La lettre juridique n°437 du 28 avril 2011 : Droit du sport

[Questions à...] La requalification du contrat d'agent sportif en mandat d'intérêt commun - Questions à Steve Cygler et Laëtitia Croisé, Avocats au barreau de Paris

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[Questions à...] La requalification du contrat d'agent sportif en mandat d'intérêt commun - Questions à Steve Cygler et Laëtitia Croisé, Avocats au barreau de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4390225-questions-a-la-requalification-du-contrat-dagent-sportif-en-mandat-dinteret-commun-questions-a-b-ste
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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 29 Avril 2011

Un contentieux récent tend à se développer autour du contrat d'agent sportif, et c'est, tout dernièrement, un arrêt de la cour d'appel de Douai en date du 21 mars 2011, qui a retenu, une nouvelle fois, la requalification du contrat conclu entre un joueur de football et un agent sportif en mandat d'intérêt commun (CA Douai, 21 mars 2011, 1ère ch., sect. 1, n° 10/03808 N° Lexbase : A9766HLB). Les conséquences de cette requalification sont importantes, puisqu'elle a pour effet de mettre à la charge de l'auteur de la rupture anticipée illégitime du mandat le versement d'une indemnisation au profit de l'autre partie. Pour faire le point sur cette question, Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Steve Cygler et Laëtitia Croisé, Avocats au barreau de Paris, Cabinet Cygler & Associés, qui ont accepté de répondre à nos questions. Lexbase : Quelle est la nature juridique du contrat d'agent sportif ? Contrat de courtage ? Contrat d'entremise ? Contrat de mandat ? Quels sont les critères de distinction ?

Steve Cygler et Laëtitia Croisé : La profession d'agent sportif est encadrée juridiquement par des dispositions légales et réglementaires, et en dernier lieu, par la loi n° 2010-626 du 9 juin 2010 (N° Lexbase : L5043IMQ). Un décret d'application devrait être prochainement publié concernant cette loi.

Cette loi a été proposée en 2008 dans l'objectif de "pallier les défaut de la législation actuelle comme l'encadrement insuffisant des activités des agents extracommunautaires, un régime d'incompatibilité trop restreint et des contrôles déficients conduisant la généralisation des pratiques illégales" ; en somme, une volonté de moraliser et de durcir l'encadrement de la profession d'agent sportif.

Deux dispositions du Code du sport définissent l'activité d'agent sportif et concernent ainsi la qualification juridique du "contrat d'agent sportif", contrat conclu entre un agent et un sportif et/ou un club (ou un organisateur d'événement sportif) et/ou désormais un entraîneur.

Avant la loi n° 2010-626 du 9 juin 2010, il s'agissait de :

- l'article L. 222-6 du Code du sport (N° Lexbase : L6393HN4) qui disposait que "toute personne exerçant à titre occasionnel ou habituel, contre rémunération, l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un contrat relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive doit être titulaire d'une licence d'agent sportif" ;

- l'article L. 222-10 du Code du sport (N° Lexbase : L6397HNA) qui disposait que "un agent sportif ne peut agir que pour le compte d'une des parties au même contrat, qui lui donne mandat et peut seule le rémunérer. Le mandat précise le montant de cette rémunération, qui ne peut excéder 10 % du montant du contrat conclu. Toute convention contraire aux dispositions du présent article est réputée nulle et non écrite".

Ces deux articles ont été modifiés par la loi du 9 juin 2010 et l'activité d'agent sportif est désormais définie aux articles suivants :

- l'article L. 222-7 du Code du sport (N° Lexbase : L5080IM4) qui dispose que "l'activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d'un contrat soit relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement, soit qui prévoit la conclusion d'un contrat de travail ayant pour objet l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement ne peut être exercée que par une personne physique détentrice d'une licence d'agent sportif".

- l'article L. 222-17 du Code du sport (N° Lexbase : L0800IPC) qui dispose que "un agent sportif ne peut agir que pour le compte d'une des parties aux contrats mentionnés à l'article L. 222-7.

Le contrat écrit en exécution duquel l'agent sportif exerce l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un des contrats mentionnés à l'article L. 222-7 précise : 1° Le montant de la rémunération de l'agent sportif, qui ne peut excéder 10 % du montant du contrat conclu par les parties qu'il a mises en rapport ; 2° La partie à l'un des contrats mentionnés à l'article L. 222-7 qui rémunère l'agent sportif. Lorsque, pour la conclusion d'un contrat mentionné à l'article L. 222-7, plusieurs agents sportifs interviennent, le montant total de leurs rémunérations ne peut excéder 10 % du montant de ce contrat. Le montant de la rémunération de l'agent sportif peut, par accord entre celui-ci et les parties aux contrats mentionnés à l'article L. 222-7, être pour tout ou partie acquitté par le cocontractant du sportif ou de l'entraîneur. L'agent sportif donne quittance du paiement au cocontractant du sportif ou de l'entraîneur. Toute convention contraire au présent article est réputée nulle et non écrite".

