puisse être condamné à des dommages et intérêts pour avoir commis une faute (d'abstention, en l'occurrence) en indiquant qu'il n'envisageait pas d'insérer le tableau dans de futures publications de son ouvrage, la faute n'étant pas, à ce stade pourrait-on dire, établie. Tel est ce qu'affirme du reste la Cour de cassation.

En réalité nous semble-t-il, c'est peut-être plus une absence de préjudice qu'une absence de faute qui justifie, à ce stade encore une fois, que la responsabilité de l'auteur du catalogue ne soit pas engagée, le préjudice invoqué étant un préjudice non pas seulement futur, ce qui, en tant que tel, n'exclurait pas nécessairement la responsabilité, mais bien un préjudice hypothétique, rien ne permettant de dire avec certitude que, en définitive, l'intéressé n'aurait pas fait figurer l'oeuvre litigieuse dans son catalogue.


(1) Sur la question, et parmi une littérature très abondante, voir not. G. Viney et P. Jourdain, Les conditions de la responsabilité, 3ème éd., LGDJ, n° 452 et s., et les références citées.
(2) Voir, not., H., L. Mazeaud et A. Tunc, Traité de la responsabilité civile, Tome I, Montchrestien, 6ème éd., n° 525 et s..
(3) Cass. civ. 2, 10 novembre 1995, n° 04-13.618, M. Jacques Polieri c/ M. Maurice Fuantes, FS-D (N° Lexbase : A5145DL7).
(4) Cass. civ., 27 février 1951, affaire "Branly", JCP, 1951, II, 6193, note J. Mihura ; adde J. Carbonnier, Le silence et la gloire, D., 1951, chr., p. 119.
(5) CA Paris, 11ème ch., 7 mars 2007, n° 05/15800, SA des éditions Robert Lafont et autres c/ Comité de défense de la cause arménienne (N° Lexbase : A1663DWI), D., 2007, p. 2513, note J.-B. Racine et E. Dreyer.

newsid:316206

Social général

[Panorama] Panorama des arrêts inédits rendus par la Cour de cassation - Semaine du 24 mars 2008 au 28 mars 2008

Lecture: 2 min

N6297BEX

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Le 07 Octobre 2010

Retrouvez, chaque semaine, une sélection des arrêts inédits de la Cour de cassation, les plus pertinents, classés par thème.
  • Repos hebdomadaire/Fermeture obligatoire des commerces

- Cass. soc., 26 mars 2008, n° 07-13.016, Société Conforama France, F-D (N° Lexbase : A6127D73) : La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit, par arrêt du 28 février 1991 (CJCE, 28 février 1991, aff. C-312/89, Union départementale des syndicats CGT de l'Aisne c/ SIDEF Conforama, Société Arts et Meubles et Société Jima N° Lexbase : A9259AUH), que le choix d'un jour de fermeture obligatoire des commerces relevait de la compétence de chaque Etat membre et que les effets restrictifs sur les échanges qui peuvent résulter des réglementations nationales qui restreignent l'ouverture des magasins le dimanche n'apparaissent pas excessifs au regard du but poursuivi. Ainsi, l'arrêt qui a décidé que, en l'absence d'une dérogation autorisée par l'inspecteur du travail, la méconnaissance de l'obligation de donner aux salariés le repos hebdomadaire le dimanche constituait un trouble manifestement illicite, en ce qu'elle rompait l'égalité au préjudice des commerçants qui, exerçant la même activité, respectaient la règle légale, et en ce qu'elle portait atteinte aux droits des salariés, n'encourt pas les griefs du moyen .

  • Appréciation de la qualité de co-employeurs

- Cass. soc., 27 mars 2008, n° 07-40.229, Société Sorlac, F-D (N° Lexbase : A6146D7R) : Ont la qualité de co-employeurs les sociétés formant un ensemble uni par la confusion de leurs intérêts, de leurs dirigeants, de leurs activités et de leurs moyens d'exploitation .

  • Usage/Dénonciation

- Cass. soc., 27 mars 2008, n° 07-40.437, Société la Montagne Centre France, F-D (N° Lexbase : A6151D7X) : La dénonciation par l'employeur d'un usage doit, pour être régulière, être précédée d'un préavis suffisant pour permettre les négociations et être notifiée aux représentants du personnel et à tous les salariés individuellement, s'il s'agit d'une disposition qui leur profite. Un usage non régulièrement dénoncé demeure en vigueur. Il en résulte que les salariés peuvent réclamer l'avantage résultant de cet usage jusqu'à la dénonciation régulière de celui-ci ou la conclusion d'un accord d'entreprise ayant le même objet que cet usage .

  • Démission/Prise d'acte de la rupture

- Cass. soc., 27 mars 2008, n° 06-46.516, M. Daniel Boulogne, F-D (N° Lexbase : A6064D7Q) : La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte des circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, ou, dans le cas contraire, d'une démission. Dès lors, ayant constaté, que la lettre de démission ne comportait aucune réserve et que le salarié, qui ne justifiait pas qu'un différend antérieur ou contemporain de celle-ci l'avait opposé à son employeur, n'avait contesté les conditions de la rupture de son contrat de travail que trois mois plus tard, l'arrêt a pu en déduire que la volonté de démissionner était claire et non équivoque .

newsid:316297

Droit des étrangers

[Jurisprudence] Quand le Conseil d'Etat se mêle de politique étrangère

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 13 février 2008, n° 295443, Association Forum des réfugiés (N° Lexbase : A9140D4B)

Lecture: 23 min

N6238BER

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par Frédéric Dieu, commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice

Le 07 Octobre 2010

Par une décision en date du 13 février 2008, le Conseil d'Etat a jugé que l'Albanie et le Niger n'étaient pas des "pays d'origine sûrs" au sens du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), en raison de l'instabilité de leur contexte politique et social. Dans cette affaire, l'association "Forum des réfugiés" demandait au Conseil d'Etat d'annuler une décision du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), considérant comme "pays sûrs" plusieurs Etats. La Haute juridiction a fait partiellement droit à la requête, en relevant que si le conseil d'administration de l'OFPRA n'avait pas "inexactement apprécié la situation de l'ancienne République yougoslave de Macédoine, de la République de Madagascar et de la République unie de Tanzanie au regard des critères posés par le 2° de l'article L. 741-4 [du CESEDA]", il avait cependant entaché sa décision d'illégalité en estimant que l'Albanie et le Niger satisfaisaient à ces critères. Le Conseil d'Etat a ainsi pris une position différente de celle qu'il avait adoptée le 7 août 2007 en tant que juge du référé-suspension (CE 6° s-s., 7 août 2007, n° 301540, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire c/ M. Peqini N° Lexbase : A8998DXK), puisqu'il avait alors considéré que le moyen tiré de ce que l'Albanie n'était pas un pays sûr au sens de l'article L. 741-4 du CESEDA (N° Lexbase : L5929G4D) n'était pas propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. La décision du 13 février 2008 marque ainsi la première intervention "positive" du Conseil d'Etat sur le terrain de l'appréciation de la situation des pays étrangers, au regard des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. En faisant pour la première fois application du contrôle normal qu'il exerce sur les décisions de l'OFPRA, en la matière, pour invalider partiellement la position retenue par cet établissement, le Conseil d'Etat fait irruption dans un domaine éminemment politique et même régalien, puisqu'il touche à la politique étrangère de la France.

I - Si la notion et la première liste des pays d'origine sûrs ont été validées par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat...

A. Origine et objet de la notion de "pays d'origine sûrs"

1) Une notion issue du droit communautaire mais dont la mise en oeuvre a été anticipée par le droit interne

Lors du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, un accord a été trouvé sur la nécessité de mettre en place un régime d'asile européen commun. Selon les conclusions de la présidence, ce régime devait être fondé sur l'application intégrale et globale de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, et maintenir le principe de non refoulement ; il devait déboucher sur une procédure d'asile commune et sur un statut uniforme, valable dans toute l'Union pour les personnes qui se voient accorder l'asile.

Dès l'année 2000, la Commission a présenté une proposition de Directive relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, mais il n'a pas été possible de trouver un accord sur ce texte qui a été suivi de plusieurs autres, toujours en négociation. La notion de "pays d'origine sûr" avait déjà été consacrée par le protocole annexé au Traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997, selon lequel les Etats membres de l'Union constituent les uns vis-à-vis des autres des "pays d'origine sûrs", avec cette conséquence qu'une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un Etat membre ne peut jamais être prise en considération.

Alors que l'élaboration de la norme européenne connaissait des difficultés, le législateur français a introduit dans notre droit la notion de "pays d'origine sûr". La loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 (N° Lexbase : L9630DLA), modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952, relative au droit d'asile (N° Lexbase : L0885BD7), a institué en droit français la notion de "pays d'origine sûr". Cette loi a, par son article 2, désormais codifié à l'article L. 722-1 du CESEDA (N° Lexbase : L1328HPU), confié au conseil d'administration de l'OFPRA le soin de fixer une liste des pays d'origine sûrs, dans l'attente de l'élaboration d'une liste européenne, et par son article 5, désormais codifié aux articles L. 723-1 (N° Lexbase : L5965G4P) et L. 741-4 précité du même code, elle a prévu que les ressortissants d'un "pays d'origine sûr" pourraient se voir refuser l'admission sur le territoire, que l'Office statuerait par priorité sur leur demande, et qu'ils bénéficieraient du droit de se maintenir en France jusqu'à la décision de l'OFPRA.

La loi a donné une définition du "pays d'origine sûr", en précisant à l'article L. 741-4-2° qu'un pays ne pouvait être considéré comme sûr que "s'il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que des droits de l'Homme et des libertés fondamentales". Enfin, et ce point est essentiel, elle a explicitement prévu que "la prise en compte du caractère sûr du pays d'origine ne peut faire obstacle à l'examen individuel de chaque demande". Toutefois, aux termes de la rédaction actuelle de l'article L. 722-1, le conseil d'administration de l'OFPRA n'a reçu compétence pour fixer la liste des pays d'origine sûrs que "pour la période comprise entre la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 et l'adoption de dispositions communautaires en cette matière".

Or, depuis, la Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres (N° Lexbase : L9965HDG), a été adoptée par les Etats membres. Cette Directive, postérieure à l'adoption de la loi du 10 décembre 2003, autorise cependant les Etats membres à "maintenir les dispositions législatives qui sont en vigueur le 1er décembre 2005, qui leur permettent de désigner comme pays d'origine sûrs, au niveau national, des pays tiers autres que ceux qui figurent sur la liste commune minimale à des fins d'examen de demandes d'asile, lorsqu'ils se sont assurés que les personnes dans les pays tiers concernés ne sont généralement pas soumises : a) à des persécutions au sens de l'article 9 de la Directive 2004/83/CE (N° Lexbase : L7972GTG), ni b) à la torture ou à des traitements ou des peines inhumains ou dégradants".

Les dispositions communautaires ayant été aujourd'hui définitivement adoptées, et étant par ailleurs entrées en vigueur, l'article L. 722-1 du CESEDA a pérennisé la compétence du conseil d'administration de l'OFPRA. Ce dernier est, désormais, sans aucune restriction temporelle, compétent "dans les conditions prévues par les dispositions communautaires en cette matière". Le 3 mai 2006, le conseil d'administration de l'OFPRA a, d'ailleurs, complété la liste des "pays d'origine sûrs" par l'adjonction de cinq nouveaux Etats : l'Albanie, la Macédoine, Madagascar, le Niger et la Tanzanie.

La liste des "pays d'origine sûrs" prise en application de l'article L. 722-1 coexistera donc avec celle qui devrait être fixée par les institutions communautaires, et qui s'appliquera à l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne, en vertu de l'article 29 de la Directive précitée du 1er décembre 2005. Soulignons, cependant, que la liste "communautaire" n'a toujours pas été adoptée à ce jour. Les dispositions de droit interne continueront donc à s'imposer en la matière.

2) Une procédure d'examen dérogatoire à la procédure habituelle dont la mise en oeuvre a fait chuter le nombre de demandes présentées par les ressortissants des "pays d'origine sûrs"

Une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un "pays d'origine sûr" est soumise à un régime dérogatoire. D'une part, à l'instar des nationaux des pays relevant de la clause de l'article 1er C 5 de la Convention de Genève, les demandeurs d'asile ressortissants de ces pays ne bénéficient pas de l'admission sur le territoire, et le recours qu'ils peuvent former en cas de rejet de leur demande n'est pas suspensif : le préfet n'est donc pas tenu d'attendre que la commission de recours des réfugiés (CRR) se prononce pour prendre une mesure d'éloignement à destination d'un "pays d'origine sûr" (CAA Bordeaux, 12 octobre 2006, n° 06BX01287, M. Jasmin Dedic N° Lexbase : A9918DS7). D'autre part, les demandes d'asile émanant des ressortissants de ces pays sont traitées selon une procédure prioritaire. L'OFPRA est alors tenu d'examiner ces demandes dans un délai de 15 jours, lorsque le demandeur est laissé en liberté, et de 96 heures, lorsqu'il est placé en rétention administrative. En tout état de cause, cet examen prioritaire impose un examen individuel de chaque demande par les services de l'OFPRA.

En application du deuxième alinéa de l'article L. 722-1 du CESEDA, la compétence pour définir la liste des pays d'origine considérés comme sûrs est confiée au conseil d'administration de l'OFPRA. Celui-ci a adopté, le 30 juin 2005, une liste de 12 "pays d'origine sûrs" comprenant : le Bénin, la Bosnie-Herzégovine, le Cap-Vert, la Croatie, la Géorgie, le Ghana, l'Inde, le Mali, Maurice, la Mongolie, le Sénégal et l'Ukraine.

Dans le cadre du dispositif créé par la loi du 10 décembre 2003, il faut souligner que le fonctionnaire de police ou des douanes va préjuger du caractère "manifestement infondé" de la demande d'asile de l'étranger, sous réserve de la décision de l'OFPRA. Dans ce cas, la France nie l'existence de persécutions prétendues et refuse sa protection à l'étranger. Un recours est ouvert aux "déboutés" devant la CRR. La conséquence est la fin de l'autorisation de séjour de l'étranger sur le territoire français, malgré la possibilité d'un recours devant le Conseil d'Etat. Ce refus fait peser une lourde responsabilité sur ceux qui en décident, sous le contrôle de la juridiction administrative. Pratiquement, les autorités administratives elles-mêmes estiment que les mesures d'éloignement des déboutés sont très peu mises en oeuvre, notamment pour des raisons financières, mais aussi d'organisation. Cette situation fait que les clandestins sont d'autant plus incités à entrer sur le territoire français, quel que soit le moyen employé, qu'il y a peu de risque d'être éloigné. Entrer en France assure pratiquement de pouvoir s'y maintenir.

En revanche, si la demande paraît fondée, le demandeur d'asile pourra pénétrer sur le territoire et bénéficier d'une autorisation de séjour temporaire, puis d'un récépissé de trois mois renouvelable jusqu'à la décision finale. En revanche, il ne bénéficiera plus du droit au travail comme auparavant, ce qui le placera dans une situation de précarité certaine. Convoqué dans une préfecture, il pourra tenter de faire reconnaître sa qualité de réfugié politique. En cas de réponse positive, le réfugié se verra délivrer par l'OFPRA une carte de réfugié et une carte de séjour de dix ans par la préfecture.

Selon les données recueillies par la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine, la publication de la liste des pays d'origine sûrs a fait chuter de plus de 66 %, entre le 1er juillet et le 31 décembre 2005, le nombre des premières demandes d'asile émanant de leurs ressortissants. Du même coup, la demande d'asile originaire de ces pays, qui représentait 11,4 % de la demande d'asile totale au 30 juin 2005, n'en représentait plus que 3,9 % au 31 décembre 2005. Ces seules statistiques font apparaître la "réussite" de cette mesure, dont l'objet est de dissuader la présentation de demandes d'asile "opportunistes" qui n'émaneraient, en réalité, que de candidats à l'immigration pour des motifs ne rentrant pas dans le champ de la protection organisée par la Convention de Genève, ou par la protection subsidiaire visée par le chapitre II du titre premier du livre VII du CESEDA.

B. La notion de "pays d'origine sûrs" a été validée par le Conseil constitutionnel, tandis que la première liste des pays d'origine sûrs retenue par l'OFPRA a été validée par le Conseil d'Etat

1) Le Conseil constitutionnel a validé la notion de "pays d'origine sûrs"

Par sa décision du 4 décembre 2003 (Cons. const., décision n° 2003-485 DC, du 4 décembre 2003, Loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952, relative au droit d'asile N° Lexbase : A0372DIM, au Recueil p. 455, Petites Affiches du 20 janvier 2004, note Schoettl), le Conseil constitutionnel a admis la conformité des dispositions de la loi du 10 décembre 2003 à la Constitution, relevant, en particulier, l'existence d'une obligation d'examen individuel des demandes, et considérant qu'elles ne méconnaissaient pas le principe d'égalité.

A l'argument selon lequel en confiant l'établissement de la liste des pays sûrs à l'OFPRA, le législateur n'aurait pas respecté l'article 21 de la Constitution (N° Lexbase : L1280A9B), qui confère au Premier ministre l'exercice du pouvoir réglementaire, le juge constitutionnel a répondu que ces dispositions ne font "pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité de l'Etat autre que le Premier ministre, le soin de fixer des normes permettant de mettre en oeuvre une loi". Il a, cependant, assorti cette réponse d'une condition : il faut que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée, tant par leur champ d'application, que par leur contenu (mais tel était le cas, selon lui, en l'espèce).

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a relevé que la fixation de la liste des pays d'origine sûrs pouvait faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, ne liant donc pas l'appréciation de la situation de chaque demandeur d'asile par la CRR (devenue Cour nationale du droit d'asile), et que la loi du 10 décembre 2003 ne portait pas atteinte à l'indépendance de cette Commission vis-à-vis de l'OFPRA, et était donc sans incidence sur son impartialité.

2) Le Conseil d'Etat a validé la liste des "pays d'origines sûrs" fixée par l'OFPRA le 30 juin 2005

Nous l'avons vu, par une délibération en date du 30 juin 2005, le conseil d'administration de l'OFPRA a adopté une liste de 12 pays d'origine sûrs comprenant : le Bénin, la Bosnie-Herzégovine, le Cap-Vert, la Croatie, la Géorgie, le Ghana, l'Inde, le Mali, l'île Maurice, la Mongolie, le Sénégal et l'Ukraine. Le Conseil d'Etat, saisi d'un recours en annulation contre la décision de l'Office, a validé cette liste au regard des stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et de protection des libertés fondamentales (CESDH) (CE 2° et 7° s-s-r., 5 avril 2006, n° 284706, Gisti et autres N° Lexbase : A9551DN3, au Recueil p. 186).

Après avoir rappelé que les stipulations du cinquième alinéa du préambule de la Convention de Genève sont dépourvues d'effet direct, le Conseil d'Etat a indiqué que l'établissement d'une liste de "pays d'origine sûrs" avait pour effet de permettre l'application d'une procédure prioritaire pour l'examen par l'OFPRA des demandes d'asile émanant des ressortissants desdits pays, et que cette disposition ne pouvait exempter l'administration de procéder à l'examen individuel de chaque dossier. Selon le Conseil, en outre, la circonstance que les règles de procédure applicables sont différentes selon que le demandeur est originaire ou non d'un pays "considéré comme sûr", n'est pas contraire aux stipulations de l'article 3 de la Convention de Genève, dès lors que l'examen individuel effectué par l'OFPRA et, le cas échéant, par la CRR, assure le respect des garanties qui s'attachent à la mise en oeuvre du droit d'asile.

Le Conseil d'Etat s'est également prononcé sur la conformité de la décision de l'OFPRA aux articles 3 (N° Lexbase : L4764AQI) et 14 (N° Lexbase : L4747AQU) de la CESDH. Il a considéré, sur ce point, que ces articles n'avaient pas été méconnus, dès lors que les demandeurs d'asile provenant de "pays réputés sûrs" bénéficiaient dans tous les cas du droit de se maintenir en France jusqu'à la notification de la décision de l'OFPRA, et ne pouvaient faire l'objet d'aucune mesure d'éloignement avant l'intervention de cette décision, la décision fixant le pays de destination accompagnant, le cas échéant, la mesure d'éloignement prise à leur encontre ultérieurement devant être conforme aux stipulations de l'article 3 de la Convention.

Enfin, et au fond, le Conseil d'Etat a considéré que le conseil d'administration de l'OFPRA avait pu retenir sur la liste des pays d'origine "considérés comme sûrs" des Etats autres que ceux de l'OCDE, et qu'il avait exactement apprécié la situation des pays retenus au regard de ces critères, cette liste ayant été élaborée en tenant compte de l'ensemble des informations dont il avait disposé, en particulier des rapports établis sur ces pays par le Haut commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés.

II - ... ce dernier n'en exerce pas moins un strict contrôle sur les compétences qu'exerce l'OFPRA en la matière, en se prononçant en particulier sur la situation des pays en cause au regard des droits de l'Homme et des libertés fondamentales

A. Le Conseil d'Etat s'est d'abord prononcé sur les principes présidant à la fixation de la liste des "pays d'origine sûrs", et à la procédure applicable aux ressortissants de ces pays

1) Les principes présidant à la fixation de la liste des "pays d'origine sûrs"

Dans la décision du 13 février 2008, le Conseil d'Etat s'est d'abord prononcé sur les modalités de fixation par l'OFPRA de la liste des "pays d'origine sûrs". L'association requérante soutenait, en effet, que la décision en cause avait été adoptée selon une procédure irrégulière, dans la mesure où le conseil d'administration de l'Office avait procédé à un vote global en ce qui concernait les pays nouvellement admis (Albanie, Macédoine, Madagascar, Niger et Tanzanie), et non à un vote séparé, pays par pays.

A cet égard, le Conseil d'Etat a noté que le conseil d'administration de l'OFPRA avait procédé, avant d'adopter par un vote global l'extension de la liste des "pays d'origine sûrs", à un examen détaillé de la situation particulière de chaque pays, au regard des critères posés par l'article L. 741-4 du CESEDA. Par ailleurs, le Conseil a relevé que ni les dispositions de la Directive 2005/85/CE du Conseil précitée, ni les dispositions du décret n° 2004-814 du 14 août 2004, relatif à l'OFPRA et à la CRR (N° Lexbase : L0842GTD), n'imposaient qu'un vote séparé eût lieu pour chacun des pays, vote séparé que la teneur des débats auxquels avait donné lieu l'examen pays par pays ne rendait pas nécessaire en l'espèce. La décision a donc été adoptée selon une procédure régulière.

Il n'en demeure pas moins que le vote séparé pour chacun des pays n'était pas nécessaire, ce qui signifie que le principe du vote global n'a pas été validé en tant que tel par le Conseil d'Etat. Dans ses conclusions sous la décision du 13 février 2008, Emmanuelle Prada-Bordenave relève, d'ailleurs, que si aucun texte n'impose un vote pays par pays, "il ne ressort d'aucune des mentions du procès-verbal que le vote qui a eu lieu aurait eu la nature d'un vote bloqué" et "qu'il eût été concevable de disjoindre au moment du vote le cas d'un pays". Cette analyse confirme donc le refus d'accorder au vote global une valeur de principe, et cela vaut tant au stade de la décision de l'OFPRA (qui peut décider au moment du vote de ne pas inclure un pays dont la situation a pourtant et préalablement fait l'objet de discussions), qu'au stade de la décision du Conseil d'Etat (qui peut décider, comme il l'a fait dans la décision en cause, d'exclure un ou plusieurs pays de liste des "pays d'origine sûrs", sans remettre en cause la légalité de l'inscription des autres pays).

Il nous semble, donc, que la nécessité ou non d'un vote séparé dépendra des discussions et débats qui auront précédé ce vote, et en particulier de l'existence ou non d'une discussion argumentée sur chacun des pays en cause. Il faut, en effet, que la situation de chaque pays au regard des critères fixés à l'article L. 741-4-2° précité soit examinée, si ce n'est au moment du vote, du moins au moment des débats qui le précèdent, afin que les membres du conseil d'administration puissent se prononcer en connaissance de cause sur le caractère sûr des pays. Donc, si un pays a été reconnu par l'OFPRA comme un "pays d'origine sûr", sans qu'aucun débat ni discussion n'aient eu lieu préalablement au vote global sur la situation de ce pays, il est vraisemblable que le Conseil estimera que la décision a été adoptée selon une procédure irrégulière, et qu'il sera donc contraint de l'annuler, du moins partiellement, c'est-à-dire en tant qu'elle a retenu ce pays sur la liste des "pays d'origine sûrs".

