La lettre juridique n°437 du 28 avril 2011 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Chronique] Chronique de TVA - Avril 2011

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

le 28 Avril 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver la chronique d'actualités en TVA réalisée par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne. A cette occasion, notre auteur revient sur la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, qui a reconnu l'existence d'un principe général d'interdiction des pratiques abusives, et l'a appliqué au domaine de la TVA. La première décision commentée dans cette chronique vient préciser l'application de ce principe (CJUE, 22 décembre 2010, C-103/09). La deuxième décision concerne plus particulièrement le droit à déduction dans le cas particulier de divergence de législation entre deux Etats membres (CJUE, 22 décembre 2010, C-277/09). Enfin, le dernier arrêt commenté est relatif au critère de distorsion de concurrence en cas de non assujettissement des personnes morales de droit public à la TVA ; décision issue du Conseil d'Etat aux termes de laquelle il fait sienne la position de la CJUE (CE 9° et 10° s-s-r., 23 décembre 2010, n° 307856, publié au recueil Lebon).
  • Notion de pratique abusive et opérations de crédit-bail mises en oeuvre par un groupe d'entreprises en vue d'échelonner le paiement de la TVA (CJUE, 22 décembre 2010, C-103/09 N° Lexbase : A7084GNP)

Dans cette affaire, les faits sont les suivants : un groupe fournit à titre principal des services d'assurances exonérés de TVA. Dans ce groupe se trouvent une filiale et deux sous-filiales. Deux de ces sociétés ont un taux de récupération de la TVA payée en amont d'environ 1 % ; dès lors, elles ne peuvent déduire que 1 % de la TVA grevant l'achat des équipements. L'activité principale de la troisième société est d'acquérir des actifs et de les donner ensuite en crédit-bail. Une société détenue par le consultant en TVA du groupe, sans pour autant faire partie de ce groupe. La seule activité de cette société consiste à louer des actifs à l'une des sous-filiales et à les sous-louer ensuite à la filiale et l'autre sous-filiale.

L'ensemble de ces opérations avait pour objectif d'échelonner le paiement de la TVA afin de différer la charge fiscale. En effet, grâce à ce montage, les sociétés du groupe ne supportaient pas le coût de la TVA non déductible sur le montant total des équipements, mais sur le montant des loyers des équipements réparti sur la durée des contrats de crédit-bail. Ainsi, ce montage ne permet pas de diminuer la charge fiscale mais de la différer. La question est de savoir si ce montage constitue une pratique abusive telle qu'elle a été définie en matière de TVA par la Cour de justice.

Dans un premier temps, l'administration fiscale du Royaume-Uni a rejeté la demande d'une des filiales qui visait à déduire la TVA payée en amont sur les biens livrés durant la période d'octobre 2000 à octobre 2004. Selon elle, ces opérations ne constituaient pas une activité économique et présentaient un caractère abusif. Prenant en compte l'arrêt "Halifax" (1), elle a renoncé à prétendre que ces opérations ne comportaient pas le caractère d'activité économique, mais elle a continué à soutenir qu'elles constituaient une pratique abusive.

Par un jugement en date du 7 février 2007, le VAT et Duties Tribunal a décidé que l'objectif principal de ces opérations était de différer la charge de TVA et que cet avantage n'était pas contraire à l'objectif des dispositions communautaires. L'administration fiscale britannique a fait appel de cette décision. La juridiction d'appel a rejeté la demande de l'administration et confirmé la décision du VAT et Duties Tribunal. L'administration a déposé un recours contre cette décision rendue en appel devant la High Court of Justice.

