La lettre juridique n°437 du 28 avril 2011 : Finances publiques

[Questions à...] L'inscription dans la Constitution de l'équilibre des finances publiques : impératif économique et moral ou simple illusion ? - Questions à Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l'Université de Rennes I

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[Questions à...] L'inscription dans la Constitution de l'équilibre des finances publiques : impératif économique et moral ou simple illusion ? - Questions à Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l'Université de Rennes I. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4318436-questions-a-linscription-dans-la-constitution-de-lequilibre-des-finances-publiques-imperatif-economi
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique et Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 28 Avril 2011

Le 16 mars 2011, a été déposé par le Gouvernement, sur le bureau de l'Assemblée nationale, un projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques, dans un contexte de sortie difficile d'une crise financière, de la mise en place de politiques d'austérité dans de nombreux Etats et d'exigences communautaires, plus difficiles à respecter qu'autrefois, d'interdiction de déficit public supérieur à 3 % du produit intérieur brut ou à 60 % de la dette publique (TFUE, art. 126 N° Lexbase : L2425IPI). Ce projet vise à créer des "lois-cadres d'équilibre des finances publiques" pluriannuelles, qui programment, pour une période fixe d'au moins trois ans, les montants de dépenses et de recettes à respecter, année après année, afin de parvenir à l'équilibre des comptes des administrations publiques. Ces lois s'imposeraient aux lois de finances et de financement de la Sécurité sociale. Serait, ensuite, inscrit dans la Constitution le monopole des lois de finances et des lois de financement de la Sécurité sociale pour régir le domaine de la fiscalité et celui des recettes de la Sécurité sociale. Enfin, ce projet introduirait le principe d'une transmission systématique à l'Assemblée nationale et au Sénat des programmes de stabilité, avant qu'ils ne soient adressés à la Commission européenne, dans le cadre du volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance. Selon le Gouvernement, ces nouvelles dispositions constitutionnelles devraient permettre de conforter la réduction des déficits engagée par la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 (N° Lexbase : L0390IP7) (6 % du montant du PIB en 2011, 4,6 % en 2012 et 3 % en 2013). Afin de comprendre quels enjeux et quels impacts ce projet pourrait avoir sur notre Constitution et notre législation, Lexbase Hebdo - édition publique Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l'Université de Rennes I. Lexbase : Le Conseil constitutionnel est déjà à même de censurer des dispositions législatives ne respectant pas "l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques" ? Pourquoi ce dispositif a-t-il été jugé insuffisant ?

Anne-Marie Le Pourhiet : Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (loi n° 2008-724, de modernisation des institutions de la Vème République N° Lexbase : L7298IAK), l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) indique que "des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'Etat. Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des finances publiques". Cet objectif est donc déjà inscrit dans le "marbre" constitutionnel, mais dans des termes et selon des modalités peu contraignants, puisque l'adoption d'une loi de programmation n'est pas obligatoire, et que, si elle est adoptée (comme c'est le cas de la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010, précitée), elle n'est pas forcément soumise au Conseil constitutionnel. Surtout, il s'agit d'une loi ordinaire dont les dispositions ne s'imposent pas aux autres lois ordinaires que sont les lois de finances et de financement de la Sécurité sociale, lesquelles peuvent donc y déroger, au même titre que n'importe quelle autre disposition législative. C'est cette absence de contrainte que le rapport "Camdessus" a proposé d'abandonner, au profit d'un système plus coercitif.

Lexbase : L'idée force qui préside au projet de loi est la création d'une nouvelle catégorie de textes dénommés "lois-cadres d'équilibre des finances publiques". Quelle sera leur fonction exacte ?

