La lettre juridique n°842 du 5 novembre 2020 : Bancaire

[Jurisprudence] Crédit à la consommation : revirement de jurisprudence à propos de la preuve de la remise du bordereau de rétractation

Réf. : Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.971, FS-P+B+I (N° Lexbase : A31913YT)

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par Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences - HDR, Université de Strasbourg

le 04 Novembre 2020


Mots-clés : crédit à la consommation • bordereau de rétraction • preuve admissible • revirement de jurisprudence

Il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations précontractuelles et que, contrairement à ce qu’a précédemment jugé la Cour de cassation, la signature par l’emprunteur de l’offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu’il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.


1. Le droit du crédit à la consommation est assez ancien. Il trouve ses origines dans la loi « Scrivener 1» du 10 janvier 1978 (loi n° 78-22 N° Lexbase : L1051IUH), et a connu une évolution notable à la suite de la transposition en droit interne de la Directive n° 2008/48/CE du 23 avril 2008 (N° Lexbase : L8978H3W) par la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, portant réforme du crédit à la consommation (N° Lexbase : L6505IMU), c’est-à-dire la célèbre loi « Lagarde ». Pour autant, ce droit connait encore aujourd’hui des évolutions notables, comme en témoigne un arrêt de la première chambre civile du 21 octobre 2020.

2. Il convient de rappeler, à titre préalable, que le droit régissant le crédit à la consommation prévoit, au bénéfice de l’emprunteur, un droit de rétractation pendant un certain délai, ce qui déroge nettement aux règles du droit commun. Ainsi, selon l’article L. 312-19 du Code de la consommation (N° Lexbase : L9842LCI), « l’emprunteur peut se rétracter sans motifs dans un délai de quatorze jours calendaires révolus à compter du jour de l'acceptation de l'offre de contrat de crédit comprenant les informations prévues à l'article L. 312-28 (N° Lexbase : L9593LGE) ».

3. Afin de permettre l’exercice de ce droit de « repentir » par l’emprunteur, un formulaire détachable est joint à son exemplaire du contrat de crédit [1]. Ce bordereau est établi conformément au modèle type joint en annexe à l’article R. 312-9 du code (N° Lexbase : L1627K8R). On notera que le fait pour le prêteur de ne pas prévoir ce formulaire dans l’offre de contrat de crédit est puni d’une amende de 1 500 euros (7 500 euros pour les personnes morales) [2]. En outre, et surtout, si ce bordereau est manquant, c’est l’offre qui n’est pas conforme aux exigences légales. La déchéance du droit aux intérêts est donc logiquement aussi encourue [3].

4. Sans surprise, la question de la preuve liée à l’existence d’un tel bordereau de rétractation et à la conformité de son contenu à la législation a été amenée à se poser. Or, après une période d’incertitude [4], la Cour de cassation s’est montrée très favorable au prêteur en considérant que « la reconnaissance écrite, par l’emprunteur, dans le corps de l’offre préalable, de la remise d’un bordereau de rétractation détachable joint à cette offre laisse présumer la remise effective de celui-ci », mais aussi la conformité de ce dernier aux exigences légales et règlementaires [5]. Plusieurs juridictions du fond se sont prononcées de la même manière [6].

5. Cette solution revenait ainsi à poser une présomption de remise effective d’un bordereau conforme à la réglementation. Elle n’échappait pas, alors, à la critique [7]. D’abord, elle opérait une confusion malheureuse, puisque le raisonnement suivi revenait « à déduire d’un élément de fait – la remise du bordereau – un élément de droit – la régularité du bordereau – » [8]. Ensuite, cette solution paraissait aller à l’encontre de la jurisprudence traditionnellement voulant que c’est à celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information qu’il revient de prouver l’exécution de cette obligation [9].

6. L’état du droit, à l’égard de telles clauses, a cependant commencé à évoluer sous l’impulsion de la jurisprudence de la CJUE et de la Cour de cassation.

7. En premier lieu, la CJUE a eu l’occasion de déclarer, par une décision remarquée en date du 18 décembre 2014 [10], que les dispositions de la Directive n° 2008/48/CE du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’en raison d’une clause type, le juge doive considérer que le consommateur a reconnu la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, cette clause entraînant ainsi un renversement de la charge de la preuve de l’exécution des obligations de nature à̀ compromettre l’effectivité des droits reconnus par la Directive n° 2008/48. Plus précisément, pour la Cour de justice, une telle clause constitue simplement un « indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents » et le consommateur doit toujours être en mesure de faire valoir qu’il n’a pas été destinataire de cette fiche ou que celle-ci ne permettait pas au prêteur de satisfaire aux obligations d'informations précontractuelles lui incombant.

