La lettre juridique n°437 du 28 avril 2011 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Sur l'auteur du refus du renouvellement en cas de vente de l'immeuble

Réf. : Cass. civ. 3, 23 mars 2011, n° 06-20.488 (N° Lexbase : A7581HIM)

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N0622BST

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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

le 28 Avril 2011

En cas de vente de locaux objet d'un bail commercial, seul l'acheteur a qualité pour refuser le renouvellement en réponse à une demande de renouvellement du preneur laissée sans suite par le vendeur. Tel est l'enseignement inédit d'un arrêt de la Cour de cassation du 23 mars 2011.
En l'espèce, par acte du 26 mai 2003, le locataire de locaux à usage commercial avait demandé au propriétaire le renouvellement de son bail. Le propriétaire, postérieurement à cette demande, à savoir le 3 août 2003, avait vendu les locaux. Par acte extrajudiciaire du 19 août 2003, le propriétaire initial avait refusé au preneur le renouvellement du bail. Le preneur a alors saisi le tribunal de grande instance pour voir dire, d'une part, que le refus de renouvellement était nul et de nul effet, son auteur n'étant plus propriétaire, et, d'autre part, que le bail avait, en conséquence, été renouvelé. Les juges du fond ayant fait droit à ces demandes, le nouveau propriétaire s'est pourvu en cassation. I - Sur le mécanisme de cessation d'un bail commercial par l'effet de la demande de renouvellement

Sauf accord amiable entre les parties, un bail commercial ne prend fin, éventuellement pour être renouvelé, qu'à la suite de la délivrance d'un congé ou d'une demande de renouvellement (C. com., art. L. 145-9 N° Lexbase : L2243IBP).

  • Champ d'application de la demande de renouvellement

Aux termes de l'article L. 145-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L2308IB4), "à défaut de congé, le locataire qui veut obtenir le renouvellement de son bail doit en faire la demande soit dans les six mois qui précèdent l'expiration du bail, soit, le cas échéant, à tout moment au cours de sa reconduction". Ce n'est toutefois pas seulement à défaut de congé que le preneur peut former une demande de renouvellement : il pourra, en effet, avoir intérêt à former une telle demande, alors même que le bailleur aura délivré un congé, pour mettre un terme au bail avant qu'il n'ait une durée effective supérieure à douze ans, le loyer en renouvellement n'étant pas dans ce cas plafonné (C. com., art. L. 145-34 N° Lexbase : L2271IBQ). La Cour de cassation a en effet précisé que par l'expression "à défaut de congé", il faut entendre "à défaut de congé délivré pour la date d'expiration contractuelle du bail" (Cass. civ. 3, 18 décembre 1991, n° 90-10.109 N° Lexbase : A2942ABL). Cependant, cette règle ne s'applique pas en présence d'un congé refusant le renouvellement (Cass. civ. 3, 21 février 2007, n° 05-21.623, FS-P+B+R N° Lexbase : A4149DU9).

  • Forme et contenu de la demande de renouvellement

L'article L. 145-10 du Code de commerce précise également que la demande de renouvellement doit être délivrée "au bailleur" par acte extrajudiciaire, cette forme étant prescrite à peine d'inefficacité de la demande de renouvellement (Cass. civ. 3, 11 février 1987, n° 85-16.162 N° Lexbase : A6607AAX ; voir également Cass. civ. 3, 10 juillet 1996, n° 94-18.249 N° Lexbase : A9989ABL et Cass. civ. 3, 5 novembre 2003, n° 01-17.530, FS-P+B N° Lexbase : A0655DAI). La demande doit reproduire le quatrième alinéa de l'article L. 145-10 du Code de commerce qui dispose que : "dans les trois mois de la signification de la demande en renouvellement, le bailleur doit, dans les mêmes formes, faire connaître au demandeur s'il refuse le renouvellement en précisant les motifs de ce refus. A défaut d'avoir fait connaître ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent".

  • Réponse à la demande de renouvellement

Cet alinéa règlemente le fonctionnement de la demande de renouvellement. Une fois cette demande délivrée, le bailleur dispose de trois mois pour refuser le renouvellement. S'il garde le silence dans ce délai, il sera réputé avoir accepté le renouvellement. L'objet de cette acceptation tacite ne porte que sur le principe du renouvellement et le bailleur, ou le preneur s'il y a intérêt, pourra solliciter, en cas de désaccord, la fixation judiciaire du loyer en renouvellement (CA Paris, 16ème ch., sect. A, 8 mars 2006, n° 05/00756 N° Lexbase : A5523DPA). Le bailleur peut aussi accepter expressément le renouvellement.

