Réf. : CA Rouen, 12 juillet 2013, n° 12/05106 (N° Lexbase : A9215KI7)
Lecture: 1 min
N8228BTW
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 27 Août 2013
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438228
Lecture: 1 min
N8229BTX
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 05 Septembre 2013
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438229
Réf. : Cass. civ. 1, 10 juillet 2013, n° 12-24.962, F-P+B+I (N° Lexbase : A8066KIL)
Lecture: 1 min
N8233BT4
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Août 2013
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438233
Réf. : CAA Marseille, 6ème ch., deux arrêts, 8 avril 2013, n° 10MA03545 (N° Lexbase : A0586KD3) et n° 10MA04246 (N° Lexbase : A0599KDK), inédits au recueil Lebon
Lecture: 12 min
N8215BTG
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Vincent Corneloup, Avocat associé, spécialiste en droit public, docteur en droit public, SCP Dufay-Suissa-Corneloup-Werthe
Le 27 Mars 2014
Le choix des critères (A) constitue une étape fondamentale qui doit reposer sur les besoins de la collectivité territoriale afin de permettre le meilleur achat, au meilleur coût, des prestations juridiques.
Ce choix est d'autant plus fondamental que la mise en oeuvre des critères (B) est souvent difficile pour les marchés de prestations juridiques.
A - Le choix des critères
Le plus souvent, surtout de la part des petites et moyennes collectivités, les critères choisis pour déterminer la meilleure offre sont assez pauvres et ne permettent donc pas d'effectuer un choix correspondant avec précision aux besoins réels de prestations juridiques.
C'est ainsi que, dans l'affaire n° 10MA03545, l'on apprend que la commune de Briançon avait posé comme critères de sélection des offres, la valeur technique de l'offre pondérée à 50 %, la réactivité et la disponibilité pondérées à 30 % et le prix pondéré à 20 %.
Il s'agit là de critères qui, tout d'abord, ne vont pas nécessairement permettre un jugement objectif des offres. En effet, tout repose alors sur les déclarations de bonne volonté des candidats, qui ne manqueront pas de tenter de persuader la collectivité qu'ils sont les meilleurs avocats, intervenant le plus rapidement possible et au meilleur coût.
Ainsi, la commune de Briançon avait exigé, pour apprécier la valeur technique, que les cabinets présentent une note méthodologique. Mais l'on comprend à la lecture de l'arrêt que, comme cela est quasiment toujours le cas dans une telle hypothèse, c'est la note méthodologique en elle-même qui a fait l'objet d'une appréciation sans que nécessairement le contenu de cette note reflète exactement la réalité des prestations susceptibles d'être réellement fournies par le cabinet d'avocats.
La cour a ainsi mis en avant :
"qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'analyse des offres des candidats et des notes méthodologiques des cabinets en cause, que le cabinet attributaire du marché a indiqué le délai estimatif d'intervention, les référents de son cabinet, ses moyens matériels et la méthode qu'il entendait suivre pour chacune des prestations prévues ; qu'eu égard aux garanties de compétences et de méthode ainsi exposées et au caractère en revanche très sommaire et peu détaillé de la proposition du cabinet MPC Avocats, l'autorité adjudicatrice n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation de la valeur technique des offres qui lui étaient soumises".
L'on comprend aisément que, plus un cabinet aura un savoir-faire commercial pour vanter ses mérites, plus ses chances d'obtenir une bonne note seront importantes.
Ensuite, de tels critères ne permettent pas de s'assurer que le cabinet d'avocats choisi correspond nécessairement aux besoins de la collectivité.
Quels étaient en effet précisément les besoins de la commune de Briançon, commune d'un peu plus de 11 000 citoyens, en prestations juridiques ? Le simple fait de vérifier que le cabinet d'avocats retenu présente une importante valeur technique et qu'il est susceptible d'intervenir rapidement, pour un coût qui ne représente que 20 % de la note finale, était-il vraiment opportun pour une commune de ce type ? Ne présente-t-elle pas des spécificités (par exemple, en raison de sa localisation géographique en montagne, de son accueil de touristes...), qui aurait pu la conduire à poser des critères correspondant exactement à ses besoins ?
Enfin, ce type de critères entraîne nécessairement un risque contentieux important, puisqu'il est souvent difficile de départager les cabinets d'avocats sur des éléments aussi généraux. Dès lors, certains cabinets d'avocats, ne comprenant pas la note qui a été attribuée à leur offre, saisissent le juge au moins pour être indemnisés de leur préjudice.
Afin que les critères posés ne présentent pas de tels inconvénients, il convient de mieux définir les besoins de la collectivité en prestations juridiques et de poser des critères permettant de s'assurer de la réalité de la prestation juridique qui sera fournie, indépendamment de toute présentation commerciale qui peut s'avérer bien éloignée de la réalité (il est évidemment possible de mettre fin à un marché public, voire d'engager la responsabilité de son cocontractant, si la prestation ne correspond pas à l'offre qui a été faite mais il est évidemment encore préférable que le prestataire retenu respecte bien exactement ce qu'il a indiqué dans son offre).
Tout type de critère n'est toutefois pas possible. C'est ainsi que la cour administrative d'appel de Douai (CAA Douai, 2ème ch., 5 juin 2012, n° 11DA00464, inédit au receuil Lebon N° Lexbase : A7431ITE) a jugé qu'il était impossible d'exiger la possession du certificat de spécialisation en droit public et de pondérer de manière importante cette exigence qui, au demeurant, relève plus des critères de sélection des candidatures que des critères de sélection des offres.
En revanche, il est parfaitement possible de demander aux candidats de présenter un avis juridique afin de juger de leur pertinence quant à la réponse pouvant être apportée (CAA Versailles, 5ème ch., 2 février 2012, n° 09VE01405, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5024IDG).
De manière également satisfaisante, il est possible de demander et de noter des modèles d'écritures que les candidats ont réalisés dans des dossiers récents (après les avoir rendus anonymes). Il est également possible de leur soumettre la résolution de cas, que ce soit par écrit ou lors d'un entretien oral.
Il est également souhaitable de s'assurer que les dossiers seront suivis par un interlocuteur dédié, si possible un avocat associé, en posant clairement cette exigence. S'il s'avère que l'un des candidats ne dispose que de très peu d'avocats associés dédiés au droit public, mais uniquement d'une très importante équipe de collaborateurs, c'est un critère sur lequel le candidat en cause n'aura pas une bonne note.
Enfin, en ce qui concerne exclusivement le prix, pour éviter des taux horaire très bas, qui vont toutefois conduire à une facturation importante en cas de majoration excessive du nombre d'heures passées par dossier, il peut être pour le moins opportun de demander une estimation du volume horaire pour traiter tel ou tel type de dossiers et de faire porter la note relative au prix directement sur le volume d'heures prévisionnel.
Dans l'affaire relative à la commune de Briançon, si celle-ci avait ainsi "peaufiné" ses critères, il est probable que le contentieux qu'elle a dû suivre jusque devant la cour administrative d'appel de Marseille n'aurait pas été enclenché, sans même parler du bénéfice en terme de qualité des prestations dont ladite commune aurait pu bénéficier, quels que soient par ailleurs les mérites du cabinet qu'elle a effectivement retenu.
B - La mise en oeuvre des critères
Lorsqu'il s'agit de départager les offres, il convient évidemment de respecter les critères posés, comme le Conseil d'Etat a eu l'occasion de le répéter à maintes reprises (voir notamment CE, Sect., 30 janvier 2009, n° 290236, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7437ECG).