8. En second lieu, la Cour de cassation est venue dire à son tour, par une décision du 5 juin 2019 [11], que la signature par l’emprunteur d’une clause type de reconnaissance de la remise de la fiche précontractuelle d’informations ne permet pas de faire la preuve que la fiche en question lui a été remise et donc de justifier du respect par le prêteur de son obligation d’information. Cette signature de la clause type ne constitue, dans tous les cas, qu’un « indice » qu’il incombe à ce prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents.

9. Cette évolution a logiquement eu des effets concernant le bordereau de rétractation [12]. Pour autant, cette jurisprudence ne faisait pas encore l’unanimité en la matière [13]. Quelques arrêts continuaient ainsi à estimer que la décision du 18 décembre 2014 de la CJUE n’était pas applicable au bordereau de rétractation, mais devait se limiter à la fiche précontractuelle d’informations [14]. Une nouvelle intervention de la Haute juridiction à l’égard précisément du formulaire de rétractation était donc souhaitée. La décision du 21 octobre 2020 répond à cette attente.

10. Les faits étaient très simples. Le 5 février 2013, la banque A. avait consenti à M. X. un crédit à la consommation. À la suite d’échéances demeurées impayées et du placement sous curatelle de l'emprunteur, la banque l’avait assigné ainsi que l’UDAF des Hautes-Pyrénées, prise en qualité de curateur, en paiement du solde du prêt. L’emprunteur, pour sa part, avait notamment demandé que la banque soit déchue de son droit aux intérêts, en l’absence de remise du bordereau de rétractation prévu à l’ancien article L. 311-12 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8198IML).

11. La cour d’appel de Pau [15] avait cependant rejeté cette demande de déchéance et avait condamné M. X. au paiement d'une certaine somme à la banque. L’intéressé et l’UDAF avaient alors formé un pourvoi en cassation.

12. Or, la Haute juridiction casse la décision de la cour d’appel. Son arrêt se veut particulièrement précis.

13. D’abord, la Cour de cassation déclare qu’il résulte des articles L. 311-12 et L. 311-48 du Code de la consommation (N° Lexbase : L9552IMQ), dans leurs rédactions antérieures à celles issues de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 (N° Lexbase : L0300K7A), que, pour permettre à l’emprunteur d’exercer son droit de rétractation, un formulaire détachable est joint à son exemplaire du contrat de crédit et que le prêteur qui accorde un crédit sans remettre à l’emprunteur un contrat comportant un tel formulaire est déchu du droit aux intérêts en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.

14. Ensuite, la Haute juridiction relève que ces dispositions sont issues de la transposition par la France de la Directive n° 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la Directive n° 87/102/CEE.

15. Il est alors rappelé que par son arrêt du 18 décembre 2014 [16], la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que les dispositions de la Directive précitée devaient être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’en raison d'une clause type, le juge doive considérer que le consommateur a reconnu la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, cette clause entraînant ainsi un renversement de la charge de la preuve de l’exécution des obligations en question de nature à compromettre l’effectivité des droits reconnus par la Directive n° 2008/48. Plusieurs autres principes dégagés par la CJUE dans cette même décision sont ici mentionnés par la Cour de cassation.

16. Cette dernière en conclut alors « qu’il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu'il a satisfait à ses obligations précontractuelles et que, contrairement à ce qu’a précédemment jugé la Cour de cassation (1er Civ., 16 janvier 2013, pourvoi n° 12-14.122, Bull. 2013, I, n° 7), la signature par l'emprunteur de l’offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu’il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires ».

17. Or, pour rejeter la demande de déchéance du droit aux intérêts formée par l’emprunteur, l’arrêt de la cour d’appel de Pau avait énoncé que la reconnaissance écrite par celui-ci, dans le corps de l’offre préalable, de la remise d’un bordereau de rétractation détachable joint à cette offre laissait présumer sa remise effective et que l’emprunteur n'apportait pas la preuve de l'absence de remise du bordereau de rétractation par le prêteur ou à défaut de son caractère irrégulier. Dès lors, en statuant de la sorte, les juges du fond avaient violé les textes précités.

18. Cette solution échappe à toute critique. Elle est, nous l’avons vu, en conformité avec la position de la CJUE, mais aussi la jurisprudence de la Cour de cassation intéressant les obligations précontractuelles. Une simple clause figurant dans une convention de crédit, stipulant que l’emprunteur reconnait que le prêteur a bien respecté les devoirs pesant sur lui, ne peut avoir qu’une portée limitée. Le professionnel de la banque devra, dans tous les cas, être en mesure de démontrer d’une façon positive qu’il a effectivement accompli les obligations attendues. À défaut, il risque de se voir infliger par le juge la déchéance du droit aux intérêts.

