La lettre juridique n°243 du 11 janvier 2007 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La clause de mobilité limitée à la modification du lieu de travail

Réf. : Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-42.224, Mme Martine Dramogore, FS-P+B (N° Lexbase : A1103DTZ)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

En ce qui concerne les clauses de mobilité, la Chambre sociale de la Cour de cassation semble, désormais, bien tenir le cap : elles doivent être interprétées strictement. Ainsi, après avoir posé comme condition à leur validité la détermination précise de la zone géographique concernée (Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-45.846, FS-P+B N° Lexbase : A9457DPX ; lire les obs. de G. Auzero, La clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application, Lexbase Hebdo n° 221 du 29 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N0070AL8), elle restreint, par un arrêt du 20 décembre 2006, le domaine d'application de ce type de clauses en refusant qu'elles puissent permettre de partager le temps de travail d'un salarié entre deux établissements (1). Cette délimitation stricte du champ d'application de la clause de mobilité permet d'exclure un certain nombre d'effets dont les parties n'avaient pas souhaité, au départ, que le contrat soit pourvu (2).

Résumé

La clause de mobilité n'a pas pour objet de permettre à l'employeur de partager le temps de travail d'un salarié entre deux établissements de l'entreprise.

Décision

Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-42.224, Mme Martine Dramogore, FS-P+B (N° Lexbase : A1103DTZ).

Cassation (CA Amiens, 5ème ch. soc., cabinet B, 6 octobre 2004)

Textes visés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; C. trav., art. L. 121-1 (N° Lexbase : L5443ACL)

Mots-clés : clause de mobilité ; pouvoir de l'employeur ; partage entre deux lieux de travail ; refus.

Lien bases : .

Faits

1. Une salariée est embauchée en 1994 comme vendeuse par la société Le Bac à Linge au sein de son établissement de Soissons. Le contrat comporte une clause laissant la faculté à l'employeur de muter la salariée dans un autre établissement de l'entreprise. Mais, en 2001, l'employeur exige de la salariée qu'elle partage son temps de travail entre les établissements de Soissons et de Ham. La salariée refusant à plusieurs reprises de s'exécuter, l'employeur décide de la licencier sur le fondement de ce motif.

2. La cour d'appel d'Amiens, saisie de cette affaire, déboute la salariée de ses demandes d'indemnisation pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, au motif que la proposition de l'employeur n'avait pas pour effet de transformer le contrat de travail à temps plein de la salariée en deux contrats à temps partiel, puisqu'elle ne concernait que le lieu de travail. Or, les juges estiment que le lieu de travail n'est pas une condition essentielle du contrat de travail et que sa modification ne tendait qu'à l'application de la clause de mobilité. La salariée se pourvoit en cassation.

Solution

1. Cassation.

2. "La clause de mobilité ne permettait pas à l'employeur d'imposer à la salariée un partage de son temps de travail entre plusieurs établissements".

Commentaire

1. La délimitation stricte du domaine de la clause de mobilité

  • Domaine restreint de la clause de mobilité

On savait déjà que la clause de mobilité devait poser de façon précise la zone géographique dans laquelle elle pouvait être amenée à être mise en oeuvre. Il s'agit, d'ailleurs, là, d'une condition de validité d'une telle clause (Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-45.396, F-P+B N° Lexbase : A4407DQB ; lire nos obs., La précision de la zone géographique de la clause de mobilité : principe et sanction, Lexbase Hebdo n° 227 du 14 septembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N2633AL4). On savait, également, que la Cour de cassation imposait aux juges du fond d'interpréter strictement les clauses de mobilité (Cass. soc., 19 avril 2000, n° 98-41.078, Caisse régionale d'Aquitaine du crédit maritime c/ Mme Maïté Ugarte, inédit N° Lexbase : A9042AGY). Cette rigueur apportée par la Cour de cassation concernant les différents caractères de la clause de mobilité n'est, en l'espèce, pas démentie, puisque la Chambre sociale cantonne le domaine de la clause de mobilité à un champ, lui aussi, très strict.

