La lettre juridique n°437 du 28 avril 2011 : Marchés publics

[Doctrine] La stricte application du périmètre du droit en matière de consultation juridique

Réf. : TA Cergy-Pontoise, 3 février 2011, n° 1100321 (N° Lexbase : A3818HKM)

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par Elsa Bintz Rémond, Avocat à la Cour, Cabinet Danièle Véret

le 28 Avril 2011

L'objectif principal de la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 (N° Lexbase : L7803AIT), modifiant la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques , était d'organiser un accès ouvert aux prestations juridiques, tout en garantissant la qualité des prestations fournies. Si on peut parler de monopole en matière de contentieux (représentation en justice) (1), il en va autrement dans le domaine du conseil juridique. Cette ouverture du droit, voulue par le législateur, profite à un très grand nombre de personnes exerçant des activités professionnelles très variées. Ainsi, la pratique révèle que certains pouvoirs adjudicateurs ou entreprises privées concluent fréquemment des marchés publics ou des contrats privés comportant, principalement, ou non, une prestation de conseil juridique, qui est confiée à des professionnels n'exerçant pas, à titre principal, une activité juridique. De nombreux débats et contentieux se sont, alors, élevés quant à l'interprétation et à l'application du périmètre du droit en matière de conseil juridique. L'ordonnance de référé du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 3 février 2011 s'inscrit donc dans cette mouvance de défense dudit périmètre. La question, en l'espèce, était de savoir si un marché public de prestations de services juridiques pouvait valablement être attribué à une association exerçant une activité professionnelle non réglementée. En l'espèce, un avocat avait répondu à une consultation publique lancée par une commune. Sa candidature ayant été rejetée, il avait déposé une requête devant le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Ce dernier était saisi, dans le cadre de la procédure de référé précontractuel, pour se prononcer sur une demande en annulation de la procédure d'appel d'offres pour manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence par la commune, en raison de l'admission d'une candidature irrégulière d'une association.

Le débat concernait les personnes visées aux articles 54 et 60 de la loi du 31 décembre 1971, et leur habilitation à exercer le droit à titre accessoire en complément de leur activité professionnelle principale. Il s'agissait, dans un premier temps, de qualifier les actes de services juridiques, objet du marché public (I), de vérifier l'habilitation de l'association à exercer la prestation, objet du litige (II) et ce, dans le cadre d'un exercice à titre accessoire (III). Il s'agissait ensuite, dans un second temps, de tirer les conséquences du non-respect du périmètre du droit, tel que défini par la loi du 31 décembre 1971 (IV).

I - La qualification des actes relevant de services juridiques, objet du marché public

La loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, encadre strictement les prestations juridiques en matière de conseil, et, plus précisément, en matière de rédaction d'actes sous seing privé et de consultation juridique. Ainsi, l'article 54 affirme que "nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui [...] s'il n'est titulaire d'une licence en droit ou s'il ne justifie, à défaut, d'une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d'actes en matière juridique qu'il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66". En l'absence de définition légale de ces conseils et écrits juridiques, de nombreuses interrogations se sont posées, auxquelles le ministère de la Justice et les juges, tant de droit privé que de droit public, ont tenté de répondre.

Concernant les actes sous seing privé, le Garde des Sceaux considère qu'il "s'agit d'actes générateurs de droits ou d'obligations" (2). En outre, la consultation juridique doit être entendue comme "[...] toute prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis sur une situation soulevant des difficultés juridiques ainsi que sur la (ou les) voie(s) possible(s) pour les résoudre, concourant, par les éléments qu'elle apporte, à la prise de décision du bénéficiaire de la consultation" (3). Néanmoins, elle "doit être distinguée de l'information à caractère documentaire qui consiste à renseigner un interlocuteur sur l'état du droit ou de la jurisprudence relativement à un problème donné" (4).

Cette distinction reprend l'autorisation reconnue à toute personne, habilitée ou non, pour "la diffusion en matière juridique de renseignements et informations à caractère documentaire" énoncée à l'article 66-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. Ainsi, une consultation juridique requiert une personnalisation du conseil sur la base d'un raisonnement juridique qui est donné à une personne déterminée et qui répond à des questions spécifiques soulevées. Cette dernière définition de la consultation juridique est reprise par la cour d'appel de Lyon dans un arrêt du 5 octobre 2010 : "[...] la consultation juridique peut être définie comme une prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis concourant par les éléments qu'il apporte à la prise de décision du bénéficiaire de la consultation [...] il se distingue de l'information à caractère documentaire qui consiste seulement à renseigner un interlocuteur sur l'état de droit et de la jurisprudence relativement à un problème donné" (5).

Dans l'ordonnance du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 3 février 2011, le juge des référés précontractuels a rejeté l'argumentation de la commune, laquelle estimait que les prestations objet du marché relevaient de l'article 66-1 de la loi de 1971, à savoir des prestations d'information juridique à caractère documentaire et que, dès lors, la réglementation sur la consultation juridique ne s'appliquait pas en l'espèce. Pour ce faire, le juge a analysé les documents de la consultation du marché, lesquels mentionnaient, au titre des prestations à exécuter, "des prestations de permanence juridique" avec "réception en entretien individuel" et le code CPV (6) de "services de conseil juridique".

