La lettre juridique n°891 du 20 janvier 2022

La lettre juridique - Édition n°891

Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] L’avocat sous la dépendance économique de son client

Réf. : Cass. civ. 2, 9 décembre 2021, n° 20-10.096, F-P+B N° Lexbase : A48147EZ

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N9946BYZ

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par Jean-Pierre Depasse, Avocat au Barreau de Rennes, Président d’ANAFAGC

Le 19 Janvier 2022


Mots-clés : commentaire • avocat • dépendance économique • honoraires • violences


 

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 décembre 2021 mérite une attention toute particulière en raison de l’analyse juridique conduite par la Cour régulatrice, confirmant celle des juges d’appel, mais aussi parce qu’elle reflète la fragilité économique à laquelle sont confrontés certains avocats.

Nous connaissions la caducité de la convention d’honoraires [1], la nullité de la convention d’honoraires du fait que la personne signataire de la convention n’était pas habilitée à prendre cet engagement [2], le vice du consentement lié à la contrainte morale exercée par l’avocat sur son client [3], mais nous avons en l’espèce, sans doute pour la première fois en tout cas au stade de la cassation, l’illustration d’une violence économique exercée par le client sur son avocat, plaçant ce dernier dans une situation de dépendance qui le prive de la possibilité de négocier librement le montant de ses honoraires.

Les faits méritent d’être rappelés succinctement : un avocat (Maître S) avait été chargé par l’AGS (délégation de l’UNEDIC de Saint-Denis de la Réunion) de la représenter devant le conseil de prud’hommes (plus de sept cents dossiers) et une convention d’honoraires avait été conclue sur une base forfaitaire de 300 euros HT par dossier. Cette convention a été exécutée. La procédure s’est poursuivie en appel, l’AGS ayant parfois la qualité d’appelante et parfois d’intimée. Des discussions s’engagèrent pour fixer le montant des honoraires pour la procédure d’appel. L’AGS « proposait » un honoraire forfaitaire de 90 000 euros HT, ce qui était accepté par l’avocat, mais uniquement à titre de provision, compte tenu de l’importance des diligences que générait le traitement de ces dossiers. L’AGS décidait alors de confier certains dossiers à un autre avocat qui, pour l’essentiel, reprenait l’argumentation précédemment développée par son confrère. C’est dans ce contexte que Maître S sollicitait la fixation de ses honoraires pour la procédure d’appel à un montant global de 350 000 euros tenant compte de la « provision » de 90 000 euros évoquée ci-dessus. Cette demande a été accueillie favorablement par le juge d’appel qui a annulé la convention d’honoraires et qui a donc fixé les horaires en application des critères de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ.

Pour s’opposer à la demande de fixation d’honoraires de l’avocat, l’AGS soutenait que la profession d’avocat est une profession « libérale et indépendante » et que le serment de l’avocat l’empêche de se trouver en situation de dépendance économique à l’égard de son client.

Cette argumentation est écartée au visa de l’article 1111 du Code civil (N° Lexbase : L1199ABZ) dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 [4]. Selon cet ancien article 1111, « la violence exercée contre celui qui a contracté l’obligation est une cause de nullité, encore qu’elle ait été exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite ». La jurisprudence avait transposé cette notion de violence, assimilable à un vice du consentement, au monde économique en la déclinant sous les notions de « contrainte économique » ou de « dépendance économique » [5].

Le nouveau droit des contrats issu de l’ordonnance du 10 février 2016 a inscrit cette interprétation jurisprudentielle dans notre arsenal législatif. Selon l’article 1143 du Code civil N° Lexbase : L1977LKG, actuellement en vigueur, « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son co-contractant, à son égard [6], obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».

C’est cette définition qui est reprise dans l’arrêt du 9 décembre 2021, bien que l’ordonnance du 10 février 2016 ne soit applicable à ce litige.

La notion de dépendance économique a été retenue du fait du volume du contentieux confié, du déséquilibre flagrant entre les diligences accomplies et les honoraires proposés (qui étaient inférieurs à ceux de l’aide juridictionnelle !) et des conséquences désastreuses sur la viabilité du cabinet de l’avocat concerné qui ne parvenait plus à payer son loyer ou à rémunérer sa secrétaire.

Il faut rappeler que cette notion de dépendance économique est bien connue des commercialistes puisqu’est sanctionné, dans un contrat commercial de production, de distribution ou de prestations de services, le fait « d’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie », ce qui recouvre la notion de « déséquilibre significatif » entre les différents co-contractants dont certains abusent de leur position dominante [7].

Cet arrêt doit nourrir la réflexion des donneurs d’ordre de contentieux de masse qui placent certains avocats, notamment ceux qui exercent à titre individuel ou dans des petites structures, dans l’obligation de consentir des concessions disproportionnées au niveau de la rémunération de leurs prestations, cette absence de liberté pouvant parfois s’apparenter à une véritable situation de subordination.

 

[1] Notamment en cas de dessaisissement de l’avocat avant le terme de sa mission : Cass. civ. 2, 13 juin 2013, n° 12-21.300, F-D N° Lexbase : A5735KGI.

[2] Hypothèse d’une convention d’honoraires conclue au nom d’un mineur devant être approuvée par le juge des tutelles : Cass. civ. 2, 8 décembre 2016, n° 15-28.554, F-D (LXB=A3827SPG] ou encore récemment : Cass. civ. 2, 6 mai 2021, n° 19-22.141, F-P N° Lexbase : A96844QQ.

[3] Cass. civ. 1, 29 juin 1999, n° 96-20.647 N° Lexbase : A4725CK9.

[4] Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations N° Lexbase : L4857KYK.

[5] Cass. civ. 1, 30 mai 2000, n° 98-15242, publié au bulletin (N° Lexbase : A3653AUT) ou Cass. civ. 1, 3 avril 2002, n° 00-12.932, FS-P N° Lexbase : A4275AYY.

[6] Ajout issu de l’article 5 de la loi du 20 avril 2018 (loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations N° Lexbase : L0250LKH)

[7] Code de commerce, art. L. 442-1 N° Lexbase : L6216L8Q.