Cette dernière a décidé de poser les questions préjudicielles dont les plus importantes sont les suivantes. D'une part, le fait qu'une entreprise largement non assujettie à la TVA opte pour une structure de crédit-bail impliquant un tiers plutôt que pour une acquisition directe crée-t-il "un avantage fiscal contraire aux objectifs poursuivis par la 6ème Directive (Directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme N° Lexbase : L9279AU9), au sens du point 74 de l'arrêt 'Halifax' ?" (2). D'autre part, la prise en crédit-bail d'actifs par des entreprises non assujetties, ou partiellement non assujetties, au regard des décisions "Halifax" (3), "Part Service Srl" (4) et "Ampliscientifica et Amplifin" (5), constitue-t-elle un abus de droit de la part de ces entreprises, alors que, dans le cadre de leurs transactions commerciales normales, elles ne se livrent pas à des opérations de crédit-bail.

Selon les trois décisions citées dans la question préjudicielle, l'existence d'une pratique abusive est avérée si deux conditions cumulatives sont réunies. La première est relative au fait que les opérations en cause, malgré l'application formelle des dispositions communautaires en matière de TVA et de la législation nationale transposant ces dispositions, doivent avoir pour résultat l'obtention d'un avantage fiscal dont l'octroi serait contraire à l'objectif de ces dispositions. La seconde condition concerne l'existence d'un ensemble d'éléments de nature à démontrer que l'obtention de l'avantage fiscal constitue le but essentiel des opérations en cause. Dans la décision commentée, la Cour de justice confirme la nécessité de réunir ces deux conditions (6).

Dans cette affaire, la question principale est de savoir si la mise en oeuvre des opérations de crédit-bail en impliquant une société tierce, plutôt que d'acquérir directement des actifs, avait pour but essentiel l'obtention d'un avantage fiscal -en l'espèce l'échelonnement du paiement de la TVA venant grever l'achat des équipements-, avantage qui aurait été contraire à l'objectif poursuivi par les dispositions de la 6ème Directive.

La CJUE a jugé que le recours au crédit-bail par une entreprise non assujettie ou partiellement non assujettie en lui permettant d'étaler sur la durée du contrat la charge de TVA ne constituait pas une pratique abusive. En effet, que l'entreprise loue ou achète un équipement n'a pas de conséquence sur le montant de la TVA qu'elle pourra ou non déduire. En l'espèce, il s'agit d'un avantage au point de vue de la trésorerie de l'entreprise. Par ailleurs, le droit communautaire organise la soumission à la TVA des opérations de crédit-bail. Dès lors, le choix du contrat de crédit-bail plutôt que celui de l'achat direct ne peut être considéré comme contraire à l'objectif poursuivi par la 6ème Directive, elle-même organisant le régime de la TVA en matière de crédit-bail.

Selon la Cour de justice, les deux éléments qui dans cette affaire auraient pu être susceptibles d'être pris en compte au titre des pratiques abusives sont, d'une part, la minoration des loyers et, d'autre part, l'implication d'une société tierce de nature à empêcher l'administration fiscale britannique de pouvoir calculer la valeurs des loyers en cause (pt. 45).

Dans la décision "Halifax", la CJCE avait affirmé que "lorsque l'assujetti a le choix entre deux opérations, la 6ème Directive ne lui impose pas de choisir celle qui implique le paiement du montant de TVA le plus élevé. Au contraire, [...] l'assujetti a le droit de choisir la structure de son activité de manière à limiter sa dette fiscale" (7). Dans l'affaire commentée, la solution de la CJUE s'inscrit dans la perspective de la jurisprudence "Halifax" qui reconnaît le "droit du contribuable à l'optimisation fiscale" (8). D'autant plus que l'optimisation fiscale réalisée n'a pas pour conséquence une baisse de charge de la TVA mais un simple échelonnement. S'il est admis que le contribuable puisse limiter sa dette fiscale -qui peut le plus, peut le moins-, il peut, aussi, à tout le moins, la fractionner.