Suivant l'article L. 222-7 du Code du sport (auparavant l'article L. 222-6 dudit code), la définition de l'activité d'agent sportif correspond à celle du contrat de courtage (ou d'entremise), contrat au terme duquel l'agent aurait pour unique rôle de mettre en relation les différentes parties intéressées à la conclusion d'un contrat relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive moyennant rémunération.

En revanche, l'article L. 222-17 du Code du sport ne fait plus référence expressément, comme l'ancienne rédaction de l'article L. 222-10 dudit code, à la notion de "mandat" afin de qualifier la mission de l'agent et par voie de conséquence le contrat liant l'agent à un sportif ou un entraîneur ou un club (ou à un organisateur d'événement sportif).

Ainsi, à la "première" lecture de ces deux articles du Code du sport, il semblerait que le législateur ait voulu qualifier le contrat d'agent sportif en un simple contrat de courtage (ou d'entremise), estimant que l'agent sportif est un simple intermédiaire. D'une manière générale, la mission du courtier est de mettre en rapport les parties afin de faciliter les transactions sans intervenir directement lors de la conclusion du contrat stricto sensu moyennant le versement d'une rémunération alors que "le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom" (C. civ., art. 1984 N° Lexbase : L2207ABD).

Toutefois, il convient de noter que la notion de mandat n'est pas occultée et omise des nouvelles dispositions légales. A cet égard, en cas de mandat, l'agent sportif a un pouvoir de représentation du sportif ou de l'entraîneur ou du club dans la mesure où il agit "au nom et pour le compte de" afin d'accomplir un acte juridique. Il ressort, ainsi, des débats parlementaires que le rôle d'intermédiaire qu'a un agent sportif recouvre plusieurs activités dont l'activité de conseil et d'assistance, l'activité de prospection et de recherche, activités pour lesquelles l'agent sportif peut recevoir un mandat. En outre, l'article L. 222-17 du Code du sport prohibe toujours le double "mandatement" d'un agent sportif qui "ne peut agir que pour le compte d'une des parties aux contrats mentionnés à l'article L. 222-7".

Dans ce contexte, à la lumière de ces nouvelles dispositions légales, l'agent sportif pourra continuer soit de mettre simplement en relation un sportif ou un entraîneur et un club ou organisateur d'événement sportif, soit d'assister et/ou de conseiller le sportif ou l'entraîneur ou le club ou l'organisateur d'événement sportif dans le cadre de la conclusion d'un contrat soit relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement soit qui prévoit la conclusion d'un contrat de travail relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement.

Ainsi, il appartiendra aux parties de définir strictement l'étendue des missions de l'agent sportif, leurs droits et obligations respectifs ; ce qui aura une incidence sur la qualification juridique du contrat d'agent sportif (courtage ou mandat) et ainsi sur les conditions et modalités de rupture d'un tel contrat. A défaut, le juge aura le pouvoir, en l'absence de volonté et claire et non équivoque des parties, de qualifier juridiquement le contrat d'agent sportif et d'en tirer toutes les conséquences en cas de contentieux.

Les conditions et modalités de rupture anticipée (notamment charge de la preuve) sont différentes selon la qualification juridique du contrat.

En effet, un contrat de courtage ne peut être révoqué qu'en cas de faute grave du cocontractant alors que le mandat est révocable ad nutum (C. civ., art. 2004 N° Lexbase : L2239ABK) ou suivant les conditions et clauses du mandat à moins qu'il ne soit qualifié de mandat d'intérêt commun.

Lexbase : Quel est le sens et la portée de la jurisprudence tendant à requalifier les contrats en mandat d'intérêt commun ?

Steve Cygler et Laëtitia Croisé : Le mandat est généralement donné dans le seul intérêt du mandant mais il peut aussi être donné dans l'intérêt du mandant et d'autres personnes (mandataire ou tiers) ou dans l'intérêt exclusif du mandataire (l'agent sportif). Il y a mandat "d'intérêt commun" lorsque le mandat donné peut concerner, outre les intérêts du mandant, les intérêts d'un tiers ou ceux du mandataire.

Le mandat "d'intérêt commun" est l'oeuvre combinée de la jurisprudence et de la doctrine et peut être défini comme "un mandat de collaboration poussant le mandataire à agir aussi bien dans l'intérêt du mandant que dans le sien propre" (1).

