La lettre juridique n°842 du 5 novembre 2020 : Procédure pénale

[Jurisprudence] Détention provisoire et rapprochement familial, la seconde vague ?

Réf. : Cass. crim., 14 octobre 2020, n° 20-84.077, FS-P+B+I (N° Lexbase : A96193XK), n° 20-84.078, FS-D, (N° Lexbase : A95463XT), n° 20-84.082, FS-D, (N° Lexbase : A95523X3), n° 20-84.086, FS-D, (N° Lexbase : A96003XT)

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par Yan Carpentier, Maître de conférences à l’université de Corse, Équipe méditerranéenne de recherche juridique (UR 7311)

le 04 Novembre 2020


Mots-clés : détention provisoire • rapprochement familial • droits des personnes détenues • transfert

L’année 2020 restera dans les mémoires assurément en raison de la crise sanitaire mondiale, mais pour le pénaliste, elle sera également marquée par une activité jurisprudentielle importante en matière de droits des personnes détenues. Après la délicate question de l’existence d’une voie de recours pour contester des conditions de détention indignes [1], le Conseil constitutionnel devra s’intéresser au droit au rapprochement familial des personnes placées en détention provisoire. En effet, le 21 octobre 2020, plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité ont été enregistrées afin d’étudier la constitutionnalité des articles 22 et 35 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (N° Lexbase : L9344IES) [2].


 

À la suite d’un arrêt rejetant une demande de mise en liberté d’un individu placé en détention provisoire, un pourvoi devant la Cour de cassation est formé. En parallèle de ce pourvoi, le demandeur présente également trois questions prioritaires de constitutionnalité. Deux des questions sont écartées par la Chambre criminelle au motif qu’elles ne présentent pas de caractère sérieux. Cependant, la première question interrogeant la conformité au bloc de constitutionnalité des articles 22 et 35 de la loi du 24 novembre 2009 a retenu l’attention des juges de cassation. Le requérant arguait de l’inconstitutionnalité des dispositions de la loi du 24 novembre 2009 au regard de l’article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) d’une part, et de leur incompatibilité avec le droit de mener une vie familiale normale garanti par le préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L1356A94).

Les dispositions contestées organisent les relations familiales du condamné avec des personnes extérieures à l’environnement carcéral. L’article 22 de la loi pénitentiaire prévoit notamment que « l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits » lesquels peuvent toutefois faire l’objet de restriction pour des motifs prévus à ce même article. L’article 35 de loi pénitentiaire précise quant à lui les modalités d’exercice du droit au maintien des relations familiales à l’aide de visites et de permissions de sortir. Au regard des fondements de la question prioritaire de constitutionnalité, le requérant fait valoir un motif d’inconstitutionnalité tiré de la compétence négative du législateur et reproche à ce dernier ne pas avoir suffisamment organisé l’exercice d’un droit. Spécialement, le requérant interroge la constitutionnalité de ces dispositions en ce qu’elles ne permettent pas d’obtenir un transfert au sein d’un autre établissement carcéral afin d’assurer un rapprochement familial. En effet, l’absence de précisions à propos d’une demande de rapprochement familial au sein de l’article 35 de la loi pénitentiaire, ne serait-elle pas de nature à porter atteinte au droit à une vie de famille ? La Cour de cassation estime que la question soulevée présente un caractère sérieux au motif « qu’il n’existe aucune procédure permettant à la personne placée en détention provisoire de solliciter du juge d’instruction le changement de son lieu de détention, ce qui est de nature à la priver de la faculté de faire valoir une atteinte excessive portée à sa vie privée et familiale ». La question est alors transmise au Conseil constitutionnel par quatre décisions [3] concernant le même individu.

S’il faudra au moins attendre le mois de décembre voire, plus sûrement, le mois de janvier 2021 pour connaître la réponse du Conseil constitutionnel, il faut relever que celui-ci a déjà eu à connaître de la question du rapprochement familial des personnes détenues à titre provisoire [4]. Toutefois, la difficulté portait sur l’exigence d’un recours effectif au sens de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1363A9D), et concernait les personnes en attente de jugement après la clôture de l’instruction [5]. Les termes de la difficulté ne sont donc pas les mêmes.

