La lettre juridique n°243 du 11 janvier 2007 : Bancaire

[Jurisprudence] Du caractère exprès du consentement exigé par l'article 1415 du Code civil

Réf. : Cass. civ. 1, 28 novembre 2006, n° 04-19.725, M. Patrick Goalic, F-P+B (N° Lexbase : A7715DSK)

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le 07 Octobre 2010

L'article 1415 du Code civil (N° Lexbase : L1546ABU), aux termes duquel "chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint qui, dans ce cas, n'engage pas ses biens propres", continue d'alimenter le contentieux. Dans le contexte d'une jurisprudence déjà bien fournie en la matière, et en venant encore préciser les conditions auxquelles doit satisfaire le banquier souhaitant poursuivre le paiement de sa créance sur les biens communs, l'arrêt du 28 novembre 2006 de la première chambre civile de la Cour de cassation retiendra certainement l'attention. Condamnée, désormais, à mieux formaliser le consentement du conjoint, la pratique bancaire ne devrait en tous cas pas y être insensible.

En l'espèce, une banque consent un prêt en faisant signer l'acte au seul conjoint emprunteur, après avoir fait remplir et signer à son épouse une "fiche de renseignements" mentionnant l'état civil, les revenus et le patrimoine des deux époux. A la suite de la défaillance de l'emprunteur, le prêteur est autorisé à prendre une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur un immeuble commun. Les époux réclament alors la mainlevée, mais leur demande est rejetée par les juges du fond qui estiment qu'en signant une fiche de renseignements l'épouse a manifesté, sinon son acceptation personnelle du prêt, du moins son consentement à la souscription de celui-ci par son mari.

Les juges du second degré sont, cependant, censurés par les juges de cassation. Plus exactement, pour s'être abstenus de "caractériser en quoi la signature de cette fiche de renseignements par [l'épouse] démontrait son consentement exprès à l'emprunt souscrit par son mari envers le prêteur". En d'autres termes, une fiche de renseignements ne saurait caractériser le consentement exprès exigé par l'article 1415 du Code civil.

Par cet arrêt, la première chambre civile s'inscrit dans la droite ligne d'une jurisprudence déjà bien déterminée à protéger la communauté. On pense, notamment, à celle décidant qu'une "parfaite connaissance des opérations effectuées" par le conjoint ne peut valoir consentement exprès (1) . Ou encore, à celle retenant que les époux communs en biens qui se portent cautions solidaires par actes séparés en garantie d'une même dette, n'engagent valablement leurs biens communs qu'en cas d'approbation de tels actes (2). C'est sans doute aussi par souci de protection que la jurisprudence a parfois une lecture extensive de l'article 1415. En décidant d'abord qu'il devait s'appliquer à l'aval d'un billet à ordre (3). Puis, plus récemment, qu'il était "applicable à la garantie à première demande qui, comme le cautionnement, est une sûreté personnelle, laquelle [...] est [...] de nature à appauvrir le patrimoine de la communauté" (4).

La conséquence pour la banque est importante, car, à défaut de consentement exprès du conjoint à l'engagement de caution de l'autre, le banquier ne pourra pas prendre d'inscription hypothécaire sur un immeuble commun aux deux époux au moment de l'engagement du mari (5).

Cela étant, le domaine d'application de l'article 1415 n'est pas sans limite. En visant un cautionnement ou un emprunt, le texte ne concerne que les engagements personnels. La jurisprudence d'abord hésitante (6), a ainsi, depuis un arrêt de la chambre mixte, finalement décidé "qu'une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'implique aucun engagement personnel et n'est pas un cautionnement, lequel ne se présume pas" : le cautionnement réel n'entre donc plus dans le champ d'application de l'article 1415 du Code civil (7). Ce dernier n'est conséquemment pas applicable au nantissement de titres (8), ni au nantissement de contrat d'assurance-vie (9). La gêne pour le conjoint est, cependant, assez relative depuis l'ordonnance du 23 mars 2006 (10) disposant que les époux ne peuvent, l'un sans l'autre, affecter l'un des biens de la communauté à "la garantie de la dette d'un tiers" (11).

La jurisprudence a, également, été amenée à préciser que l'article 1415 du Code civil n'était pas applicable à l'époux qui ne s'est pas engagé en qualité de caution, mais uniquement comme associé d'une société en nom collectif (12). Le contrat de société civile, qui fait naître à la charge de l'associé une obligation subsidiaire de répondre indéfiniment des dettes sociales à proportion de sa part dans le capital, ne saurait davantage être assimilé à un acte de cautionnement (13).

Evidemment, lorsque la protection est inutile, parce que le consentement du conjoint ne peut être surpris, l'article 1415 du Code civil n'a plus lieu de s'appliquer. C'est le cas lorsque chacun des époux se constitue caution, pour la garantie d'une même dette, en apposant une mention identique sur chaque acte de prêt consenti à la société qu'ils dirigent tous les deux (14). L'article 1415 du Code civil s'efface, en effet, devant l'article 1413 (N° Lexbase : L1544ABS) permettant de poursuivre sur les biens communs les dettes dont chaque époux est tenu (15).

