Le Quotidien du 16 août 2022

Le Quotidien

Baux commerciaux

[Jurisprudence] Le caractère réputé non écrit des clauses de renonciation au droit au renouvellement dans les baux commerciaux en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014

Réf. : Cass. civ. 3, 21 avril 2022, n° 21-10.375, F-D N° Lexbase : A48737UZ

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N1491BZA

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par Marie-Laure Besson, Maître de conférences en droit privé à l’Université Sorbonne Paris Nord, Membre de l’Institut de Recherche pour un Droit Attractif (IRDA) - UR 3970

Le 05 Août 2022

Mots-clés : bail dérogatoire • clause de renonciation par le preneur à « la propriété commerciale » • clause acquise à l'issue d’un bail commercial de neuf années • caractère réputé non écrit de la clause de renonciation (oui) • application de la sanction du réputé non écrit aux baux en cours lors de l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 (oui) • effet légal du contrat (oui) • ordre public

La réforme du statut des baux commerciaux opérée par la loi « Pinel », promulguée le 18 juin 2014, a largement agité les plumes de la doctrine, tout particulièrement s’agissant de la question de l’application dans le temps de cette loi et d’une mutation de nature de l’ordre public de ce statut par la substitution de la sanction du réputé non écrit à celle de la nullité des clauses lui étant contraires. Justement, la troisième chambre civile offre une occasion de revenir sur ces questions. Elle réaffirme d’abord que la sanction du réputé non écrit des clauses contraires au statut résultant de l’article L. 145-15 du Code de commerce est applicable aux baux en cours lors de l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 en précisant, de façon on ne peut plus claire, qu’il s’agit bien d’un effet légal du contrat. Elle en déduit ensuite que la clause de renonciation qui avait pour effet de faire échec, au terme de neuf années, au droit de renouvellement du bail commercial conclu à effet du 2 mai 2008, est réputée non écrite.


 

1. Bien qu’étant inédite, cette décision apparaît intéressante en pratique, car elle revient sur l'application de la sanction du réputé non écrit aux baux en cours avec une formule claire et sur les clauses de renonciation au droit au renouvellement. Elle maintient son cap quant à l’application de la loi dans le temps et ravive les prédictions doctrinales qui annonçaient l’extinction de la possibilité de renoncer au droit au renouvellement, même lorsque celui-ci est acquis, à l’appui d’une mutation de l’ordre public de protection en un ordre public de direction.

2. Dans l’espèce en question, après avoir conclu un bail dérogatoire de deux années à compter du 2 mai 2006 portant sur des locaux commerciaux, la société locataire, restée dans les lieux, et les bailleurs ont conclu, le 7 avril 2010, un bail commercial prenant effet le 2 mai 2006 pour s'achever le 1er mai 2015. Ce bail contient une clause de renonciation par le preneur à « la propriété commerciale » acquise en 2008, à l'issue de ce bail de neuf années. La locataire, s'étant maintenue dans les lieux au-delà du 1er mai 2015, a opposé à la demande en expulsion formée par la bailleresse, le caractère réputé non écrit de la clause de renonciation.

3. En première instance [1], les juges donnent gain de cause au preneur en déclarant recevable sa demande en requalification du bail du 7 avril 2010 en bail commercial et déboute en conséquence la bailleresse de ses demandes d'expulsion et d'indemnité d'occupation à compter du 1er mai 2015. De plus, ces mêmes juges admettent que le refus de renouvellement du bail avec offre d'indemnité d'éviction invoquée par la bailleresse est valable et que le bail a pris fin le 31 décembre 2015. La bailleresse relève appel à l'encontre du jugement. Pour tenter d’obtenir l’infirmation du jugement, elle soutient que la prescription biennale est applicable à la requalification de la convention en bail commercial à compter de la date de conclusion du contrat et précise qu'en application de l'article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC, le délai de prescription court du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits qui lui permettent de l'exercer. Les juges d’appel [2] répondent à cela qu’en application de l'article L. 145-60 du Code de commerce N° Lexbase : L8519AID, toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans, si bien qu’il en résulte que toutes les actions exercées en vertu des articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce N° Lexbase : L2327IBS se prescrivent par deux ans. Cependant, ils considèrent que la demande tendant à faire constater l'existence d'un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, et qui résulte du seul effet de l'article L. 145-5 du Code de commerce N° Lexbase : L5031I3Q, n'est pas soumise à la prescription biennale. La demande en requalification du bail ne pouvant donc être examinée, les juges poursuivent en retenant que, antérieurement au bail du 7 avril 2010, avait été signé un bail dérogatoire à l'expiration duquel la locataire avait acquis la propriété commerciale le 2 mai 2008, que la renonciation est intervenue postérieurement à la naissance du droit acquis et en parfaite connaissance du preneur, et que le fait que le bail du 7 avril 2010 ait été conclu pour une durée de neuf années, ayant commencé à courir rétroactivement à compter du 2 mai 2006 pour se terminer le 1er mai 2015, n'a pas eu pour effet d'anéantir rétroactivement le bail dérogatoire. Ce faisant, la cour d’appel en conclut que la locataire ne bénéficie pas de la propriété commerciale et qu’elle est occupante sans droit ni titre depuis le 2 mai 2015, si bien qu’elle ordonne son expulsion et la condamne à payer une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant du loyer et charges, jusqu'à son départ effectif des lieux loués. Insatisfaite de cette solution, la société locataire se pourvoit en cassation. À l’appui de son pourvoi, elle soulève que la loi du 18 juin 2014 (loi n° 2014-626 N° Lexbase : L4967I3D), en ce qu'elle a modifié l'article L. 145-15 du Code de commerce N° Lexbase : L5032I3R, en substituant à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 N° Lexbase : L5765AID et L. 145-41 N° Lexbase : L1063KZE du même Code, leur caractère réputé non écrit, est d'application immédiate aux baux en cours et s'oppose désormais à ce que le preneur renonce au bénéfice du statut des baux commerciaux, en toute circonstance. Partant, elle prétend que la cour d’appel, en se déterminant en considération des dispositions de l'article L. 145-15 du Code de commerce N° Lexbase : L5032I3R, dans leur rédaction en vigueur au jour de la conclusion du bail du 7 avril 2010 prenant effet le 2 mai 2006, pour en déduire qu'il était au pouvoir de la société locataire de renoncer au bénéfice du statut des baux commerciaux qu'elle avait acquis en conséquence de son maintien dans les lieux à l'expiration du premier bail dérogatoire conclu le 4 avril 2006, quand l'article L. 145-15 du Code de commerce N° Lexbase : L5032I3R dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014 était d'application immédiate aux baux en cours en tant qu'il répute non écrite toute clause ayant pour objet de faire échec au droit au renouvellement du bail commercial, a violé les dispositions précitées ainsi que l'article 2 du Code civil N° Lexbase : L2227AB4. En réponse à cet argumentaire, la Cour de cassation rappelle dans un premier temps, au visa des articles 2 du Code civil N° Lexbase : L2227AB4 et L. 145-15 du Code de commerce N° Lexbase : L5032I3R, que la loi nouvelle régit les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées et que le caractère réputé non écrit, qui s’est substitué à la nullité, des clauses, stipulations et arrangements ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement institué par le chapitre IV du Code de commerce, est applicable aux baux en cours lors de l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014.