En l'espèce, c'est cette règle essentielle que la communauté de communes du comté de Provence, dans l'affaire n° 10MA04246, a omis de respecter, puisqu'il s'avère que les offres ont été examinées en vérifiant si un avocat référent a été désigné, alors même que le dossier de consultation des entreprises ne le prévoyait pas.
Ensuite, lorsqu'il s'agit de prendre en compte une note méthodologique, et sous réserve des appréciations que nous avons portées à ce propos ci-dessus, bien évidemment, le pouvoir adjudicateur peut attribuer une meilleure note à celui qui prend soin de fournir de nombreux renseignements quant à son délai estimatif d'intervention, les référents de son cabinet, ses moyens matériels, la méthode qu'il entend suivre, etc.. Un cabinet d'avocat qui a présenté une note méthodologique "très sommaire et peu détaillée", pour reprendre l'expression de la cour à propos de la proposition du cabinet requérant dans l'affaire n° 10MA03545, ne peut donc pas sérieusement contester le fait d'avoir reçu une note nettement inférieure à celle de son concurrent retenu.
L'on peut même s'étonner que le cabinet en cause, après avoir pris connaissance des caractéristiques principales de l'offre du candidat attributaire, ait continué à prétendre devant le juge administratif que son offre était d'une qualité identique alors que, d'après la cour, l'offre du cabinet attributaire était bien plus complète.
Enfin, dans l'affaire relative à la commune de Briançon, la cour met en avant "qu'il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Briançon se serait uniquement fondée sur la taille du cabinet pour évaluer la valeur technique". Ce qui signifie qu'elle a toutefois, en partie, pris en compte cette taille. Or, à notre avis, il fallait clairement que cela soit indiqué dans le cahier des charges et que ce dernier indique le nombre minimum d'avocats souhaité et, notamment, le nombre d'avocats associés.
En effet, en elle-même, la taille du cabinet d'avocats n'est pas susceptible d'avoir une influence sur la qualité des prestations. D'un côté, un cabinet de grande taille pourra toujours mobiliser un avocat pour répondre, notamment en urgence, aux sollicitations de la collectivité territoriale, contrairement à un cabinet de petite ou de moyenne taille. Mais d'un autre côté, un grand cabinet ne pourra pas toujours assurer une prestation réalisée ou au moins contrôlée de près par un avocat associé ou un suivi personnalisé des dossiers.
De manière encore plus fondamentale, il faut s'interroger sur la pertinence d'un tel élément d'appréciation compte tenu parfois des faibles besoins des collectivités territoriales qui, pour le type de dossiers qu'elles ont à traiter, n'ont pas besoin d'une équipe composée de nombreux avocats. Il nous semble que, sur ce point précis, le raisonnement de la cour aurait pu être approfondi.
Il convient maintenant d'examiner quelle peut être l'indemnisation du cabinet d'avocats irrégulièrement évincé lorsqu'une irrégularité est constatée.
II - L'indemnisation du cabinet d'avocats irrégulièrement évincé
Dans un premier temps, il s'agit d'examiner les préjudices pouvant être indemnisés (A) avant de s'interroger sur le montant de l'indemnisation (B).
A - Les préjudices pouvant être indemnisés
Sur ce point, la jurisprudence est bien établie (CE 7° et 5° s-s-r., 18 juin 2003, n° 249630, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8725C8N ; CE 7° et 2° s-s-r., 8 février 2010, n° 314075, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7558ERD) :
"Considérant, d'une part, que lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat, il appartient au juge de vérifier d'abord si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat ; que, dans l'affirmative, il n'a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre ; qu'il convient, d'autre part, de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat ; que, dans un tel cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique ; que, par suite, la commune n'est pas fondée à soutenir que l'illégalité supposée du marché priverait le candidat évincé de toute possibilité de demander l'indemnisation de son manque à gagner".
Cette jurisprudence vaut pour l'ensemble des opérateurs économiques présentant une offre dans le cadre d'un marché public, et donc également pour les cabinets d'avocats.
Si le cabinet d'avocats en cause n'avait pas la moindre chance de remporter le marché, il ne pourra pas être indemnisé. En revanche, il aura droit à être indemnisé des frais de présentation de son offre s'il a perdu une chance "quelconque" de remporter le marché, cette chance "quelconque" étant une chance "moyenne", mais pas une chance sérieuse.
C'est le cas dans les deux arrêts ici commentés, la cour administrative d'appel de Marseille estimant que le cabinet requérant (dont l'offre a été classée à la sixième place pour l'affaire intéressant la commune de Briançon et à la troisième place pour l'affaire concernant la communauté de communes du comté de Provence), n'avait pas de chances sérieuses de remporter le marché. En effet, dans les deux cas, l'irrégularité constatée (à savoir le fait d'avoir retenu l'indication d'un avocat référent, ce qui n'était pas prévu dans le dossier de consultation des entreprises et le fait de ne pas avoir alloti le marché) n'a pas nécessairement eu pour conséquence que les deux pouvoirs adjudicateurs en cause ont apprécié de manière erronée l'offre du cabinet requérant.
L'indemnisation de la perte de chance sérieuse ne peut donc intervenir que lorsque le requérant est en mesure de démontrer que, si l'irrégularité n'avait pas été commise, il aurait eu de très bonnes chances de terminer en première position à la place du cabinet d'avocats retenu (des "chances sérieuses").
Bien évidemment, cela va dépendre du classement ; et cette perte de chance sérieuse est, en principe, réservée à ceux qui sont arrivés parmi les tous premiers. Toutefois, il faut garder à l'esprit qu'il est très difficile d'apporter cette preuve, puisque, s'il est possible de connaître les grandes lignes de l'offre du candidat qui a été retenu, en revanche il est impossible, compte tenu de la nécessité de garder le secret en matière industrielle et commerciale, de connaître le contenu des offres des autres candidats classées entre celle qui a été retenu et celle du requérant.
A propos des autres candidats retenus, l'on ne connaît que le rapport d'analyse des offres. Il est donc très souvent impossible de déterminer si, en fonction de l'illégalité constatée, l'offre des autres candidats aurait également été différente et dans quelle mesure.
Dès lors, lorsqu'un candidat ne finit pas en deuxième place, le plus souvent, il aura beaucoup de mal à démontrer qu'il a nécessairement perdu une chance sérieuse de remporter le marché.
B - Le montant de l'indemnisation
Dans l'hypothèse où le requérant peut démontrer qu'il aurait eu des chances sérieuses de remporter le marché, il a droit à une indemnisation correspondant à son manque à gagner, mais uniquement à ce manque à gagner.
Dans son arrêt du 8 février 2010, précité, le Conseil d'Etat a précisé que ce manque à gagner doit être déterminé en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si ce dernier lui avait été attribué.
Dès lors, et c'est une évidence, ce n'est pas le chiffre d'affaires escompté qui doit être indemnisé et le requérant n'avait donc strictement aucune chance d'obtenir, comme il le demandait, une année de prestation correspondant à 20 % du montant du marché (pour l'affaire relative à la communauté de communes du comté de Provence) et une somme en rapport avec le volume des diligences effectué par le cabinet retenu (dans l'affaire relative à la commune de Briançon).
Il faut préciser que de nombreux cabinets d'avocats (mais cette remarque vaut de manière générale pour l'ensemble des prestataires économiques) hésitent à justifier de manière précise le bénéfice qu'ils auraient retiré de l'exécution du marché. En effet, pour ce faire, ils doivent démontrer, notamment par une note d'un expert-comptable, le calcul leur permettant d'arriver à ce bénéfice. De la sorte, ils fournissent des éléments que, notamment, l'attributaire du marché pourra connaître. Il n'est donc pas rare que certains opérateurs économiques renoncent à une indemnisation pour ne pas avoir à présenter ainsi leurs résultats comptables.
