La lettre juridique n°243 du 11 janvier 2007 : Sociétés

[Jurisprudence] Fusion absorption d'une SA par une SAS : l'unanimité est, désormais, requise pour ce type d'opération

Réf. : Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-17.802, M. Manuel Cassado, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A9944DS4)

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le 07 Octobre 2010

S'il est un domaine du droit des sociétés dans lequel le législateur a su demeurer d'un laconisme digne des premiers rédacteurs du Code civil, c'est bien celui de la société par actions simplifiées (SAS) dont le statut, en 1999, a été esquissé en quelques traits, au fil -mince comme celui d'Ariane- des articles L. 227-1 (N° Lexbase : L6156AIT) à L. 227-20 du Code de commerce.
Sans doute ces textes se sont-ils avérés insuffisants, mais à de rares occasions (1), et les interventions pour en combler les lacunes ont été très mesurées. Le législateur s'en est tenu, avec sagesse, à conserver la vocation première d'une société qu'un auteur, à une époque, a pu qualifier de SAS "pour tous" (2) : proposer aux entreprises une forme sociale dont le caractère contractuel est particulièrement affirmé. Point n'est besoin, en effet, de réglementation pointilleuse lorsque, par définition, le fonctionnement de la société est tout entier abandonné à la volonté des parties.
La liberté, toutefois, est, en droit comme en toute chose, source d'insécurité. Insécurité pour les tiers mais, également parfois, pour les parties et les détenteurs de titres. L'arrêt que vient de rendre la Chambre commerciale de la Cour de cassation est symptomatique, à cet égard, de la nécessité pour le juge d'adopter une interprétation des textes qui protège l'actionnaire ou l'associé. En l'espèce, la question se posait de savoir si les dispositions de l'article L. 227-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L6158AIW), qui établissent que la décision de transformation d'une société en SAS doit être prise à l'unanimité des associés, sont applicables en cas de fusion-absorption.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation, en cassant l'arrêt d'appel qui avait refusé d'imposer l'unanimité, vient donner une interprétation qui ne se limite pas à la lettre du texte (I). Elle s'appuie, en revanche, -au prix d'une lecture extensive- sur l'économie de la loi qui a instauré la SAS pour décider que l'unanimité est, également, requise pour ce type d'opération. Cette solution ouvre, ainsi, de nouvelles perspectives quant aux exigences du passage, sous quelque forme que ce soit, du régime des autres sociétés à celui de la SAS (II).

I - L'interprétation littérale des textes remise en question devant la Cour de cassation

Le point de départ de l'affaire naît d'une contestation par des minoritaires (A) de la décision d'une assemblée d'une société anonyme (SA) d'autoriser sa fusion-absorption par une SAS. En l'espèce, c'est la notion de transformation qui était ici en jeu, son interprétation conditionnant la solution à adopter quant à la majorité requise pour décider de l'opération (B).

A - Une fusion-absorption contestée par des minoritaires

La société Cofradim (Cofradim) est une société anonyme dont le capital est partagé entre un associé majoritaire et 6 autres associés minoritaires, au rang desquels figure une personne morale. Cofradim, disposant d'une trésorerie importante, consent des avances financières à l'une de ses filiales, la société Cofradim résidence, constituée sous forme de SAS. Le 10 octobre 2001, deux assemblées générales extraordinaires de la société Cofradim et de la filiale précitée décident de l'absorption de la SA par la SAS. Deux des actionnaires minoritaires de la SA demandent, alors, l'annulation de la délibération de son assemblée générale extraordinaire et poursuivent l'associé majoritaire ainsi que la SAS.

L'arrêt de cassation ne rapporte que les motifs de la cour d'appel, cette dernière ayant débouté les minoritaires de leur demande. Les juges du fond ont adopté, à cette occasion, un raisonnement en trois temps. Selon eux, d'abord, une absorption n'emporte pas transformation de la société absorbée qui se trouve, au contraire, dissoute dès la décision de fusion. La cour ajoute, ensuite, "qu'une telle opération revient à faire passer les actionnaires (minoritaires) d'une société anonyme [...] à une société par actions simplifiée sans leur consentement [et] n'est pas de nature à rendre applicables les dispositions de l'article L. 227-3 du Code de commerce". Enfin, les juges du fond s'appuient sur l'argumentation suivante : l'exigence de l'unanimité n'était pas prévue en matière de fusion par le texte auquel se réfèrent les appelants (l'article L. 227-3 du Code de commerce), et cette exigence ne pouvait être imposée sans ajouter "au pacte social de l'absorbée une condition supplémentaire".