4. Si l’application de la sanction du réputé non écrit aux clauses des baux commerciaux en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 semble aujourd’hui acquise sur le fondement de l’effet légal du contrat, la solution mérite quelques explications (I). Quant à l’attribution de cette sanction à la clause de renonciation à la propriété commerciale, elle paraît justifiée au regard des circonstances de l’espèce, mais fait rejaillir les interrogations doctrinales relatives à la nature de l’ordre public à la suite de la réforme du statut des baux commerciaux et la faculté de renoncer à un droit acquis (II).

I. L’application du caractère réputé non écrit aux clauses des baux commerciaux en cours

5. L’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, venue réformer le statut des baux commerciaux, a donné lieu à plusieurs analyses doctrinales concernant l’application de cette loi dans le temps [3]. Il en ressort une distinction entre plusieurs périodes [4]. Par principe, la loi est d’application immédiate, conformément à l’article 1er du Code civil N° Lexbase : L3088DYZ. Toutefois, la loi ancienne peut survivre en matière contractuelle [5], en application de l’article 2 du même Code, à moins que la loi ait fixé une autre date d’entrée en vigueur ou que la loi régisse des effets légaux d'un contrat [6] ou instaure un ordre public particulièrement impérieux [7] justifiant une application immédiate. Aussi, la loi nouvelle ne peut s'appliquer à un litige en cours, en matière civile, sauf s'il s'agit d'une loi de procédure. S’agissant spécifiquement des baux commerciaux, la sanction du réputé non écrit résultant de l’article L. 145-15 du Code de commerce N° Lexbase : L5032I3R a été identifiée comme leur étant applicable. C’est précisément sur cet aspect que la solution commentée revient en premier lieu.

6. Depuis l’entrée de vigueur de la loi « Pinel », la jurisprudence a admis l’application immédiate de certaines dispositions du statut des baux commerciaux conformément aux prévisions doctrinales. À ce titre, deux premières décisions portant sur les modalités de délivrance du congé peuvent être citées [8]. En revanche, la solution apparaissait plus incertaine à propos de l'application immédiate de la réputation non écrite de certaines clauses prévue par les articles L. 145-15 et L. 145-16 N° Lexbase : L5033I3S du Code de commerce, eu égard à un premier arrêt du 28 février 2018 N° Lexbase : L4967I3D, dans lequel la Cour d'appel de Paris a jugé, s'agissant d'un contrat en cours lors de l'entrée en vigueur de la loi, que le fait que l'assignation ait été délivrée le 7 août 2014, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, rendait applicables les dispositions de cette loi en ce qu'elles avaient substitué à la nullité la sanction de la réputation non écrite [9]. Par la suite, un arrêt rendant applicable immédiatement les dispositions nouvelles issues de la loi « Pinel » de l'article L. 145-46-1, alinéa 1er, du Code de commerce N° Lexbase : L4529MBD relatives au droit de préférence du locataire, sème encore le doute [10]. L’arrêt révélait le caractère d'ordre public de la disposition pour en déduire son effet immédiat sans autre forme d'explications, alors qu’il n'y a pas de relation de cause à effet entre l'ordre public et l'application immédiate en dehors d'un motif impérieux d'intérêt général. En 2019, une décision de non-application immédiate précise sa motivation en énonçant qu'ayant « retenu, à bon droit, d'une part, que l' article L. 145-16-2 du Code de commerce N° Lexbase : L1932I4C, qui revêt un caractère d'ordre public, ne répond pas à un motif impérieux d'intérêt général justifiant son application immédiate, d'autre part, que la garantie solidaire, dont ce texte limite la durée à trois ans, ne constitue pas un effet légal du contrat, mais demeure régie par la volonté des parties, la cour d'appel en a exactement déduit que ce texte n'était pas immédiatement applicable » [11]. Les deux techniques d’application immédiate de la loi nouvelle à un contrat en cours sont là identifiées. Plus récemment, la Cour de cassation a confirmé cette position, à propos d’une clause de révision et du mécanisme de révision légale, en jugeant que la nouvelle sanction du réputé non écrit est d'application immédiate à tous les baux commerciaux, même à ceux conclus antérieurement [12], mais sans expliciter sa motivation. Certaines interprétations doctrinales ont décelé dans la sanction du réputé non écrit un effet légal du contrat [13] alors que d’autres analyses étaient plus nuancées [14]. À l’aune de cette jurisprudence, une certaine doctrine affirme que toutes les dispositions relevant de l'ordre public textuel poursuivent un motif impérieux d'intérêt général rendant leur application immédiate et que celles qui relèvent de l'ordre public révélé verront leur caractère impérieux apprécié au cas par cas [15]. Dans ce contexte, la Haute Cour se retranche derrière sa position antérieure, mais en énonçant clairement que sa solution résulte d’un effet légal du contrat de bail commercial.

7. Ainsi, pour appliquer la sanction du réputé non écrit à la clause de renonciation à la propriété commerciale, la troisième chambre vise les articles 2 du Code civil N° Lexbase : L2227AB4 et L. 145-15 du Code de commerce N° Lexbase : L5032I3R, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 N° Lexbase : L4967I3D, et mentionne très explicitement que la « loi nouvelle régit les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées ». Alors que l’application de cette sanction aux baux en cours est envisageable selon plusieurs biais [16], c’est sur la théorie de l’effet légal du contrat que la troisième chambre se fonde. Un tel raisonnement suppose une situation juridique non définitivement réalisée, mais ayant pris naissance avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, et que les effets examinés « ressortissent à un cadre ou à un statut légal, fruit de la volonté du législateur, dans lequel s’est inscrite la situation particulière créée par le contrat » [17]. Bien qu’une partie des auteurs paraît facilement caractériser la sanction du réputé non écrit comme un effet légal du contrat [18], d’autres sont moins convaincus [19], d’autant que cela conduirait à appliquer immédiatement la loi nouvelle chaque fois qu’elle a une incidence sur les effets du contrat, le principe de survie de la loi ancienne étant fortement restreint [20]. Peut-être la référence à un motif impérieux d’intérêt général aurait-elle été plus convaincante [21], le droit au renouvellement étant une prérogative fondamentale du statut des baux commerciaux [22]. Quoi qu’il en soit, l’application de la sanction du réputé non écrit aux clauses des baux commerciaux en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 semble aujourd’hui acquise.