Dans l'hypothèse où le cabinet d'avocats n'était tout simplement pas dépourvu de toute chance de remporter le marché, il a droit uniquement à l'indemnisation des frais de présentation de son offre.
Dans l'affaire relative à la commune de Briançon, l'indemnisation arrêtée par les premiers juges est à ce titre de 1 200 euros, alors qu'elle est de 600 euros pour l'affaire relative à la communauté de communes du comté de Provence.
La différence entre les deux indemnisations provient, sans doute, du fait que la somme de 1 200 euros a été déterminée par le tribunal administratif de Marseille sur laquelle n'est pas revenue la cour administrative d'appel de Marseille ; alors que la somme de 600 euros a été fixée par ladite cour. Mais l'on peut regretter que la cour n'ait pas harmonisé ou n'ait pas au moins justifié cette différence alors qu'il n'apparaît pas de manière évidente que le travail qui a été fourni par le cabinet d'avocats pour présenter une offre dans chacune de ces deux procédures ait été véritablement différent.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438215
Lecture: 5 min
N8052BTE
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Antoine Masson, référendaire, expert associé au CEDE de l'ESSEC et Dharamveer Singh, doctorant à l'Université du Luxembourg
Le 25 Juillet 2013
Initialement cantonnées à la sous-traitance de certaines tâches fastidieuses, comme la numérisation, l'encodage et l'indexation des documents (ce qui peut être coûteux pour les cabinets d'avocats qui sont implantés dans des pays où les règles de preuve, comme la discovery, peuvent conduire à l'échange de plusieurs milliers de documents entre les parties à un procès), les prestations proposées par ces cabinets d'avocats ont aujourd'hui évolué vers des services à plus forte valeur ajoutée, comme le dépôt de demande de brevet, la réalisation de recherches juridiques, la rédaction de contrats, voire la rédaction de conclusions. Ainsi, selon une étude récente de la société Day One, sur une centaine de cabinets analysés en Inde, 47 proposent des prestations en matière de propriété intellectuelle, et 45 la rédaction de contrats.
A l'heure actuelle, cette externalisation concerne surtout des sociétés américaines (trois quarts des clients) et anglaises (un cinquième) (6), et s'opère au profit de sociétés implantées dans des pays comme l'Inde, l'Afrique du Sud, Singapour, la Malaisie, le Sri Lanka, Israël et les Philippines. Le choix de ces pays n'a rien d'étonnant. Il s'agit, en effet, dans la majorité des cas, de pays anglophones, flexibles en ce qui concerne les conditions de travail et qui connaissent les systèmes juridiques anglo-saxons, parce qu'ils en relèvent eux-mêmes ou sont influencés par la Common Law. En outre, la main d'oeuvre y est très qualifiée et adaptée. Par exemple, l'Inde, qui représente 40 % du marché mondial (7), compte de nombreux juristes ayant été formés aux Etats-Unis. En outre, avec le succès de l'externalisation, les cabinets indiens embauchent désormais des juristes américains, afin d'encadrer leurs équipes.
En France, ce sujet reste tabou, même si quelques cabinets de conseils semblent déjà y avoir recours (8). Il faut noter que le développement de l'externalisation juridique se heurte à la barrière de la langue et à une différence de formation juridique. Néanmoins, l'externalisation juridique pourrait se développer dans les années à venir, à destination de pays ayant une identité juridique et linguistique proche de la France, comme le Maroc, la Tunisie ou Madagascar. En effet, l'externalisation juridique vers des pays à bas coût de main d'oeuvre présente un avantage indéniable en termes de coûts et donc de compétitivité. La flexibilité opérationnelle constitue un autre avantage non négligeable. Ainsi, l'externalisation permet de lisser la charge de travail, en transférant les augmentations conjoncturelles à un tiers plutôt qu'en créant un coût fixe lié à l'embauche d'une personne supplémentaire. En outre, l'externalisation peut permettre aux cabinets de se recentrer sur leurs activités à forte valeur ajoutée. Enfin, en choisissant des entreprises implantées dans d'autres fuseaux horaires, l'externalisation peut permettre de faire avancer un dossier en travaillant 24 heures sur 24.
Le développement de l'externalisation juridique ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes pour les entreprises qui y ont recours. On peut craindre naturellement un effet négatif sur l'emploi (9). Ce sont surtout les inconvénients pour les entreprises qui y recourent qui doivent être pris en considération. Premièrement, les gains escomptés peuvent être considérablement réduits du fait de l'effort que l'entreprise doit déployer pour suivre et superviser le travail effectué par le prestataire extérieur ainsi que, le cas échéant, pour adapter la prestation fournie aux spécificités de l'entreprise. Tout cabinet qui souhaite délocaliser doit donc prendre soin de vérifier la compétence du sous-traitant (10). Deuxièmement, l'entreprise qui externalise doit veiller à ce que la prestation fournie soit de qualité. En effet, lorsque le prestataire est implanté dans un autre pays, surgissent des problèmes de différences de formation, de culture, de standards éthiques et de communication. N'oublions pas qu'en droit, le diable se situe dans les détails et les nuances. Troisièmement, l'externalisation ne favorise pas le développement en interne des compétences concernées et peut également affecter l'image du cabinet (11). Quatrièmement, l'externalisation de services juridiques suppose le transfert de données à caractère personnel, notamment dans le cas d'un cabinet qui sous-traite l'un de ses dossiers. Or, les relations entre un avocat et son client sont généralement couvertes par le secret professionnel et le transfert des données à caractère personnel ou confidentiel est étroitement réglementé et régulé. Ainsi, en France, le transfert de données suppose l'autorisation de l'autorité de régulation, laquelle apprécie la légitimité du transfert, son caractère adéquat, pertinent et non excessif (12). L'externalisation d'un dossier suppose donc l'accord du client, voire de ses partenaires. Or, si l'économie réalisée n'est pas partagée avec ce dernier, il y a fort à parier que celui-ci verra l'externalisation de son dossier d'un fort mauvais oeil. Cinquièmement, l'externalisation, en raison de la perte de contrôle qu'elle induit sur les processus de production, implique nécessairement une augmentation des risques réputationnels, économiques et juridiques. En particulier, l'externalisation soulève des difficultés d'ordre déontologique. Comment l'avocat peut-il garantir le respect du secret professionnel, lorsqu'il sous-traite son dossier à un cabinet implanté dans un pays ne respectant pas les mêmes standards juridiques ? De même, comment vérifier l'absence de conflits d'intérêts du sous-traitant ? Dans ses lignes directrices sur l'externalisation juridique, publiées en juin 2010, le Conseil des barreaux européens (CCBE) a ainsi souligné l'importance qu'il y avait à ce que l'avocat donneur d'ordre s'assure de ce que le sous-traitant respecte également les règles déontologiques en vigueur.
Dans un contexte de crise et de saturation du marché, l'externalisation des services peut constituer une solution pour permettre à un cabinet et à ses clients de réduire leurs coûts. Les avocats et leurs clients doivent cependant s'interroger prudemment sur ses implications et sur les gains réels qui en seront retirés. En outre, à l'heure où la France souhaite promouvoir son droit, les pouvoirs publics vont devoir s'interroger pour savoir s'il convient de protéger les avocats français ou d'encourager cette externalisation, afin d'améliorer la compétitivité de leurs cabinets.
