La lettre juridique n°613 du 21 mai 2015

La lettre juridique - Édition n°613

Éditorial

Droit de critique en dehors de l'entreprise : le Cogito du salarié

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 21 Mai 2015


Par un arrêt du 6 mai 2015, la Chambre sociale de la Cour de cassation conforte, si ce n'est sacralise, le droit de critique du salarié en dehors même de l'entreprise. L'exercice de la liberté d'expression des salariés en dehors de l'entreprise ne peut justifier un licenciement que s'il dégénère en abus. Le fait pour un salarié de s'interroger, dans le cadre d'une situation de conflit et par la voie d'un site internet revêtant un caractère quasiment confidentiel, sur le licenciement de l'un de ses collègues, sans que les propos incriminés soient injurieux ou vexatoires, n'excède pas les limites de la liberté d'expression.

La solution ne semble pas nouvelle en soi, mais comme le souligne notre éminent auteur, le Professeur Tournaux, cette décision met, à nouveau, en exergue le besoin de plus en plus impérieux de précisions s'agissant de l'incidence de la diffusion en ligne de propos tenus par le salarié. En effet,  la Cour de cassation ne se réfère pas, dans cette affaire, à la tenue de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, mais note, seulement, que les propos du salarié n'étaient ni injurieux, ni vexatoires. S'agit-il d'une restriction du champ d'exclusion de la liberté d'expression du salarié ? Comme souvent en matière juridique, à l'approche de concepts si sensibles, voire insaisissables, la méthode jurisprudentielle semble bien empirique. Et, elle pose, par ailleurs, ici, la question de la légitimité de l'esprit critique dans un monde hyper-médiatique, dans lequel la "sécurité" ou son illusion est le maître-mot du management et de la stratégie entrepreunariale.

Depuis près de 20 ans, le principe est acquis : l'exercice dans l'entreprise du droit d'expression est en principe dépourvu de sanction, il ne doit pas en être autrement, sauf abus, hors de l'entreprise. Au-delà de la simple liberté d'expression, la jurisprudence est pour le moins permissive lorsqu'elle enseigne que les critiques émises par un salarié à l'égard de son directeur ne sont pas constitutives d'une faute grave si elles sont mesurées et exclusivement adressées à ses supérieurs hiérarchiques. Tout ceci est la pierre d'achoppement de l'incursion de la démocratie au sein de l'entreprise, à la suite des "accords de Grenelle", de l'esprit "mai 68", et sur un plan proprement juridique, de l'intéressement, de la participation, de l'intrusion des syndicats dans l'entreprise, du développement important de la notion de "relations collectives du travail" : de la négociation permanente entre salariés et employeurs dans l'entreprise avec la fin de l'autocratie patronale. On ne trouvera à redire, finalement, à l'exercice de sa liberté d'expression par le salarié, que dans des cas extrêmes au regard de critiques virulentes émises par le salarié auprès d'un client important sur la qualité du travail et la compétence des dirigeants pour lesquels il travaillait, constituent une faute grave ; d'une lettre adressée à un supérieur hiérarchique, mettant en cause sans raison la loyauté du dirigeant social et qualifiant la nouvelle organisation de l'entreprise "d'armée mexicaine" ; du fait de qualifier, en public, son directeur d'agence de "nul et incompétent" et les chargés de gestion de "boeufs", propos injurieux et excessifs constituant un abus dans l'exercice de la liberté d'expression ; et, nouveau contentieux pléthorique, du fait de dénoncer, de façon réitérée, de multiples faits inexistants de harcèlement moral dont le salarié s'est avéré incapable de préciser la teneur, accusations calomnieuses et objectivement de nature à nuire à leur destinataire ainsi qu'à l'employeur.

Comme le souligne Alain Supiot, dans Critique du droit du travail, l'émergence de la liberté d'expression au sein de l'entreprise confère au pouvoir patronal "une légitimité plus démocratique : la légitimité inhérente à tout système de domination qui permet aux dominés de s'exprimer, et renforce ainsi leur adhésion à ce système" ; mais à quel prix ? Nécessairement, celui du refus du tout contrôle médiatique, celui de l'incertitude stratégique et managériale. De l'oeuf ou de la poule, quel est le principe premier : l'assurance de l'existence du salarié par la reconnaissance de son droit de critique -l'application du fameux Cogito- ou celle de l'entreprise dans la construction de son image et de sa stratégie, ici, salariale. C'est de beaucoup l'opposition classique entre la critique -autant que faire se peut constructive- et le dogmatisme que sont tentés de vouloir imposer les caciques d'un entreprise -quelle que soit sa taille par ailleurs-.

Accorder au salarié l'esprit critique c'est lui permettre de s'interroger, et non d'injurier ni de diffamer, l'employeur ou un supérieur hiérarchique dans le but d'éviter les erreurs de raisonnement, voire, en matière d'image de l'entreprise, le sophisme de la communication. Cette capacité et ce droit à s'interroger, c'est bien entendu la révélation de l'humanité du salarié, qui n'est pas uniquement considéré comme force de travail prolétaire, selon la théorie marxiste, mais capable de penser, donc d'être, à suivre Descartes. Accordons ainsi au salarié le droit de méthodiquement douter, pour peu qu'il y ait concorde sur le fait qu'il soit considéré comme autre "chose" qu'une ressource, même humaine, puisqu'il pense et s'interroge.

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Avocats/Procédure

[Brèves] "Télérecours" : l'avocat inscrit est réputé avoir reçu l'avis d'audience déposé dans cette application dès sa mise à disposition, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'il n'aurait pas reçu de courrier électronique d'alerte

Réf. : CE 10° et 9° s-s-r., 11 mai 2015, n° 379356, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8908NHE)

Lecture: 2 min

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Le 23 Mai 2015

L'application informatique dédiée accessible par le réseau internet mentionnée à l'article R. 414-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L7500IUC) permet à toute partie ou tout mandataire inscrit de consulter les communications et notifications relatives aux requêtes qu'il a introduites, quelle que soit la forme sous laquelle il les a introduites et quelle que soit la date à laquelle il s'est inscrit dans l'application. Ainsi, la circonstance qu'une requête ait été introduite sous une forme non dématérialisée ne fait pas obstacle à ce que, à tout moment de la procédure, soient adressées sous forme dématérialisée, dans le cadre de cette application, des communications et notifications relatives à cette procédure à toute partie ou tout mandataire inscrit. De plus, l'envoi d'un message électronique aux parties et à leurs mandataires, en l'absence de demande contraire de leur part, n'est prévue par les dispositions de l'article R. 611-8-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L7509IUN) qu'à titre d'information et est sans incidence sur les conditions dans lesquelles les communications et notifications sont réputées reçues. Dès lors, la circonstance qu'un tel message n'aurait pas été reçu est ainsi sans incidence sur la régularité de la procédure. Tels sont les apports d'un arrêt rendu le 11 mai 2015 par le Conseil d'Etat (CE 10° et 9° s-s-r., 11 mai 2015, n° 379356, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8908NHE). En l'espèce, il ressort des pièces de la procédure devant le juge des référés que l'avocat de la commune était inscrit dans l'application informatique dédiée et que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne pouvait ainsi lui adresser les communications et notifications sous une forme dématérialisée par le réseau internet. Ainsi, l'avocat de la commune doit être réputé avoir reçu l'avis d'audience déposé dans cette application dès sa mise à disposition, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'il n'aurait pas reçu de courrier électronique d'alerte. Enfin, est sans incidence la circonstance qu'une mention manuscrite portée sur le courrier de communication de la requête à la commune indiquait que les pièces annexées à ce courrier lui parviendraient par voie postale. Partant il ne peut être reproché que l'ordonnance attaquée aurait été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, ni même que le principe du contradictoire aurait été méconnu .

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Avocats/Responsabilité

[Jurisprudence] Le dysfonctionnement de la justice critiqué par l'avocat

Réf. : CEDH, 23 avril 2015, Req. 29369/10 (N° Lexbase : A0406NHI)

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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

Le 21 Mai 2015

L'avocat occupe une place essentielle dans l'administration de la justice, justifiant qu'il puisse bénéficier d'une liberté d'expression très étendue pour en dénoncer les dysfonctionnements. Ainsi, des propos diffamatoires tenus à l'encontre d'un magistrat sont justifiés pénalement dès lors qu'ils entrent dans le cadre d'un débat d'intérêt général. Principal témoin de l'oeuvre de justice, l'avocat peut-il être considéré, à l'instar du journaliste, comme une autre sentinelle de la démocratie ? Tel pourrait être l'enseignement à retirer de l'arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'Homme, réunie en grande Chambre, en date du 23 avril 2015 dans une célèbre affaire qui a donné lieu à nombre de rebondissements, juridiques et médiatiques, depuis maintenant près de vingt ans.

Il faut se souvenir que le juge B. avait été retrouvé mort à Djibouti en 1995, justifiant l'ouverture d'une information judiciaire en 1997, confiée aux juges d'instruction X et Y. La veuve du magistrat s'était constituée partie civile et avait constitué avocat par l'intermédiaire de Maître M.. Au cours de l'information judiciaire, celui-ci avait déposé une demande de reconstitution des faits sur les lieux qui a été refusée par les magistrats instructeurs. Toutefois, par un arrêt en date du 21 juin 2000, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris avait annulé cette ordonnance en estimant que cet acte était indispensable à la manifestation de la vérité et elle avait également dessaisi les deux magistrats en charge du dossier pour le confier au juge d'instruction Z. Probablement au cours de l'été 2000, ce troisième juge d'instruction avait relevé que plusieurs éléments très importants, pour écarter la thèse du suicide qui était privilégiée à l'époque, n'avaient pas été cotés à la procédure. Il s'agissait d'une cassette vidéo réalisée à Djibouti en mars 2000, pendant un déplacement des deux premiers magistrats sur les lieux du décès et d'une carte du procureur de la République de Djibouti adressée à l'un des deux juges d'instruction. Sur cette carte, le procureur de Djibouti utilisait le tutoiement et dénonçait une entreprise de manipulation de la veuve du juge décédé et de son avocat. En date du 6 septembre 2000, Maître M. avait écrit au Garde des Sceaux pour dénoncer le comportement déloyal et partial des deux premiers juges d'instruction et demander l'ouverture d'une enquête de l'inspection général des services judiciaires. Le lendemain, un article paru dans "Le Monde" relatait ces faits ainsi que des dysfonctionnements dans la transmission des pièces de procédure dans un article intitulé "Affaire : remise en cause de l'impartialité de la juge X". Mettant en cause le comportement du juge X. dans le dossier du décès du juge B. à Djibouti, l'avocat avait également rappelé que le même juge aurait également fait disparaître des pièces fondamentales dans le dossier de la scientologie. Les deux magistrats avaient déposé plainte pour diffamation publique à l'encontre du directeur de publication, en qualité d'auteur principal, et à l'encontre de Maître M., en qualité de complice de l'infraction, conformément à l'ordre établi des responsabilités en cascade de l'article 41 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L3046IZT). Devant les juridictions du fond, Maître M. a été déclaré coupable de complicité de diffamation. Par un arrêt en date du 10 novembre 2009 (Cass. crim., 10 novembre 2009, n° 08-86.853, F-D N° Lexbase : A1945END), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en cassation formé par l'avocat, estimant qu'il avait outrepassé les limites admissibles à la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4743AQQ).

L'avocat, ayant épuisé les voies de recours internes, a alors saisi la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Au soutien de sa requête, il a argué d'une double violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme par l'Etat français. D'une part, il a fait valoir que sa cause n'avait pas été examinée de manière équitable par un tribunal impartial devant la Cour de cassation, dans la mesure où un membre de ladite Cour, qui a fait partie de la formation ayant statué sur son pourvoi, avait auparavant déjà eu l'occasion d'exprimer son soutien et sa confiance au juge X. D'autre part, il a également soutenu une atteinte excessive à sa liberté d'expression en tant qu'avocat puisque, jouant un rôle central dans l'administration de la justice, il devait bénéficier d'une intense protection. Cette argumentation est totalement suivie par la Cour européenne des droits de l'Homme. Dans un premier temps, elle considère que l'avocat n'avait pas bénéficié de la garantie d'un tribunal impartial au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne (N° Lexbase : L7558AIR).

Surtout, elle considère aussi que l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme a été violé dans la mesure où la condamnation de l'avocat pour complicité de diffamation constituait une ingérence disproportionnée à la liberté d'expression de l'avocat. En suivant le détail du raisonnement suivi par la Cour européenne des droits de l'Homme, il se trouve que celle-ci considère que l'avocat ne pouvait tenir ses propos dans le cadre de la défense des intérêts de son client (I), mais que l'information du public, dans le cadre d'un débat d'intérêt général, excusait l'atteinte à la réputation des magistrats (II).

I - Des propos inutiles à la défense du client

Il ne fait aucun doute que l'avocat doit pouvoir bénéficier d'une liberté de ton dans l'exercice des droits de la défense. Comme l'écrit notre confrère François Lyn, la liberté d'expression de l'avocat est renforcée au nom du respect des droits de la défense de son client lorsque l'intéressé s'exprime devant les tribunaux (1). Ainsi, la Cour européenne des droits de l'Homme a déjà pu considérer, en application de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, que "ce n'est qu'exceptionnellement qu'une restriction à la liberté d'expression de l'avocat de la défense même au moyen d'une sanction pénale légère peut passer pour nécessaire dans une société démocratique" (2). Le droit interne n'est pas en reste puisque l'article 41, alinéa 4, de la loi en date du 29 juillet 1881 prévoit que "ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux". Autant dire qu'à la barre, la liberté de parole de l'avocat est très élargie.

Mais progressivement, la Cour européenne des droits de l'Homme a aussi considéré que l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme assurait également une protection spécifique hors du prétoire. C'est ainsi que, dans l'affaire "Amihalachiaie contre Moldavie" ayant donné lieu à un arrêt en date du 20 juillet 2004, la Cour européenne des droits de l'Homme a indiqué que "la liberté d'expression vaut aussi pour les avocats, qui ont le droit de se prononcer publiquement sur le fonctionnement de la justice, mais dont la critique ne saurait franchir certaines limites" (4). Or, toute la difficulté est de fixer concrètement ces limites, d'autant que la Cour européenne des droits de l'Homme a précisé que, dans l'exercice de son contrôle, la Cour doit analyser l'ingérence litigieuse à la lumière de l'ensemble de l'affaire, y compris la teneur des propos du requérant et le contexte dans lequel ils ont été exprimés, pour déterminer si elle était "fondée sur un besoin social impérieux" et "proportionnée au but légitime poursuivi" et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent "pertinents et suffisants" (5). De toute évidence, la Cour européenne s'en remet à un critère in concreto, dont l'inconvénient est évidemment l'insécurité juridique qui en découle.

Pourtant, il semble tout de même qu'un critère objectif guide l'oeuvre jurisprudentielle de la Cour européenne des droits de l'Homme. Différents arrêts posent l'exigence d'une critique contemporaine à l'oeuvre de justice pour bénéficier de la protection de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. C'est ainsi que, dans l'arrêt rendu dans l'affaire "Foglia contre Suisse", la Cour européenne des droits de l'Homme a estimé que l'avocat n'avait pas outrepassé les limites de la liberté d'expression dans les médias en exprimant son mécontentement sur la conduite d'une enquête de police et en exposant les motifs qui l'avait conduit à exercer un recours en appel (6). En revanche, il en allait différemment dans l'affaire commentée, la Cour européenne des droits de l'Homme considère que les propos litigieux ne pouvaient bénéficier de la protection accordée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme car ils ne corroboraient pas l'exercice des droits de la défense. Selon elle, les déclarations publiées dans le journal "Le Monde" visaient des juges d'instruction définitivement écartés de la procédure lorsqu'il s'est exprimé. La Cour ne décèle donc pas dans quelle mesure ses déclarations pouvaient directement participer de la mission de défense de sa cliente, dès lors que l'instruction se poursuivait devant un autre juge qui n'était pas mis en cause. En revanche, c'est sous l'angle du droit à l'information du public que la Cour européenne des droits de l'Homme retient la violation de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

II - Des propos utiles à l'information du public

L'information du public constitue une garantie prévue par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits l'Homme. Après avoir proclamé que "toute personne a droit à la liberté d'expression", le premier paragraphe de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme précise que "ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir [...] des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière". Et c'est précisément sous cet angle que la Cour européenne des droits de l'Homme estime que la condamnation de l'avocat du chef de complicité de diffamation, pour ses propos tenus dans les colonnes du journal "Le Monde", constitue une violation de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. En effet, l'arrêt énonce que "les propos reprochés au requérant ne constituaient pas des attaques gravement préjudiciables à l'action des tribunaux dénuées de fondement sérieux, mais des critiques à l'égard des juges X. et Y, exprimées dans le cadre d'un débat d'intérêt général relatif au fonctionnement de la justice et dans le contexte d'une affaire au retentissement médiatique important depuis l'origine" (8). Ce type de raisonnement est désormais bien connu.

Il est désormais admis en droit européen que, dans le contexte d'un débat d'intérêt général, la liberté d'expression dispose d'un degré de protection accru, incluant la possibilité "de recourir à une certaine dose d'exagération, voire de provocation, c'est-à-dire d'être quelque peu immodéré dans ses propos" (9). Et d'ailleurs, la Cour européenne des droits de l'Homme avait indiqué que le public trouvait un intérêt légitime à être informé et à s'informer sur les procédures en matière pénale (10). A cet égard, l'affaire commentée ne présentait pas d'originalité notoire puisque les propos de l'avocat s'inscrivaient dans le cadre d'une critique du fonctionnement de la justice impliquant les deux anciens juges chargés d'instruire l'affaire dans laquelle leurs clients étaient parties civiles et concernant la mort suspecte d'un magistrat français à Djibouti. En d'autres termes, le cadre du débat d'intérêt général permettait de tenir un propos particulièrement hostile quant à l'oeuvre de justice.

