La lettre juridique n°437 du 28 avril 2011 : Avocats/Champ de compétence

[Questions à...] L'avocat, un agent sportif comme les autres ? - Questions à Maître Antoine Séméria, avocat au sein du Cabinet 36 Quai Avocats et intervenant en droit du sport

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[Questions à...] L'avocat, un agent sportif comme les autres ? - Questions à Maître Antoine Séméria, avocat au sein du Cabinet 36 Quai Avocats et intervenant en droit du sport. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4390227-questions-a-lavocat-un-agent-sportif-comme-les-autres-b-questions-a-maitre-antoine-semeria-avocat-au
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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 27 Mars 2014

Depuis la publication de la loi de modernisation des professions judiciaires (1) au Journal officiel du 29 mars 2011, l'avocat peut exercer la fonction d'agent sportif en étant dispensé d'obtenir une licence. Des discussions houleuses ont opposé parlementaires, avocats et agents sur un possible rapprochement de ces deux professions. Lexbase Hebdo - édition professions a rencontré Maître Antoine Séméria, avocat au sein du cabinet 36 Quai Avocats et intervenant en droit du sport afin de faire une analyse complète de ce nouveau champ de compétence s'ouvrant aux avocats.

Lexbase : Les avocats peuvent, désormais, exercer la fonction d'agent sportif. Quelles sont les modalités à respecter ? Doivent-ils obtenir une licence ?

Antoine Séméria : Pour, comprendre l'évolution de la profession d'agent sportif, il faut revenir à sa définition énoncée à l'article L. 222-7 du Code du sport (N° Lexbase : L5080IM4), "l'activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d'un contrat soit relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement, soit qui prévoit la conclusion d'un contrat de travail ayant pour objet l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement ne peut être exercée que par une personne physique détentrice d'une licence d'agent sportif". Cette profession a été marquée par plusieurs phases législatives. La loi n° 2000-627 du 6 juillet 2000 (N° Lexbase : L0778AIN) est venue instaurer un examen d'agent afin d'obtenir une licence. Cependant, depuis cette loi, des difficultés étaient apparues face aux questions de double-mandat et de rétro-commission. Le législateur a souhaité davantage encadrer et moraliser la profession d'agent sportif par la loi n° 2010-626 du 9 juin 2010 (N° Lexbase : L5043IMQ) en pointant certaines incompatibilités ou en supprimant la possibilité pour des personnes morales de détenir une licence. La protection des sportifs mineurs avait également été renforcée (2). Durant le processus de discussion de cette loi, les liens entre cette profession et celle des avocats avaient été étudiés, des sénateurs ayant proposé d'exclure ces derniers de cette activité, le courtage se rapprochant d'actes de commerce. La loi du 9 juin 2010 n'ayant pas repris cette proposition, nous sommes restés face à un statu quo.

Un débat houleux a eu lieu entre le Sénat et les barreaux de France et, plus particulièrement, celui de Paris, afin de passer d'une possibilité d'interdiction d'exercer cette licence au souhait d'une exemption de la licence pour exercer cette activité. Le Conseil national des barreaux a, par la suite, fait déposer un amendement dans le projet de loi de modernisation des professions juridiques permettant de représenter un sportif en qualité de mandataire pour la conclusion d'un contrat mentionné à l'article L. 222-7 du Code du sport sans à avoir à obtenir la licence d'agent sportif. Cet amendement proposait ainsi de modifier et de rectifier la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (3). L'article de ladite loi a donc été modifié. Une nouvelle profession s'ouvre aux avocats.

Cette évolution de la profession d'agent sportif témoigne du développement, du conseil et du contentieux en droit du sport (assistance lors de la négociation et de la rédaction des contrats de travail, partenariat, sponsoring, mécénat et gestion du droit à l'image, fiscalité, patrimoine du sportif, dopage, ect.). Une véritable "niche" se crée et de plus en plus d'avocats tentent de s'immiscer dans ce domaine. C'est, d'ailleurs, la volonté du cabinet 36 Quai Avocats de développer ce pôle de compétence, dans le but d'assister au mieux les sportifs, clubs ou agents. Par la loi de modernisation des professions judiciaires, se développe une autre brèche qui risque de créer une vive polémique. 50 000 avocats peuvent désormais potentiellement devenir agent sportif sans qu'ils aient à obtenir de licence à ce titre !