(1) D'une façon générale, on distingue plusieurs formes d'externalisation qui peuvent s'appliquer aux services juridiques. On utilise ainsi le terme de "onshoring" pour désigner l'externalisation réalisée dans le même pays, celui de "nearshoring" lorsqu'elle a lieu vers un pays proche, et celui de "offshoring" lorsque le pays est plus éloigné. S'agissant de la forme que revêt l'externalisation, celle-ci suppose le recours à un prestataire extérieur autonome, à un centre captif, dont l'entreprise sera le seul client, ou encore à une filiale.
(2) Source T.V. Mahalingam and Rahul Sachitanand, A legal passage to India, Business Today, 12 décembre 2010.
(3) L'externalisation juridique, ou Legal Process Outsourcing (LPO), s'inscrit dans la continuité du Business Process Outsourcing (externalisation d'une activité complète de l'entreprise, par exemple, la gestion de la paie) et du Knowledge Process Outsourcing (externalisation d'une expertise).
(4) Etude Valuenotes de 2007 intitulée : Offshoring Legal Services to India - An Update. Voir également le rapport de cette même société, intitulé Legal Process Outsourcing: Crisis Creates New Opportunities for LPOs de novembre 2009.
(5) Source pour 2010 et 2012. Le marché de l'externalisation représenterait entre 3 et 4 milliards de dollars aux Etats-Unis, selon Nassscom. Plus de 200 grandes sociétés américaines y auraient recours ou seraient intéressées, selon le conseil des Chambres du commerce et de l'industrie indiennes.
(6) Source Top ten trends for legal outsourcing in 2010', Report by Fronterion LLC, available here.
(7) Et 32 000 employés en 2010.
(8) Le rapport Prada sur les facteurs de renforcement de la compétitivité juridique de la place de Paris y fait toutefois référence, à la page 44.
(9) L'externalisation pourrait cependant avoir un impact positif. En effet, en abaissant les coûts probables d'un litige, les personnes qui se sentent lésées seront incitées à introduire un recours, là où elles auraient eu tendance à ne pas recourir à un avocat ou à régler à l'amiable leur différend.
(10) Autre coût caché, l'effet de devise.
(11) Pour les entreprises, l'externalisation juridique directe peut constituer un frein au développement d'une culture juridique au sein de l'entreprise, laquelle est particulièrement importante pour une entreprise, afin de réduire son exposition aux risques juridiques et de développer en interne une capacité à se saisir des opportunités juridiques offertes par le droit.
(12) Le non-respect de cette règle peut être sanctionné par une amende pouvant aller, selon l'article 226-16 du Code pénal (N° Lexbase : L4476GTX), jusqu'à 300 000 euros (1,5 million d'euros pour les personnes morales) et 5 ans d'emprisonnement. Voir également, la Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (N° Lexbase : L8240AUQ) et les guides de transferts élaborés par la Commission, ainsi que le rapport de la CNIL de 2010 intitulé Les questions posées pour la protection des données personnelles par l'externalisation hors de l'Union européenne des traitements informatiques.
Ce texte a été écrit dans le cadre du programme de recherche "Droit, Management et Stratégies" (DMS) développé au sein du Centre Européen de Droit et d'Economie (CEDE) de l'ESSEC
Cet article est tiré du Juriste d'entreprise Magazine n° 17, édité par l'AFJE, juillet 2013.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438052
Réf. : Cass. civ. 2, 4 juillet 2013, n° 12-23.010, F-D (N° Lexbase : A5383KI9)
Lecture: 1 min
N8230BTY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 02 Août 2013
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438230
Réf. : CA Douai, 9 juillet 2013, n° 12/04450 (N° Lexbase : A5733KI8)
Lecture: 1 min
N8231BTZ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 15 Août 2013
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438231
Réf. : CA Aix-en-Provence, 4 juillet 2013, n° 11/16028 (N° Lexbase : A5673KIX)
Lecture: 1 min
N8232BT3
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 23 Août 2013
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438232
Lecture: 1 min
N8235BT8
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 01 Août 2013
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438235
Lecture: 1 min
N8236BT9
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 10 Août 2013
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438236
Lecture: 1 min
N8237BTA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 13 Août 2013
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438237
Réf. : Cass. civ. 1, 10 juillet 2013, n° 12-25.444, F-D (N° Lexbase : A8810KI7)
Lecture: 1 min
N8239BTC
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 29 Août 2013
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438239
Réf. : Cass. civ. 1, 3 juillet 2013, n° 12-23.016, F-D (N° Lexbase : A5552KIH)
Lecture: 1 min
N8238BTB
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 23 Août 2013
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438238
Réf. : Cass. civ. 1, 3 juillet 2013, n° 12-30.180, F-D (N° Lexbase : A5497KIG)
Lecture: 2 min
N8234BT7
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 23 Août 2013
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438234
Lecture: 13 min
N8147BTW
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Vincent Téchené, Rédacteur en chef
Le 27 Mars 2014
L'étude présentée et réalisée par FIDAL et l'AAA est relative aux meilleures pratiques des directions juridiques des grandes entreprises françaises, tant en matière d'organisation interne que de règlement des contentieux, questions cruciales pour l'entreprise dans un environnement des affaires de plus en plus compétitif.
Maître Isabelle Vaugon, avocat associé, FIDAL, considère qu'il est du devoir des avocats, dans leur rôle de conseil, de proposer des modes alternatifs de règlement des litiges, permettant une solution plus rapide, une plus grande maîtrise de l'issue du litige et un maintien de la relation d'affaires, créatrice de valeur pour l'entreprise.
Dans la première étude menée en 2009, il est apparu qu'a l'instar des entreprises américaines, les entreprises françaises avaient conscience des conséquences positives de la médiation : ainsi, 85 % considéraient que la médiation leur permettait de gagner du temps ; 70 % qu'elle leur faisait économiser de l'argent et 85 % reconnaissaient qu'elle leur avait permis de sauvegarder la relation d'affaires, voire pour 35 % qu'elle avait entraîné la naissance d'une nouvelle relation, créatrice de valeur pour l'entreprise. Pourtant, en 2009, seulement 39 % des entreprises françaises utilisaient la médiation, contre 85 % des entreprises américaines. Parmi les entreprises n'y ayant pas recours, 92 % avouaient que la raison en était leur méconnaissance de ce MARL. L'information est donc cruciale en cette affaire. L'étude de 2009 mettait également en exergue que les entreprises utilisaient l'arbitrage davantage en matière internationale et l'arbitrage institutionnel plutôt que l'arbitrage ad hoc.
Enfin, cinq meilleures pratiques, mises en place par les entreprises les plus "dispute wise", avaient été dégagées :
- la mise en place d'une politique de gestion des litiges formelle ou informelle ;
- la formation des équipes juridiques aux MARL ;
- un suivi interne des relations et des contrats ;
- un recours stratégique aux MARL ;
- l'anticipation du recours aux MARL par l'insertion de clauses.
L'étude présentée le 12 juin 2013 a été réalisée auprès d'un panel plus restreint composé des entreprises les plus investies dans le management optimisé des litiges. Les résultats de cette étude révèlent que, dans un contexte de crise économique, l'on assiste à une véritable révolution des mentalités et des comportements dans l'entreprise, dont les avocats doivent prendre la pleine mesure afin d'adapter leurs services en conséquence. L'analyse des résultats de cette enquête approfondie permet de comprendre que les entreprises les plus "dispute wise" considèrent comme un enjeu stratégique majeur de maîtriser la gestion de leurs litiges pour diminuer leurs impacts sur leur image de marque, leur politique sociétale et leur résultat financier. A cet effet, elles ont réorganisé leur département juridique afin que celui-ci soit de plus en plus proche des opérationnels.
