La lettre juridique n°243 du 11 janvier 2007 : Surendettement

[Jurisprudence] La bonne et la mauvaise foi dans la mise en oeuvre des mesures de traitement du surendettement des particuliers

Réf. : Cass. civ. 2, 14 décembre 2006, n° 05-04.051, Mme Hélène Cibrario, FS-P+B (N° Lexbase : A9014DSN)

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N7260A9R

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le 07 Octobre 2010

Avec la loi du 31 décembre 1989 (loi n° 89-1010 N° Lexbase : L2053A4S), l'endettement excessif des particuliers faisait, pour la première fois dans notre système juridique, l'objet de mesures spécifiques de traitement, mesures insérées, par la loi du 26 juillet 1993, dans le Code de la consommation (art. L. 331-1 et s. N° Lexbase : L6790AB4). Certaines imperfections ont cependant justifié quelques aménagements, une première fois par la loi du 8 février 1995 (loi n° 95-125, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative N° Lexbase : L1139ATD), une seconde par la loi du 29 juillet 1998 au titre de la prévention des exclusions (loi n° 98-657, d'orientation relative à la lutte contre les exclusions N° Lexbase : L9130AGA). On relèvera d'ailleurs, plus généralement, que ce mouvement s'inscrit dans une évolution plus globale du droit civil français où l'extension de l'appréhension juridique de l'excès occupe une place de choix (voir, en ce sens, notre thèse, L'excès en droit civil, LGDJ, 2005, préf. M. Gobert). Au demeurant, cette tendance se retrouve, y compris sur le terrain de l'endettement excessif des particuliers, en jurisprudence, et ce parfois au mépris de certaines dispositions légales en sens contraire. C'est ainsi, par exemple, qu'alors même que l'article L. 331-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L0805HPI) subordonne la mise en oeuvre de la procédure de traitement de l'endettement excessif des particuliers à "l'impossibilité manifeste pour le débiteur de bonne foi de faire face à l'ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir" et que, donc, les dettes professionnelles sont exclues lors de l'examen de l'état de surendettement, il a été décidé, au terme d'une audacieuse initiative prétorienne, qu'elles devaient être réintégrées lors de l'élaboration des mesures de redressement (1). Critiquées par certains auteurs comme étant objectivement contraires à la loi, ces solutions témoignent, en tout cas, de la volonté affichée d'étendre non seulement le traitement de l'endettement excessif, mais aussi, plus généralement, la prise en compte de l'excès en droit contemporain. Il ne faudrait cependant pas croire que cette progression s'affranchisse de toutes les exigences légales : ainsi, le traitement de l'endettement excessif des particuliers suppose-t-il en tout état de cause la bonne foi du débiteur. Un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, à paraître au Bulletin, en date du 14 décembre dernier, appelle d'ailleurs, à cet égard, quelques rapides observations.

En l'espèce, une commission de surendettement des particuliers, estimant que la situation de l'un d'entre eux était irrémédiablement compromise, avait, avec l'accord du débiteur, saisi aux fins d'ouverture d'une procédure de rétablissement personnel un juge de l'exécution. Or, celui-ci avait déclaré la demande irrecevable pour cause de mauvaise foi. Sans grande surprise, le débiteur a cherché à contester sa prétendue mauvaise foi en faisant valoir, d'une part, que la bonne foi du débiteur se présume, en sorte que le juge de l'exécution ne pouvait relever d'office son absence, et, d'autre part, que le débiteur s'était endetté pour régler ses dettes de jeu, et que c'était donc le remboursement de ces emprunts et non la dette de jeu qui avait motivé sa demande de bénéficier d'un plan d'apurement, ce dont il résultait que sa mauvaise foi n'était pas caractérisée. Autrement dit, en déclarant la demande irrecevable, le juge de l'exécution aurait violé les articles L. 330-1 et L. 332-6 (N° Lexbase : L5289DA7) du Code de la consommation. Cette argumentation n'a cependant pas convaincu la Cour de cassation qui, pour approuver la décision du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Lyon et, ainsi, rejeter le pourvoi, rappelle justement que "le juge de l'exécution tient de l'article L. 332-6 du Code de la consommation le pouvoir d'apprécier, même d'office, le caractère irrémédiablement compromis de la situation du débiteur ainsi que sa bonne foi pour prononcer l'ouverture de la procédure de rétablissement personnel", et relève, en l'espèce, que "c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait qui lui étaient soumis que le juge de l'exécution a retenu que [le débiteur] n'était pas de bonne foi".

La solution ne surprend pas. D'abord, en effet, il est acquis que la bonne ou la mauvaise foi sont des notions de fait sur lesquelles la Cour de cassation n'exerce aucun contrôle. Ensuite, il est classique que la mauvaise foi du débiteur, que la sanction de l'excès entend protéger, lui fasse précisément perdre la faculté voulue comme exceptionnelle par le législateur ou le juge d'invoquer l'excès, la relexatio legis ne pouvant profiter qu'au débiteur de bonne foi. Aussi bien considère-t-on, en matière de clause pénale, que la mauvaise foi du débiteur qui rompt délibérément la loi contractuelle l'empêche de prétendre à la réduction judiciaire de la pénalité pourtant objectivement "manifestement excessive" au sens de l'article 1152, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ) (2). C'est la même logique que suit le droit du surendettement des particuliers, où la loi réserve le bénéfice des mesures destinées à lutter contre l'endettement excessif des particuliers aux seuls débiteurs de bonne foi, la bonne foi supposant, d'une part, que le débiteur ait sincèrement soumis à la commission tous les éléments actifs et passifs de sa situation (bonne foi procédurale), et, d'autre part, que l'appréciation même de son état de surendettement ne soit pas imputable à un comportement de mauvaise foi (bonne foi contractuelle). La punition du comportement déloyal consiste alors dans l'impossibilité pour le contractant de tirer avantage de ses droits. L'impossibilité pour le contractant de mauvaise foi d'invoquer l'exception d'inexécution, la limitation de son droit de poursuivre la résolution du contrat avec dommages et intérêts, l'obstacle que constitue sa mauvaise foi à l'octroi d'un délai de grâce de droit commun (C. civ., art. 1244-1 N° Lexbase : L1358ABW) ou l'application des clauses résolutoires, tant en droit interne qu'en droit du commerce international, la privation du droit du salarié d'être réintégré dans l'entreprise à la suite de son licenciement pour fait de grève en cas de faute lourde de sa part, relèvent de cette même tendance et en sont des illustrations significatives (3).

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Cass. civ. 1, 31 mars 1992, n° 90-04.024, M. Sever c/ Banque de France (N° Lexbase : A3116ACE) Bull. civ. I, n° 111 ; Cass. civ. 1, 2 décembre 1992, n° 91-04.158, Epoux Ghanmi c/ Crédit médical de France et autres (N° Lexbase : A5654AHU), Bull. civ. I, n° 302.
(2) Sur cette question, voir not. D. Mazeaud, La notion de clause pénale, LGDJ, 1992, préf. F. Chabas, spéc. n° 585 et s..
(3) Sur lesquelles voir not. B. Fages, Le comportement du contractant, PUAM, 1997, préf. J. Mestre.

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