L'arrêt du 28 novembre 2006 vient, ici, sanctionner le banquier pour avoir sollicité le conjoint sous une forme équivoque. Mais le formalisme de l'article 1415 qu'il sous-tend ne doit pas pour autant être exagérément entendu. Il ne fait que rappeler l'exigence légale du caractère exprès du consentement. La question s'est d'ailleurs déjà posée de savoir sous quelle forme ce consentement devait être donné. Notamment, si une forme manuscrite était exigée. A la suite de la doctrine (16), et des juges du fond (17), la cour de cassation a décidé que "le consentement donné par un époux au cautionnement contracté par son conjoint n'est pas soumis aux exigences [de l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L1437ABT)]" (18). La forme manuscrite n'est donc pas légalement exigée. Pour les mêmes raisons, l'article 1415 n'est pas susceptible de justifier l'application de l'article 1326 lorsque le conjoint s'engage par un emprunt. Une formule du type "bon pour accord" (19), "bon pour consentement aux engagements ci-dessus" (20), ou toute autre rédaction équivalente est suffisante pour répondre à la seule condition posée d'un consentement exprès. L'habitude de certaines banques, de recueillir encore le consentement manuscrit du conjoint, sur le modèle de l'article 1326 du Code civil, n'est donc pas fondée.

On rappellera qu'en cas de doute, et suivant l'adage "qui vend le pot, vend le mot", l'interprétation doit jouer en faveur du conjoint, c'est-à-dire contre le professionnel du crédit. Dans une espèce où la formulation employée pouvait aussi bien s'entendre d'un engagement en qualité de co-emprunteur, que d'un consentement conjoint au titre de l'article 1415 du Code civil, le banquier ne fut, ainsi, pas admis à prendre une inscription sur les biens propres du conjoint. Pour les Hauts magistrats, l'indication manuscrite du montant du prêt pouvait s'interpréter comme la limite dans laquelle pouvaient s'exercer les poursuites éventuelles sur les biens communs (21). La seule ambiguïté de la formule ne peut d'ailleurs caractériser la faute du client ; le banquier, "professionnel du crédit, ne [pouvant] reprocher à un non professionnel de n'avoir pas spontanément fait précéder sa signature de la mention 'bon pour accord en qualité d'épouse commune en biens dans les termes de l'article 1415 du Code civil' ou [d'] une formule équivalente" (22).

En mettant un terme à l'intervention équivoque d'un époux, dont le consentement n'est pas clairement sollicité ni établi, la solution posée par l'arrêt du 28 novembre 2006 est à approuver. Elle rétablit le caractère protecteur d'une disposition conçue pour préserver la communauté, et par voie de conséquence, le conjoint de celui qui s'engage. Notamment, en lui permettant de prendre véritablement conscience du risque que fait peser sur les biens communs, les engagements personnels pris par son conjoint. On peut comprendre dès lors qu'une fiche de renseignements ne puisse manifester cela ; ni la connaissance de l'engagement, ni son approbation tacite ne pouvant sérieusement répondre à l'exigence posée d'un consentement exprès.