Mais là où se trouve la véritable originalité de cet arrêt, c'est qu'il légitime la présence de l'avocat dans un débat d'intérêt général au sens de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Traditionnellement, les justiciables qui cherchent à invoquer les contours d'un débat d'intérêt général pour couvrir leur propos sont les politiques et, évidemment, les journalistes. Il est plus rare que les avocats invoquent le bénéfice du débat d'intérêt général pour justifier pénalement des propos pénalement répréhensibles. Il convient toutefois de préciser que la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l'Homme marque une avancée indéniable au profit de l'avocat dans les contextes médiatiques. Dans l'affaire "Mor contre France", ayant donné lieu à un arrêt en date du 15 décembre 2011, elle avait admis que l'avocat avait pu commenter un rapport d'expertise, en violation du secret de l'instruction, accablant une société pharmaceutique qui avait mis sur le marché un vaccin contre l'hépatite B qui avait conduit au décès d'une fillette (11). Ainsi que l'écrivait le Professeur Jean-Pierre Marguénaud dans d'autres colonnes, "l'avocat ne sera plus le seul à ne pas pouvoir parler dans les médias d'une affaire que tous les journalistes étalent à la une de tous les journaux" (12).

De toute évidence, l'affaire "Morice contre France" participe de cette mouvance. Mais la Cour européenne des droits de l'Homme prend soin de préciser que, du point de vue de la participation au débat d'intérêt général, l'avocat ne saurait être assimilé à un journaliste. Tandis qu'il incombe au journaliste de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d'intérêt général, y compris celles qui se rapportent à l'administration de la justice, l'avocat agit en qualité d'acteur de la justice directement impliqué dans le fonctionnement de celle-ci et dans la défense d'une partie (13). Bien que la Cour européenne des droits de l'Homme considère que cette décision est très particulière en raison de son contexte factuel, il n'en demeure pas moins, selon nous, qu'elle apporte une pierre importante au fait justificatif tiré du débat d'intérêt général, souvent critiqué pour son imprécision (14).

En définitive, cette affaire ne reconnaît aucun nouveau droit en faveur de l'avocat. Il était déjà acquis que celui bénéficiait d'une liberté de parole en dehors du prétoire. Toutefois, l'avocat est pénalement excusé par l'existence d'un débat d'intérêt général, lorsqu'il dénonce les dysfonctionnements de la justice, graves et avérés, qu'il a pu constatés dans ses dossiers. La liberté de parole, dont il bénéfice dans les colonnes de la presse, se rapproche alors sensiblement de celle dont il bénéficie derrière les colonnes du tribunal.


(1) F. Lyn, La liberté d'expression de l'avocat en droit européen, Gaz. Pal., 21 juin 2007, p. 2 et s..
(2) CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/01, § 174 (N° Lexbase : A9564DLS).
(3) F. Lyn, La liberté d'expression de l'avocat en droit européen, spéc. II-A.
(4) CEDH, 20 avril 2004, Req. 60115/00, § 28 (N° Lexbase : A8913DBQ).
(5) CEDH, 20 avril 2004, Req. 60115/00, § 28.
(6) CEDH, 13 décembre 2007, Req. 35865/04 N° Lexbase : A0600D3M).
(7) CEDH, 23 avril 2015, Req. 29369/10, § 174 (N° Lexbase : A0406NHI).
(8) Idem, § 148.
(9) CEDH, 22 octobre 2007, Req. 21279/02, § 56 (N° Lexbase : A8226DYC) ; v. également, CEDH, 7 novembre 2006, Req. 12697/03 § 25 (N° Lexbase : A1924DS3) ; CEDH, 10 décembre 2009, Req. 10883/05, § 33 N° Lexbase : A8882EIS).
(10) CEDH, 22 octobre 2007, Req. 21279/02, § 66 (N° Lexbase : A8226DYC) ; v., aussi, CEDH, 30 octobre 2012, Req. 6086/10 (N° Lexbase : A1439IW9).
(11) CEDH, 15 décembre 2011, Req. 28198/09, § 53 (N° Lexbase : A6142IAQ).
(12) J.-P. Marguénaud, L'extension du droit à la liberté d'expression de l'avocat par la médiatisation du contexte, RSC 2012, p. 260 et s.
(13) CEDH, 23 avril 2015, précité, § 148.
(14) H. Chevry, Les débats d'intérêt général et le droit de la presse, Mémoire master 2, Paris II, 2014, dir. Y. Mayaud, p. 82 et s.

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Collectivités territoriales

[Jurisprudence] Retrait des actes administratifs créateurs de droits et conditions de rétractation d'une promesse unilatérale de vente : du nouveau dans le dialogue entre Conseil d'Etat et Cour de cassation

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 2 avril 2015, n° 364539, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1146NGK)

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N7378BUS

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par Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public à la 3ème sous-section

Le 21 Mai 2015

Dans un arrêt rendu le 2 avril 2015, le Conseil d'Etat dit pour droit que, dès lors que le bénéficiaire d'une promesse unilatérale de vente consentie par une commune n'a pas encore levé l'option, il ne peut prétendre à la réalisation forcée de la vente. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat, sur cet arrêt. Cette affaire constitue un point de rencontre intéressant entre votre jurisprudence relative aux conditions de retrait des actes administratifs créateurs de droits et celle de la Cour de cassation relative aux conditions de rétractation d'une promesse unilatérale de vente.

Une commune de Martinique a souhaité faire aménager des terrains lui appartenant situés au lieudit "Plateforme" afin d'y installer des équipements et services publics, des commerces ainsi que des logements sociaux. Par une première délibération du 20 août 2007, son conseil municipal a fixé le prix de cession du terrain. Par une deuxième délibération adoptée le 14 novembre 2007, dont il sera beaucoup question par la suite, il a autorisé la signature d'une promesse de vente au bénéfice de la société X, aux fins de réalisation d'une zone d'activités, conformément aux prescriptions d'un cahier des charges. La même délibération donnait mandat au maire pour mener cette transaction et signer tous documents y afférents. En exécution de cette délibération, une promesse unilatérale de vente a été conclue le 18 décembre 2007 au profit de la société X.

Mais la commune, dont le conseil municipal avait entre temps été renouvelé, est ensuite revenue sur ses intentions. Par une troisième délibération du 8 septembre 2008, adoptée avant que le bénéficiaire de la promesse de vente n'exerce l'option d'achat qui lui était offerte, le conseil municipal de la commune a dénoncé cette promesse de vente. La société Y, qui s'était entretemps substituée à la société X dans le bénéfice de la promesse de vente, n'a exercé l'option qu'ensuite, par lettre du 15 décembre 2009. Nonobstant, le conseil municipal, par délibération du 21 janvier 2010, a décidé de mettre une partie des terrains concernés par la promesse de vente à la disposition du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Martinique, afin qu'y soit édifiée une caserne de pompiers, et autorisé le maire à signer tous actes se rapportant à ce projet.

Les deux dernières délibérations que nous avons mentionnées -celle de 2008 dénonçant la promesse de vente et celle de 2010 décidant d'une nouvelle affectation d'une partie des terrains concernés- ont été attaquées devant le tribunal administratif de Fort-de-France par la société X et par la société Y. Le tribunal administratif a rejeté les deux requêtes. Mais sur appel des sociétés, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal et les deux délibérations de la commune. La commune se pourvoit en cassation et vous demande de surseoir à l'exécution de l'arrêt rendu par la cour.

Pour annuler les deux délibérations contestées, la cour a relevé que la délibération du 14 novembre 2007 autorisant la signature de la promesse de vente avait créé des droits au profit de la société X et que le retrait d'une telle décision individuelle, à la supposer illégale, ne pouvait intervenir que dans le délai de quatre mois suivant cette décision -en application de votre jurisprudence "Ternon" (1)-. La cour en a déduit que la commune ne pouvait légalement procéder à son retrait le 8 septembre 2008, postérieurement à l'expiration de ce délai. Par voie de conséquence, elle a aussi annulé la délibération du 26 janvier 2010.

La commune soulève sept moyens à l'appui de son pourvoi. Plusieurs d'entre eux pointent une réelle fragilité de l'arrêt qui doit selon nous conduire à sa cassation.

1. Pour mettre en évidence cette fragilité, il faut dire un mot de la jurisprudence judiciaire relative aux effets d'une promesse unilatérale de vente.

Il s'agit d'un contrat par lequel une personne -le promettant- s'engage à vendre un bien déterminé à des conditions données, notamment de prix, à une autre personne -le bénéficiaire- qui dispose d'un droit d'option lui permettant d'acquérir le bien s'il exerce cette option dans le délai fixé. La promesse est qualifiée d'unilatérale et non de synallagmatique parce que, précisément, le bénéficiaire ne s'engage à rien : il peut faire jouer le bénéfice de la promesse en exerçant l'option dans le délai prévu ou au contraire y renoncer en laissant ce délai expirer.

Que se passe-t-il si le promettant remet en cause son engagement avant que le bénéficiaire n'ait exercé son droit d'option ?

D'après une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, il s'agit d'une violation de la promesse de vente, mais parce que celle-ci met à la charge du promettant une obligation de faire, la méconnaissance de cette obligation ne peut se résoudre que par l'octroi de dommages-intérêts au bénéficiaire lésé, en application de l'article 1142 du Code civil (N° Lexbase : L1242ABM) ; elle ne peut se traduire par aucune exécution forcée de la vente, la levée de l'option postérieurement à la rétractation du promettant excluant, selon la Cour de cassation, toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d'acquérir. Cette jurisprudence résulte principalement d'arrêts rendus par la troisième chambre civile (2). C'est aussi celle de la Chambre commerciale (3).

Cette jurisprudence est très vivement contestée par la doctrine, qui renouvelle régulièrement ses critiques à l'encontre de son maintien et ses espoirs de la voir abandonnée (4). Mais jusqu'à présent la Cour de cassation tient le cap. Notons qu'il reste cependant possible aux parties à une promesse unilatérale de vente de déroger par une stipulation expresse aux dispositions de l'article 1142 du Code civil, en prévoyant que la rétractation du promettant avant l'exercice de l'option par le bénéficiaire peut se résoudre en nature par la constatation judiciaire de la vente (5).

Nous ne voyons pas de raison de vous proposer de vous éloigner de ce cadre jurisprudentiel élaboré par la Cour de cassation -les parties, d'ailleurs, ne vous y invitent nullement-.

2. Ce cadre précisé, revenons à notre affaire.

Nous allons vous proposer d'accueillir le moyen du pourvoi tiré de ce que la cour a inexactement interprété la portée de la délibération du 8 septembre 2008 en jugeant qu'elle procédait au retrait de la précédente délibération du 14 novembre 2007 autorisant la signature de la promesse de vente. Précisons que le contrôle que vous devez exercer sur ce point en tant que juge de cassation est étroit : dès lors qu'est en cause la lecture par les juges du fond d'un acte administratif unilatéral, il ne s'agit pas seulement de censurer une éventuelle dénaturation dans l'appréciation de faits ; il s'agit bien d'un contrôle rapproché (6).

Avant d'aboutir à cette proposition, nous sommes passés par plusieurs stades de réflexion. Il nous semble qu'il y a, au fond, deux manières d'envisager le litige opposant la commune à la société X. L'une consiste à lire les décisions prises par la commune au prisme exclusif de votre théorie des actes créateurs de droit et c'est peut-être ce que la cour administrative d'appel a fait, sans le dire très clairement-. L'autre revient à prendre en compte les formes que l'action de la commune a empruntées -des formes relevant du droit privé puisqu'est en cause la gestion de son domaine privé-.

2.1. Si nous tentons d'expliciter le raisonnement de la cour administrative d'appel, il nous semble le suivant.

La délibération du 14 novembre 2007 autorisant la signature de la promesse de vente traduisait un engagement unilatéral de la commune de vendre les terrains à la société X au prix et selon les modalités fixées dans cette promesse. Autrement dit, cette délibération contenait une décision de vendre les terrains à la société pour le prix convenu. Et une fois la délibération du 14 novembre 2007 interprétée de la sorte, la suite du raisonnement est inéluctable... La décision ainsi identifiée dans la délibération était assurément créatrice de droits (7). La société X bénéficiait donc, dès l'adoption de la délibération du 14 novembre 2007, du droit d'acheter les terrains de la commune au prix convenu -indépendamment même, notons-le, de la signature ultérieure de la promesse de vente-. La délibération du 8 septembre 2008 "dénonçant" la promesse de vente ne pouvait alors être lue que comme une remise en cause de la décision de vendre les terrains à la société. Et cette délibération, en prétendant revenir sur une décision créatrice de droits au-delà du délai de quatre mois, ne pouvait qu'être illégale.

2.2. Nous croyons ce raisonnement contestable à deux titres.

En premier lieu, il est déjà douteux que la délibération du 14 novembre 2007 ait en elle-même créé des droits au profit de la société X, ainsi que la cour l'a affirmé. Cette délibération a pour objet "d'autoriser la signature de la promesse de vente" et de "donner mandat au maire pour mener cette transaction". Or, vous avez tout récemment jugé, dans un cas similaire, qu'une délibération du conseil d'administration d'un hôpital qui se borne à autoriser son directeur à signer les pièces relatives à la vente d'un immeuble ne peut être regardée comme créatrice de droits (8).

Surtout, en second lieu, le raisonnement précédemment exposé nous semble tenir pour quantité négligeable la circonstance que la commune a entendu agir dans les formes du droit privé. Plus précisément qu'elle a voulu, par la délibération du 14 novembre 2007, non pas directement procéder à la vente, mais conclure une promesse de vente. Or en application de la jurisprudence judiciaire que nous avons rappelée tout à l'heure, il était possible à la commune, même une fois cette promesse signée, et tant que l'option n'avait pas été levée par le bénéficiaire, de revenir sur son engagement, la sanction de cette rétractation ne pouvant se résoudre que par l'octroi de dommages-intérêts, et non par l'exécution forcée de la vente.

2.3. Si l'on envisage les choses de cette manière, c'est-à-dire si l'on enrichit la lecture des faits en prenant en compte les formes dans lesquelles la commune a entendu agir, il nous semble que la face du litige s'en trouve changée.

Tout d'abord, nous le disions à l'instant, il n'est plus possible d'identifier, comme incluse dans la délibération du 14 novembre 2007, une décision pure et simple de vendre les terrains à la société X pour un prix convenu. Même en assimilant cette délibération autorisant la signature de la promesse de vente à une décision de signer la promesse de vente (9), il faut considérer qu'elle créait seulement au profit de la société X, compte tenu de la jurisprudence judiciaire précitée, le droit de bénéficier d'une promesse de vente des terrains concernés. Pas celui d'acheter ces terrains.

Ensuite, il est possible de lire la délibération du conseil municipal du 8 septembre 2008, tout simplement, comme emportant rétractation de la commune. Cette délibération décide, avant que l'option ait été levée, de "dénoncer la promesse de vente faite à la société [...]" et de "ne pas donner à M. le maire en exercice l'habilitation requise pour la signature de l'acte authentique de la vente". Et elle n'évoque à aucun moment le retrait de la délibération du 14 novembre 2007 autorisant la signature de la promesse de vente -à vrai dire, elle ne dit même pas un mot de cette précédente délibération-.

C'est bien cette lecture des délibérations adoptées par le conseil municipal que nous sommes partisans d'adopter. Il serait étrange de n'analyser ces délibérations que sous l'angle de la théorie des actes administratifs créateurs de droit, sans égard pour les formes de droit privé auxquelles la commune a recouru -et ce d'autant plus que ces délibérations sont intervenues dans un domaine d'action dans lequel elle est soumise aux règles du droit privé, puisqu'est en cause dans cette affaire la gestion de son domaine privé-. Ou, pour dire les choses plus exactement, il faut considérer que ces délibérations n'ont pu créer des droits que dans les conditions prévues par ces règles de droit privé -et nous pensons que cette hybridation peut se réclamer de la veine jurisprudentielle relative aux décisions qui créent des droits de manière conditionnelle- (10).

Nous vous proposons donc de juger qu'en adoptant la délibération du 8 septembre 2008, la commune a seulement entendu remettre en cause son engagement de vendre formalisé dans la promesse unilatérale signée le 18 décembre 2007 -et non procéder au retrait de la délibération du 14 novembre 2007 autorisant la signature de cette promesse-. Une telle rétractation constitue certes une méconnaissance de la promesse de vente signée par la commune, mais elle ne l'anéantit pas. Dès lors, nous croyons que la cour a inexactement interprété la délibération du 8 septembre 2008 en jugeant qu'elle procédait au retrait de celle du 14 novembre 2007. Cette erreur d'interprétation est sans doute mêlée d'erreur de droit, comme le souligne le pourvoi, puisque la cour, nous l'avons dit, paraît avoir complètement occulté le régime juridique de la promesse unilatérale de vente.

Précisons pour terminer, même si ce n'est pas nécessaire pour annuler l'arrêt de la cour, que la société ne pouvait pas, à notre avis, obtenir l'exécution forcée de la vente. Elle souligne dans ses écritures que la promesse de vente conclue contenait une clause d'exécution forcée par laquelle le promettant indiquait renoncer à l'application de l'article 1142 du Code civil et reconnaître au bénéficiaire le droit de poursuivre l'exécution forcée de la vente. Les parties auraient ainsi utilisé la faculté expressément reconnue par l'arrêt de la troisième chambre civile du 27 mars 2008 précité. Toutefois, il ressort de la lecture de cette clause que les parties n'ont entendu la faire jouer qu'après la levée de l'option. Cela rend assez incertain sa portée effective. Mais il nous semble clair, en tout cas, qu'elle n'a produit aucun effet dès lors que la commune s'est rétractée avant que l'option fût levée.

Enfin, avant de conclure, et maintenant que vous êtes complètement éclairé -du moins nous l'espérons- sur la portée de la délibération du 8 septembre 2008, indiquons brièvement que le litige relève bien de la compétence de la juridiction administrative, y compris après la précision apportée par la décision du Tribunal des conflits "Brasserie du Théâtre" (11). Le juge administratif reste compétent pour connaître d'un acte tel que la délibération du 8 septembre 2008 revenant sur l'engagement de vendre pris par la commune, puisqu'il affecte le périmètre de son domaine privé (12). Quant à la délibération du 26 janvier 2010 que la cour administrative d'appel a annulée par voie de conséquence, elle s'inscrit très clairement dans des rapports qui ne relèvent pas du droit privé puisque, redisons-le, elle décide la mise à disposition du SDIS d'un terrain communal en vue de l'édification d'une caserne de pompiers.