2) Une procédure dont la constitutionnalité et la légalité sont subordonnées à la mise en oeuvre d'un examen individuel de chaque demande, mais qui porte cependant atteinte aux droits des ressortissants des pays d'origine sûrs

Le Conseil constitutionnel l'avait déjà souligné dans la décision du 4 décembre 2003 précitée : le fait d'avoir la nationalité d'un pays sûr a pour seul effet de mettre en oeuvre une procédure prioritaire, comme c'était déjà le cas pour certains demandeurs d'asile. Or, a souligné le Conseil, la prise en compte du caractère sûr du pays d'origine ne peut faire obstacle à l'examen individuel de chaque demande. En outre, l'intéressé dispose du droit de rester en France pendant cet examen et l'Office n'est pas dispensé de l'obligation de procéder à l'audition de l'intéressé. Dans la décision du 13 février 2008, le Conseil d'Etat, dans le cadre de son contrôle de conventionalité, a également considéré que la mise en oeuvre d'une procédure spécifique pour les ressortissants des "pays d'origine sûrs" ne pouvait être contraire aux stipulations de l'article 3 de la Convention de Genève, qui prévoient que "les Etats contractants appliqueront les dispositions de cette Convention aux réfugiés, sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d'origine", en adoptant le même raisonnement que le Conseil constitutionnel.

En effet, au moyen tiré de la rupture de l'égalité, le Conseil constitutionnel avait opposé l'absence d'égalité entre les demandeurs d'asile selon qu'ils proviennent ou non d'un pays sûr, ce qui justifiait que des règles de procédure différentes puissent leur être appliquées sans que fût méconnu le principe d'égalité. Le Conseil d'Etat, dans la décision du 13 février 2008, indique, également, que les demandeurs d'asile provenant de pays "considérés comme sûrs" se trouvent placés "dans une situation différente de celle des demandeurs d'asile venant d'autres pays". Or, le principe d'égalité ne peut trouver à s'appliquer que lorsque les demandeurs sont placés dans une situation identique (CE 1° et 6° s-s-r., 21 mars 2007, n° 284951, 285025 et 285033, Association française des médecins esthéticiens - Syndicat national des médecins esthétiques et M. Bzowski et autres N° Lexbase : A7309DUA, Mentionné aux Tables). Dès lors que des personnes sont placées dans une situation de droit différente, le principe d'égalité ne peut être utilement invoqué (CE 9° et 10° s-s-r., 30 mars 2007, n° 280156 et 280498, Syndicat des enseignants CGT à Mayotte et Syndicat des instituteurs de Mayotte Force ouvrière N° Lexbase : A8129DUM).

La position du Conseil d'Etat, comme celle du Conseil constitutionnel, est cependant contestable. En effet, la différence de situation relevée par le Conseil nous paraît pour le moins artificielle, puisque résultant d'une appréciation subjective portée par l'OFPRA et le juge lui-même : la différence de situation n'est donc pas objective, mais construite par l'administration. Bien plus, alors même que le recours dont il est saisi l'oblige à examiner le caractère sûr ou non des pays en cause au regard des critères de l'article L. 741-4-2°, le Conseil d'Etat fait comme si cette qualification n'était pas contestée au moment où il examine le moyen tiré de la rupture du principe d'égalité. Ce qui est une question devient alors une réponse et un fait acquis : les pays en cause sont des "pays d'origine sûrs", et c'est pourquoi leurs ressortissants se trouvent dans une situation différente des ressortissants des autres pays. Toutefois, comment peut-on ainsi accréditer une appréciation de l'administration qui est elle-même en litige ? Surtout, comment peut-on, pour qualifier une différence de situation, se borner à tenir pour acquises les allégations de l'administration sur lesquelles il s'agit précisément de se prononcer ? Il nous semble donc que l'on ne peut en aucun cas considérer que les demandeurs d'asile provenant de pays "considérés comme sûrs" se trouvent placés "dans une situation différente de celle des demandeurs d'asile venant d'autres pays" : dire cela revient à considérer comme résolue une question qui n'a même pas été examinée, et à faire de la différence de situation une interprétation purement subjective. Sont alors différentes des situations que l'administration estime être différentes.

Peut-être conscient du caractère aporétique et quelque peu circulaire de ce raisonnement (puisque pour ne pas répondre à la question posée, l'on considère qu'elle est une réponse et non une question), le Conseil d'Etat a relevé que la différence de traitement des demandeurs d'asile, selon qu'ils sont ou non originaires d'un "pays d'origine sûr", était purement procédurale et aucunement fondamentale, puisque c'est seulement la procédure d'examen des demandes qui différait.

Ainsi, comme le Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat a souligné que la conventionalité du dispositif, au regard des stipulations de l'article 3 de la Convention de Genève, était garantie par l'existence d'un examen individuel effectué par l'OFPRA, cet examen individuel permettant seul d'assurer le "respect des garanties qui s'attachent à la mise en oeuvre du droit d'asile". Ce faisant, le Conseil d'Etat a rappelé la position de principe qu'il avait adoptée lors de l'examen de la légalité de la délibération du conseil d'administration de l'OFPRA en date du 30 juin 2005, qui avait fixé une première liste de "pays d'origine sûrs" : dans la décision du 5 avril 2006, "Gisti", le Conseil avait en effet affirmé que "l'établissement d'une liste de pays d'origine sûrs [...] ne saurait exempter l'administration de procéder à l'examen individuel de chaque dossier, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 741-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile".

Là encore, la position du Conseil d'Etat (comme celle du Conseil constitutionnel) est contestable. L'on ne saurait affirmer que la différence de traitement des demandeurs d'asile, selon qu'ils sont ou non originaires d'un "pays d'origine sûr", est purement procédurale : en effet, de toute évidence, les demandeurs originaires d'un "pays d'origine sûr" ne bénéficient pas des mêmes droits que les demandeurs originaires des autres pays. Ainsi, et en premier lieu, ils ne bénéficient pas d'une autorisation provisoire de séjour, contrairement aux autres demandeurs d'asile qui bénéficient de ce droit jusqu'à la décision de l'OFPRA et, éventuellement, de la Cour nationale du droit d'asile (1). Ni droit au séjour ni recours suspensif devant la Cour nationale du droit d'asile, voilà déjà ce qui distingue les demandeurs originaires d'un pays d'origine sûr des demandeurs originaires des autres pays. Soulignons, en outre, que les premiers, à la différence des seconds, ne bénéficient ni de l'allocation temporaire d'attente prévue à l'article L. 351-9 du Code du travail (N° Lexbase : L1881HPD) (CE, 7 août 2007, Ministre de l'Intérieur c/ M. Peqini, précité), ni de la couverture maladie universelle.

L'on voit donc que la différence de traitement entre demandeurs d'asile originaires d'un "pays d'origine sûr", et demandeurs d'asile originaires des autres pays, touche aux droits respectifs dont ceux-ci disposent, et pas seulement à la procédure d'examen de leurs demandes respectives. La position du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel est donc sur ce point, et pour le moins, constructive et contestable, d'autant que la différence de situation alléguée entre ces deux catégories de demandeurs résulte d'une appréciation subjective de l'OFPRA.

B. Le Conseil d'Etat a ensuite confirmé l'étendue de son contrôle sur l'OFPRA avant d'en faire une application particulièrement audacieuse

1) La fixation de la liste des pays d'origine sûrs par l'OFPRA donne lieu à un contrôle normal de la part du Conseil d'Etat

Dans ses conclusions sous la décision du 5 avril 2006 précitée, le commissaire du Gouvernement E. Prada-Bordenave estimait que le contrôle de la fixation par l'OFPRA de la liste des "pays d'origine sûrs" devait être limité à l'erreur manifeste d'appréciation "compte tenu du caractère particulièrement délicat de l'appréciation en cause". Le Conseil d'Etat ne l'a cependant pas suivi, et il a considéré que la compétence exercée par l'OFPRA en la matière devait être soumise à un contrôle normal. C'est ainsi que le Conseil a examiné la légalité de la décision de l'OFPRA au regard des critères fixés par l'article L. 741-4 du CESEDA (respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que des droits de l'Homme et des libertés fondamentales) en "tenant compte de l'ensemble des informations dont disposait l'Office à la date à laquelle il s'est prononcé, en particulier des rapports établis sur ces pays par le Haut commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés".

Le choix du contrôle normal de préférence à un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation se justifie, selon nous, par le caractère essentiellement législatif (et non réglementaire) de la compétence relative à la fixation des "pays d'origine sûrs". On sait, en effet, que selon l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S), "La loi fixe les règles concernant [...] les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques". Certes, la mise en oeuvre des garanties déterminées par le législateur relève du pouvoir exécutif. Toutefois, en subordonnant l'intégration d'un pays sur la liste des "pays d'origine sûrs" au respect par ce pays des principes de la liberté, de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, le législateur a clairement encadré la compétence du pouvoir réglementaire, et il ne pouvait être question pour le Conseil d'Etat de méconnaître ce strict encadrement en laissant au pouvoir réglementaire, et donc au conseil d'administration de l'OFPRA, une trop grande marge de manoeuvre.

Dans la décision du 13 février 2008, le Conseil a confirmé cette solution en exerçant à nouveau un contrôle normal sur la nouvelle liste des pays d'origine sûrs fixée par l'OFPRA, en définissant à nouveau ce contrôle normal comme l'appréciation de la situation des pays figurant sur cette liste au regard du respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

2) L'immixtion du Conseil d'Etat dans la politique étrangère de la France

La décision du 13 février 2008, si elle confirme essentiellement l'approche et la solution retenues par le Conseil d'Etat dans la précédente décision du 5 avril 2006, est cependant remarquable en ce que, pour la première fois, et contrairement aux conclusions de son commissaire du Gouvernement qui proposait de valider l'ensemble de la liste, le Conseil d'Etat a partiellement annulé la liste fixée par l'OFPRA, et s'est ainsi prononcé défavorablement sur la situation de deux pays au regard des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Ce faisant, le Conseil a, en effet, porté un jugement nécessairement politique sur les pays en cause, l'Albanie et le Niger, et s'est donc, implicitement mais tout aussi nécessairement, immiscé dans un domaine (le jugement porté sur la situation d'un pays étranger au regard des droits de l'Homme) relevant normalement de la politique étrangère.

Or, il faut souligner que, contrairement à la décision du 5 avril 2006, la décision du 13 février 2008 n'a nullement précisé les sources sur lesquelles s'était fondé le Conseil d'Etat pour considérer que les deux pays en cause "en dépit des progrès accomplis [...] ne présentaient pas, à la date de la décision attaquée, eu égard notamment à l'instabilité du contexte politique et social propre à chacun de ces pays, les caractéristiques justifiant leur inscription sur la liste des pays d'origine sûrs au sens du 2° de l'article L. 741-4 de ce code". En effet, si la décision du 5 avril 2006 avait noté que l'OFPRA s'était prononcé au vu des rapports établis sur ces pays par le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, et avait donc semblé retenir la pertinence de ces rapports, la décision du 13 février 2008 n'a donné aucune précision sur les sources qui ont permis au Conseil d'Etat d'affirmer que l'Albanie et le Niger souffraient d'un contexte politique et social instable. Par-delà le caractère très général et, il faut bien le dire, assez vague de cette expression, il est remarquable de constater que, non seulement le Conseil d'Etat se mêle ici de politique étrangère en se prononçant sur la situation des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dans deux pays étrangers, mais, qu'en outre, il le fait sans aucunement justifier sa position.

Or, si la situation du Niger présente effectivement une instabilité politique et sociale du fait de l'existence d'un mouvement de rébellion armé de la part de la minorité touareg et de la brutalité des forces de sécurité gouvernementales (2), il n'en est pas de même pour la situation de l'Albanie qui est "seulement" affectée par la persistance de "crimes d'honneur" dans certaines zones, par la corruption et l'abus de la force par les services de sécurité et encore par les discriminations envers les femmes et les minorités (3).

Plus généralement, le même rapport note que les élections locales ont eu lieu en février 2007 sous la surveillance d'observateurs internationaux, et n'accrédite guère le constat d'instabilité politique et sociale fait par le Conseil d'Etat. Soulignons d'ailleurs que l'Albanie a été inscrite par la Grande Bretagne sur la liste des "pays d'origine sûrs". L'on doit donc s'interroger sur la pertinence du contrôle opéré par le Conseil en la matière, et l'on ne peut, à cet égard, que regretter que celui-ci n'ait pas davantage précisé les motifs et les sources sur lesquelles il s'est fondé pour dénier à l'Albanie la qualité de "pays d'origine sûr".


(1) CE Assemblée, 13 décembre 1991, n° 120560, Préfet de l'Hérault c/ Dakoury et Nkodia (N° Lexbase : A0112ARL), RUDH, 30 avril 1992, vol. 4, p. 117 conclusions Abraham, AJDA, 1992, p. 114, chronique Maugüe et Schwartz ; Cons. const., décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 (N° Lexbase : A8285ACT) : "le respect du droit d'asile, principe de valeur constitutionnelle, implique d'une manière générale que l'étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande ; sous réserve de la conciliation de cette exigence avec la sauvegarde de l'ordre public, l'admission au séjour qui lui est ainsi nécessairement consentie doit lui permettre d'exercer effectivement les droits de la défense qui constituent pour toutes les personnes, qu'elles soient de nationalité française, de nationalité étrangère ou apatrides, un droit fondamental à caractère constitutionnel".
(2) Cf. à ce sujet le rapport du Département d'Etat américain sur la situation au Niger disponible sur le site du Haut commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés : United States Department of State, 2007 Country Reports on Human Rights Practices - Niger, 11 March 2008
(3) Cf. à ce sujet le rapport du Département d'Etat américain sur la situation en Albanie disponible sur le site du Haut commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés : United States Department of State, 2007 Country Reports on Human Rights Practices - Albania, 11 March 2008.

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[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences

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N6274BE4

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur de droit privé, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au sommaire de cette chronique seront abordés la classification des contrats d'assurance, l'aléa inhérent au contrat d'assurance et le périmètre de l'assurance automobile.
  • De la difficulté de classer ou non certaines assurances parmi les assurances indemnitaires (Cass. civ. 2, 8 novembre 2007, n° 06-19.744, F-P+B N° Lexbase : A4240DZ3)

La classification des divers contrats d'assurance semble, de prime abord, être une question purement théorique, susceptible de n'intéresser, au mieux, que les universitaires soucieux de présenter la matière d'une façon la plus ordonnée et donc claire qui puisse être. En réalité, nul n'ignore que l'enjeu est bien plus concret qu'il n'y paraît. En effet, que l'on décide de qualifier tel contrat de contrat d'assurance de personnes relevant du principe forfaitaire et c'est tout espoir de recours qui s'envole. Or, les hypothèses où les hésitations étaient permises se sont multipliées au cours de ces dernières décennies. Par exemple, faut-il répertorier les assurances de groupe parmi les assurances de personnes ou les assurances de dommages, sachant que certaines dispositions régissant leur régime figurent tant dans la première catégorie que dans la seconde ? Plus simplement même, les traditionnelles assurances maladie, invalidité ou accident corporel relèvent-elles toujours des assurances de personnes comme la doctrine les présentait à l'origine ?

On sait que la Cour de cassation a eu à trancher ce type de difficulté à diverses reprises. Pour schématiser, disons qu'elle a fini par considérer que certaines prestations versées pouvaient relever du principe indemnitaire alors que les contrats étaient des assurances de personnes. Récemment, dans un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, en date du 8 novembre 2007, dont la plus large publicité a été effectuée, celle-ci a repris l'analyse adoptée dans son arrêt du 12 juillet 2007 (1). Ce dernier était relatif au recours d'un assureur -ayant versé une somme d'argent au titre de l'assurance accidents corporels- qui prétendait voir celle-ci déduite de l'indemnité qu'il devait, par ailleurs, au titre de l'assurance responsabilité civile. En effet, un enfant avait été blessé lors d'une rencontre sportive. Sa mère avait assigné, devant le tribunal de grande instance, en son nom personnel comme en sa qualité de représentante légale du mineur, tant l'association sportive que la fédération française de rugby, en responsabilité et indemnisation.

La fédération avait été condamnée et son assureur, qui était intervenu à l'instance, se trouvait être aussi l'assureur de la victime, bénéficiant d'un contrat d'accidents corporels. Mais la cour d'appel de Montpellier avait refusé de déduire, des sommes allouées à la victime, l'indemnité versée par l'assureur au titre de l'assurance des accidents corporels. La Cour de cassation avait cassé l'arrêt. Visant les articles 29-5 et 30 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (N° Lexbase : L7887AG9), elle commençait par énoncer, dans un attendu de principe, "qu'ouvrent droit à un recours, subrogatoire par détermination de la loi, contre la personne tenue à réparation ou son assureur, les indemnités journalières de maladie et les prestations d'invalidité, versées à la victime d'un dommage résultant des atteintes à sa personne, par les groupements mutualistes régis par le Code de la mutualité, les institutions de prévoyance régies par le Code de la Sécurité sociale ou le Code rural et par les sociétés d'assurance régies par le Code des assurances".

C'est, au mot près, cet attendu de principe qui est repris dans le présent arrêt. Dans cette affaire, la seule différence provient du type de contrat d'assurance souscrit : au lieu d'un contrat d'assurance accidents corporels souscrit auprès des sociétés Médéric, il s'agissait d'un contrat de prévoyance et l'assuré avait été victime d'un accident de la circulation dont l'auteur était assuré auprès de la compagnie AXA. Commenter cette dernière décision, par rapport à celle du 12 juillet dernier -qui ne l'avait pas été- ne sacrifie pas seulement aux habitudes prises d'exposer les diverses difficultés juridiques : l'arrêt nous semble confirmer et même franchir un degré supplémentaire dans l'évolution entreprise par la Cour de cassation. Expliquons-nous.

S'il n'est guère choquant que le législateur ait décidé, à l'article 29-5 de la loi du 5 juillet 1985, qu'une partie des assurances maladie ou invalidité peut servir à compenser les frais engagés pour soigner la victime, il était déjà plus discutable de le décider en matière d'assurance accidents corporels. En effet, ce type de contrat n'est pas visé expressément par le texte. Mais surtout, si la nature hybride des assurances maladie et invalidité pouvait être admise sans trop de difficultés parce qu'elles dépendent, au moins en partie, de l'ampleur du dommage, c'est-à-dire de la durée des soins nécessaires ou encore de l'intensité de ceux-ci, l'assurance accidents corporels se présente, depuis toujours sous la forme d'un capital ou d'une rente. Autrement dit, elle est calculée en fonction d'éléments prédéterminés et elle est indépendante, dans son mode de calcul et d'attribution, de la réparation du préjudice selon le droit commun. Par conséquent, elle n'a pas un caractère indemnitaire mais forfaitaire.

En décidant qu'il n'en est pas ainsi, la Cour de cassation avait déjà étonné. Toutefois, en faisant preuve de beaucoup d'esprit d'ouverture et de compréhension, la nature d'un contrat d'assurance accidents corporels pouvait être analysée comme ayant, entre assureurs, un caractère dual. Mais l'évolution et donc l'amalgame avec les assurances maladie et invalidité demeureraient déjà hardis. L'admettre aussi pour une assurance de prévoyance est au moins aussi audacieux. Car il n'est d'évidence pas dans l'esprit de l'assuré de conclure un contrat d'indemnités. La Cour de cassation réalise donc une dissociation du raisonnement juridique selon la phase du procès. Dans un premier temps, la victime perçoit les sommes dues selon les termes contractuels. Mais, ensuite, entre assureurs le recours, perd, en quelque sorte, son caractère initial. Une mutation a lieu.

Or, le raisonnement est spécieux puisque la Cour de cassation se fonde bien sur la subrogation "par détermination de la loi" pour appliquer la règle. Or, l'assureur subrogé dans les droits de la victime récupère -si l'on ose dire- les droits et actions de celle-ci tels qu'ils étaient, c'est-à-dire avec leurs caractères, attributs et nature intrinsèque. Une transformation s'opèrerait donc du fait du changement de qualité du titulaire des droits et actions. L'assureur n'étant pas une véritable victime, au sens de personne ayant subi un dommage physique ou psychologique, il ne pourrait prétendre aux mêmes avantages. Destinée à alléger la charge des assureurs responsabilités, la nouvelle orientation pourrait avoir pour conséquence, si elle était connue du grand public, de freiner peut-être leurs ardeurs à conclure des contrats d'assurance forfaitaires, encore que les arcanes financiers de gestion de telle ou telle branche d'assurance soient ignorés des assurés.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé

  • Du contrôle "léger" de l'aléa par la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 7 février 2008, n° 04-11.842, F-D N° Lexbase : A7184D4T)

Bien que la qualification juridique soit l'office du juge de cassation par excellence, chacun sait que, pour des raisons diverses, la Haute juridiction renonce, parfois, à ses prérogatives, abandonnant telle notion au pouvoir souverain des juges du fond ou préférant opérer un contrôle "léger", s'assurant formellement que ces derniers ont motivé leur décision. Lorsque l'abandon porte sur des notions fondamentales d'une matière, il y a de quoi provoquer l'irritation de la doctrine (2).

Bien des branches du droit pourraient fournir illustration d'une telle démarche. On se souvient ainsi, par exemple, de l'abandon au pouvoir souverain des juges du fond de la notion de "temps utile" au sens de l'article 135 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2208AD7), dans l'abondant contentieux des "conclusions de dernière heure" dans le cadre des procédures avec mise en état. Lasse, devant le nombre de pourvois, d'avoir à dire si le dépôt de conclusions quelques jours avant la date de l'ordonnance de clôture (ici sept jours, là trois, etc.) devait être jugé tardif, donc irrecevable, ou bien régulier ; lasse d'avoir à définir le critère exact de cette tardiveté (manquement au principe de la contradiction ou manquement à la loyauté procédurale ?), la Cour de cassation a, en Chambre mixte (3), considéré que la notion de "temps utile" s'analyse en elle-même et qu'elle relève du pouvoir souverain des juges du fond. Le tarissement des pourvois est au prix d'un risque de jurisprudences disparates de cours d'appel...

Le droit des assurances n'est pas en reste, puisque c'est le contrôle par les Hauts magistrats de l'aléa, dont chacun sait qu'il constitue "l'essence du contrat d'assurance", qui est au coeur des réflexions. L'arrêt rapporté du 7 février 2008, bien que non publié, permet de faire le point sur l'intensité du contrôle opéré par la Cour de cassation sur l'analyse des juges du fond quant à la caractérisation de l'aléa inhérent au contrat d'assurance. La question mérite rappel des soubresauts de la jurisprudence antérieure.

A priori, nul ne peut concevoir qu'une notion "essentielle" puisse être délaissée par les "gardiens du droit". Pourtant, nul n'a oublié les spectaculaires décisions rendues au cours de l'année 2000 marquant l'abandon par la Haute juridiction (il s'agissait alors de la première chambre civile !) du contrôle de l'aléa, tant au moment de la formation du contrat (risque déjà constitué) qu'au moment de la survenance du risque (faute intentionnelle qui prive le contrat d'aléa) (4). Un arrêt de la cour d'appel de Lyon (1ère chambre civile) du 24 septembre 1998 a montré de façon éclatante les dérives auxquelles peut conduire une démarche consistant à laisser l'aléa sous la maîtrise complète des juges du fond. Ces juges ont, s'agissant d'une assurance-groupe accompagnant un crédit immobilier, été conduits à connaître de l'hypothèse qu'on qualifie de risque "putatif", c'est-à-dire d'un contrat d'assurance en la pureté de l'aléa duquel l'assuré a, en toute bonne foi, cru, alors que le risque était objectivement déjà réalisé ou en germe. En effet, alors que la doctrine incline à penser que l'aléa doit exister subjectivement (dans l'esprit des parties) au moment de la conclusion du contrat, des juges du fond peuvent privilégier une analyse objective de l'aléa et décider, comme les juges lyonnais, que l'aléa n'exitait pas dès lors que, même si l'assuré avait rempli le questionnaire en toute bonne foi et s'ignorait porteur d'une maladie qui devait, par la suite, le conduire à une incapacité (ou à mourir), cette maladie était en germe lors de la conclusion du contrat, dès lors dépourvu d'aléa. La Cour de cassation, qui ne voulait pas revenir sur la voie qu'elle avait ouverte en 2000, rejeta le pourvoi formé contre cet arrêt lyonnais dans une décision discrète (non-publiée) mais critiquable du 7 juin 2001 (5).

La doctrine, qui critiquait cet abandon, se réjouit de constater qu'en 2003 (6), après que les assurances furent passées dans le giron de la deuxième chambre civile, celle-ci se montra favorable à une "reprise en main" d'un contrôle de l'aléa. Alors que les juges du fond avaient constaté que l'assuré avait, à la conclusion du contrat, déjà connaissance de l'existence du sinistre, ils n'en avaient pas déduit l'absence d'aléa et avaient condamné l'assureur à s'exécuter. La Cour de cassation censura en posant, au visa des articles 1964 du Code civil (N° Lexbase : L1036ABY), L. 121-15 du Code des assurances (N° Lexbase : L0091AAM) et 12 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2043ADZ), que "le contrat d'assurance, par nature aléatoire, ne peut porter sur un risque que l'assuré sait déjà réalisé".