8. Il s’en infère plusieurs conséquences. La première conséquence a trait à la prescription. De toute évidence, pour engager une action en justice, il est nécessaire que le délai pour agir ne soit pas prescrit et on sait que les actions judiciaires exercées dans le cadre des baux commerciaux sont encadrées par trois délais de prescription [23]. Certaines d’entre elles sont gouvernées par la règle de l’imprescriptibilité. C’est le cas de l’action afférente à une clause réputée non écrite. En effet, la clause réputée non écrite étant considérée comme n’ayant jamais existé, les actions tendant à faire statuer sur son sort ne sont pas soumises à la prescription [24]. Bien que l’effet – à savoir l’imprescriptibilité –  attaché à la sanction du réputé non écrit soit critiqué par certains juristes [25], il est permis de lui trouver un intérêt et une cohérence si l’on suit une logique de pérennisation de l’activité économique, puisque pour préserver cette activité économique, il semble juste qu’une clause qui contrevient à l’exercice de ladite activité puisse être éradiquée à tout moment [26]. Avec la substitution par l’article L. 145-15 du Code de commerce N° Lexbase : L5032I3R, dans sa rédaction issue de la réforme du statut des baux commerciaux, de la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-41 du même Code N° Lexbase : L5765AID, à leur caractère réputé non écrit, le délai de prescription de l’ancienne nullité qui était de deux ans disparaît. De là, découle une seconde conséquence qui tend, comme l’avait présagé un praticien [27], à faire ressurgir des difficultés qui auraient été auparavant éludées par le jeu de la prescription biennale. De façon plus prospective, une troisième conséquence interroge : alors que le demandeur au pourvoi plaidait en faveur d’une prescription biennale, cette solution s’inscrit-elle en faveur de l’imprescriptibilité de la requalification d’un contrat en bail commercial [28] ? Pour un auteur, la réponse doit être positive [29]. Enfin, une quatrième conséquence tient à la divisibilité de la clause sanctionnée [30]. La sanction du réputé non écrit consiste à supprimer la clause litigieuse tout en maintenant le contrat [31]. On considère que la clause n’a jamais existé [32]. Les juristes soulèvent une question à ce sujet : toute la clause sera-t-elle gommée ou le sera seulement la stricte partie illicite de la clause [33] ? Ici, la clause portait sur la renonciation au doit au renouvellement et ne créait manifestement pas de difficulté à propos de sa divisibilité, mais en pratique la problématique peut se poser pour d’autres clauses telles que les clauses de révision [34].

Cela étant admis, il restait à régler la question de la possibilité de renoncer au droit au renouvellement.

II. L’application du caractère réputé non écrit à la clause de renonciation à la propriété commerciale

9. À la suite de la réforme du statut des baux commerciaux par la loi « Pinel », les commercialistes ont annoncé la mutation de la nature de l'impérativité statutaire, de l'ordre public de protection à l'ordre public de direction, mais sans un épuisement total du premier [35]. En ce sens, la dualité de la nature de l’impérativité statutaire a pour conséquence une dualité régime : le réputé non écrit, d’une part, et la nullité, d’autre part. Cette même doctrine en déduit alors une faculté de renonciation à un droit acquis seulement dans le cadre de la nullité, son champ d'application étant réduit au périmètre de l'ordre public de protection. Cela signifie qu’une telle faculté ne pourrait plus être utilisée en présence du réputé non écrit, celui-ci étant rattaché à un ordre public de direction, ce qui a pu être critiqué par la pratique, cette dernière trouvant parfois un intérêt au maintien de la règle selon laquelle il est possible de renoncer à un droit acquis, même si elle n’est pas parfaitement conforme à la théorie du réputé non écrit [36]. En ce sens, la substitution de la sanction de la nullité à celle du réputé non écrit des clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement ou aux dispositions des articles L. 145-4 N° Lexbase : L9957LMQ, L. 145-37 à L. 145-41 N° Lexbase : L5765AID, du premier alinéa de l'article L. 145-42 N° Lexbase : L5770AIK et des articles L. 145-47 à L. 145-54 N° Lexbase : L0347LTZ , opérée par l’article L. 145-15 du Code de commerce N° Lexbase : L5032I3R, érigerait un ordre public de direction et empêcherait ainsi de renoncer au droit au renouvellement quelles que soient les circonstances. C’est cette difficulté que la solution analysée réveille en se prononçant à propos d’une clause de renonciation au droit au renouvellement.

10. Avant la législation « Pinel », les Hauts magistrats considéraient que le droit au renouvellement était acquis dès la conclusion du bail par le seul effet de la loi et que « l'ordre public de protection, qui s'attache au statut des baux commerciaux, ne faisait pas obstacle à une renonciation librement consentie, si celle-ci était postérieure à la naissance du droit au renouvellement » [37]. Il était donc possible de renoncer à la propriété commerciale d'ordre public, dès lors que cette renonciation avait été décidée postérieurement à la naissance et à l'acquisition du droit protégé et qu’elle était sans équivoque [38]. Partant de là, pour le candidat à la signature du bail commercial, la renonciation avant ou concomitamment à la signature du bail, était simplement impossible, car les droits protégés par l'ordre public statutaire ne lui sont pas encore acquis [39], ce qui prohibe et rend vaine toute renonciation antérieure ou concomitante à la signature du bail [40]. Il n'en était autrement que si la renonciation intervenait postérieurement à la signature du bail ; d'où la justification de l'exigence posée en jurisprudence que la renonciation soit constatée dans un acte distinct de celui de la naissance du droit protégé ; soit un avenant ou un nouveau contrat [41]. C’est précisément l’argument utilisé par la cour d’appel pour écarter la demande en réputé non écrit de la clause : pour elle, la renonciation est bien intervenue postérieurement à la naissance du droit acquis et en parfaite connaissance du preneur, si bien que la clause de renonciation à la propriété commerciale doit jouer [42].

11. Néanmoins, ce n’est pas la solution retenue par la Cour de cassation qui censure l’arrêt d’appel pour violation des articles 2 du Code civil N° Lexbase : L2227AB4 et L. 145-15 du Code de commerce N° Lexbase : L5032I3R, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 N° Lexbase : L4967I3D, dans la mesure où « la clause de renonciation avait pour effet de faire échec, au terme de neuf années, au droit de renouvellement du bail commercial conclu à effet du 2 mai 2008 ». Faut-il comprendre de cette formule que le preneur ne peut plus renoncer à la propriété commerciale, en toute circonstance, droit acquis ou non ? Au contraire, faut-il entendre que dans l’espèce en question le droit n’était simplement pas acquis au moment de la renonciation ? Les deux voies étaient développées par le demandeur au pourvoi pour neutraliser la clause de renonciation. Récemment, la Cour de cassation s’est prononcée sur une pratique un peu différente qui consiste à conclure des baux dérogatoires successifs en faisant renoncer le preneur, postérieurement à la naissance de son droit acquis, au bail statutaire, mais qui reposait sur le fondement de la renonciation à un droit acquis [43]. En effet, l’arrêt du 22 octobre 2020 considère que les parties ne peuvent pas conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux à l'expiration d'une durée totale de trois ans que ne peuvent excéder les baux dérogatoires successifs et qui court dès la prise d'effet du premier bail dérogatoire, même si le preneur a renoncé, à l'issue de chaque bail dérogatoire, à l'application du statut des baux commerciaux [44]. Cependant, cette solution ne se prononce pas sur la faculté de renoncer à un droit acquis [45], d’autant qu’un auteur suggère même la conclusion d’un bail Code civil [46], et ses circonstances paraissent bien trop différentes de celles de la décision soumise à notre commentaire pour en tirer des conclusions hâtives. Aussi, vu le caractère inédit de ladite décision, on aurait donc tendance à penser que par l’effet rétroactif du contrat de bail commercial, le droit au renouvellement n’était pas acquis, de sorte qu’une clause de renonciation ne pouvait pas être insérée efficacement dans ce même bail. Il reste à espérer qu’une décision vienne clairement trancher le sort de la faculté de renoncer au bénéfice des prérogatives protectrices du statut des baux commerciaux, quelles que soient les circonstances.

 

[1] TGI Bayonne, 17 septembre 2018.

[2] CA Pau, 19 novembre 2020, n° 18/03612 N° Lexbase : A096137Q.