Par ces motifs nous concluons dans le sens qui suit :

1. Annulation de l'arrêt attaqué ;

2. Renvoi de l'affaire à la cour administrative d'appel ;

3. Non-lieu à statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution de l'arrêt ;

4. Versement par les sociétés à la commune d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4) ;

5. Rejet des conclusions présentées à ce même titre par les sociétés.


(1) CE, Ass., 26 octobre 2001, n° 197178, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1913AX7), p. 497.
(2) Cass. civ. 3, 15 décembre 1993, n° 91-10.199 (N° Lexbase : A4251AGK), Bull. civ. III, n° 174 ; Cass. civ. 3, 28 octobre 2003, n° 02-14.459, F-D (N° Lexbase : A0064DAM) ; Cass. civ. 3, 25 mars 2009, n° 08-12.237, FS-P+B (N° Lexbase : A2116EE4), Bull. civ. III, n° 69 ; Cass. civ. 3, 11 mai 2011, n° 10-12.875, FS-P+B (N° Lexbase : A1164HRK), Bull. civ. III, n° 77, avec note Mazeaud au Rec. Dalloz, 2011, p. 1457 ; Cass. civ. 3, 12 juin 2013, n° 12.19-105, F-S-D (N° Lexbase : A5736KGK).
(3) Cass. com., 13 septembre 2011, n° 10-19.526, F-D (N° Lexbase : A7535HXD).
(4) Voyez, pour ne citer qu'un exemple, les observations du professeur Mazeaud dans la note référencée ci-dessus.
(5)Cass. civ. 3, 27 mars 2008, n° 07-11.721, FS-D (N° Lexbase : A6102D77).
(6) Voyez, censurant "l'inexacte interprétation" d'un arrêté préfectoral, votre décision CE 1° et 6° s-s-r., 12 novembre 2007, n° 281345, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5796DZP), sur ce point.
(7) Voyez par exemple CE 1° et 2° s-s-r., 8 janvier 1982, n° 21510, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8218AKL), jugeant que la délibération par laquelle un conseil municipal décide de vendre, sans aucune condition, un terrain à un particulier crée des droits au profit de l'acheteur.
(8) CE 3° et 8° s-s-r., 13 février 2015, n° 381412, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4210NBK).
(9) Ce à quoi votre décision précitée du 13 février 2015 paraît se refuser, nous le redisons.
(10) Voyez notamment, pour l'acceptation d'une offre d'achat conditionnée par le versement d'une somme au comptant lors de la signature de l'acte authentique, CE 2° et 6° s-s-r., 25 juin 1975, n° 91104, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7356B8X) ; voir aussi, illustrant la démarche suivie par le juge pour déterminer quels droits peuvent être créés par un acte administratif, compte tenu des conditions qu'il comporte, CE 3° et 8° s-s-r., 5 juillet 2010, n° 308615, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1308E49) ; CE 3° et 8° s-s-r., 26 juillet 2011, n° 324523, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8299HWB).
(11) T. confl., 22 novembre 2010, n° 3764 (N° Lexbase : A4408GLT).
(12) Cf. la jurisprudence non remise en cause reconnaissant la compétence du juge administratif pour connaître des actes de disposition de dépendances du domaine privé : CE 3° et 8° s-s-r., 22 novembre 2002, n° 229192, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1663A4D), p. 653 ; CE, Sect., 3 novembre 1997, n° 169473, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5175ASH).

newsid:447378

Concurrence

[Brèves] Echanges de documents entre la Commission et une autorité nationale de la concurrence : inaccessibilité au public

Réf. : TPIUE, 12 mai 2015, aff. T-623/13 (N° Lexbase : A8541NHS)

Lecture: 2 min

N7374BUN

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Le 21 Mai 2015

Le Tribunal de l'UE a jugé, le 12 mai 2015, que les documents échangés entre la Commission et une autorité nationale de la concurrence dans le cadre d'une procédure d'infraction aux règles de la concurrence ne sont, en principe, pas accessibles au public, leur divulgation pouvant porter atteinte à la protection des intérêts commerciaux des entreprises concernées ainsi qu'à celle des objectifs des activités d'enquête (TPIUE, 12 mai 2015, aff. T-623/13 N° Lexbase : A8541NHS). Dans cette affaire, une association professionnelle a demandé à la Commission l'accès à l'ensemble de la correspondance échangée entre elle et l'autorité de la concurrence espagnole. La Commission a accordé l'accès à certains des documents demandés, mais a refusé l'accès aux projets de décision concernant les deux procédures nationales en cause et aux résumés de ces deux affaires établis en anglais. Saisi d'un recours contre cette décision, le Tribunal le rejette. Le Tribunal considère qu'il existe bien une présomption générale selon laquelle la divulgation des documents transmis par une autorité nationale de concurrence dans le cadre d'une procédure d'infraction aux règles de la concurrence porte, en principe, atteinte tant à la protection des intérêts commerciaux des entreprises concernées qu'à la protection, qui lui est étroitement liée, des objectifs des activités d'enquête de l'autorité de concurrence nationale. Le Tribunal ajoute que le bon fonctionnement du mécanisme d'échange d'informations, instauré au sein du réseau d'autorités publiques assurant le respect des règles de l'Union en matière de concurrence, implique que les informations échangées demeurent confidentielles. Le Tribunal relève également que la limitation de la période au cours de laquelle la présomption s'applique ne peut pas se justifier en l'espèce par la prise en compte du droit à réparation dont bénéficient les personnes lésées par une violation du droit de la concurrence. En effet, les documents en cause (à savoir la décision envisagée par l'autorité de concurrence nationale et le résumé de l'affaire) ne concernent pas une enquête de la Commission, mais une enquête diligentée par une autorité nationale de concurrence. C'est donc dans le dossier d'enquête de cette autorité nationale que pourraient, le cas échéant, figurer les éléments de preuve nécessaires pour fonder une éventuelle demande en réparation.

newsid:447374

Congés

[Brèves] Salariés à temps partiel et décompte des droits à absence en jours ouvrés au titre des congés payés annuels : quels jours ouvrés faut-il prendre en compte ?

Réf. : Cass. soc., 12 mai 2015, n° 14-10.509, FS-P+B (N° Lexbase : A8699NHN)

Lecture: 1 min

N7451BUI

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Le 22 Mai 2015

Sauf accord collectif prévoyant, sans discrimination, un autre mode d'acquisition et de décompte des droits à congés payés annuels en jours ouvrés, le décompte des droits à absence en jours ouvrés au titre des congés payés annuels, ne peut se faire au profit des salariés à temps partiel que sur les jours habituellement ouvrés dans l'établissement, et non sur les seuls jours ouvrés qui auraient été travaillés par le salarié concerné, s'il avait été présent Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 12 mai 2015 (Cass. soc., 12 mai 2015, n° 14-10.509, FS-P+B N° Lexbase : A8699NHN).
Dans cette affaire, Mme X, agent d'escale commercial à temps partiel d'une compagnie aérienne Y, a saisi la juridiction prud'homale pour contester le décompte des jours de congés payés appliqué par l'employeur et réclamer l'octroi des jours qu'elle estimait lui être dus.
Pour débouter la salariée de ses demandes, l'arrêt de la cour d'appel (CA Bordeaux, 12 novembre 2013, n° 12/05673 N° Lexbase : A3915KPP), rendu sur renvoi après cassation (Cass. soc., 12 septembre 2012, n° 11-20.386, F-D N° Lexbase : A7534IST), retient que celle-ci a été remplie de ses droits et que la méthode de calcul retenue par l'employeur conformément à la Convention collective du transport aérien personnel au sol permet d'assurer une égalité de traitement à temps partiel et à temps complet. A la suite de cette décision, la salariée s'est pourvue en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt au visa des articles L. 3123-11 du Code du travail (N° Lexbase : L0420H9G), et des articles 2.1 et 2.4.1 de la Convention d'entreprise du personnel au sol de la société Y du 18 avril 2006 .

newsid:447451

Droit des étrangers

[Brèves] Les démarches nécessaires à la mise en oeuvre de la mesure d'éloignement doivent être prises dès le placement en rétention

Réf. : Cass. civ. 1, 13 mai 2015, n° 14-15.846, F-P+B (N° Lexbase : A8615NHK)

Lecture: 1 min

N7462BUW

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Le 23 Mai 2015

Les démarches nécessaires à la mise en oeuvre de la mesure d'éloignement ne doivent pas être entreprises une semaine après le placement en détention, sous peine de nullité de la procédure, estime la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 13 mai 2015 (Cass. civ. 1, 13 mai 2015, n° 14-15.846, F-P+B N° Lexbase : A8615NHK). M. X, en situation irrégulière, sans document d'identité et ayant fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, a été placé en rétention administrative le 24 mai 2013 en exécution d'une décision prise par un préfet. Cette mesure ayant fait l'objet d'une première prolongation le 31 mai 2013, le juge des libertés et de la détention a prolongé une seconde fois le maintien en rétention pour une durée de vingt jours. Pour confirmer cette décision, l'ordonnance attaquée retient, par motifs adoptés, que l'autorité consulaire a été saisie le 31 mai 2013, relancée le 14 juin suivant, et que le retard de réponse ne peut être imputé à l'administration. La Cour suprême estime, à l'inverse, qu'il résultait des propres constatations de la cour d'appel que la saisine des autorités consulaires était intervenue huit jours après le placement en rétention. En statuant ainsi, le premier président a violé l'article L. 554-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5867G43), dont il résulte qu'un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l'administration étant tenue d'exercer toutes diligences à cet effet dès le placement en rétention (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E3952EYZ).

newsid:447462

Licenciement

[Brèves] Droit espagnol : la définition légale du licenciement collectif est contraire au droit de l'Union

Réf. : CJUE, 13 mai 2015, aff. C-392/13 N° Lexbase : A8927NH4)

Lecture: 2 min

N7445BUB

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Le 23 Mai 2015

L'article 1 § 1, alinéa 1, a) de la Directive 98/59 du 20 juillet 1998 (N° Lexbase : L9997AUS), s'oppose à une réglementation nationale qui introduit, comme seule unité de référence, l'entreprise et non l'établissement, lorsque l'application de ce critère a pour conséquence de faire obstacle à la procédure d'information et de consultation prévue aux articles 2 à 4 de cette Directive, alors que, si l'établissement était utilisé comme unité de référence, les licenciements concernés devraient être qualifiés de "licenciements collectifs", au regard de la définition figurant à l'article 1 § 1, alinéa 1er, a) de ladite Directive.
L'article 1 § 1 de la Directive doit être interprété en ce sens que, aux fins de constater que des "licenciements collectifs", au sens de cette disposition, ont été effectués, il n'y a pas lieu de tenir compte des cessations individuelles de contrats de travail conclus pour une durée ou une tâche déterminées, dans le cas où ces cessations interviennent à la date d'échéance du contrat ou à la date à laquelle cette tâche a été accomplie.
L'article 1 § 2, a) de la Directive doit être interprété en ce sens que, pour constater l'existence de licenciements collectifs effectués dans le cadre de contrats de travail conclus pour une durée ou une tâche déterminées, il n'est pas nécessaire que la cause de tels licenciements collectifs découle d'un même cadre de recrutement collectif pour une même durée ou une même tâche. Telles sont les solutions dégagées par la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt rendu le 13 mai 2015 (CJUE, 13 mai 2015, aff. C-392/13 N° Lexbase : A8927NH4).
La société Y détenait deux établissements à Madrid et à Barcelone, lesquels employaient respectivement 164 et 20 personnes. Entre octobre et novembre 2012, 5 CDD sont arrivés à échéance (3 au sein de l'établissement de Madrid et 2 au sein de celui de Barcelone). Moins de 90 jours plus tard, 13 autres salariés de l'établissement de Barcelone (dont M. X) ont été licenciés pour des raisons économiques. M. X a contesté son licenciement au motif que la société Y aurait, de manière frauduleuse, éludé l'application de la procédure relative aux licenciements collectifs qui, en vertu de la Directive 98/59 du 20 juillet 1998 (N° Lexbase : L9997AUS), revêtirait un caractère obligatoire.
En énonçant les règles susvisées, la CJUE répond aux questions préjudicielles qui lui ont été posée par le juge espagnol (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9520ESE).

newsid:447445

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Application aux provisions pour pertes ou charges de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 11 mai 2015, n° 370533, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8890NHQ)

Lecture: 1 min

N7406BUT

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Le 22 Mai 2015

Une entreprise ne peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle qu'à la condition, notamment, que ces pertes ou charges apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice. Dès lors, l'inscription non justifiée en provision d'une somme pendant plusieurs exercices successifs, même si les montants sont identiques, constitue la répétition d'une erreur. Par suite, cette erreur, même lorsqu'elle a été commise pour la première fois au cours d'un exercice clos plus de sept ans avant l'ouverture du premier des exercices non prescrits, ne peut être corrigée dans le bilan d'ouverture du premier de ces exercices. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 11 mai 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 11 mai 2015, n° 370533, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8890NHQ). En l'espèce, à la suite d'une vérification de comptabilité dont la société requérante a fait l'objet, l'administration fiscale a remis en cause la déduction d'une provision pour créance douteuse détenue sur sa filiale, constatée à la clôture de l'exercice clos en 1994, et augmentée d'une dotation complémentaire à la clôture de l'exercice clos en 1995. Le Conseil d'Etat, qui a donné raison à l'administration, a, tout d'abord, rappelé le principe d'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit sauf omissions ou erreurs intervenues plus de sept ans avant (CGI, art. 38 N° Lexbase : L3125I7U). Il suit de ce rappel et de la solution dégagée que la société requérante ne pouvait donc utilement se prévaloir du principe d'intangibilité précité, dès lors que l'erreur tenant à la déduction de la provision litigieuse, si elle est intervenue la première fois plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit, a été répétée à la clôture de tous les exercices suivants .

newsid:447406

Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Une plus-value de crédit-bail immobilier désormais imposable

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 4 mars 2015, n° 360508, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9153NCY)

Lecture: 5 min

N7419BUC

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par Olivier Ramond, Professeur des Universités et Avocat associé, cabinet Mercutio

Le 21 Mai 2015

Parmi les jeux d'Arlésiennes fiscales que les conseils et les contribuables ont côtoyé régulièrement, au cours de la dernière décennie, en matière de contrôle de société civile immobilière (SCI), celle ayant trait au régime d'imposition de la plus-value liée à l'exercice d'une option de crédit-bail immobilier est, à n'en pas douter, une des plus connues. Figure fantasmagorique des années 1980, en raison du développement du marché du crédit-bail immobilier auprès des particuliers via leurs véhicules sociétaires d'investissement, ce sujet n'a eu de cesse d'alimenter les spéculations les plus folles tant de la part des contribuables, de leurs conseils et des services de l'administration, spéculations auxquelles l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat, le 4 mars 2015, a le mérite de mettre un terme (CE 3° et 8° s-s-r., 4 mars 2015, n° 360508, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le schéma classiquement rencontré reste néanmoins simple. Dans la majorité des cas, une société civile immobilière (SCI), ayant pris l'option de l'impôt sur les sociétés, souscrit un contrat de location en crédit-bail immobilier, c'est-à-dire avec option d'achat à terme du bien, auprès d'un promoteur en vue de sous-louer ledit bien à une partie tierce, en général, une société d'exploitation, plus ou moins apparentée, en termes d'actionnariat, à la SCI (1).

Sur le plan fiscal, à l'origine de ce schéma de financement immobilier, se posait alors la question quadricéphale fatidique du régime fiscal applicable aux revenus perçus dans le cadre de la sous-location, de celui inhérent, éventuellement, à la plus-value de levée de l'option (l'option étant fréquemment activée pour un prix d'exercice symbolique), du régime applicable aux loyers perçus à l'issue de l'exercice de l'option et du régime de la plus-value constatée, à terme, lors de la vente du bien immobilier (2).

Il est vrai que de nombreuses années pouvaient séparer la détermination de la plus-value de levée de l'option de celle de la plus-value de cession effective de l'immeuble, facilitant ainsi l'oubli dans les méandres des déclaratifs successifs du montant, de la nature et de l'affectation au bon régime de la plus-value de levée, en l'absence d'un environnement administratif clairement défini. L'empressement de l'administration fiscale pour trouver une solution éclairée face à ce schéma d'acquisition et/ou de financement immobilier se comprend dès lors aisément et a permis d'organiser le cadre d'une sécurité fiscale pour ce type d'opérations.

  • Un cadre bien délimité pour le régime des revenus tirés de la sous-location

Dans le cadre de la mise en oeuvre fiscale de ces contrats de crédit-bail immobilier, bien peu de largesses étaient laissées, dès l'origine (et toujours à ce jour), à la qualification des revenus tirés de l'activité de sous-location. En effet, l'application du régime des bénéfices non-commerciaux (BNC) aux "sous-loyers" perçus résultait de la lecture directe de l'article 92, 1 du CGI (N° Lexbase : L1704IZ7) qui prévoient toujours en ses termes actuels que "Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus". Les revenus tirés de la sous-location du bien immobilier pris en crédit-bail relevait ainsi automatiquement du régime des BNC.

En outre, aux termes du I de l'article 93 quater du CGI (N° Lexbase : L0665IPC), les plus-values réalisées dans le cadre d'une telle activité sont soumises au régime des articles 39 duodecies (N° Lexbase : L5787I3Q) à 39 novodecies (N° Lexbase : L1090IE4) du CGI, articles qui encadrent les différents régimes de plus-values à court terme et à long terme.

Restait alors à déterminer si plus-value il y avait lieu de constater, au plan fiscal, en cas de levée de l'option. En réputant que les actifs acquis par contrat de crédit-bail immobilier constituaient des éléments d'actifs affectés à l'exercice de l'activité non commerciale, la loi de finances pour 1991 (loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990, de finances pour 1991 N° Lexbase : L1670I8D) avait ouvert la voie à une solution doctrinale intuitive très vite établie à la demande de l'administration fiscale.

  • Une administration très vite consciente du délicat sujet de la plus-value de levée d'exercice

Face à cette explosion de ce pan du marché immobilier à la fin des années 1980, l'administration fiscale avait, en effet, rapidement demandé des éclaircissements en la matière, consciente du manque à gagner potentiel pour l'Etat sur les plus-values de levée de l'option qui, par nature, emportent la part la plus prépondérante de la plus-value immobilière totale (3). Une réponse ministérielle (réponse ministérielle de M. Alain Moyne-Bressand n° 42984, du 15 juillet 1991 N° Lexbase : L6418I89) avait acté du fait qu'"en cas de levée de l'option d'achat, le transfert du bien dans le patrimoine privé du contribuable résultant de la cessation de l'activité de sous-location est de nature à dégager une plus-value imposable dans les conditions définies aux articles 39 duodecies et suivants du CGI". Il résultait de cette analyse ministérielle que tout actionnaire de la SCI, personne physique, se devait de constater une plus-value privée lors de la levée de l'option, levée qui emportait cessation de l'activité BNC de la SCI. La solution retenue s'avérait déjà à l'époque assez défavorable aux contribuables qui se voyaient imposés sur cette levée optionnelle, à l'origine du transfert de propriété du bien immobilier, alors même qu'aucun flux monétaire ne venait marquer cette opération (4). Appliquée au pied de la lettre et en l'absence de fonds personnel suffisant, cette règle incitait bien souvent les actionnaires à opérer, dans les mois suivants la date d'exercice de l'option, une cession du bien immobilier (5).

