La lettre juridique n°243 du 11 janvier 2007 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Licenciement et résiliation judiciaire du contrat de travail : mode d'emploi (suite... et certainement pas fin)

Réf. : Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-42.539, Société Motor Presse France, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0561DTX)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

En permettant au salarié de prendre acte, sans aucune formalité, de la rupture du contrat de travail, ou de saisir le juge d'une demande en résiliation judiciaire, la Cour de cassation a créé les conditions d'une grande confusion procédurale qu'elle tente, au fil des arrêts, de compenser par quelques règles à destination des juges du fond (1). C'est, cette fois-ci, l'hypothèse inédite d'un salarié demandant la résiliation judiciaire de son contrat de travail après avoir été licencié qui donne l'occasion à la Cour de rendre une décision logique et prévisible (2).
Résumé

Le contrat de travail étant rompu par l'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant le licenciement, la demande postérieure du salarié tendant au prononcé de la résiliation judiciaire de ce contrat est nécessairement sans objet, le juge devant, toutefois, pour l'appréciation du bien-fondé du licenciement, prendre en considération les griefs invoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation dès lors qu'ils sont de nature à avoir une influence sur cette appréciation.

Décision

Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-42.539, Société Motor Presse France, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0561DTX)

Cassation partielle (CA Versailles, 6ème ch. civ., 15 février 2005)

Textes visés : C. civ., art. 1184 (N° Lexbase : L1286ABA) ; C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9).

Mots-clefs : licenciement ; résiliation judiciaire.

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Faits

1. M. de Laveaucoupet, salarié de la société Motor presse France, où il était directeur adjoint de la publicité, a été licencié pour faute grave le 10 juillet 2002.

2. Il a saisi le conseil de prud'hommes le 12 septembre 2002 pour contester le licenciement et faire juger que son contrat de travail avait, en réalité, été rompu dès le 12 mai 2002 du fait de son employeur auquel il reprochait, notamment, d'avoir modifié unilatéralement son contrat de travail.

L'arrêt attaqué a rejeté la demande de M. de Laveaucoupet quant à la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur, décidé que son licenciement, s'il n'était pas justifié par une faute grave, avait néanmoins une cause réelle et sérieuse, et lui a alloué une indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité de préavis ainsi qu'un rappel de salaire et des congés payés afférents.

Solution

1. "Le contrat de travail étant rompu par l'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant le licenciement, la demande postérieure du salarié tendant au prononcé de la résiliation judiciaire de ce contrat est nécessairement sans objet, le juge devant toutefois, pour l'appréciation du bien-fondé du licenciement, prendre en considération les griefs invoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation dès lors qu'ils sont de nature à avoir une influence sur cette appréciation" ; "il résulte des énonciations de l'arrêt que tel n'était pas le cas en l'espèce" ; "par ces motifs, substitués dans les conditions de l'article 1015 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L1818ADP), l'arrêt est légalement justifié".

2. "Vu les articles 4 (N° Lexbase : L2631ADS) et 5 (N° Lexbase : L2632ADT) du Nouveau Code de procédure civile" ;

"pour allouer à M. de Laveaucoupet des indemnités de licenciement, de préavis et un rappel de salaire afférent, la cour d'appel se borne à énoncer qu'ils n'étaient pas contestés et étaient conformes à la convention collective applicable" ;

"en statuant ainsi, alors que la société contestait le montant des sommes allouées et leur fondement, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

"Par ces motifs, casse et annule, mais seulement en ses dispositions relatives à l'indemnité de préavis, au rappel de salaire et aux congés payés afférents, et à l'indemnité conventionnelle de licenciement, l'arrêt rendu le 15 février 2005, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ; condamne M. de Laveaucoupet aux dépens ; vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL), rejette les demandes".

Observations

1. La confusion des procédures et les principes dégagés par la Cour de cassation

  • Les raisons de la confusion ambiante

L'admission par le droit du travail de la résiliation judiciaire du contrat de travail, à la demande du seul salarié, ainsi que les développements récents qui concernent la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, posent de redoutables problèmes aux juges. Face à un salarié qui semble hésiter sur la stratégie à suivre, il n'est pas rare que l'employeur, craignant de se voir reproché de n'avoir pas réagi assez tôt, décide de licencier "par précaution" le salarié. Le juge prud'homal se retrouve alors saisi de deux, voire trois scenarii de rupture possible et éprouvera les pires difficultés pour désigner les bonnes règles applicables. La Cour de cassation a donc dû, à plusieurs reprises, préciser dans quel ordre il convenait d'examiner les différentes demandes présentées au juge.