[3] J. Monéger, La mise en œuvre dans le temps de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, Loyers et copr., 2014, alerte 49 ; J.-D. Barbier, Application de la loi du 18 juin 2014 dans le temps, in « La réforme du statut des baux commerciaux par la loi du 18 juin 2014 », Gaz. pal., 9 août 2014, n° 189h4, p. 11, spéc. p. 47 ; J.-P. Blatter, De quelques idées originales ou non relatives à l'application dans le temps de la loi du 18 juin 2014, AJDI, 2014, p. 741 ; H. Chaoui et M.-O. Vaissié, Application dans le temps de la loi du 18 juin 2014 dite « loi Pinel », Rev. loyers, 2015, p. 3 ; A. Reygrobellet, Nouvelles dispositions pour le bail commercial : quelles entrées en vigueur ?, JCP N, 2014, n° 31-35, 1262 ; M. Perret, De l'application de la loi Pinel dans le temps, AJDI, 2017, p. 191.

[4] V. pour une synthèse de ces différentes périodes : J.-P. Blatter, Quatre ans d'existence de la loi Pinel et son application dans le temps, AJDI, mai 2019, n° 5, p. 340.

[5] V. sur cette question, les quelques développements de Gatien Casu, La loi nouvelle, l'ordre public et le contrat : réflexions à partir d'un arrêt de la Cour de cassation, D., mai 2017, n° 19, p. 1107.

[6] Cass. avis, 16 février 2015, n° 15002 N° Lexbase : A6002NBW, D., 2015, p. 489.

[7] Cass. civ. 1, 4 décembre 2001, n° 98-18.411, FP-P N° Lexbase : A5587AX9, D., 2002, p. 646 ; RTD civ., 2002, p. 507, obs. J. Mestre et B. Fages.

[8] CA Grenoble, 7 janvier 2016, n° 15/03438 N° Lexbase : A2967N3B ; TGI Paris, référé, 11 août 2015, n° 15/56446 N° Lexbase : A1121NZK.

[9] CA Paris, 5-3, 28 février 2018, n° 16/13779 N° Lexbase : A8838XE3, AJDI, 2018, p. 351.

[10] Cass. civ. 3, 28 juin 2018, n° 17-14.605, FS-P+B+I N° Lexbase : A1598XUQ.

[11] Cass. civ. 3, 11 avril 2019, n° 18-16.121, FS-P+B+I N° Lexbase : A8978Y8Z.

[12] Cass. civ. 3, 19 novembre 2020, n° 19-20.405, FS-P+B+I N° Lexbase : A9460347, Dalloz Actualité, 4 janvier 2021, obs. A. Cayol  – Cass. civ. 3, 30 juin 2021, n° 19-23.038, FP-B+ N° Lexbase : A20224YK, M.-L. Besson, Lexbase Affaires, juillet 2021, n° 685 N° Lexbase : N8425BYP.

[13] V. sur cette idée : A. Reygrobellet, Nouvelles dispositions pour le bail commercial : quelles entrées en vigueur ?, art. précit. ; pour les analyses de l’arrêt : A. Mbotaingar, Bail commercial. - Ordre public du statut, J.-Cl. Bail à Loyer, Fasc. n° 1265, décembre 2021, n° 44 ;

[14] D. Houtcieff, Droit des contrats, note sous Cass. civ. 3, 19 novembre 2020, n° 19-20.405, FS-P+B+I N° Lexbase : A9460347, JCP G, février 2021, n° 8-9, doctr. 240 ; M.-L. Besson, L’éternel contentieux sur les clauses d’indexation dans les baux commerciaux, note sous Cass. civ. 3, 30 juin 2021, n° 19-23.038, préc.

[15] A. Mbotaingar, Bail commercial. - Ordre public du statut, J.-Cl. Bail à Loyer, Fasc. n° 1265, décembre 2021, n° 44.

[16] V. sur les diverses théories permettant une application de la loi nouvelle aux baux en cours : A. Confino, Réflexions sur le réputé non écrit dans le bail commercial après la loi Pinel, AJDI, 2015, p. 407 ; A. Reygrobellet, Nouvelles dispositions pour le bail commercial : quelles entrées en vigueur ?, art. précit.

[17] M.-P. Dumont-Lefrand, Bail commercial et mise en œuvre des nouvelles normes spéciales dans le temps, Loyers et copr., octobre 2018, n° 10, doss. 11.

[18] V. note 3 ; A. Confino, Réflexions sur le réputé non écrit dans le bail commercial après la loi Pinel, art. précit.

[19] D. Houtcieff, Droit des contrats, art. précit. 

[20] V. sur la question de « l’opportunité qui conduit à écarter l'application immédiate [de la loi ancienne] » ou « qui en légitime la réintroduction par exception » : S. Gaudemet, Application de la loi dans le temps. - Le juge et l'article 2 du Code civil, J.-Cl. Civil Code, Fasc. n° 20, n° 27-28, 53.

[21] A. Mbotaingar, Bail commercial. - Ordre public du statut, J.-Cl. Bail à Loyer, Fasc. n° 1265, décembre 2021, n° 44.

[22] Ibid., n° 18.

[23] Délai quinquennal de droit commun, prescription biennale spécifique au statut (C. com., art. L. 145-60) et imprescriptibilité des actions en réputé non écrit ; v. en ce sens : J.-P. Blatter et W. Blatter-Hodara (collab.), Traité des baux commerciaux, 6e éd., Le Moniteur, 2018, p. 839, n° 1770 ; M.‑P. Dumont-Lefrand, Bail commercial, Rép. civ. Dalloz, septembre 2009, n° 503 ; A. Chatty, Les baux commerciaux, 4e éd., Légis-France, 2015, p. 138, n° 327 ; M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, coll. Logiques juridiques, L’Harmattan, 2021, p. 607, n° 655.

[24] Ibid., p. 610, n° 660 ; S. Gaudemet, La clause réputée non écrite, préf. Y. Lequette, Economica, 2006, p. 127 et s., n° 239 et s. ; T. Douville (dir.) et alii, La réforme du Droit des contrats - Commentaire article par article - Ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Gualino Lextenso, 2016, p. 138 ; J.-P. Blatter et W. Blatter-Hodara (collab.), Traité des baux commerciaux, 6e éd., op. cit., p. 857, n° 1814 ; D. Houtcieff, Clauses réputées non écrites et baux commerciaux, Loyers et copr., 2018, n° 10, doss. 14, p. 33 ; V. contra : H. Barbier, L'action en réputé non écrit est-elle imprescriptible ?, RTD civ., juillet 2019, n° 2, p. 334.

[25] H. Barbier, L'action en réputé non écrit est-elle imprescriptible ?, art. précit.

[26] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 610, n° 661.

[27] A. Antoniutti, L’impact de la loi Pinel sur les baux en cours, Loyers et copr., octobre 2016, n° 10, doss. 9.

[28] V. sur cette idée : Ph.-H. Brault, Application de la prescription biennale à l'action tendant à faire constater en raison du maintien dans les lieux du preneur après expiration du bail dérogatoire l'existence d'un bail commercial assujetti au statut des baux commerciaux selon l'article L. 145-5 du Code de commerce, note sous Cass. civ. 3, 1er octobre 2014, n° 13-16.806, FS-P+B+I N° Lexbase : A8014MX4, Loyers et copr., novembre 2014, n° 11, comm. 272.

[29] A. Mbotaingar, Bail commercial. - Ordre public du statut, op. cit., n° 33.

[30] A. Mbotaingar, Bail commercial. - Ordre public du statut, op. cit., n° 40 et s.