  • Une doctrine administrative intégralement reprise par le Conseil d'Etat

Plus de vingt années plus tard, le Conseil d'Etat, dans l'arrêt du 4 mars 2015 commenté, a choisi de reprendre, à son compte, cette solution doctrinale en précisant, en l'espèce, "quand bien même aucun acte ne matérialiserait le transfert de l'immeuble au patrimoine de la société, la cessation de son activité initiale et le changement de son régime fiscal ont eu pour effet de rendre immédiatement imposable la plus-value susceptible d'avoir été acquise à cette date".

La Haute assemblée, en se rangeant à la solution de la réponse ministérielle "Moyne-Bressand", soulève implicitement une autre question d'importance majeure touchant à la détermination de la plus-value de levée d'exercice en l'absence de transaction réellement sanctionnée par un prix. Dans son huitième considérant, le Conseil d'Etat valide bien le fait qu'il faille déterminer une valeur vénale réelle à l'occasion de la levée de l'option, renvoyant implicitement par là-même au large corpus jurisprudentiel sur le sujet développé conjointement par le juge administratif et judiciaire depuis une décision du 30 janvier 1951 (cf. par exemple : Cass. com., 23 octobre 1984, n° 83-12568, publié au Bulletin N° Lexbase : A0320AHC ; Cass. com., 22 janvier 1991, n° 89-12357, publié au Bulletin N° Lexbase : A2615ABH). Cette valeur vénale que le juge a régulièrement défini comme "le prix qui pourrait en être obtenu par le jeu de l'offre et de la demande dans un marché réel, compte tenu de l'état dans lequel il se trouve avant la mutation, et compte tenu des clauses de l'acte de vente ou de l'acte le constatant" concentrera, sans nul doute, dans le futur, nombre des points de recours contre l'application de ce régime aux plus-values de levée inhérentes aux contrats de crédit-bail immobilier.

Il est intéressant de noter qu'en l'espèce, la partie demanderesse avait, à tort, considéré ce point comme accessoire au sujet traité et n'avait pas jugé bon de justifier, de manière détaillée, la valeur vénale retenue en appui de ses propos.


(1) Il n'est pas rare que ces schémas de financement "déguisés" permettaient bien souvent à un dirigeant d'entreprise, actionnaire majoritaire de la SCI, d'acquérir le bien immobilier d'exploitation de sa société opérationnelle de la sorte. La société d'exploitation payait les sous-loyers à la SCI qui les reversait en totalité à la société financière initiatrice du crédit-bail. Ces schémas d'acquisition immobilière font penser à la mécanique des opérations d'acquisition basées sur les démembrements de propriété, opérations qui les ont très vite supplantées dans le coeur des praticiens.
(2) En pratique, le débat porte moins sur la détermination des deux derniers régimes (régime des revenus fonciers) que sur celle des deux premiers.
(3) Même dans un contexte de marché immobilier haussier, le fait de lever une option de crédit-bail immobilier à un strike d'un euro symbolique permettra de réaliser ab initio une plus-value correspondante à la valeur de l'immobilier en date d'exercice de l'option.
(4) Cette situation est d'autant plus complexe pour les actionnaires personnes physiques dès lors que la SCI n'a pas opté pour le régime de l'IS car le report d'imposition offert par l'article 93 quater IV, 1 du CGI n'est plus envisageable : "Pour l'application des dispositions du premier alinéa du I aux immeubles acquis dans les conditions prévues au 6 de l'article 93 (N° Lexbase : L4775I7Y) et précédemment donnés en sous-location, l'imposition de la plus-value consécutive au changement de régime fiscal peut, sur demande expresse du contribuable, être reportée au moment où s'opérera la transmission de l'immeuble ou, le cas échéant, la transmission ou le rachat de tout ou partie des titres de la société propriétaire de l'immeuble ou sa dissolution".
(5) L'article 239 sexies du CGI (N° Lexbase : L4979HLY) trouve également à s'appliquer lors de la détermination de l'assiette taxable de la plus-value de levée d'option. Cette dernière se calcule dès lors comme la "différence existant entre la valeur de l'immeuble lors de la levée optionnelle et le montant total des amortissements que le locataire aurait pu pratiquer s'il avait été propriétaire du bien depuis cette date, le locataire acquéreur est tenu de réintégrer, dans les résultats de son entreprise afférents à l'exercice en cours au moment de la cession, la fraction des loyers versés pendant la période au cours de laquelle l'intéressé a été titulaire du contrat et correspondant à ladite différence diminuée du prix de cession de l'immeuble".

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Fiscalité internationale

[Brèves] Conditions pour qu'un Etat membre, lié par une convention bilatérale avec la France, puisse revendiquer un avantage fiscal octroyé à un autre Etat membre dans le cadre d'une convention bilatérale différente

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 12 mai 2015, n° 366398, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8879NHC)

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Le 26 Mai 2015

Les Etats membres sont libres, dans le cadre de conventions bilatérales, de fixer les facteurs de rattachement aux fins de la répartition de la compétence fiscale. Une différence de traitement entre ressortissants de deux Etats contractants, résultant de cette répartition, ne saurait, en règle générale, être constitutive de discrimination (CJUE, 12 décembre 2006, aff. C-374/04 N° Lexbase : A8517DSA). Toutefois, en ce qui concerne l'exercice, y compris par le moyen de stipulations d'une convention bilatérale, du pouvoir d'imposition réparti conformément à une telle convention, les Etats membres ne peuvent s'affranchir du respect des règles communautaires. A cet égard, le respect du principe de non discrimination implique que l'octroi, dans l'exercice de ce pouvoir d'imposition, d'un avantage qui serait détachable du reste de la convention puisse être revendiqué par un résident d'un Etat membre n'ayant pas la qualité d'Etat partie à la convention. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 12 mai 2015 (CE 3° et 8° s-s-r., 12 mai 2015, n° 366398, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8879NHC). En l'espèce, une société de droit néerlandais a demandé le paiement par le Trésor français de la moitié de l'avoir fiscal attaché aux dividendes que lui a versés une filiale française en 2004. En vertu des stipulations du paragraphe 4 de l'article 10 de la Convention franco-italienne (N° Lexbase : L6706BHT), l'octroi de l'avoir fiscal français aux sociétés résidentes d'Italie sans condition d'imposition en Italie des dividendes reçus de leurs filiales résidentes de France, auxquels cet avoir fiscal est attaché, a pour contrepartie le paiement par le Trésor italien d'un crédit d'impôt aux sociétés mères résidentes de France sans condition d'imposition en France des dividendes. Par ailleurs, l'économie de la Convention franco-néerlandaise (N° Lexbase : L6735BHW) est différente, la condition d'imposition aux Pays-Bas des dividendes donnant à droit au paiement de l'avoir fiscal ayant pour contrepartie la condition d'imposition des dividendes en France reçus par des sociétés mères françaises de filiales néerlandaises. Ainsi, l'octroi de l'avoir fiscal à une société mère résidente d'Italie percevant des dividendes d'une filiale résidente de France, tel qu'il est prévu dans la Convention fiscale franco-italienne, en fait partie intégrante et contribue à son équilibre. Il ne saurait donc être analysé comme un avantage détachable du reste de cette Convention. Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à invoquer une discrimination incompatible avec les libertés d'établissement et de circulation des capitaux garanties par le droit de l'Union (cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E2980EUW et N° Lexbase : E3426EUG, et le BoFip - Impôts N° Lexbase : X8203ALE).

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Libertés publiques

[Brèves] Interdiction pour une entreprise privée de mise en oeuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel en matière d'infractions pédopornographiques

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 11 mai 2015, 375669, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8903NH9)

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Le 22 Mai 2015

Une entreprise privée n'est pas fondée à mettre en oeuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel en matière d'infractions pédopornographiques, indique le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 11 mai 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 11 mai 2015, 375669, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8903NH9). Les autorités susceptibles de mettre en oeuvre des traitements de données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté sont limitées par l'article 9 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8794AGS). Doivent être regardées comme entrant dans le champ d'application de cet article, non seulement les données relatives aux infractions, condamnations ou mesures de sûreté elles-mêmes, mais également les données qui, en raison des finalités du traitement automatisé, ne sont collectées que dans le but d'établir l'existence ou de prévenir la commission d'infractions, y compris par des tiers. Le traitement automatisé qu'envisage de mettre en oeuvre la société requérante, lequel a pour seul but de rechercher et de constater l'existence d'infractions pénales en matière de pédopornographie, porte sur des données relatives à des infractions, au sens de l'article 9 et du 3° de l'article 25 de la loi du 6 janvier 1978. La société ne conteste pas ne pas être au nombre des personnes mentionnées à l'article 9, qui seules peuvent être habilitées à créer de tels traitements. La circonstance que le traitement litigieux serait au nombre de ceux mentionnés au 4° de l'article 25, qui soumet également à autorisation "les traitements automatisés susceptibles, du fait de leur nature, de leur portée ou de leurs finalités, d'exclure des personnes du bénéfice d'un droit, d'une prestation ou d'un contrat en l'absence de toute disposition législative ou réglementaire", ne saurait, en tout état de cause, lui ouvrir droit à la création de ce traitement. Dès lors, c'est à bon droit que la CNIL lui a refusé l'autorisation de mise en oeuvre de ce traitement.

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Licenciement

[Jurisprudence] Liberté d'expression du salarié sur internet, à quand une position claire ?

Réf. : Cass. soc., 6 mai 2015, n° 14-10.781, F-D (N° Lexbase : A7133NHN)

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N7436BUX

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

Le 21 Mai 2015

Le salarié jouit, dans l'entreprise et hors de celle-ci, de sa liberté d'expression. Cette formule, régulièrement employée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, n'ouvre, cependant, pas un droit absolu à s'exprimer, la liberté ne devant pas dégénérer en abus. C'est sur cette question que revient une décision inédite rendue par la Chambre sociale le 6 mai 2015. Si, à première vue, la solution paraît classique et tente de faire le départ entre liberté d'expression et abus (I), une lecture plus fine montre que les arguments utilisés par la Chambre sociale diffèrent légèrement de ceux habituellement avancés. S'il n'est pas certain qu'il faille en déduire des conséquences trop précises, cette décision met, à nouveau, en exergue le besoin de plus en plus impérieux de précisions s'agissant de l'incidence de la diffusion en ligne de propos tenus par le salarié (II).
Résumé

L'exercice de la liberté d'expression des salariés en dehors de l'entreprise ne peut justifier un licenciement que s'il dégénère en abus.

Le fait pour un salarié de s'interroger, dans le cadre d'une situation de conflit et par la voie d'un site internet revêtant un caractère quasiment confidentiel, sur le licenciement de l'un de ses collègues, sans que les propos incriminés soient injurieux ou vexatoires, n'excède pas les limites de la liberté d'expression.

Commentaire

I - Publication de propos sur un site internet : application de la liberté d'expression du salarié

La liberté d'expression du salarié : rappels. Malgré l'état de subordination dans lequel il accepte de se placer en concluant un contrat de travail, le salarié demeure un citoyen et n'abdique donc pas sa liberté d'expression, garantie par de nombreux textes fondamentaux, parmi lesquels l'article 11 de la DDHC (N° Lexbase : L1358A98) ou l'article 10 de la CESDH (N° Lexbase : L4743AQQ). Aucune sanction disciplinaire ne peut donc être prononcée contre un salarié faisant usage de cette liberté (1).

On considère, généralement, que la liberté d'expression du salarié peut prendre deux formes (2). Il peut s'agir d'abord du droit d'expression collective, reconnu par l'article L. 2281-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2503H9L), et qui lui permet de s'exprimer sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation du travail. En parallèle, "sauf abus, le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées" (3).

L'abus de la liberté d'expression. Le droit de s'exprimer librement peut, toutefois, dégénérer en abus. Classiquement (4), la Chambre sociale considère que les propos tenus par le salarié ne doivent pas être "injurieux, diffamatoires ou excessifs" (5). La frontière entre les propos protégés par la liberté d'expression (6) et ceux qui revêtent un caractère abusif (7) est délicate à tracer et donne lieu à un contentieux casuistique, cela pour plusieurs raisons.

Si, d'abord, l'injure et la diffamation sont bien définies par la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW), l'excès est sensiblement plus difficile à appréhender et ressemble, d'ailleurs, beaucoup à l'abus lui-même (8). On notera qu'il n'est pas, à proprement parler, fait ici application de la théorie de l'abus de droit telle qu'elle est habituellement envisagée : le juge judiciaire ne recherche, généralement, pas si le droit a été exercé avec intention de nuire ou légèreté blâmable.

Ensuite, la Chambre sociale de la Cour de cassation mobilise plusieurs indices pour caractériser l'abus reproché au salarié. Le caractère humoristique ou sarcastique des propos influence, parfois, la qualification d'abus (9), tout comme le caractère ponctuel (10) ou répété (11) des propos déplacés ou le fait que les propos soient spontanés ou résultent d'une réaction à un comportement de l'employeur (12).

C'est, toutefois, le caractère public ou privé des propos tenus qui paraît avoir la plus grande incidence sur la caractérisation de l'abus. La diffusion au public ou à des tiers à l'entreprise de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs permet plus aisément la reconnaissance d'un abus de la liberté d'expression que les propos tenus en cercle fermé auprès de collègues ou à l'endroit de l'employeur lui-même (13).

L'espèce. Un salarié est licencié pour faute grave en 2011, son employeur lui reprochant des propos tenus dans deux articles publiés sur un site internet s'apparentant à un site de presse en ligne spécialisé. Dans ces articles forts critiques, le salarié s'interrogeait sur les motifs de licenciement d'un de ses collègues. Il contesta son licenciement et obtint, devant la cour d'appel de Rennes, qu'il soit reconnu comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse (14). L'employeur forma pourvoi en cassation, arguant du caractère excessif et public des propos tenu, d'une part, et du manquement du salarié à son obligation de loyauté, d'autre part (15).

Par un arrêt rendu le 6 mai 2015, la Chambre sociale rejette le pourvoi. Par un chapeau interne, elle juge que "l'exercice de la liberté d'expression des salariés, en dehors de l'entreprise, ne peut justifier un licenciement que s'il dégénère en abus", et reprend l'argumentation de la cour d'appel selon laquelle "le fait pour un salarié de s'interroger, dans le cadre d'une situation de conflit et par la voie d'un site internet revêtant un caractère quasiment confidentiel, sur le licenciement de l'un de ses collègues, sans que les propos incriminés soient injurieux ou vexatoires, n'excédait pas les limites de la liberté d'expression".

Cette motivation appelle un certain nombre de remarques. Il convient, toutefois, de noter, à titre préliminaire, que la Chambre sociale n'a pas jugé opportun de publier la décision au bulletin, si bien que nos propos resteront emprunts de prudence, la portée de cette décision pouvant être extrêmement limitée.

II - Publication de propos sur un site internet : des critères spécifiques de la reconnaissance de l'abus ?

L'usage abusif de la liberté d'expression hors de l'entreprise. On peut, d'abord, noter que la Chambre sociale ne reprend pas sa formule habituelle englobant la jouissance du salarié de la liberté d'expression "dans l'entreprise et en dehors de celle-ci". Au contraire, elle précise qu'un licenciement ne peut être prononcé contre un salarié qui use de sa liberté d'expression "hors de l'entreprise" qu'à la condition que cet exercice dégénère en abus.

Cette dissociation pourrait laisser penser, par une appréciation a contrario, qu'un traitement différent sera, désormais, réservé à l'exercice de la liberté d'expression dans l'entreprise et hors de celle-ci. Quoique cette interprétation soit audacieuse, ses conséquences ne seraient certainement pas démesurées.

En effet, alors que la liberté d'expression du salarié hors de l'entreprise n'est pas encadrée et ne répond, pour l'essentiel, qu'aux limites posées par la loi de 1881, son droit de s'exprimer dans l'entreprise est bien davantage encadré. Ainsi le Code du travail consacre, nous l'avons vu, des dispositions relatives au droit à l'expression collective des salariés dans l'entreprise. A cela s'ajoutent les dispositions intéressant la liberté d'expression syndicale (16), ou encore, le droit de dénonciation ouvert au salarié témoin de harcèlement (17) ou d'actes de corruption (18). Enfin, si des interstices devaient demeurer dans l'encadrement de l'expression du salarié dans l'entreprise, l'obligation de loyauté serait probablement à même de les combler (19).

Seuls alors seraient limités par la jurisprudence classique relatives à l'abus de liberté d'expression les propos tenus par le salarié hors de l'entreprise.

La sanction des propos injurieux ou vexatoires. On relève, ensuite, que la formule employée par la Chambre sociale diffère encore de celle habituellement employée s'agissant de la caractérisation de l'abus. En effet, la Cour de cassation ne se réfère pas, dans cette affaire, à la tenue de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, mais note, seulement, que les propos du salarié n'étaient ni injurieux, ni vexatoires.

A nouveau, il convient de relativiser les termes employés, puisque la Chambre sociale ne fait, ici, que reprendre l'argumentation des juges d'appel qui pouvait, sur ce point, être moins rigoureuse. Le changement de formule n'est donc probablement cantonné qu'à l'espèce présentée, ce qui, d'ailleurs, nous semble préférable.

Si, nous l'avons vu, la référence à l'injure, la diffamation ou l'excès n'est pas exempte de toute critique, elle a tout de même l'intérêt d'embrasser bien plus largement la situation d'abus de liberté d'expression. Ramenée aux seuls injures et propos vexatoires, la caractérisation de l'abus serait amputée de deux membres essentiels. Le premier, parce qu'il permet d'appréhender des propos qui ne sont pas seulement humiliants ou déplacés, mais qui imputent des comportements ou des actions illicites à l'employeur. Il n'est pas certain que le caractère vexatoire puisse recouvrir l'ensemble des propos calomnieux. Le second, parce que l'excès, aussi vague qu'il soit, laisse une marge de manoeuvre importante au juge et lui permet de sanctionner des propos qui ne relèvent ni de l'injure, ni de la diffamation, comme, par exemple, le dénigrement, l'atteinte à l'honneur (20) ou à la réputation par la calomnie (21).

