La lettre juridique n°842 du 5 novembre 2020 : Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Une mise en cause nouvelle de la responsabilité civile de l’avocat

Réf. : Cass. civ. 1, 23 septembre 2020, n° 19-13.214, FS-P+B (N° Lexbase : A04713WD)

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par Yves Avril, Docteur en droit, Avocat honoraire, Ancien Bâtonnier

le 04 Novembre 2020

Mots-clefs : Jurisprudence • commentaire • avocats • responsabilité • honoraires


 

Cet arrêt peut paraître hermétique si l’on se borne à sa lecture et, grâce aux banques de données, on pourra se reporter utilement à l’arrêt de la cour d’appel de Besançon qui a été censuré [1].

Il est indispensable d’aborder les faits. Un justiciable avait sollicité un avocat pour engager une procédure devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale. L’avocat, chargé des intérêts du demandeur, avait passé une convention d’honoraires fort raisonnable dans les montants pratiqués. Il était prévu un honoraire forfaitaire de 1 000 euros HT pour la procédure d’instance, un honoraire forfaitaire d’un même montant pour une éventuelle procédure d’appel et un honoraire de résultat à hauteur de 5 % des sommes obtenues. Succombant en première instance, le client changeait d’avocat et réglait les honoraires conformément à la convention soit 1 196 euros TTC. Estimant que la convention était remise en cause, l’avocat dressait une facture de 6 157 euros en mai 2012. Sur demande de taxation le premier président de la cour d’appel ramenait la somme due à 5 319,81 euros. La Cour de cassation rejetait sans motivation un pourvoi. Le juge de l’exécution accordait un délai d’un an pour s’acquitter des honoraires et, sur appel, la décision était confirmée.

Ainsi, se trouvait définitivement confirmée une solution classique : l’étanchéité du contentieux des honoraires par rapport au contentieux de la responsabilité civile. Régulièrement la Cour de cassation rappelle le principe [2]. Les griefs relatifs à une responsabilité de l’avocat ne peuvent être appréciés dans le contentieux des honoraires, ce qui prohibe la possibilité de soulever l’exception d’inexécution. En effet, les actions en responsabilité doivent être appréciées selon les procédures de droit commun et la règle commence à prendre un tour d’ancienneté [3]. Elle est régulièrement rappelée devant les cours d’appel avec une belle unanimité [4]. Tout au plus voit-on un léger infléchissement qui ne fait pas encore l’unanimité devant les Bâtonniers ou les cours d’appel bien que la Cour de cassation soit formelle. La Haute juridiction donne désormais compétence au Bâtonnier pour se prononcer sur le caractère utile ou inutile des honoraires [5], ce qui revient, discrètement, à apprécier une part de la responsabilité civile de l’avocat dans le contentieux des honoraires.

Dans la première phase du contentieux, le demandeur avait échoué. Les solutions sont suffisamment constantes pour que, sans motivation, la Cour de cassation ait écarté son pourvoi [6]. Toutefois, ce rejet ne fermait pas définitivement les portes, car la question ne se trouvait définitivement réglée que sur la compétence. Restait la possibilité d’engager une action en responsabilité civile.

Le justiciable l’entendait bien ainsi et saisissait la juridiction de droit commun, le tribunal de grande instance, par une assignation du 14 octobre 2015, ce qui montre qu’il ne perdait pas de temps. Les demandes correspondaient au poste suivant :

- 4 123,81 euros, montant de la taxe ;

- 7 000,00 euros, au titre des conséquences procédurales et financières résultant de la taxe ;

- 3 000,00 euros, en réparation du préjudice moral ;

- 3 000,00 euros, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG).

 Ces postes paraissent d’emblée surévalués et l’on reviendra sur l’appréciation possible de la demande au vu des critères habituellement retenus par la jurisprudence.

L’intérêt de l’arrêt est ailleurs. Il provient de l’appréciation d’une faute au visa de textes rarement soumis aux juges. Si l’article 1147 ancien du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) est classique quand il faut sanctionner l’inexécution ou la mauvaise exécution contractuelle, les deux autres textes méritent un commentaire. L’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) traite des honoraires de l’avocat et donne les critères d’appréciation : les usages, la situation de fortune du client, la difficulté de l’affaire, les frais exposés par l’avocat, sa notoriété et ses diligences. L’article 10 du décret du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA), intitulé « De la déontologie de l’avocat », impose des obligations sur les modalités de détermination des honoraires, à accomplir par l’avocat « dès sa saisine », mais les exigences requises proviennent d’un décret du 2 août 2017. Il ne peut s’appliquer à une convention de 2010 et à une rupture de 2012. Subsiste alors une disposition applicable dès 2005 : « Au cours de sa mission, l’avocat informe régulièrement son client de l’évolution de ses honoraires, frais, débours et émoluments ».

Il s’agit d’une obligation déontologique et la Cour de cassation ne se pose pas la question de savoir si un manquement déontologique peut constituer une faute engageant la responsabilité civile. Il est vrai que de nombreux exemples montrent que la solution ne pose pas de difficulté pour le juge civil [7].