[31] G. Chantepie et M. Latina, La réforme du droit des obligations - Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, Dalloz, 2016, p. 362, n° 439 ; G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations - Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 384, n° 439 ; A. Confino, Réflexions sur le réputé non écrit dans le bail commercial après la loi Pinel, art. précit.

[32] J. Lafond et alii, Code des baux, LexisNexis, 2017, p. 565, n° 11.

[33] A. Confino, Réflexions sur le réputé non écrit dans le bail commercial après la loi Pinel, art. précit. ; D. Houtcieff, Clauses réputées non écrites et baux commerciaux, art. cit.

[34] J.-P. Blatter, Chronique d'actualité législative et jurisprudentielle, AJDI, décembre 2015, n° 12, p. 890 ; A. Confino, Réflexions sur le réputé non écrit dans le bail commercial après la loi Pinel, art. précit.

[35] A. Mbotaingar, Bail commercial. - Ordre public du statut, op. cit., n° 7-8, 12, 17-20 ; J.-P. Blatter, À la recherche de l'ordre public des baux commerciaux, Loyers et copr., octobre 2018, n° 10, doss. 10 ; J. Monéger, Le statut des baux commerciaux est-il encore un ordre public de protection ?, Loyers et copr., octobre 2016, n° 10, doss. 8.

[36] J. Prigent, Bail commercial et réputé non écrit, Rev. loyers, janvier 2020, n° 1003, p. 4.

[37] Cass. civ. 3 , 4 mai 2006, n° 05-15.151, FS-P+B N° Lexbase : A2592DPP, AJDI, 2006, p. 736, J.-P. Blatter ; AJDI, 2006, p. 689, note Denizot ; JCP E, 2006, 2780, M.-P. Dumont-Lefrand ; JCP E, 2007, 1523, n° 36, J. Monéger ; D., 2006, p.  1531, Y. Rouquet ; D., 2007, p.  1830, L. Rozès ; J. Monéger, Baux commerciaux : statut ou liberté contractuelle, AJDI, 2000, p. 484.

[38] Y. Rouquer, Renonciation contractuelle à l'ordre public applicable aux baux commerciaux, AJDI, février 2014, n° 2, p. 91.

[39] Cass. com., 19 juin 1957, Bull. civ. IV, 113 ; Cass. civ. 3, 29 juin 1977, n° 76-10408, publié N° Lexbase : A7214AGB.

[40] Cass. com., 10 juin 1960, Bull. civ. IV, n° 2220 – Cass. civ. 3, 20 février 1985, n° 78-14.868, publié N° Lexbase : A1324CHI – Cass. civ. 3, 19 mai 2004, n° 03-11.303, FS-P+B N° Lexbase : A2040DCK, D., 2004, p.  1669, Y. Rouquet ; D., 2005, p.  1094, L. Rozès ; AJDI, 2005, p.  30, M.-P. Dumont ; RTD com., 2005, p.  53, J. Monéger ; Administrer, juillet 2004, p. 27, B. Boccara et D. Lipman-Boccara ; Gaz. pal., rec. 2004, 2, p. 3231, J.-D. Barbier ; Defrénois, 2005, 250, L. Ruet ; Loyers et copr., 2004, n° 167, Ph.-H. Brault ; JCP E, 2004, 1193, M. Keita ; JCP E, 2005, 863, n° 27, J. Monéger.

[41] Cass. civ. 3, 15 avril 1992, n° 90-18.093, publié N° Lexbase : A7915AGA, RTD com., 1993, p. 633, J. Derruppé ; L. Ruet, Les baux commerciaux, 5e éd., Defrénois, 2006, p. 98 et s., n° 97 et s.

[42] V. pour une application (paradoxale) de la sanction du réputé non écrit résultant de la loi Pinel aux baux en cours (sanction en principe attaché à l’ordre public de direction) et du principe de renonciation à un droit acquis attaché à l’ordre public de protection : CA Pau, 19 novembre 2021, n° 19/02274, préc, V. Téchené, Lexbase Affaires,  décembre 2021, n° 699 N° Lexbase : N9813BY4.

[43] Cass. civ. 3, 10 juillet 1973, n° 72-11.005 N° Lexbase : A6918AGC – Cass. civ. 3, 5 avril 2011, n° 10-16.456, F-D N° Lexbase : A3435HNK, Rev. loyers, 2011, p. 298, note Ch. Lebel – Cass. civ. 3, 8 avril 2010, n° 08-70.338, FS-P+B N° Lexbase : A5821EU7,  JCP E, 2010, 1499 ; Loyers et copr., 2010, comm. 164, E. Chavance – Cass civ. 3, 8 avril 2010, n° 09-10.926, FS-P+B N° Lexbase : A0575EW9, JCP E, 2010, 1501, Loyers et copr., 2010, comm. 165, E. Chavance.

[44] Cass. civ. 3, 22 octobre 2020, n° 19-20.443, FS-P+B+I N° Lexbase : A87293YX, JCP E, mars 2021, n° 11, comm. 1150, B. Brignon ; Loyers et copr., décembre 2020, n° 12, comm. 128, E. Chavance ; RTD com., 2020, p.  783 s., obs. J. Monéger.

[45] V. en ce sens l’analyse de Jean-Pierre Blatter, Cumul de durées de baux dérogatoires, AJDI, 2021, p. 510.

[46] V. sur cette idée : B. Brignon, Le bail dérogatoire Pinel ne peut durer que 3 ans (sauf exceptions légales) même si telle n'est pas la volonté des parties !, JCP E, mars 2021, n° 11, comm. 1150.

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Fiscalité du patrimoine

[Focus] Transmettre par l’intermédiaire d’une société sans acquitter les droits de donation

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N1192BZ8

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par Louis Poumeaud, Fiscaliste chez Couderc Dinh & Associés et chargé d'enseignements

Le 22 Septembre 2023

Mots-clés : patrimoine • droits de donation • sociétés • taux d’imposition • impôt sur les sociétés

De nombreux contribuables tendent à privilégier l’interposition de sociétés lorsqu’il s’agit de réaliser des investissements, immobiliers ou non. Détenir ou céder un bien par l’intermédiaire d’une entité relevant de l’impôt sur les sociétés peut en effet s’avérer moins coûteux « qu’en direct ». À titre d’exemple :

  • Lors de la détention : les bénéfices générés sont imposés entre 15 % et 25 %, alors que le taux d’imposition culmine – prélèvements sociaux et CEHR compris – à 66,2 % en direct. En outre, les revenus provenant d’investissements immobiliers peuvent être réduits de la déduction d’un amortissement [1] tandis que ceux provenant de valeurs mobilières sont susceptibles de bénéficier d’une imposition effective de l’ordre de 1,25 % grâce au régime mère-fille ;
  • Lors de la cession : la plus-value dégagée en cas de cession de valeurs mobilières éligibles au régime mère-fille et détenues pendant au moins de 2 ans pourront bénéficier d’une imposition effective de 3 % [2].

 

I. Problématique d’ensemble : l’emprisonnement des sommes à donner au sein de la société

Ces avantages ne doivent pas pour autant occulter les inconvénients liés au truchement d’une société. On pense tout spécialement au fait que les économies d’impôts et bénéfices réalisés par l’intermédiaire d’une société fiscalement opaque restent emprisonnées dans celle-ci, sauf à procéder à des distributions de dividendes ou réductions de capital taxées entre 30 % et 34 % [3].