Désormais, les sportifs, les entraîneurs et les clubs peuvent se faire représenter par un avocat dans les mêmes champs de compétences que les agents sportifs.

Pourquoi dispenser les avocats de la licence obligatoire à tout agent sportif ? La question reste entière même s'il est vrai qu'il est envisageable que le législateur ait pris en compte les évidentes compétences juridiques en matière de conseil et de contentieux de l'avocat spécialiste en droit du sport.

Lexbase : Il a été souvent pointé l'existence d'incompatibilités (4) entre ces deux professions notamment l'interdiction d'exercer d'autres activités commerciales. Qu'en pensez-vous ? Ce risque d'incompatibilité n'est-il pas la conséquence de l'absence de qualification unique de la relation agent/sportif entre mandat (simple, d'intérêt commun), courtage, entremise ?

Antoine Séméria : Il s'agit de deux professions bien distinctes. A chacun son domaine et ses compétences : l'avocat n'est et ne sera jamais un commerçant. On aurait tort de penser que la loi de modernisation des professions judiciaires tendrait à faire de la profession d'avocat un "fourre-tout", en introduisant de nouveaux domaines de compétence (sport, immobilier, notariat...).

Certes, la qualification juridique de la profession d'agent n'est pas claire : les missions sont souvent très différentes et distinctes, la nature juridique dépendant des missions confiées par le donneur d'ordre (club ou sportif). Si l'intermédiaire a la mission de rechercher un cocontractant avec des informations précises mais sans détenir le pouvoir d'engager contractuellement son client, l'agent pourra être lié par un contrat de courtage, par exemple. Dans ce cas, quel peut être le rôle de l'avocat dans cette activité ? Le risque d'intervenir dans le cadre d'un acte de commerce est patent. Nous sommes dans une intermédiation qui peut rentrer dans le domaine des incompatibilités.

En revanche, si le sportif demande à l'agent ou l'avocat d'agir en son nom et pour son compte dans la négociation de son contrat avec un club, l'avocat est compétent, puisqu'il agit alors dans le cadre d'une activité classique de mandat.

Nous voyons ainsi que nous sommes dans deux activités bien différentes entre un rôle d'intermédiaire, d'assistance, de "cocooning" du sportif où l'agent a toute sa place et une intervention postérieure pour sécuriser la relation contractuelle club/joueur où l'avocat peut intervenir.

Afin de pouvoir distinguer ces deux professions, il est utile de se reporter aux définitions : toutefois, force est de constater que celle de l'activité de l'agent sportif est très imprécise. Il s'agit d'un intermédiaire dont le rôle est de faciliter la conclusion d'un contrat. Nous avons eu un début de réponse sur la qualification juridique de cette activité par un arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 1er décembre 2009 (5) qui qualifie l'agent sportif comme étant un intermédiaire dans une opération d'entremise avec des parties intéressées à la conclusion d'un contrat relatif à l'exercice rémunérée d'une activité sportive sans que, pour autant, il interfère nécessairement dans la conclusion d'un tel contrat. Il n'existe ainsi aucune notion juridique existante sur cette activité. Si l'on revient à la question précise des incompatibilités entre avocat et agent sportif, il est important de souligner que la loi de modernisation des professions judiciaires précise que l'avocat n'intervient que dans un rôle de mandataire et non dans celui de courtier. Ainsi, dans le cadre de son activité de mandataire, je suis favorable à ce que ce dernier puisse exercer la profession d'agent.