Par suite, en matière d'assurance-vie, à propos de la qualification des contrats dits "mixtes", la Cour de cassation a, après une période de flottements (7), donné des signes tangibles de sa volonté de demeurer maîtresse des qualifications. Chacun a conservé en mémoire les arrêts "politiques" (8) rendus en Chambre mixte le 23 novembre 2004 (9) optant pour le maintien de la qualification d'assurance-vie de certains contrats "mixtes" plutôt que d'ouvrir la voie à une requalification en contrat de capitalisation auquel ne s'appliquent ni le régime juridique, ni le régime fiscal de la première, fusse au prix d'accomodements avec la pureté de l'aléa qu'impose une lecture combinée des articles 1104 (N° Lexbase : L1193ABS) et 1964 du Code civil. La Haute juridiction n'avait, d'ailleurs, pas osé viser l'article 1104 du Code civil, préférant s'abriter derrière les articles L. 310-1 (N° Lexbase : L0312AAS) et R. 321-1 (N° Lexbase : L6037DYA) du Code des assurances et s'appuyer sur le seul article 1964 du Code civil, plus accomodant quant à une lecture "unilatérale" du risque de perte ou de la chance de gain...

Toutefois, sur le terrain de l'assurance de responsabilité civile, plus précisément de l'assurance de la faute inexcusable de l'employeur condamné pour l'exposition à l'amiante de ses salariés, un arrêt rendu en 2006 (10) a été justement remarqué pour un appui peu judicieux de la Haute juridiction à l'analyse conduite par la cour d'appel s'agissant du caractère aléatoire du contrat litigieux. L'apériteur de la coassurance faisait grief aux juges du fond d'avoir retenu le principe de leur garantie et de les avoir, en conséquence, condamnés à garantir l'employeur sans avoir vérifié que l'assurance de responsabilité n'avait pas perdu son caractère aléatoire, démarche nécessitant de rechercher si l'employeur pouvait ignorer, au moment de la signature du contrat, avoir commis des fautes inexcusables susceptibles d'engager sa responsabilité. Pour balayer ce pourvoi fondé sur un manque de base légale au regard de l'article 1964 du Code civil, la deuxième chambre civile approuve la cour d'appel en soulignant : "Mais attendu que l'arrêt retient que la condamnation de l'employeur, quand bien même il aurait eu connaissance de l'existence de maladies avant la souscription de la police d'assurance, n'était pas inéluctable, puisqu'elle supposait que les victimes engagent leur action avant l'expiration du délai de prescription biennale, et prouvent que l'employeur, qui devait avoir conscience du danger auquel elles étaient exposées, n'avait pas pris les mesures nécessaires pour les en préserver ; que le risque assuré n'est pas la maladie elle-même, qui représente le sinistre de la victime, mais la mise en oeuvre de la responsabilité de l'entreprise ; que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement déduit l'existence de l'aléa inhérent aux contrats au sens des textes précités".

Sous l'angle du contrôle, c'est cette approbation par la formule "a exactement déduit" qui est notable. Or, cette formule "appuyée" est d'autant plus inopportune que, sur le fond, l'analyse des juges du fond du caractère aléatoire du contrat litigieux était catastrophique. Un auteur a justement "foudroyé" les Hauts magistrats pour avoir "laissé passer" des erreurs d'analyse fondamentales. Les "constatations et énonciations" des juges du fond procédaient d'une confusion, considérant que le risque couvert "n'est pas la maladie elle-même [...] mais la mise en oeuvre de la responsabilité" de l'employeur pour en déduire que l'aléa du contrat d'assurance se confond avec l'aléa judiciaire, l'éventuelle connaissance de l'existence de maladies par l'employeur avant la souscription n'étant pas, selon ces juges du fond, de nature à chasser l'aléa puisque seule la démonstration judiciaire par les salariés de la responsabilité de leur employeur réaliserait le risque ! Et, comble de l'erreur, les juges du fond invoquent une nécessité de mise en oeuvre de cette responsabilité dans un délai de prescription biennal purement imaginaire (ne concernant que les rapports entre l'employeur assuré et son assureur de responsabilité !).

Dès lors, malgré la formule employée ("a exactement déduit"), on peut légitimement considérer que la grande latitude laissée aux juges du fond dans l'appréciation de l'aléa conduit à un contrôle fort "léger" de la Haute juridiction. Pour reprendre l'indignation de M. Kullmann, "comment expliquer que la Cour de cassation ait laissé passer de telles monstruosités ? Pourquoi avoir renoncé à la cassation alors que l'assureur présentait des moyens imparables au regard de l'article 1964 du Code civil ? Il faut croire que le standart légal qu'est l'aléa ne donne plus lieu à aucun contrôle digne de ce nom par la Cour de cassation [qui] se borne à exercer un contrôle non sur la pertinence des motifs mais de leur existence" (11).

Les lecteurs attentifs de cette chronique auront par ailleurs relevé, le mois dernier, sous la plume de Véronique Nicolas (12), un important arrêt du 21 décembre 2007 (Cass. mixte, 21 décembre 2007, n° 06-12.769, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1178D3Z), rendu également en Chambre mixte, optant pour une possible requalification d'un contrat d'assurance-vie en donation, lorsque, comme en l'espèce, "les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable". Dans ce cadre, les Hauts magistrats énoncent : "que la cour d'appel, qui a retenu que Serge J. qui se savait, depuis 1993, atteint d'un cancer et avait souscrit en 1994 et 1995 des contrats dont les primes correspondaient à 82 % de son patrimoine, avait désigné, trois jours avant son décès, comme seule bénéficiaire la personne qui était depuis peu sa légataire universelle, a pu en déduire, en l'absence d'aléa dans les dispositions prises, le caractère illusoire de la faculté de rachat et l'existence chez l'intéressé d'une volonté actuelle et irrévocable de se dépouiller ; qu'elle a exactement décidé que l'opération était assujettie aux droits de mutation à titre gratuit". On ne reviendra pas ici sur la pertinence d'une telle requalification (13). On s'attardera, en revanche, sur les termes employés par la Cour de cassation dans son contrôle, par les juges du fond, de cette qualification : à partir des faits, la cour d'appel "a pu en déduire" la volonté irrévocable d'effectuer une donation, et, au stade des effets de cette requalification, la Cour de cassation considère que la cour d'appel "a exactement décidé" d'appliquer le régime des droits de mutation frappant les donations plutôt que celui applicable à l'assurance-vie. La terminologie n'est pas neutre. Elle semble bien traduire que, même en matière d'assurance-vie, siège de l'exercice de qualification de l'aléa que l'on sait en 2004, il y a place pour une certaine autonomie des juges du fond : considérer que ceux-ci "ont pu déduire" du comportement non équivoque du souscripteur trois jours avant son décès un animus donandi fondé sur le caractère illusoire de la faculté de rachat revient à considérer que les juges du fond peuvent considérer que l'équilibre interne du contrat d'assurance-vie -reposant outre sur l'aléa lié à la durée de la vie humaine, sur l'indétermination de celui au profit duquel le contrat se dénouera (le souscripteur exerçant le rachat ou le bénéficiaire ?)- a été modifié. L'analyse de cette perte d'aléa n'est guère éloignée de celle qui, dans le contexte d'un contrat assorti d'une rente viagère, considère que lorsque l'état de santé du débirentier (si malade à la conclusion du contrat !) prive le contrat de son caractère aléatoire. On rapprochera également utilement ce raisonnement de celui conduit par la première chambre civile dans un arrêt du 10 mai 2007 (14), s'agissant d'un pacte tontinier conclu par des associés, "à titre de pacte aléatoire au profit de celui des deux associés qui survivra sans que les héritiers, ayants droit et représentants du prédécédé puissent prétendre à aucun droit sur lesdites parts et créances", critiqué par des héritiers considérant que "la clause d'accroissement n'était pas aléatoire et dissimulait une libéralité", à propos duquel la Cour de cassation a énoncé : "qu'en raison de son état de santé à l'époque de la constitution de la société et de la différence d'âge qui existait entre les associés, il était probable qu'[un associé] décède avant [l'autre] ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel a pu décider que l'opération litigieuse, qui ne présentait aucun aléa, constituait une libéralité".

Dans l'emploi de ces codes rédactionnels, la Chambre mixte (comme la première chambre dans l'arrêt susmentionné) considère que les juges du fond ont pu constater la perte d'aléa et les approuve (d'où la formule "exactement") d'appliquer le régime (des donations) correspondant à la qualification par eux retenue.

L'autonomie laissée aux juges du fond quant à la qualification de l'aléa et ce contrôle "léger" de la Cour de cassation nous semble donc avérés y compris en matière d'assurance-vie. Avec l'arrêt du 7 février 2008, rendu en matière d'assurance-groupe, l'idée ne va pas se dissiper.

En l'espèce, pour couvrir deux prêts, un homme conclut une assurance groupe. Ayant déclaré dans le questionnaire de santé rempli lors de son adhésion souffrir d'asthme, l'assureur avait inséré au contrat une clause expresse d'exclusion de garantie de "l'affection déclarée, des suites et conséquences" ; mis en arrêt de travail pour maladie puis placé en longue maladie à compter du 9 janvier 1995, l'assuré a souhaité faire jouer son contrat et s'est vu opposer un refus de garantie. Le contentieux a roulé autour du point de savoir si la maladie affectant le salarié, donc l'empêchant d'exercer son travail et de rembourser son emprunt, relèvait de l'asthme, donc de l'exclusion, ou d'une cause distincte. L'assuré prétendait que les juges du fond n'avaient pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations et violé les articles L. 113-1 du Code des assurances et 1134 du Code civil, l'expert ayant constaté que "l'état actuel [de l'assuré] ne peut être totalement mis sur le compte de la complication respiratoire et que le susnommé n'est pas en état de reprendre actuellement une activité quelconque du fait de son état respiratoire, mais encore de son état psychique".

Le pourvoi est rejeté aux motifs que "la cour d'appel a retenu qu'il ressort du rapport d'expertise médicale judiciaire que si l'ensemble des pathologies dont est atteint [l'assuré] ont un lien causal avec l'arrêt de travail survenu en 1995 et 1996 et qu'elles y ont contribué de manière différente, c'est l'insuffisance respiratoire et l'état dépressif, qui existaient déjà lors de la signature du contrat d'assurance, qui interdisent à celui-ci la reprise de toute activité professionnelle, l'état dépressif étant certainement dû à l'asthme et la corticothérapie ayant probablement favorisé le diabète et l'hypertension artérielle ; que l'asthme est donc directement à l'origine de plusieurs autres maladies ne permettant plus à [l'assuré] de poursuivre l'exercice d'une activité professionnelle ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu décider que [l'assureur] pouvait opposer à [l'assuré] la clause d'exclusion de garantie prévue au contrat".

Ici encore, l'analyse du caractère aléatoire est au coeur du problème puisqu'il s'agissait de déterminer si les maladies actuelles (dépression, diabète et hypertension) étaient ou non consécutives à une maladie antérieure (asthme) à la conclusion du contrat et objet d'une exclusion, afin de préserver ce caractère aléatoire. Et la Cour de cassation a considéré que les juges du fond "ont pu décider" que les maladies actuelles sont consécutives à un risque antérieur exclu. On notera cependant la prudence des Hauts magistrats dans l'analyse de la causalité entre ces maladies : si l'une (dépression) est considérée comme "certainement" due au mal initial, les autres (diabète et hypertension artérielle) sont considérées comme "probablement" dues au mal initial. La causalité est donc approuvée, à l'abri des "constations et énonciations" des juges du fond.

S'il faut, en l'espèce, l'approuver (les éléments étant éminemment factuels), nous considérons par principe, que le contrôle de l'aléa ne doit pas se limiter à une vérification formelle.

Sera-t-on rassuré de constater que ce contrôle "léger" ne se limite pas au contrat d'assurance ? Que, s'agissant d'un bail à nourriture (15) ou d'un pacte tontinier (16) la Cour de cassation procède à un même contrôle "léger", tandis que son contrôle est encore plus "lâche" s'agissant de l'appréciation du caractère aléatoire d'un acte de partage où elle a, récemment (17), estimé que cette question relève du pouvoir souverain des juges du fond ?

Tout espoir d'un office plus rigoureux n'est pas vain si l'on constate que, s'agissant d'une rente viagère, la Cour de cassation a, dans un arrêt de censure récent (18), montré qu'elle sait guider les critères d'analyse de l'aléa, précisant que "lorsque le vendeur s'est réservé l'usufruit du bien vendu, l'appréciation de l'aléa et du caractère sérieux du prix se fait par comparaison entre le montant de la rente et les revenus calculés à partir de la valeur vénale au jour de la vente de l'immeuble grevé" et non, comme l'avait pensé la cour d'appel, en prenant en compte sa valeur telle que fixée contractuellement par les parties à l'acte de vente. Les juges du fond sont donc invités à apprécier si les arrérages sont inférieurs aux revenus de la nue-propriété, donc si le contrat n'est pas aléatoire, en prenant en compte les bons éléments.

Nous formulons le voeu que, s'agissant du contrat d'assurance, vie ou dommage, "l'essence" de l'assurance ne se passe pas des "lumières" (mais de lumières éclairées et éclairantes...) de la Cour de cassation !

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)

  • Périmètre de l'assurance automobile : le classicisme de la Chambre criminelle (Cass. crim., 15 janvier 2008, n° 07-80.800, F-P+F+I N° Lexbase : A7369D4P)

Par cet arrêt du 15 janvier 2008 (19), la Chambre criminelle est conduite a prendre position dans l'interprétation, toujours délicate, de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 (loi n° 85-677 N° Lexbase : L7887AG9), qui exige de déterminer à la fois ce qu'est un "véhicule terrestre à moteur", ce qu'est un "accident de la circulation" et ce que recouvre l'implication d'un tel véhicule dans la réalisation de l'accident.

Dans l'espèce ici examinée par la Chambre criminelle, l'un des préposés d'un entrepreneur d'électricité a été mortellement blessé au moment où ce salarié, pour changer les lampes du hall d'un atelier, manoeuvrait, avec l'aide d'un ouvrier intérimaire désigné dans les heures précédant l'accident, une nacelle autoportée de location, mise le matin même à la disposition de la société sans aucune démonstration de son fonctionnement. La mauvaise manipulation de ce préposé, non averti des consignes de sécurité et non formé à la conduite de cet engin de travaux justifie ici, sur l'action publique, la condamnation de l'entreprise du chef d'homicide involontaire au sens de l'article 221-6 du Code pénal (N° Lexbase : L5526AII) à 15 000 euros d'amende et l'allocation de dommages-intérêts sur le terrain de l'action civile.

L'entrepreneur avait cherché à obtenir la garantie de son assureur de responsabilité civile professionnelle, dont le contrat excluait expressément "la garantie des dommages causés par un véhicule terrestre à moteur, survenant dans le cadre d'un accident de la circulation, régi par la loi de 1985". Le problème est donc aisé à cerner : l'accident survenu est-il un accident de la circulation relevant du champ de la loi de 1985, auquel cas l'assureur était ici dégagé ou, au contraire, cet accident est-il exclu du champ de cette loi, de sorte que l'assureur devait le garantir ?

Méthodiquement, il faut examiner si cet accident répond aux critères dégagés par l'interprétation jurisprudentielle de l'article 1er de la loi de 1985.

Première question à résoudre : une nacelle autoportée constitue-t-elle un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi ? Assurément si l'on prend en considération la jurisprudence relative aux "véhicules-outils" (20) ayant reconnu cette qualité à un chariot élévateur (21) ou à une pelleteuse mécanique équipée de chenilles qui se déplaçait par ses propres moyens au moment de l'accident (22) ou encore, eu égard à cette nature "autoportée", s'agissant d'une tondeuse à gazon autoportée (23). Les juges du fond qui avaient, dans l'arrêt déféré à la Chambre criminelle ici étudié, parfaitement énoncé "que la nacelle autoportée circulant par ses propres moyens était en mouvement à l'intérieur du hall au moment de l'accident ; qu'elle est donc assimilée, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, à un véhicule terrestre à moteur" sont approuvés par les Hauts magistrats qui considèrent qu'ils ont fait une exacte application de l'article 1er de la loi de 1985. On relèvera, avec un auteur (24), que doctrine et jurisprudence s'entendent ici pour qualifier de "VTM" un engin pourvu d'un siège pour le conducteur, d'un moteur et permettant à cet engin de se déplacer par ses propres moyens. Mais on notera qu'une nacelle autoportée se manipule également depuis le sol (en l'espèce toutefois, l'arrêt signale que le conducteur inexpérimenté avait gardé par devers lui les clefs permettant à un tiers de manipuler depuis le sol cette nacelle, ce qui montre bien que, lui, la manipulait depuis la "cabine de pilotage" !).

Deuxième question à résoudre : l'accident provoqué dans le hall d'un immeuble au cours de travaux relève-t-il d'un "accident de la circulation" au sens de la loi de 1985 ? Traditionnellement, les accidents survenus sur des lieux privés, et plus particulièrement des chantiers ne constituent pas un obstacle à l'application de la loi de 1985 et relèvent donc de son périmètre. En atteste cette décision (25) déjà évoquée relative à un dommage créé par une pelleteuse équipée de chenilles ayant provoqué, au cours d'un déplacement sur le chantier, une rupture des canalisations d'eau alimentant une usine. Alors que les juges du fond avaient écarté l'application de la loi de 1985 aux motifs que "ce qui caractérisait sa nature de matériel de travaux publics et non celle de véhicule , alors même qu'elle se déplaçait sur le site d'un chantier, son caractère routier n'étant pas prédominant", la deuxième chambre civile avait censuré, au motif que "la pelleteuse mécanique se déplaçait par ses propres moyens", le silence sur le lieu (un chantier) accréditant que c'est bien un lieu où peut se produire un tel accident de la circulation.

Pourtant, un arrêt émanant de cette même deuxième chambre, rendu le 26 juin 2003 (26), avait semé le trouble en refusant d'appliquer la loi de 1985 à un incendie d'un cyclomoteur stationné dans l'entrée d'un immeuble collectif au motif que "le véhicule terrestre à moteur était en stationnement dans un lieu d'habitation impropre à cette destination". Il en résulte que si le stationnement est bien un fait de circulation (cf. les nombreuses illustrations in Code des assurances Litec, 1ère éd., 2006, Annexe 1, spéc. p. 866), il ne peut toutefois y avoir accident de la circulation que dans un lieu (public ou privé, peu importe) destiné à la circulation des véhicules terrestres à moteur, singulièrement destiné au stationnement. La solution avait été critiquée en doctrine car on a plaidé pour que soit seul retenu le critère du lien entre l'accident et la fonction de déplacement d'un véhicule (incluant son stationnement), qui conduit à n'exclure que les accidents causés dans des circonstances totalement étrangères à la circulation routière (27), tandis que d'autres auteurs, restreignant la compréhension de l'arrêt au stationnement, soulignaient l'incongruité de ce nouveau critère, poussant à considérer que l'accident provoqué par un véhicule stationné sur une plage, dans une forêt ou un champ, autant de lieux impropres au stationnement, serait exclu, tandis que l'accident provoqué au même endroit par un tel véhicule circulant serait couvert dans le cadre de cette loi (28).

A l'évidence, l'entreprise cherchant à obtenir la garantie de son assureur, donc la démonstration que le dommage ne relevait pas de la loi de 1985, avait cherché à tirer parti de cette jurisprudence, plaidant que "l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 s'applique à condition que le véhicule terrestre à moteur ait été en mouvement sur une voie de circulation lors de l'accident ; que ne constitue pas une voie de circulation l'intérieur d'un hall fermé d'un immeuble, à usage d'ateliers où la nacelle autoportée ne devait sa présence que pour la réalisation de travaux de remplacement des lampes".

La Chambre criminelle ne prend guère la peine de lui répondre sur ce point, énonçant que "la loi du 5 juillet 1985 [a] vocation à s'appliquer, dès lors que, les faits s'étant produits au moment où Daoud B. effectuait une marche arrière pour positionner la nacelle sous une lampe, l'engin qu'il manoeuvrait et qui se déplaçait en roulant était impliqué en tant que véhicule dans un accident de la circulation".

On retiendra donc que, implicitement, la Chambre criminelle refuse de s'orienter vers une distinction fondée sur la "destination routière" d'un hall d'immeuble pour s'en tenir aux critères plus traditionnels. C'est sans doute préférable, car si l'extension sans fin d'un régime spécifique n'est pas souhaitable, la promotion de critères trop subtils n'est jamais gage d'efficacité. On constatera que la deuxième chambre civile est dans cette même ligne comme en témoigne son analyse dans un arrêt du 25 octobre 2007 (29), où elle a jugé que constitue un accident de la circulation celui survenu dans l'atelier d'un garagiste par un véhicule installé sur un pont élévateur ayant, à l'allumage du moteur par son propriétaire sur ordre d'un salarié du garagiste, eu un mouvement vers l'avant cause de blessures infligées à ce salarié. La deuxième chambre civile considère que, "ayant retenu que le véhicule était stationné dans un atelier de réparation automobile, qui n'est pas un lieu impropre au stationnement d'un véhicule, et que, mis en mouvement par le démarrage du moteur alors qu'une vitesse était enclenchée, il avait percuté M. R., la cour d'appel a exactement décidé que ce véhicule était impliqué dans un accident de la circulation au sens de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985, peu important qu'il se fût trouvé sur un pont élévateur".

L'unité jurisprudentielle est donc de mise entre les chambres de la Cour de cassation !