Pour le reste, l'appréciation fait appel à des indices classiques, qu'il s'agisse de la situation de conflit visée par la Chambre sociale, qui évoque la réaction plutôt que l'action du salarié, ou qu'il s'agisse de l'appréciation du caractère public des propos tenus par le salarié. Ce dernier point appelle, toutefois, quelques observations complémentaires.

Du caractère public ou privé des propos déplacés. Alors que de nombreuses décisions ont désormais été rendues par les juridictions du fond sur la question, la Chambre sociale de la Cour de cassation (22) n'a pas encore été amenée à se prononcer clairement sur l'influence que peut avoir l'usage des réseaux sociaux, de l'internet, d'une manière plus générale, sur la qualification d'abus de liberté d'expression. Il semble se dessiner, devant les juridictions du fond, une distinction selon que les propos diffusés sur la toile sont accessibles à tous, ou que le compte a été configuré pour que l'accès n'y soit permis qu'aux personnes que le salarié a déterminées (23).

Si la solution présentée devait avoir une portée qui dépasse l'affaire en cause, cette ligne de départage pourrait bien être remise en question. En effet, la Chambre sociale, reprenant toujours l'argumentation des juges d'appel, relève que les propos avaient été diffusés "par la voie d'un site internet revêtant un caractère quasiment confidentiel".

Par définition, un site internet, dès lors qu'il est référencé par les principaux moteurs de recherche, est accessible à tous, comme le lecteur pourra, d'ailleurs, s'en convaincre en consultant le site ayant servi de support aux propos litigieux. Le fait que l'accès au propos soit, ou non, limité, pourrait donc ne pas constituer un élément déterminant de la caractérisation de l'abus, alors que son caractère "quasiment confidentiel" aurait une plus grande influence.

Si ce raisonnement devait être appliqué à un compte de réseau social, l'immense majorité des propos qui y seraient tenus par des salariés ne pourraient permettre la caractérisation d'un abus de liberté d'expression. Les comptes de réseaux sociaux des salariés, quoique parfaitement accessibles à tous, comme le site internet de notre affaire, n'ont, le plus souvent, qu'un caractère confidentiel. La société Facebook avance, par exemple, que le nombre moyen d'amis de chaque usager français est de cent soixante-dix-sept. Peut-on penser que ces "amis" constituent un flux plus soutenu de consultation de la page personnelle du salarié qu'un site de presse en ligne, quand bien même serait-il "confidentiel" ? Cette question en emporte d'ailleurs une autre : que faut-il entendre par les termes "quasi-confidentiel" employés par la cour d'appel et repris du jugement prud'homal ?

La référence au volume de consultation du site internet ne semble pas constituer un élément pertinent pour identifier l'abus, et l'on peut donc espérer que cette décision, comme elle en porte les marqueurs, ne soit qu'un arrêt d'espèce.


(1) Cass. soc., 28 avril 1988, n° 87-41.804 (N° Lexbase : A4778AA9), Dr. soc., 1988, p. 428, concl. Ecoutin, note G. Couturier.
(2) A laquelle on ajoute, parfois, une troisième manifestation, celle de la liberté d'expression syndicale, v. G. Loiseau, La liberté d'expression du salarié, RDT, 2014, p. 396.
(3) Cass. soc., 14 décembre 1999, n° 97-41.995, inédit (N° Lexbase : A5359AWE) ; Cass. soc., 20 novembre 2014, n° 13-20.551, F-D (N° Lexbase : A9305M3Z).
(4) Cass. soc., 14 décembre 1999, n° 97-41.995, inédit, préc. ; Cass. soc., 17 décembre 2014, n° 13-19.659, F-D (N° Lexbase : A2898M8T).
(5) Pour une critique de cette formule vague par certains aspects, vague par d'autres, v. B. Dabosville, Les contours de l'abus d'expression du salarié, RDT, 2012, p. 275.
(6) V. les illustrations présentées par l’Ouvrage "Droit du travail", L'exercice de sa liberté d'expression par le salarié (N° Lexbase : E4681EXN).
(7) Ibid., v. Les abus de la liberté d'expression, cause du licenciement (N° Lexbase : E4680EXM).
(8) A la limite de la tautologie pour G. Loiseau, préc..
(9) Cass. soc., 2 février 2011, n° 09-69.351, F-D (N° Lexbase : A3571GRP).
(10) Cass. soc., 9 janvier 2002, n° 99-45.875, inédit (N° Lexbase : A7814AXP).
(11) Cass. soc., 23 juin 2010, n° 09-40.825, F-D (N° Lexbase : A3355E3N) ; JCP éd. S, 2010, 1469, note A. Martinon qui reprend l'argumentation de la cour d'appel qui s'appuyait sur le caractère répété des dénigrements auxquels s'était livré le salarié.
(12) Cass. soc., 28 avril 2011, n° 10-30.107, F-P+B (N° Lexbase : A5365HPE) et les obs. de Ch. Willmann, Dépôt de plainte, liberté d'expression : pas de carton rouge pour le joueur professionnel de football !, Lexbase Hebdo n° 439 du 12 mai 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1519BS3).
(13) Sur ces questions, v. B. Dabosville, préc..
(14) CA Rennes, 20 novembre 2013, n° 12/02628 (N° Lexbase : A7811KPY).
(15) Le manquement à une obligation de loyauté est parfois retenu pour sanctionner un usage abusif de la liberté d'expression, par exemple en cas d'insultes ou de menaces, v. Cass. soc., 25 juin 2002, n° 00-44.001, FS-P (N° Lexbase : A0068AZK) ; Cass. soc., 19 mars 2014, n° 12-28.822, F-D (N° Lexbase : A7606MH8).
(16) Expression permise par les tracts, les affiches, les publications et les réunions que le syndicat peut organiser dans l'entreprise, v. C. trav., art. L. 2142-5 (N° Lexbase : L2164H9Z).
(17) C. trav., art. L. 1152-2 (N° Lexbase : L8841ITM) pour le harcèlement moral ; C. trav., art. L. 1153-3 (N° Lexbase : L8843ITP) pour le harcèlement sexuel.
(18) C. trav., art. L. 1161-1 (N° Lexbase : L0763H97).
(19) V. les décisions citées, note n° 15.
(20) Sur l'atteinte à l'honneur, v. Cass. soc., 5 mars 2015, n° 13-27.270, F-D (N° Lexbase : A8944NCA).
(21) Cass. soc., 6 juin 2012, n° 10-28.199, FS-P+B (N° Lexbase : A3942INC) et les obs. de G. Auzero, De la nécessité de ne pas confondre dénonciation et délation !, Lexbase Hebdo n° 490 du 21 juin 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2523BTM). Sur ces atteintes alternatives, v. B. Dabosville, préc..
(22) La première chambre civile a toutefois refusé la qualification d'injure publique s'agissant de propos tenus sur des réseaux sociaux dont la page n'était accessible "qu'aux seules personnes agréées par l'intéressée, en nombre très restreint", Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 11-19.530, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9954KBB).
(23) Sur ces questions, v. A. Bello, Le licenciement pour motif tiré de Facebook : un changement... dans la continuité, JCP éd. S, 2012, 1280 ; G. Loiseau, préc., in fine.

Décision

Cass. soc., 6 mai 2015, n° 14-10.781, F-D (N° Lexbase : A7133NHN).

Rejet (CA Rennes, 20 novembre 2013, n° 12/02628 N° Lexbase : A7811KPY).

Textes visés : néant.

Mots-clés : licenciement ; faute grave ; liberté d'expression ; site internet.

Lien base : (N° Lexbase : E4681EXN).

newsid:447436

Licenciement

[Brèves] Droit espagnol : la définition légale du licenciement collectif est contraire au droit de l'Union

Réf. : CJUE, 13 mai 2015, aff. C-392/13 N° Lexbase : A8927NH4)

Lecture: 2 min

N7445BUB

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Le 23 Mai 2015

L'article 1 § 1, alinéa 1, a) de la Directive 98/59 du 20 juillet 1998 (N° Lexbase : L9997AUS), s'oppose à une réglementation nationale qui introduit, comme seule unité de référence, l'entreprise et non l'établissement, lorsque l'application de ce critère a pour conséquence de faire obstacle à la procédure d'information et de consultation prévue aux articles 2 à 4 de cette Directive, alors que, si l'établissement était utilisé comme unité de référence, les licenciements concernés devraient être qualifiés de "licenciements collectifs", au regard de la définition figurant à l'article 1 § 1, alinéa 1er, a) de ladite Directive.
L'article 1 § 1 de la Directive doit être interprété en ce sens que, aux fins de constater que des "licenciements collectifs", au sens de cette disposition, ont été effectués, il n'y a pas lieu de tenir compte des cessations individuelles de contrats de travail conclus pour une durée ou une tâche déterminées, dans le cas où ces cessations interviennent à la date d'échéance du contrat ou à la date à laquelle cette tâche a été accomplie.
L'article 1 § 2, a) de la Directive doit être interprété en ce sens que, pour constater l'existence de licenciements collectifs effectués dans le cadre de contrats de travail conclus pour une durée ou une tâche déterminées, il n'est pas nécessaire que la cause de tels licenciements collectifs découle d'un même cadre de recrutement collectif pour une même durée ou une même tâche. Telles sont les solutions dégagées par la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt rendu le 13 mai 2015 (CJUE, 13 mai 2015, aff. C-392/13 N° Lexbase : A8927NH4).
La société Y détenait deux établissements à Madrid et à Barcelone, lesquels employaient respectivement 164 et 20 personnes. Entre octobre et novembre 2012, 5 CDD sont arrivés à échéance (3 au sein de l'établissement de Madrid et 2 au sein de celui de Barcelone). Moins de 90 jours plus tard, 13 autres salariés de l'établissement de Barcelone (dont M. X) ont été licenciés pour des raisons économiques. M. X a contesté son licenciement au motif que la société Y aurait, de manière frauduleuse, éludé l'application de la procédure relative aux licenciements collectifs qui, en vertu de la Directive 98/59 du 20 juillet 1998 (N° Lexbase : L9997AUS), revêtirait un caractère obligatoire.
En énonçant les règles susvisées, la CJUE répond aux questions préjudicielles qui lui ont été posée par le juge espagnol (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9520ESE).

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Procédure civile

[Chronique] Chronique de procédure civile - Mai 2015

Lecture: 15 min

N7479BUK

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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, membre de l'Institut universitaire de France, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure civile"

Le 21 Mai 2015

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II, membre de l'Institut universitaire de France. Au sommaire de cette chronique, l'estoppel (Cass. com., 10 février 2015, n° 13-28.262, FS-P+B), l'interruption de la prescription par la demande en justice (Cass. civ. 3, 11 mars 2015, n° 14-15.198, FS-P+B), les demandes reconventionnelles dans le cadre d'une procédure orale (Cass. civ. 2, 19 mars 2015, n° 14-15.740, F-P+B), le régime de la révocation de l'ordonnance de clôture (Cass. civ. 1, 11 février 2015, n° 13-28.054, F-P+B et CA Paris, 7 mai 2015, n° 14/13979) et enfin la compétence judiciaire pour prononcer l'irrecevabilité des conclusions en appel après révocation de l'ordonnance de clôture (Cass. civ. 2, 9 avril 2015, n° 13-28.707, F-P+B et CA Paris, 3 mars 2015, n° 14/18730). 1 - Principes de la procédure : estoppel et évolution du litige, la difficile conciliation
  • L'estoppel n'interdit pas les moyens nouveaux devant la cour d'appel, même s'ils contredisent les moyens présentés en première instance (Cass. com., 10 février 2015, n° 13-28.262, FS-P+B N° Lexbase : A4345NBK ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E9904ETY)

L'estoppel est un principe récemment consacré par la Cour de cassation consistant dans l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui (1). Reconnu par l'Assemblée plénière en 2009 (2), son régime juridique fait l'objet d'une élaboration progressive, qui nécessite une conciliation avec les autres principes de la procédure.

Dans l'espèce étudiée, un contrat dénommé "contrat d'agent commercial" a été conclu entre une société et une personne privée. La résiliation du contrat par la société a donné lieu à un litige porté devant une juridiction commerciale. En première instance, cette dernière a invoqué la faute grave du mandataire pour justifier la rupture du contrat d'agent commercial et revendiquer l'application de ce statut. Toutefois, en appel, elle a pris le contrepied de cette stratégie de défense et a contesté la nature du contrat, alléguant qu'il ne s'agissait pas d'un contrat d'agent commercial.

La cour d'appel a déclaré le second moyen irrecevable en affirmant que "le droit pour une partie d'invoquer un moyen nouveau ne l'autorise cependant pas à se contredire". Elle a constaté que le changement de position adopté par la société avait causé un préjudice à son adversaire, qui avait été contraint d'agir en fonction de la position adoptée initialement.

Le raisonnement semblait conforme à la jurisprudence établie sur l'estoppel, mais il n'a pas convaincu la Cour de cassation. Cette dernière a estimé que la possibilité d'invoquer une défense au fond en tout état de cause et le droit d'invoquer des moyens nouveaux en cause d'appel empêchaient de faire application de l'estoppel dans une telle circonstance.

Cet arrêt semble apporter une réponse simple à la question de la conciliation entre estoppel et évolution du litige en appel. Toutefois, il soulève plus de questions qu'il n'en résout. En effet, l'estoppel a été défini par la première chambre civile comme le changement de position de nature à induire son adversaire en erreur (3). En l'espèce, la cour d'appel avait bien caractérisé une telle attitude. Le fait de développer en appel une argumentation contradictoire à celle invoquée en première instance avait bien pour résultat d'induire l'adversaire en erreur. L'attitude de la société pouvait, dès lors, s'analyser en une contradiction au détriment de son adversaire.

Pourtant, la Chambre commerciale, en écartant une telle interprétation, ne s'explique pas sur le fait que le comportement de la société n'ait pas constitué un procédé déloyal. Elle s'inscrit simplement dans la logique du Code de procédure civile qui autorise les parties à soulever des moyens nouveaux en appel et à présenter des défenses au fond en tout état de cause. On peut trouver un rattachement lointain de cette décision avec une autre rendue par la deuxième chambre civile à propos des fins de non-recevoir. Celle-ci a jugé que les fins de non-recevoir peuvent être soulevées en tout état de cause et qu'elles ne peuvent être écartées, même si elles sont soulevées tardivement et qu'elles contredisent une défense au fond invoquée antérieurement (4).

Le régime de l'estoppel manque encore de clarté. Il est vrai que son immixtion dans la procédure civile française est susceptible de provoquer de nombreux remous et de remettre en cause certains piliers du Code de procédure civile. Cependant, l'absence de clarté dans la ligne jurisprudentielle de la Cour de cassation est dérangeante. Les décisions qui rejettent ou admettent l'estoppel se multiplient sans que l'on comprenne bien la finalité de ce principe. Sans clarification, il a tout lieu de penser que le contentieux de l'estoppel va continuer à se développer.

2 - Prescription : l'effet interruptif de l'acte vicié

  • Une demande en justice interrompt le délai de prescription bien qu'elle soit entachée d'une irrégularité de fond (Cass. civ. 3, 11 mars 2015, n° 14-15.198, FS-P+B N° Lexbase : A3293NDC)

La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, relative à la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I) est venue préciser les conditions de l'interruption de la prescription par l'effet d'une demande en justice. L'article 2241 du Code civil (N° Lexbase : L7181IA9) prévoit désormais que la prescription est interrompue même lorsque "l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure". La formule est apparemment claire, mais elle comporte, en réalité, une ambiguïté. La notion de vice de procédure ne figure pas dans le Code de procédure civile. Ce texte distingue les nullités pour "vice de forme" et celle pour "irrégularité de fond". On pouvait, dès lors, se poser la question de savoir si le vice de procédure devait s'entendre au sens strict du vice de forme, ou plus généralement de toute irrégularité de l'acte, qu'elle soit de forme ou de fond (5).

L'arrêt commenté concernait une assignation qui ne comportait pas de constitution d'avocat au barreau du tribunal devant lequel l'affaire était portée. Un avocat avait été désigné, mais il ne pouvait pas postuler dans le ressort du tribunal saisi, ce qui constituait une irrégularité de fond visée par l'article 117 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1403H4Q) in fine. L'assignation devait donc être frappée de nullité. La question qui se posait était de savoir si cette assignation possédait tout de même un effet interruptif de la prescription.

La cour d'appel a jugé que l'irrégularité de fond "ne constituait pas un simple vice de procédure", car elle empêchait tout débat contradictoire, les avocats n'ayant pas la possibilité de notifier leurs conclusions et leurs pièces. L'article 117 incite à une telle interprétation. Les défauts de capacité et de pouvoir visés par ce texte concernent une impossibilité d'agir en justice. Comme son nom l'indique, l'irrégularité de fond ne se limite pas à une défaillance dans le formalisme procédural.

Cette solution n'a pourtant pas été retenue par la Cour de cassation. Celle-ci affirme clairement que "l'article 2241 du Code civil ne distinguant pas dans son alinéa 2 entre le vice de forme et l'irrégularité de fond, l'assignation même affectée d'un vice de fond a un effet interruptif". La solution se comprend au regard de l'esprit de la prescription. Si l'acte irrégulier possède un effet interruptif, c'est en raison de la volonté d'agir en justice exprimée par son auteur. En d'autres termes, ce n'est pas l'acte de procédure qui interrompt la prescription, mais l'acte juridique au sens du droit des obligations ; c'est-à-dire la manifestation d'une volonté destinée à produire des effets de droit. En effet, si prescription éteint l'action en justice en raison de la carence de celui qui bénéficie du droit substantiel, il n'y a donc aucune raison de priver du droit d'agir celui qui a fait preuve de diligence en exerçant l'action. Le vice de forme ou de fond est une source d'annulation de l'acte de procédure, mais il ne peut atteindre le droit d'agir.

3 - Procédure orale : tout se joue à l'audience

  • Les demandes reconventionnelles formulées à l'audience sont recevables, même lorsqu'elles n'ont pas été communiquées à l'adversaire non comparant (Cass. civ. 2, 19 mars 2015, n° 14-15.740, F-P+B N° Lexbase : A1916NEP ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E1585EUA)

La procédure orale, bien qu'elle soit applicable devant de nombreuses juridictions civiles, présente une dimension atypique qui s'accorde mal avec les pratiques contemporaines de l'exercice de l'action en justice. L'arrêt commenté en est une nouvelle illustration.