Dans cet objectif, cinq constats essentiels émergent de cette analyse :
1. Meilleure organisation des directions juridiques. Ces entreprises anticipent la naissance de ces litiges en améliorant l'organisation de leurs directions juridiques, afin notamment que :
- les juristes soient plus proches des opérationnels et vice versa ;
- les services rendus par leurs équipes soient plus "business oriented" ;
- la résolution des conflits soit prioritairement traitée par des modes alternatifs de règlement des contentieux, afin d'éviter les contentieux destructeurs de valeur.
2. Formation et nouvelles compétences des équipes juridiques : les entreprises forment leurs équipes juridiques et opérationnelles aux MARC pour les mettre en capacité de gérer, avec les bons réflexes, les litiges au sein de l'organisation. Ces dernières ont appris à analyser les erreurs commises par le passé et à en tirer les enseignements afin d'optimiser leur approche et leur technique. Des forums de discussions sont mis en place entre juristes et opérationnels. Ainsi, les directions juridiques sont plus impliquées dans la prévention des risques.
3. Etroite relation avec les avocats : les directions juridiques fonctionnent en équipe avec leurs avocats et ne se contentent plus de se décharger de leurs dossiers de litiges. Elles souhaitent être associées en amont dans la stratégie, puis plus tard, dans la gestion à long terme du dossier. Elles recherchent avec leurs conseils extérieurs les solutions les plus adaptées à leur problématique, en s'assurant que le conseil ne négligera aucune opportunité de mettre en place un dispositif de résolution amiable des litiges lorsque cela s'avèrera possible.
Les entreprises les plus "dispute wise" émettent le souhait que leurs conseils intègrent les contraintes de leur profession, conduisent leurs dossiers en parfaite harmonie avec leur éthique et leur culture qui n'encouragent pas systématiquement le contentieux.
4. Intégration de la direction juridique dans le top management : cette étude témoigne d'un véritable changement culturel des directions juridiques opéré dans le cadre de leurs fonctions ; elles se considèrent elles-mêmes comme des agents du changement pour la conduite d'un meilleur climat des affaires. Aussi, les entreprises s'attachent à intégrer la direction juridique dans les instances décisionnaires du top management pour qu'elle soit associée à toutes les décisions stratégiques de l'entreprise, lui permettant ainsi de mettre en oeuvre des règles de fonctionnement internes favorisant une meilleure gestion des risques.
Ces changements culturels invitent donc les avocats à emprunter la même voie afin de proposer un service adapté aux besoins clairement exprimés. L'objectif clé de l'ensemble des directeurs juridiques et juristes interviewés est d'éviter le contentieux pour préserver la relation d'affaires, confirme Isabelle Vaugon. "En tant qu'avocats formés aux MARC, nous travaillons en étroite collaboration avec les équipes juridiques internes de nos clients afin de contribuer activement à la gestion des risques et donc à la performance globale de l'entreprise" affirme-t-elle. Elle se félicite également de l'engagement du barreau de Paris dans cette voie qui, sous l'impulsion de son Bâtonnier Madame Christiane Féral-Schuhlb, a pris des initiatives en faveur de la médiation (cf. infra).
Pour Pierre-Jérôme Abric, Directeur juridique contentieux, Groupe Areva, cette étude montre la poursuite d'une mutation bienvenue des directions juridiques pour jouer un rôle toujours plus important dans l'organisation de l'entreprise grâce à un renforcement de leur rôle stratégique. Cette évolution est, selon lui, logique : de plus en plus, les thématiques de prévention et de gestion des risques sont associées à l'amélioration de la performance de l'entreprise. Cette mutation se traduit, dans le rapport, par la présence de termes récurrents : "anticiper", "optimiser", "stratégique", "relation d'affaires", "dimension des affaires", "opportunité", "opérationnel", "solution", etc..
Selon Pierre-Jérôme Abric, la qualification et l'identité du juriste tend à évoluer vers une reconnaissance en tant qu'acteur essentiel des affaires, et non plus comme l'interlocuteur ponctuel pour résoudre un problème précis. Plus proche des opérationnels et des managers, le juriste doit être un interprète ; il doit traduire dans des termes juridiques les problématiques soulevées, puis restituer une solution adaptée dans des termes compréhensibles par des profanes du droit. Si cette proximité entre juristes et opérationnels est bienvenue, il doit éviter certains écueils et notamment conserver son indépendance et son rôle de modérateur.
Christine Guerrier, Directeur Juridique - Résolution des différends et contentieux, Groupe Thalès, confirmant les propos précédents, retient que l'étude de 2013 montre en effet une évolution sensible dans les entreprises, surtout dans la mentalité des juristes qui ne dissocient plus le contentieux de la vie des affaires ; ce dernier fait partie intégrante de la vie normale de l'entreprise et n'est donc plus la seule affaire d'un conseil extérieur. Bien souvent, le principal obstacle à la résolution alternative des litiges était le juriste de l'entreprise, persuadé que l'issue du procès lui sera favorable. En devenant un vrai business partner de l'entreprise, le juriste prend conscience que l'issue favorable d'un procès long, coûteux et destructeur de la relation d'affaires n'est pas nécessairement la solution optimale pour l'entreprise et qu'il est préférable de trouver une solution concrète, rapide et efficace.
Pour Isabelle Hautot, Directrice juridique, Groupe Orange, l'impression générale qui se dégage de l'étude menée par FIDAL et l'AAA est qu'en quelques années l'approche du litige a changé, pour passer du tout contentieux au règlement du conflit "avant qu'il ne dégénère". Ceci traduit tout d'abord le fait que la réaction "d'aller au contentieux", selon l'expression couramment utiliser par les praticiens, est désormais perçue comme une attitude belliqueuse, liée à un champ de vision restreint, donc insuffisant. Elle n'est donc plus légitime d'emblée et doit pour cela paraître murie et passer en quelque sorte au "tamis" d'une évaluation globale des enjeux, des risques et des solutions alternatives. Dès lors, pour Isabelle Hautot, la conséquence est que l'on est sorti de l'alternative simpliste entre des négociations, généralement assez bâclées et purement financières, et une solution purement contentieuse. La seconde conséquence de cette nouvelle approche du litige est qu'est désormais privilégiée l'analyse des risques la plus précoce et la plus globale possible, permettant ainsi d'ouvrir la palette des solutions à un conflit enfin perçu dans sa complexité, alors que, par définition, le contentieux signifie prisme légal et donc restriction des termes du litige. Le recours aux MARC n'a donc plus comme vocation de palier les inconvénients des systèmes judiciaires mais de fournir des solutions appropriées à une nouvelle appréhension du conflit dans sa précocité et sa globalité. De cela nait un changement de vision du conflit et du rôle du droit : le droit dans l'entreprise était traditionnellement considéré à l'aune du traitement des contentieux, donc appréhendé comme la solution d'un élément négatif, alors que désormais il tend à être perçu comme le cadre créateur et protecteur de la valeur de l'entreprise.
La direction juridique d'une société est responsable in fine du traitement des questions juridiques : elle est responsable de la mise en musique des accords ; elle est responsable de la formation pertinente des managers et des dirigeants ; elle est responsable de l'appréciation exacte des risques et de la solution raisonnée des conflits. La direction juridique étant ainsi responsable du résultat, bon ou mauvais, elle doit être responsable de ses moyens internes et externes. Sur les moyens externes, il s'en infère immédiatement que le directeur juridique doit être libre du choix des conseils. En amont de ce choix, le directeur juridique doit non seulement détecter et mettre en forme les conflits, mais il décide aussi du mode de résolution des conflits. "Le juriste en entreprise ne doit donc pas être celui qui répond aux questions, mais celui qui les pose", affirme Isabelle Hautot. Le but est que le conseil externe et le conseil interne forment une véritable équipe, pour laquelle la direction juridique est responsable de sa composition, de ses orientations et de sa stratégie. Pour un fonctionnement optimal de cette équipe, sont notamment indispensables : une définition claire des rôles de chacun, l'existence d'un lien de confiance absolue, le partage d'une même vision, une discussion et une entente sur les choix stratégiques.
