La lettre juridique n°437 du 28 avril 2011 : Éditorial

Un cancer du poumon ? Ce sera 3 524 euros ma p'tite dame...

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Il n'est rien d'égal au tabac : c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre". Est-ce parce que "l'herbe à la Reine" remportait un succès mondain de Guise à Philippe II d'Espagne, et médicinal (cf. L'instruction sur l'herbe petum de Jacques Gohory), que Molière porta un jugement si laudatif sur ce qui sera l'un des fléaux du XXIème siècle ? Ou, justement, est-ce en fin conteur de la société du XVIIème siècle sensible "aux choses du Nouveau monde" et côtoyant la mort au quotidien, qu'il insuffla ces paroles à Dom Juan, libertin blasphémateur, être de l'inconstance et du mouvement ?

Combien de morts Jean Nicot, ambassadeur de France au Portugal, a-t-il sur la conscience, pour avoir cru aux vertus médicinales d'une plante indienne sur les migraines d'un enfant-roi (François II), décédé, pourtant, à l'âge de 16 ans ? La nicotiane, alors "herbe de Monsieur Le Prieur", "herbe sainte", "herbe à tous les maux", "panacée antarctique" avait, alors, une excuse : celle de ne pas être confrontée au principe de précaution dans la France colbertiste des fermes à tabac. Et, à ce mélange poétique d'alcaloïdes psychotropes manquait, encore, le polonium 210, substance hautement cancérigène, mais garantissant une saveur incomparable, adjointe tardivement aux 4 000 autres composés chimiques du tabac à fumer.

Certes, si l'affaire était restée circonscrite dans les tabagies de Wusterhausen, elle n'en aurait pas mené large. Avec 4,9 millions de décès imputables au tabagisme par an, un décès toutes les huit secondes, l'affaire allait bien finir par faire grand bruit. Ce n'est pas moins de 5 000 milliards de cigarettes qui sont écoulées, chaque année, dans le monde ; dont 5 milliards, rien qu'en France. Alors, les chances, même pour un non-fumeur, de passer à côté des méfaits du tabac sont minces, voire, statistiquement nulles....

Oui, on se doutait bien, depuis 1775, qu'il y avait un lien entre le tabac et le développement de cancers... Et, on le savait pertinemment avant la seconde Guerre Mondiale, au point que les nazis tentèrent d'en interdire l'usage aux fins d'éviter leur dégénérescence (sic). Etudes à l'appui, les majors manufacturières vantaient, encore, dans les années 60, les vertus médicinales et psychotropes du tabac, en sachant ce qu'ils mettaient dans la composition de leur produit... Mais, pour sortir le calumet de la paix, il aura fallu attendre 2008 et une interdiction totale de l'usage du tabac fumé dans les lieux publics, du moins en France...

Et, ce n'est que quelques temps auparavant, en 2005, que la Cour de cassation retenait que l'employeur est tenu, à l'égard de ses salariés, à une obligation générale de sécurité de résultat en ce qui concerne leur protection contre le tabagisme dans l'entreprise. En contrepartie, il est investi du pouvoir de sanctionner la méconnaissance par ses salariés de la législation anti-tabac. Et, la Chambre sociale d'approuver, dans un arrêt du 1er juillet 2008, le licenciement pour faute grave d'un salarié qui avait violé une interdiction de fumer édictée pour des raisons de sécurité. Mais, les juges hésitent parfois face à la gravité de la sanction encourue (voir un arrêt rendu par la cour d'appel le Paris, 17 juin 2009) : fumer une cigarette dans les toilettes de l'établissement... si cela n'entraîne pas a fortiori un licenciement, cela pose de réelles questions relatives à la dépendance et au respect de soi...

Alors que penser de cette décision du tribunal administratif de Toulouse qui, le 17 mars 2011, prononça l'indemnisation d'une enseignante ayant développé un cancer lié au tabagisme passif subi sur son lieu de travail ?

L'enseignante demandait l'indemnisation des différents préjudices liés au cancer du poumon qu'elle avait développé, estimant que cette pathologie cancéreuse était directement imputable au milieu tabagique dans lequel elle a exercé son métier pendant trente années. A force d'expertises, le tribunal indiquait que l'exposition professionnelle de l'enseignante au tabagisme passif est avérée et que l'adénocarcinome bronchique primitif diagnostiqué avait pour cause principale l'exposition active ou passive à la fumée de tabac. Au final, pour les juges toulousains, il existait bien un lien certain et démontré entre l'exposition passive à la fumée de tabac en milieu professionnel et le risque de développer un cancer bronchique primitif.

Outre le fait qu'une enseignante passe 320 heures sur son lieu professionnel par an, on apprend, théorie de la cause adéquate oblige, que si la durée de l'exposition est essentielle dans la survenue de la pathologie, elle n'est pas, non plus, de nature à remettre en cause ce lien de causalité. La salle des profs tue ! On le savait déjà depuis cette sordide histoire d'un enseignant d'éducation physique qui avait mis fin à ses jours, le 30 avril 2010, en se tirant une balle dans la tête dans la salle des professeurs du collège Haut-de-Penoy à Vandoeuvre-lès-Nancy, en Meurthe-et-Moselle... Mais, c'est désormais à l'Etat qu'il incombe d'assurer son obligation de sécurité de résultat au sein de ses établissements scolaires -profs et élèves dans le même sac-, à la même enseigne que les entreprises privées.

Les premiers articles scientifiques sur le rôle délétère du tabagisme passif datent du milieu des années 1980... Et, si l'on excepte la loi du 10 janvier 1991 de peu d'effet, il aura fallu attendre le 1er février 2007, pour qu'il soit interdit de fumer dans tous les lieux fermés et couverts accueillant du public ou qui constituent des lieux de travail, dans les établissement de santé, dans l'ensemble des transports en commun, et dans toute l'enceinte (y compris les endroits ouverts tels les cours d'écoles) des écoles, collèges et lycées publics et privés, ainsi que des établissements destinés à l'accueil, à la formation ou à l'hébergement des mineurs. Et, ce n'est que depuis le 1er janvier 2008, que cette interdiction est étendue aux débits de boissons, hôtels, restaurants, débits de tabac, casinos, cercles de jeux et discothèques.

25 ans pour que les autorités étatiques réagissent fermement... L'Etat va-t-il, pour autant, subir le revers de son inaction, au regard de la présente jurisprudence ? Si, selon les études scientifiques, on estime entre 3 000 et 5 000 le nombre de non-fumeurs tués par le tabagisme passif par an en France, "seulement" 289 non-fumeurs sont atteints d'une pathologie mortelle du fait de l'usage du tabagisme sur leur lieu de travail... Le ratio, aussi cynique soit-il, pourrait malheureusement conforter l'Etat au regard du principe de précaution... de ses deniers ; lui qui taxe le tabac depuis 1621...

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