L'acceptation de la demande de renouvellement, tacite ou expresse, n'est pas irrémédiable. Le bailleur qui a accepté pourra en effet ensuite le refuser en exerçant son droit d'option (C. com., art. L. 145-57 N° Lexbase : L5785AI4), l'arrêt rapporté rappelant que ce droit peut être exercé avant la saisine du juge en fixation du loyer en renouvellement (cf., en ce sens, Cass. civ. 3, 15 février 1983, n° 81-11.486 N° Lexbase : A7589AG8).

Le bailleur peut aussi refuser le renouvellement, mais il devra notifier ce refus avant l'expiration du délai de trois mois précité. Ce refus devra être donné par acte extrajudiciaire indiquant les motifs du refus et, à peine de nullité, que le locataire, qui entend contester le refus de renouvellement ou demander le paiement d'une indemnité d'éviction, devra saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date à laquelle est signifié le refus (C. com., art. L. 145-10).

Dans l'arrêt rapporté, la demande de renouvellement avait été notifiée le 26 mai 2003. Le bailleur disposait donc d'un délai de trois mois courant à compter de cette date pour refuser le renouvellement expirant en conséquence le 26 août 2003. Le refus de renouvellement, délivré en l'espèce le 19 août 2003, était donc intervenu dans les délais prescrits. Toutefois, dans la mesure où les locaux loués avaient été vendus entre la date de la demande de renouvellement, notifiée au bailleur devenu vendeur et celle du refus, la question s'est posée de savoir si le vendeur avait toujours "qualité" pour refuser le renouvellement.

II - Sur les effets de la vente de l'immeuble sur le processus de renouvellement d'un bail commercial

  • Sur le destinataire de la demande de renouvellement

L'article L. 145-10 du Code de commerce détermine le destinataire de la demande de renouvellement. Il précise en effet qu'elle doit être adressée au "bailleur" (qui certes n'est pas nécessairement le propriétaire) ou au gérant (mandataire du bailleur), sauf stipulations ou notifications contraires de la part de celui-ci.

Ce texte prévoit également que s'il y a plusieurs propriétaires, la demande adressée à l'un d'eux vaut, sauf stipulations ou notifications contraires, à l'égard de tous. Toutefois, l'application de ce texte semble limitée à l'indivision en pleine propriété car il a été jugé que la demande de renouvellement notifiée à des propriétaires indivis titulaires de la nue-propriété et de la moitié de l'usufruit, mais non à l'usufruitier de l'autre moitié, n'était pas régulière (Cass. civ. 3, 4 février 2009, n° 07-20.982, FS-D N° Lexbase : A9508EC7). En présence d'un démembrement du droit de propriété entre un nu-propriétaire et un usufruitier, la demande de renouvellement adressée à l'usufruitier seul a été jugée, de manière implicite, régulière (Cass. civ. 3, 9 décembre 2009, n° 08-20.512, FS-P+B N° Lexbase : A4470EPA).

  • Sur l'auteur de la réponse à la demande de renouvellement

S'agissant de l'auteur de la réponse à la demande de renouvellement, le texte ne vise que le "bailleur". Il s'agira, en principe, de celui qui a reçu la demande de renouvellement. A défaut d'autre précision, il convient, afin de déterminer le titulaire du droit de refuser le renouvellement en cas de vente survenant après notification de la demande, de se pencher sur les effets de la vente du bien objet d'un bail.

A cet égard, l'article 1743 du Code civil (N° Lexbase : L1791IE3) dispose que, "si le bailleur vend la chose louée, l'acquéreur ne peut expulser le fermier, le métayer ou le locataire qui a un bail authentique ou dont la date est certaine". Le bail sera opposable à l'acquéreur même s'il n'a pas été conclu par acte authentique ou s'il n'a pas date certaine, si ce dernier avait connaissance de l'existence du bail (Cass. civ. 3, 12 mars 1969, n° 67-11.470 N° Lexbase : A2579AU3 ; Cass. civ. 3, 20 juillet 1989, n° 88-13.413 N° Lexbase : A7817AGM). Plus qu'une simple opposabilité, la vente de l'immeuble entraîne une véritable cession du bail, l'acquéreur devenant partie à ce contrat et endossant, par l'effet de la vente, la qualité de bailleur. Cette transmission s'effectue de plein droit et son opposabilité n'est pas subordonnée à la publication à la conservation des hypothèques de l'acte de vente des locaux (Cass. civ. 3, 4 mai 2000, n° 98-20136 N° Lexbase : A0319CGW).