En l'espèce, une société exploitant des HLM a agi contre des locataires devant le tribunal d'instance selon la procédure d'injonction de payer. La procédure s'est poursuivie devant le tribunal à la suite d'une opposition des débiteurs. Devant le tribunal, ces derniers ont formulé oralement et par voie de conclusions, des demandes reconventionnelles visant à obtenir de leur bailleur le remboursement de charges indues. Le tribunal d'instance a déclaré ces demandes irrecevables, au motif que les conclusions déposées devant lui n'avaient pas été signifiées à l'adversaire non comparaissant et que le principe du contradictoire n'avait pas été respecté.

Le jugement a été cassé au motif que "devant le tribunal d'instance, la procédure est orale et que les prétentions des parties doivent être formulées au cours de l'audience". La Cour de cassation en a déduit que le tribunal d'instance était régulièrement saisi des demandes soutenues oralement devant lui. En constatant le défaut de comparution de l'adversaire, il appartenait à la juridiction de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure pour assurer le respect du contradictoire.

Une telle solution s'imposait. Elle correspond à l'esprit de la procédure orale, et s'inscrit dans une jurisprudence constante. Elle est également riche en enseignements sur l'attitude que le juge doit adopter dans une situation qui est loin d'être inhabituelle. Lorsque le montant d'une créance est faible, les parties peuvent être tentées de ne pas comparaître à l'audience, car cette comparution est plus coûteuse que le montant des sommes réclamées. Cette situation est d'autant plus compréhensible lorsque la procédure a débuté par une requête en injonction de payer, qui ne nécessite aucun débat contradictoire dans sa première phase. Tel était le cas en l'espèce. La société bailleresse avait formé une requête dans le but d'obtenir un titre exécutoire. Mais la procédure avait évolué avec l'opposition des débiteurs.

La situation devient alors paradoxale pour l'auteur de l'injonction de payer. La procédure est trop coûteuse pour justifier une comparution, mais le défaut de comparution du demandeur rend caduque l'ordonnance d'injonction de payer, car ce dernier ne soutient pas sa demande à l'oral. Plus encore, il risque de s'exposer à des demandes reconventionnelles, comme ce fut le cas en l'espèce.

Se pose alors la question du respect du contradictoire. Lorsqu'une partie n'est pas présente ou représentée à l'audience, le juge ne peut se fonder sur ses prétentions qui ont été exprimées par écrit (6). Plus précisément, la Cour de cassation affirme que le dépôt par une partie d'observations écrites ne peut suppléer le défaut de comparution. La partie qui ne comparaît pas n'est donc pas en mesure de défendre sa cause. La solution s'impose s'agissant de la demande initiale. Le défaut de comparution du demandeur conduit le juge à considérer que le demandeur ne soutient plus sa demande et à la rejeter. La solution est plus discutable s'agissant d'une demande reconventionnelle présentée à l'audience. La partie non-comparante n'a pas été informée de cette demande et elle n'a pas été en mesure de se défendre. C'est sur ce point que l'arrêt est le plus intéressant. En affirmant qu'il appartenait au tribunal d'instance de renvoyer l'affaire à une prochaine audience, la Cour de cassation interdit au juge du fond de statuer sur le champ. Certes, la demande reconventionnelle a été régulièrement présentée devant le juge et elle n'a pas à être signifiée à l'adversaire. Toutefois, ce dernier doit être informé de cette demande et appelé à l'audience pour y répondre.

On mesure ici la difficulté engendrée par l'oralité. La procédure orale est censée être plus simple et moins formelle. Toutefois, en imposant aux parties de comparaître, elle s'avère coûteuse et, finalement, peu adaptée aux litiges d'un faible montant. C'est pour cette raison que l'article 446-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1138INH) prévoit, depuis le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010, relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale (N° Lexbase : L0992IN3), que les parties peuvent être dispensées de se présenter à l 'audience. Encore faut-il qu'elles en fassent la demande et que le juge les autorise à formuler leurs prétentions et leurs moyens par écrit.

4 - Procédure écrite : le régime de la révocation de l'ordonnance de clôture

  • Le juge ne peut révoquer l'ordonnance de clôture pour admettre des conclusions sans rouvrir les débats (Cass. civ. 1, 11 février 2015, n° 13-28.054, F-P+B N° Lexbase : A4355NBW et CA Paris, 7 mai 2015, n° 14/13979 N° Lexbase : A6617NHK ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E3958EU7)

La révocation de l'ordonnance de clôture suscite un contentieux toujours aussi sensible, notamment pour arbitrer le sort des conclusions tardives et de leur réponse. Dans l'espèce étudiée, une partie a déposé des conclusions la veille de la clôture. Après la clôture, son adversaire a alors sollicité la révocation de l'ordonnance et a déposé dans le même temps des conclusions en réponses. Le jour de l'audience, la cour d'appel a révoqué l'ordonnance de clôture, admis les conclusions responsives et clôturé à nouveau la mise en état. L'auteur du pourvoi a reproché à la cour d'appel de n'avoir pas rouvert les débats après la révocation. Cet argument a convaincu la Cour de cassation qui a affirmé "lorsque le juge révoque l'ordonnance de clôture, cette décision, qui doit être motivée par une cause grave, doit intervenir avant la clôture des débats, ou sinon, s'accompagner d'une réouverture de ceux-ci".

La solution posée dans cet arrêt n'est pas nouvelle, mais elle est importante, car elle sanctionne l'attitude des cours d'appel qui révoquent l'ordonnance de clôture et procèdent simultanément à une nouvelle clôture dans le seul but d'admettre des conclusions ou des pièces produites hors délai. De surcroît, la Cour de cassation l'applique avec une particulière rigueur, même dans une situation où la réouverture des débats ne s'imposait pas avec évidence.

La révocation de l'ordonnance de clôture est prévue par l'article 784 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7022H79). Elle peut être ordonnée uniquement dans l'hypothèse de la révélation d'une "cause grave" postérieure à la clôture, soit par le juge de la mise en état, soit par la juridiction de jugement après l'ouverture des débats. Cette révocation est essentielle, car la procédure étant écrite, seules les conclusions et pièces échangées avant la clôture peuvent être prises en compte par la juridiction (8).

Lorsque des pièces ou des conclusions sont échangées postérieurement à la clôture, le juge a le choix entre plusieurs options et sous-options. D'un côté, il peut déclarer les conclusions irrecevables même d'office (9). D'une autre côté, il peut ordonner la réouverture des débats (10). Cette réouverture prend deux formes distinctes. Le juge peut la prononcer sans renvoi à la mise en état et admettre de nouvelles écritures pour permettre aux parties de conclure sur une question précisée (11). A l'inverse, il peut révoquer l'ordonnance de clôture et renvoyer l'affaire à la mise en état.

C'est cette seconde option qui posait problème en l'espèce. La révocation de l'ordonnance de clôture avait été ordonnée dans le seul but d'admettre aux débats des conclusions produites hors délai. L'attitude de la juridiction du fond était justifiée par les faits de l'espèce. En effet, dans cette affaire, l'appelant avait déposé des conclusions la veille de l'ordonnance de clôture dans lesquelles il invoquait pour la première fois le moyen tiré de la prescription de l'action de son adversaire. Cette attitude, pour le moins déloyale, soulevait une question déterminante pour l'issue du litige et appelait une réponse de la part de l'autre partie. En révoquant l'ordonnance de clôture, la cour d'appel se contentait de rétablir le contradictoire. Elle permettait à l'adversaire de débattre du moyen tiré de la prescription de l'action. C'est cette attitude qui a été sanctionnée par la Cour de cassation. Selon la haute juridiction, la révocation de l'ordonnance de clôture au moment des débats doit s'accompagner d'une réouverture de ceux-ci. Le juge ne peut se contenter d'autoriser l'adversaire à répondre. Il doit ouvrir une nouvelle phase d'échanges de conclusions.

La rigidité de la solution ainsi adoptée est justifiée par la volonté de sanctionner certaines pratiques des juridictions du fond. Elle est exprimée avec beaucoup de clarté dans un arrêt rendu en 2013 : la cour d'appel qui révoque l'ordonnance de clôture et clôture aussitôt l'instruction avant de statuer au fond viole l'article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q) (12). Ainsi, la révocation de l'ordonnance de clôture n'est pas un acte formel, qui permet de corriger le jour de l'audience un vice dans le déroulement de la mise en état. Il s'agit d'un acte fonctionnel, dont la finalité et de permettre le débat contradictoire, c'est-à-dire l'échange de pièces et d'écritures.

Le caractère automatique de la réouverture des débats à la suite de la révocation de l'ordonnance de clôture est le résultat d'une jurisprudence constante (13). Plus précisément, la Cour de cassation distingue deux situations (14). Soit la révocation a lieu par anticipation, c'est-à-dire avant la clôture de la mise en état. Dans cette hypothèse, les débats (écrits) sont simplement prolongés. Il s'agit d'un simple décalage dans le temps de la clôture. Soit, la révocation a lieu après la date de la clôture. La réouverture des débats s'impose alors de façon systématique. Cette solution impose un respect du contradictoire un peu rigide. En effet, dans l'espèce étudiée, on pouvait imaginer que les parties avaient suffisamment échangé sur la question de la prescription. L'attitude de la cour d'appel n'était donc pas irrespectueuse du contradictoire. A l'inverse, la solution de la Cour de cassation impose une plus grande lourdeur et un rallongement des délais. Une solution laissant plus de souplesse aux juridictions du fond serait sans doute préférable.

5 - Irrecevabilité des conclusions en appel : quel juge pour les prononcer après révocation de l'ordonnance de clôture ?

  • Le Conseiller de la mise en état demeure compétent pour statuer sur l'irrecevabilité des conclusions hors délai lorsque la révocation de l'ordonnance de clôture a été ordonnée par la cour d'appel avant l'ouverture des débats devant la juridiction du fond (Cass. civ. 2, 9 avril 2015, n° 13-28.707 N° Lexbase : A5277NGK et CA Paris, 3 mars 2015, n° 14/18730 N° Lexbase : A0183ND7 ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E1479EUC)

L'arrêt commenté répond à une question importante générée par une situation complexe liée à l'article 914 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0168IPW). Cette disposition prévoit que le conseiller de la mise en état (CME) est, lorsqu'il est désigné et jusqu'à son dessaisissement, seul compétent pour déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 (N° Lexbase : L0163IPQ) et 910 (N° Lexbase : L0412IGD). Lorsque l'intimé conclut au-delà du délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant, c'est à ce magistrat qu'il revient de relever d'office l'irrecevabilité des conclusions. Cette règle, habituellement simple à mettre en oeuvre, s'avère plus délicate à appliquer lorsque l'instruction a été close, puis rouverte par la cour d'appel.

Tel était le cas dans l'espèce étudiée. La procédure en appel avait débuté normalement et la clôture de l'instruction avait été prononcée deux semaines avant la date fixée pour l'audience des plaidoiries. Toutefois, au cours de la mise en état, l'intimé avait conclu tardivement et l'irrecevabilité de ces conclusions avait été soulevée par l'appelant dans ses dernières conclusions. La question n'avait pas été tranchée par le CME et la cour d'appel se trouvait confrontée à une difficulté procédurale évidente : l'intimé n'avait pas eu l'occasion de se défendre sur le grief d'irrecevabilité. Avant d'ouvrir les débats en audience, la cour d'appel décida de révoquer l'ordonnance de clôture et de renvoyer l'affaire devant le CME afin que ce magistrat statue sur la recevabilité des conclusions.

Cette situation complexe devait être conciliée avec les prescriptions de l'article 914 du Code de procédure civile. En effet, le CME avait été dessaisi de l'affaire, puis saisi à nouveau. Selon le pourvoi, le CME ne pouvait valablement être saisi de la question de la recevabilité des conclusions hors délai, même après révocation de l'ordonnance de clôture par la cour d'appel.

La Cour de cassation n'a pas été convaincue par cette argumentation. Elle a affirmé que le CME n'était pas dessaisi dans la mesure où l'irrecevabilité des conclusions de l'intimé avait été soulevée avant l'ordonnance de clôture et que la révocation de cette ordonnance avait été prononcée par la Cour d'appel avant l'ouverture des débats à l'audience des plaidoiries. En d'autres termes, il existait une forme de continuum qui n'avait été rompu ni par l'ordonnance de clôture ni par la décision de la cour d'appel.

Cette décision importante permet de déterminer les différents régimes dans lesquels les sanctions des décrets "Magendie" (caducité / irrecevabilité) doivent être mises en oeuvre :

1/ lorsque les sanctions sont soulevées par l'adversaire avant la clôture de l'instruction, le CME est seul compétent pour statuer sur cette question jusqu'à l'ouverture des débats devant la juridiction du fond. La cour d'appel qui statue sur cette question excède ses pouvoirs et encourt la cassation (15) ;

2/ après le dessaisissement du CME, c'est-à-dire lorsque les débats à l'audience ont débuté, les parties ne sont plus recevables, par principe, à invoquer la caducité ou l'irrecevabilité (16) ;

3/ par exception, si la cause d'irrecevabilité ou de caducité intervient après le dessaisissement du CME, la sanction peut être invoquée directement devant la cour d'appel (17).


(1) Sur ce principe et ses applications, cf. nos obs., in Chronique de procédure civile - mars 2009, Lexbase Hebdo n° 344 du 2 avril 2009 - édition privée (N° Lexbase : N9948BIB) ; Chronique de procédure civile - septembre 2010, Lexbase Hebdo n°409 du 23 septembre 2010 - édition privée (N° Lexbase : N0930BQI) et Chronique de procédure civile - février 2014, Lexbase Hebdo n° 558 du 13 février 2014 - édition privée (N° Lexbase : N0783BUK).
(2) Ass. plén., 27 février 2009, n° 07-19.841, P+B+R+I ([LXB=A3925EDQ ]).
(3) Cass. civ. 1, 3 février 2010, n° 08-21.288, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2062ERS).
(4) Cass. civ. 2, 14 novembre 2013, n° 12-25.835, F-P+B (N° Lexbase : A6124KPI).
(5 ) Cf. C. Bléry, Acte nul pour vice de procédure : notion et portée, obs. sous 2 arrêts RLDC, 2015, n° 126, p. 69.
(6) Cass. civ. 2, 27 septembre 2012, n° 11 -18.322, F-P+B (N° Lexbase : A6246ITI).
(7) Cass. soc., 25 septembre 2013, n° 12-17.968, F-D (N° Lexbase : A9575KL9).
(8) C. proc. civ., art 783 (N° Lexbase : L7021H78).
(9) Même article.
(10) C. proc. civ., art. 444 (N° Lexbase : L1120INS).
(11) Sur cette solution jurisprudentielle, cf. nos obs. in Chronique de procédure civile, Lexbase n° 344 du 2 avril 2009 - édition privée (N° Lexbase : N9948BIB).
(12) Cass. civ. 2, 26 mai 2011, n° 10-18.416, F-D (N° Lexbase : A8908HSQ).
(13) Cf. par ex. Cass. civ. 3, 3 mai 1984, n° 82-13.281 (N° Lexbase : A0224AAK).
(14) Cf. déjà Cass. civ. 2, 10 mai 1989, n° 88-10.137 (N° Lexbase : A3416AHY).
(15) Cass. civ. 3, 24 septembre 2014, n° 13-21.524, FS-P+B (N° Lexbase : A3037MXR).
(16) C. proc. civ., art. 914 (N° Lexbase : L0168IPW).
(17) Même article.

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Sociétés

[Chronique] Chronique de droit des sociétés - Mai 2015

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N7483BUP

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par Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre de l'Institut du droit des affaires et du Centre de droit économique (EA 4224)

Le 21 Mai 2015

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de droit des sociétés de Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre de l'Institut du droit des affaires et du Centre de droit économique (EA 4224) (1). L'auteur a sélectionné cinq arrêts rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Le premier porte sur droit de retrait d'un associé de SCM dont les statuts instauraient, mais de manière inachevée, l'obligation pour celle-ci de faire acquérir les parts de l'associé retrayant par d'autres associés ou par des tiers, ou encore de les acquérir elle-même (Cass. com., 31 mars 2015, n°13-23.238, F-D). Le deuxième concerne des associés minoritaires "squeezés" en toute légitimité par des majoritaires au moyen d'un coup d'accordéon (Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-11.735 F-D). Le troisième revient sur la faute détachable du gérant (Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-14.575, F-D). Le quatrième fait état d'une jurisprudence peu connue mais qui doit l'être en matière d'apport partiel d'actif et de transmission universelle du patrimoine (Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-16.339, F-D). Le cinquième et dernier est relatif à la révocation d'un président de SAS pour faute grave (Cass. com., 14 avril 2015, n° 14-15.869 F-D).

La question du droit de retrait des associés dans les sociétés civiles donne lieu à un contentieux abondant, tournant principalement autour du remboursement des droits sociaux et, plus généralement, de la date à laquelle l'associé concerné perd sa qualité d'associé, ainsi que les droits et obligations y attachés. Nombre d'arrêts ont ainsi été adoptés ces derniers, confirmant tous soit que la perte de la qualité d'associé ne peut, en cas de retrait d'une société civile, être antérieure au remboursement de la valeur des droits sociaux (2), soit que l'associé retrayant -d'une SCP, par exemple- conserve ses droits à percevoir des dividendes tant qu'il n'a pas obtenu le remboursement intégral de la valeur de ses droits sociaux (3). Les sociétés civiles de moyens (SCM), qui sont de véritables sociétés contrairement à ce qu'il est parfois pensé, n'échappent pas au contentieux, étant précisé qu'en matière de retrait les SCM sont soumises au même régime juridique que les sociétés civiles de droit commun (4), à savoir l'article 1869 du Code civil (N° Lexbase : L2066AB7), selon lequel "sans préjudice des droits des tiers, un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés. Ce retrait peut également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice" (al. 1er). Par ailleurs, il est précisé qu'à moins qu'il ne soit fait application de l'article 1844-9 (N° Lexbase : L2029ABR) (al. 3), l'associé qui se retire a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux, fixée, à défaut d'accord amiable, conformément à l'article 1843-4 (N° Lexbase : L8956I34) (al. 2). Ce texte, il est vrai, n'a que très peu de lien avec la qualité d'associé et la perte de qualité consécutive au remboursement de droits sociaux, contrairement à l'article 1860 du Code civil (N° Lexbase : L2057ABS) disposant que "s'il y a déconfiture, faillite personnelle, liquidation de biens ou règlement judiciaire atteignant l'un des associés, à moins que les autres unanimes ne décident de dissoudre la société par anticipation ou que cette dissolution ne soit prévue par les statuts, il est procédé, dans les conditions énoncées à l'article 1843-4, au remboursement des droits sociaux de l'intéressé, lequel perdra alors la qualité d'associé".