Les motifs d'appel reposent, ainsi, sur une interprétation littérale de l'article précité : l'unanimité semble y être décrite -mais sur ce point la relation de la motivation d'appel n'est pas limpide- comme une mesure exceptionnelle. Les exceptions étant d'interprétation stricte, la solution de l'unanimité n'aurait pu être étendue, en l'espèce, aux situations non expressément visées par le texte.

Cette motivation va être fermement rejetée par la Cour de cassation aux termes d'un considérant de principe particulièrement clair qu'il semble utile de rapporter, le juge du droit semblant devoir en faire une sujétion de droit positif : "Vu l'article L. 227-3 du Code de commerce ; Attendu qu'aux termes de ce texte, la décision de transformation d'une société en société par actions simplifiée est prise à l'unanimité des associés, qu'il en est de même en cas de fusion-absorption d'une société par une société par actions simplifiée".

La cause semble, désormais, entendue : c'est sur ce fondement que se trouve cassée la décision d'appel, en vertu d'une interprétation fondée sur l'esprit du texte, substituée à celle, purement littérale, qu'avaient adoptée les juges du fond.

B - L'interprétation de l'article L. 227-3 du Code de commerce dans un contexte de fusion

On ne saurait, en l'espèce, bien que la Cour de cassation doive être approuvée sans réserve, ignorer les fondements du raisonnement de la cour d'appel. En effet, cette dernière se trouvait confrontée à l'interprétation conjointe de textes, et ce rapprochement semble l'avoir conduit à porter une appréciation trop stricte de la portée de l'article L. 227-3.

D'une part, les juges du fond se livrent à une analyse de la nature de l'opération de fusion en rappelant les dispositions constantes en la matière. Celles-ci reposent sur l'article L. 236-3, I, du Code de commerce (N° Lexbase : L6353AI7), qui dispose que la fusion entraîne la dissolution de la société absorbée. Il ne pourrait, d'ailleurs, en être autrement, puisque la logique de l'opération est d'opérer une transmission universelle du patrimoine de l'absorbée vers la société absorbante, mécanisme qui ne saurait être mis en oeuvre si cette dernière disposait encore de la personnalité juridique. Ainsi, fusion n'est pas transformation car la transformation d'une société n'entraîne pas la disparition de la personnalité juridique. L'article L. 210-6, alinéa 1, du Code de commerce (N° Lexbase : L5793AIE) en atteste, qui dispose qu'elle n'entraîne pas création d'un être moral nouveau mais constitue une simple modification des statuts.

D'autre part, tirant les conséquences de cette différence de nature, les juges d'appel opèrent une analyse des dispositions de l'article L. 227-3 qui établit que "la décision de transformation en société par actions simplifiée est prise à l'unanimité des associés". A l'évidence, le texte ne vise explicitement que la transformation et non la fusion ce qui conduit, toujours dans le cadre d'une interprétation restrictive, à rejeter le principe de l'unanimité.

Or, et ce point a déjà été souligné, la Cour de cassation ne s'en tient pas à cette interprétation rigoriste, frappée du sceau de l'orthodoxie jurisprudentielle. Pour le juge du droit, la règle de l'unanimité s'applique à la fusion comme à la transformation, la notion de transformation étant ainsi prise dans le sens d'une soumission future des actifs de l'ancienne société au régime de la SAS.