La transmission du bail n'opère, en principe, ses effets que pour l'avenir, à compter de la vente, et laisse subsister entre les parties initiales ses effets passés.

Ainsi, l'acquéreur de l'immeuble ne peut agir contre le locataire pour des manquements au bail antérieurs à la vente, sauf cession de créance ou subrogation expresse (Cass. civ. 3, 2 octobre 2002, n° 01-00.696, FS-P+B N° Lexbase : A9066AZS). Toutefois, l'acquéreur a qualité pour solliciter judiciairement le constat de l'acquisition d'une clause résolutoire antérieure à la vente (Cass. civ. 3, 30 mai 1990, n° 89-12.586 N° Lexbase : A7887AG9). Concernant les obligations du bailleur, seul le vendeur est, en principe, tenu de restituer au preneur le dépôt de garantie qu'il a reçu dans la mesure où il s'agirait d'une dette personnelle (Cass. civ. 3, 25 février 2004, n° 02-16.589, FS-P+B N° Lexbase : A3760DBU). La frontière entre les obligations nées avant ou après la vente n'est donc pas toujours aisée à tracer.

S'agissant plus précisément de l'indemnité d'éviction, il a été jugé qu'elle constitue une dette personnelle à la charge du bailleur ayant refusé le renouvellement du bail et dont il n'est pas déchargé par la vente de l'immeuble (Cass. civ. 3, 25 avril 1968, n° 67-12.366 N° Lexbase : A2621AUM ; Cass. civ. 3, 30 mai 2001, n° 00-10.111 N° Lexbase : A4702ATC). Toutefois, l'acquéreur de l'immeuble peut s'engager à l'égard du vendeur à prendre en charge le paiement de l'indemnité d'éviction, cette délégation imparfaite de paiement permettant au preneur de ne réclamer qu'au seul acquéreur le paiement de l'indemnité (Cass. civ. 3, 5 mars 2008, n° 06-19.237, FS-P+B N° Lexbase : A3242D79).

Parallèlement, le congé délivré au preneur par le vendeur de l'immeuble profite à l'acquéreur qui peut se prévaloir des effets de congé et solliciter, par exemple, la fixation judiciaire du loyer en renouvellement (Cass. civ. 3, 15 mars 1989, n° 87-20.226 N° Lexbase : A7827AGY).

L'arrêt commenté apporte une pierre supplémentaire au régime jurisprudentiel des effets de la vente d'un bien loué entre les bailleurs et le preneur. En présence d'une demande de renouvellement notifiée avant la vente, le vendeur pourra refuser ce renouvellement jusqu'à la vente. Il sera alors débiteur de l'indemnité d'éviction. A compter de la vente, et si le vendeur n'a pas répondu, seul l'acquéreur pourra refuser le renouvellement, même s'il n'a pas été le destinataire de la demande. Pour cette dernière raison, le vendeur devra informer l'acquéreur de l'existence de cette demande afin de le mettre en mesure de prendre une décision sur le renouvellement. A défaut, le vendeur pourrait engager sa responsabilité s'il en résultait un préjudice pour l'acheteur. En effet, la demande de renouvellement notifiée par le vendeur après la vente, comme le précise l'arrêt du 23 mars 2011, est nulle : le refus ne produisant aucun effet, le bailleur est censé avoir accepté tacitement le principe du renouvellement.

La Cour de cassation, dans l'arrêt du 23 mars 2011, envisage également la possibilité d'une "régularisation" de la "nullité" du refus de renouvellement qui aurait été donné postérieurement à la vente par le vendeur. Il s'agira a priori plus que d'une simple régularisation : l'acheteur devra, s'il est encore dans le délai de trois mois comme le relève la Haute cour, délivrer un véritable refus de renouvellement.

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