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Avocats/Procédure pénale

[Brèves] Perquisition dans les locaux d'une CARPA : rappel du rôle du Bâtonnier « chargé de la protection des droits de la défense »

Réf. : Cass. crim., 18 janvier 2022, n° 21-83.751, F-B (N° Lexbase : A65637IW)

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N0125BZN

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par Marie Le Guerroué

Le 19 Janvier 2022

► L'absence, dans la décision prise par le magistrat, des motifs justifiant la perquisition et décrivant l'objet de celle-ci, qui prive le Bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l'information qui lui est réservée et qui interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure par le président du tribunal judiciaire éventuellement saisi, porte nécessairement atteinte aux intérêts de l'avocat concerné.

Faits et procédure. M. [E] agissant tant en son nom personnel qu'au nom de la Société immobilière & promotion, avait porté plainte et s'était constitué partie civile à l'encontre de la CARPA du barreau de Besançon, pour des faits de recel d'abus de confiance commis le 7 juillet 2013. Des enquêteurs, agissant sur commission rogatoire du juge d'instruction, avaient requis le président de la CARPA en vue de la communication d'éléments relatifs à un chèque encaissé sur le compte de celle-ci, le 3 juillet 2013. La CARPA n'a pas donné suite à cette réquisition en opposant le secret professionnel. Par décision du 11 mai 2021, le juge d'instruction a ordonné une perquisition dans les locaux de la CARPA, à laquelle il a procédé, le 12 mai 2021, en présence du Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Besançon. Le Bâtonnier s'est opposé à la saisie de documents, qui ont été placés sous scellé fermé. Un procès-verbal de contestation a été dressé et transmis au président du tribunal judiciaire.

Ordonnance. L'ordonnance de perquisition, prise par le juge d'instruction indique, d'une part, que la CARPA est mise en cause par M. [E] pour des faits de recel de bien obtenu à l'aide d'un abus de confiance commis le 7 juillet 2013, consistant en un virement de 100 000 euros ayant transité sur le compte de la première et pouvant correspondre à une dette personnelle de M. [J]. D'autre part, le magistrat instructeur fait état du défaut de réponse de la CARPA à une réquisition adressée par un service d'enquête, sollicitant tous les documents relatifs au versement de cette somme, par chèque, le 3 juillet 2013.

Réponse de la Cour. La Cour rend sa décision au visa des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme N° Lexbase : L4798AQR et 56-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L0488LTA. Il résulte de ces textes que les perquisitions dans les locaux des caisses de règlement pécuniaire des avocats ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du Bâtonnier ou de son délégué, à la suite d'une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci. Le contenu de cette décision est porté dès le début de la perquisition à la connaissance du Bâtonnier ou de son délégué. L'absence, dans la décision prise par le magistrat, des motifs justifiant la perquisition et décrivant l'objet de celle-ci, qui prive le Bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l'information qui lui est réservée et qui interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure par le président du tribunal judiciaire éventuellement saisi, porte nécessairement atteinte aux intérêts de l'avocat concerné.

Pour la Cour, les motifs de l'ordonnance de perquisition, insuffisants pour décrire l'objet de la perquisition et contradictoires entre eux, quant à la date des faits reprochés et au moyen de paiement en cause, ne permettent ni à la CARPA ni au Bâtonnier d'identifier la nature des relations entre la première et la société SIP, ainsi qu'entre elles et les dénommés [J] et [E], interdisant ainsi le contrôle réel et effectif de cette mesure par le président du tribunal judiciaire. Il en résulte que le Bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, n'a pas reçu, au début de la perquisition, les informations lui permettant de connaître les motifs de celle-ci et d'en identifier l'objet. Cette imprécision de l'ordonnance de perquisition a porté atteinte aux intérêts de la CARPA. Ainsi, en ordonnant le versement, au dossier de l'information, de documents saisis au cours d'une perquisition irrégulière, le président du tribunal judiciaire a excédé ses pouvoirs.

La Haute juridiction annule l’ordonnance et ordonne la restitution des documents saisis lors de la perquisition faite dans les locaux de la Caisse des règlements pécuniaires des avocats du barreau de Besançon.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le secret et la confidentialité des échanges, Le régime des perquisitions des cabinets d'avocats, in La profession d’avocat, (dir. H. Bornstein), Lexbase N° Lexbase : E43153RA.

 

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Baux commerciaux

[Brèves] Clause d’échelle mobile : confirmation du réputé non écrit sanctionnant l’absence de réciprocité de la variation et caractérisation de l'indivisibilité de la stipulation

Réf. : Cass. civ. 3, 12 janvier 2022, n° 21-11.169, FS-B N° Lexbase : A01987I8

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N0106BZX

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par Vincent Téchené

Le 20 Janvier 2022

► En application de l'article L. 145-39 du Code de commerce N° Lexbase : L5037I3X, est réputée non écrite toute clause d'indexation du loyer ne jouant qu'en cas de variation à la hausse de l'indice de référence et seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite ;

Ne caractérise pas l'indivisibilité de la clause l'intention du bailleur d'en faire, sans distinction de ses différentes parties, une condition essentielle et déterminante de son consentement.

Faits et procédure. Une société a donné en location des locaux à usage commercial. Le contrat comporte une clause d'indexation annuelle du loyer stipulant que celle-ci ne s'appliquera qu'en cas de variation à la hausse de l'indice de référence. La locataire a assigné la bailleresse en annulation de la clause d'indexation, restitution des sommes payées au titre de celle-ci et remboursement d'honoraires et de divers frais.

La cour d’appel ayant fait droit aux demandes de la locataire, la bailleresse a formé un pourvoi en cassation.

Décision. La Cour de cassation rappelle le caractère non écrit de la clause d’échelle mobile ne variant qu’à la hausse et que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite.

  • Sur le caractère non écrit de la clause d’échelle mobile ne variant qu’à la hausse

La bailleresse soutenait, d’abord, que la stipulation, qui se borne à écarter l'application de la clause d'indexation en cas de baisse de l'indice sur lequel l'indexation est fondée, ne fait échec ni aux dispositions de l'article L. 145-39 du Code de commerce, ni à celles de l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L5471ICM.

La Cour de cassation rejette le moyen.