Le juge des référés a, dès lors, conclu que les actes prévus au marché comprenaient "notamment la délivrance de conseils juridiques personnalisés" et qu'il s'agissait de prestations de consultation juridique. Cette qualification était d'autant plus importante qu'elle emportait l'obligation pour l'attributaire du marché de respecter les habilitations requises pour l'attribution d'un marché comportant l'exercice de tels actes.

II - Les personnes habilitées à fournir des consultations juridiques

Les articles 56 et suivants de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 classent les personnes autorisées à donner des consultations juridiques ou à rédiger des actes sous seing privé en deux catégories principales : les professionnels, dont la consultation juridique ou la rédaction d'actes constituent l'activité principale ; et les personnes exerçant une autre activité professionnelle, réglementée ou non. Au titre des professionnels du droit, la loi énumère les avocats, les avoués, les notaires, les huissiers de justice, les commissaires priseurs, les administrateurs judiciaires et les mandataires liquidateurs (article 56). On retrouve dans la seconde catégorie de personnes autorisées à délivrer des consultations juridiques ou à rédiger des actes sous seing privé, et ce, sous certaines conditions, les professeurs et maîtres de conférence de droit (article 57) et les juristes d'entreprise (article 58), les organismes chargés d'une mission de service public (article 61), les associations (article 63), les syndicats et associations professionnels (article 64), les divers organismes professionnels ou interprofessionnels (article 65).

D'autres professionnels non listés expressément peuvent fournir des consultations et des rédactions d'actes. Il s'agit des personnes exerçant une activité professionnelle réglementée (article 59) ou non, mais justifiant d'une qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé (7) (article 60). La qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public "résulte, en principe, d'un diplôme délivré par l'Etat ou un organisme public sanctionnant une formation spécialisée en vue de l'exercice d'une activité professionnelle non réglementée. Elle peut aussi résulter d'un diplôme sanctionnant une formation spécialisée dispensée par un organisme privé, dès lors que ce diplôme est reconnu par l'Etat" (8).

Par ailleurs, selon les mêmes sources, il faut entendre par "notion d'organisme professionnel" agréé "tout organisme professionnel qui, par une décision d'une autorité de l'Etat ou par l'effet d'une convention passée entre l'Etat et lui, a été habilité à attester ou certifier la qualification professionnelle des personnes exerçant l'activité non réglementée correspondante" (9).

En l'espèce, l'attributaire du marché, à savoir l'association, exerçait, selon le juge, une activité professionnelle non réglementée, pour laquelle elle justifiait d'une qualification reconnue par un organisme public "pour effectuer une mission d'intérêt général consistant à assurer l'accès des femmes à l'information sur leurs droits". Si l'association constituait une personne habilitée à fournir une consultation juridique, cette délivrance ne pouvait se faire que dans le cadre d'un exercice du droit à titre accessoire.

III - La délivrance des consultations juridiques dans le cadre d'un exercice à titre accessoire

L'article 60 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 impose aux personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée des conditions supplémentaires pour l'exercice de la rédaction des consultations et actes sous seing privé. En effet, celles-ci peuvent uniquement, dans les limites de la qualification qui leur a été reconnue, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire nécessaire de cette activité. Ainsi, l'obligation pour ces professionnels d'exercice des actes juridiques, à titre accessoire et en rapport avec leur activité, devrait empêcher l'attribution d'un marché public dont l'objet principal consiste en des prestations de conseils juridiques de domaines variés (10).

Dans son ordonnance du 3 février 2011, le juge des référés précontractuels est parvenu à la même conclusion, puisqu'il considère que l'association ne peut "être candidate à l'attribution d'un marché ayant pour objet principal des prestations de consultation juridique dans tous les domaines juridiques". Il en tire alors les conséquences qui s'imposent.

IV - Les conséquences du non-respect du périmètre du droit de la consultation juridique

Se porter candidat à une procédure de mise en concurrence en méconnaissant le périmètre du droit en matière de consultation juridique, instauré par une loi impérative n° 71-1130 du 31 décembre 1971, constitue une irrégularité. Le juge se verrait donc contraint, en application de l'article 53 III du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2765ICE) de constater que, non seulement le pouvoir adjudicataire n'aurait pas dû choisir un candidat dont l'offre était irrégulière, mais aurait, également, dû l'éliminer automatiquement dès l'ouverture des plis.

L'attribution d'un marché public en l'absence d'habilitation du candidat pour l'exécution des prestations expressément visées dans le marché constitue donc un manquement aux obligations de mise en concurrence, auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs.