Le Conseil devrait, en premier lieu, s’attacher à trancher une question au regard de l’article 35 de loi pénitentiaire et du préambule de la Constitution 1946. En effet, le requérant énonce que le droit de mener une vie de famille normale n’est pas suffisamment encadré notamment car l’article 35 de loi pénitentiaire ne prévoit pas la possibilité d’un transfert de la personne détenue à titre provisoire fondé sur un rapprochement familial. Le Conseil devrait donc dire si une telle absence est constitutive d’une violation du droit de mener une vie de famille normale. En miroir de la décision rendue le 8 février 2019 [6], il est possible que le Conseil puisse reconnaître une telle violation. Néanmoins, il faut préciser que lors de la précédente décision relative au rapprochement familial des personnes placées en détention provisoire, la difficulté portait sur une compétence liée de l’administration pénitentiaire. En effet, depuis un décret du 23 décembre 2010 [7], une procédure de rapprochement familial est organisée pour les personnes placées en détention provisoire et qui restent en attente de jugement [8]. Cette procédure supposait l’accord du magistrat instructeur pour procéder au transfert du détenu mais la décision du juge n’était pas susceptible de recours, ce qui fut la cause de l’inconstitutionnalité. Dans la présente affaire, il faut relever que la faculté de demander un transfert pour rapprochement familial n’est même pas prévue, de sorte que le Conseil devra en premier lieu préciser s’il s’agit d’une modalité d’exercice du droit de mener une vie de famille normale qui concerne l’ensemble des personnes placées en détention provisoire et non seulement celles dont l’instruction est close. Si le Conseil venait à affirmer le transfert pour rapprochement familial comme une modalité d’exercice du droit de mener une vie familiale normale, il lui appartiendra en second lieu, de s’attarder sur la procédure à mettre en place notamment en précisant l’éventuelle compétence du juge d’instruction. Cette question ne manquera pas d’attirer l’attention, si elle venait à être traitée, car les décisions de transfert appartiennent à l’administration pénitentiaire de sorte que si le Conseil accordait, à titre transitoire, un pouvoir d’injonction au juge d’instruction quant au transfert d’un détenu vers un autre établissement, le juge judiciaire se verrait doté d’un pouvoir lui permettant de troubler le fonctionnement administratif [9]. Reconnaître un tel pouvoir d’injonction au juge judiciaire ne serait pas illogique [10] mais il faut bien admettre que ces prérogatives sont plus communément accordées au juge administratif [11].

Sans attendre le sens de la décision du Conseil constitutionnel, on peut déjà dire qu’elle sera particulièrement attendue et lue avec une grande attention. Reste à savoir si la décision du Conseil sera une véritable seconde vague d’affirmation des droits des personnes détenues et pour cela, il faudra preuve de patience pour découvrir les termes de la décision.

 

[1] Cons. const., n° 2020-858/859 QPC, du 2 octobre 2020 (N° Lexbase : A49423WX).

[2] Loi n° 2009-1436, du 24 novembre 2009, dite loi pénitentiaire.

[3] Cass. crim., 14 octobre 2020, n°s 20-84.077, 20-84.078, 20-84.082 et 20-84.086.

[4] Cons. const., n° 2018-763 QPC, du 8 février 2019 (N° Lexbase : A6194YWC).

[5] V. L. Grégoire, Rapprochement familial : l’ineffectivité du recours des détenus en attente de comparution, AJ pénal, 2019, p. 222 ; O. Le Bot, Quelles voie de recours pour contester le refus de rapprochement familial opposé à un détenu en détention provisoire, Constitutions, 2019, p. 112.

[6] Cons. const., n° 2018-763 QPC, du 8 février 2019, cit. op.

[7] Décret, n° 2010-1634, du 23 décembre 2010, portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9922INS).

[8] C. proc. pén., art. R. 57-8-7 (N° Lexbase : L0312IPA).

[9] En dépit de l’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 : « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ».

[10] Spécialement depuis les arrêts de la Chambre criminelle du 8 juillet 2020 (Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.739 N° Lexbase : A71573Q7 et n° 20-81.731 N° Lexbase : A10363RS) et de la décision du Conseil constitutionnel du 2 octobre 2020 (Cons. const., QPC n° 2020-858/859, du 2 octobre 2020) qui font du juge judiciaire, le gardien naturel de la liberté individuelle. V. C. Margaine, Le JL(D)D : la Cour de cassation attribue au juge judiciaire sa lettre de noblesse, Dalloz actualités, 31 août 2020.

[11] Pour s’en convaincre, v. B. Beignet et L. Miniato, Institutions judiciaires, LGDJ, coll. Précis Domat, 18ème éd., 2020, p. 54,, § 42.

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