Elle rappelle que selon l’article L. 145-15 du Code de commerce N° Lexbase : L5032I3R, dans sa rédaction issue de la loi « Pinel » (loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 N° Lexbase : L4967I3D), qui a substitué à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 N° Lexbase : L5765AID à L. 145-41 du Code de commerce leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours lors de l'entrée en vigueur de cette loi (v. déjà, Cass. civ. 3, 19 novembre 2020, n° 19-20.405, FS-P+B+I N° Lexbase : A9460347 ; J. Prigent, Lexbase Affaires, novembre 2021, n° 656 N° Lexbase : N5448BYG – Cass. civ. 3, 30 juin 2021, n° 19-23.038, FP-B+C N° Lexbase : A20224YK ; M. L. Besson, Lexbase Affaires, juillet 2021, n° 685 N° Lexbase : N8425BYP).

En outre, aux termes de l'article L. 145-39 du Code de commerce, dans sa rédaction applicable, par dérogation à l'article L. 145-38 N° Lexbase : L5034I3T, si le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire.

La Cour rappelle alors que, d'une part, le propre d'une clause d'échelle mobile est de faire varier à la hausse et à la baisse, de sorte que la clause figurant au bail et écartant toute réciprocité de variation, si elle ne crée pas la distorsion prohibée par l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier, fausse le jeu normal de l'indexation (v. déjà Cass. civ. 3., 14 janvier 2016, n° 14-24.681, FS-P+B N° Lexbase : A9444N38 ; J. Prigent, Lexbase Affaires, janvier 2016, n° 451 N° Lexbase : N0987BWH – Cass. civ. 3, 30 juin 2021, n° 19-23.038, FP-B+C, préc. et les obs. préc.). D'autre part, la neutralisation des années de baisse de l'indice de référence a mathématiquement pour effet de modifier le délai d'atteinte du seuil de variation du quart, conditionnant la révision du loyer, tel qu'il résulterait de l'évolution réelle de l'indice.

Dès lors, pour la Haute juridiction, la cour d'appel a exactement retenu que la clause d'indexation excluant toute réciprocité de la variation en prévoyant que l'indexation ne s'effectuerait que dans l'hypothèse d'une variation à la hausse contrevenait aux dispositions de l'article L. 145-39 du Code de commerce et devait être réputée non écrite par application de l'article L. 145-15 du même code.

La Cour de cassation confirme donc sa jurisprudence en ce qui concerne les clauses d’échelle mobile stipulée dans les contrats de baux commerciaux. Il en va différemment dans les contrats de prêt pour lesquels elle a affirmé qu’aucune disposition légale ou réglementaire, ni aucun principe jurisprudentiel, n’interdit aux parties à un contrat de prêt de prévoir une clause d’indexation du taux d'intérêt excluant la réciprocité de la variation de ce taux (Cass. com., 4 novembre 2021, n° 20-11.099, FS-B N° Lexbase : A07077BS ; J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, novembre 2021, n° 695 N° Lexbase : N9402BYU).

  • Sur l’indivisibilité de la clause dans son ensemble

En second lieu, la bailleresse soutenait que contrairement à ce qu’ont retenu les juges d’appel la stipulation interdisant la variation à la baisse pouvait être seule réputée non écrite, sans pour autant remettre en cause le principe de l'indexation du loyer, seule déterminante du consentement du bailleur à la conclusion du bail.

La Cour de cassation accueille ce moyen et censure sur ce point l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 145-39 du Code de commerce.

Elle relève que pour réputer la clause d'indexation non écrite en son entier, l'arrêt d’appel a retenu que l'intention du bailleur était d'en faire, sans distinction de ses différentes parties, une condition essentielle et déterminante de son consentement, toutes les stipulations de cette clause revêtant un caractère essentiel, conduisant à l'indivisibilité de celles-ci et empêchant d'opérer un choix entre elles pour n'en conserver que certaines.

Pour la Haute juridiction, en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'indivisibilité, alors que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Elle confirme donc ici sa position selon laquelle seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée est réputée non écrite (v. déjà, Cass. civ. 3, 29 novembre 2018, n° 17-23.058, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9158YNI ; J. Prigent, Lexbase affaires, décembre 2018, n° 575 N° Lexbase : N6697BXC – Cass. civ. 3, 6 février 2020, n° 18-24.599, FS-P+B+I N° Lexbase : A39713DG ; J. Prigent, Lexbase Affaires, février 2020, n° 624 N° Lexbase : N2211BYK – Cass. civ. 3, 30 juin 2021, n° 19-23.038, FP-B+C, préc. et les obs. préc.).

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La clause d'indexation ou clause d'échelle mobile du bail commercial, L'irrégularité de la clause d'indexation "à la hausse", in Baux commerciaux, (dir. J. Prigent), Lexbase N° Lexbase : E0759E9Y.

 

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Covid-19

[Brèves] Conditions subordonnant la légalité de l’obligation du port du masque en extérieur

Réf. : CE référé, 11 janvier 2022, n° 460002 N° Lexbase : A96587H8

Lecture: 4 min

N0065BZG

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par Yann Le Foll

Le 26 Janvier 2022

Le port du masque en extérieur doit être limité aux lieux et aux heures de forte circulation de population quand la distanciation physique n’est pas possible, et uniquement si la situation épidémiologique locale le justifie.

Faits. Le requérant demande la suspension de l'exécution de la décision du Premier ministre de donner instruction aux représentants de l'État territorialement compétents de mettre en œuvre l'obligation du port du masque en extérieur prévue au II de l'article 1er du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 N° Lexbase : L7002L44. Il soutient qu'il n'est pas établi que le port du masque en plein air en toute circonstance soit nécessaire, en l'état actuel des connaissances scientifiques et du taux de vaccination de la population, et que les conditions d'application de cette obligation ne sont pas suffisamment encadrées.

Conditions d’obligation de port du masque en extérieur

Si le risque de contamination est, de façon générale, moins élevé en plein air, il ne résulte pas de l'instruction que, au regard des données et recommandations scientifiques disponibles à la date de la présente décision, puisse être exclue la possibilité qu'un aérosol contenant le virus soit inhalé avec une charge infectante suffisante ou qu'une transmission par gouttelettes puisse avoir lieu en cas de forte concentration de population dans un lieu de plein air, le port du masque pouvant alors contribuer à réduire le risque de contamination.