S'agissant de la question relative à la pertinence de la notion de "transactions commerciales normales", la CJUE répond de manière brève et claire que "l'existence d'une pratique abusive résulte non pas de la nature des transactions commerciales auxquelles l'auteur des opérations en cause se livre normalement, mais de l'objet, de la finalité et des effets de ces opérations" (9). Le juge communautaire affirme ainsi le caractère objectif des opérations qui peuvent être constitutives de pratiques abusives. Pour rappel, cette notion est présente dans la décision "Halifax" (10) ainsi que la décision "Ampliscientifica et Amplifin" (11), mais elle n'apparaît pas dans l'arrêt "Part Service Srl" (12). Il semble peu aisé de définir cette notion. Les conclusions de l'Avocat général invitent à prendre en considération "la nature objective de l'opération plutôt que la motivation subjective du contribuable" (13). Le caractère objectif est aussi un gage de sécurité juridique en évitant de donner à l'administration un pouvoir d'appréciation trop large car trop subjectif (14).

  • Droit à déduction et acquisition de véhicules et utilisation pour des opérations de leasing - divergences entre deux systèmes fiscaux d'Etats membres (CJUE, 22 décembre 2010, C-277/09 N° Lexbase : A7097GN8)

Les faits de cette décision sont relativement complexes. La société est établie en Allemagne, elle ne possède pas d'établissement au Royaume-Uni, mais y est immatriculée en tant qu'assujettie à la TVA non établie. Elle assure le financement du leasing d'une société qui a son siège au Royaume-Uni, par plusieurs accords en date du 28 mars 2001.

Dans un premier temps, la société achète des véhicules de tourisme à une société filiale d'un groupe britannique. Ensuite, les sociétés ont conclu un autre accord avec option de vente pour ces véhicules ; la société ayant le droit de contraindre à racheter les véhicules. Enfin, la société allemande, en tant que bailleur, a conclu un contrat de bail avec la société britannique, en qualité de preneur, pour ces mêmes véhicules. A la fin du contrat, la société britannique devait verser à la société allemande la valeur résiduelle des véhicules. Entre le 28 mars 2001 et le 29 août 2002, la société allemande a facturé la location de ces véhicules à la société britannique sans faire apparaître de TVA.

Le 29 août 2002, la société allemande a cédé les contrats de location à une filiale allemande de la Royal Bank of Scotland, qui a facturé à la société britannique le montant des redevances pour la période du 29 août 2002 au 27 juin 2004, toujours sans mentionner de TVA. Enfin, la filiale allemande de la banque, venant aux droits de la société allemande, a exercé l'option de vente auprès de la société britannique qui a dû racheter ces voitures, opération qui a été soumise à TVA facturée par la filiale allemande de la banque.

Ces opérations avaient pour résultat l'absence de taxation des redevances de leasing. En effet, ces redevances ne sont pas imposables à la TVA selon le droit britannique car ce sont des prestations de services soumises au régime allemand, Etat dans lequel le prestataire, la société allemande, avait son siège. En revanche, pour le droit allemand, ces opérations sont considérées comme des livraisons de biens, dès lors elles sont taxables au Royaume-Uni, Etat de livraison des biens. Enfin, la TVA a été acquittée sur le montant de la vente des véhicules au Royaume-Uni.

La société allemande a demandé à l'administration fiscale britannique la déduction intégrale de la TVA qui lui avait été facturée en amont par la société britannique lors de l'achat des véhicules en se fondant sur l'application de l'article 17, § 3, a de la 6ème Directive. Selon cette disposition, l'assujetti peut déduire -ou obtenir le remboursement- dans la mesure où les biens et services pour lesquels la TVA a été payée en amont sont utilisés pour des activités économiques imposables effectuées à l'étranger qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations avaient été réalisées dans le même Etat membre.

Or, selon l'administration fiscale, la taxe versée en amont ne pouvait être déduite ou remboursée si aucune taxe n'avait été facturée en aval. De plus, la société allemande aurait mis en oeuvre un montage ayant pour but essentiel l'obtention d'un avantage fiscal contraire aux objectifs de la Directive et donc se serait livrée à une pratique abusive.