19. L’arrêt étudié témoigne, en outre, de l’importance de la jurisprudence de la CJUE en matière de protection des consommateurs. Sans cette dernière et sa décision remarquée du 18 décembre 2014, la Cour de cassation aurait-elle partagée la même solution très favorable aux clients de banque ? Nous en doutons.


[1] C. consom., art. L. 312-21 (N° Lexbase : L1341K7S).

[2] C. consom., art. R. 341-4 (N° Lexbase : L0701K9T).

[3] C. consom., art. L. 341-4 (N° Lexbase : L1602LRR).

[4] Cass. civ. 1, 22 septembre 2011, n° 10-30.828, F-D (N° Lexbase : A9699HXI), Contrats, conc. consom., 2011, comm. 268, obs. G. Raymond ; Gaz. Pal., 2011, p. 3365, note G. Poissonnier ; Gaz. Pal., 2011, p. 3550, obs. S. Piédelièvre ; RD banc. fin., 2011, comm. 194, obs. N. Mathey..

[5] Cass. civ. 1, 16 janvier 2013, n° 12-14.122, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4083I3M), JCP G, 2013, n° 5, 106, note J. Lasserre Capdeville ; LPA, 4 novembre 2013, n° 219-220, p. 10, obs. N. Éréséo ; D., 2013, AJ p. 236, obs. V. Avena-Robardet ; D., 2013, p. 1329, note G. Poissonnier ; RTD com., 2013, p. 832, obs. D. Legeais ; LEDB, mars 2013, p. 1, obs. R. Routier.  V. déjà, Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-17.595, F-P+B+I (N° Lexbase : A7511IQA), LPA, 5 novembre 2012, n° 221, p. 7, obs. J. Lasserre Capdeville ; D., 2012, AJ p. 1950, obs. V. Avena-Robardet ; D., 2012, p. 2567, note G. Poissonnier.

[6] V. par ex., CA Bordeaux, 13 mars 2014, n° 13/00322 (N° Lexbase : A6931MGS) – CA Lyon, 10 avril 2014, n° 13/01521 (N° Lexbase : A0063MKK), LPA, 1er août 2014, n° 153, p. 8, obs. J. Lasserre Capdeville – CA Grenoble, 13 janvier 2015, n° 12/04304 (N° Lexbase : A2361M9C), LPA, 1er juin 2015, n° 108, p. 9, obs. J. Lasserre Capdeville.

[7] V. notamment, N. Éréséo, LPA, 4 novembre 2013, n° 219-220, p. 11, n° 8 et s..

[8] G. Poissonnier, D., 2013, p. 1329.

[9] Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-16.923, publié (N° Lexbase : A0574ACA), Bull. civ. 1997, I, n° 356 ; RTD civ., 1999, p. 83, obs. J. Mestre.

[10] CJUE, 18 décembre 2014, aff. C-449/13 (N° Lexbase : A7873M7Q),LPA, 2015, n° 108, p. 9, obs. N. Éréséo ; D., 2015, p. 715, note G. Poissonnier ; D., 2015, Pan. p. 594, obs. H. Aubry ; RTD com., 2015, p. 138, obs. D. Legeais ; Contrats, conc. consom., 2015, comm. 75, obs. G. Raymond ; Banque et droit, mai-juin 2015, p. 30, obs. Th. Bonneau.

[11] Cass. civ. 1, 5 juin 2019, n° 17-27.066, FS-P+B (N° Lexbase : A9189ZDP), D., 2019, AJ p. 1746, note G. Poissonnier ; Contrats, conc. consom., 2019, comm. 149, obs. C. Berheim-Desvaux ; RD banc. fin., 2019, comm. 118, obs. N. Mathey ; LPA, 29 juin 2020, n° 129, p. 7, obs. J. Lasserre Capdeville.

[12] V. par ex., CA Riom, 25 novembre 2015, n° 14/01230 (N° Lexbase : A7528NX4), LPA, 9 janvier 2017, n° 6, p. 11, obs. N. Éréséo ; LEDB février 2016, p. 7, obs. J. Lasserre Capdeville – CA Amiens, 13 septembre 2018, n° 16/04376 (N° Lexbase : A8110X47) – CA Saint-Denis de la Réunion, 1er mars 2019, n° 17/00559 (N° Lexbase : A9428Y4X).

[13] CA Grenoble, 26 juin 2018, n° 16/03873 (N° Lexbase : A2403XUK).  Concernant une mention dactylographiée, CA Colmar, 25 mars 2019, n° 17/05155 (N° Lexbase : A0607Y7M).

[14] CA Douai, 20 juin 2019, n° 17/00450 (N° Lexbase : A0186ZGY).

[15] CA Pau, 29 novembre 2018, n° 17/00023 (N° Lexbase : A6601YNS).

[16] V. supra, n° 7.

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