La direction juridique attend rarement du conseil extérieur qu'il porte un "diagnostic de médecine interne", mais qu'il réponde à des questions largement élaborées en amont dont conseil interne et conseil extérieur vont vérifier ensemble la pertinence. Les qualités attendues du conseil extérieur sont donc celles qui conditionnent l'excellence de la relation : reconnaissance réciproque des compétences et des rôles de chacun à proportion de la complexité des dossiers, relation de pairs plutôt que de client à fournisseur, capacité d'écoute, d'entendre et de confronter des visions différentes et capacité de passer de positions strictement juridiques à la compréhension des besoins de la société. Bien entendu, le conseil extérieur doit revêtir des qualités plus personnelles : compétence, qualité d'exigence, acuité, hauteur de vue, esprit de synthèse, autonomie et modestie. Au-delà de garantir un succès sur un dossier, ces qualités permettent l'approfondissement et la pérennisation de la relation avec le conseil extérieur.
Pour Isabelle Hautot, conseil interne et conseil extérieur d'une entreprise exercent le même métier mais qui recouvre des fonctions et des rôles très étroitement complémentaires, qui font la force de l'équipe en question. Aussi, l'absence de statut pour le juriste d'entreprise est, selon elle, une ineptie qui a pour conséquence absurde l'absence de legal privilege. Or, la reconnaissance de ce dernier revêt un intérêt particulier car il permettrait d'identifier le rôle du droit dans l'entreprise et de percevoir les équipes formées par les juristes et les avocats extérieurs comme homogènes, guidées par une vision synthétique et à long terme des problèmes, ce qui caractérise la vision des juristes là où les visions des opérationnels sont essentiellement à court terme.
La relation entre le juriste et le conseil extérieur devrait évoluer vers toujours plus de complémentarité et d'égalité, s'inscrivant dans la tendance générale d'une demande de plus en plus importante des sociétés, elles-mêmes, d'information, de maîtrise des risques et des considérations stratégiques, le contentieux devenant lui-même un outil stratégique. La notion de résolution des conflits supplante ainsi celle de gestion des contentieux. Dès lors, ce qui fait la singularité et le caractère du juriste interne est qu'il est au fait des enjeux, mais la distance qu'il doit conserver afin d'avoir la vision la plus objective possible est un jeu souvent subtil, dans lequel le conseil extérieur joue également un rôle important.
Pour Hervé Delannoy, Président de l'AFJE, la formation du juriste d'entreprise est une question cruciale. Sa formation juridique initiale n'est pas suffisante ; il est indispensable qu'il bénéficie d'une formation complémentaire, notamment en finance, gestion, management, négociation, etc., car il s'agit d'un métier qui a besoin d'autres apports que le droit. En outre, le contenu du métier évolue et touche désormais, notamment la gestion et la cartographie des risques, ce qui se traduit par une évolution de l'organisation des directions juridiques.
Le statut du juriste d'entreprise est une question souvent méconnue. Le juriste français doit d'abord être attentif à ce que son métier, exercé dans un contexte international, reste compétitif. Etre compétitif ne signifie pas être au même niveau que les juristes étrangers mais les dépasser et avoir des atouts supérieurs. Or, malgré la très grande hétérogénéité des statuts, ne serait-ce qu'au sein de l'Union européenne, aujourd'hui, celui du juriste d'entreprise en France constitue un frein à cette compétitivité. Le combat pour le statut d'avocat en entreprise ou pour la confidentialité ne doit pas être considéré comme la défense d'un intérêt corporatiste mais comme celle de l'intérêt de l'entreprise elle-même. En effet, si en France, la pratique du droit n'est pas suffisamment sécurisée, il y a de fortes chances pour qu'elle se délocalise à l'étranger et que les grandes entreprises internationales n'implantent pas leur siège social sur le territoire français. Les entreprises préfèreront recruter des juristes étrangers qui auront le réflexe de pratiquer le droit et de travailler avec des cabinets d'avocats de leur Etat d'origine, ce qui se traduira inéluctablement par une moins grande influence du droit français, notamment face au droit anglo-saxon.
Se pose également le problème, pour les juristes français, du droit de pratiquer leur profession sur le sol d'un autre Etat. En effet, alors que les juristes américains peuvent travailler sur le sol français, la réciproque est impossible. Ainsi, si l'ABA (association du barreau américain) autorise les juristes étrangers à exercer sur le sol américain, elle soumet cette possibilité à leur inscription à un barreau. Or, le juriste français non-avocat, mais aussi le juriste français avocat ne pourront pas exercer sur le sol américain, dès lors que la prise de telles fonctions est conditionnée pour ce dernier par l'omission du barreau français. Cette situation fort regrettable du juriste français n'est pas bonne pour les juristes mais n'est pas bonne non plus pour le rayonnement et la compétitivité du droit français. Face à ce constat plutôt négatif, des jours meilleurs sont toutefois à attendre pour les juristes d'entreprises et il est fort à parier que cette évolution positive attendue vienne de l'Union européenne.
Madame le Bâtonnier du barreau de Paris, Christiane Féral-Schuhl, a souhaité que l'année 2013 soit l'année de la médiation pour le barreau de Paris. Selon elle, la sensibilisation des acteurs du monde juridique et économique à ce MARL passe nécessairement par la formation. Cette dernière permet notamment de comprendre toute la dimension psychologique d'un dossier ; elle offre aussi un nouveau regard sur la justice. Madame le Bâtonnier a salué l'envergure des travaux réalisés par FIDAL et l'AAA, tout comme l'ensemble des initiatives en faveur des MARL. Celles-ci traduisent inexorablement la parfaite conscience qu'ont les acteurs économiques de l'intérêt qui est le leur de maîtriser et d'emprunter, en concertation et coopération avec les avocats, la voie de la médiation pour optimiser le management des litiges. Christiane Féral-Schuhl se réjouit de l'essor pris par la médiation, bien que tous n'aient pas encore pris la mesure du rôle qu'elle peut jouer, tout particulièrement au sein de l'entreprise. Certes les entreprises ont appréhendé ce mode de management des litiges, mais le conflit reste encore trop omniprésent et le recours à la médiation trop tardif, souvent en cours de procédure. Or, la clé de la médiation est sa capacité à imaginer un futur, à forcer à innover, là où le contentieux met un point final aux relations entre les parties. La médiation suppose une vraie coopération entre les avocats et les directions juridiques, ces dernières ne devant pas considérer leurs conseils extérieurs comme de simples professionnels du contentieux, incapables d'être des prescripteurs de modes alternatifs de règlement des conflits et de trouver une issue amiable à leur litige. Les avocats sont des alliés précieux des directions juridiques ; ils doivent pour cela avoir pleinement conscience que la médiation tend à minorer les conséquences financières, sociales et affectives des litiges. Juristes et avocats doivent bâtir ensemble cette justice consensuelle qui est un atout pour les justiciables et qui permet à l'avocat de s'investir différemment auprès des directions juridiques.
Le barreau de Paris, sous l'impulsion de son Bâtonnier, a lancé plusieurs initiatives en faveur de la médiation notamment, avec la création d'une école de la médiation, dans le cadre de la formation continue à l'EFB, ou encore la volonté de rapprocher les différents centres et associations de médiation, grâce, en particulier, au travail accompli par Maître Michèle Jaudel, avocat au barreau de Paris, médiateur, responsable de la Commission ouverte médiation du barreau de Paris et déléguée de Madame le Bâtonnier à la médiation. En effet, selon Christiane Féral-Schuhl, fédérer l'ensemble des initiatives isolées ne peut que renforcer la voix des promoteurs de ce MARL et assurer l'émergence de bonnes idées.