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)


(1) Cass. civ. 2, 12 juillet 2007, n° 06-16.084, Société La Sauvegarde, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2776DX4), H. Groutel, L'assureur de personnes, tiers payeur à part entière, RCA, novembre 2007, Etudes, n° 18, p. 12.
(2) Les écrits du Doyen Perdriau sont demeurés, sur cette question, célèbres : cf., notamment, A. Perdriau, Réflexions désabusées sur le contrôle de la Cour de cassation en matière civile, JCP éd. G, 1991, I, 3538.
(3) Cass. mixte, 3 février 2006, n° 04-30.592, Société Exacod, P (N° Lexbase : A7240DM4), Bull. mixte n° 2 ; R. 2006, p. 413.
(4) Cass. civ. 1, 20 juin 2000, n° 97-22.681, Société Châlets des Fiaux et autre c/ Groupement d'intérêt économique G20 et autre (N° Lexbase : A3549AUY), Bull civ I, n° 189 et Cass. civ. 1, 4 juillet 2000, n° 97-22.570, Compagnie Union des assurances de Paris (UAP) c/ Société Novergie exploitation, société anonyme et autres (N° Lexbase : A5483CMZ), H. Groutel, L'appréciation de l'aléa et de la faute intentionnelle dans le contrat d'assurance, Resp. civ. et ass., 2000, chron. 24. Le premier énonce "que l'appréciation de l'aléa, dans le contrat d'assurance, relève du pouvoir souverain des juges du fond", tandis que le second énonce que "l'appréciation par les juges du fond du caractère intentionnel d'une faute, au sens de l'article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances(N° Lexbase : L0060AAH), est souveraine et échappe au contrôle de la Cour de cassation".
(5) Cass. civ. 1, 7 juin 2001, n° 98-21.477, M. Marc Plotton c/ Compagnie Rhin et Moselle assurances françaises (N° Lexbase : A5321ATA), Resp. civ. et ass., 2001, comm. n° 343 et chron. par H. Groutel ; RGDA, 2001, p. 675, note J. Kullmann.
(6) Cass. civ. 1, 4 novembre 2003, n° 01-14.942, Société Azur assurances c/ Syndicat des copropriétaires l'Acropole I - II, F-P+B (N° Lexbase : A0644DA4), Bull. civ. I, n° 220 ; RGDA, 2004, p. 337, note J. Kullmann.
(7) L'absence de ligne directrice de la Cour suprême avant 2004 avait semé la confusion en laissant le soin aux juges du fond de se débrouiller avec la qualification, ce qui ne pouvait déboucher que sur deux courants. La doctrine avait noté, cependant, que les requalifications en contrats de capitalisations étaient minoritaires par rapport au maintien de la qualification en assurance-vie.
(8) Pour reprendre l'expression de L. Aynès, Des arrêts politiques, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 11. Le qualificatif est pleinement justifié car ces contrats ne sont pas aléatoires. Le fait qu'ils dépendent de la durée de la vie humaine, que celui entre les mains duquel l'assureur n'est pas connu en raison de l'alternative ouverte par une assurance avec contre-assurance, que l'assureur puisse avoir à gérer un risque de flucuation monétaire alors qu'il s'est engagé à un taux de rémunération, n'en font pas des contrats où le risque de perte de l'un est le gain de l'autre...
(9) Cass. mixte, 23 novembre 2004, n° 03-13.673 (N° Lexbase : A0919DER) ; n° 01-13.592 (N° Lexbase : A0225DE3) ; n° 02-11.352 (N° Lexbase : A0235DEG) ; et n° 02-17.507 (N° Lexbase : A0265DEK), Bull. n° 4, p. 9 ; RTDCiv., 2005, p. 434, obs. M. Grimaldi ; RGDA, 2005, p. 480, note J. Bigot ; D., 2004, somm. 3192, obs. H. Groutel.
(10) Cass. civ. 2, 14 juin 2006, n° 05-13.090, Société Everite, FS-P+B (N° Lexbase : A9493DPB), RGDA, 2006, p. 587, note J. Kullmann.
(11) J. Kullmann, obs. préc..
(12) Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Lexbase Hebdo n° 295 du 6 mars 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3574BE4).
(13) Cf. V. Nicolas, obs. préc..
(14) Cass. civ. 1, 10 mai 2007, n° 05-21.011, Mme Viviane de Ranterre, épouse Ramet, FS-P+B (N° Lexbase : A1100DWN).
(15) Cf. Cass. civ. 3, 4 juillet 2007, n° 06-13.275, Mme Christine Margaria, FS-P+B (N° Lexbase : A0787DXG), qui énonce : "Mais attendu qu'il résulte des articles 1104, alinéa 2, et 1964 du Code civil que l'aléa existe dès lors qu'au moment de la formation du contrat les parties ne peuvent apprécier l'avantage qu'elles en retireront parce que celui-ci dépend d'un événement incertain ; qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, qu'une partie du prix de vente avait été convertie en obligation d'entretien et de soins au profit de l'oncle de la venderesse, âgé de 85 ans et habitant dans l'immeuble vendu en vertu d'un droit d'usage et d'habitation qu'il s'était réservé sa vie durant dans l'acte de vente de ce même bien à Mme X, la cour d'appel a pu en déduire que le caractère indéterminé de cette obligation constituait un aléa librement accepté par les parties comme étant susceptible de profiter à l'une ou l'autre en fonction de la durée de vie de M. Z et que la disparition de celui-ci faisait partie intégrante de cet aléa" (c'est nous qui soulignons).
(16) Cass. civ. 1, 10 mai 2007, précité.
(17) Cf. Cass. civ. 1, 4 juin 2007, n° 05-11.950, Mme Maria Tofalo, F-P+B (N° Lexbase : A7783DW8), qui énonce, pour un partage à propos duquel les parties avaient admis un aléa lié au versement d'une indemnité d'assurance à la suite de l'incendie d'un immeuble indivis entre les époux, l'assureur ayant tiré argument de l'absence de permis pour se libérer de ses engagements : "Mais attendu qu'ayant constaté que le chalet détruit avait été construit sans permis et condamné à la démolition, ce dont la compagnie d'assurance tirait argument pour ne pas verser d'indemnité, la cour d'appel en a souverainement déduit que l'existence d'un aléa affectant la consistance et la valeur des droits de son mari était établi et qu'il était connu de Mme X qui l'avait accepté lors de la signature de l'acte de partage, de sorte que devait être rejetée sa demande de rescision pour lésion du partage ; que le moyen ne peut être accueilli" (c'est nous qui soulignons).
(18) Cass. civ. 3, 4 juillet 2007, n° 06-14.122, Mme Annette Gagnadour, épouse Bion, FS-P+B (N° Lexbase : A0814DXG).
(19) Sur lequel, cf. D. Bakouche, Accidents de la circulation : nouvelle illustration de l'appréciation extensive faite par la Cour de cassation des conditions de mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 1985, Lexbase Hebdo n° 295 du 6 mars 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3446BED).
(20) Pour reprendre la judicieuse expression de P. Jourdain, RTD civ 2003, p. 721, obs. Sous Cass. civ. 2, 26 juin 2003.
(21) Cass. civ. 2, 25 mai 1994, n° 92-19.455, M. Robert c/ Compagnie Abeille-Paix et autres (N° Lexbase : A7300ABY), Bull. civ. II, n° 132.
(22) Cass. civ. 2, 30 juin 2004, n° 02-15.488, Société Colas Sud-Ouest c/ Société Rougeron, FS-P+B (N° Lexbase : A8916DC9), Bull. civ. II, n° 334; RGDA, 2004, p. 967, obs. J. Landel.
(23) Cass. civ. 2, 24 juin 2004, n° 02-20.208, Fonds de garantie automobile c/ M. Mete Yuceer, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8044DCW), RGDA, 2004, p. 967, obs. J. Landel.
(24) J. Landel, obs. préc..
(25) Cass. civ. 2, 30 juin 2004, préc..
(26) Cass. civ. 2, 26 juin 2003, n° 00-22.250, Société Assurances du Crédit mutuel (ACM) IARD c/ Mme Francine Lapray, épouse Limousin, FP-P+B (N° Lexbase : A9681C83), RCA, 2003, chron. 24 par H. Groutel ; RGDAn 2003-4, p. 23, obs. J. Landel ; RTDCiv., 2003, p. 720, obs. P. Jourdain.
(27) En ce sens, P. Jourdain.
(28) En ce sens, J. Landel.
(29) Cass. civ. 2, 25 octobre 2007, n° 05-21.807, Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF), FS-P+B (N° Lexbase : A2528DZN), sur lequel cf. les obs. de D. Bakouche, Appréciation des notions de "conducteur" et d'"accident de la circulation" au sens de la loi du 5 juillet 1985, Lexbase Hebdo n° 281 du 15 novembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : A2528DZN).

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Seul un avenant interprétatif à une convention collective s'impose de manière rétroactive

Réf. : Cass. soc., 18 mars 2008, n° 07-41.813, Société Toupret c/ M. René Jardin et a., FS-P+B (N° Lexbase : A4964D7Y)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Comme n'importe quel autre contrat, la convention ou l'accord collectif de travail est de nature à comporter des stipulations dont le sens peut prêter à discussion. Dans une telle situation, les parties signataires de l'acte initial sont en droit de préciser quelle a été leur volonté commune lors de sa conclusion. Dès lors qu'il est conclu par l'ensemble des parties en cause, cet acte juridique doit être qualifié d'avenant interprétatif. Il s'impose alors à tous de façon rétroactive, à l'image d'une loi interprétative. Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans un important arrêt en date du 18 mars 2008, la qualification d'avenant interprétatif est exclusive de toute modification de l'accord initial. A défaut, l'acte juridique litigieux relève de la catégorie des avenants de révision et ne vaut que pour l'avenir. La Chambre sociale précise, en outre, dans cette même décision, que le juge prud'homal est compétent pour statuer sur une question préjudicielle relative à l'interprétation d'un accord collectif posée par le juge administratif dans le cadre d'un litige individuel opposant le salarié à son employeur.
Résumé

Le juge prud'homal, compétent pour connaître de l'interprétation d'un accord collectif lorsque celle-ci est nécessaire à la solution d'un litige lié au contrat de travail d'un salarié, est compétent pour statuer sur une question préjudicielle relative à l'interprétation d'un accord collectif posée par le juge administratif dans le cadre d'un litige individuel opposant le salarié à son employeur.

Attendu qu'ayant relevé que l'article 9.3.2 de l'accord du 22 décembre 1998 signé entre l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction, d'une part, et la Fédération des travailleurs de la céramique, des carrières et matériaux de construction CGT-FO, d'autre part, autorisait un employeur à mettre à la retraite un salarié âgé de moins de soixante-cinq ans, sous réserve que ce salarié puisse bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein versée par la Sécurité sociale et qu'il puisse faire liquider sa pension de retraite complémentaire sans abattement, et qu'aux termes de l'avenant conclu entre les mêmes parties le 21 mars 2001 et qualifié, par elles, d'interprétatif, la pension de retraite complémentaire doit s'entendre de celle acquise au titre des tranches A et B, à l'exclusion de celle acquise au titre de la tranche C qui ne peut être liquidée avant l'âge de soixante-cinq ans, la cour d'appel a décidé à bon droit que cet avenant modifie les conditions de mise à la retraite des salariés cadres cotisants au titre de la tranche C, qu'il est, dès lors, dépourvu de caractère interprétatif et ne peut s'appliquer à une mise à la retraite prononcée antérieurement.

Commentaire

I L'interprétation de la convention collective par le juge

  • Juridiction judiciaire ou juridiction administrative

Alors même qu'il produit un effet réglementaire, la convention ou l'accord collectif de travail reste, fondamentalement, un contrat de droit privé. Pour cette raison, son interprétation ou l'appréciation de sa validité ne peut qu'être soumise aux juridictions judiciaires.

Il en résulte, notamment, que, si l'interprétation d'une convention collective ou sa validité est contestée à l'occasion d'un recours dirigé contre un arrêté d'extension, le juge administratif, placé devant une question préjudicielle, doit surseoir à statuer (1). De même, lorsque, comme en l'espèce, le juge administratif est appelé à statuer sur le recours formé par un salarié protégé, contre la décision d'un inspecteur du travail ayant autorisé sa mise à la retraite, il doit surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur les questions préjudicielles ayant trait à l'interprétation de l'accord collectif sur le fondement duquel la mise à la retraite a été décidée. Reste alors à déterminer la juridiction judiciaire compétente.

  • Conseil de prud'hommes ou tribunal de grande instance

On sait qu'en vertu de l'article L. 511-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1723GZT, art. L. 1411-1, recod. N° Lexbase : L0263HXZ), le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître de tous les différends individuels nés du contrat de travail. Cette formule exclut, à l'évidence, les différends collectifs. Par suite, et s'agissant de l'interprétation d'une convention ou d'un accord collectif, si le litige oppose groupements patronaux et syndicats de salariés, il convient de saisir le tribunal de grande instance (2).

En revanche, et ainsi que le rappelle la Chambre sociale dans l'arrêt rapporté, le juge prud'homal est compétent pour connaître de l'interprétation d'un accord collectif, lorsque celle-ci est nécessaire à la solution d'un litige lié au contrat de travail d'un salarié (3). En outre, et la précision apportée par la Cour de cassation sur ce point n'est que la conséquence de ce qui vient d'être dit, ce même conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur une question préjudicielle relative à l'interprétation d'un accord collectif posée par le juge administratif dans le cadre d'un litige individuel opposant le salarié à son employeur. Tel était le cas en l'espèce, la question préjudicielle étant relative à la situation individuelle du salarié qui contestait les conditions de sa mise à la retraite, lesquelles étaient liées à l'interprétation de la convention collective applicable dans l'entreprise.

II L'interprétation par les parties signataires

  • L'avenant interprétatif

Lorsque le sens d'une disposition conventionnelle fait problème, les parties signataires de la convention ou de l'accord collectif peuvent éprouver le besoin de préciser quelle a été leur volonté commune lors de sa conclusion. L'acte conclu doit, alors, être qualifié d'avenant interprétatif. Celui-ci doit être soigneusement distingué d'un avenant de révision (4). Tandis que ce dernier conduit à une modification substantielle de l'acte juridique initial, le premier ne fait qu'interpréter une ou plusieurs de ses clauses.

La distinction entre avenant interprétatif et avenant de révision est fondamentale dans la mesure où, à l'image d'une loi interprétative (5), le premier va s'imposer de façon rétroactive aux juges, à l'employeur et aux salariés (6). La qualification de l'avenant conclu ne saurait, cependant, être abandonnée aux parties signataires. Ainsi qu'en témoigne l'arrêt sous examen, elle relève du pouvoir du juge.

En l'espèce, l'article 9.3.2 de l'accord du 22 décembre 1998, signé entre l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction, d'une part, et la Fédération des travailleurs de la céramique, des carrières et matériaux de construction CGT-FO, d'autre part, autorisait un employeur à mettre à la retraite un salarié âgé de moins de soixante-cinq ans, sous réserve que ce salarié puisse bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein versée par la Sécurité sociale et qu'il puisse faire liquider sa pension de retraite complémentaire sans abattement. Aux termes de l'avenant conclu entre les mêmes parties le 21 mars 2001 et qualifié par elles d'interprétatif, la pension de retraite complémentaire doit s'entendre de celle acquise au titre des tranches A et B, à l'exclusion de celle acquise au titre de la tranche C qui ne peut être liquidée avant l'âge de soixante-cinq ans. Selon la Cour de cassation, les juges d'appel ont décidé à bon droit que cet avenant modifie les conditions de mise à la retraite des salariés cadres cotisants au titre de la tranche C. Par suite, étant, dès lors, dépourvu de caractère interprétatif, il ne peut s'appliquer à une mise à la retraite prononcée antérieurement.

Cet arrêt confirme que seul un avenant interprétatif peut avoir un effet rétroactif à l'exclusion de tout avenant de révision. Les juges se doivent d'apprécier si l'acte juridique conclu modifie, ou non, les stipulations de l'accord initial. Si tel est le cas, la qualification d'avenant de révision s'impose et celui-ci ne peut produire effet que pour l'avenir.

Au-delà, il importe encore d'ajouter que la qualification d'avenant interprétatif ne peut être retenue que si l'acte juridique est conclu par l'ensemble des parties à l'accord initial (7). A défaut, cela n'a, cependant, pas pour effet de disqualifier l'accord en avenant de révision dès lors, à tout le moins, qu'il n'apporte aucune modification à l'acte initial. Celui-ci reste un avenant de révision. Toutefois, et faute d'être conclu par l'ensemble des parties signataires de l'acte initial, il ne lie pas le juge.

Une dernière question reste posée : celle de savoir si un avenant interprétatif est soumis au principe majoritaire. Dans la mesure où ce dernier relève de la catégorie des accords collectifs, une réponse affirmative paraît s'imposer (8). Ce raisonnement, un peu trop simpliste, peut, cependant être contesté. En effet, et ainsi qu'il a été vu, il ne s'agit nullement ici de créer des stipulations conventionnelles nouvelles, mais bien de préciser celles de l'acte initial. Ce qui importe donc, ce n'est pas tant de déterminer la légitimité des parties à l'acte, que de connaître leur volonté au moment de sa conclusion.

  • L'avis d'une commission paritaire

Il est fréquent que l'interprétation des conventions ou accords collectifs, spécialement lorsqu'ils sont conclus au niveau de la branche, soit réservée, par la norme conventionnelle elle-même, à une commission paritaire, composée des personnes qui l'ont négociée et dont la mission devient, ainsi, permanente (9).

La Cour de cassation considère que l'avis donné par la commission paritaire ne lie pas le juge, sauf si la convention collective prévoit que l'avis en question a valeur d'un avenant à la convention. Dans ce cas, le juge n'a plus à interpréter une clause ambiguë, il doit appliquer une clause conventionnelle claire et précise (10).

Bien que la Chambre sociale n'ait, à notre connaissance, jamais été saisie de la question, il paraît pouvoir être avancé que le juge doit s'interroger sur le fait de savoir si l'avis donné par la commission paritaire revêt bien un caractère interprétatif. Si tel est le cas, et à condition que la norme conventionnelle aille en ce sens, il est lié par cet avis, qui s'impose à lui de façon rétroactive.


(1) CE, 4 mars 1960, Féd. Industr. Chim., Dr. soc., 1960, p. 342. La Cour de cassation retient le même point de vue : Cass. civ. 2, 12 juillet 1963, JCP 1964, II, 13495, note P. S. et Ch. G..
(2) Il en va de même lorsqu'est en cause la validité de la norme conventionnelle. Sur l'ensemble de la question, v., notamment, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, pp. 1322 et s..
(3) V., antérieurement, Cass. soc., 15 janvier 2002, n° 00-41.117, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ Mme Pascale Kempf-Dierstein, FS-P (N° Lexbase : A7932AX3), RJS, 4/02, n° 467.
(4) Lire, sur la question, nos obs., Précisions quant aux avenants interprétatifs des accords collectifs de travail, Lexbase Hebdo n° 47 du 14 novembre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N4703AAG).
(5) Ce rapprochement peut être perçu comme une illustration du caractère réglementaire de la norme conventionnelle. Mais le caractère rétroactif de l'avenant interprétatif s'explique tout aussi bien au regard des principes les plus classiques du droit des contrats.
(6) Cass. soc., 1er décembre 1998, n° 98-40.104, Caisse d'allocations familiales de l'Essonne c/ Mme Castiaux et autres (N° Lexbase : A4795AGP), Dr. soc., 1999, p. 303, obs. J. Savatier. On se reportera à ces observations pour des précisions sur les conséquences de cet effet rétroactif. A titre d'exemple, on peut souligner que, lorsque l'avenant interprétatif est intervenu postérieurement à la décision des juges du fond et que celle-ci ne lui est pas conforme, la cassation est inévitable.
(7) V., en ce sens, Cass. soc., 1er décembre 1998, n° 98-40.104, préc..
(8) Ce qui peut entraîner de sérieux problèmes. En effet, et bien qu'elle soit peu envisageable en fait, l'hypothèse selon laquelle des syndicats majoritaires lors de la signature de l'acte ne le seraient plus lors de la négociation de l'avenant interprétatif n'est pas à exclure.
(9) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, ouvrage préc., § 813.
(10) Cass. soc., 11 octobre 1994, n° 90-41.818, Mme Longlade c/ Caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines et autre (N° Lexbase : A1206AAW), Bull. civ. V, n° 272 ; Dr. soc., 1995, p. 359, note M.-A. Moreau.


Décision

Cass. soc., 18 mars 2008, n° 07-41.813, Société Toupret c/ M. René Jardin et a., FS-P+B (N° Lexbase : A4964D7Y)

Rejet de CA Paris, 18ème ch., sect. C, 8 février 2007, n° 06/00981, SA Toupret c/ M. René Jardin (N° Lexbase : A1708DYW)

Texte concerné : C. trav., art. L. 511-1 (N° Lexbase : L1723GZT, art. L. 1411-1, recod. N° Lexbase : L0263HXZ)

Mots-clefs : convention collective ; accord collectif ; interprétation ; avenant interprétatif ; caractère rétroactif ; interprétation par le juge ; compétence du conseil de prud'hommes ; juridiction administrative ; question préjudicielle.

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Immobilier - Bulletin d'actualités n° 2

[Textes] Bulletin d'actualités en droit immobilier : actualités législatives - Cabinet Peisse Dupichot Zirah Bothorel & Associés - Avril 2008

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N6293BES

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Le 07 Octobre 2010

Tous les deux mois, le Cabinet Peisse Dupichot Zirah Bothorel & Associés, en partenariat avec les éditions Lexbase, sélectionne l'essentiel de l'actualité législative relative au droit immobilier.
  • Loi n° 2008-111 du 8 février 2008, pour le pouvoir d'achat (N° Lexbase : L8013H38) : quelles incidences sur les baux d'habitation ?

La loi du 8 février 2008 sur le pouvoir d'achat a des incidences particulières en matière de baux et plus spécifiquement de baux d'habitation.

Ainsi, son article 9 modifie-t-il certaines dispositions de l'article 17 de la loi du 6 juillet 1989 (N° Lexbase : L8461AGH) afin de permettre un meilleur encadrement de la révision annuelle des loyers. L'article 17 précité dispose, notamment, que lorsque le contrat de location prévoit la révision du loyer, celle-ci intervient chaque année à la date convenue entre les parties ou, à défaut, au terme de chaque année du contrat. Désormais, l'augmentation du loyer qui en résulte ne peut excéder la variation d'un indice de référence des loyers publié par l'Institut national de la statistique et des études économiques chaque trimestre et qui correspond à la moyenne, sur les douze derniers mois, de l'évolution des prix à la consommation, hors tabac et hors loyers.

Le texte modifié, issu d'une précédente réforme de 2005 (loi n° 2005-841 du 26 juillet 2005, relative au développement des services à la personne N° Lexbase : L8799G9R), envisageait l'application d'un indice de référence des loyers dont les modalités de calcul s'appuyaient, notamment, sur l'évolution des prix à la consommation, du coût des travaux d'entretien et d'amélioration du logement à la charge des bailleurs et de l'indice du coût de la construction. Ce mode de calcul n'a pas permis d'encadrer de manière satisfaisante l'évolution des loyers. C'est la raison pour laquelle le nouvel indice fait référence à l'évolution des prix à la consommation, hors tabac et hors loyers.

Cette disposition est applicable aux contrats en cours et aux contrats conclus à compter de la publication de la loi du 8 février 2008. Ce nouvel indice sera notamment applicable aux locations en "meublés" (CCH, art. L. 632-1, al. 3, nouveau).

L'article 10 de la loi du 8 février 2008 modifie l'article 22 de la loi du 6 juillet 1989, relatif au dépôt de garantie. Afin de faciliter l'accès des jeunes et/ou des plus démunis aux biens loués, le montant du dépôt de garantie généralement exigé par les bailleurs est, désormais, plafonné à un mois de loyer en principal (au lieu de deux précédemment prévus).

Cette nouvelle disposition est applicable aux contrats conclus à compter du 9 février 2008. Le dépôt de garantie, qui doit être versé au bailleur lors de la signature du bail, peut l'être directement par le locataire ou par l'intermédiaire d'un tiers.

Il convient d'indiquer qu'une récente réponse ministérielle a précisé qu'il ne serait pas pertinent de fixer le taux des indemnités éventuellement dues au locataire en cas de restitution tardive du dépôt de garantie au-delà du taux légal en vigueur (QE n° 02292 de M. Bertrand Auban, JO Sénat 25 octobre 2007 p. 1907, réponse publ. 28 février 2008 p. 404, 13ème législature N° Lexbase : L8567H3P). En effet, le délai de remboursement du dépôt de garantie au locataire suppose que la régularisation des charges de copropriété soit intervenue avant cette restitution. Or, ce n'est pas toujours le cas, et les tribunaux admettent que le bailleur restitue au locataire sortant 80 % du dépôt de garantie dans ce délai et ne rembourse le solde dû qu'après la régularisation annuelle, sans intérêt.

L'article 11 de la loi du 8 février 2008 permet, enfin, au bailleur (ou au prêteur) de percevoir directement l'allocation de logement social ou l'allocation de logement familial qui viendra en déduction du montant du loyer à payer ou de la mensualité d'emprunt à rembourser (CSS, art. 553-4, II, nouvelle rédaction).

  • Déclaration préalable en matière de cession de fonds artisanaux, de commerce ou de baux commerciaux : un formulaire en ligne !

En vue de permettre aux commerces de première nécessité et de proximité de se maintenir en milieu rural et dans certains quartiers des grandes villes, le législateur a reconnu aux communes un droit de préemption, en cas de cession de fonds de commerce ou artisanal ou de bail commercial (loi n° 2005-882 du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises, art. 58 N° Lexbase : L7582HEK). Ces nouvelles dispositions n'étaient, toutefois, pas applicables, tant qu'un décret, pris en Conseil d'état, n'en avait pas précisé les conditions d'application (C. urb., art. L. 214-3 N° Lexbase : L5589HBM). Le décret d'application a été publié le 28 décembre 2007, soit plus de deux ans après la création de ce droit (décret n° 2007-1827 du 26 décembre 2007, relatif au droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux N° Lexbase : L6840H3Q, et les obs. de J. Prigent Publication du décret relatif au droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux (première partie) (N° Lexbase : N8659BD3) et seconde partie (N° Lexbase : N0345BEI), Lexbase Hebdo n° 290 et 291 des 31 janvier et 7 février 2008 - édition privée générale).

Le nouveau droit de préemption n'était, toutefois, toujours pas applicable, dans la mesure où le nouvel article R. 214-4 du Code de l'urbanisme subordonne sa mise en oeuvre à l'édiction, par arrêté interministériel, des formes de la déclaration préalable prévue au deuxième alinéa de l'article L. 214-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L5587HBK).

L'arrêté du 29 février 2008 (arrêté du 29 février 2008, relatif à la déclaration préalable à la cession de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux et modifiant le Code de l'urbanisme N° Lexbase : L8563H3K, JORF n° 077 du 1er avril 2008, p. 5408) vient préciser que la déclaration préalable d'intention de céder un fonds ou un bail commercial doit être établie conformément au formulaire Cerfa enregistré par la Direction générale de la modernisation de l'Etat et disponible (prochainement) sur le site internet du ministère de l'Ecologie, du Développement et de l'Aménagement durables.

La déclaration préalable devra être effectuée en quatre exemplaires et être adressée, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, à la mairie de la commune où est situé le fonds ou l'immeuble dépendant des locaux loués. Elle pourra, également, être déposée en mairie, contre récépissé. Aux termes de l'alinéa 2 de l'article L. 214-1 du Code de l'urbanisme, la sanction du défaut de déclaration est sévère, puisqu'il entraînera la nullité de la cession.