En effet, dans cette affaire, la clause négociée par les parties au contrat de travail prévoyait que le lieu de travail de la salariée soit fixé à Soissons, mais que celle-ci puisse être mutée dans un autre établissement de l'entreprise par l'employeur. Il s'agit, là, d'une clause de mobilité définie sans ambiguïté.

Rappelons qu'il existe deux types de clauses de mobilité : les clauses de mobilité professionnelle et les clauses de mobilité géographique. Les clauses de mobilité professionnelle permettent à l'employeur de modifier les fonctions du salarié au cours de l'exécution du contrat. Mais, en l'espèce, il s'agissait, bien entendu, d'une clause de mobilité géographique permettant, donc, de modifier le lieu de travail de la salariée au-delà de la simple zone géographique (sur les différences de régime justifiées par l'existence ou l'absence de clause de mobilité, Cass. soc., 3 mai 2006, n° 04-41.880, F-P+B N° Lexbase : A2518DPX ; Cass. soc., 3 mai 2006, n° 04-46.141, F-P+B N° Lexbase : A2537DPN ; v. nos obs. Le rôle des clauses du contrat de travail relatives au lieu de travail, Lexbase Hebdo n° 215 du 18 mai 2006 - édition sociale N° Lexbase : N8429AKE).

La Cour de cassation, interprétant strictement la clause de mobilité, décide donc que, si de telles stipulations peuvent permettre de moduler le lieu de travail, elles ne doivent pas avoir pour objet de faire varier la répartition du temps de travail du salarié.

  • La mobilité limitée à la variation du lieu de travail

La mise en oeuvre par l'employeur de la clause de mobilité aurait eu pour effet, dans cette affaire, de modifier la répartition du temps de travail de la salariée. Or, les juges de la Chambre sociale décident que "la clause de mobilité ne permettait pas à l'employeur d'imposer à la salariée un partage de son temps de travail entre plusieurs établissements" et, par conséquent, que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Autrement dit, la clause de mobilité géographique ne concerne que la modification du lieu de travail. Elle n'a pas pour objet, ni ne peut avoir pour effet, de faire varier d'autres éléments du contrat de travail dont la modification est soumise à l'assentiment du salarié.

La Chambre sociale avait déjà eu l'occasion de se positionner à cet égard en ce qui concerne la rémunération d'un salarié (Cass. soc., 3 mai 2006, n° 04-46.141, F-P+B N° Lexbase : A2537DPN ; et nos obs., Le rôle des clauses du contrat de travail relatives au lieu de travail, préc.). La Cour avait alors évincé l'application d'une clause de mobilité, car sa mise en oeuvre aurait eu pour effet indirect de modifier la structure de la rémunération, une partie de celle-ci devenant provisoire.

L'espèce commentée vient donc ajouter un cas de figure dans lequel la mise en oeuvre d'une clause de mobilité est écartée en raison des effets secondaires qu'elle pourrait engendrer : la clause de mobilité ne peut pas être utilisée afin de modifier la répartition du temps de travail d'une salariée, et ne peut lui imposer de partager son temps entre deux établissements.

Cette limitation du domaine de la clause de mobilité nous paraît tout particulièrement opportune. Les parties ne se sont accordées que sur la faculté de modification unilatérale du lieu de travail et non sur la modification de la structure du temps de travail. Respectueuse de la règle selon laquelle la clause de mobilité doit être interprétée strictement, cette décision est donc, également, fidèle à une certaine idée de sécurité juridique.

On peut aussi penser que la restriction du domaine de la clause de mobilité pourrait être étendue à d'autres hypothèses.

2. Les effets du caractère strict du domaine de la clause de mobilité

  • L'exclusion de toute autre modification

L'hypothèse de la prohibition de la modification de la structure du temps de travail vient s'ajouter à celle de la modification de la structure de la rémunération. Il n'est guère besoin de trop d'imagination pour envisager que la prohibition puisse s'étendre à toute modification autre que celle du lieu de travail.