Dans un arrêt du 31 mars 2015, non publié au Bulletin (5), il s'agissait d'un associé de SCM qui avait manifesté sa volonté de se retirer de la société. Les statuts de ladite société prévoyaient que lorsqu'un associé le demanderait, la société serait tenue de faire acquérir ses parts sociales par d'autres associés ou par des tiers, ou de les acquérir elle-même. L'associé retrayant a alors informé ses coassociés de son intention de se retirer de la société, par une première lettre de janvier 2008. Sa demande a été confirmée par une seconde lettre, y ajoutant sa volonté de partir au 1er juin 2008. Par la suite, invoquant le climat conflictuel, il a demandé en justice la désignation d'un expert en application de l'article 1843-4 du Code civil. Le tiers estimateur a rendu son rapport le 29 mai 2009. Toutefois, l'associé retrayant a cédé ses parts à l'un de ses coassociés le 7 octobre 2009, au prix d'un euro symbolique. Assigné par la société en paiement des charges dues jusqu'à la date de son départ définitif, il a prétendu que la société avait manqué aux obligations mises à sa charge, résultant de l'exercice de son droit de retrait, sollicitant en retour, des dommages-intérêts. La Cour de cassation rejette logiquement son pourvoi.

En effet, comme précédemment indiqué, sauf exceptions (6), l'associé retrayant ne perd sa qualité qu'à compter du jour où il a été remboursé de la valeur de ses droits sociaux. Bien que contestée car fort contestable, la solution est acquise depuis longtemps (7). L'associé d'une SCM est donc tenu de régler la quote-part de charges jusqu'à cette date, en conséquence de quoi, en l'espèce, la cession de parts étant intervenue en octobre 2009, l'associé devait régler cette dette à la société. Si toutefois la société avait racheté les parts à la valeur fixée par le tiers estimateur, une compensation entre les créances et les dettes réciproques aurait pu être possible (8). Mais cela n'était pas le cas ici. Comme notre collègue Christine Lebel le relève, cet arrêt doit surtout attirer l'attention des rédacteurs des clauses statutaires relatives à l'exercice du droit de retrait car, en l'occurrence, les statuts ne prévoyaient aucun délai pour la procédure statutaire de la mise en oeuvre du droit de retrait. L'associé retrayant prétendait que la société n'avait pas respecté la procédure de retrait, l'absence de délai conventionnellement prévu ne la dispensant pas de son obligation d'acquérir ses parts sociales en l'absence de toute possibilité de céder celles-ci, à un associé ou à un tiers. Souhaitant partir au 1er juin 2008, et n'ayant toujours aucune nouvelle de la société, il a fini par céder ses parts en octobre 2009, soit plus de dix-huit mois après avoir manifesté sa volonté de quitter la société, faute de procédure plus précise prévue par le contrat (9).

  • Augmentation de capital conforme à l'intérêt social : des associés peuvent-ils s'auto-exclurent de l'opération ? (Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-11.735 F-D N° Lexbase : A0927NGG ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E1272AHL)

Même si l'arrêt n'est pas d'une importance essentielle, on le retiendra en ce qu'il pose une question particulièrement intéressante : des associés peuvent-ils décider de ne pas participer à une augmentation de capital, puis de contester ensuite la régularité de cette opération, et des suivantes, décidées et adoptées sans leur consentement ?
En l'espèce, deux associés ayant créé une SARL ont ouvert le capital social à des investisseurs, devenus majoritaires, avec lesquels ils avaient signé une convention prévoyant notamment qu'en cas de vente du fonds de commerce de la société, la moitié de la fraction du prix dépassant la somme de 300 000 euros reviendrait aux associés fondateurs. Une assemblée des associés, réunie le 17 décembre 2009, à l'initiative des majoritaires, cogérants qui plus est, a décidé de réduire le capital à zéro et de l'augmenter corrélativement par la création de nouvelles parts d'une valeur nominale de 4 000 euros, la souscription de huit parts nouvelles, dont l'une par un nouvel associé, étant constatée par une assemblée du 16 janvier 2010 à laquelle les fondateurs désormais minoritaires, qui n'avaient pas participé à l'augmentation du capital social, n'ont pas été convoqués. Ils ont alors fait valoir que les décisions prises le 17 décembre 2009 l'avaient été de manière irrégulière, faute d'avoir été adoptées à la majorité requise, sans eux. Une nouvelle assemblée des associés réunie le 19 avril 2011, à laquelle ils n'avaient pas participé, alors qu'ils y avaient bien été conviés, a de nouveau voté la réduction du capital à zéro et son augmentation par la création de nouvelles parts d'une valeur nominale de 4 000 euros. Fidèles à leur position, les fondateurs minoritaires n'ont pas non plus souscrit à la nouvelle augmentation du capital social. Le 22 novembre 2011, la société a vendu son fonds de commerce pour le prix de 420 000 euros.
La Cour de cassation rejette sèchement leur pourvoi car l'augmentation de capital à laquelle ils avaient refusé de participer n'était pas contraire à l'intérêt social ("dès lors que la société présentait au 19 avril 2011 une perte cumulée de 340 000 euros et des fonds propres négatifs de 189 860 euros") (10), du moins ils ne rapportaient pas la preuve de ce que la manoeuvre avait eu pour but de les évincer de la société.

Le rejet est sévère certes, surtout lorsque la Cour de cassation estime qu'ils "se sont exclus eux-mêmes de la société et du bénéfice des droits qu'ils détenaient comme associés et signataires du pacte d'actionnaires". Mais il nous paraît justifié au regard de la situation : en faisant entrer des majoritaires au capital de la société qu'ils avaient créée, ils avaient inévitablement perdu le pouvoir, faute de l'avoir sécurisé, les majoritaires ayant pu sans difficulté contourner la convention prévoyant qu'en cas de vente du fonds de commerce de la société, la moitié de la fraction du prix dépassant la somme de 300 000 euros reviendrait aux associés fondateurs, par le simple jeu d'un coup d'accordéon. Peut-être les fondateurs auraient-ils dû participer à l'augmentation de capital pour pouvoir mieux la contester ensuite. Mais certainement qu'ils ne le pouvaient pas (ou qu'ils ont été mal ou pas conseillés). D'autant qu'il est très difficile en pratique de contester une augmentation de capital, même lorsqu'elle n'est que de confort. La SAS avec des actions de préférence aurait pu, bien mieux que la SARL, leur offrir la sécurité recherchée dans le contrôle de l'actionnariat, tout en ouvrant le capital social à des investisseurs. La SARL aurait pu néanmoins prévoir des parts dites "privilégiées" pour les fondateurs.

  • Le gérant avait-il commis une faute détachable de ses fonctions ? (Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-14.575, F-D N° Lexbase : A0884NGT ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés N° Lexbase : E1910AH9)

Pour engager la responsabilité civile personnelle d'un gérant de société, il faut démontrer qu'il a commis une faute détachable, définie comme étant intentionnelle, d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions sociales (11). La solution vaut tant pour les sociétés commerciales que pour les sociétés civiles (12).

Dans l'arrêt rapporté du 31 mars 2015, il s'agissait en l'occurrence d'une SARL qui avait commandé à une société, par l'intermédiaire de son gérant, des balises destinées à la localisation des animaux qui en seraient porteurs, leur livraison devant être échelonnée sur une période de quatorze mois. La SARL ayant mis fin au contrat au cours de son exécution, le fournisseur l'a assignée pour obtenir le paiement des livraisons impayées et l'allocation de dommages-intérêts, faisant en outre valoir que le gérant avait engagé sa responsabilité à son égard pour lui avoir fait croire qu'il bénéficierait de la garantie d'un tiers alors qu'il savait que cette garantie, donnée par une association insolvable, était illusoire. Les juges d'appel ne retiennent pas la responsabilité du gérant, son attitude s'étant inscrite, selon eux, dans le cadre des relations commerciales de négociation de contrats, sans qu'il puisse être considéré qu'elle n'était pas conforme à l'objet social et à l'intérêt de la société (13). De plus, le cocontractant du fournisseur est la SARL, et non personnellement le gérant. Ce raisonnement est toutefois cassé au visa de l'article L. 223-22 du Code de commerce (N° Lexbase : L5847AIE), relatif à la responsabilité du gérant envers la société ou envers les tiers : "en se déterminant ainsi par des motifs inopérants, sans rechercher, comme elle y était invitée, si [le gérant] n'avait pas commis une faute séparable de ses fonctions sociales, engageant sa responsabilité personnelle, en trompant volontairement [le fournisseur] sur la solvabilité de la [SARL] qu'il dirigeait, afin de permettre à celle-ci de bénéficier de livraisons que, sans de telles manoeuvres, elle n'aurait pu obtenir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale".

Voilà rappelé aux juges du fond qu'un gérant de société peut parfaitement engager sa responsabilité personnelle s'il commet une faute séparable de ses fonctions, dont les trois critères doivent être rigoureusement appréciés. S'il est vrai que le principe est celui d'une responsabilité principale des sociétés, les gérants n'étant que des "exécutants", abrités normalement derrière l'écran -visiblement affaibli ici- de la personnalité morale, ces derniers pouvant néanmoins engager leur responsabilité en interne, vis-à-vis de la société et des associés (14), il est tout aussi vrai, par exception, qu'une responsabilité personnelle des gérants est également possible, soumise en tant que telle à la preuve rapportée des trois éléments constituant la faute séparable, à défaut de quoi tout arrêt d'appel se verra censuré pour défaut de base légale. Sous couvert de ce rappel, la Cour de cassation semble laisser entendre le caractère presque systématique de l'appréciation de la faute séparable des fonctions, ce qui, si cette interprétation se confirme, tendrait à inverser le principe de l'exception, à savoir que le gérant engage par principe sa responsabilité personnelle dans toute décision de gestion, sous réserve du moins de démontrer la faute séparable des fonctions, demande de la part du cocontractant qui ne pouvait être ici passée sous silence par les juges d'appel, celui-ci leur ayant demandé la condamnation in solidum de la SARL et du gérant.

  • Apport partiel d'actif et périmètre de la TUP (Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-16.339, F-D N° Lexbase : A1082NG8 ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E5258A4I)

La Cour de cassation rappelle, dans un arrêt du 31 mars 2015, que, sauf clause contraire, l'apport partiel d'actif (APA), soumis au régime des scissions, transmet toutes les créances dépendant de la branche apportée, y compris les créances litigieuses, même s'il stipule que les créances sont transmises pour une valeur brute et nette identique. Les faits étaient assez complexes, à tel point qu'ils avaient déjà donné lieu à un précédent arrêt de la Cour de cassation aux termes duquel il avait été jugé, aux visas des L. 236-3 (N° Lexbase : L6353AI7), L. 236-20 (N° Lexbase : L6370AIR) et L. 236-22 (N° Lexbase : L6372AIT) du Code de commerce, "qu'il résulte de ces textes que sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité d'apport, l'apport partiel d'actif emporte, lorsqu'il est placé sous le régime des scissions, transmission universelle, de la société apporteuse à la société bénéficiaire, de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d'activité qui fait l'objet de l'apport" (15). La même solution, ici rappelée.

En l'occurrence, par acte du 20 janvier 1998, une société (la débitrice) a conclu un contrat de dépôt et de coopération logistique avec une autre société (la créancière). La débitrice a été mise en redressement, puis liquidation judiciaires. La créancière a déclaré sa créance au passif de la procédure. Le 25 juin 2002, le juge-commissaire a ordonné la vente aux enchères publiques du stock de marchandises dépendant de l'actif de la liquidation judiciaire de la débitrice. Mais, la créancière, invoquant son droit de rétention sur les marchandises, a demandé au liquidateur que le prix de vente soit bloqué entre les mains du commissaire-priseur à due concurrence de sa créance et qu'il lui soit ensuite reversé. Le stock de marchandises ayant été vendu aux enchères publiques, et le liquidateur ayant refusé de reverser le prix de vente, une société holding, se présentant comme venant aux droits de la créancière, l'a assigné en paiement. Le liquidateur a alors soulevé l'irrecevabilité de cette action, tirée du défaut de qualité pour agir de la holding, en faisant valoir que, suivant traité d'apport partiel d'actif du 27 octobre 2004, la créancière avait transmis à une autre société (la bénéficiaire de l'APA) l'intégralité de sa branche d'activité de plate-forme logistique. La holding fait grief à l'arrêt d'appel de déclarer ses demandes irrecevables (16). Son pourvoi est, toutefois, rejeté selon l'attendu de principe précité.

Si l'on recentre les faits sur le problème particulier de l'APA soumis au régime des scissions et la TUP qui en découle, on comprend qu'une société fait un apport partiel d'actif portant sur l'une de ses branches d'activité, que cet apport est soumis au régime des scissions, que le traité d'apport stipule qu'il emporte transmission universelle de tous les actifs se rapportant à la branche apportée, qu'il stipule également que les créances sont transmises pour une valeur brute et nette identique, qu'il évalue à une somme déterminée. Invoquant cette dernière précision, l'apporteur soutient que l'apport n'a pas pu porter sur les créances litigieuses ou douteuses, la valeur nette de ces dernières, résultant des provisions passées, ne pouvant être identique à leur valeur brute. C'est cette interprétation qui n'est pas retenue : sauf dérogation expressément convenue par les parties dans le traité d'apport, l'apport partiel d'actif placé sous le régime des scissions emporte transmission universelle de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d'activité qui fait l'objet de l'apport. En l'espèce donc, aucune dérogation expresse n'a été stipulée dans le traité d'apport, restreignant sa portée. L'apport a, par conséquent, transmis toutes les créances dépendant de la branche apportée, y compris les créances douteuses ou litigieuses.

La solution est de prime abord logique. Mise à part l'interprétation différente qui pourrait être faite des stipulations du traité d'apport, tendant à reconnaître, au contraire, les créances querellées comme non transmises, mais l'ambiguïté des termes n'y était pas propice, on sait que, sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité de scission ou d'apport, communauté ou confusion d'intérêts ou fraude, dans le cas d'un apport partiel d'actif placé sous le régime des scissions, il s'opère de la société apporteuse à la société bénéficiaire, laquelle est substituée à la première, une transmission universelle de tous ses droits, biens et obligations pour la branche d'activité faisant l'objet de l'apport (17). Et cette transmission universelle s'opère de plein droit, même sur les biens, droits et obligations de la société absorbée qui, par la suite d'une erreur, d'un oubli ou de toute autre cause, ne figureraient pas dans le traité d'apport ou de fusion (18). Mais on sait aussi, d'une part, que les contrats conclus intuitu personae, tels que par exemple le contrat d'agent commercial, ne peuvent être transmis qu'avec l'accord du cocontractant (19), d'autre part, que si le contrat auquel est attachée l'action n'est pas transmis, l'action elle-même ne saurait être transmise (20), ce qui explique par exemple qu'une SAS, bénéficiaire d'un APA, se voit dénier la qualité d'interjeter appel dans une procédure née de la rupture d'un contrat non transmis : si le contrat n'est pas transmis, la procédure et les actions y attachées ne le sont pas non plus (21).

Cela précisé, le principe posé par l'arrêt du 31 mars 2015 se démarque, à la réflexion, de ce raisonnement. Alors que par l'effet de la TUP tout se transmet, sauf les contrats teintés d'un trop fort intuitus personae, le présent arrêt confirme que tout se transmet, sauf ce qui est expressément exclu par le traité d'apport. Voilà qui fragilise les relations contractuelles, et qui donne plein effet à la TUP, puisque si le traité d'apport n'est pas assez précis, ou pas assez explicite, comme cela était le cas dans cette affaire, il faut considérer que, par défaut, peut-être du moins dans la limite des contrats éminemment personnels, tout l'actif et tout le passif présent au jour de l'APA est automatiquement transmis, presque indépendamment du contenu du traité. Cela pose le problème des actif et passif, pour reprendre un terme des procédures collectives, isolés, c'est-à-dire des actif et passif non identifiés comme faisant partie d'une branche autonome d'activité (22). Plus fondamentalement, et comme notre collègue Bruno Dondero l'a relevé (23), cette jurisprudence, assez mal connue de la pratique, doit être connue et surtout maîtrisée, maîtrise qui passe par une rédaction méticuleuse du traité d'apport pour éviter toute interprétation divergente. Sinon, faute d'être expressément exclues, toutes les créances seront incluses dans le patrimoine du bénéficiaire de l'apport, et exclues en conséquence du patrimoine de l'absorbée.

  • Révocation du président de SAS pour faute grave (Cass. com., 14 avril 2015, n° 14-15.869, F-D N° Lexbase : A9298NGH ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E3167A43)

La révocation du dirigeant social est toujours une question épineuse tellement il est difficile de s'y retrouver entre la révocation ad nutum, la révocation avec motif, la révocation avec juste motif. Le principe du contradictoire (24), que l'on a du mal à situer ici, perturbe plus qu'il ne sécurise la procédure. Le principe en matière de révocation des dirigeants sociaux est relativement simple. Il est celui de la libre révocabilité : tous les dirigeants sont librement révocables, même les gérants de SARL et SNC. Simplement, pour ceux-ci, il faut un juste motif ou un motif légitime, voire une cause légitime en cas de révocation judiciaire. Pour les administrateurs de SA, il faut, depuis l'arrêt du 14 mai 2013 un motif (mais elle est toujours ad nutum), sans qu'il ne soit pour autant légitime (25). Toutes les révocations ayant lieu dans des conditions vexatoires ou discriminatoires, quelle que soit la forme de la société, pouvant donner lieu à des dommages et intérêts au profit de l'intéressé. La tendance dans la révocation est à la loyauté, ce qui passe par un respect plus fort du contradictoire, la théorie des incidents de séance et l'ordre du jour très vague étant cependant toujours fonctionnels. Quant à la révocation du président de SAS, sur laquelle la Cour de cassation a déjà statué à plusieurs reprises (26), la liberté contractuelle, caractéristique d'une telle société, peut permettre de simplifier la problématique.