Cette analyse n'aura, naturellement, pu être obtenue qu'au prix d'un léger artifice : la dissimulation sous un voile pudique des dispositions, largement développées par la cour d'appel, de l'article L. 236-3, I, du Code de commerce. Dans cette affaire, tout est ainsi question de perspective. Se placer, d'emblée, sous l'égide de la nature légale de la fusion exclut toute assimilation de celle-ci à une transformation. Analyser, en revanche, l'opération dans l'absolu et surtout en fonction de règles relatives à la SAS, c'est prendre en considération un autre paramètre : la règle de l'unanimité a été conçue dans un objectif de protection de l'actionnaire ou de l'associé de la société qui est destinée à devenir une SAS. La transformation, telle qu'exprimée dans l'article L. 227-3 du Code de commerce, s'entendra désormais ainsi : nul ne peut être contraint, à l'occasion d'une fusion-absorption à être "l'associé" (selon les termes mêmes du législateur) d'une SAS sans l'avoir voulu.

II - De nouvelles exigences liées à l'interprétation de la notion de transformation en SAS

Indiscutablement, le raisonnement de la Cour de cassation obéit à une logique de protection (A) et cette logique invite à s'interroger sur la portée de l'arrêt ainsi qu'à l'extension éventuelle de cette solution à d'autres opérations que la fusion-absorption (B).

A - La transformation appréciée selon une logique de protection

A rechercher la source de la motivation du juge du droit, le renvoi au droit commun permet d'illustrer la volonté du législateur d'atténuer les conséquences de la loi de la majorité, composante du régime institutionnel qui gouverne le fonctionnement des personnes morales. C'est, en effet, dans le Code civil qu'on peut rechercher les prémisses lointaines de l'interprétation de la Cour de cassation, et, plus précisément, dans les dispositions de son article 1836, alinéa 2, (N° Lexbase : L2007ABX), qui dispose qu'aucune décision augmentant les engagements des associés ne peut être prise sans leur consentement. Cette règle qui, ratione matierae, s'applique également aux actionnaires n'est, toutefois, pas exactement applicable au cas d'espèce car la transformation d'une société en SAS n'entraîne pas d'augmentation des engagements au sens qui est communément attaché à la règle du Code civil. Pour autant, la transformation peut indiscutablement conduire à une modification des engagements telle, que, quelle que soit la forme initiale de la société transformée, le degré de protection dont disposaient auparavant les actionnaires ou les associés est susceptible de se trouver amoindri.

Ainsi, le passage de société à responsabilité illimitée à la SAS -telle la société en nom collectif (SNC) ou les formes de société relevant du même régime- emporte une amélioration du sort des associés quant à leur responsabilité. En revanche, la SAS n'est pas, comme la SNC, une société fermée. Son capital est représenté par des actions qui sont, en principe, librement négociables et, même si des clauses d'agrément viennent limiter la libre transmissibilité de ces titres de capital, ces limitations ne sont pas la résultante de la mise en oeuvre d'un ordre public sociétaire, a priori exclu du régime de la SAS qui fonctionne, plus que tout autre forme, sur une base contractuelle. Dès lors, le pouvoir des anciens associés risque, en théorie, de se trouver amoindri.

La même remarque s'impose pour la société à responsabilité limitée, société dont la nature fermée s'est accrue depuis l'ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 (ordonnance portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises N° Lexbase : L4315DPI) qui n'en fait plus une société partiellement vouée à permettre une évolution vers la forme de SA. En toute hypothèse, les sociétés précitées (comme les variantes mineures qui leur sont rattachées), rencontrent, dans l'hypothèse d'une transformation en SAS, le problème de l'incertitude concernant l'évolution statutaire. Ce dernier point justifie, ainsi, l'acceptation de tous, en toute connaissance de cause, des risques susceptibles de naître de la souplesse des nouveaux statuts.

S'agissant des sociétés par actions, les problèmes soulevés sont d'une autre nature. En effet, l'évolution du droit des sociétés a été caractérisée, ces dernières années, par un renforcement constant des mécanismes de gouvernance. Ces derniers visent à permettre à l'actionnaire d'opérer un contrôle efficace (a priori ou a posteriori) de l'activité des dirigeants et du comportement des détenteurs significatifs du capital social. Or, la transformation d'une SA en SAS -l'affirmation, il faut le reconnaître, est moins évidente pour les autres sociétés par actions- aboutit à faire baisser l'intensité du contrôle interne. Ainsi, les règles sur le cumul des mandats, l'information des rémunérations, celles qui concernent les conventions réglementées et, plus largement, l'ensemble des règles relatives à la gouvernance, sont largement atténuées, voire parfois même supprimées dans le cadre d'une SAS. Par ailleurs, la transformation en SAS prive les actionnaires de la possibilité de lever des capitaux sur les marchés financiers puisque, aux termes de l'article L. 227-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L6157AIU), ce type de société ne peut faire publiquement appel à l'épargne.