Ce sont ces deux points qui ont été principalement soulevés dans le cadre des questions préjudicielles. D'une part, à savoir si par l'article 17, § 3, a de la 6ème Directive autorise un Etat membre à refuser à un assujetti la déduction de la TVA acquittée en amont sur l'acquisition de biens dans cet Etat, lorsque ces biens ont été utilisés pour des opérations de leasing réalisées dans un autre Etat membre, opérations effectuées en aval et qui n'ont pas été assujetties à la TVA dans le second Etat membre. D'autre part, si en cas de réponse négative à la précédente question, il y aurait lieu d'examiner si le principe d'interdiction des pratiques abusives serait applicable au regard du montage juridique.

La première question présente un intérêt sensible quant au droit à déduction. En effet, selon la Cour de justice "la logique du système mis en place par la 6ème Directive [...] la déduction des taxes en amont est liée à la perception des taxes en aval" (15). Cependant, dans la décision commentée, l'application du droit à déduction dans une perspective du respect du principe de neutralité fiscale (16) n'est pas aussi simple.

Déjà, il faut noter que le montage juridique en cause n'est possible que du fait d'une divergence dans l'application de la 6ème Directive. En effet, le droit allemand et le droit britannique qualifient différemment une même opération -le paiement de redevance de leasing- pour le premier il s'agit d'une livraison de biens alors que pour le second c'est une prestation de services.

Par ailleurs, l'article 17, § 3, a de la 6ème Directive implique que, si le droit à déduction existe dans un Etat membre, il puisse s'appliquer à des opérations dont la TVA a été payée en amont dans un autre Etat membre, comme si ces opérations avaient été réalisées dans le même Etat membre. Pour la Cour, cette disposition ne permet pas de prendre en considération le fait que la TVA en aval ait été payée ou non. Le droit à déduction dépend uniquement de la question de savoir si les opérations en cause ouvraient droit à déduction dans l'Etat membre de déduction, même si la TVA d'amont n'avait pas été payée dans l'autre Etat. En l'espèce, cette solution s'impose d'autant plus que l'absence de paiement de la TVA d'aval est la conséquence de la divergence entre les législations des Etats membres.

Sur la notion de pratique abusive, cette décision vient confirmer la jurisprudence "Halifax". La CJUE rappelle (pt. 49) les deux conditions cumulatives qui doivent être réunies pour la notion de pratique abusive puisse être retenue (17). Ainsi, elle relève que les opérations ont été réalisées dans le cadre d'une activité économique réelle. Une des conditions n'étant pas remplie, le principe d'interdiction des pratiques abusives ne trouvait pas à s'appliquer.

  • Assujettissement à la TVA du droit d'accès à une plage gérée, sans but lucratif, par une commune au regard d'une distorsion de concurrence (CE 9° et 10 ° s-s-r., 23 décembre 2010, n° 307856, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6974GNM)

Cette décision présente l'intérêt de la nouveauté car, à notre connaissance, la Haute juridiction administrative ne s'est jamais encore prononcée sur la question relative au critère de la distorsion de concurrence dans le cadre de l'article 256 B du CGI (N° Lexbase : L5161HLQ).

L'article 256 du CGI (N° Lexbase : L5148HLA) énonce que les prestations de services et les livraisons de biens sont soumises à TVA si elles sont effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. L'article 256 A du CGI (N° Lexbase : L5157HLL) définit la notion d'assujetti au regard de l'exercice d'une activité économique. Le principe qui ressort de ces dispositions est l'imposition à la TVA de toutes les prestations de services effectuées à titre onéreux. Cependant, le premier alinéa de l'article 256 B du CGI indique qu'il existe une exception : "les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n'entraîne pas de distorsion dans les conditions de la concurrence". Le second alinéa énonce une série d'opérations qui, même effectuées par des personnes morales de droit public, sont néanmoins assujetties à la TVA. Hormis la liste définie au second alinéa, il ressort de cette disposition qu'a priori les collectivités territoriales ne sont pas assujetties à la TVA sauf en cas de distorsion de concurrence.