Concernant la qualification juridique du contrat d'agent sportif, différentes cours d'appel (2) ont été amenées à qualifier ledit contrat en un mandat "d'intérêt commun" au motif que le mandataire, chargé de la gestion de la carrière professionnelle, aux cas particuliers, d'un joueur, a un intérêt certain à l'essor de cette carrière compte tenu des incidences économiques qu'entraînent ses performances et de sa notoriété sur les conditions financières d'engagement et les prétentions salariales du joueur. La carrière du sportif devient la chose commune des parties au mandat.

Les cours d'appel dont, en dernier lieu, la cour d'Appel de Douai, ont retenu une telle qualification juridique du contrat d'agent sportif, après avoir fait une analyse de chaque clause contractuelle afin de vérifier la volonté des parties au moment de la conclusion du contrat et l'étendue des droits et obligations de chaque partie.

Une telle qualification est importante eu égard aux conditions et modalités de rupture d'un mandat "d'intérêt commun". Ledit mandat ne peut, en effet, être révoqué légitimement que du consentement mutuel des parties ou suivant les conditions et clauses du contrat (sauf en cas de clauses jugées comme abusives) ou encore pour une cause légitime reconnue en justice.

La qualification du mandat "d'intérêt commun" a pour effet de mettre à la charge de l'auteur de la rupture anticipée illégitime du mandat le versement d'une indemnisation au profit de l'autre partie. Ainsi, en cas de rupture anticipée du contrat par le sportif et en l'absence d'une cause légitime de rupture, l'agent sportif percevra une indemnisation évaluée sur le fondement d'une perte d'une chance de percevoir la rémunération qu'il aurait dû obtenir en cas de réalisation de sa mission et si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme et d'un préjudice moral.

La qualification du contrat d'agent sportif en un mandat "d'intérêt commun" permet d'octroyer une plus grande protection de chaque partie au contrat et d'inscrire les relations agent / sportif dans une stabilité, une loyauté, une confiance afin de mener à bien un projet commun sur le moyen et long terme qui combinera aussi bien l'intérêt financier que l'intérêt sportif.

Lexbase : Dans quels cas préconisez-vous la conclusion d'un mandat d'intérêt commun ? Quelles sont les conditions et les modalités à prévoir pour la rédaction du contrat ?

Steve Cygler et Laëtitia Croisé : La conclusion d'un mandat d'intérêt commun est, de prime abord, à notre sens, opportune pour l'agent sportif lorsqu'il existe un fort intuitu personae avec le sportif ou lorsque ce dernier débute sa carrière sportive professionnelle.

L'intérêt et l'avantage du mandat d'intérêt commun sont de responsabiliser chaque partie dans le cadre de la bonne exécution du contrat et d'encadrer les conditions et modalités de rupture du contrat d'agent sportif.

Aussi, d'une manière plus générale, le contrat d'agent sportif doit être conclu en la forme d'un mandat "d'intérêt commun" lorsque l'agent sportif a la volonté de développer avec le sportif un projet commun sur le long terme.

Un mandat d'intérêt commun est opportun et, à notre sens, entièrement justifié lorsque l'agent sportif assiste et conseille le sportif pour tout ce qui a trait à l'exercice rémunéré d'une activité sportive, à la carrière et aux activités extra-sportives de ce dernier (contrats de sponsoring, d'assurance, contrats relatifs aux droits à l'image, etc.).

Aux fins de conforter les intérêts respectifs des parties, le mandat devra bien préciser la volonté des parties de conclure un "mandat d'intérêt commun", l'étendue de la mission de l'agent, les droits et obligations de chaque partie et éventuellement une clause d'indemnité afin de déterminer par avance la nature et le mode de calcul des dommages et intérêts que pourrait percevoir l'agent en cas de rupture anticipée et non justifiée du mandat. L'insertion d'une telle clause serait d'autant opportune qu'elle serait applicable même en cas de requalification du contrat d'agent sportif en un contrat autre qu'un mandat d'intérêt commun.


(1) Cass. com., 8 octobre 1969, Bull. civ. IV, n° 284.
(2) CA Aix-en-Provence, 17 avril 2002, n° 393, bull. Aix, 2002-02, note 7, p. 88 ; CA Toulouse, 2ème ch., sect. 2, 1er décembre 2009, n° 08/00966 (N° Lexbase : A8782HNL) ; CA Reims, civ. 1ère sect., 25 mars 2008 ; CA Douai, 21 mars 2011, 1ère ch., sect. 1, n° 10/03808 N° Lexbase : A9766HLB).

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