Cependant se pose la question du secret professionnel vis-à-vis des clients. L'agent sportif, après l'obtention de sa licence a, ainsi, l'obligation de s'inscrire sur une liste mise à jour par la fédération auprès de laquelle il exercera son activité. L'avocat aura-t-il aussi cette obligation ? Le cas échéant, sur quelle liste ? Sûrement auprès du conseil de l'Ordre mais, également, auprès de la fédération concernée. Le secret professionnel pourrait être ainsi mis à rude épreuve

La dispense de l'obtention d'une licence nous invite, enfin, à nous interroger. Pourquoi doit-il être exempté, notamment sur l'examen du tronc spécifique à chaque sport ? Cette exemption concerne-t-elle toutes les disciplines sportives ? Chaque discipline possède ses propres règlements (règle du jeu, règle disciplinaire, charte). L'agent sportif doit ainsi obtenir une licence spécifique propre à chaque fédération. En écartant l'obligation d'obtenir cette licence, l'avocat pourrait ainsi exercer dans toutes les disciplines. N'est-ce pas un peu délicat de confier à une seule et même personne la gestion d'intérêts sur des disciplines diverses avec une réglementation particulière ? Il n'existe aucun encadrement sur l'étendue des disciplines concernées où l'avocat pourra, désormais, intervenir. Néanmoins, il y a fort à parier que l'avocat interviendra dans sa sphère de compétence.

Le rapport "Darrois" est certes très utile mais nous sommes face à une ouverture un peu trop large de la profession alors que ce sont des professions bien distinctes.

Lexbase : A quel moment, concrètement, pourra intervenir l'avocat agent sportif ?

Antoine Séméria : Le champ d'intervention de l'avocat pourra être assez large dans le cadre de son rapport avec le sportif. Notamment, il pourra le représenter, l'assister dans une relation contractuelle avec toute personne physique ou morale intéressée par le savoir-faire dudit sportif. Il pourra, également, l'assister pour tout contrat concernant l'exploitation de son nom ou de son image. Des conseils juridiques voire judiciaires pourront être aussi donnés au club ou au sportif. L'avocat sera également compétent pour assister le sportif devant les instances disciplinaires.

L'avocat reste ainsi une pièce maîtresse dans le schéma tripartite instauré avec les clubs et les agents. Sa principale mission devra rester celle de la sécurisation des rapports juridiques ; celle de la gestion de la carrière du sportif demeurera dévolue à d'autres conseillers.

Une collaboration entre agent et avocat est indispensable afin d'assurer plus de sécurité juridique au sportif concerné.

Il faudra, cependant, formaliser par contrat le champ d'intervention de chacun pour plus de sérénité. Nous ne sommes pas à l'abri d'un important contentieux sur cette question.

Lexbase : De quelle manière va se composer la rémunération des avocats. Quel va être le rôle de la Carpa ?

Antoine Séméria : Aujourd'hui, nous ne pouvons encore expliquer le rôle précis que la Carpa assumera dans ce domaine. Il faudra voir avec le temps quelles seront les modalités de paiement des avocats par les joueurs, les clubs ou les entraîneurs. La rémunération des avocats sera, de toute manière, alignée sur celle de l'agent, c'est-à-dire un montant maximum de 10 %. Nous assisterons donc à un parallélisme des formes entre agents et avocats. En réalité, les avocats ne toucheront pas des commissions mais des honoraires. Des questions se posent d'ores et déjà : les avocats percevront-ils uniquement 10 % de commission sur le transfert du joueur ou devront-ils facturer en outre des honoraires ? Quelle sera la complémentarité entre honoraires et commissions ?

La question de la rémunération pourra, également, poser problème et créer certaines dérives par l'utilisation de la pratique du prête-nom. Nous serions ainsi dans une relation d'apporteur d'affaire avec une pratique de rétrocession des commissions directement perçues par des avocats, pouvant désormais exercer la fonction d'agents, envers des personnes n'ayant pas cette qualité. Nous serions ainsi face à un même schéma d'opacité et de dangerosité reproché à ce milieu depuis de nombreuses années. La déontologie de l'avocat sera au centre de cette question.