(1) A propos de Fidal : Fort de ses 1 350 juristes et fiscalistes, FIDAL est le premier cabinet d'avocats d'affaires français. Il dispose de 90 bureaux en France et d'un réseau de 150 correspondants dans le monde entier. Son département Règlement des contentieux, composé de 150 avocats, a pour ambition de proposer à ses clients les modes de résolution des litiges les plus rapides, les moins coûteux et les plus appropriés pour chaque différend. Les avocats contentieux de FIDAL sont formés à la médiation depuis plus de 15 ans. FIDAL est classé premier cabinet d'avocats français expert en médiation (Décideurs).
(2) A propos de l'American Arbitration Association : Leader mondial du management de conflits depuis 1926, l'American Association Arbitration (AAA) est une association à but non lucratif, proposant des services de résolution des litiges et notamment d'arbitrage, médiation, conciliation, négociation et d'autres procédures volontaires.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438147
Lecture: 2 min
N8053BTG
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christian Jammaers, membre du Bureau et du Conseil de l'IJE, responsable du cours de déontologie
Le 27 Mars 2014
Le juriste d'entreprise est tenu d'informer l'Institut de tout élément nouveau (changement de fonction ou d'employeur...) susceptible d'avoir une incidence sur sa qualité de juriste d'entreprise et d'avertir le président du conseil de l'Institut par écrit dès qu'une procédure judiciaire en relation avec sa profession ou susceptible de porter atteinte à la dignité de la profession est ouverte contre lui.
Le lien de subordination ne diminue en rien l'indépendance intellectuelle du juriste d'entreprise : "Le juriste d'entreprise exerce sa profession en toute indépendance intellectuelle. Il est conscient que la valeur de ses avis repose sur une objectivité et une intégrité intellectuelle absolues et s'engage à respecter ces principes, quelles que puissent être les circonstances ou les influences auxquelles il pourrait être soumis" (Code de déontologie, art. 4).
Ceci comporte des exigences particulières de professionnalisme dans l'exercice de la profession : "Le juriste d'entreprise est conscient que l'objectivité et la qualité de ses avis sont à la fois fonction d'une connaissance approfondie de la loi, de l'entreprise dans laquelle il exerce sa fonction et du secteur dans lequel cette entreprise évolue. [...] Le juriste d'entreprise exerce sa profession avec discernement, diligence et prudence. Il défend avec loyauté et bonne foi les intérêts de son entreprise, [...], il s'efforce de recourir, dans les avis et les conseils qu'il donne, à un langage clair et s'assure que la teneur de ses avis est bien comprise par ses interlocuteurs" (Code de déontologie, art. 5).
La loi garantit, par son article 5, la confidentialité des avis du juriste d'entreprise. Il s'agit là d'une caractéristique essentielle de la profession qui la distingue des autres juristes "en" entreprise, qui ne sont pas tenus à notre déontologie.
La cour d'appel de Bruxelles, dans son arrêt du 5 mars 2013, l'exprime en ces termes : "Les employeurs qui s'adressent aux juristes d'entreprise dans les conditions prévues par l'article 5 de la loi, doivent avoir la certitude qu'ils peuvent leur confier des demandes d'avis sans dangers de révélation à des tiers".
La confidentialité de nos avis garantie par la loi, ainsi que leur insaisissabilité, notre devoir de discrétion et le titre que nous portons exigent que notre comportement soit irréprochable et digne.
Le non-respect de ces règles entraîne les sanctions disciplinaires prononcées par les organes disciplinaires qui sont composés de magistrats. La loi a prévu deux instances en charge du suivi de la discipline : la commission de discipline (composée d'un président, juge au tribunal de première instance, et deux juristes d'entreprise) et la commission d'appel (composée d'un président, conseiller auprès d'une cour d'appel, d'un juge au tribunal de commerce et d'un juge au tribunal du travail et deux juristes d'entreprise).
La déontologie de notre profession, à laquelle notre Institut accorde la plus grande attention, doit baliser notre manière d'agir en tant que juriste d'entreprise. Elle nous permet également de définir notre place aux côtés des autres professions réglementées et oeuvrant à l'intérêt général.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438053
Lecture: 9 min
N8050BTC
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Damien Gerard, Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP (Bruxelles) *
Le 27 Mars 2014
L'arrêt commenté a d'importantes implications au niveau belge, dans la mesure où il clarifie l'étendue de la "confidentialité" reconnue par la loi aux avis juridiques des juristes d'entreprise. Cependant, il est également susceptible d'avoir un impact au niveau européen. D'une part, il rejette expressément l'application de la jurisprudence "Akzo" de la Cour de justice de l'Union européenne aux enquêtes nationales de concurrence (2), quant bien même ces dernières viseraient à établir des infractions au droit européen. D'autre part, l'arrêt pourrait réactiver le débat européen sur la reconnaissance du legal privilege aux juristes d'entreprises, dans la mesure où il déduit la protection des avis des juristes d'entreprises en cas de perquisition de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR) et de l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX).
La note suivante présente le contexte de l'affaire en cause, avant de résumer le raisonnement de la cour d'appel et d'analyser les implications de l'arrêt.
1 - Le contexte de l'affaire
La loi belge du 1er mars 2000, créant l'Institut de Juristes d'Entreprise, dispose en son article 5 que : "[L]es avis rendus par le juriste d'entreprise, au profit de son employeur et dans le cadre de son activité de conseil juridique, sont confidentiels". Le contenu et les effets de cette "confidentialité" reconnue par la loi ont cependant fait l'objet de nombreux débats. Ces débats se sont cristallisés sur les enquêtes de concurrence après l'annonce par le CCB en 2008 de sa décision de ne plus faire bénéficier les avis des juristes d'entreprise d'une immunité de saisie, à la suite de l'arrêt du Tribunal de l'Union européenne, rendue dans l'affaire "Akzo".
La légalité de cette décision du CCB n'avait encore jamais été testée en justice, jusqu'à ce que Belgacom introduise un recours en 2010 à l'encontre du refus d'écarter des débats les avis de juristes d'entreprise saisis au cours d'une perquisition effectuée dans ses bureaux au mois d'octobre de la même année (3). Toutefois, le litige entre Belgacom et le CCB portait également sur d'autres éléments dont le caractère "out-of-scope" de nombreux fichiers numériques saisis au cours de la perquisition, la langue de la procédure et même la compétence de la cour d'appel de Bruxelles pour trancher ces questions.
Saisie du recours de Belgacom, la cour d'appel a, d'abord, rendu un jugement interlocutoire ordonnant la suspension de la transmission des documents litigieux aux agents du CCB chargés de l'enquête (4). La cour d'appel a ensuite interrogé la Cour constitutionnelle belge sur sa compétence. Une fois sa compétence confirmée, la cour a ensuite invité les parties à échanger leurs conclusions sur le fond des questions soulevées. C'est à ce stade que l'IJE décida, pour la première fois, d'intervenir dans le cadre d'une procédure judiciaire, au soutien de la position de Belgacom, selon laquelle la confidentialité des communications adressées à et émanant de(s) juristes d'entreprise fait obstacle à leur saisie dans le cadre d'une procédure nationale de concurrence.