Dans ce contexte, une obligation de porter le masque à l'extérieur, lorsque la situation épidémiologique localement constatée le justifie, en cas de regroupement ou dans les lieux et aux heures de forte circulation de population ne permettant pas le respect de la distanciation physique, n'apparaît pas, à la date de la présente ordonnance, manifestement dénuée de nécessité.

Proportion aux risques sanitaires encourus

Les dispositions rendant obligatoire le port du masque en extérieur doivent être justifiées par la situation épidémiologique constatée sur le territoire concerné. Elles ne peuvent être proportionnées que si elles sont limitées aux lieux et aux heures de forte circulation de population ne permettant pas d'assurer la distanciation physique et aux lieux où les personnes peuvent se regrouper, tels que les marchés, les rassemblements sur la voie publique ou les centres-villes commerçants, les périodes horaires devant être appropriées aux risques identifiés.

Le préfet, lorsqu'il détermine, pour ces motifs, les lieux et les horaires de port obligatoire du masque en plein air, est en droit de délimiter des zones suffisamment larges pour que la règle soit compréhensible et son application cohérente (à l’inverse, un arrêté préfectoral d’une portée trop générale porte atteinte illégalement à la liberté d'aller et venir, TA Strasbourg, 2 septembre 2020, n° 2005349 N° Lexbase : A66823SB).

Décision CE. Dès lors que le Premier ministre s'est borné à donner instruction aux préfets de prendre les mesures prévues au II de l'article 1er du décret du 1er juin 2021, dont la mise en œuvre doit respecter, sous le contrôle du juge, les principes précités, il n'a pas, ce faisant et eu égard à la portée de cette décision, porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté individuelle ainsi qu'en tout état de cause, à la liberté d'aller et venir, à la liberté de réunion et au droit à protection de la santé.

Il lui reviendra simplement d'adapter ses instructions à l'évolution des connaissances scientifiques et notamment, ainsi que le requiert le IV de l'article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 N° Lexbase : L6718L4L, de mettre fin sans délai aux mesures dont la nécessité ne serait plus établie.

TA Paris. Appliquant ce principe de nécessité, le tribunal administratif de Paris a suspendu l’arrêté préfectoral du 29 décembre 2021 imposant le port du masque sur la voie publique et dans les lieux ouverts à Paris, à l’exclusion des bois de Boulogne et de Vincennes, et sur les emprises des aérodromes de Paris Charles de Gaulle, du Bourget et de Paris Orly, estimant, notamment, qu’il existait un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté préfectoral dès lors que le port obligatoire du masque en extérieur n’était pas limité aux lieux et heures de forte circulation de population, tels que les marchés et les rassemblements sur la voie publique qui ne permettent pas d’assurer la distanciation physique (TA Paris, 13 janvier 2022, n° 2200043 N° Lexbase : A65507IG).

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Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] La fixation de la date de cessation des paiements en cas d’arrêt de l’exécution provisoire et de réformation du jugement d’ouverture

Réf. : Cass. com., 12 janvier 2022, n° 20-16.394, F-B N° Lexbase : A01907IU

Lecture: 6 min

N0082BZ3

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)

Le 20 Janvier 2022


Mots -clés : date de cessation des paiements • fixation • arrêt de l’exécution provisoire du jugement d’ouverture • réformation du jugement d’ouverture

En cas d’appel par le ministère public d’un jugement ayant ouvert la liquidation judiciaire d’un débiteur, lequel est suspensif, et de réformation de ce jugement par un arrêt ouvrant le redressement judiciaire de ce débiteur, la cour d’appel ne peut fixer une date de cessation des paiements antérieure de plus de 18 mois à la date de son arrêt, qui constitue la seule décision d’ouverture.


 

Nombreux sont les arrêts qui statuent sur la question de la fixation de la date de cessation de paiement. En revanche, rarement sont ceux qui ont à coordonner cette question avec celle des effets de l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement d’ouverture suivi de l’ouverture d’une nouvelle procédure collective. Les enseignements de l’arrêt commenté sont donc précieux.

En l’espèce, le 23 novembre 2016, le tribunal mixte de commerce de Cayenne, saisi en redressement judiciaire par un créancier, a ouvert la liquidation judiciaire simplifiée du débiteur. Le ministère public et le créancier assignant ont fait appel du jugement. La cour d’appel a, par arrêt du 10 février 2020 [1], réformé le jugement de liquidation judiciaire et, statuant à nouveau, a ouvert le redressement judiciaire du débiteur, en fixant la date de cessation des paiements au 23 mai 2015.

Un pourvoi en cassation a été formé soulevant divers moyens dont seul le dernier sera l’objet de nos commentaires. Il était reproché à la cour d’appel d’avoir fixé ainsi la date de cessation des paiements à une date antérieure de plus de 18 mois par rapport à son arrêt par lequel, d’une part, elle avait réformé la décision d’ouverture et, statuant à nouveau, d’autre part, avait ouvert le redressement judiciaire.

La question posée à la Cour de cassation était donc de savoir si, en présence d’un appel par le ministère public d’un jugement de liquidation judiciaire, de la réformation de ce jugement par la cour d’appel, cette dernière pouvait ou non fixer une date de cessation des paiements antérieurs de plus de 18 mois à l’arrêt par lequel elle ouvrait la procédure de redressement judiciaire.

À cette question, la Cour de cassation répond par la négative en énonçant que, « En cas d’appel par le ministère public d’un jugement ayant ouvert la liquidation judiciaire d’un débiteur, lequel est suspensif, et de réformation de ce jugement par un arrêt ouvrant le redressement judiciaire de ce débiteur, la cour d’appel ne peut fixer une date de cessation des paiements antérieurs de plus de 18 mois à la date de son arrêt, qui constitue la seule décision d’ouverture ».

Pour comprendre la portée de la décision, il faut rappeler certains principes.