  • Sécurité des ascenseurs : report de la première échéance de mise en conformité au 31 décembre 2010

La loi du 2 juillet 2003, dite loi "Urbanisme et habitat", a imposé des mesures visant à renforcer la sécurité des usagers dans les ascenseurs (loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003, art. 79 N° Lexbase : L6770BH9). Un décret d'application a été publié au Journal officiel du 10 septembre 2004 (décret n° 2004-964 du 9 septembre 2004, relatif à la sécurité des ascenseurs et modifiant le Code de la construction et de l'habitation N° Lexbase : L7715GTW). Aux termes de ce texte, les propriétaires des ascenseurs en fonctionnement, qui ne satisfont pas à certaines exigences de sécurité, devront réaliser des travaux de sécurité par tranches sur une durée maximale de 15 ans. La première série de travaux -qui devait initialement être réalisée avant le 3 juillet 2008- comprend les mesures les plus importantes pour améliorer la sécurité comme, par exemple, le verrouillage des portes palières en cas de non-présence de l'ascenseur à l'étage, ou la clôture de la gaine d'ascenseurs ou encore la mise en place d'un dispositif destiné à éviter les chutes dans la gaine lorsque l'ascenseur est arrêté entre deux paliers. Le décret du 28 mars 2008, publié au Journal officiel du 30 mars, vient de repousser cette première échéance de mise en conformité des ascenseurs au 31 décembre 2010 (décret n° 2008-291, modifiant le décret n° 2004-964 du 9 septembre 2004, relatif à la sécurité des ascenseurs, et le Code de la construction et de l'habitation N° Lexbase : L8538H3M). L'article R. 125-1-2 du Code de la construction et de l'habitation est ainsi modifié (N° Lexbase : L8222GTP).

James Alexandre Dupichot,
Avocat associé
Marine Parmentier,
Avocat

Contact :
SELARL Peisse Dupichot Zirah Bothorel & Associés,
22 avenue de Friedland
75008 Paris

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Sociétés

[Textes] Dépénalisation du droit des affaires et droit des sociétés, réflexions sur le rapport "Coulon"

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Le 07 Octobre 2010

"L'un des plus grands freins opposés aux délits, c'est non pas la rigueur des peines, mais leur infaillibilité". Cette formule de Cesare Beccaria (1), qui demeure l'un des pères du droit pénal moderne, aurait pu inspirer les rédacteurs du rapport sur la dépénalisation du droit des affaires remis à Madame la Garde des Sceaux, le 20 février 2008. Ce rapport, que la presse dénomme déjà le rapport "Coulon", visait à remplir une mission aux finalités larges mais au champ d'application limité, puisqu'elle a été restreinte, par la lettre du ministre, au droit des sociétés, au droit financier et au droit de la consommation. La commission avait, en l'espèce, une tâche ardue à accomplir, puisqu'elle ne disposait que d'un bref délai pour mener à bien ses travaux, mais elle a pu, en contrepartie, s'appuyer sur une somme théorique conséquente, constituée de rapports antérieurs, de facture récente, et dont certains traits semblent avoir constitué la trame de sa réflexion. Pour autant, le rapport actuel sur la dépénalisation du droit des affaires avait à répondre à d'autres exigences que celles qui pesaient sur ses devanciers. En effet, le mouvement de dépénalisation a déjà été entamé, la loi sur les nouvelles régulations économiques ("NRE") du 15 mai 2001 (loi n° 2001-420 N° Lexbase : L8295ASZ) et la loi de sécurité financière ("LSF") du 1er août 2003 (loi n° 2003-706 N° Lexbase : L3556BLB ayant introduit un certain nombre d'amélioration des dispositifs de sanction existants. Le rapport se devait, donc, de donner une nouvelle impulsion à la dépénalisation du droit des affaires, voire de proposer des solutions permettant de parachever cette évolution. C'est, dans ce contexte, que le rapport met d'abord en perspective un certain nombre d'approches conceptuelles de la dépénalisation (I), avant de préconiser des solutions pratiques (II), éventuellement transposables dans une future loi renouvelant les mécanismes de sanctions en droit des affaires.

I - Une approche conceptuelle de la dépénalisation

La question de la dépénalisation peut être appréhendée de différentes façons, ainsi que le souligne le rapport. Elle peut, en effet, être envisagée comme un mouvement tendant à supprimer la sanction, situation d'ailleurs qui caractérise assez fréquemment la dépénalisation en droit général. Sans écarter cette solution, la commission préconise plutôt la révision de la nature de la sanction et son remplacement, éventuel, par d'autres mécanismes. Ces deux mouvements complémentaires, que constituent la suppression de la sanction et sa substitution, ne peuvent, toutefois, être envisagés qu'après qu'ait été résolue la question préalable de la détermination de ce qui doit être conservé dans le champ de la sanction pénale (A). La réponse à cette question devrait permettre, dans un second temps, de fixer les modalités de la dépénalisation (B).

A - Que conserver dans le champ de la sanction pénale ?

A défaut d'une approche commune à l'ensemble des sanctions du droit des affaires, de nombreux rapports avaient déjà été rédigés, s'agissant des sanctions du droit spécial et, notamment, en matière de droit des sociétés. Le rapport de Monsieur le Sénateur Marini (2) en 1996, précédé de celui de la commission dirigée par le Président Bézard en 1994, avait, de la sorte, fait ressortir qu'il paraissait nécessaire de conserver leur caractère pénal à 5 grandes catégories d'infractions : celles qui étaient relatives aux comptes, à l'émission de valeurs mobilières, aux fraudes dans la gestion (et plus particulièrement l'abus de bien sociaux), à la tenue des assemblées et, enfin, à la liquidation. Pour le reste, les préconisations renvoyaient à la substitution des actions civiles aux sanctions pénales. Ces solutions ont, d'ailleurs, été adoptées pour opérer la réforme de certaines sanctions dans la loi "NRE" et la loi "LSF".

Contraints d'aller plus loin que la dépénalisation déjà achevée, les membres de la commission ont, sans doute, été tenus d'avancer à pas plus mesurés que leurs prédécesseurs. Ainsi, indépendamment des autres matières visées par le rapport (qui traite essentiellement du droit de la consommation et accessoirement du droit de la concurrence), les rédacteurs ont insisté, au plan conceptuel, sur les différences de présentation des enjeux d'une réforme du droit des affaires par les différentes parties en cause.

Ainsi, il ressort que le principal reproche adressé par les représentants des sociétés à l'encontre du choix d'une sanction pénale pour encadrer le droit des affaires résidait dans l'impact négatif de ces procédures, tant pour les organismes en cause que pour leurs dirigeants. En effet, le préjudice commercial subi, à l'occasion d'un procès pénal, a été décrit comme étant particulièrement important, en raison, surtout, de la disproportion entre la médiatisation de la mise en examen et le silence qui accompagne, généralement, le prononcé d'un non-lieu, souvent impuissant à réhabiliter l'entreprise aux yeux du public. Les conséquences financières en seraient, donc, considérables dans des affaires où, parfois, la responsabilité pénale n'est pas retenue, alors qu'une sanction civile aurait sans doute été plus efficace, mieux adaptée et moins médiatisée.

D'autres acteurs du droit des sociétés ont pu insister, par ailleurs, dans les débats de la commission, sur le manque de stabilité et de cohérence du droit pénal des affaires, ces incertitudes introduisant une insécurité juridique propice à une instrumentalisation de la justice pénale par des concurrents ou des groupes de pression malveillants. Pour autant, ces derniers ont souligné, de façon paradoxale, que le recours au droit pénal s'avérait indispensable dans certaines hypothèses, car subordonnant l'action publique au respect du principe de légalité. Reste qu'une autre vision de la dépénalisation a été proposée, davantage centrée sur une analyse économique du droit, fondée sur la recherche de la compétitivité de l'ordre juridique interne dans le cadre d'une approche globalisée des marchés. La rénovation du droit pénal des affaires, à ce titre, a été présentée comme une réforme indispensable pour restaurer "l'attractivité du territoire pour les investisseurs", dans un marché global où les Etats s'affrontent pour proposer un encadrement juridique propice à la vie des affaires.

Enfin, illustrant le mouvement d'équilibre que le droit se trouve contraint de réaliser entre la protection des intérêts particuliers et les intérêts collectifs, de nombreux membres de la commission ont, à l'inverse, souligné la nécessité de retenir une approche permettant de conserver une logique de sauvegarde de l'intérêt général en mettant en oeuvre un "ordre public de protection" (3). Au nom de la restauration de la "confiance légitime dans le marché" (4) le renforcement de l'encadrement des conventions destinées à protéger la partie faible des contrats ainsi que les intérêts collectifs a été ainsi proposé, en corollaire à une dépénalisation limitée, le terme de "noyau dur" (5) du droit pénal des affaires ayant été évoqué à cette occasion.

Ces approches, fort différentes, démontrent qu'en l'espèce une dépénalisation ne saurait être envisagée qu'en considération du caractère contradictoire des enjeux dégagés par les différents représentants de la commission. On aurait pu craindre, dans ce contexte, que les contradictions, ainsi mises à jour, ne débouchent que sur un statu quo en raison de la nécessité d'équilibrer ce que Ripert aurait pu appeler, en son temps, les "forces créatrices du droit" (6). Il apparaît, cependant, que le rapport "Coulon", que chaque partie pourra, selon la perspective adoptée, trouver trop timoré quant à ses propositions ou, au contraire, insuffisamment protecteur, repose, avant tout, sur l'établissement d'un consensus fondé sur la recherche de l'efficacité. Cette approche, au-delà de la seule démarche volontariste, clairement exprimée dans le rapport, repose, en effet, sur des bases techniques qui font apparaître des points de convergence entre les différents groupes d'intérêts représentés.

S'agissant, d'abord, de la nécessité de maintenir des sanctions pénales, les représentants de la société civile adoptent, dans une certaine mesure, la même position que les entreprises. Les sociétés, comme les particuliers, sont, en réalité, potentiellement touchées par les agissements illégaux, quelle qu'en soit la source. Ainsi, loin de s'opposer sur ce point, ces deux catégories d'acteurs appellent de leurs voeux un surcroît de protection que, parfois, le droit pénal est seul à même de garantir. Au surplus, chacun s'accorde sur la recherche d'un accroissement de la sécurité juridique et, même si les analyses divergent, aucun observateur ne rejette, a priori, l'utilisation d'autres voies que celles du droit pénal pour parvenir à imposer cette sécurité juridique. Enfin, il apparaît que, si un consensus semble se dégager, la raison en tient à la limitation des domaines concernés par la dépénalisation. En effet, le groupe de travail a eu pour mission de soumettre des propositions afin de "limiter le risque pénal des entreprises et d'envisager des modes de régulation", mais ces investigations ont été limitées au droit des sociétés, au droit financier et au droit de la consommation. Ainsi, des domaines juridiques considérables ont été écartés du champ des travaux de la commission, cette dernière excluant en plus, d'elle-même, l'étude de la majeure partie du droit des marchés financiers et ouvrant, hors mission, sa réflexion à l'analyse du droit de la concurrence.

On verra, dans la conjonction de ces différents éléments, le gage de la pertinence des propositions présentées au Garde des Sceaux. On peut, à ce titre, constater que les préconisations du rapport "Coulon" ne sauraient que s'insérer dans un mouvement déjà largement entamé de dépénalisation. Dans le domaine restreint du droit des sociétés, qui limite le champ de cette étude, d'importantes avancées ont ainsi déjà été réalisées par le législateur et la commission arrive -ratione temporis- à un point nodal, alors que la part la plus aisée des réformes a déjà été mise en oeuvre et qu'il reste à ordonnancer des transformations largement plus sensibles que celles qui ont déjà été initiées.

B - Comment dépénaliser ?

A la question de savoir comment opérer la dépénalisation, s'ajoute celle de savoir s'il reste, en droit des sociétés (7), des infractions susceptibles d'être dépénalisées et si d'autres procédés de sanction peuvent être éventuellement instaurés pour parfaire le mouvement amorcé. On peut, ainsi, fixer grossièrement le point de départ de ce mouvement aux premières critiques apportées à la loi de 1966 (loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, sur les sociétés commerciales N° Lexbase : L6202AGS), qui comportait à l'époque 70 articles consacrés au droit pénal (8). Matérialisant la structure originelle du droit pénal des affaires (9), elle consacrait la distinction entre deux séries d'infractions. Celles, d'abord, qui concernent des fraudes spécifiques au droit des affaires, qui ne pouvaient être sanctionnées sur le fondement du droit commun en raison du principe d'interprétation stricte des lois pénales (10), et celles, dites "formelles", ensuite, qui avaient pour objet d'imposer aux dirigeants le respect de contraintes liées au bon fonctionnement des sociétés et à la protection des tiers. Ainsi, si la nature pénale des sanctions relevant des fraudes spéciales n'était pas critiquée par la doctrine, il n'en allait pas de même des infractions "formelles", dont nombre d'auteurs prônaient la dépénalisation

La dépénalisation du droit des sociétés va s'amorcer, beaucoup plus tard, avec la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, qui va supprimer une vingtaine de délits créés par la loi de 1966. Toutefois, la technique de dépénalisation retenue démontre que le législateur avait, à l'époque, des préoccupations exclusivement techniques. Ainsi ce sera, en premier lieu, l'inefficacité de la sanction qui sera invoquée pour dépénaliser, au motif de l'existence d'un délai trop long entre la commission de l'infraction et le prononcé de la sanction. Ce sera, en second lieu, la prise en considération du cumul de certaines infractions spécifiques à la constitution des sociétés avec des infractions de droit commun (escroquerie ou faux en écritures), qui conduira à la suppression de trois d'entre elles.

Ce seront, en revanche, les lois de sécurité financière et pour l'initiative économique ("LIE") du 1er août 2003 (loi n° 2003-721 N° Lexbase : L3557BLC) qui traduiront, les premières, une volonté politique de dépénalisation active, en substituant des nullités aux infractions qui sanctionnaient la violation d'obligations formelles. Les prémisses d'une approche de la sanction pénale par la considération de la qualité de la personne/victime feront, également, jour à cette occasion, avec la dépénalisation de l'usure entre professionnels. Quant aux derniers textes -les ordonnances du 25 mars 2004 sur la simplification du droit et des formalités pour les entreprises (ordonnance n° 2004-274 N° Lexbase : L4315DPI) et du 24 juin 2004 sur les valeurs mobilières (ordonnance n° 2004-604, portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales et extension à l'outre-mer de dispositions ayant modifié la législation commerciale N° Lexbase : L5052DZ7)-, ils mettront en oeuvre une nouvelle dépénalisation au profit de sanctions civiles.

La dépénalisation du droit des sociétés a donc été opérée, jusqu'à présent, au moyen de deux méthodes, par ailleurs, identifiées par la commission dans la rubrique des "désincriminations" :

- d'abord la dépénalisation, qualifiée de "sèche" (11) par la commission, consistant en une modification textuelle "qui consiste à mettre fin à l'illicéité d'un comportement" (12). Ainsi en a-t-il été, par exemple, de la suppression de l'usure entre professionnels ;
- ensuite, la dépénalisation par substitution, mécanisme de remplacement de la sanction pénale par des mécanismes civils, administratifs, ou disciplinaires, éventuellement en les combinant, solution qui a été retenue, notamment, par la "LSF" s'agissant des infractions formelles.

Il reste qu'une autre technique de "désincrimination", non encore utilisée, a été présentée, consistant en une "réduction du périmètre de la qualification pénale, en modifiant ses éléments constitutifs, matériel ou moral" (13). C'est ainsi qu'on pourrait imaginer que, sur ces fondements, le délit d'abus de biens sociaux soit redéfini afin de réaliser une dépénalisation qualitative, l'incrimination pouvant par elle-même être maintenue.

Ainsi, de facto, trois voies s'offrent au législateur :

- la suppression de l'incrimination pénale et de la sanction ;
- la modification de l'incrimination pénale et/ou de la sanction ;
- la suppression de l'incrimination pénale, mais la substitution, à l'ancienne sanction, de mécanismes juridiques suffisamment dissuasifs pour satisfaire aux exigences de sécurité des affaires et de préservation des intérêts des victimes potentielles.

C'est, d'ailleurs, sur ce dernier point, que le rapport s'avère être le plus exhaustif. En effet, la commission se plaît à souligner l'extrême diversité des outils juridiques substituables aux sanctions pénales et en dresse une véritable typologie, précisant leurs avantages et leurs limites intrinsèques. Cette classification, particulièrement riche, qui ne saurait être restituée dans son intégralité, peut, toutefois, être présentée de façon raisonnée en fonction de ses axes principaux, sachant que, pour l'essentiel, les membre de la commission renvoient à des mécanismes déjà utilisés dans les lois emportant dépénalisation. Ainsi, est-il possible d'identifier, à travers les propositions du rapport, l'existence de trois techniques spécifiques.

En premier lieu, la commission envisage de substituer des mécanismes civils aux sanctions pénales. C'est ainsi qu'elle préconise de remplacer les peines d'emprisonnement et d'amende par des amendes civiles, des injonctions de faire, des nullités, des sanctions civiles contractuelles et la réparation du droit commun de la responsabilité civile.

La commission, en deuxième lieu, se propose de recourir à un encadrement par la puissance publique, qu'il s'agisse d'un contrôle préalable à l'immatriculation (s'agissant de la création d'entreprise), ou de l'attribution d'un pouvoir d'injonction administrative (14), voire de sanctions administratives par les services de l'Etat -ces deux derniers mécanismes étant déjà mis en oeuvre par la Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)-. Dans un cadre quelque peu différent, elle propose, également, la substitution de sanctions infligées par les autorités administratives indépendantes.

Enfin, solutions qui nous paraissent plus anecdotiques, le rapport envisage, pour assurer cette substitution, de recourir à des procédés inédits, tels la mise en place de codes de déontologie ainsi que le lancement d'actions de formation dont les entrepreneurs seraient les destinataires.

II - La mise en oeuvre de la dépénalisation

Les propositions formulées révèlent que l'approche conceptuelle de la commission est quelque peu différente du traitement pratique de la dépénalisation. Si, en effet, dans l'absolu, le rapport envisage la mise en oeuvre d'un nombre important de techniques, il ne retient, matériellement, qu'un nombre limité de solutions et procède essentiellement par substitution de sanctions civiles aux sanctions pénales. Cette limitation apparaît distinctement lorsqu'on considère, d'une part, les propositions précises qui relèvent de la dépénalisation substantielle (A) et, d'autre part, les considérations prospectives (B) tenant, soit au contenu de la norme pénale, soit à sa mise en oeuvre.

A - Les propositions substantielles de dépénalisation

Le principe de substitution des sanctions civiles aux sanctions pénales s'illustre, dans le rapport, par la mise en oeuvre de 5 procédés distincts, qui présentent le mérite d'avoir fait la preuve de leur efficacité. Injonctions de faire avec astreintes, nullités, constituent, ainsi, l'essentiel de la réforme proposée et il n'est que dans quelques situations limitatives que l'on assiste à une véritable dépénalisation. On constate, en effet, que la suppression des sanctions sans substitution n'est envisagée que dans des hypothèses extrêmement rares.

La commission préconise, d'abord, la suppression des peines d'emprisonnement, mais une augmentation, en contrepartie, de l'amende, dans les cas prévus par l'article L. 244-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L6449AIP), c'est-à-dire relatifs à la non-consultation des associés en cas de variation du capital, de fusion, de scission ou de transformation. On relèvera qu'il ne saurait s'agir, en l'espèce, d'une dépénalisation stricto sensu, puisque, d'une part, l'amende serait augmentée et que, d'autre part, le prononcé de peines d'emprisonnement pour ce type d'infraction est toujours demeuré, à notre connaissance, purement hypothétique. On peut ainsi douter de la diminution réelle des sanctions pour les sociétés.

La suppression de la peine d'emprisonnement semble, en revanche, correspondre à une véritable dépénalisation, mais pour le seul article L. 247-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6471AII) qui sanctionne l'absence de mention dans les documents comptables de l'état des participations.

La substitution, en revanche, connaît un meilleur sort, d'abord avec le remplacement de certaines sanctions pénales par des injonctions de faire avec astreintes. Sur ce point, les propositions foisonnent. Tel est le cas, d'abord, pour l'article L. 241-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6406AI4) qui sanctionne l'omission, dans les sociétés à responsabilité limitée (SARL), de la déclaration de répartition des parts dans les statuts. La substitution, toujours dans le cas des SARL, concerne également l'article L. 241-5 (N° Lexbase : L6410AIA), qui sanctionne l'absence d'assemblée, et l'article L. 241-6 (N° Lexbase : L6411AIB), qui sanctionne, lui, l'absence de décision lorsque les capitaux propres deviennent inférieurs à la moitié du capital social. S'agissant des sociétés anonymes (SA) la commission procède selon la même logique. En effet, elle dépénalise également l'absence de réunion d'une assemblée générale extraordinaire devant décider de la dissolution, et l'absence d'information au greffe du tribunal de commerce lorsque les capitaux propres deviennent inférieurs à la moitié du capital social (C. com., art. L. 242-29 N° Lexbase : L6443AIH)

De même, elle substitue des injonctions aux sanctions pénales en cas d'absence de réunion de l'assemblée annuelle (C. com., art. article L. 242-10 N° Lexbase : L6424AIR) avec, toutefois, cette réserve considérable que la sanction serait maintenue pour les sociétés faisant appel public à l'épargne. Les injonctions de faire s'appliqueraient, par ailleurs, aux situations prévues par es articles L. 245-4 (N° Lexbase : L6455AIW) (détention par les dirigeants d'actions à dividende prioritaire sans droit de vote), L. 247-2 (N° Lexbase : L8795G8A) (mise au nominatif des actions appartenant aux dirigeants ou à leurs proches) et L. 247-10 (N° Lexbase : L6480AIT) (absence de la mention "société à capital variable" sur les documents sociaux). S'agissant, donc, des injonctions de faire, il est possible, en simplifiant, de les rattacher à une logique d'abaissement des sanctions pour des fautes formelles. Pourtant, le procédé, en lui-même, risque d'être contesté car la modification de la plupart de ces infractions risque d'atteindre directement les droits des créanciers. Tel est le cas, notamment, lorsque les capitaux propres deviennent inférieurs à la moitié du capital social. Quant à l'absence de réunion de l'assemblée, la suppression de la sanction peut paraître uniquement symbolique puisque la commission prévoit le maintien de la sanction pénale en cas de défaut d'approbation des comptes, alors que l'assemblée annuelle a précisément pour fonction essentielle d'approuver les comptes de l'exercice.

Reste l'adoption de solutions purement civilistes, avec le recours aux nullités. Sur ce point, la substitution de nullités relatives est préconisée dans deux hypothèses : d'abord, pour les infractions de l'article L. 242-15 du Code de commerce (N° Lexbase : L3157DYL) qui concernent l'absence d'annexion des pouvoirs ou l'absence de procès-verbal dans les SA ; ensuite, s'agissant de l'article L. 242-20 (N° Lexbase : L6434AI7), en cas de fourniture d'informations inexactes dans les rapports présentés à l'assemblée générale des sociétés anonymes, avec cependant maintien de la sanction pénale pour les sociétés faisant appel public à l'épargne. On pourrait s'étonner de cette dernière proposition, dans la mesure où l'exactitude et la sincérité des informations sont, au fil des réformes, de plus en plus garanties. Il s'avère, toutefois, que l'abaissement de la sanction relève d'une démarche pragmatique. D'une part, la nullité présente l'avantage de constituer une sanction et de permettre que les victimes obtiennent indirectement réparation en prenant une nouvelle décision plus éclairée. D'autre part, les droits des associés ont largement été accrus, depuis la loi de 1966, quant à la possibilité de conduire des investigations relatives à la gestion de la société. Sur ce point, on soulignera que l'essor de la gouvernance d'entreprise justifie, paradoxalement, la diminution des sanctions pénales.

La commission, enfin, propose de retenir des "nullités" -sans autre précision, mais on peut penser qu'il s'agit plutôt de nullités relatives car l'intérêt en jeu est celui des créanciers internes- pour remplacer les sanctions relatives aux actions à dividende prioritaire sans droit de vote. Ainsi, la nullité sanctionnerait-elle les situations prévues par les articles L. 245-3 (N° Lexbase : L8329GQK) et suivants du Code de commerce, notamment lorsque ces actions ne sont pas rachetées en cas d'amortissement ou de réduction de capital ou que le remboursement des actions à dividende prioritaire sans droit de vote est réalisé après celui des actions ordinaires.

En revanche, pour toutes les autres sanctions pénales, la commission décide de leur maintien et les seules modifications qui sont proposées, par ailleurs, portent, essentiellement sur la modification de la prescription de l'abus de biens sociaux. Selon le rapport, le système actuel, dégagé par la jurisprudence (15), et qui fait débuter le calcul de la prescription à "compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises à la charge de la société" sauf dissimulation, conduit, parfois en pratique, à sanctionner l'abus "15 ans après les faits". A cette situation, que critique la commission, s'ajoute, selon elle, le manque de clarté sur la jurisprudence relative à la dissimulation (16). Ainsi, dans le domaine -sensible- de la réforme du délit d'abus de biens sociaux, dont on sait que le Gouvernement n'avait pas souhaité la "désincrimination", l'abus pourra être dépénalisé par la voie de la modification de la prescription.