  • Les principes

Pour bien comprendre ces solutions, il convient de se rappeler la différence essentielle qui existe entre le licenciement et la prise d'acte d'un côté, et la résiliation judiciaire de l'autre. Dans la première hypothèse, ce sont les parties qui rompent unilatéralement et définitivement le contrat de travail, alors que, dans la seconde, c'est le conseil de prud'hommes qui prononcera la résiliation judiciaire du contrat, si les griefs formulés contre l'employeur sont justifiés, c'est-à-dire si ce dernier a commis des fautes suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat à ses torts, et qu'il soit alors condamné à verser au salarié des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Reste à déterminer à quel moment le contrat de travail est effectivement rompu.

  • Le moment de la rupture du contrat de travail

En cas de licenciement, il est désormais acquis que c'est la date d'émission de la lettre de licenciement, en recommandé avec demande d'avis de réception, qui rompt le contrat de travail, même si le préavis ne commence à courir que du jour de réception de cette lettre (à propos de la période d'essai : Cass. soc., 11 mai 2005, n° 03-40.650, F-P+B+R+I N° Lexbase : A2303DI7 et les obs. de G. Auzero, Revirement quant à la date de la rupture du contrat de travail en période d'essai, Lexbase Hebdo n° 169 du 26 mai 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4538AIW ; pour le licenciement : Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-44.670, Société Gestion technologie finances conseil (GTF), F-P N° Lexbase : A3623DRM ; Dr. soc. 2006, p. 1193, obs. J. Savatier).

En cas de prise d'acte, c'est la réception par l'employeur de la lettre de prise d'acte qui rompt le contrat (Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 02-41.113, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0755DG3 ; lire nos obs., Nouvelles précisions concernant la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat, Lexbase Hebdo n° 153 du 3 février 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4456ABN).

En présence d'une résiliation judiciaire du contrat de travail, c'est donc le jugement qui, lorsqu'il devient définitif, rompt le contrat, même si le juge peut parfaitement fixer la date de rupture à la date des faits qui justifient la résiliation ou à la date de l'assignation (à propos du contrat d'apprentissage, Cass. soc., 1er octobre 2003, n° 01-40.125, FS-P N° Lexbase : A6587C9T).

Mais, ces principes ne suffisent pas toujours à y voir clair, singulièrement lorsque l'employeur riposte à une demande de résiliation judiciaire par le licenciement du salarié.

Dernièrement, la Cour de cassation a dû intervenir pour préciser dans quel ordre le juge devait traiter les demandes émanant du salarié lorsque plusieurs modes de rupture ont été invoqués, et que, parallèlement, le conseil de prud'hommes avait été saisi d'une demande de résiliation judiciaire.

Lorsque le salarié a pris acte de la rupture du contrat de travail, le licenciement éventuellement prononcé par l'employeur par la suite sera sans objet et considéré comme nul et non avenu (Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 02-41.113, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0755DG3 ; lire nos obs., Nouvelles précisions concernant la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat, Lexbase Hebdo n° 153 du 3 février 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4456ABN ; Cass. soc., 8 juin 2005, n° 03-43.321, FS-P+B sur le 3ème moyen N° Lexbase : A6513DI3).

Lorsque le salarié a introduit une demande de résiliation judiciaire, puis a pris acte de la rupture du contrat de travail avant que le juge n'ait pu statuer, le contrat sera rompu par la prise d'acte et le juge n'aura donc pas à examiner la demande de résiliation judiciaire ; tout au plus pourra-t-il puiser dans l'assignation en résiliation judiciaire des éléments de fait qui lui permettront de déterminer si les griefs formulés contre l'employeur, à l'occasion de la prise d'acte, sont suffisants pour lui faire supporter les torts de la rupture (Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 04-46.280, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0481DSM ; lire les obs. de G. Auzero, La prise d'acte de la rupture par le salarié rend sans objet la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant, Lexbase Hebdo n° 236 du 16 novembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N5061ALZ).