Tout d’abord, en matière de procédure collective, le principe est que l’appel du ministère public est suspensif. L’article R. 661-1 alinéa 4, du Code de commerce N° Lexbase : L9250LTR prévoit qu’« en cas d’appel du ministère public d’un jugement mentionné aux articles L. 661-1 N° Lexbase : L9211L7B, à l’exception du jugement statuant sur l’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, L. 661-6 N° Lexbase : L2742LB8 et L. 661-11 N° Lexbase : L7348IZ8 du Code de commerce, l’exécution provisoire est arrêtée de plein droit à compter du jour de cet appel ». Par principe, et contrairement au droit commun de l’appel en matière de procédures collectives où la règle est l’exécution provisoire de droit, l’appel du ministère public est suspensif. Le texte de l’article R. 661-1, alinéa 4, du code excepte toutefois l’appel qu’il forme à l’encontre du jugement d’ouverture d’une sauvegarde ou d’un redressement judiciaire. La solution est justifiée par l’idée qu’il faut éviter tout retard dans le traitement des difficultés, lorsque l’heure est encore au sauvetage. Cette exception n’englobe pas le jugement d’ouverture de liquidation judiciaire. Par conséquent, en l’espèce, l’appel formé par le ministère public était bien suspensif. L’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire était donc indiscutable. Du fait de l’arrêt de l’exécution provisoire, tout se passe, par principe, comme si cette décision d’ouverture n’était pas intervenue.

Par la suite, comme elle en avait la possibilité, la cour d’appel, après avoir réformé le jugement ouvrant la liquidation judiciaire, statuant à nouveau, a pu valablement ouvrir un redressement judiciaire. Notons au passage qu’il s’agit là d’un cas de saisine d’office aux fins d’ouverture d’une procédure collective, autorisé par les textes. Il lui appartenait alors de fixer la date de cessation des paiements.

Sans doute n’était-il pas contestable en l’espèce que cette date de cessation des paiements était antérieure au jugement ayant ouvert la liquidation judiciaire puisque le débiteur n’avait pas contesté l’ouverture de la liquidation judiciaire, reconnaissant par là-même qu’il était bien en état de cessation des paiements à cette date. Pour autant, était-il possible de raisonner par rapport au jugement d’ouverture initial de la procédure collective pour fixer, dans le cadre de la nouvelle procédure collective ouverte, la date de cessation des paiements ? La réponse ne pouvait être que négative.

En effet, parce que l’appel émanait notamment du ministère public, et qu’il portait sur le jugement d’ouverture d’une liquidation judiciaire, il était suspensif. L’exécution provisoire se trouvait donc stoppée de plein droit. Par conséquent tout se passait, en l’espèce, comme si la liquidation judiciaire n’avait jamais existé. En effet, l’arrêt d’exécution provisoire emporte effacement de la décision dont l’arrêt d’exécution provisoire est ordonné. Dès lors, lorsque la cour d’appel, après avoir réformé le jugement d’ouverture, statuant à nouveau, ouvre une nouvelle procédure collective, elle doit faire totale abstraction de l’ancienne procédure collective ouverte. Elle ne peut donc s’appuyer sur celle-ci pour envisager de remonter dans un délai de 18 mois par rapport à cette dernière la date de cessation des paiements. Elle est tenue par les termes de la loi qui lui interdisent de fixer une date de cessation des paiements plus de 18 mois antérieurement au jugement d’ouverture. C’est ce que précise l’alinéa 2 de l’article L. 631-8 du Code de commerce N° Lexbase : L7315IZX. Ce texte du redressement judiciaire est rendu applicable en liquidation judiciaire par le IV de l’article L. 641-1 du même code N° Lexbase : L9188L7G, qui précise que « La date de cessation des paiements est fixée dans les conditions prévues à l'article L. 631-8 ». Or le jugement d’ouverture initial est réputé ne plus exister du fait de l’arrêt de l’exécution provisoire suivi de la réformation de la décision d’ouverture. La cour d’appel était donc tenue de raisonner exclusivement par rapport à la seconde procédure collective ouverte, celle de redressement judiciaire, et ne pouvait fixer une date de cessation des paiements plus de 18 mois avant le jugement d’ouverture du redressement judiciaire qui était, comme le précise justement la Cour de cassation, la seule procédure collective ouverte. La solution ne peut donc être qu’approuvée.


[1] CA Cayenne, 10 février 2020, n° 16/00521 N° Lexbase : A23663ED.

newsid:480082

Fiscalité des particuliers

[Brèves] Régime d’imposition des plus-values résultant de la cession à titre onéreux de titres financiers au moyen d'un crédit-vendeur : une décision décevante du Conseil constitutionnel

Réf. : Cons. const., décision n° 2021-962 QPC, du 14 janvier 2022 N° Lexbase : A30107IC

Lecture: 4 min

N0074BZR

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par Marie-Claire Sgarra

Le 19 Janvier 2022

Le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution les dispositions de l’article 150-0 A du Code général impôts.

🖊️ Que prévoient ces dispositions ? Aux termes de l’article 150-0 A du CGI N° Lexbase : L0732L7A, « Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB N° Lexbase : L3214LCZ et 150 UC N° Lexbase : L3832KWT, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 N° Lexbase : L2103HLH et aux 6° et 7° de l'article 120 N° Lexbase : L9374G7C, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu ».

Le Conseil d’État a renvoyé au Conseil constitutionnel une QPC visant à déterminer si le fait générateur posé par l’article 150-0 A, I du CGI porte atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques (CE 9° et 10° ch.-r., 13 octobre 2021, n° 452773, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A174449H).

Les requérants reprochent à ces dispositions de ne pas prévoir la possibilité pour le contribuable d'obtenir la réduction de l'imposition acquittée sur une plus-value de cession de valeurs mobilières lorsqu'une partie du prix de cette cession n'a pas été effectivement versée par le cessionnaire, notamment dans le cadre d'un crédit-vendeur. Selon eux, les capacités contributives du contribuable ne peuvent s'apprécier qu'au regard des sommes qu'il a effectivement encaissées.

Est donc en cause ici le fait générateur de l’imposition. Le cédant est imposé alors qu’il ne dispose pas immédiatement du prix de cession en présence d’un crédit-vendeur.

💡 À noter que depuis le 1er janvier 2019, un vendeur peut demander un étalement du paiement de l’impôt sur la plus-value CGI, art. 1681 F N° Lexbase : L9139LNS. Ce dispositif est cependant restrictif et concerne les entreprises répondant aux conditions suivantes :

  • moins de 50 salariés ;
  • total de bilan ou chiffre d’affaires n’excédant pas 10 millions d’euros au titre de l’exercice au cours duquel la cession a lieu ;
  • et répondant à la définition européenne de la petite entreprise ;
  • la cession doit porter sur la majorité du capital social.