Cette dernière disposition marquant la prudence du législateur face au risque lié au fort degré d'opacité qui caractérise la SAS, l'on comprend que les règles relatives à la transformation renvoient à l'adoption d'un mécanisme exceptionnellement rigoureux pour protéger actionnaires et associés.

B - Des perspectives nouvelles quant à l'exigence de l'unanimité

Comment apprécier les nouvelles exigences quant à la règle d'unanimité sur le fondement de l'espèce commentée ? Plus précisément, l'économie de la loi instituant la SAS l'emporte-t-elle sur l'interprétation littérale des textes ? Sur ce point, la doctrine avait déjà eu à prendre position à propos de "l'intensité du régime spécial auquel obéit la SAS" (3). Ainsi, sur la question de savoir si certaines dispositions relatives aux actions de préférence lui étaient applicables et, notamment, celles des articles L. 225-122 (N° Lexbase : L5993AIS) et L. 225-125 (N° Lexbase : L1417HIC) du Code de commerce sur la proportionnalité et le plafonnement des droits de vote dans les assemblées des SA, des auteurs ont conclu (4) que le régime de la SAS ne pouvait "être remis en cause par un texte général postérieur sur les valeurs mobilières qui ne [revenait] pas sur ce régime spécial et en contredit l'esprit" (5).

Il apparaît, de la sorte, que le régime en question, selon ces auteurs, est affecté d'une telle autonomie que les règles générales du droit des sociétés ne peuvent l'affecter que dans la mesure où ces dernières ne portent pas atteinte au principe de liberté contractuelle qui gouverne ses statuts. A moins que les dispositions générales ne visent expressément la SAS.

L'arrêt de la Chambre commerciale du 19 décembre 2006 vient confirmer cette position. En écartant, s'agissant des textes relatifs à la transformation, une interprétation fondée sur un autre texte régissant le droit commun des sociétés (l'article L. 236-3, I, du Code de commerce), la Cour de cassation confirme l'autonomie du régime de la SAS. Ce faisant, elle ouvre la voie, semble-t-il, à d'autres perspectives.

En effet, dans l'espèce examinée, l'analyse de la solution arrêtée permet de conclure que la soumission d'actifs d'une société au régime de la SAS, par suite d'une fusion absorption, devait être acceptée par chacun des actionnaires ou associés. C'est, de la sorte, le risque lié à la nature particulière du nouveau régime applicable qui commande la rigueur de cette mesure. Même si l'opération envisagée n'est pas une transformation, elle peut avoir des effets comparables pour les titulaires de titres de capital. On peut raisonnablement en conclure que c'est la mise en oeuvre du régime qui se trouve sanctionné par la règle de l'unanimité, et non des considérations sur la nature de la mutation de la forme sociale.

Partant, toutes les mutations majeures aboutissant à adopter la forme d'une SAS risquent à l'avenir d'être visées et, ce, quelle que soit la forme de restructuration choisie.

Jean-Baptiste Lenhof
Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)


(1) Modification de l'article L. 227-1 du Code de commerce par l'article 101 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001 (loi n° 2001-420 N° Lexbase : L8295ASZ), s'agissant de la représentation de la société par le président de la SAS. La loi NRE, ainsi que la loi de sécurité financière du 1er août 2003 (loi n° 2003-706 N° Lexbase : L3556BLB) ont également modifié d'autres articles, mais uniquement pour les adapter aux réformes de fond visant au renforcement de la gouvernance.
(2) P. Le Cannu, La société par actions simplifiée pour tous, Defrénois, 2000, p. 135 et s..
(3) A. Charveriat, A. Couret, B. Mercadal, Mémento pratique Sociétés commerciales, Francis Lefèbvre, 2006, n° 14 901.
(4) Contra : G. de Ternay, SAS et actions de préférence : modus operandi.
(5) A. Charveriat, A. Couret, B. Mercadal, op. cit., loc. cit..

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