En réalité, il faudrait probablement distinguer selon qu'il s'agisse de modifications que l'employeur peut opérer unilatéralement et d'autres pour lesquelles il doit recueillir l'accord du salarié. Ainsi, selon la distinction classique (Cass. soc., 10 juillet 1996, n° 93-41.137, M. Vanderdonckt c/ Groupe des assurances nationales (Gan), publié N° Lexbase : A2054AAC), la mise en oeuvre de la clause de mobilité pourrait avoir pour effet de changer les conditions de travail du salarié mais, en aucun cas, de lui imposer une modification de son contrat de travail.

Les faits de l'espèce permettaient probablement de se satisfaire de la solution sans trop d'états d'âme, puisque le partage du temps de travail s'opérait entre deux lieux distants d'une soixantaine de kilomètres. Mais, la solution aurait-elle été aussi satisfaisante si l'on s'était trouvé dans une hypothèse de partage du temps de travail entre deux établissements géographiquement proches, par exemple situés dans la même agglomération ? Sur le plan juridique, la réponse ne pose pas trop de difficultés ; il s'agirait d'une modification unilatérale de la répartition du temps de travail, peu important la distance séparant les deux établissements. En revanche, sur le plan de l'opportunité, on comprend moins quelle atteinte serait alors portée au salarié, justifiant un refus d'une telle modification.

Enfin, on peut s'interroger sur d'autres effets indirects de la mise en oeuvre de la clause de mobilité. On sait, ainsi, que l'usage d'une clause de mobilité à des fins disciplinaires n'est, pour l'instant, pas prohibé par la Cour de cassation (Cass. soc., 11 juillet 2001, n° 99-41.574, Société Franfinance c/ M. Thierry Barrande, publié N° Lexbase : A5096AGT), malgré l'hostilité de certains auteurs (v. les propos de J.- E. Ray cités par Ch. Figerou, L'actualité de la mobilité géographique des salariés, Lexbase Hebdo n° 168 du 19 mai 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4333AIC). La mise en oeuvre du pouvoir disciplinaire de l'employeur relevant de son pouvoir de direction, comme sa faculté d'opérer un changement des conditions de travail du salarié, on peut penser que l'utilisation d'une clause de mobilité à des fins disciplinaires soit justifiée. Il ne faut, cependant, pas trop vite oublier la volonté de la Cour de cassation d'interpréter strictement les différentes clauses de variation, y compris la clause de mobilité. Des éclaircissements de la part de la Chambre sociale, sur ce point, sont à souhaiter pour l'année qui commence.

  • L'hypothèse de la multiplication des clauses de variation

Il reste toujours possible aux parties de prévoir, dès le départ, que la clause de mobilité ne sera pas la seule clause de variation comportée par le contrat de travail. A l'instar des clauses de variation de la rémunération, on peut, ainsi, tout à fait envisager que le contrat de travail comporte une clause de variation du temps de travail ou, plus exactement, une clause de variation de la répartition du temps de travail. Bien entendu, il faudra alors que de telles clauses, limitant les libertés individuelles du salarié, soient justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (C. trav., art. L. 120-2 N° Lexbase : L5441ACI).

On peut, tout de même, s'interroger sur ce phénomène de multiplication des clauses dites de variation. Clause de mobilité, clause de variation de la rémunération, clause permettant la modulation du temps de travail ou de sa répartition... Ces différentes stipulations permettent aux parties de contourner le système élaboré autour de la distinction entre changement des conditions de travail et modification du contrat de travail. Bien entendu, cette mécanique étant d'origine prétorienne, elle n'est pas d'ordre public et les parties peuvent donc s'en affranchir, conformément au principe de la liberté contractuelle. Pourtant, on sait que trop souvent les contrats de travail ne sont pas véritablement négociés et, dans ce cas, on a le désagréable sentiment que ces clauses, introduites autoritairement, permettent de contourner la règle de droit. Cela explique probablement en partie pourquoi la Cour de cassation se montre si stricte dans l'interprétation de telles clauses, comme elle le fait en l'espèce avec la clause de mobilité.

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