⚖️ Décision du Conseil constitutionnel

Le Conseil rappelle, dans un premier temps, que l'article 12 du CGI N° Lexbase : L1047HLD prévoit que l'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année.

Les dispositions contestées prévoient que sont soumises à l'impôt sur le revenu les plus-values de cession à titre onéreux de valeurs mobilières, de droits sociaux et de titres assimilés. La date à laquelle la cession doit être regardée comme réalisée est celle à laquelle s'opère le transfert de propriété, indépendamment des modalités de paiement et des événements postérieurs à ce fait générateur.

👉 En application de l'article 1583 du Code civil N° Lexbase : L1669ABG, la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé » ; ainsi, à la date de la vente, le contribuable a acquis une créance certaine dont il peut disposer librement.

👉 D'une part, le fait qu'une partie du prix de cession doive être versée de manière différée par le cessionnaire au contribuable, le cas échéant par le biais d'un crédit-vendeur, relève de la forme contractuelle qu'ils ont librement choisie ; d'autre part, la circonstance que des événements postérieurs affectent le montant du prix effectivement versé au contribuable est sans incidence sur l'appréciation de ses capacités contributives au titre de l'année d'imposition.

💡 Que penser de cette décision ? La question méritait attention. Fiscalement le vendeur est imposé l’année de la cession sur la totalité de la plus-value quand bien même il ne disposerait pas de la totalité du prix de vente. Dans le cadre d’une opération de crédit-vente, aucune disposition ne permet de palier à ce décalage de paiement du prix de cession. À notre sens, la conformité avec réserve d’interprétation aurait été plus juste et aurait permis au Conseil de déclarer ces dispositions conformes à condition qu'elles soient interprétées (ou appliquées) de la façon indiquée par lui. Avec cette décision les vendeurs devront donc doubler de vigilance dans la négociation des titres de leur entreprise.

 

 

 

newsid:480074

Licenciement

[Panorama] Mise en œuvre concrète du barème encadrant l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse : état des lieux

Lecture: 22 min

N0134BZY

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par Farida Khodri, Maître de conférences en droit privé à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne, CERCRID UMR CNRS 5137

Le 21 Janvier 2022

Alors que les juristes intéressés par la question attendent  avec impatience le dénouement de la saga judiciaire autour de l’article L. 1235-3 du Code du travail N° Lexbase : L1442LKM, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 N° Lexbase : L9253LIK, ratifiant les ordonnances instituant un barème d’indemnisation obligatoire pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse [1], la Cour de cassation a rendu un arrêt  le 15 décembre 2021 [2]  dans lequel elle se prononce pour la première fois, depuis ses avis du 17 juillet 2019 [3], sur son application.  La Cour se réfère à la lettre de cet article et rappelle notamment que les planchers et plafonds d’indemnisation prévus par ce texte doivent s’entendre en mois de salaires bruts et non pas nets.

Ainsi que nous le verrons dans la seconde partie de cette contribution (II.), si cette décision ne semble pas, loin s’en faut, consacrer la validité du barème ou le caractère obligatoire et strict  de son application, elle délivre tout de même des précisions utiles dont certaines viennent corroborer  des  pratiques déjà constatées au niveau des juridictions du fond sur l’usage possible du barème par les juges du fond et sur leur pouvoir d’appréciation du quantum du préjudice subi par le salarié. Dès lors, une compréhension pleine et entière du raisonnement qui sous-tend cet arrêt de la Cour de cassation ne peut faire l’économie de sa mise en perspective au regard des décisions des juges du fond traitant de l’indemnisation de ce type de préjudice (I.).

I. La mise en œuvre du barème par les juridictions du fond

L’observation du contentieux récent autour de l’indemnisation du préjudice consécutif à un licenciement sans cause réelle et sérieuse met en lumière deux tendances majoritaires : la reconnaissance implicite ou explicite par les juges du fond de la conventionalité in abstracto du barème des indemnités de licenciement [4] et le fait qu’ils ne rechignent plus frontalement à son application. Dans la plupart des décisions rendues par les juridictions du premier et second degré au cours de l’année 2021, le barème de l’article L. 1235-3 du Code du travail sert d’étalon de mesure du quantum de la réparation octroyée aux salariés injustement licenciés, d’instrument auquel les juges se réfèrent effectivement dans leur raisonnement pour en fixer le montant. Cependant, dans le même temps, les juges interprètent le plus souvent cette disposition comme ne faisant pas obstacle à leur pouvoir d’appréciation de l'étendue du préjudice et se réservent la possibilité de ne pas l’appliquer s'ils estiment que ledit référentiel n'est pas de nature à assurer au salarié la réparation appropriée de la perte injustifiée de son emploi.  L’article L. 1235-3 du Code du travail apparaît alors comme unité de mesure servant de référence pour l'étalonnage de l’indemnisation qui peut selon les cas soit être limitée à ce que prévoit le barème légal soit le dépasser.

Les raisonnements à l’œuvre derrière ces solutions ne sont cependant pas univoques et l’analyse des décisions rendues par les conseils de prud’hommes et les cours d’appel met en évidence la coexistence de trois types d’analyses différentes.