Sur ce point, le rapport propose, plus radicalement, de réformer le "droit commun des prescriptions" (17) (en dehors de l'appréciation de la prescription en matière d'infractions continues), en prenant en considération la nécessité de réaliser une harmonisation communautaire. C'est, d'ailleurs, cette dernière contrainte qui conduit à rejeter l'intégration, dans les textes, de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la découverte et la dissimulation de l'abus de biens sociaux, au motif que la solution dégagée en droit interne n'était pas celle qui était retenue dans l'Union. Elle propose, donc, de fixer légalement le début de la prescription à la date de commission mais d'augmenter le délai en considération de la nature de cette infraction (18). Ainsi, la prescription pourrait passer : de 10 à 15 ans pour les crimes, de 3 à 7 ans pour les délits punis de peines supérieures à 3 ans d'emprisonnement et de 3 à 5 ans pour les peines inférieures, le délai de prescription d'un an des contraventions demeurant inchangé.

Reste que la commission, après ces propositions précises, ouvre un autre pan de la réflexion, plus large cette fois, qui renvoie aux axes que pourrait, éventuellement, suivre le législateur dans la voie d'une dépénalisation globale du droit des affaires.

B - Les considérations prospectives sur la dépénalisation

Le rapport "Coulon" comporte, en effet, un volet prospectif, déclinable en quatre parties, préconisant : une réorientation de la politique législative, l'harmonisation des sanctions, l'extension des mécanismes transactionnels et, enfin, une réforme procédurale pour rendre plus "effective" (19) la sanction du droit pénal des affaires.

Le rapport, dans un premier temps, tente de dégager un axe de politique législative pour les années à venir, envisageant, d'abord, une dépénalisation par le contenu et plus précisément par une modification des éléments constitutifs des infractions. Cette modification, toutefois, n'est qu'esquissée, et repose essentiellement sur un plaidoyer destiné à faire reposer l'appréciation et le traitement de certaines infractions sur de nouvelles bases. C'est ainsi, qu'en matière d'abus de biens sociaux, la commission se propose, au motif de la recherche d'une plus grande sécurité juridique, de redéfinir les éléments matériels et intentionnels de cette infraction et, notamment, la conception de la fraude qui en est à l'origine. Par ailleurs, la commission souligne que la notion d'intérêt social mériterait d'être rapprochée de notions voisines telles que "l'intérêt de l'enfant, la gestion d'un bon père de famille" (20). Elle examine, également, l'éventualité d'améliorer les règles relatives à la responsabilité pénale des personnes morales, préconisant d'adapter les sanctions à la nature d'entreprise des groupements, précisément pour les dispositions relatives à la récidive ou pour celles qui encadrent la réhabilitation judiciaire. Quant à ces orientations, assez plastiques pour que le législateur ne se sente pas tenu de les suivre, on objectera que le rapport s'écarte radicalement du domaine de la sanction pénale et touche, de la sorte, à des domaines où les enjeux diffèrent de la problématique initiale. La transposition de "l'intérêt" tel qu'il est conçu en droit de la famille et de l'intérêt social est, ainsi, pour le moins audacieuse mais rien n'indique qu'elle soit pertinente. La Cour de cassation, d'ailleurs, semble adopter une acception de l'intérêt social assez souple pour que cette notion permette d'adapter la sanction aux circonstances d'espèce. On aurait tort, pensons-nous, de lui reprocher son imprécision, alors que celle-ci nous semble volontaire et permet de restaurer le pouvoir d'appréciation du juge. On raisonnera de même pour la fraude, notion dont le caractère polymorphe peut heurter la logique, mais dont la fonctionnalité est inversement proportionnelle à sa précision. Enfin, on s'interrogera sur les propositions qui prônent un retour à la spécialisation du droit des sociétés, alors que ce principe vient d'être abandonné à l'occasion de la loi "Perben II" entrée en vigueur le 1er janvier 2006 (loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité N° Lexbase : L1768DP8).

La commission s'attache, dans un deuxième temps, à la nécessité d'envisager l'introduction d'une véritable politique d'harmonisation, que la multiplication de textes de lois isolés, édictés sans recherche de cohésion, a contribué à augmenter. L'exemple choisi, pour traiter de ce problème, celui du détournement d'actif, illustre bien, en effet, les conséquences d'un traitement législatif parcellaire des problèmes rencontrés en droit des affaires (21). Cette harmonisation, enfin, devrait, selon le rapport, reposer sur une politique en amont et en aval de la norme, d'abord par une réforme du processus de création des infractions, vraisemblablement accompagnée d'une recodification et, ensuite, par l'adoption d'un politique cohérente pour l'action publique "par des circulaires de politique pénale" (22).

Elle propose, dans un troisième temps, un élargissement des mécanismes transactionnels déjà existants. Ce sont, d'abord, les dispositifs prévus par l'article 41-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8616HWZ) qui, selon le rapport, devraient permettre de pallier des défaillances consécutives à une mauvaise organisation de l'entreprise lorsque la personne poursuivie a commis une infraction mineure. L'article 41-1 du Code de procédure pénal permet, en effet, au procureur de la République, préalablement à toute action publique, de faire procéder à différentes mesures dont un rappel à la loi, un classement sous condition de régularisation, un classement sous condition de réparation et une médiation pénale.

Lorsque les sanctions encourues sont plus importantes, ensuite, la commission renvoie à l'éventualité d'un élargissement de l'article 41-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8617HW3), qui autorise la composition pénale pour les personnes physiques. Réservée aux délits punis, à titre principal, d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement d'une durée maximale de 5 ans, elle est destinée à déboucher sur le paiement d'une amende ainsi que la réparation du préjudice subi et permettrait, éventuellement, d'offrir une sanction alternative dans le cas de petites infractions si elle était étendue aux personnes morales.

Reste l'éventualité de déboucher, enfin, sur une peine négociée, ce que permettrait la généralisation, au droit des affaires, de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité des articles 495-7 (N° Lexbase : L0876DY4) et suivants du Code de procédure pénale. Le recours à cette procédure est, toutefois, limité par les sujétions imposées par la circulaire du 2 septembre 2004 (qui prévoit que le texte ne doit être appliqué que pour des affaires simples, en état d'être jugées, dans lesquelles il existe une certaine prévisibilité de la sanction, et qui ne justifient pas une audience devant le tribunal correctionnel). Ce cadre assez strict n'empêche pas, cependant, le traitement d'infractions mineures, sans audience, ce qui permettrait d'éviter de faire supporter à l'entreprise, outre la sanction, une publicité des débats qui serait nuisible à son activité commerciale.

Il apparaît, en effet, et c'est là le quatrième temps de la réflexion de la commission, que la justice pénale se trouve parfois "instrumentalisée" (23) et détournée de ses objectifs par des concurrents ou des personnes hostiles à l'entreprise, cette dernière -même si aucune sanction n'est prononcée- supportant indûment les conséquences défavorables, en termes commerciaux, des poursuites. Ainsi, quatre mécanismes pourraient être introduits afin d'éviter les recours abusifs contre les acteurs de la vie des affaires :

- la production de pièces comptables pour que le juge puisse fixer la consignation ;
- la transformation "par principe" de la consignation en amende civile en cas de non-lieu, sauf décision contraire du juge ;
- l'allongement du délai de recevabilité de la plainte avec constitution de partie civile, de 3 à 6 mois après la plainte devant le procureur de la République ;
- la motivation des classements sans suite.

Il demeure que l'introduction de nouvelles garanties procédurales en faveur des entreprises risquerait, corrélativement, de rendre l'accès à la justice plus difficile pour les particuliers, et notamment pour les consommateurs. La commission prévoit donc d'introduire en France la possibilité, pour les particuliers, de recourir à des actions de groupe mais, toutefois, dans une optique différente de celle qui gouverne les class actions à l'anglo-saxonne. L'action de groupe s'accompagnerait de l'instauration d'un encadrement strict permettant d'éviter l'instrumentalisation, déjà évoquée, des actions pénales dirigées contre les entreprises.

Il est sans doute trop tôt pour mesurer l'influence que le rapport "Coulon" pourra avoir sur l'évolution du droit pénal des affaires. Il demeure, toutefois, que les travaux de la commission, en dépit de certaines imperfections, semblent constituer une oeuvre de consensus. La dépénalisation, ainsi, n'a pas été appréhendée comme un dogme, mais envisagée à travers une approche pragmatique, prenant en considération les besoins de protection des entrepreneurs, aussi bien que ceux de leur environnement économique et social.


(1) Cesare Beccaria, Dei delitti e delle pene (Des délits et des peines), trad. André Morellet, Paris, 1766.
(2) P. Marini, Rapport au Premier ministre, La modernisation du droit des sociétés, 1996, La documentation française.
(3) Rapport "Coulon", p. 11.
(4) Op. cit. loc. cit..
(5) Rapport "Coulon", p. 11.
(6) G. Ripert, Les forces créatrices du droit, LGDJ, 1955, spécialement sur le jeu des "forces combinées", p. 6.
(7) A venir analyse du rapport "Coulon" quant à ses aspects de droit boursier.
(8) Le rapport souligne, d'ailleurs, les divergences d'appréciation de la doctrine qui estime, selon les membres de la commission, qu'il existe entre 120 et 250 sanctions pénales en droit des affaires.
(9) Vote, le 17 juillet 1856, d'une loi portant sur les sociétés en commandite par actions qui érigera pour la première fois en infraction la distribution de dividendes fictifs.
(10) "Ainsi, la difficulté de qualifier certaines escroqueries fut la cause principale de la création d'un certain nombre d'infractions, comme la distribution fictive de dividendes. La création de l'incrimination d'abus de biens sociaux en 1935 est de la même manière issue des difficultés à appliquer la législation relative à l'abus de confiance".
(11) Rapport "Coulon", p. 11.
(12) Op. cit, loc. cit..
(13) Rapport "Coulon", p. 13.
(14) C. comsom., art. L. 141-1 (N° Lexbase : L2199HWD) : "IV. - Les agents habilités à constater les infractions mentionnées au présent article peuvent enjoindre au professionnel, en lui impartissant un délai raisonnable, de se conformer aux obligations résultant des livres Ier et III du Code de la consommation ou de faire cesser les agissements illicites ou abusifs mentionnés aux I et II du présent article".
(15) Rapport "Coulon", p. 98, renvoyant à Cass. crim. 7 décembre 1967, n° 66-91.972 (N° Lexbase : A3078AUK) "pour l'abus de biens sociaux, admettant que le point de départ de la prescription ne coure qu'à compter de la fin de la dissimulation, plus précisément à compter de la date à laquelle 'ces faits ont pu être constatés dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique'. Or, si la Cour de cassation ne revient pas sur la théorie de la dissimulation, force est de constater que la jurisprudence varie sur le moment où la dissimulation est réputée ne plus exister. Certes, depuis un arrêt de la Chambre criminelle du 5 mai 1997 [Cass. crim., 5 mai 1997, n° 96-81.482, De Giovanni Gérard (N° Lexbase : A1159ACW)], 'la prescription de l'action publique du chef d'abus de biens sociaux court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises à la charge de la société'".
(16) Op. cit. loc. cit. : "Mais le point de savoir si le contrôle de la caractérisation de la dissimulation relève de l'appréciation souveraine des juges du fond fait l'objet de décisions divergentes, citant ainsi, dans le sens d'un contrôle par la Cour de cassation, Cass. crim., 14 juin 2006, n° 05-85.912, B. Auguste (N° Lexbase : A9920DWC) et Cass. crim., 28 juin 2006, n° 05-82.634, Société Groupe Partouche (N° Lexbase : A9919DWB), et contra, Cass. crim., 25 octobre 2006, n° 05-86.993, Leclercq Bernard, FS-P+F (N° Lexbase : A0461DSU).
(17) Rapport "Coulon", p. 100.
(18) Du moins celle du Code pénal impérial de 1810 dont l'article 1er disposait que "l'infraction que la loi punit de peines de police est une contravention, l'infraction que la loi punit de peines correctionnelles est un délit, l'infraction que la loi punit de peines afflictives et infamantes est un crime".
(19) Rapport "Coulon", p. 65.
(20) Rapport "Coulon", p. 39.
(21) Rapport "Coulon", p. 42 : "Ainsi en est-il du détournement d'actifs. Selon que les faits ont été commis au sein d'une société de personnes ou d'une société de capitaux, le quantum des sanctions est différent. En outre, toujours s'agissant du même fait, pour une société ayant ensuite fait l'objet d'une liquidation, la répression sera différente selon la date de commission des faits, avant ou après la cessation des paiements, l'infraction de banqueroute trouvant alors à s'appliquer".
(22) Rapport "Coulon", p. 46.
(23) Rapport "Coulon", p. 65.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Nullité du licenciement notifié pendant le congé maternité : principe et indemnité

Réf. : Cass. soc., 19 mars 2008, n° 07-40.599, Mme Taline Birgin, F-P+B (N° Lexbase : A4960D7T)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010



La femme enceinte bénéficie d'une protection exorbitante du droit commun. Cette protection s'étend de la phase d'embauche au licenciement, en passant par l'exécution du contrat de travail. La protection de droit commun accordée à la femme en état de grossesse contre le licenciement se trouve renforcée pendant le congé maternité (C. trav., art. L. 122-27 N° Lexbase : L5493ACG), période au cours de laquelle l'employeur ne peut en aucun cas la licencier. Comme le rappelle la Haute juridiction dans un arrêt du 19 mars dernier, il est impossible pour l'employeur de signifier ou de faire prendre effet au licenciement pendant le congé maternité. Le licenciement prononcé pendant cette période est nul. La salariée victime d'un licenciement nul a droit à une indemnité réparant le préjudice résultant du caractère illicite de la rupture et, au moins, égale à celle prévue par l'article L. 122-14-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8990G74). Si cette solution n'est qu'une simple confirmation, elle permet, cependant, de rappeler qu'il convient de distinguer deux périodes de protection de la femme enceinte : celle normale, résultant de l'état dans lequel elle se trouve ou se trouvait, et celle renforcée, résultant de son arrêt maternité, lesquelles, a priori, ne sont toujours pas prises en compte...
Résumé

La résiliation du contrat de travail ne peut prendre effet ou être signifiée pendant la période de suspension du contrat de travail résultant du congé maternité. Cette résiliation est nulle.

La salariée, victime d'un licenciement nul, a droit au paiement d'une indemnité destinée à réparer l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement, dont le montant est souverainement apprécié par les juges du fond, dès lors qu'il est, au moins, égal à celui prévu par l'article L. 122-14-4 du Code du travail.

Commentaire

I - Protection absolue contre le licenciement pendant le congé maternité

  • Période de protection

L'article L. 122-25-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5495ACI) pose le principe de l'interdiction, pour l'employeur, de licencier une femme en état de grossesse médicalement constaté. Ce principe constitue un principe général du droit (CE Contentieux, 8 juin 1973, n° 80232, Mme Peynet N° Lexbase : A5658B7P).

Cette protection contre le licenciement commence à partir du moment où l'état de grossesse est médicalement constaté, court pendant toute la durée des périodes de suspension autorisées du contrat (donc la durée du congé maternité) et pendant les quatre semaines qui suivent l'expiration du congé maternité.

Si l'employeur prononce un licenciement au cours de cette période, en contravention de ces dispositions, le licenciement sera annulé (Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7501BSM, Bull. civ. V, n° 152 ; lire, également, les obs. de S. Koleck-Desautel, La Cour de cassation consacre le droit à réintégration de la femme enceinte illégalement licenciée, Lexbase Hebdo n° 71 du 14 mai 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7288AA8). La salariée pourra demander et obtiendra, si elle ne demande pas à être réintégrée, une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et, au moins, égale à celle prévue à l'article L. 122-14-4 du Code du travail (Cass. soc., 9 octobre 2001, n° 99-44.353, Mme Cécile Hille c/ Société SVP Service N° Lexbase : A2229AWH, Bull. civ. V, n° 314).

Si tout licenciement n'est pas interdit pendant la grossesse, il est strictement prohibé pendant la période de congé maternité.

  • Interdiction absolue de licencier pendant le congé maternité

Pendant la grossesse et les quatre semaines suivant le congé maternité, la résiliation reste possible en cas de faute grave de la salariée ou si l'employeur peut justifier de l'impossibilité devant laquelle il se trouve, pour un motif non lié à la grossesse, de maintenir le contrat de travail de la salariée (C. trav., art. L. 122-25-2). Cette faculté de résiliation est, toutefois, limitée aux périodes de grossesse et aux quatre semaines postérieures au congé maternité.

Pendant le congé de maternité, la salarié bénéficie d'une protection absolue contre le licenciement (C. trav., art. L. 122-27). Celui-ci ne peut, en aucun cas, intervenir, même dans l'hypothèse d'une faute lourde de la salariée ou en cas de force majeure.

Il est, ainsi, interdit à l'employeur, de signifier un licenciement (Cass. soc., 10 mai 1995, n° 92-40.038, Mme Marie-Claude Garin, épouse Ollivier c/ Société anonyme Erom France N° Lexbase : A1049ABH) ou de lui faire prendre effet pendant les périodes de congé maternité ou d'adoption (Cass. soc., 27 avril 1989, n° 86-45.253, Mme Kuznicki c/ Société Betag Ingénierie N° Lexbase : A3653ABW).

La seule chose que l'employeur puisse faire est de mettre en oeuvre la procédure préalable au licenciement et de convoquer la salariée à un entretien préalable au licenciement (Cass. soc., 28 juin 1995, n° 92-40.136, Société à responsabilité limitée VBM (Votre Bureau) c/ Mme Nathalie Marc N° Lexbase : A9102AAD). Il devra, dans ce cas, attendre l'expiration du congé maternité pour envoyer la lettre de licenciement à la salariée.

Tel était le problème posé à la Cour de cassation dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, une salariée engagée par contrat de travail à durée déterminée, puis par contrat de travail à durée indéterminé, avait été en arrêt maladie, puis en congé maternité. Au cours de cette dernière période, l'entreprise avait été placée en liquidation judiciaire.

Le liquidateur avait notifié à la salariée, pendant son congé maternité, son licenciement pour motif économique avec effet au terme du congé maternité et dispensé de préavis.

La salariée avait saisi le juge d'une demande en nullité de son licenciement.

La cour d'appel avait rejeté la demande de la salariée au motif que la liquidation judiciaire de l'entreprise constitue une impossibilité, pour un motif étranger à la grossesse, de maintenir le contrat de travail.

La Cour de cassation casse cette décision. Elle rappelle, en effet, que le licenciement avait été notifié pendant le congé maternité de la salariée. Cette notification étant impossible, elle rendait, par la même, nul le licenciement, ce qui ouvrait droit, au profit de la salariée, à une indemnité réparant le préjudice subi résultant du caractère illicite du licenciement, dont le montant est souverainement apprécié par les juges du fonds et, au moins, égal à celui prévu par l'article L. 122-14-4 du Code du travail.

Cette solution ne peut qu'être approuvée.

II - Sanction "générale" du licenciement prononcé pendant le congé maternité

Cette solution n'est que la stricte application des textes régissant la matière.

  • Une solution conforme à la lettre et l'esprit des textes régissant la protection de la femme enceinte contre le licenciement

Comme nous l'avons vu, l'article L. 122-25-2 du Code du travail pose le principe de l'interdiction de licencier une femme enceinte, qu'il accompagne de deux exceptions : la faute grave et l'impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse.

Cette disposition, s'agissant du congé maternité, doit être lue à la lumière de l'article L. 122-27 du Code du travail. Ce texte prévoit, ainsi, que la résiliation du contrat de travail, par l'employeur, pour l'un des motifs prévus à l'article L. 122-25-2 ne peut prendre effet ou être signifiée pendant la période de suspension prévue à l'article L. 122-26 du même code (N° Lexbase : L8813HWC). Ce dernier article fixe les périodes et la durée du congé maternité.

La résiliation du contrat de travail d'une salariée en congé maternité est donc totalement impossible pendant toute la durée de son congé maternité. Comme le prévoit l'article L. 122-27 du Code du travail, la résiliation ne peut ni pendre effet, ni même être signifiée pendant cette période.

Ainsi, même un licenciement régulièrement signifié avant la période de congé maternité ne peut prendre effet au cours de cette période (Cass. soc., 2 mai 1989, n° 86-45.343, Mme Ben Rejeb c/ Mme Skop, inédit au bulletin N° Lexbase : A2799CLA).

Comme nous l'avons déjà fait remarquer, la seule chose que l'employeur peut faire est d'initier la procédure de licenciement et de convoquer la salariée à un entretien préalable (Cass. soc., 28 juin 1995, n° 92-40.136, préc.), la signification devant attendre l'expiration du congé maternité.

Si l'employeur, son représentant ou, comme dans l'espèce commentée, le liquidateur, contrevient à cette interdiction stricte, le licenciement est nul (Cass. soc., 7 avril 2004, n° 02-40.333, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8065DBC et nos obs., La portée de la nullité du licenciement de la femme enceinte, Lexbase Hebdo n° 116 14 avril 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1270ABN).

  • Sanction du licenciement annulé

L'article L. 122-25-2, alinéa 2, dispose, en effet, que le licenciement prononcé en violation des règles de protection de la femme enceinte est nul.

La conséquence de cette nullité est que la salariée a la possibilité de demander sa réintégration, réintégration à laquelle l'employeur ne peut s'opposer (Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811, préc., Dr. soc., 2003, p. 831, chron. B. Gauriau).

L'employeur encourt, en outre, des sanctions civiles et pénales (C. trav., art. L. 122-30 N° Lexbase : L3138HI3 et R. 152-3 N° Lexbase : L8749ACZ). L'indemnisation de la salariée licenciée en contravention des articles L. 122-25-2 et/ou L. 122-27 du Code du travail est complète.

Cette dernière peut, en effet, prétendre, en plus de l'indemnité de licenciement, au versement de dommages et intérêts, au paiement des salaires qu'elle aurait dû percevoir pendant la période couverte par la nullité (C. trav., art. L. 122-30) et, encore, à l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés.

L'allocation de ces dommages et intérêts est automatique si la salariée ne demande pas sa réintégration. Le montant des dommages et intérêts versés à la salariée est souverainement déterminé par les juges du fond, mais ils doivent, néanmoins, respecter le minimum prévu par l'article L. 122-24-4 du Code du travail. L'indemnité versée à la salariée ne peut, ainsi, être inférieur à 6 mois de salaire.

Ce principe d'indemnisation et le montant minimum accordé à la salariée qui ne demande pas à être réintégrée a déjà été affirmé par la Cour de cassation (Cass. soc., 9 octobre 2001, n° 99-44.353, FS-P N° Lexbase : A4963A4L et les obs. de S. Koleck-Desautel, Les conséquences indemnitaires de l'annulation du licenciement de la salariée enceinte, Lexbase Hebdo n° 53 du 8 janvier 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5341AA3), l'arrêt commenté n'en n'est que la confirmation.


Décision

Cass. soc., 19 mars 2008, n° 07-40.599, Mme Taline Birgin, F-P+B (N° Lexbase : A4960D7T)

Cassation de CA Aix-en-Provence, 11 mai 2006

Textes visés : C. trav., art. L. 122-27 (N° Lexbase : L5493ACG), L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74), L. 122-25-2 (N° Lexbase : L5495ACI) et L. 122-26 (N° Lexbase : L8813HWC)

Mots clefs : femme enceinte ; licenciement ; impossibilité de maintenir le contrat ; liquidation de l'entreprise ; notification du licenciement pendant le congé maternité ; illicéité du licenciement ; nullité du licenciement ; allocation de dommages et intérêts ; minimum 6 mois de salaire.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La mise en retraite pour raisons économiques ne constitue pas un licenciement

Réf. : Cass. soc., 18 mars 2008, n° 07-40.269, Société Helvétia compagnie suisse d'assurances, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4953D7L)

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N6296BEW

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010

Le régime de la mise à la retraite a connu de nombreuses réformes législatives en l'espace de quelques années, principalement parce que le législateur et le pouvoir réglementaire -sans oublier les partenaires sociaux- se sont engagés dans la voie des politiques dites de "vieillissement actif" (1). Partant du constat que le taux d'activité des seniors en France était l'un des plus faibles des pays occidentalisés et que la durée de vie s'allongeait, il paraissait opportun et pertinent d'inciter les travailleurs à travailler plus longtemps et, dans le même temps, de décourager les employeurs à recourir aux mesures d'âge (les préretraites). Les principales étapes de ces réformes étaient : la loi du 21 août 2003, portant réforme des retraites (loi n° 2003-775 N° Lexbase : L9595CAM) (2) ; l'ANI du 13 octobre 2005 (3) ; la création du CDD senior ( décret n° 2006-1070 du 28 août 2006, aménageant les dispositions relatives au contrat à durée déterminée afin de favoriser le retour à l'emploi des salariés âgés N° Lexbase : L6779HKB) (4) ; la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008 (loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007, de financement de la Sécurité sociale pour 2008 N° Lexbase : L5482H3G) (5).
Résumé

Lorsque les conditions de la mise en retraite sont remplies, la rupture ne constitue pas un licenciement. Si, en application de l'article L. 321-1, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L8921G7K), l'employeur, qui envisage de mettre des salariés à la retraite à l'occasion de difficultés économiques, doit observer les dispositions relatives aux licenciements économiques, en ce qu'elles impliquent la consultation des représentants du personnel et la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi lorsque les conditions légales en sont remplies, il n'en résulte pas que la décision de mise à la retraite prise par l'employeur entraîne les effets d'un licenciement.