Précisément, dans l'affaire soumise au Conseil d'Etat, il s'agissait de savoir si le droit d'accès à une plage perçu par une commune devait ou non être assujettie à la TVA. Cette commune a réalisé, sur une plage naturelle du lac d'Annecy, différents travaux d'aménagement. Notamment, elle a mis en place des installations dont elle effectue la surveillance ainsi que le nettoyage. En contrepartie, elle réclame aux usagers un droit d'accès à ces installations durant la période estivale. Dans le cadre d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a considéré que cette activité devait être assujettie à la TVA par application des dispositions de l'article 256 B du CGI. En conséquence, elle a procédé à un redressement pour la période du 1er janvier 1997 au 31 décembre 1999 (18). Par un jugement en date du 4 décembre 2003, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de la commune en vue de la décharger de ces impositions. La cour administrative d'appel de Lyon a confirmé la décision des juges du tribunal (CAA Lyon, 2ème ch., 7 juin 2007, n° 04LY00124 N° Lexbase : A9059DWG).

Il faut noter ici que la rédaction communautaire diffère de celle adoptée par le législateur français. En effet, l'article 4 § 5 de la 6ème Directive 77/388 /CEE, devenu l'article 13 de la Directive 2006/112/CE (Directive 2006/112 du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée N° Lexbase : L7664HTZ) dispose que le non-assujettissement à la TVA des organismes de droit public, agissant en qualité d'autorités publiques, est la règle. Par exception à cette règle, le deuxième alinéa prévoit que ces organismes doivent néanmoins s'acquitter de la TVA dès que le non-assujettissement des activités conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance. Enfin, le troisième alinéa détermine une liste d'activités pour lesquelles les organismes de droit public, même s'ils exercent ces activités en tant qu'autorités publiques, seront toujours soumis à TVA.

Cependant, cette différence ne posait pas de difficultés particulières car la CJUE avait décidé "qu'il incombait à chaque Etat membre de choisir la technique normative appropriée pour transposer dans son droit la règle de non-assujettissement établie par cette disposition" (19). Ainsi, la CJUE ne rentrait pas dans le débat de décider de la question de l'assujettissement ou non des personnes morales de droit public. Il appartenait aux autorités nationales d'apprécier le champ d'application des dispositions communautaires. C'était le juge national qui appréciait les circonstances de chaque espèce, afin de savoir s'il existait ou non une distorsion de concurrence (20).

La CJUE a sensiblement modifié sa jurisprudence en la matière par un arrêt en date du 16 septembre 2008 (21), rendu en formation solennelle. Par cette décision, le juge communautaire a décidé que la notion de distorsion de concurrence devait être appréciée au regard de l'activité exercée en tant que telle. La Cour a, ainsi, fait prévaloir l'approche fiscale sur la perspective concurrentielle. En effet, le principe est l'assujettissement à la TVA de toutes les activités économiques, l'exception prévue pour les organismes de droit public agissant en tant qu'autorités publiques doit être interprétée de manière stricte afin de respecter le principe de neutralité fiscale.

La dérogation à l'assujettissement à la TVA de certaines activités exercées, par des organismes publics en tant qu'autorité publique, repose sur la "présomption faible selon laquelle ces activités de nature essentiellement réglementaires liées à l'usage de prérogatives de puissance publique. Dans ces conditions, le non-assujettissement à la TVA de ces activités n'a potentiellement pas d'effet anticoncurrentiel avec celles exercées par le secteur privé, dès lors qu'elles sont généralement assumées à titre exclusif ou quasi exclusif par le secteur public" (22). Mais, comme l'indique l'Avocat général, cette présomption est faible, car dès qu'une activité peut être exercée aussi par le secteur privé, son non-assujettissement peut avoir pour effet une distorsion de concurrence. Dès lors, l'absence d'assujettissement aurait pour conséquence de remettre en cause le principe de neutralité fiscale.