L’appréciation du préjudice limitée à la fourchette du barème. L’étude donne à voir des juridictions (peu nombreuses) qui appliquent strictement, voire mécaniquement, le barème sans discussion aucune sur le caractère adéquat ou non de l’indemnité allouée. Celles-ci prennent généralement en considération deux choses : d’une part, le fait que les dispositions de l'article L. 1235-3 dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7629LGN sont effectivement applicables à l’espèce et, d’autre part, qu’en vertu de ce texte le salarié qui justifie de telle ancienneté peut prétendre à une indemnité comprise entre le minimum et le maximum prévu au barème compte tenu de la taille de l’entreprise. Ces décisions considèrent, en effet, que la mise en place du barème ne compromet pas l'office du juge qui peut, mais seulement dans ses limites, prendre en compte tous les éléments déterminants le préjudice subi par le salarié. Le plus souvent explicite, cette analyse peut également être implicite lorsque le caractère adéquat de l’indemnisation n’est pas soulevé par les parties [5]. En conséquence, les juges qui adoptent cette analyse limitent l’appréciation du préjudice à la fourchette du barème et tiennent compte de l’âge et de la situation personnelle du salarié depuis la rupture pour fixer un montant de réparation soit en haut soit en bas de la fourchette [6]. C’est en se basant sur ce type de raisonnement collé à la fourchette du barème que la cour d’appel de Paris [7] a refusé de reconnaître l’existence de préjudice distincts, notamment celui résultant des conditions vexatoires du licenciement (la lettre de licenciement laissant sous-entendre en l’espèce que la salariée était âpre au gain) qu’elle a jugé comme intégré au barème (voir infra). Relevons toutefois que d’autres décisions basées sur un raisonnement similaire prennent le soin de reconnaître au préalable la compatibilité des dispositions de l'article L. 1235-3 du Code du travail avec les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT. Selon leur analyse, il résulte de l'article L. 1235-3 du Code du travail que la perte injustifiée de son emploi cause nécessairement un préjudice au salarié et qu’il appartient au juge d'en apprécier l'étendue, mais le montant des dommages et intérêts qu'il peut décider doit être compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par cet article. En somme, le barème rien que le barème. Pour être complets sur ce point, il faut aussi relever la propension singulière de certains juges à se référer au barème - et donc à en prendre compte implicitement pour fixer le montant de l’indemnisation allouée au salarié - y compris dans des affaires pour lesquelles il n’est pas applicable [8].

L’indemnisation adéquate du préjudice par application du barème. Une deuxième catégorie de décisions plus nombreuses regroupe celles qui - au cas par cas et après analyse des éléments apportés par le salarié - appliquent le barème au motif qu’il permet une indemnisation adéquate (ou appropriée) du préjudice. La différence entre ce type de solution et la précédente se situe dans le point de départ du raisonnement qui consiste à considérer que les juges pourraient, en principe, écarter l’application du barème si ce dernier - eu égard à la situation personnelle du salarié et à l’existence d’autres préjudices non couverts par le barème - ne permet pas une indemnisation appropriée au sens de l’article 10 de la Convention OIT n° 158 et de l'article 24 de la Charte sociale européenne. La terminologie utilisée par une cour d’appel est sur ce point révélatrice : « en application de l'article 10 de la Convention OIT n° 158 et de l'article 24 de la Charte sociale européenne, il appartient toujours au juge d'apprécier souverainement l'étendue dudit préjudice et le cas échéant de laisser inappliqué le barème s'il considère au vu des éléments fournis par le salarié que celui-ci n'est pas de nature à assurer la réparation appropriée de la perte injustifiée de l'emploi ». Mais ces arrêts finissent le plus souvent par appliquer le barème au motif que les pièces produites par le salarié ne permettent pas de l’écarter, le salarié n'apportant aucun élément au soutien de la démonstration d'un préjudice plus important [9].                   

L’application du barème et le contrôle in concreto du quantum du préjudice. Enfin, on relève une troisième catégorie de décisions qui - tout en considérant le barème prévu par le Code du travail comme conforme aux textes internationaux, notamment à l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail - reconnaissent un pouvoir plus important au juge qui doit, selon elles, s'assurer que les indemnités prévues par le barème réparent de manière adéquate le préjudice subi in concreto par le salarié justement au sens de l'article 10 précité. Autrement dit, la conventionalité du barème ne dispenserait pas le juge, d'apprécier qu'il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché [10]. Ce raisonnement qui semble s’inscrire dans le sillage de celui qui a été à l’œuvre dans des décisions plus anciennes ayant refusé d’appliquer le barème [11] est aussi celui qui prévaut dans l’arrêt très critiqué [12] de la cour d’appel de Paris du 16 mars 2021 qui a écarté l’application du « Barème Macron » en raison de « la situation concrète et particulière » de la salariée concernée par le litige. Singulièrement, en se prononçant ainsi, la cour revenait sur la position qui était la sienne auparavant dans une décision du 30 octobre 2019 (rendue par sa huitième chambre). Aux termes de sa motivation, la Cour précise que l’indemnité prévue par l’article L. 1235-3 du Code du travail ne permettait pas une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi par la salariée, conformément aux exigences de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT. Selon l’estimation faite par les juges, le montant maximal prévu par le barème représentait « à peine la moitié du préjudice subi en termes de diminution des ressources financières depuis le licenciement ». Dès lors, la cour d’appel adopte la même position que celle prise par d’autres cours d’appel, ou encore par certains conseils de prud’hommes avant elle et écarte l’application dudit barème. On retrouve ce contrôle dit « in concreto » (qui complète le contrôle in abstracto de la conventionalité du barème et de sa conformité à la Constitution ainsi qu’aux textes internationaux) également dans d’autres arrêts de cours d’appel ou jugements récents des conseils de Prud’hommes comme celui rendu par le conseil de prud’hommes de Nantes dont l’appréciation in concreto l’a conduit à décider d’allouer au salarié une indemnité supérieure au plafond du barème [13].