L’enseignement de l’arrêt tient au contenu des conventions d’honoraires qui doivent comporter des précisions qui ne sont pas, doux euphémisme, systématiques. Après des hésitations, il a été jugé [8] que l’absence de convention, bien que celle-ci soit obligatoire, ne prohibe pas, pour l’avocat, le droit à rémunération. L’appréciation s’effectue alors sur les critères légaux qui ont été rappelés ci-dessus. En revanche l’avocat, sur le fondement de l’article 10 du décret du 12 juillet 2005, engagera ainsi, de façon incontestable, sa responsabilité civile si la convention ne règle pas les conséquences d’un dessaisissement avant le terme.

A ce niveau, celui de la Haute Juridiction, il semble que la décision se prononce sur une terra incognita, un domaine nouveau. De nombreuses décisions, en statuant sur la compétence, laissaient poindre la possibilité d’agir devant le juge de droit commun [9]. Toutefois, les écueils pour introduire de telles actions sont sérieux. Le demandeur devra, en premier lieu, trouver un avocat acceptant ce type de contentieux : les actions en responsabilité contre des confrères. On sait qu'au visa de l'article 47 du Code de procédure civile, la possibilité pour l’avocat de postuler devant la cour d’appel [10] a étendu le champ de l’incompétence, parfois qualifiée de privilège de juridiction. En second lieu, la recevabilité de l’action ne préjuge pas de son bien-fondé. Les trois principes cumulatifs de la responsabilité, la faute, le préjudice et le lien de causalité, subsistent. Ici le demandeur n’a surmonté que l’obstacle de la faute. Quand il demande le montant des honoraires taxés ne va-t-il pas se heurter à l’autorité de la chose jugée ? Pourra-t-il obtenir les frais et préjudice subis par des procédures où il a succombé jusque devant la Cour de cassation ? Si le préjudice moral est plus souvent indemnisé [11], obtiendra-t-il satisfaction si le juge ne reconnaît pas l’existence d’un préjudice matériel ? En troisième lieu l’engagement d’une action civile devant le tribunal judiciaire impose le financement de frais et honoraires qui seront nécessairement un frein au développement de telles actions. Il n’est pas inutile de préciser que le demandeur bénéficiait de l’aide juridictionnelle totale devant la cour d’appel de Besançon et de l’aide juridictionnelle partielle devant la Cour de cassation. Quand la cour de renvoi aura statué, huit décisions judiciaires auront été prononcées et une période d’une dizaine d’années se sera écoulée avant que le demandeur ne puisse espérer toucher le premier euro.

Il n’en reste pas moins que cet arrêt impose désormais des précautions aux avocats, tant est claire l’obligation soulignée par la Haute juridiction : « L’avocat informe son client, dès sa saisine, puis de manière régulière, des modalités de détermination des honoraires et de l’évolution prévisible de leur montant ». Cette obligation implique que l’avocat avertisse son client des modalités de calcul de ses honoraires en cas de dessaisissement et l’inexécution de cette obligation l’expose à des dommages-intérêts

Si le contentieux de l’honoraire de résultat, en cas de dessaisissement, n’est pas rare [12], notamment devant la Cour de cassation, il faudra désormais que les avocats, au vu de cet arrêt formel, à paraître au Bulletin, passent au tamis leurs conventions d’honoraires et les complètent quand il est nécessaire. Enfin l’arrêt à intervenir devant la cour d’appel de Lyon montrera si la possibilité offerte désormais par la Cour de cassation présente, par le niveau des dommages-intérêts écartés ou obtenus, une opportunité consistante pour qui veut battre monnaie.

 

[1] CA Besançon, 14 février 2018, n° 17/00640 (N° Lexbase : A0001XER).

[2] Cass. civ. 3, 20 février 2007, n° 06-10.277, F-D (N° Lexbase : A3021DUG) ; Cass. civ. 2, 11 juin 2015, n° 13-27.987, F-D, (N° Lexbase : A8937NK9).

[3] Loi du 31 décembre 1971, art. 26.

[4] CA Rennes, 29 juin 2020, n° 20/01296 (N° Lexbase : A76363PI).

[5] Cass. civ. 2, 8 décembre 2016, n° 15-26.683, F-D (N° Lexbase : A3804SPL)

[6] Arrêt de rejet sans motivation du 10 septembre 2015.

[7] Y. Avril, La responsabilité des avocat, civile, disciplinaire, pénale, Dalloz, 2015, § 13.41 et § 13.42.

[8] Cass. civ. 2, 21 novembre 2019, n° 17-26.856, F-D (N° Lexbase : A4761Z3Q).

[9] Voir par ex., pour une décision récente, Cass. civ. 2, 24 mai 2017, n° 16-18.145, F-D (N° Lexbase : A0942WEM)

[10] Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC).

[11] Cass. civ. 1, 20 mai 2020, n° 18-25.568, F-D (N° Lexbase : A05853MM).

[12] Voir par ex. Cass. civ. 2, 18 avril 2019, n° 18-16.410, F-D (N° Lexbase : A6041Y9M) ; Cass. civ. 2, 6 février 2020, n° 18-26.282, F-D (N° Lexbase : A92243DY).

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