Pour des contribuables disposant de revenus suffisants pour financer leur train de vie, il est assez courant de s’interroger sur le devenir de ces sommes, et notamment sur l’opportunité de les transférer à leurs proches. La manière la plus simple consiste à distribuer les sommes pour ensuite les donner. Il s’agit aussi de la plus fortement imposée.

Prenons l’exemple d’un couple ayant un enfant unique et détenant une société par actions simplifiée qui dispose d’une trésorerie distribuable de 2 millions d’euros. Ils souhaitent mobiliser cette trésorerie pour financer les frais de scolarité de l’université américaine que va intégrer leur fils à la rentrée prochaine. En cas de distribution de la trésorerie puis de donation, la fiscalité est la suivante :

Compte tenu de ce coût fiscal important – dépassant aisément les 55 % lorsque la donation est taxable au taux de 45 % – la problématique que rencontrent les ascendants se résume généralement comme suit : comment permettre à son enfant d’appréhender les liquidités sans acquitter de fiscalité lors de la distribution ni de droits de donation ?

La question s’avère d’autant plus épineuse que la jurisprudence décèle de mieux en mieux les situations dans lesquelles l’interposition d’une société a permis de réaliser une donation indirecte. Plus précisément, il est désormais acquis que l’interposition d’une société ne fait pas obstacle à l’imposition d’une donation indirecte, soit entre parents et enfants au taux de 45 % [4] soit directement au profit ou au bénéfice de la société à 60 % [5].

Deux solutions, permettant aux enfants de recevoir des sommes en acquittant uniquement la flat tax de 30 % et sans avoir à payer de droits de donation, sont ici présentées.

II. Solution n° 1 : Prévoir une répartition inégalitaire des résultats entre associés

La première stratégie peut être résumée comme suit : des parents, associés d’une société familiale, renoncent à leur droit à percevoir des dividendes afin que ceux-ci soient perçus directement par leur(s) enfant(s) associé(s) de ladite société.

Pour ce faire, il est nécessaire qu’une répartition inégalitaire des bénéfices entre associés soit prévue. Celle-ci peut résulter (A) soit d’une mention expresse dans les statuts de la société (B) soit d’une résolution adoptée à l’occasion de l’assemblée générale ordinaire d’approbation des comptes constants le bénéfice distribuable et son affectation.

A. Répartition inégalitaire provenant des statuts

Si en principe chaque associé a une vocation aux bénéfices sociaux proportionnels à la quote-part qu’il détient du capital social, les statuts peuvent parfaitement prévoir une règle de répartition différente [6]. La liberté offerte aux associés est assez importante puisque la seule interdiction notable en la matière consiste à ne pas priver l’un d’entre eux de tout droit aux profits. À défaut, la clause serait qualifiée de léonine et réputée non écrite [7].

Dans la mesure où les profits comprennent le droit aux bénéfices (dividendes) ainsi que le boni de liquidation [8], il est admis qu’une clause statutaire puisse priver un associé de tous droits aux dividendes si tant est que ce dernier conserve ses droits sur le boni de liquidation [9].

En pratique, à la question de savoir si le fait pour un ascendant détenant la majorité des titres d’une société de renoncer statutairement à percevoir les dividendes lui revenant constitue une donation indirecte au profit des autres associés – taxable en tant que telle –, la Cour de cassation [10] a répondu par la négative. En effet, pour que la renonciation statutaire puisse s’analyser en une donation, encore faudrait-il que le parent associé s’appauvrisse au profit de ses enfants-coassociés [11] à l’occasion de celle-ci.

Or, dans son arrêt « Godefroy », la Cour de cassation estime que tel n’est pas. Plus précisément, tirant parti du « barrage » de la personnalité morale de la société, il est acquis que les bénéfices appartiennent à cette dernière, et à elle seule, tant qu’aucune décision de distribution n’est intervenue. En effet, force est de constater que la loi ne prévoit, en tant que telle, aucun « droit à dividende » au profit des associés ; les clauses d’intérêt fixe étant d’ailleurs prohibées [12].

Ainsi, lorsque des ascendants renoncent à percevoir des dividendes pour le futur, ils ne renoncent en réalité à rien puisque n’étant, au jour de la renonciation, titulaire d’aucun droit sur ces bénéfices. En effet, « les dividendes n’ont pas d’existence juridique avant la constatation des sommes distribuables et la détermination de la part attribuée à chaque associé » [13] de sorte que la jurisprudence estime que « [les ascendants] n’ayant été titulaires d’aucun droit sur les dividendes attribués à leurs enfants, n’ont pu consentir aucune donation ayant ces dividendes pour objet » [14].

Pour cette raison, le simple fait de prévoir statutairement, pour le futur, une répartition inégalitaire des bénéfices n’a pas pour effet d’appauvrir « l’associé renonçant » puisque, tant que l’assemblée générale n’a pas acté la distribution d’un dividende, l’associé ne dispose d’aucune créance. Ne pouvant renoncer à un droit sur un objet qui n’existe pas au jour de la renonciation, l’ascendant ne peut pas s’être appauvri et donc avoir consenti une donation à l’occasion de la modification statutaire.

Cette solution prévaut indépendamment du fait que les titres de la société aient fait l’objet d’un démembrement de propriété ou non [15].

B. Répartition inégalitaire provenant d’une résolution d’assemblée générale

Figer dans le marbre des statuts une répartition inégalitaire des résultats n’est pas toujours possible ni souhaitable. Pour des raisons de calendrier, il est en effet parfois difficile ou inopportun de retarder la distribution du dividende après la tenue de l’assemblée générale extraordinaire procédant à la modification des statuts. De la même manière, les familles ne sont pas toujours en clin à modifier pour une durée indéterminée les règles du pacte social et préfèrent, à l’inverse, y déroger de manière ponctuelle.

C’est dans ces circonstances que certains contribuables décident d’acter la répartition inégalitaire à l’occasion de l’assemblée générale ordinaire constatant le bénéfice réalisé et son affectation.

Juridiquement, la jurisprudence valide ce procédé en expliquant qu’aucune disposition « ne fait obstacle à ce que les bénéfices distribuables d’un exercice clos soient répartis entre les associés, sous forme de dividendes, conformément aux renonciations exprimées par certains d’entre eux en assemblée générale » [16].

Fiscalement, la jurisprudence n’a jamais eu à connaître, à notre connaissance, de la question de savoir si une telle renonciation pouvait être requalifiée en donation taxable. En tout état de cause, la jurisprudence rendue à propos des modifications statutaires, loin de répondre cette question, la laisse entière. Plus précisément, la solution retenue dans l’arrêt « Godefroy » découle entièrement de la circonstance que la créance de dividende n’existe qu’à compter de « la constatation des sommes distribuables et [de] la détermination de la part attribuée à chaque associé ». Dans l’hypothèse d’une renonciation à un associé de ses droits à dividende à l’occasion d’une assemblée générale, il semble qu’une lecture a contrario « Godefroy » conduise à caractériser une donation. En effet, il est évident que l’associé ne peut exprimer sa renonciation qu’après constatation du bénéfice distribuable et de la quote-part lui revenant.

Ainsi, et faute de jurisprudence fiscale à ce jour, cette technique semble ne pas devoir être empruntée.