L'appréciation de la distorsion de concurrence se fait sur le seul critère de l'activité, sans qu'il soit nécessaire de se référer à la notion de marchés locaux pertinents (23). Le principe de neutralité fiscale impose que des opérations de même nature soient soumises aux mêmes règles de TVA (24). Cette solution permet, aussi, de garantir la sécurité juridique des opérateurs "lesquels, en cas de référence au marché local seraient, dans la mesure où l'exercice concret des activités économiques évolue constamment, exposés au risque de modification de leur régime de TVA" (25). De même, l'appréciation de la distorsion de concurrence est réalisée non seulement en prenant en considération la concurrence réelle, mais aussi la concurrence potentielle qui existe dès lors qu'un opérateur privé a la possibilité d'entrer sur le marché.

Par cette décision, les juges de la Haute juridiction administrative ont pris acte du changement de la jurisprudence de la CJUE quant à l'appréciation de la distorsion de concurrence pouvant intervenir en cas de non-assujettissement de certaines activités des personnes morales publiques. Il apparaît qu'à partir de cette décision le domaine des activités non assujetties à la TVA va considérablement se réduire, car dès que ces activités pourront être exercées par d'autres opérateurs -publics ou privés- la distorsion de concurrence sera présumée en cas de non-assujettissement. On ne peut que conseiller aux organismes publics d'examiner le régime de TVA de leurs activités à la lumière de cette nouvelle jurisprudence.


(1) CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02 (N° Lexbase : A0045DNY).
(2) CJCE, 21 février 2006, op. cit., pt. 24.
(3) CJCE, 21 février 2006, op. cit.
(4) CJCE, 21 février 2008, aff. C-425/06 (N° Lexbase : A0006D7D).
(5) CJCE, 22 mai 2008, aff. C-126/07 (N° Lexbase : A6664D8C).
(6) Pts. 28, 29 et 30.
(7) CJCE, 21 février 2006, op. cit., pts. 72 et 73.
(8) Olivier Fouquet, Interprétation française et interprétation européenne de l'abus de droit, RJF, 5/06, pp. 383-385, p. 384.
(9) Pt. 44.
(10) CJCE, 21 février 2006, op. cit., pt. 69.
(11) CJCE, 22 mai 2008, op. cit., pts. 27 et 28.
(12) CJCE, 21 février 2008, op. cit.
(13) Conclusions de l'Avocat général, Mazak Jan, présentées le 26 octobre 2010, pt. 33.
(14) Sur un raisonnement similaire mais portant sur la définition des opérations ayant pour but essentiel l'obtention d'un avantage fiscal, cf. Olivier Fouquet, op. cit. p. 384.
(15) CJCE, 30 mars 2006, aff. C-184/04, pt. 24 (N° Lexbase : A8302DNS).
(16) CJCE, 10 juillet 2008, aff. C-25/07, pt. 14 (N° Lexbase : A5465D9B).
(17) Sur ces deux conditions, lire, dans cette chronique, le commentaire de l'arrêt CJUE, 22 décembre 2010, aff. C-103/09.
(18) Faits établis dans l'arrêt CAA Lyon, 2ème ch., 7 juin 2007, n° 04LY00124.
(19) CJCE, 17 octobre 1989, aff. C-231/87 et aff. C-129/88, pt. 19 (N° Lexbase : A7343AHG).
(20) CJCE, 8 juin 2006, aff. C-430/04 (N° Lexbase : A7835DPU).
(21) CJCE, 16 septembre 2008, aff. C-288/07 (N° Lexbase : A3602EAN).
(22) Conclusions de l'Avocat général, Poiares Maduro, présentées le 12 juin 2008, CJCE, 16 septembre 2008, aff. C-288/07, op. cit., pt. 31.
(23) CJCE, 16 septembre 2008, op. cit., pt. 40.
(24) CJCE, 7 septembre 1999, aff. C-216/97, pt. 20 (N° Lexbase : A0499AWE).
(25) Yolande Serandour, TVA : chronique de l'année 2008, L'année fiscale 2008, Droit fiscal, 2009, n° 9, comm. 214, p. 49-60.

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