En matière de référé précontractuel, le juge administratif, saisi avant la conclusion du marché, devrait prononcer l'annulation de la procédure de mise en concurrence en cause (11) et enjoindre le pouvoir adjudicateur à organiser une nouvelle procédure. De même, lors d'un recours de plein contentieux ou d'un référé contractuel, une telle irrégularité devrait aboutir à la même solution pour manquement essentiel d'une obligation ne pouvant être réparée. En effet, même si d'autres solutions sont mises à la disposition du juge administratif, telle que la contrainte de se conformer à ses obligations ou la suspension de l'exécution, voire la résiliation, lorsque la violation consiste dans un manquement de qualification, impérative selon la loi, seule l'annulation peut être prononcée pour défaut de capacité de l'un des cocontractants.

Dans tous les cas, il appartient au juge administratif, à l'instar du juge judiciaire, de contrôler le respect de la légalité quant à l'exercice de la consultation en matière juridique et de la rédaction des actes sous seing privé, puisqu'il s'agit d'un domaine qui ne peut pas être exercé librement par tout professionnel. Il conviendrait que les personnes chargées de dépouiller les candidatures soient plus vigilantes et qu'elles vérifient systématiquement si les candidats respectent les conditions de capacité en prouvant leur qualification, le cas échéant.

Le contrôle du juge n'étant exercé qu'a posteriori, puisque le juge doit être saisi par les personnes habilitées à engager les recours, à savoir, notamment, "celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué" (12), cela oblige les professionnels du droit, et, notamment, les avocats, à analyser au cas par cas, l'objet exact des marchés et d'agir devant les juridictions concernées pour défendre leurs intérêts, et par voie de conséquence, le respect du périmètre du droit. En l'espèce, dans son ordonnance du 3 février 2011, le juge a fait une stricte application du texte en prononçant l'annulation de la procédure de mise en concurrence lancée par la commune, et a joué, ainsi, parfaitement son rôle de régulateur. Néanmoins, il est étonnant qu'il n'ait condamné la commune qu'au paiement d'une somme des plus modiques (200 euros) au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4), somme dérisoire par rapport au temps nécessaire à l'avocat pour la défense de ses intérêts.


(1) En effet, l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 précise que, "Nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sous réserve des dispositions régissant les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et les avoués près les cours d'appel".
(2) QE n° 19358 de M. Roger Besse, JO Sénat du 2 janvier 1992, p. 13, réponse publ. 28 mai 1992, p. 1225 (N° Lexbase : L9979IPB).
(3) QE n° 24085 de M. Alain Fouché, JO Sénat du 27 juillet 2006, p. 1991, réponse publ. 7 septembre 2006, p. 2356 (N° Lexbase : L9980IPC).
(4) QE n° 24085, précitée.
(5) CA Lyon, 8ème ch., 5 octobre 2010, n° 09/05190 (N° Lexbase : A2588GD9). Voir, également, TA Besançon du 28 février 2008, n° 0600368 (N° Lexbase : A8854D8G), AJDA, 2008, p. 1050 : le prestataire devait "apporter des réponses écrites aux questions posées [...] ainsi, eu égard à son objet même, le marché en litige ne peut être regardé comme ayant pour objet la seule diffusion de renseignements et informations à caractère documentaire, mais bien la consultation juridique au sens de l'article 54 de la loi n° 71-1130". Ce jugement a ensuite été confirmé par un arrêt datant de 2009 (CAA Nancy, 4ème ch., 23 mars 2009, n° 08NC00594 N° Lexbase : A5945EHN).
(6) Le code CPV (vocabulaire Commun Pour les Marchés Publics) est une classification mise en place au niveau européen pour faciliter la saisie des appels à la concurrence et permettre aux entreprises de repérer les appels d'offres qui les concernent.
(7) Entre 80 000 à 100 000 personnes pourraient entrer dans cette catégorie selon le rapport : Réforme de certaines professions judiciaires et juridique, fait au nom de la commission des lois, déposé le 15 janvier 1997.
(8) QE n° 11669 de M. Luc Dejoie, JO Sénat du 29 octobre 1998, p. 3415, réponse publ. 11 mars 1999, p. 791 (N° Lexbase : L9978IPA).
(9) QE n° 11669, précitée.
(10) TA Besançon du 28 février 2008, n° 0600368, confirmé par un arrêt datant de 2009, CAA Nancy, 4ème ch., 23 mars 2009, n° 08NC00594 : la société X "exerce une activité professionnelle non réglementée, pour laquelle elle justifie d'une qualification reconnue par un organisme public [...] elle n'est par suite habilitée par les dispositions précitées des articles 54 et 60 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 qu'à la pratique du droit à titre accessoire de son activité principale [...] elle ne peut dès lors, sans méconnaître ces dispositions légales, être candidate à l'attribution d'un marché ayant pour objet principal des prestations de consultation juridique".
(11) CJA, art. L. 551-2 (N° Lexbase : L1559IEH).
(12) CJA, art. L. 551-10 (N° Lexbase : L1610IED) et L. 551-14 (N° Lexbase : L1603IE4).

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