Anne-Marie Le Pourhiet : La fonction des lois-cadres d'équilibre des finances publiques serait d'établir des normes contraignantes pour assurer à un horizon pluriannuel (trois à cinq ans) l'équilibre des comptes publics. Il s'agit de programmer l'évolution de l'ensemble des finances publiques en harmonie avec nos engagements européens, de telle sorte que ces textes devront traiter, non seulement des dépenses et recettes de l'Etat et de la Sécurité sociale, mais aussi des autres éléments des comptes publics, tels que les finances locales, celles de l'assurance chômage et des régimes complémentaires de retraite. Elles devront déterminer le montant maximum des dépenses de l'Etat et de la Sécurité sociale pour chacune des années programmées, ainsi que l'enveloppe des mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires, en cohérence avec l'objectif daté de retour à l'équilibre. L'exposé des motifs du projet de révision constitutionnelle indique qu'une fongibilité entre plafonds de dépenses et mesures nouvelles en recettes pourra être autorisée pour assurer au législateur financier une certaine marge de manoeuvre, tout en préservant l'effort global de redressement. Mais la détermination du contenu exact de ces lois-cadres est renvoyée à une future loi organique dont on ne connaît pas encore les dispositions.

Lexbase : Quels changements dans la procédure législative seraient apportés par le nouveau monopole des lois de finances et de financement de la Sécurité sociale ? Une inscription dans la Constitution ne risque-t-elle pas de figer une situation qui est pourtant conjoncturelle ?

Anne-Marie Le Pourhiet : Les changements sont évidemment importants puisque l'on propose de créer une architecture hiérarchique complexe qui fait intervenir le Conseil constitutionnel à chaque niveau. La loi organique précitée devra d'abord respecter la Constitution, puisque les lois organiques sont obligatoirement soumises au Conseil constitutionnel avant leur promulgation (article 46 de la Constitution N° Lexbase : L1307A9B). C'est déjà le cas des lois organiques relatives aux lois de finances et aux lois de financement de la Sécurité sociale, dont il ne faut pas oublier qu'elles s'imposent déjà au législateur financier. Ensuite, les lois-cadres d'équilibre des finances publiques, qui seront élaborées selon une procédure proche de celles des lois financières ordinaires (monopole de l'initiative gouvernementale, priorité d'examen à l'Assemblée nationale, délais de discussion butoirs pour chaque assemblée, renvoi possible à la commission mixte paritaire après une seule lecture, possibilité d'engager la responsabilité du Gouvernement sur le texte devant l'Assemblée nationale) seront aussi automatiquement soumises au Conseil constitutionnel avant leur promulgation, celui-ci devant contrôler leur conformité tant à la Constitution, qu'à la législation organique. Enfin, les lois de finances et de financement de la Sécurité sociale, qui devront, désormais, réunir toutes les dispositions fiscales et de recettes de Sécurité sociale pour éviter leur dispersion et favoriser la lisibilité et l'évaluation, ne pourront être adoptées en l'absence de loi-cadre d'équilibre des finances publiques. Si le Conseil constitutionnel est saisi de ces lois financières (ce qui est le cas chaque année en pratique) il aura à vérifier leur conformité à la Constitution, à la législation organique et à la loi-cadre d'équilibre. Les pouvoirs financiers seront donc, ainsi, ensevelis sous plusieurs couches de normes verticales.

On ne peut pas dire que l'on fige dans la Constitution elle-même une situation conjoncturelle, dans la mesure où la seule norme de fond inscrite expressément dans la Constitution, comme c'est déjà le cas depuis 2008, reste le "simple" objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques, que l'on peut considérer comme un principe permanent de bonne gestion. En revanche, les modalités conjoncturelles et pluriannuelles du retour à l'équilibre seront inscrites dans des lois-cadres, dont le contenu est appelé à évoluer en fonction du redressement obtenu et que tout Gouvernement peut faire modifier selon la procédure prévue. Celle-ci implique un passage devant le Conseil constitutionnel, qui aura à vérifier le respect de l'objectif d'équilibre, ainsi que celui de la législation organique et de la procédure imposée par la Constitution. Toutefois, en l'absence de majorité renforcée pour adopter ou modifier ces textes, le dernier mot peut être donné à l'Assemblée nationale, l'article 49 § 3 de la Constitution (N° Lexbase : L1311A9G) (engagement de la responsabilité du Gouvernement devant les députés), leur étant applicable. Il n'est donc pas du tout impossible de retoucher ces lois-cadres, à condition que le Conseil constitutionnel juge cette modification conforme à l'objectif constitutionnel d'équilibre. Lorsqu'il est confronté à un objectif à valeur constitutionnelle, le Conseil juge que le législateur a une obligation de moyen lui imposant seulement de "tendre vers" sa réalisation, c'est-à-dire qu'il se réserve le pouvoir de censurer les dispositions dont il juge qu'elles régressent par rapport à l'objectif fixé. C'est ce que l'on appelle l'"effet cliquet", dont l'élaboration jurisprudentielle a débuté en 1984 (Cons. const., décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984 N° Lexbase : A8085ACG).