III. Solution n° 2 : Distribuer les bénéfices préalablement affectés en réserves aux nus-propriétaires

Dans une optique de transmission à moindre coût, les donations des titres d’une société sont généralement effectuées en nue-propriété uniquement. Au-delà de ses intérêts juridiques, le démembrement est prisé pour l’absence d’imposition de l’usufruit lors de la succession [17].

Cette seconde stratégie peut être résumée comme suit : lorsque la société réalise un bénéfice annuel – ordinaire ou exceptionnel – il s’agit de l’affecter en réserves et de procéder à sa distribution ultérieurement, afin que le dividende puisse être perçu par les descendants nus-propriétaires.

De prime abord, attribuer des dividendes aux nus-propriétaires peut interpeller et laisser présager un contentieux à l’issue défavorable. En effet, par principe, c’est l’usufruitier, et lui seul, qui perçoit les fruits [18]. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une doctrine admise estime que l’ensemble des bénéfices de l’exercice, en ce qu’ils revêtent la qualité de fruits civils, appartiennent au seul usufruitier ; quand bien même ce bénéfice serait composé en partie d’un revenu exceptionnel comme la vente d’une partie de l’actif social [19]. Ainsi, le dividende est prélevé à partir du résultat annuel ou du report à nouveau.

À l’inverse, lorsque le bénéfice a préalablement été placé en réserves, le dividende distribué à partir desdites réserves appartient au nu-propriétaire ; soit immédiatement selon une partie de la jurisprudence [20], soit à terme selon la chambre commerciale [21]. Plus précisément, la première chambre civile estime que l’usufruitier n’a aucun droit sur le dividende prélevé sur les réserves, tandis que la chambre commerciale estime que le dividende prélevé sur les réserves appartient à l’usufruit mais uniquement sous la forme d’un quasi-usufruit, ce qui signifie que les nus-propriétaires disposeront d’une créance de restitution d’égale valeur à faire valoir contre la succession de l’usufruitier à son décès.  

Ainsi, l’affectation du bénéfice en réserves permet de piloter les bénéfices que les ascendants-usufruitiers souhaitent, ou non, transmettre à leurs descendants ; étant précisé que la mise en réserve n’est pas assimilée à une donation indirecte [22], procurant à cette stratégie tout son intérêt et sa sécurité.

Conseils pratiques. – Afin de permettre à cette technique de déployer tous ses effets, il est conseillé de :

  • Favoriser le sur-mesure en prévoyant statutairement quelles sommes reviendront respectivement à l’usufruitier et au nu-propriétaire

Concernant le résultat de l’exercice : le résultat courant doit nécessairement revenir à l’usufruitier, sauf à être placé en réserves. Pour le résultat exceptionnel non placé en réserves, il est parfaitement possible de prévoir (i) qu’il reviendra intégralement à l’usufruitier en pleine propriété (ii) intégralement au nu-propriétaire en pleine propriété ou encore (iii) sera attribué à l’usufruitier sous la forme d’un quasi-usufruit.

Concernant le résultat placé en réserves : comme précédemment, il est possible de prévoir statutairement que ces sommes (i) reviendront intégralement à l’usufruitier en pleine propriété (ii) au seul nu-propriétaire en pleine propriétaire ou encore (iii) à l’usufruitier sous la forme d’un quasi-usufruit.

  • Tenir compte de la nature de l’actif détenu par la société dans le cadre de l’aménagement des statuts. Par exemple, si la société détient la résidence principale des usufruitiers, il sera pertinent de prévoir que le résultat exceptionnel de l’exercice reviendra exclusivement à l’usufruitier afin de lui permettre de bénéficier de l’exonération de plus-value de la résidence principale.
  • Sécuriser les choix retenus en les rendant opposables à l’administration fiscale par l’enregistrement des statuts avant la clôture de l’exercice [23].

En outre, en cas d’option pour le quasi-usufruit, la stipulation d’une convention constatant ledit quasi-usufruit sera vivement recommandée afin de matérialiser la créance de restitution, assurer sa déduction fiscale et sa prise en compte lors de la liquidation de la succession. À ces fins, la convention sera utilement (i) enregistrée fiscalement et (ii) mentionnée au fichier central des dernières volontés.

  • Ne pas utiliser le compte de report à nouveau comme un compte de réserves lorsque des sommes n’auraient pas été distribuées au terme d’un exercice. En effet, en cas de distribution ultérieure, le dividende sera prélevé prioritairement sur le report à nouveau (résultat de l’exercice revenant donc en principe à l’usufruitier) puisque les réserves ne peuvent être distribuées qu’après épuisement du report à nouveau [24].

Ainsi, il est nécessaire que les affectations comptables en fin d’exercice – report à nouveau ou réserves – soient mûrement réfléchies en vue des distributions ultérieures.

En pratique – Checklist

  • Revue des statuts, et notamment des clauses relatives aux droits aux bénéfices
  • S’assurer de la présence de bénéfices distribuables suffisants (afin d’éviter la qualification de dividendes fictifs) et de la trésorerie nécessaire,
  • Pour la stratégie n° 2 spécifiquement : s’assurer que les affectations comptables (report à nouveau / réserves) correspondent aux objectifs poursuivis par les distributions envisagées. À défaut, les modifier en conséquence (ex : affecter le report à nouveau en réserves).
  • S’assurer qu’aucune exonération de droits de donations n’aurait pu s’appliquer, afin d’éviter le paiement inutile de la flat tax à 30% si la transmission avait pu s’effectuer en franchise de droits.
 

[1] Cet avantage est généralement « neutralisé » à l’occasion de la cession puisque les amortissements pratiqués sont repris et imposés en tant que plus-value à court terme en ce qu’ils ont contribué à minorer la valeur nette comptable des actifs cédés servant au calcul de la plus-value imposable.

[2] Ce régime ne s’applique pas aux cessions de filiales à prépondérance immobilière, ce qui est généralement le cas lors d’une cession de parts d’une SCI.

[3] Si le taux d’imposition des opérations de réduction de capital et distributions de dividendes est identique, l’assiette taxable ne l’est pas. En effet, pour les réductions de capital, l’assiette est constituée par la plus-value réalisée sur les titres annulés. En matière de dividendes, l’impôt est calculé sur la base des sommes distribuées. Cette différence conduit souvent les contribuables à arbitrer entre ces deux opérations.

[4] Cass. civ. 1, 24 janvier 2018, n° 17-13.017, FS-P+B N° Lexbase : A8561XBP ; Cass. civ. 1, 18 mars 2020, n° 18-25.309., F-D N° Lexbase : A48683KI.

[5] Cass. com., 10 avril 2019, n° 17-19.734, F-D N° Lexbase : A1805Y9Q ; Cass, com, 7 mai 2019, n° 17-15.261, F-D N° Lexbase : A7272XQE.

[6] C. civ., art. 1844-1 N° Lexbase : L2021ABH : « la part de chaque associé dans les bénéfices […] se détermine à proportion de sa part dans le capital social […] sauf clause contraire ».

[7] Sont léonines, et par suite réputées non écrites, les clauses « excluant un associé totalement du profit [de la société] » (C. civ., art. 1844-1, al. 2).

[8] CA Orléans, 20 juin 2011, n° 10/01222 N° Lexbase : A1008HWA.

[9] F. Xavier-Lucas, Théorie des bénéfices et des pertes – Clauses léonines, JCL Sociétés, Fasc. 15-30.

[10] Cass. com., 18 décembre 2012, n° 11-27.745, F-P+B N° Lexbase : A1657IZE.