Lorsque, enfin, le salarié aura saisi le juge d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, puis aura été licencié, le tribunal saisi par le salarié devra, tout d'abord, examiner la demande de résiliation judiciaire, et ne devra, ensuite, s'intéresser au licenciement que s'il a rejeté la demande en résiliation judiciaire (Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-46.649, FS-P+B N° Lexbase : A7356DGK : Cass. soc., 22 mars 2006, n° 04-43.933, F-P N° Lexbase : A8118DNY ; Cass. soc., 12 juillet 2005, n° 03-43.603, FS-P+B N° Lexbase : A9243DI8 ; Cass. soc., 26 avril 2006, n° 05-43.591, F-P N° Lexbase : A2203DPB), et ce même si le licenciement est notifié entre le jugement rejetant la demande de résiliation et l'appel interjeté par le salarié (Cass. soc., 5 avril 2005, n° 02-46.634, FS-P+B N° Lexbase : A7518DHW). La solution est toutefois différente si le salarié a été régulièrement mis à la retraite avant l'audience, car, dans cette hypothèse, c'est la demande en résiliation judiciaire qui devient sans objet (Cass. soc., 12 avril 2005, n° 02-45.923, F-P+B N° Lexbase : A8628DHZ ; lire les obs. de N. Mingant, Résiliation judiciaire et mise à la retraite en cours d'instance d'appel, Lexbase Hebdo n° 165 du 27 avril 2005 - édition sociale N° Lexbase : N3694AIN).

2. Le primat du licenciement sur la résiliation judiciaire demandée postérieurement par le salarié

  • Une question inédite

Dans cette affaire, le salarié avait été licencié puis avait saisi le conseil de prud'hommes d'une demande visant à faire requalifier la rupture de son contrat de travail pour des faits antérieurs au licenciement et qui étaient, selon lui, de nature à justifier la résiliation judiciaire. Pas plus que les juges du fond, la Cour de cassation ne se laisse, ici, engager dans cette voie et considère que la demande présentée par le salarié était tardive et n'était pas de nature à remettre en cause le principe même de la rupture du contrat de travail intervenue à la suite du licenciement du salarié.

  • Une solution logique

Cette solution, à notre connaissance inédite, doit être pleinement approuvée. Sauf hypothèse de fraude démontrée où l'employeur utiliserait la voie du licenciement pour prendre de vitesse la demande de résiliation judiciaire du salarié, il faut admettre que le licenciement, dès lors qu'il a été notifié au salarié, a bien rompu le contrat de travail.

  • Une précision inutile

La Cour de cassation précise, en revanche, que le juge doit "toutefois, pour l'appréciation du bien-fondé du licenciement, prendre en considération les griefs invoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation dès lors qu'ils sont de nature à avoir une influence sur cette appréciation". On retrouve, ici, une formulation déjà présente dans les arrêts rendus le 31 octobre 2006, dans l'hypothèse d'une prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail intervenue avant que le tribunal, saisi antérieurement, n'ait pu statuer sur la demande de résiliation judiciaire initialement introduite (Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 05-42.158, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0483DSP ; Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 04-46.280, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0481DSM ; Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 04-48.234, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0482DSN ; et les obs. de G. Auzero, La prise d'acte de la rupture par le salarié rend sans objet la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant, Lexbase Hebdo n° 236 du 16 novembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N5061ALZ).

On comprend bien le sens de la formule. Même si le juge ne doit pas examiner la demande de résiliation judiciaire, puisque le contrat de travail a bien été rompu, il doit tenir compte des éléments qui y figurent pour statuer sur le caractère réel et sérieux du licenciement, et donc ne pas se contenter des éléments qui sont visés dans la lettre de licenciement.

A bien y réfléchir, cette précision semble, toutefois, totalement dépourvue d'intérêt.

La lettre de licenciement pour faute contient l'énoncé précis des griefs de l'employeur contre le salarié, alors que l'assignation en résiliation contient, au contraire, les griefs du salarié contre son employeur. Puisque le contrat de travail a bien été rompu par le licenciement, alors le juge doit déterminer si les griefs visés dans la lettre de licenciement sont de nature à caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement, ici une faute grave, ou, au contraire, si l'employeur doit être condamné pour absence de cause réelle et sérieuse, comme le prétend le salarié. Certes, il est acquis que l'énoncé de la lettre de licenciement fixe les limites du litige et interdit à l'employeur d'invoquer devant le juge d'autres faits. Mais, ce principe, destiné à éviter que les employeurs ne produisent systématiquement devant les juges du fond des centaines de documents pour tenter, coûte que coûte, de "sauver" leur licenciement a posteriori, n'a jamais interdit au salarié de contester les conditions de son licenciement en produisant devant le juge tous les documents nécessaires au succès de sa prétention et permettant d'établir les véritables motifs du licenciement (Cass. soc., 10 avril 1996, n° 93-41.755, M. Debiève c/ Société Marie et Cie, publié N° Lexbase : A4004AAK).

Préciser au juge prud'homal qu'il doit, "pour l'appréciation du bien-fondé du licenciement, prendre en considération les griefs invoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation dès lors qu'ils sont de nature à avoir une influence sur cette appréciation" n'a alors aucun intérêt, si ce n'est de rappeler une évidence.

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