Richard Routier
Agrégé des Facultés de droit


(1) Cass. civ. 1, 17 février 1998, n° 96-12.763, Bignon c/ Société Arcofinance (N° Lexbase : A2224ACD), Bull. civ. I, n° 63 ; Gaz. Pal. 1999, 1. Somm. p. 122, obs. S. Piedelièvre ; RTD civ. 1998, p. 659, obs. J. Hauser et p. 967, obs. B. Vareille.
(2) Cass. civ. 1, 8 mars 2005, n° 01-12.734, Epoux X c/ Banque générale du commerce (N° Lexbase : A2439DHS), Bull. civ. I, n° 115.
(3) Cass. com., 4 février 1997, n° 94-19.908, Epoux Gransart c/ Société générale (N° Lexbase : A1547ACB), Bull. civ. IV, n° 39. F. Jacob et N. Rontchevsky, L'application de l'article 1415 du Code civil aux garanties, Mélanges AEDBF III, éd. Banque 2001, p. 197.
(4) Cass. civ. 1, 20 juin 2006, n° 04-11.037, Société Socopa International Socinter c/ Epoux Weinstein et a., FS-P+B+I (N° Lexbase : A9601DPB), et les obs. de Géraud Mégret, L'article 1415 du Code civil est applicable à la garantie autonome, Lexbase Hebdo n° 224 du 20 juillet 2006 - édition affaires ; RJPF, sept 2006, p. 19 obs. F. Vauville ; JCP éd. G, 2006, II 10141, note S. Piedelièvre ; Dr. Famille, septembre 2006, comm. n° 168, obs. B. Beigner ; LPA 29 août 2006, p. 10, note S. Prigent ; Bull. Joly Sociétés 2006, p. 1389, note H. Lécuyer.
(5) Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 03-12.180, Y c/ Banque Scalbert Dupont (N° Lexbase : A7411DL3), Bull. civ. I, n° 427 ; Defrénois 2006, p. 514, obs. S. Piedelièvre.
(6) Cass. civ. 1, 11 avril 1995, n° 93-13.629, Brown c/ Banque Scalbert-Dupont (N° Lexbase : A4961ACQ), Bull. civ. I, n° 165, Defrénois 1995, 36214, n° 10, obs. crit. G. Champenois ; Dr et patr. n° 81, avril 2000, p. 34, note Y. Picod. Cass. civ. 1, 15 mai 2002, n° 00-15.298, BNP Paribas c/ Abihssira, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6550AYA) Bull. civ. I n° 127, et n° 00-13.527, BNP Paribas c/ Deliry, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6550AYA), Bull. civ. I n° 128 ; D. 2002, Jur. p. 1780, note C. Barberot et somm. p. 3337, note L. Aynès ; RTD civ. 2002, p. 546, note P. Crocq ; RJPF septembre 2002, n° 9, p. 13, note F. Vauville ; JCP éd. G, 2002, p. 1299 concl. C. Petit, et éd. N, 2002, p. 1737, note S. Piedelievre ; Defrénois 2002, 37611, n° 83, obs. G. Champenois, 37604, chr. J. François, et 37691, n° 23, obs. P. Théry ; RTD civ. 2002, p. 46, note P. Crocq ; Banque et droit n° 86, novembre-décembre 2002, obs. F. Jacob. J. Devèze, L'article 1415 du Code civil et le cautionnement réel, Bull. Joly Sociétés 2002, p. 871.
(7) Cass. mixte, 2 décembre 2005, n° 03-18.210, Boudaud c/ BNP Paribas (N° Lexbase : A9389DLC), Bull. mixte, n° 7 ; D. 2006, jur. p. 733, note L. Aynès ; Dr. Famille, 2005-02, n° 2, études, 13, p. 10, obs. B. Beignier.
(8) Cass. mixte, 2 décembre 2005, préc.
(9) Cass. civ. 1, 28 février 2006, n° 02-10.602, X c/ Caisse de Crédit mutuel océan (N° Lexbase : A4048DNA), Bull. civ. I, n° 102.
(10) Ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés (N° Lexbase : L8127HHH), art. 50 II.
(11) C. civ., art. 1422, al. 2 nouv. (N° Lexbase : L1370HIL).
(12) Cass. civ. 1, 17 janvier 2006, n° 03-11.461, Epoux X c/ Banque de l'économie, du commerce et de la monétique (N° Lexbase : A3951DMB), Bull. civ. I, n° 14.
(13) Cass. civ. 1, 17 janvier 2006, n° 02-16.595, Crédit industriel et commercial c/ Epoux X (N° Lexbase : A3942DMX), Bull. civ. I, n° 15.
(14) Cass. civ. 1, 13 octobre 1999, n° 96-19.126, Epoux Bernard c/ CRCAM du Finistère (N° Lexbase : A3807AUK), Bull. civ. I, n° 273, JCP éd. G, 2000, p. 866, et éd. E, 2000, p. 1137, note J. Casey ; Contrats, conc. consom. 2000, n° 2, p. 8, note L. Leveneur ; Defrénois, 2000, n° 12, p. 784, note G. Champenois.
(15) R. Cabrillac, L'emprunt ou le cautionnement dans le passif de la communauté légale, Dr. et patr., mai 2003, p. 72.
(16) C. Mouly, La mention manuscrite du conjoint, JCP éd. G 1995, I, 3836.
(17) TGI Lyon, JEX, 7 novembre 1995, Epoux Perez c/ Banque Populaire de Lyon, D. 1996. p. 270, note J. Prévault ; JCP éd. N, 1996, II. 1769, note S. Piedelièvre.
(18) Cass. civ. 1, 13 novembre 1996, n° 94-12.304, Crédit industriel et commercial de Paris c/ Boulay (N° Lexbase : A9676ABY), Bull. civ. I, n° 392; Contrats conc. consom. 1997, n° 41, p. 6, note L. Leveneur ; D. 1997. Somm. p. 163, 1ère esp., obs. L. Aynès ; D. 1998. Somm. p. 135, obs. V. Brémond ; JCP éd. N, 1997, p. 1081, note L. Leveneur et 1998, p. 813, obs. R. Le Guidec ; Defrénois 1997, p. 812, obs. G. Champenois ; RTD civ. 1997, p. 729, obs. B. Vareille.
(19) Cass. civ. 1, 13 novembre 1996, n° 94-12.304, préc.
(20) Cass. civ. 1, 4 juin 1996, n° 93-13.870, X c/ Crédit lyonnais (N° Lexbase : A9352ABY), Bull. civ. I, n° 235.
(21) Cass. civ. 1, 12 octobre 1999, n° 97-15.687, CRCAM de l'Oise c/ Formey de Saint-Louvent (N° Lexbase : A1670CSN).
(22) Cass. civ. 1, 12 octobre 1999, n° 97-15.687, préc.

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