Il est à noter aussi que le métier d'agent sportif fait souvent l'objet de mesures particulières et dérogatoires. Récemment, la loi de finances pour 2011 (loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 N° Lexbase : L9901INZ) est venue assujettir à l'impôt sur le revenu les commissions versées par le club pour rétribuer la profession d'agent, dérogation qui n'existe pas, par exemple, dans le milieu artistique. L'article 103 est ainsi revenu sur le régime dérogatoire prévu par la loi du 9 juin 2010 qui énonçait que la rémunération de l'agent n'était pas qualifiée d'avantage. Les clubs sportifs voulant prendre en charge la rémunération due par le sportif à son agent vont être ainsi imposés. L'avenir nous dira si l'administration fiscale prévoira un mécanisme similaire pour l'avocat dans ce domaine.

Lexbase : L'avocat sera-t-il soumis aux mêmes sanctions pénales que les agents ? Quelles sont-elles ? Quel sera le rôle du conseil de l'Ordre des avocats ?

Antoine Séméria : Nous sommes encore ici face à un parallélisme entre avocat et agent. Ce seront les mêmes sanctions pénales énoncées à l'article L. 222-20 du Code du sport (N° Lexbase : L5085IMB). Dans certains cas, l'avocat est effectivement passible de condamnations pénales : je ne pense donc pas que l'avocat exerçant la fonction d'agent sportif soit exonéré de toute responsabilité pénale. Et c'est heureux ! La méconnaissance par un avocat de ses obligations en matière de tarification ou de secret professionnel ainsi que celles relatives à la conclusion d'un contrat de travail sportif avec un mineur est passible d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Le montant de l'amende peut être porté au-delà de 30 000 euros jusqu'au double des sommes indûment perçues en cas de violation de fixation d'honoraires en fonction uniquement du résultat judiciaire. Enfin, les infractions aux règles concernant les rémunérations de toute nature personnelle perçue pour l'exercice d'une activité sportive par des enfants de 16 ans et moins, soumis à l'obligation scolaire, seront punis d'une amende de 7 500 euros.

Par ailleurs, l'avocat sera soumis aux mêmes obligations que l'agent. Il devra déposer les contrats conclus auprès des fédérations concernées afin d'obtenir une homologation. Si elles constatent une omission, ce ne sont pas les règlements disciplinaires des fédérations qui vont s'appliquer mais ces dernières auront l'obligation d'informer le Bâtonnier du barreau concerné qui sanctionnera l'avocat. Désormais, les fédérations, le sportif ou le club professionnel pourront ainsi saisir le Bâtonnier.


(1) Loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 (N° Lexbase : L8851IPI), sur une étude du projet de loi, v. les obs. de A.-L. Blouet Patin, Modernisation des professions judiciaires ou juridiques : état des lieux pour la profession d'avocat, Lexbase Hebdo n° 57 du 16 décembre 2010 - édition profession (N° Lexbase : N8417BQS).
(2) V. les obs. de G. Auzero, Encadrement et moralisation de la profession d'agent sportif, Lexbase Hebdo n° 401 du 1er juillet 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4396BPI).
(3) Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ).
(4) J.-M. Marmayou, L'avocat peut-il être agent sportif ?, D. 2007, p. 746. A. Semeria, L'avocat peut-il exercer la profession d'agent sportif ?, LPA, 6 août 2009, p. 6 et Le doute sur l'existence d'incompatibilités entre avocat et agent sportif est enfin levé, LPA, 4 juin 2010, p. 6.
(5) CA Toulouse, 1er décembre 2009, RG n° 08/00966 (N° Lexbase : A8782HNL). Cet arrêt est à rapprocher de CA Douai, 21 mars 2011, n° 10/03808 (N° Lexbase : A9766HLB). Sur ce point, voir La requalification du contrat d'agent sportif en mandat d'intérêt commun - Questions à Steve Cygler et Laëtitia Croisé, Avocats au Barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 437 du 17 avril 2011 - édition privée (N° Lexbase : N0686BS9).

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