Lexbase : Quelle peut être l'efficacité réelle de cette réforme ? Ne risque-t-on pas d'assister à une prise de pouvoir du juge constitutionnel sur le politique ?

Anne-Marie Le Pourhiet : L'efficacité ne peut pas être nulle puisque le Gouvernement et les parlementaires seront obligés de peser leurs initiatives au regard des règles qu'ils se sont imposées, même s'il n'est pas impossible de les modifier, comme je viens de le démontrer. Ce qui paraît étonnant dans cette réforme, comme dans celle de 2008, imposant au Gouvernement de produire des études d'impact à l'appui de ses projets de lois, dans le but d'endiguer l'inflation législative, c'est de voir que nos dirigeants s'avouent incapables de s'autoréguler spontanément au point qu'ils se fabriquent une camisole juridique, une sorte de "ceinture de stabilité" (par allusion aux ancestrales ceintures de chasteté) pour se contraindre eux-mêmes. On a le sentiment qu'ils disent au juge constitutionnel : "Retenez-moi !". Mais s'ils choisissent eux-mêmes de donner aux juges le pouvoir de se prononcer sur le respect de principes très vagues, supposant un pouvoir d'appréciation largement discrétionnaire, il ne faut pas qu'ils viennent ensuite se plaindre d'un illégitime "Gouvernement des juges" qui entraverait les choix démocratiques. Celui qui abdique son pouvoir entre les mains du juge ou de l'expert européen est ensuite mal venu de s'en plaindre. Les juristes connaissent bien l'adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans ("nul n'est fondé à invoquer sa propre turpitude").

Lexbase : Une proposition de Directive européenne sur les cadres budgétaires nationaux vise à renforcer le rôle de la programmation pluriannuelle des finances publiques et des règles budgétaires nationales. Ne risque-t-elle pas d'entrer en conflit avec le projet de loi constitutionnelle ?

Anne-Marie Le Pourhiet : Le but n'est certainement pas d'entrer en conflit avec la Directive puisque la révision a précisément pour objet, en s'inspirant du modèle normatif allemand, de nous obliger à respecter nos engagements européens en matière de stabilité. C'est la raison pour laquelle le projet de révision constitutionnelle prévoit aussi que le Gouvernement doit adresser les projets de programme de stabilité aux deux assemblées avant leur transmission à la Commission. La déclaration n° 17, annexée au Traité de Lisbonne, négocié par notre Président de la République et ratifié par nos assemblées, réaffirme le principe de primauté du droit européen sur le droit interne, il faut donc l'assumer. Et comme le Conseil constitutionnel considère que l'obligation de transposer les Directives résulte elle-même d'une "exigence constitutionnelle" fondée sur l'article 88-1 de la Constitution (N° Lexbase : L1350A9U) relatif au Traité de Lisbonne (Cons. const., décision n° 2004-496 DC, du 10 juin 2004, loi pour la confiance dans l'économie numérique N° Lexbase : A6494DCI), nous sommes juridiquement cernés de toutes parts.

Toutefois, compte tenu de l'opposition des parlementaires socialistes au projet de révision constitutionnelle, il est de toute façon peu probable qu'il recueille la majorité requise des trois cinquièmes des suffrages exprimés au Congrès, et donc qu'il soit adopté.

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