Devant la cour d'appel, le CCB a fait valoir qu'il convenait -en droit ou à tout le moins en opportunité- d'appliquer la jurisprudence "Akzo" à une enquête nationale visant à établir une infraction au droit européen de la concurrence (en l'espèce, l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne N° Lexbase : L2399IPK). En revanche, Belgacom et l'IJE considéraient que la jurisprudence "Akzo" n'était pas applicable aux enquêtes des autorités nationales de concurrence, quand bien même celles-ci viseraient à établir une infraction au droit européen, et, en particulier, que les avis juridiques des juristes d'entreprise ne pouvaient être saisis au regard de la confidentialité qui leur est reconnue par la loi belge du 1er mars 2000 et/ou des articles 6 (N° Lexbase : L7558AIR) et 8 de la CESDH (protégeant le droit à un procès équitable et le droit à la vie privée, respectivement).
2 - Le raisonnement de la cour d'appel
La cour d'appel a procédé en cinq étapes pour arriver à la conclusion que les avis des juristes d'entreprise méritaient une protection équivalente au secret professionnel en droit belge.
La cour d'appel conclut que la saisie d'avis juridiques rendus par les juristes d'entreprise de Belgacom constitue une violation de l'article 8 de la CESDH et considère, en conséquence, que lesdits avis "ne peuvent figurer au dossier de l'instruction et dès lors doivent être effacés".
3 - Les implications de l'arrêt
Bien qu'il puisse encore faire l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation belge, l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles a des implications significatives, en ce compris en-dehors du contexte belgo-belge. Certes, l'arrêt confirme, tout d'abord, après des années d'insécurité juridique, que la confidentialité des avis des juristes d'entreprise (membres de l'IJE) implique également une interdiction de saisie et donc s'apparente au secret professionnel. Cette protection s'étend en outre aux demandes d'avis, aux correspondances afférentes et aux actes préparatoires. Un raisonnement par analogie conduit également à considérer que la protection conférée aux avis des juristes d'entreprises s'étend au-delà du domaine du droit de la concurrence, dans la mesure où l'article 8 de la CESDH est d'application générale et où ses effets ne varient pas en fonction de la nature de l'action publique (civile, administrative ou pénale).
Cela dit, l'arrêt pourrait aussi avoir plusieurs implications intéressantes au niveau européen. D'une part, il rejette expressément l'applicabilité de la jurisprudence "Akzo" aux procédures nationales de concurrence, même lorsque ces procédures visent à établir une infraction au droit européen. De la même manière, l'arrêt confirme que la loi nationale s'applique (et donc que la protection des avis des juristes d'entreprise doit être garantie), dès lors que l'autorité nationale procède à une inspection à la demande de la Commission européenne (mais pas lorsqu'elle ne fait que prêter assistance aux agents de la Commission dans le cadre d'une perquisition ordonnée au niveau européen) (7).
D'autre part, et plus fondamentalement, le fait que la cour d'appel ait fondé la protection des avis des juristes d'entreprise sur l'article 8 de la CESDH, en mentionnant son équivalent dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ouvre de nouvelles pistes pour défendre la reconnaissance de cette protection au niveau européen à un moment où l'Union européenne est sur le point d'adhérer à la CESDH. Néanmoins, tant que plusieurs Etats membres n'auront pas décidé de faire évoluer leur cadre réglementaire national dans la direction d'une protection des avis des juristes d'entreprise, un changement de position de la CJUE demeure aléatoire.
L'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles démontre, enfin, la pertinence du modèle belge d'organisation de la profession de juriste d'entreprise autour d'un ordre professionnel distinct du barreau, doté d'une déontologie et de structures propres. Ce modèle est susceptible d'apporter des garanties suffisantes en termes d'indépendance fonctionnelle des juristes d'entreprise de nature à "préserver l'intérêt général en permettant une application correcte de la loi par les entreprises" et, de ce fait, à justifier l'octroi d'une protection spécifique à leurs avis juridiques. Il constitue, dès lors, une réelle alternative au modèle du rapprochement institutionnel entre juristes d'entreprise et avocats et donc à celui des avocats salariés en entreprise. A cet égard, il est intéressant de constater que la Cour suprême néerlandaise (Hoge Raad) a jugé, dans un arrêt du 15 mars 2013, que les avocats pratiquant en entreprise ("advocaat in loondienst") disposaient des mêmes droits que les avocats indépendants -en ce compris en terme de secret professionnel-, dans la mesure où l'employeur reconnaît contractuellement l'assujettissement de l'avocat aux règles déontologiques édictées par l'association des barreaux néerlandais et s'engage à garantir l'indépendance de ce dernier (8). Deux modèles différents d'organisation, pour un résultat au final comparable : les avis des juristes d'entreprise soumis à des règles déontologiques strictes garantes de leur indépendance doivent bénéficier d'une protection excluant leur saisie par les autorités publiques.
(1) Loi du 1er mars 2000, créant un Institut des Juristes d'Entreprise, M.B., 4 juillet 2000, p. 23252. Pour plus d'informations, voy. Le site internet de l'IJE.
(2) Pour rappel, la jurisprudence "Akzo" refuse toute protection aux communications impliquant des juristes exerçant leur activité dans le cadre d'une relation d'emploi (cf. TPICE, 17 septembre 2007, T-125/03 et T-253/03 N° Lexbase : A2206DYD, 2007, Rec. p. II-3523 ; CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P N° Lexbase : A1978E97, 2010, Rec. p. I-8301).
(3) Le litige portait sur 194 courriels concernant des demandes d'avis ou des avis de juristes d'entreprise de Belgacom postérieurs à 2008, ainsi que sur trois courriels antérieurs à 2008 dont le CCB estimait qu'ils ne contenaient pas d'avis juridique et dont Belgacom estimait qu'ils n'avaient pas de lien avec l'affaire.
(4) Dans ce jugement interlocutoire, la cour d'appel de Bruxelles avait déjà laissé entendre que le principe posé dans l'arrêt "Akzo" "ne semblait pas" applicable aux procédures diligentées par le CCB (au contraire de celles diligentées par la Commission européenne).
(5) Dans d'autres domaines, la jurisprudence a toutefois fait référence à l'article 458 du Code pénal belge pour écarter l'admissibilité d'avis de juristes d'entreprise en tant qu'éléments de preuve. En tout état de cause, l'article 458 du Code pénal ne fait que sanctionner pénalement la divulgation de "secrets" confiés aux titulaires de certaines professions, en ce compris les docteurs et pharmaciens, et ne dit rien au sujet d'une possible interdiction de saisie en cas de perquisition par une autorité publique. De ce fait, les Présidents des sections francophone et néerlandophone du barreau de Bruxelles ont publié une note conjointe en 2012, considérant que l'article 458 du Code pénal ne constituerait pas une base juridique appropriée pour le secret professionnel, qui devrait plutôt trouver son fondement dans les articles 6 et 8 de la CEDH (cf. J.-P. Buyle and D. van Gerven, Le fondement et la portée du secret professionnel de l'avocat dans l'intérêt du client, J.T., 2012, p. 327).
(6) Article 22 § 2 du Règlement 1/2003, relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102] du [TFUE] (N° Lexbase : L9655A84), JOUE, L 1 du 4 janvier 2003, p. 1.
(7) Idem, contra art. 20 § 5.
(8) Hoge Raad (Cour suprême néerlandaise), aff. 12/02667, Delta et al., 15 mars 2013 (disponible sur www.rechtspraak.nl, ref. LJN:BY6101).
Cet article est tiré du Juriste d'entreprise Magazine n° 17, édité par l'AFJE, juillet 2013.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438050
Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 17 juillet 2013, n° 359420, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0070KKS)
Lecture: 1 min
N8227BTU
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 04 Septembre 2013
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438227