Commentaire

Le régime de la mise à la retraite obéit, désormais, à un corps de règles précises et complètes, codifiées à l'article L. 122-14-13 du Code du travail (N° Lexbase : L3219HW7), mais, sans pour autant, vider de sa substance un contentieux persistant et récurent. Un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 18 mars dernier en témoigne. En l'espèce, un salarié, employé depuis le 13 janvier 1969 par une société, a été mis à la retraite le 10 juillet 2000 avec effet au 31 janvier 2001. Pour condamner l'employeur à lui payer un solde d'indemnité conventionnelle de licenciement, les juges du fond (CA Versailles, 5ème ch. civ., 2 novembre 2006) avaient retenu que la mise à la retraite, s'inscrivant dans le cadre d'une réduction des effectifs motivée par des raisons économiques, doit être assimilée à un licenciement économique pour suppression d'emploi. L'absence d'opposition formulée par le salarié ne transforme pas sa mise à la retraite en un départ volontaire privatif de l'indemnité conventionnelle de licenciement. Au contraire, en application d'une jurisprudence bien établie, la Cour décide, par l'arrêt rapporté, que, lorsque les conditions de la mise en retraite sont remplies, la rupture ne constitue pas un licenciement. Si, en application de l'article L. 321-1, alinéa 2, du Code du travail, l'employeur, qui envisage de mettre des salariés à la retraite à l'occasion de difficultés économiques, doit observer les dispositions relatives aux licenciements économiques, en ce qu'elles impliquent la consultation des représentants du personnel et la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi, lorsque les conditions légales en sont remplies, il n'en résulte pas que la décision de mise à la retraite prise par l'employeur entraîne les effets d'un licenciement.

I - Mise à la retraite hors licenciement économique collectif

A - Les conditions légales de mise à la retraite

Le régime de la mise à la retraite a été fixé précisément par le législateur (C. trav., art. L. 122-14-13 N° Lexbase : L3219HW7) (6).

Il en ressort, brevitatis causa, que tout salarié quittant volontairement l'entreprise, pour bénéficier du droit à une pension de vieillesse, a droit, sous réserve des dispositions plus favorables d'une convention ou d'un accord collectif de travail ou du contrat de travail, à l'indemnité de départ en retraite prévue à l'article 6 de l'accord annexé à la loi n° 78-49 du 19 janvier 1978, relative à la mensualisation et à la procédure conventionnelle (N° Lexbase : L1361AIA) : un ½ mois de salaire après 10 ans d'ancienneté, 1 mois de salaire après 15 ans d'ancienneté, 1 mois et ½ de salaire après 20 ans d'ancienneté et 2 mois de salaire après 20 ans d'ancienneté (C. trav., art. L. 122-14-13, alinéa 1er).

Tout salarié dont la mise à la retraite résulte d'une décision de l'employeur a droit, sous réserve des dispositions plus favorables en matière d'indemnité de départ à la retraite contenues dans une convention ou un accord collectif de travail ou un contrat de travail, au versement d'une indemnité de départ en retraite équivalente, soit à l'indemnité de licenciement (prévue par l'article 5 l'accord annexé à la loi n° 78-49 du 19 janvier 1978, relative à la mensualisation et à la procédure conventionnelle N° Lexbase : L1361AIA), s'il remplit les conditions fixées pour en bénéficier, soit à l'indemnité minimum de licenciement (prévue à l'article L. 122-9 du Code du travail N° Lexbase : L5559ACU).

Cette indemnité est, également, due, dans les mêmes conditions, à tout salarié dont le départ à la retraite, avec l'accord de l'employeur, à partir du 1er janvier 2010 et jusqu'au 1er janvier 2014, conduit à rompre le contrat de travail à un âge inférieur à 65 ans (mentionné au 1° de l'article L. 351-8 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L7663DKZ). La mise à la retraite s'entend de la possibilité donnée à l'employeur de rompre le contrat de travail d'un salarié ayant atteint l'âge visé au 1° de l'article L. 351-8 du Code de la Sécurité sociale (65 ans).

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, de financement de la Sécurité sociale pour 2007 (N° Lexbase : L8098HT4), aucune convention ou accord collectif prévoyant la possibilité d'une mise à la retraite d'office d'un salarié à un âge inférieur à 65 ans ne peut être signé ou étendu. Les accords conclus et étendus avant la publication de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, déterminant des contreparties en termes d'emploi ou de formation professionnelle et fixant un âge inférieur à 65 ans, dès lors que le salarié peut bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein et que cet âge n'est pas inférieur à celui fixé au premier alinéa de l'article L. 351-1 du même code, cessent de produire leurs effets au 31 décembre 2009.

B - La rupture du contrat de travail pour mise à la retraite n'est pas un licenciement

En l'espèce, la Cour décide, par l'arrêt rapporté, que lorsque les conditions de la mise en retraite sont remplies, la rupture ne constitue pas un licenciement. Le juge du fond avait constaté que les conditions légales de la mise à la retraite du salarié étaient remplies et que cette mesure n'était pas intervenue dans le cadre d'un plan social prévoyant le versement d'une telle indemnité aux salariés mis à la retraite : aussi, la cour d'appel a violé l'article L. 321-1, alinéa 2, du même Code du travail.

La décision de mise en retraite d'un salarié par l'employeur n'a pas à être spécialement motivée, dès lors que l'intéressé remplit les conditions de mise en retraite (Cass. soc., 12 janvier 1993, n° 89-43.467, Mme Blot c/ Conservatoire municipal du XIe arrondissement de Paris N° Lexbase : A9449AA9).

II - Mise à la retraite dans le cadre d'un licenciement économique collectif

A - Départ volontaire

Toute rupture du contrat de travail pour un motif économique est soumise, pour sa mise en oeuvre, aux dispositions sur le licenciement économique, en vertu de l'article L. 321-1, alinéa 2 du Code du travail. La rupture d'un contrat de travail pour motif économique n'entraîne pas toujours les effets d'un licenciement. Ainsi, selon la Cour de cassation, le départ volontaire à la retraite dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi constitue une rupture à l'initiative du salarié et n'ouvre droit, ni à l'indemnité conventionnelle de licenciement (Cass. soc., 25 juin 2002, n° 00-18.907, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0132AZW, Bull. civ. V, n° 214 p. 206, RJS, 2002, n° 1154), ni à l'indemnité légale de licenciement prévue pour les journalistes par l'article L. 761-5 du Code du travail (N° Lexbase : L6797ACQ). Ces indemnités ne sont dues que lorsque le congédiement provient du fait de l'employeur (Cass. soc., 9 juillet 2003, n° 01-43.298, F-D N° Lexbase : A1109C9X, RJS, 2003, n° 1161).

Les salariés partant volontairement à la retraite dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi peuvent uniquement prétendre à l'indemnité de départ en retraite. Cette indemnité est d'un montant moins important que celui de l'indemnité de mise à la retraite et donc, a fortiori, de celui de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Finalement, le départ volontaire à la retraite dans le cadre d'un plan social (plan de sauvegarde de l'emploi) constitue une rupture à l'initiative du salarié et n'ouvre pas droit à l'indemnité de congédiement mentionnée à l'article L. 761-5, laquelle n'est due que lorsque le congédiement provient du fait de l'employeur (Cass. soc. 9 juillet 2003, n° 01-43.298, préc. ; Cass. soc. 25 juin 2002, n° 00-18.907, préc.).

B - Départ non volontaire à la retraite dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi

Seule la mise à la retraite dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi ouvre droit à l'indemnité conventionnelle de licenciement. Selon la jurisprudence, lorsque la mise en retraite est la conséquence de la mise en oeuvre d'un plan social (plan de sauvegarde de l'emploi), elle ouvre droit, pour le salarié concerné, au bénéfice de l'indemnité conventionnelle de licenciement (Cass. soc., 18 avril 2000, n° 97-45.434, Société Soderbanque et autres c/ M. Erger et autres N° Lexbase : A6378AGC ; Cass. soc., 2 novembre 2005, n° 03-46.325, Société marseillaise de crédit (SMC), F-D N° Lexbase : A3346DLI).

Dans une autre espèce, pour débouter un salarié de sa demande d'indemnités de rupture, les juges du fond avaient retenu que la mise à la retraite étant un mode autonome de rupture, il ne peut être fait grief à l'employeur d'avoir fait application d'un régime légal et conventionnel de rupture et de ne pas avoir inclus le salarié dans un licenciement pour motif économique collectif alors que la mise à la retraite est régulière. Selon les juges du fond, il n'existe pas de droit à bénéficier d'un plan social alors que la mise à la retraite est possible. Au contraire, la Cour de cassation relevait que la mise à la retraite du salarié était liée à la restructuration des services de l'établissement où il était affecté et s'inscrivait dans un contexte de licenciement économique collectif concomitant à un plan social (Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 06-42.781, FS-D N° Lexbase : A7454DYQ).

Mais, selon la jurisprudence, si la rupture du contrat de travail pour un motif économique est soumise, pour sa mise en oeuvre, aux dispositions sur le licenciement économique (C. trav., art. L. 321-1, al. 2), il n'en résulte pas que toute rupture d'un contrat de travail procédant d'un motif économique entraîne les effets d'un licenciement.

En l'espèce, la Cour de cassation, dans la continuité de cette jurisprudence, et ce, de manière cohérente, décide que, si, en application de l'article L. 321-1, alinéa 2, du Code du travail, l'employeur, qui envisage de mettre des salariés à la retraite à l'occasion de difficultés économiques, doit observer les dispositions relatives aux licenciements économiques, en ce qu'elles impliquent la consultation des représentants du personnel et la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi lorsque les conditions légales en sont remplies, il n'en résulte pas que la décision de mise à la retraite prise par celui-ci entraîne les effets d'un licenciement.

Il est vrai que les textes assimilent mise à la retraite et licenciement, non pas au regard de leur nature juridique, mais en raison des effets indemnitaires, dont le statut (social et fiscal) est identique (7). En effet, l'indemnité de départ à la retraite est assujettie en totalité à la contribution sociale généralisée et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996, relative au remboursement de la dette sociale, art. 14 N° Lexbase : L1330AI4). Elle obéit, par ailleurs, au même régime fiscal et social que celui de l'indemnité de licenciement (C. trav., art. L. 122-14-13). L'indemnité de mise à la retraite est soumise au même régime que l'indemnité de licenciement : exonérée de cotisations de sécurité sociale, elle est, en revanche, assujettie à la CRDS et à la CSG pour la partie excédant un montant fixé à l'article L. 136-2 II 5° du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3307HWE). En revanche, outre la CSG et la CRDS, l'indemnité de départ volontaire du salarié est soumise aux cotisations de sécurité sociale.

Mais, ce régime juridique ne s'applique que lorsqu'une convention ou un accord collectif étendu relatif à la mise à la retraite, conclu après l'entrée en vigueur de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites, et avant la publication de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, de financement de la Sécurité sociale pour 2007, prévoit la possibilité de rompre le contrat de travail à un âge inférieur à celui mentionné au 1° de l'article L. 351-8 du Code de la Sécurité sociale, dès lors que le salarié peut bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein et que cet âge n'est pas inférieur à celui fixé au premier alinéa de l'article L. 351-1 du même code (65 ans).


(1) Y. Moreau, F. Jeger, Avant ou après les retraites, réformer le travail, Dr. soc., 2003, p. 683 ; Y. Moreau, F. Von Lennep, Que nous enseignent les comparaisons internationales en matière de retraite, Dr. soc., 2004, p. 1123 ; T. Tauran, La loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites : réforme historique ou début de réforme ?, TPS, 2003, chron. n° 19.
(2) J. Barthélémy, Les retraites, Dr. soc., 2003, p. 1077 ; S. Caullychurn, Ce que change la loi du 21 août 2003 pour les entreprises, Semaine sociale Lamy, 29 septembre 2003, n° 1137, p. 5 ; Y. Chassard, Réforme des retraites : quelques idées glanées chez nos voisins européens, Dr. soc., 2003, p. 323 ; P. Concialdi, A. Math, L'évolution du mode de financement des retraites et des revenus des personnes âgées, Retraite et société, 2003, n° 38, p. 233 ; B. Gabellieri, Les perspectives européennes, Semaine sociale Lamy, 24 novembre 2003, n° 1145, p. 4.
(3) F. Favennec-Héry, L'accord national interprofessionnel relatif à l'emploi des seniors : un premier pas, JCP éd. S, n° 21, 15 novembre 2005, étude n° 1329, p. 14 ; P.-Y. Verkindt, Changer le regard sur le travail des seniors après l'ANI du 13 octobre 2005, Semaine sociale Lamy, 31 octobre 2005, n° 1234 ; nos obs., La place de l'accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005 dans les politiques de vieillissement actif, Lexbase Hebdo n° 191 du 24 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1192AKD).
(4) V. nos obs., Un nouveau contrat aidé : le "CDD senior", Lexbase Hebdo n° 226 du 7 septembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2470AL3).
(5) V. nos obs., LFSS 2008 : réforme des exonérations de charges sociales et des mesures d'âge, Lexbase Hebdo n° 287 du 10 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6093BDZ).
(6) J. Pelissier, Age et perte d'emploi, Dr. soc., 2003, p. 1061.
(7) Lire les obs. de O. Pujolar, Départ volontaire ou mise à la retraite : nature des indemnités et possibilités de saisie, Lexbase Hebdo n° 292 du 14 février 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N0835BEN).

Décision

Cass. soc., 18 mars 2008, n° 07-40.269, Société Helvétia compagnie suisse d'assurances, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4953D7L)

Cassation (CA Versailles, 5ème ch. civ., 2 novembre 2006)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-14-13 (N° Lexbase : L3219HW7) et L. 321-1, alinéa 2 (N° Lexbase : L8921G7K)

Mots-clefs : mise à la retraite ; contexte économique ; qualification de licenciement (non)

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Visite de reprise du salarié inapte : l'employeur ne pourrait être dans l'ignorance de l'inaptitude ?

Réf. : Cass. soc., 19 mars 2008, n° 06-44.734, M. Christian Cardon, F-P+B (N° Lexbase : A4777D73)

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N6199BEC

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Le Code du travail fait intervenir le médecin du travail dans de nombreuses hypothèses, dans lesquelles le salarié a subi un arrêt de travail pour raisons de santé. Il aura pour mission de s'assurer que celui-ci est bien apte physiquement à reprendre l'emploi pour lequel il a été engagé. Le cas échéant, le médecin du travail peut prononcer son inaptitude à certaines tâches, ce qui peut emporter, pour l'employeur, une obligation de reclassement qui, si elle ne peut être remplie, impliquera, le plus souvent, le licenciement du salarié. En revanche, si l'employeur ne prononce pas ce licenciement dans un délai d'un mois suivant la visite de reprise, le législateur lui impose de reprendre le versement des salaires nonobstant la suspension du contrat de travail. Cette règle peut, parfois, faire difficulté, quand l'employeur feint de ne pas être informé des résultats de la visite de reprise. C'est sur cette question que la Chambre sociale de la Cour de cassation avait à se prononcer dans un arrêt rendu le 19 mars 2008. La solution fait figure de rappel des règles classiques liées à la visite d'inaptitude (I), même si l'on perçoit, insidieusement, toute l'influence que peut avoir l'obligation, pour l'employeur, de prendre l'initiative des visites médicales de reprise (II).
Résumé

Si le salarié n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue du délai d'un mois à compter de la date de la seconde visite médicale de reprise du travail ou s'il n'est pas licencié, l'employeur est tenu de lui verser, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail.

Les motifs des juges du fond tirés de l'ignorance dans laquelle se trouvait l'employeur du premier avis médical d'inaptitude et du recours administratif en cours sont inopérants.

Commentaire

I - Les conditions inopérantes en matière d'inaptitude

  • Visite de reprise et accident du travail

L'article R. 241-51 du Code du travail (N° Lexbase : L9928ACP) impose qu'il soit procédé à un examen médical du salarié "après une absence d'au moins huit jours pour cause d'accident du travail". En réalité, en application de l'article R. 241-51-1 du même code (N° Lexbase : L9929ACQ), deux visites médicales de reprise sont nécessaires lorsque le médecin du travail constate l'inaptitude du salarié à son poste de travail.

Ces deux visites sont indispensables pour déterminer quel sera le sort du salarié à la suite de la suspension de son contrat de travail en raison de l'accident (1). En effet, en application de l'article L. 122-32-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5523ACK), si le salarié est déclaré inapte, l'employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités. Surtout, "si le salarié n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen de reprise du travail ou s'il n'est pas licencié, l'employeur est tenu de verser à l'intéressé, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension". Reclassement, licenciement ou paiement du salaire sans reprise du travail, ces mesures dépendent, en partie, de la visite de reprise, qui revêt donc une importance toute particulière dans cette procédure (2).

  • Conditions spécifiques à la visite de reprise

Quelques règles essentielles sont déjà établies s'agissant des conditions dans lesquelles ces visites de reprise doivent intervenir.

La Cour de cassation décide, ainsi, de manière habituelle, que l'initiative de la visite de reprise appartient, normalement, à l'employeur, même si elle peut, également, être sollicitée par le salarié (3). Les deux visites doivent, en outre, être espacées d'un délai minimal de quinze jours, à défaut duquel le licenciement prononcé en raison de l'inaptitude est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse (4).

Plus spécialement, le juge a, également, déterminé le régime applicable en matière de computation du délai d'un mois, au terme duquel l'employeur est contraint de reprendre le versement du salaire, en cas de contestation de l'avis d'inaptitude prononcé par le médecin du travail. Outre que l'annulation par l'inspection du travail de l'avis d'aptitude prononcé par le médecin du travail emporte un effet rétroactif, si bien que le contrat de travail se trouve à nouveau suspendu (5), l'employeur ne peut invoquer ce recours pour suspendre l'écoulement de ce délai. Le recours n'a donc pas d'effet suspensif (6).

En revanche, d'autres questions restent, jusqu'ici, en suspens. La Cour de cassation n'a, par exemple, jamais eu l'occasion de statuer, dans le silence des textes, sur la forme que doit revêtir la notification à l'employeur des résultats de la visite de reprise. Un simple courrier est-il suffisant ou est-il nécessaire que le médecin du travail adresse son avis par lettre recommandée ?

  • En l'espèce

Victime d'un accident du travail, le salarié se présente à une première visite médicale de reprise devant le médecin du travail qui le déclare inapte au poste de chauffeur poids lourds. Quelques jours plus tard, le médecin informe l'employeur, par lettre simple, de ce premier avis d'inaptitude, courrier que l'employeur conteste avoir reçu. Le médecin du travail formule un second avis d'inaptitude définitive trois semaines après le premier avis, inaptitude faisant, alors, l'objet d'une contestation devant l'autorité administrative à l'initiative du salarié.

La cour d'appel estima que l'employeur demeurait dans l'ignorance de la tenue de la première visite de reprise et qu'il ne pouvait être tenu du second avis, compte tenu du recours introduit par le salarié. Elle refusa, dès lors, que les conséquences habituelles de l'écoulement d'un délai d'un mois sans reclassement ou licenciement se produisent, le salarié ne pouvant donc exiger la reprise du versement de son salaire.

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse cet arrêt. Par un chapeau de tête, elle rappelle la règle générale selon laquelle, "si le salarié n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue du délai d'un mois à compter de la date de la seconde visite médicale de reprise du travail ou, s'il n'est pas licencié, l'employeur est tenu de lui verser, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail".

Elle en déduit que la cour d'appel a statué "par des motifs inopérants tirés de l'ignorance dans laquelle se trouvait l'employeur du premier avis médical d'inaptitude et du recours administratif en cours alors qu'elle avait constaté que le médecin du travail avait lui-même qualifié l'avis du 5 septembre 2001 de visite de reprise et que le second avis du 26 septembre 2001 confirmait l'inaptitude du salarié".

Cette solution appelle quelques éléments d'interprétation, qui permettent de mettre en exergue son fondement insidieux, celui de l'initiative incombant à l'employeur de provoquer les visites de reprise.

II - Des conséquences de l'initiative incombant à l'employeur de la visite de reprise

  • Interrogations quant au "motif inopérant" de la cour d'appel

La Cour de cassation estime que, est inopérante l'argumentation des juges d'appel, se fondant sur l'ignorance de l'employeur de la tenue de la première visite et l'effet suspensif du recours administratif du salarié.

Le motif inopérant est habituellement celui qui a été rendu au sujet d'une question qui n'avait pas été posée au juge. Autrement dit, à moins qu'il ne s'agisse d'un moyen d'ordre public que le juge peut soulever de lui-même, le motif inopérant se caractérise par une réponse du juge à une question qui ne lui était pas posée (7).

Cette précision est essentielle car elle conditionne l'importance qu'il faut donner à l'éviction par la Cour de cassation de l'argumentation liée à l'absence de formalité d'information de l'employeur de l'avis d'inaptitude mais aussi au caractère suspensif du recours.

  • Interprétation large

Il peut déjà être souligné que ces questions ne relèvent pas, pour la Cour de cassation, d'un moyen d'ordre public. Le juge ne sera donc pas tenu de relever de lui-même, à l'avenir, de telles questions.

S'agissant de l'absence d'effet suspensif, il est envisageable de penser que la solution va dans un sens identique à celui adopté par la Cour de cassation en 1999 (8). En revanche, s'agissant de l'ignorance prétendue de l'employeur de l'existence du premier avis d'inaptitude, toutes les interprétations restent ouvertes.

Une première interprétation consisterait à estimer que la Cour de cassation ne se prononce pas véritablement sur l'exigence que le médecin du travail informe l'employeur par un moyen plus solennel qu'un simple courrier, par exemple, par une lettre recommandée. La Cour écarte seulement la motivation, sans statuer au fond.

La seconde interprétation, certainement la plus audacieuse, serait de considérer que la Cour de cassation, dans cette affaire, dispense formellement le médecin du travail de notification solennelle, un courrier simple étant, alors, suffisant. Si cette interprétation ne peut raisonnablement pas être retenue à la seule lecture de l'arrêt, le replacement de la solution dans l'ensemble du régime juridique de l'inaptitude du salarié devrait permettre, malgré tout, de penser que c'est bien la solution vers laquelle les juges s'orientent.

  • L'influence manifeste de l'initiative de la visite de reprise pesant sur l'employeur

Comme nous l'avons déjà rappelé, c'est à l'employeur que revient de prendre l'initiative de faire convoquer le salarié par le médecin du travail. De manière concrète, l'employeur étant destinataire de l'arrêt de travail prononcé par le médecin traitant du salarié, il lui incombe, à l'issue de cet arrêt, d'exiger que le médecin du travail reçoive le salarié et se prononce sur son aptitude.

De cette règle semble découler, tout à fait naturellement, que l'employeur ne peut pas être dans l'ignorance du résultat de la visite médicale de reprise. Plutôt, pour être plus précis, s'il peut être dans l'ignorance de l'issue de la visite en raison d'une négligence du médecin du travail ou d'une distribution défectueuse du courrier, il lui incombe de s'enquérir du résultat de la visite qu'il a lui-même provoquée (9). Cela paraît constituer une diligence minimale lorsque l'employeur sait les conséquences qu'il devra supporter en cas d'inaptitude avérée.

L'hypothèse dans laquelle la sollicitation d'une visite de reprise émanerait du salarié n'y changerait, d'ailleurs, rien puisque cette faculté laissée au travailleur est nettement dérogatoire aux yeux de la Cour de cassation (10).

  • La prise d'acte de la rupture, conséquence logique

Pour le reste, les conséquences de l'arrêt sont, dès lors, assez classiques. L'employeur n'ayant pas repris, comme le Code du travail le lui impose, le versement des salaires à l'issue d'un délai d'un mois écoulé après la deuxième visite de reprise déclarant l'inaptitude, cette abstention est constitutive d'une faute dans l'exécution du contrat de travail, qui justifie que le salarié puisse prendre acte de la rupture de son contrat aux torts de l'employeur (11).