[11] C. civ., art. 894 N° Lexbase : L0035HPY : « la donation entre vifs est l’acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte ».

[12] C. com., art. L. 232-15 N° Lexbase : L6295AIY : « il est interdit de stipuler un intérêt fixe ou intercalaire au profit des associés ».

[13] Cass. com., 13 septembre 2017, n° 16-13.674, FS-P+B+I N° Lexbase : A4163WRM.

[14] Cass. com., 18 décembre 2012, n° 11-27.745, F-P+B N° Lexbase : A1657IZE.

[15] Ibid.

[16] Cass. com., 13 févr. 1996, n° 93-21.140, publié N° Lexbase : A9491AB7 ; solution confirmée ultérieurement par Cass. com., 26 mai 2004, n° 03-11.471, inédit N° Lexbase : A2877DCK.

[17] CGI, art. 1133 N° Lexbase : L9702HLW : « la réunion de l’usufruit à la nue-propriété ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe lorsque cette réunion a lieu […] par le décès de l’usufruitier ».

[18] C. civil, art. 582 N° Lexbase : L3163ABR : « l’usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l’objet dont il a l’usufruit ».

[19] Mémento Sociétés civiles, Ed. 2020, § 62124.

[20] Cass. civ. 1, 22 juin 2016, n° 15-19.471, F-P+B N° Lexbase : A2344RUD.

[21] Cass. com., 27 mai 2015, n° 14-16.246, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6622NI4 ; Cass. com., 24 mai 2016, n° 15-17.788, FS-P+B N° Lexbase : A0249RRN.

[22] Cass. com., 10 février. 2009, n° 07-21.806, FS-P+B N° Lexbase : A1249EDM.

[23] BOI-RFPI-CHAMP-30-20, n° 160 N° Lexbase : X8300ALY et BOI-BIC-CHAMP-70-20-10-20, n° 100 N° Lexbase : X8162ALU.

[24] C. com., art. L. 232-11.

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Licenciement

[Brèves] Licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé : étendue des postes proposés par l’employeur

Réf. : CE, 4e-1e ch. réunies, 19 juillet 2022, n° 438076, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A25848CP

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N2426BZU

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par Lisa Poinsot

Le 01 Mars 2023

►  Dès lors qu’il envisage de licencier pour inaptitude un salarié protégé, l’employeur doit procéder au préalable à une recherche sérieuse des postes disponibles, quelle que soit la durée des contrats susceptibles d’être proposés pour pourvoir ces postes, et appropriés à ses capacités, en vue de rechercher à la reclasser et à éviter son licenciement ;

Lorsque l’employeur a recours au travail temporaire dans des conditions telles qu’elles relèvent de l’existence d’un ou plusieurs postes disponibles dans l’entreprise, il doit proposer au salarié ces postes, et ce quelle que soit la durée des contrats susceptibles d’être proposés pour pourvoir ces postes.

Faits et procédure. À la suite de son licenciement pour inaptitude, un salarié protégé saisit la juridiction administrative d’une demande d’annulation de :

  • la décision de l’inspectrice du travail autorisant la société à le licencier ;
  • la décision de la ministre du Travail rejetant le recours de l’intéressé.

Le Conseil d’État est saisi d’une demande par le salarié licencié tendant à l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel.

Cette dernière a relevé que les contrats de mise à disposition de salariés intérimaires auprès de la société ont été conclus pour des durées très courtes, de 2 ou 3 jours, afin de pallier des absences ponctuelles de salariés ou de faire face à des pointes saisonnières d’activité et présentaient un caractère aléatoire.

La solution. Énonçant les solutions susvisées, le Conseil d’État a confirmé la décision de la cour administrative d’appel.

En droit du travail, le licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspection du travail et à condition que le motif du licenciement envisagé ne soit pas en lien avec les fonctions représentatives exercées par le salarié protégé et que l’employeur ait recherché sérieusement à reclasser le salarié sur d’autres postes appropriés aux capacités de ce dernier dans l’entreprise ou dans le groupe (C. trav., art. L. 1226-10 N° Lexbase : L8707LGL).

Le licenciement intervient alors en cas d’impossibilité de reclassement.

En principe, sur le fondement des articles L. 1251-1 N° Lexbase : L6248IE7, L. 1251-5 N° Lexbase : L1525H9D et L. 1251-6 N° Lexbase : L8647LGD du Code du travail, les postes pourvus par des intérimaires sont des postes de reclassement à proposer à un salarié inapte s’ils sont disponibles. Or, en l’espèce, ces contrats temporaires conclus pour une courte durée présentaient un caractère aléatoire, de sorte qu’ils ne pouvaient pas être considérés comme disponibles.

Pour aller plus loin :

  • v. ÉTUDE : La reprise du travail après un accident du travail ou une maladie professionnelle, L’étendue et la nature de l’obligation de reclassement du salarié inapte, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3125ETW ;
  • v. MDS0070, Proposition de reclassement en cas d’inaptitude N° Lexbase : X5817AP7.

 

newsid:482426

Santé et sécurité au travail

[Brèves] Précisions sur la notion de risque actuel justifiant le recours à une expertise par le CHSCT

Réf. : TJ La Rochelle, 7 juillet 2022, n° 22/00235 N° Lexbase : A84398AS

Lecture: 2 min

N2294BZY

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par Lisa Poinsot

Le 20 Juillet 2022

► La notion de risque actuel ne signifie pas un risque survenu récemment et inexistant antérieurement : le risque actuel est un risque qui doit simplement encore exister au moment de la décision du CHSCT (désormais CSE).

Faits et procédure. Les membres du CHSCT (désormais CSE) ont déclaré un risque grave et imminent pour l’ensemble du personnel du service des urgences du Groupe hospitalier mais la direction conteste l’existence de ce risque. Toutefois, par délibération du 6 mai 2022, le CHSCT décide, en application de l’article L. 4614-12 du Code du travail N° Lexbase : L5577KGN, de recourir à un expert habilité au titre d’un risque grave de nature psychosocial.

Le Groupe hospitalier saisit le tribunal judiciaire de La Rochelle, selon la procédure accélérée au fond, afin d’annuler la délibération prise par le CHSCT quant à la désignation d’un expert.

Au soutien de sa demande, il estime que le risque grave en question n’existe pas puisqu’aucun élément objectif matériellement vérifiable n’est établi par le CHSCT. En outre, ce risque n’est pas actuel puisque la situation invoquée est connue depuis plusieurs mois.

En réponse, le CHSCT soutient l’existence d’un risque grave et actuel en ce qu’il est démontré une situation de tension chronique, de stress, de sous-effectif et de surcharge de travail, étant précisé que le personnel médical. De plus, le fait que le risque ait existé depuis janvier ne le rend pas moins actuel dès lors qu’il existe toujours.

La solution. Énonçant la solution susvisée, le président du tribunal judiciaire de La Rochelle déboute le Groupe hospitalier de sa demande, aux termes de l’article L. 2315-94 du Code du travail N° Lexbase : L6764L7N. Après avoir constaté l’existence d’un risque grave identifié comme un risque psychosocial, il considère que le risque invoqué par le CHSCT lors de sa décision est un risque existant à ce moment-là, peu important le fait que ce risque puisse exister depuis plusieurs mois, du moment qu’il existe encore au jour du recours à l’expertise.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le recours à l’expertise par le comité social et économique, Les autres cas de recours à l’expertise, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E2021GA4.

 

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