Tel est le cas dans un arrêt du 14 avril 2015 dans lequel une dame exerçait les fonctions de présidente d'une SAS, ayant pour associée unique une société, elle-même contrôlée par une autre société (27). Les statuts de la SAS prévoyaient que la révocation du président ne pouvait intervenir que pour faute grave. Ayant été révoquée de son mandat social par décision de la SAS du 4 octobre 2010, ladite présidente avait assigné cette dernière ainsi que son associée unique, aux droits de laquelle se trouve la société qui la contrôlait, en paiement de dommages-intérêts. Sans succès. En effet relève la Cour de cassation, outre le désaccord opposant la présidente à l'associée unique, "l'arrêt retient que [la présidente] a manifesté, par courrier du 6 juin 2010, sa volonté d'abandonner ses fonctions de présidente de la [SAS] et qu'elle s'en était entretenue avec les dirigeants du groupe, notamment le 8 juillet 2010 ; que de ces seules constatations, desquelles il résulte que [la présidente] avait elle-même posé la question de la continuation de ses fonctions sociales et y avait apporté une réponse négative, de sorte que la [SAS] n'avait pas l'obligation d'ouvrir une discussion préalable à la décision de révocation du 4 octobre 2010, la cour d'appel, qui n'avait pas à faire d'autre recherche, a pu déduire que cette décision ne revêtait pas un caractère brutal".

Sauf à ce que les statuts, eux-mêmes, viennent expressément prévoir un devoir de loyauté (28), en expliquant concrètement sa mise en oeuvre, la révocation du président de SAS est libre, liberté qui, au demeurant, peut encore être accentuée (29). On regrettera simplement le manque de précision sur la notion de faute grave. Faire référence à une faute, d'une certaine intensité, est opportun en effet. La révocation n'est déclenchée qu'en cas de faute grave et non simple. Mais qu'est-ce la faute grave ? Elle correspondait, vraisemblablement en l'espèce, au désaccord, ce qui n'est guère convaincant. La référence aurait pu être plus précise, comme par exemple une faute grave au sens du droit social. Tel a été le cas récemment pour une clause de bad leaver, parfaitement valable (30).


(1) bastien.brignon@univ-amu.fr ou bastien.brignon@free.fr.
(2) Cass. civ. 3, 9 septembre 2014, n° 13-19.345, F-D (N° Lexbase : A4322MWY), JCP éd. N, 2014, act. 996 ; JCP éd. E, 2015, 1186, n° 2, obs. M. Buchberger. V. déjà, Cass. civ. 3, 9 décembre 1998, n° 97-10.478 (N° Lexbase : A5430A4U), Bull. civ. III, n° 243, Defrénois, art. 36991-4, note H. Hovasse, D., 2000, pan. 237, obs. J.-C. Hallouin, D. Affaires, 1999, 298, obs. M. B., Cass. com., 13 décembre 2011, n° 11-11.667, F-D (N° Lexbase : A4913H8H), Dalloz actualité, 3 janvier 2012, obs. A. Lienhard, Rev. sociétés, 2012. 376, note N. Morelli. V. plus récemment, Cass. com., 5 mai 2015, n° 14-10.913, F-P+B (N° Lexbase : A7094NH9), Dalloz actualité, 13 mai 2015, obs. A. Lienhard ; D. Gibirila, à paraître Lexbase Hebdo - édition affaires.
(3) Cass. civ. 1, 10 septembre 2014, n° 13-13.957, F-D (N° Lexbase : A4367MWN), Rev. sociétés, 2015, p. 115, note J.-F. Barbiéri, JCP éd. E, 2015, 1186, n° 4, obs. M. Buchberger ; Cass. civ. 1, 16 avril 2015, n° 13-24.931, FS-P+B (N° Lexbase : A9230NGX), nos obs., Forces et faiblesses de l'avocat associé retrayant de SCP, Lexbase Hebdo n° 194 du 21 mai 2015 - édition professions (N° Lexbase : N7346BUM).
(4) D. Gibirila, Le retrait d'un associé d'une société civile de moyen, Lexbase Hebdo n° 423 du 14 mai 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N7286BUE), note sous Cass. com., 14 avril 2015, n° 14-11.605, F-D (N° Lexbase : A9490NGL) (conflits sur les conditions du droit de retrait dans une SCM),
(5) Journ. Sociétés, avril 2015, p. 47, obs. Ch. Lebel.
(6) Sur lesquelles v., M. Buchberger, précit..
(7) Cass. com., 17 juin 2008, deux arrêts, n° 06-15.045, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2140D97) et n° 07-14.965, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2228D9E). Sur ces arrêts, D., 2008, p. 1818, note A. Lienhard ; JCP éd. E, 2008, 1980 ; Bull. Joly Sociétés, 2008, p. 967, note F.-X. Lucas ; Dr. sociétés, 2008, comm. 176, Note R. Mortier ; JCP éd. N, 2008, 1306, note Ch. Lebel ; J.-B. Lenhof, Perte de la qualité d'associé et remboursement des droits sociaux dans les sociétés civiles, Lexbase Hebdo n° 314 du 24 juillet 2008 - édition privée (N° Lexbase : N6457BGA).
(8) Note Ch. Lebel, précit.
(9) Note Ch. Lebel, précit.
(10) Les minoritaires estimaient, au contraire, que le coup d'accordéon permettait de détourner de l'actif en remboursant les comptes courants des majoritaires.
(11) Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1619B9T), Dr. sociétés, 2003, comm. 148, note J. Monnet ; JCP éd. E, 2003, 1203, obs. J.-J.Caussin, Fl. Deboissy et G. Wicker. J.-F. Barbiéri, Responsabilité de la personne morale ou responsabilité des dirigeants ? La responsabilité personnelle à la dérive, Mel. J. Guyon, Dalloz, 2003, p. 41.
(12) Pour un arrêt de la Cour de cassation retenant que les juges d'appel ont bien caractérisé ces trois éléments : Cass. com., 31 mars 2015, n° 13-19.432, F-D (N° Lexbase : A0990NGR), Ch. Lebel, Responsabilité individuelle du gérant de société civile en liquidation judiciaire, Lexbase Hebdo n° 421 du 23 avril 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N7143BU4).
(13) CA Aix-en-Provence, 3 octobre 2013, n° 12/15945 (N° Lexbase : A2362KMG).
(14) Cass. com., 20 janvier 2015, n° 13-27.189, F-D (N° Lexbase : A2774NAY) ; nos obs. in Chronique de droit des sociétés - Février 2015 (1er comm.) Lexbase Hebdo n° 412 du 12 février 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N5905BUA).
(15) Cass. com., 12 février 2013, n° 11-23.895, F-D (N° Lexbase : A0682I8R), Rev. sociétés, 2014, p. 27, note V. Thomas ; Bull. Joly Sociétés, septembre 2013, p. 575, note B. Dondero ; Gaz. Pal., 29 juin 2013, p. 33, note B. Dondero, Dr. sociétés, 2013, comm. n° 101, note D. Gallois-Cochet.
(16) CA Rouen, 19 février 2014, n° 13/03014 (N° Lexbase : A5686MEC).
(17) Cass. com., 5 mars 1991, n° 88-19.629, publié (N° Lexbase : A1185ABI), Bull. civ. IV, n° 100 ; Bull. Joly Sociétés, 1991, p. 500, note M. Jeantin, D., 1991, p. 441, note J. Honorat, Defrénois, 1991, p. 880, obs. P. Le Cannu, Rev. sociétés, 1991, p. 545, note Bolze, Dr. sociétés, 1991, n° 341, note Marteau-Petit, RTDCom., 1992, p. 189 et p. 385, obs. C. Champaud et D. Danet ; Cass. com., 23 juin 2004, n° 02-13.115, F-D (N° Lexbase : A7983DCN), JCP éd. E, 2004, n° 49, p. 1936, note A. Viandier, Dr. sociétés, 2004, n° 219, note H. Hovasse ; Cass. com., 12 février 2013, n° 11-23.895, F-D (N° Lexbase : A0682I8R), Dr. sociétés, 2013, comm. n° 101, note D. Gallois-Cochet, Rev. sociétés, 2014, p. 27, note V. Thomas, Bull. Joly. Sociétés, 2013, p. 575, note B. Dondero.
(18) Cass. com., 4 février 2004, n° 00-13.501, F-D (N° Lexbase : A2637DBB), D., 2004, Somm. p.2929, obs. J.-C. Hallouin ; Dr. et patr., mai 2004, p. 85, obs. D. Poracchia ; Bull. Joly Sociétés, 2004, p. 649, note P. Le Cannu.
(19) Cass. com., 29 octobre 2002, n° 01-03.987, F-D (N° Lexbase : A4127A3A), RJDA, 2003, n° 263, Bull. Joly Sociétés, 2003, p. 192, note D. Krajeski, RTDCiv., 2003, p. 295, obs. J. Mestre et B. Fages, D., 2003, p. 2231, note J. -P. Brill et C. Koering ; Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-16.878, F-P+B (N° Lexbase : A9814DL3), Bull. civ. IV, n° 255, RTDCiv., 2006, p. 310, obs. J. Mestre et B. Fages, JCP éd. E, 2006, 1669 et JCP éd. G, 2006, II, 10 013, note H. Hovasse, Dr. sociétés, 2006, comm. 23, obs. J. Monnet, RLDC, 2006/24, n° 980, obs. S. Doireau, Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 591, note X. Vamparys, LPA, 2007, n° 120, p. 11, obs. D. Poracchia, R. Kaddouch, La fusion face aux contrats intuitu personae, Lexbase Hebdo n° 201 du 9 février 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N4162AKD) ; Cass. com., 3 juin 2008, deux arrêts, n° 06-18.007, FS-P+B (N° Lexbase : A9219D8X) et n° 06-13.761, FSP+B (N° Lexbase : A9213D8Q), JCP éd. E, 2008, Act. n° 317 ; JCP éd. G, 2008, II, 10 154, note C. Maréchal, JCP éd. E, 2008, 2210, note H. Hovasse, G. de Foresta, La transmission de contrats de franchise dans le cadre d'une fusion-absorption et d'opérations assimilées : le problème de l'intuitu personae, Lexbase Hebdo n° 315 du 31 juillet 2008 - édition privée (N° Lexbase : N7030BGH) ; Cass. com., 29 janvier 2013, n° 11-23.676, F-P+B (N° Lexbase : A6180I4N), D., 2013, p. 361, Gaz. Pal., 14 février 2013, n° 45, p. 28, JCP éd. E, 2013, act. 115, nos obs., La brutalité de la rupture de relations commerciales établies à l'épreuve de l'autonomie de la personne morale, Lexbase Hebdo n° 333 du 4 avril 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N6336BTT), JCP éd. E, 2013, 1225, note F. Buy.
(20) V. Thomas, Société et procédure civile, LexisNexis, 2014, n° 194.
(21) Cass. com., 20 janvier 2015, n° 14-10.010, F-D (N° Lexbase : A2630NAN) ; nos obs. in Chronique de droit des sociétés - Février 2015 (2ème comm.), préc..
(22) Notre collègue par Ronan Raffray les qualifie d'épars : R. Raffray, La transmission universelle du patrimoine des personnes morales, F. Deboissy (préf.), Dalloz, 2011, n° 242-244.
(23) Note B. Dondero sous Cass. com., 12 février 2013, n° 11-23.895 F-D (N° Lexbase : A0682I8R), Bull. Joly Sociétés, septembre 2013, p. 575.
(24) F.-X. Lucas, Le principe du contradictoire en droit des sociétés, in R. Cabrillac, M.-A. Frison-Roche et Th. Revet (dir.), Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, 10ème éd., n° 916
(25) Cass. com., 14 mai 2013, n°11-22.845, FS-P+B (N° Lexbase : A4983KDW), Bulletin Joly Sociétés, octobre 2013, p. 634 droits, note A. Gaudemet ; D., 2013, p. 2319, note B. Dondero ; D., 2013, p. 2729, obs. E. Lamazerolles ; Bull. Joly Sociétés, 2013, p. 634, note A. Gaudemet ; Rev. sociétés, 2013, p. 566, note B. Saintourens ; JCP éd. E, 2013, 1491, obs. M. Roussille ; Dr. et patrim., n° 236 mai 2014, obs. D. Poracchia ; D. Gibirila, Abus de droit de révocation et libre révocabilité d'un administrateur de société anonyme, Lexbase Hebdo n° 341 du 6 juin 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N7335BTT).
(26) Par exemple, Cass. com., 8 avril 2014, n° 13-11650, F-D (N° Lexbase : A0960MKR), Bulletin Joly Sociétés, juillet 2014, p 452, note P.-L. Périn ; Rev. sociétés, 2014, p. 725, note C. Tabourot-Hyest : "lorsque les statuts d'une SAS prévoient que le dirigeant est révocable à tout moment par l'associé unique, ce dernier apprécie seul les motifs justifiant une révocation. Dès lors que les désaccords sont connus et que l'associé a recueilli les observations du dirigeant, la société a respecté son devoir de loyauté. La convention stipulant qu'une indemnisation est due si les fautes ne sont pas telles qu'elles rendent le maintien du mandat social impossible doit être interprétée strictement". Cass. com., 10 juillet 2012, n° 11-19.563, F-D (N° Lexbase : A8335IQR), Bulletin Joly Sociétés, octobre 2012, p. 712, note M. Germain et P.-L. Périn. Adde B. Saintourens, Révocation d'un dirigeant de SAS : attractivité et danger de la liberté contractuelle, Bulletin Joly Sociétés, 1er juin 2011 n° 6, p. 536.
(27) CA Paris, Pôle 5, 8ème ch. 29 juin 2010, n° 08/07998 (N° Lexbase : A3584E4I), Bulletin Joly Sociétés, novembre 2010, p. 879, note D. Poracchia : "lorsque les statuts d'une SAS stipulent que la révocation du président peut intervenir à tout moment le juge n'a pas à contrôler les motifs de la révocation, ni à se prononcer sur la valeur ou la pertinence des griefs formulés par la société à l'encontre du dirigeant. Il doit limiter son examen aux circonstances dans lesquelles la révocation est intervenue, et dire si elles ont été vexatoires, ont porté atteinte à l'honneur du dirigeant, ou si la révocation a été décidée brutalement sans respect du principe de la contradiction et des droits de la défense".
(28) La déloyauté à l'inverse pourrait-elle être stipulée ? Pas en ces termes en tout cas...
(29) CA Versailles, 12ème ch., sect. B, 5 juin 2003, n° 01/01923 (N° Lexbase : A0258DAS), Bulletin Joly Sociétés, novembre 2003, p. 1131, note P. Le Cannu : "il appartient au président d'une SAS qui allègue le caractère abusif de sa révocation de le prouver. En l'espèce, les statuts prévoyaient une révocation sans juste motif. Le demandeur, eu égard à sa compétence et à ses fonctions, ne pouvait pas ignorer le caractère précaire de son mandat social, qu'il a d'ailleurs accepté en toute connaissance de cause et qui se trouvait assorti d'une rémunération conséquente, d'avantages personnels importants, du bénéfice d'un contrat de retraite par capitalisation et d'un contrat d'assurance perte d'emploi ainsi que d'une large indemnité contractuelle de nature à en compenser les effets. Par ailleurs, aucun procédé vexatoire ou injurieux ne peut être reproché à la société".
(30) Cass. com., 3 février 2015, n° 13-28.164, F-D (N° Lexbase : A2468NBZ) ; Bull Joly Sociétés, avril 2015, p. 188, note S. Schiller.

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Sociétés

[Brèves] SARL : la contrariété à l'intérêt social ne constitue pas, par elle-même, une cause de nullité des engagements souscrits par le gérant

Réf. : Cass. com., 12 mai 2015, n° 13-28.504, F-P+B (N° Lexbase : A8789NHY)

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N7494BU4

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Le 22 Mai 2015

Il résulte des dispositions de l'article L. 223-18 du Code de commerce (N° Lexbase : L0906I7P), lesquelles doivent être mises en oeuvre à la lumière de celles de l'article 10 de la Directive 2009/101 du 16 septembre 2009 (N° Lexbase : L8262IEQ), ayant codifié la Directive 68/151 du 9 mars 1968 (N° Lexbase : L7917AUR), que, serait-elle établie, la contrariété à l'intérêt social ne constitue pas, par elle-même, une cause de nullité des engagements souscrits par le gérant d'une société à responsabilité limitée à l'égard des tiers. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 12 mai 2015 (Cass. com., 12 mai 2015, n° 13-28.504, F-P+B N° Lexbase : A8789NHY). En l'espèce, pour le financement d'une opération de cession d'une société exploitant un hôtel, une banque a consenti un prêt à une SARL, la société mère de cette dernière figurant comme partie à l'acte de prêt, en tant que telle. La société cible, propriétaire de l'hôtel, et la SARL, propriétaire du terrain attenant ont, en garantie de la créance de la banque, chacune consenti à celle-ci une hypothèque sur ces immeubles. Après l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de la société cible, l'administrateur judiciaire de cette dernière et la SARL, faisant valoir que les garanties hypothécaires souscrites étaient contraires à l'intérêt de ces sociétés, ont assigné la banque afin qu'elles soient déclarées nulles. La cour d'appel a rejeté la demande d'annulation formée par la première et accueilli celle formée par la SARL. Sur le rejet de la demande en nullité de la garantie hypothécaire consentie par la société cible sur l'hôtel, la Cour de cassation approuve, tout d'abord, les juges du fond d'avoir retenu que, serait-elle établie, la contrariété à l'intérêt social de la sûreté souscrite par une société à responsabilité limitée en garantie de la dette d'un tiers n'est pas, par elle-même, une cause de nullité de cet engagement. Sur la garantie portant sur le terrain attenant consentie par la SARL emprunteuse, la Cour de cassation confirme, en premier lieu, que la demande d'annulation de l'acte étant fondée non sur une irrégularité préexistante à cet acte mais sur l'allégation d'un vice intrinsèque à celui-ci, elle n'était pas soumise à la prescription triennale de l'article L. 235-9, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L8351GQD). Mais, en second lieu, énonçant le principe précité, la Cour censure l'arrêt d'appel en ce qu'il a retenu la nullité de la garantie litigieuse. En effet, les juges du fond avaient estimé, en substance, que l'acte était en contrariété avec l'intérêt social dès lors qu'aucune contrepartie directe n'est venue équilibrer l'engagement de "caution" et que le terrain donné en garantie constitue son unique actif immobilisé (cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E5655ADS).

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