(1) En cas d'avis d'aptitude, le salarié doit reprendre son emploi ou un emploi similaire, par application de l'article L. 122-32-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5520ACG).
(2) V. J. Savatier, La visite de reprise effectuée par le médecin du travail à l'issue d'une absence pour maladie ou accident du travail, Dr. soc., 1997, p. 3.
(3) Cass. soc., 12 novembre 1997, n° 94-43.839, Société Forges de Courcelles c/ M. Girardot (N° Lexbase : A1645ACW), Bull. civ. V, n° 365 ; RJS, 1997, p. 835, n° 1359 ; Cass. soc., 28 juin 2006, n° 04-47.746, M. Jean-Yves Grosboillot, F-P (N° Lexbase : A1080DQ3), Bull. civ. V, n° 229, p. 219 ; RJS, 2006, p. 784, n° 1055.
(4) Cass. soc., 3 mai 2006, n° 04-47.613, M. Guy Monin c/ M. Joseph Costa, FS-P+B (N° Lexbase : A2543DPU), Dr. soc., 2006, p. 800, obs. J. Savatier.
(5) Cass. soc., 10 novembre 2004, n° 02-44.926, Société d'exercice libéral à responsabilité limitée Jim Sohm, prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Chaudronnerie-Tôlerie-Soudure-Maintenance (CTSM) c/ M. Georges Richard, FS-P+B ([LXB=8467DDX]) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Conséquences de l'annulation par l'inspecteur du travail de l'avis d'inaptitude délivré par le médecin du travail, Lexbase Hebdo n° 144 du 25 novembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3627ABX).
(6) Cass. soc., 4 mai 1999, n° 98-40.959, M. Carmouse c/ M. Alguacil (N° Lexbase : A4808AG8), Dr. soc., 1999, p. 743, obs. Ch. Radé.
(7) J. Boré, L. Boré, La cassation en matière civile, Dalloz action, 2003, n° 78-116, pp., 398-399.
(8) V., Cass. soc., 4 mai 1999, n° 98-40.959, préc..
(9) En forçant le trait, il peut, d'ailleurs, être considéré qu'il ne s'agit là que d'une application de l'adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans.
(10) V., Cass. soc., 12 novembre 1997, n° 94-43.839, préc..
(11) Cass. soc., 4 mai 1999, n° 97-40.547, Société Coulangeon c/ M. Bery et autre (N° Lexbase : A4695AGY), Bull. civ. V, n° 185, p. 134 ; Dr. soc., 1999, p. 741, obs. J. Savatier ; RJS, 1999, p. 497, n° 816.


Décision

Cass. soc., 19 mars 2008, n° 06-44.734, M. Christian Cardon, F-P+B (N° Lexbase : A4777D73)

Cassation partielle, CA Amiens, 5ème ch. soc., sect. B, 26 juin 2006

Textes visés : C. trav., art. L. 122-32-5 (N° Lexbase : L5523ACK), R. 241-51 (N° Lexbase : L9928ACP) et L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9)

Mots-clés : accident du travail ; inaptitude ; visite médicale de reprise ; contestation de l'inaptitude ; notification de la visite de reprise par courrier simple.

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Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité civile médicale (janvier à mars 2008)

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N6278BEA

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique du guide juridique Lexbase Droit médical

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver le panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique du guide juridique Droit médical. Seront abordés, en matière de responsabilité pour faute, l'actualité jurisprudentielle relative à la faute technique, à la faute de surveillance et au défaut d'information ; en matière de responsabilité sans faute, les derniers arrêts concernant l'indemnisation des victimes contaminées par le VHC ; et, enfin, un arrêt suffisamment rare pour être mentionné exonérant un médecin de sa responsabilité en raison du comportement fautif du patient. I - Responsabilité pour faute

A - Faute technique

  • Cass. civ. 1, 17 janvier 2008, n° 06-20.568, M. Jérôme Sowka c/ Mme Pascale Degeneve, F-D (N° Lexbase : A7684D3Y)

La loi "Kouchner" du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : L1457AXA) a confirmé le principe selon lequel la responsabilité médicale suppose, en principe, établie la preuve d'une faute médicale et a donc conforté la jurisprudence rendue depuis l'arrêt "Mercier" (Cass. civ. 1, 20 mai 1936, Dr Nicolas c/ Mercier N° Lexbase : A7395AHD) sur le fondement de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) qui demeure applicable pour tous les actes médicaux réalisés jusqu'au 4 septembre 2001.

Mais, si la preuve d'une faute est exigée, rien ne vient déterminer les contours de cette faute, ni même les conditions dans lesquelles il convient de la prouver, ce qui a permis à la jurisprudence de renforcer considérablement le degré d'exigence, singulièrement à l'égard des chirurgiens. Depuis 2000, en effet, la Cour de cassation leur a imposé une obligation de précision du geste chirurgical qui confine à l'obligation de résultat, puisque la responsabilité du praticien sera établie dès lors que la réalisation de l'acte médical  effectué "n'impliquait pas" la lésion constatée et que le patient ne présentait pas "une anomalie rendant son atteinte inévitable" (Cass. civ. 1, 23 mai 2000, n° 98-20.440, Société Le Sou médical et autre c/ Mlle Y. et autre N° Lexbase : A1673AIS).

Confirmant les termes de l'arrêt rendu dans cette affaire par la cour d'appel de Nancy, la première chambre civile de la Cour de cassation confirme cette solution dans cet arrêt en date du 17 janvier 2008. Après avoir repris le premier temps du raisonnement en constatant "que l'extraction de la dent de sagesse n'impliquait pas les dommages subis par la patiente", la Haute juridiction considère que la cour d'appel a exactement retenu "en faveur de celle-ci une présomption d'imputabilité du dommage à un manquement fautif du praticien" et que le chirurgien-dentiste devait être condamné dès lors qu'il "ne démontrait pas que le trajet du nerf lésé présentait une anomalie rendant son atteinte inévitable".

La formulation de la solution n'est guère satisfaisante car il ne s'agissait pas, ici, d'une question d'imputabilité du dommage au geste chirurgical, c'est-à-dire d'un problème de causalité, mais uniquement de qualifier le geste de fautif.

Si on excepte ce problème de motivation, il convient de s'interroger sur l'opportunité de cette confirmation.

Dès lors que les faits en cause étaient antérieurs au 5 septembre 2001, date d'application de la loi du 4 mars 2002, cette conception très extensive de la faute médicale, quoique peu satisfaisante sur le plan des principes, répond au désir de venir en aide aux victimes qui, dans ce genre d'affaires, sont bien entendu les plus à plaindre, face à un praticien maladroit et très certainement assuré.

Mais, dès lors que la loi du 4 mars 2002 est applicable et que la victime dispose d'un droit à réparation auprès de l'ONIAM, si la faute médicale n'est pas établie, ces libertés prises avec les principes fondamentaux de la responsabilité civile médicale devraient logiquement cesser, dès lors que les victimes auront bien entendu atteint le fatidique seuil de gravité leur permettant d'être effectivement indemnisées au titre de la solidarité.

B - Faute de surveillance

  • Cass. civ. 1, 17 janvier 2008, n° 07-14.284, Mme Marie Christine Couffin, épouse Mourlhou c/ Société Axa France IARD et a., F-D (N° Lexbase : A7813D3R)

Bien que relevant du droit commun de la responsabilité civile médicale, les établissements psychiatriques, et les médecins qui y exercent, sont traditionnellement soumis à des obligations particulières compte tenu de la spécificité de leurs patients et des risques accrus auxquels leur état les expose.

Les établissements sont, ainsi, soumis à une obligation de surveillance renforcée de leurs patients. Parmi les indices sur lesquels se fondent les juges pour apprécier la faute de surveillance, figurent les données propres au patient hospitalisé, notamment ses précédentes tentatives de suicide. L'établissement mis en cause pourra ainsi échapper à une condamnation s'il parvient à prouver l'absence "d'éléments devant permettre [au médecin] lorsqu'il avait vu [le patient], de déceler une intention suicidaire justifiant des mesures de surveillance particulières". La preuve d'informations particulières communiquées au personnel médical sera alors déterminante pour condamner, ou au contraire mettre hors de cause, l'établissement.

C'est cette possibilité permettant à l'établissement de ne pas être condamné que vient confirmer cet arrêt inédit rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 17 janvier 2008.

Dans cette affaire, un patient, admis à sa demande pour un sevrage alcoolique, s'était suicidé pendant son hospitalisation. La cour d'appel avait écarté la responsabilité de l'établissement après avoir relevé que le patient "n'était pas atteint de troubles mentaux imposant des soins immédiats, et une surveillance constante en milieu hospitalier", qu'"en présence de signes manifestant une évolution positive de son état, rien ne permettait de prévoir son suicide" et "qu'au surplus rien n'établissait que l'intéressé ait été laissé sans antidépresseurs durant le week-end". C'est l'addition de ces circonstances, souverainement appréciées par les juges du fond, qui a justifié ici le rejet du pourvoi et la confirmation de l'arrêt rendu par la cour d'appel qui pouvait en "déduire l'absence de faute à l'encontre de l'association en relation directe avec le décès".

C - Défaut d'information

  • CA Paris, 1ère ch., sect. B, 1er février 2008, n° 06/15680, M. Auguste Nouy c/ M. Sylvain Baudelot (N° Lexbase : A6793D4D)

L'obligation d'information qui pèse sur le chirurgien-esthétique est bien plus étendue que celle qui pèse sur les autres praticiens, puisque la Cour de cassation n'a pas hésité à affirmer qu'elle devait être "totale".

Dans cette affaire, un patient avait intenté une action en responsabilité civile contre son chirurgien esthétique après avoir subi un lifting cervico-facial et une blépharoplastie des paupières qui lui avait laissé d'importantes séquelles (en l'occurrence une dipoplie gauche se manifestant par un décalage vertical entre les images de l'oeil droit et celles de l'oeil gauche). Le litige portait ici non pas sur l'existence d'une faute technique qu'aurait commise le chirurgien, mais sur l'absence d'information concernant le risque qui s'était finalement réalisé.

Le praticien se défendait en prétendant que ce risque n'était pas connu du milieu médical au moment où il s'était réalisé, et invoquait ainsi à son profit la jurisprudence limitant l'obligation d'information aux seules données acquises de la science.

Sur ce point, la cour d'appel de Paris n'a pas suivi le praticien au vu, notamment, du rapport de l'expert qui avait considéré ce risque comme connu, quoique de réalisation exceptionnelle.

C'est, en revanche, sur l'absence de préjudice consécutif au défaut d'information du praticien que se fonde le rejet des prétentions de la victime, la cour ayant considéré que même informé des risques, le patient aurait accepté l'opération, compte tenu "du caractère exceptionnel et rarissime de cette complication et de la détermination [du patient] à subir la chirurgie proposée [...] l'ayant conduit à effectuer plusieurs déplacements entre la Guadeloupe et Paris".

Comme nous avons déjà eu l'occasion de l'écrire, le refus d'indemniser le patient des suites du défaut d'information peut se comprendre, s'agissant de la réparation des préjudices corporels consécutifs à l'opération, dès lors que la faute commise par le praticien n'a pas déterminé le patient à accepter l'opération, comme le juge la Cour de cassation depuis le second arrêt "Hédreul" (Cass. civ. 1, 20 juin 2000, n° 98-23.046, M. X c/ M. Y et autres N° Lexbase : A3773AUB). Mais dans ce cas de figure, les juges devraient accorder à la victime la réparation d'un préjudice moral venant réparer spécifiquement l'atteinte au droit à l'information.

II - Responsabilité sans faute : indemnisation des victimes contaminées par le VHC

A - Préjudices consécutifs à la contamination

1 - Préjudice spécifique de contamination

  • Cass. civ. 1, 17 janvier 2008, n° 07-11.760, M. Pierre Pokrownichki c/ Etablissement français du sang, (EFS) et a., F-D (N° Lexbase : A7789D3U)

La jurisprudence a étendu aux victimes contaminées par le virus de l'hépatite C la qualification de "préjudice spécifique de contamination" initialement dégagée pour les victimes du VIH, et réparant "les souffrances morales éprouvées à la suite des traitements nécessaires et [...] les perturbations et craintes endurées toujours latentes".

L'arrêt rendu le 17 janvier 2008 confirme cette jurisprudence dans une affaire où un patient avait été débouté de sa demande tendant à l'indemnisation de son préjudice spécifique de contamination, sous prétexte que son "état de santé [...] n'a pas justifié, à ce jour, de traitement spécifique, lourd et invalidant [...] qu'il ne s'est pas aggravé, et est au contraire stationnaire [et] que s'il est avéré que sur le plan médical, il existe de multiples évolutions possibles de la maladie, le risque d'aggravation et d'évolution défavorable est incertain, les progrès constants de la recherche permettant d'augurer de la découverte de traitements adaptés et efficaces".

Or, cet arrêt est cassé pour manque de base légale, les juges d'appel se voyant reprocher de n'avoir pas recherché si la victime "n'éprouvait pas des craintes et des perturbations liées à cette contamination, de nature à caractériser un préjudice spécifique de contamination, et alors que ce préjudice peut être justifié par les souffrances morales éprouvées à la suite des traitements nécessaires et par les perturbations et craintes éprouvées toujours latentes".

Cet arrêt est intéressant car il démontre la méthode à mettre en oeuvre pour déterminer l'existence du préjudice spécifique de contamination. Même s'il ne s'agit pas d'une cassation pour violation de la loi, la Cour de cassation n'allant pas jusqu'à affirmer qu'une victime contaminée souffre nécessairement d'un préjudice spécifique de contamination, c'est à une solution assez proche qu'on aboutit. En réalité, la Cour de cassation considère qu'il est normal qu'un patient souffre d'un tel préjudice (appréciation in abstracto), sauf à ce qu'il apparaisse, compte tenu des données propres à l'affaire et singulièrement de facteurs psychologiques propres à la victime et à son état de santé (appréciation in concreto), qu'en réalité elle ne souffre pas "effectivement" de sa contamination. En d'autres termes, les victimes contaminées par le VHC bénéficient d'une "présomption simple" leur permettant a priori de se faire indemniser d'un préjudice spécifique de contamination, présomption qui peut théoriquement être renversée par la preuve contraire, mais dans des conditions tellement strictes que cette présomption de fait confine à une présomption de droit.

2 - Imputabilité d'autres préjudices

L'EFS, débiteur à l'égard de la victime contaminée par le VHC d'une obligation de sécurité de résultat concernant la qualité des produits sanguins transfusés, lui doit indemnisation de tous les préjudices consécutifs à la contamination. Mais encore faut-il que les dommages allégués par la victime soient bien imputables à la contamination des produits sanguins et que cette victime produise devant le juge des éléments de fait qui rendent cette allégation au moins vraisemblable, ce qui n'était pas le cas dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 6 mars 2008.

Un salarié avait été victime d'un accident du travail et avait subi plusieurs interventions chirurgicales. A la suite de cet accident, il avait perçu une rente d'invalidité de catégorie 1 à partir de 1982. Lors de la souscription des prêts immobiliers en 1988, l'assureur lui avait appliqué une surprime d'assurance pour garantir le risque décès et refusé de garantir le risque d'invalidité de catégorie 2. Or, cet assuré avait été reconnu en invalidité de catégorie 2 en 1997, compte tenu d'une hépatite C qui s'était entre temps déclarée. Cet assuré avait alors agi contre l'EFS car il considérait que le refus de garantir le risque d'invalidité de catégorie 2, en 1988, était directement imputable à la contamination dont il pensait avoir été victime lors des opérations consécutives à l'accident du travail en 1982. Débouté en appel, le demandeur n'a pas eu plus de réussite devant la Cour de cassation qui rejette son pourvoi, après avoir relevé que le refus d'assurer le risque d'invalidité de catégorie 2 pouvait s'expliquer par les seules séquelles directement imputables à l'accident du travail dont le demandeur avait été victime en 1982, et que rien ne permettait d'établir que le salarié avait été contaminé par le VHC avant 1988.

Cet arrêt est doublement intéressant.

En premier lieu, il rappelle qu'un dommage n'est réparable que s'il est imputable à un événement donné. Or, lorsque intervient, dans le processus causal, une décision qui a causé le dommage, en l'occurrence un refus de garantie opposé par l'assureur, l'imputabilité du dommage à des faits antérieurs à cette décision n'est acquise que si la preuve du caractère déterminant de ces faits antérieurs sur cette prise de décision est établie. En l'espèce, le refus de garantie résultait directement de la trop forte probabilité que l'assuré, déjà placé en invalidité de catégorie 1 depuis six ans à la suite de l'accident du travail et des séquelles physiques qui en résultaient directement, soit par la suite placé en catégorie 2, sans que la prétendue contamination par le VHC n'ait changé quoi que ce soit à l'évaluation de ce risque.

En second lieu, cet arrêt rappelle qu'en dépit du régime probatoire très favorable reconnu aux victimes contaminées par le VHC antérieurement au 5 septembre 2001 par l'article 102 de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002, celles-ci doivent tout de même établir qu'elles ont reçu une transfusion de produits sanguins, qu'elles étaient indemnes de toute contamination avant cette transfusion et que leur sérologie du VHC a été découverte postérieurement ; dès lors qu'elles ne rapportent pas la preuve de ces éléments de fait, elles ne peuvent réclamer le bénéfice de la présomption de contamination et doivent, par conséquent, être déboutées de leurs demandes.

C'est pour ces deux raisons, qui nous semblent ici parfaitement justifiées, que la Cour de cassation a pu décider "que de ces constatations et énonciations, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis aux débats, la cour d'appel, par une décision motivée, dépourvue de motifs hypothétiques, sans porter atteinte au principe de la contradiction, a pu déduire que le préjudice financier allégué n'était pas en rapport avec la contamination par le virus de l'hépatite C".

B - Exonération de l'EFS

Cet arrêt confirme toute la sévérité dont la Cour de cassation fait preuve à l'égard de l'Etablissement français du sang lorsqu'une victime se prévaut des dispositions de l'article 102 de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002, car seule la preuve que tous les lots de sang transfusés ont été testés négativement au virus de l'hépatite C est de nature à renverser la présomption de contamination dont bénéficie la victime.

Dans cette affaire, le patient avait subi plusieurs interventions chirurgicales, entre 1977 et 1987, dont certaines avaient nécessité des transfusions sanguines. Le patient avait, comme c'est malheureusement souvent le cas, appris tardivement qu'il avait été contaminé par le virus de l'hépatite C. La cour d'appel avait débouté ses ayants droits de leurs demande d'indemnisation après avoir pourtant relevé que la victime avait été transfusée en 1982 à partir de dons non sécurisés, et ce sous prétexte "qu'il ne pouvait être présumé avec un degré suffisant de vraisemblance que la contamination [...] par le VHC trouvait son origine dans les transfusions réalisées à cette date".

Cette décision méritait incontestablement la cassation car les victimes contaminées profitent légalement du doute sur l'innocuité des lots transfusés. La cour d'appel ayant constaté que les dons de sang n'avaient pas été sécurisés, elle devait nécessairement donner raison aux victimes.

C - Recours de l'EFS

Nous avions eu l'occasion, lors d'une précédente chronique (Recours de l'EFS contre le conducteur du véhicule impliqué dans l'accident : suite... et fin ?, Lexbase Hebdo n° 247 du 8 février 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N0032BAG), d'exposer le conflit de jurisprudence entre les première et deuxième chambres civiles de la Cour de cassation s'agissant de la méthode à mettre en oeuvre pour déterminer la part respective de responsabilité de l'Etablissement français du sang (EFS), condamné en raison de la contamination d'un patient par le virus de l'hépatite C (VHC) à la suite de la transfusion de produits sanguins, et du conducteur impliqué dans l'accident de la circulation qui a rendu ces transfusions nécessaires, et contre lequel recourt l'EFS.

On se souviendra que la deuxième chambre civile avait traité, au stade du recours, l'EFS comme un responsable fautif afin de cantonner ce recours aux seules hypothèses où le conducteur avait lui-même commis une faute à l'origine de l'accident, et avait très classiquement précisé que le partage devait se réaliser à proportion des fautes respectives.

Pour sa part, la première chambre civile, dans un arrêt très contesté rendu le 5 juillet 2006 (Cass. civ. 1, 5 juillet 2006, n° 05-15.235, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3785DQA), avait considéré qu'il convenait de procéder à un partage par parts égales.

On attendait donc soit l'arbitrage d'une Chambre mixte ou de l'Assemblée plénière, soit une évolution dans l'analyse de l'une des deux chambres. La deuxième chambre civile ayant maintenu le cap après l'arrêt rendu par la première chambre civile le 5 juillet 2006, la position de la première chambre civile était attendue avec une certaine impatience ; c'est désormais chose faite avec cet arrêt étrangement inédit en date du 14 février 2008 qui opère un complet revirement de jurisprudence et l'alignement de la première chambre sur la deuxième.

Après avoir repris à son compte la formule selon laquelle "soumis à une obligation de résultat, le fournisseur de produits sanguins ne peut s'exonérer de sa responsabilité, à l'égard de la victime, que par la preuve d'un cas de force majeure" et "que l'action récursoire d'un coobligé fautif contre le conducteur impliqué dans un accident de la circulation ne peut s'exercer que dans les conditions prévues par les articles 1147, 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1251 (N° Lexbase : L0268HPM) du Code civil, la contribution à la dette ayant lieu en proportion des fautes respectives", la première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre un arrêt qui avait procédé à un partage n'admettant le recours de l'EFS contre le conducteur, à qui était reproché un défaut de maîtrise du véhicule à l'origine de l'accident de la circulation, qu'à hauteur de 25 %.

Ce retour à plus d'orthodoxie ne doit toutefois pas faire oublier que toutes ces difficultés sont nées de la volonté d'admettre le recours de l'EFS contre le conducteur impliqué dans l'accident qui a rendu nécessaire l'opération et, partant, la transfusion de produits contaminés, pour les indemnités réparant les préjudices consécutifs à la transfusion.

Or, nous persistons à penser qu'il conviendrait de s'en tenir à des principes encore plus simples. Il semble, en effet, très contestable d'admettre le recours de l'EFS pour les préjudices consécutifs à la contamination alors que ceux-ci sont directement imputables à ses propres manquements et ne sont qu'une conséquence indirecte de l'accident. Il conviendrait sans doute mieux, ne serait-ce que pour s'épargner les affres d'une comparaison impossible entre les fautes commises par l'auteur direct, et celles de l'auteur indirect, de laisser à la charge du seul EFS la réparation du préjudice lié à la contamination, sans recours possible contre le conducteur, et à ce dernier la charge finale des préjudices directement consécutifs à l'accident de la circulation.

III - Exonération du médecin - faute du patient

Il est rare qu'en matière de responsabilité médicale un praticien puisse s'exonérer en opposant au malade victime sa propre faute ; seules quelques rares décisions ont, en effet, opposé au patient sa faute, qu'il s'agisse de tenir compte d'un geste intempestif pendant la réalisation d'un acte médical réputé indolore, d'avoir volontairement dissimulé au médecin des informations déterminantes pour la conduite d'une opération ou de n'avoir pas tenu compte des recommandations postopératoires de son chirurgien.

Cet arrêt en date du 17 janvier 2008 confirme ce constat.

Dans cette affaire, un patient avait été blessé par son dentiste lors de la tentative d'extraction d'une dent. Il avait alors décidé de venir se faire soigner en métropole après l'échec des soins commencés en Martinique. Alors qu'il avait assigné le praticien en responsabilité, lui réclamant la réparation du préjudice consécutif à la perforation du sinus lors de la tentative d'extraction, la cour d'appel de Fort-de-France avait partiellement exonéré le praticien, à hauteur de la moitié, considérant que le patient avait pris un risque en décidant de partir se faire soigner en métropole.

L'arrêt est cassé, la Cour de cassation considérant pour sa part, au visa de l'article 1147 du Code civil, "qu'il ne ressortait pas des constatations de l'arrêt que ce retour en métropole présentait un caractère fautif".

Cette solution nous semble pleinement justifiée et la formule employée par la première chambre civile de la Cour de cassation parfaitement adéquate. Le fait de prendre un avion pour aller se faire soigner en métropole ne saurait, en effet, constituer en soi une faute d'imprudence, ne serait-ce que parce que le patient ne fait qu'exercer le droit fondamental qui lui est reconnu de choisir librement son praticien.

Ce comportement aurait, toutefois, pu présenter un caractère fautif si les circonstances de l'espèce avaient mis en évidence l'imprudence du patient. Or, comme le relève la Cour de cassation, ce dernier avait eu un comportement parfaitement raisonnable : il avait, en effet, commencé les soins dentaires en Martinique, puis, ces derniers n'ayant pas été satisfaisants, il avait fait procéder à des examens radiologiques complémentaires avant de décider de rentrer en métropole pour se faire opérer par un spécialiste. Certes, le voyage en avion avait pu contribuer à aggraver le dommage consécutif à la maladresse du chirurgien, mais cette seule circonstance ne pouvait suffire à justifier un partage de responsabilité. Non seulement le patient n'avait commis aucune faute, mais l'aggravation du dommage, si tant est qu'elle ait pu être établie, résultait directement de la maladresse fautive du praticien et devait normalement lui être imputée. Par ailleurs, rien ne semblait démontrer que le chirurgien avait formellement déconseillé à son patient de prendre l'avion après son opération, ce qui ne devait pas ressortir des éléments du dossier, et que ce dernier n'avait pas respecté ses recommandations, comme cela avait été le cas dans l'arrêt rendu le 26 octobre 2004 (préc.).

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