Cependant, le contrôle de proportionnalité reste variable et basé sur un faisceau d’éléments sélectionnés en fonction de critères parfois imprécis. En effet, les juges opèrent un tri entre les éléments dont le salarié parvient selon eux à faire la preuve et qui sont retenus et d’autres éléments qui ne prospèrent pas devant eux. A cet égard, si la motivation imprécise de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 16 mars 2021 a pu choquer, il faut dire que la plupart des (rares) [14] arrêts qui ont écarté le barème sont beaucoup plus précis dans leurs motifs. Ainsi en est-il de l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier du 27 mai 2021, dans lequel celle-ci a écarté le barème afin d’indemniser de manière plus adéquate une salariée ayant subi un préjudice très nettement supérieur à celui indemnisable car « elle ne peut espérer retrouver un emploi stable et suffisamment rémunérateur compte tenu de son âge, de l’absence de diplôme et de son handicap ». Il en est de même de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Chambéry le 23 novembre 2021, dans lequel les juges ont estimé qu’« au regard de ces éléments (produits par le salarié), il est établi in concreto que l'indemnité prévue par le barème est d'un montant trop réduit, et donc inadéquate en ne réparant pas le préjudice effectivement subi résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse ». L’employeur a dès lors été condamné à verser à sa salariée 19 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au lieu de 9 700 euros si le barème avait été appliqué. Les juges sont parvenus à ce montant en prenant en compte un faisceau d’éléments relatifs à la vie personnelle de la salariée qui, cumulés ensemble, les ont convaincus de cette disproportion : l’ancienneté de plus de cinq ans de la salariée, son âge (58 ans lors du licenciement), son employabilité (réduite car celle-ci avait été employée uniquement en tant qu'agent de service), son absence de diplôme, sa santé fragile (diabète, hypertension), ses difficultés à retrouver un emploi aussi stable, rémunérateur que celui qu'elle occupant dans la société de services qui l’a licenciée, le fait qu’elle n’ait retrouvé qu’un emploi à temps partiel payé moins du tiers de son salaire avant licenciement, soit une perte de plus de 30 800 euros sur deux années et ce « d'autant que les offres d'emploi dans le secteur de la propreté portent souvent sur des contrats à temps partiel ». Par ailleurs, les juges ont également reconnu dans cette affaire un préjudice supplémentaire distinct, relatif à la transmission tardive des documents de fin de contrat, la salariée ne les ayant reçus que plus de deux mois après le licenciement. Cette négligence de l’employeur qui a empêché la salariée de faire valoir ses droits auprès des différents organismes lui a, selon les juges, causé un préjudice distinct réparable. Statuant dans le même sens, l’arrêt rendu par la même cour le 27 mai 2021  a pris en compte l’âge de la salariée (56 ans), son inaptitude professionnelle en lien avec les graves manquements de l’employeur à ses obligations en matière de sécurité et son statut de travailleur handicapé pour juger qu’il « est établi in concreto que l'indemnité prévue par le barème est d'un montant réduit et ne répare pas le préjudice effectivement subi résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse ». A l’inverse, dans leur appréciation du préjudice, les juges sont amenés à exclure certains éléments, comme le fait qu’une salariée argue de son statut de mère célibataire avec enfant à charge [15], et refusent parfois d’indemniser d’autres préjudices d’apparence distincts liés à la rupture. En effet, comme dit précédemment, le préjudice moral subi du fait des circonstances vexatoires du licenciement donne lieu devant les juridictions du fond à des appréciations divergentes selon les juridictions, voire même entre les chambres d’une même juridiction. Ainsi, alors que la septième chambre de la cour d’appel de Paris intègre le préjudice moral qui en découlerait à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse octroyée sur la base de l’article L. 1235-3 du Code du travail [16], sa cinquième chambre adopte, dans un arrêt rendu de surcroît le même jour, un raisonnement inverse [17] au motif que le juge conserve la faculté d'individualiser ses décisions au sein du barème ou de faire droit à une demande de préjudice distinct. Selon les juges de cette chambre, « lorsque les circonstances entourant le licenciement d'un salarié présentent un caractère vexatoire, il est fondé à obtenir des dommages intérêts distincts de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse » [18]. Elle en déduit que le fait de contraindre une salariée, après 27 ans d'ancienneté, à quitter l'entreprise sans préavis dans les mêmes conditions qu'une sanction disciplinaire et de lui interdire l'accès à celle-ci, sans qu'elle puisse saluer ses collègues de travail, constituait bien un préjudice moral qui ouvre droit pour la salariée à une indemnité de 5 000 euros pour licenciement expéditif et vexatoire. Cet arrêt est également intéressant dans la mesure où il permet d’observer comment deux cheminements différents dans l’analyse aboutissent, in fine, au même quantum de dommages-intérêts. En effet, en infirmant le jugement du conseil de prud’hommes qui avait fixé un quantum de dommages-intérêts supérieur au barème (66 000 euros) et en attribuant - au regard de l’article L. 1235-3 du Code du travail - une indemnité moindre au salarié (55 974 euros), les juges de la cinquième chambre de la cour d’appel accèdent, dans le même temps, à la demande du salarié visant à la réparation distincte du préjudice moral que les juges du premier degré avaient précisément pris soin de rejeter. Il en résulte que les sommes octroyées sont finalement presque identiques, voire légèrement supérieures à celles découlant de l’appréciation in concreto… On retrouve cette appréciation divergente du caractère distinct ou non distinct du préjudice moral découlant des circonstances du licenciement sans cause réelle et sérieuse notamment dans un arrêt rendu quelques jours après celui de la cour d’appel de Paris, par la cour d’appel de Rouen le 2 décembre 2021 [19]  qui, au contraire, a considéré le préjudice moral découlant des circonstances de la rupture (le salarié ayant appris officieusement son licenciement par SMS) comme d’ores et déjà inclus dans l'indemnité allouée au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse sur la base du barème, de sorte qu'il ne résulte aucun préjudice distinct resté non indemnisé. Les juges rejettent, en conséquence, la demande d’indemnisation distincte du préjudice moral découlant du caractère vexatoire du licenciement mais accordent au salarié le maximum du barème compte tenu de son ancienneté (16 ans), de son âge (52 ans) et des circonstances de la rupture.

Ces incohérences constatées appellent à une meilleure rationalisation du contrôle effectué par les juges du fond sur l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse.  Dans un souci de sécurité juridique - des entreprises et des salariés - le type de contrôle, ses modalités et ses critères devraient notamment être davantage précisés.

Toutefois, la portée de la solution basée sur un contrôle in concreto des juges du fond doit être nuancée et ce pour plusieurs raisons. D’une part, la recherche de proportionnalité, entendue cette fois « in concreto » et non « in abstracto », doit avoir été demandée par le salarié. « Elle ne saurait être exercée d'office par le juge du fond qui ne peut, de sa seule initiative, procéder à une recherche visant à écarter, le cas échéant, un dispositif dont il reconnaît le caractère conventionnel » [20]. D’autre part, pour qu’une juridiction écarte le barème et adopte une telle appréciation in concreto, il est nécessaire que le salarié rapporte la preuve que l’indemnité prévue à l’article L. 1235-3 du Code du travail est inadéquate au regard de sa situation personnelle et de la réalité de son préjudice. Ces exigences procédurales et probatoires à l’endroit du salarié arguant d’un contrôle in concreto expliquent qu’in fine, ce contrôle conduit le plus souvent les juges à appliquer le barème faute pour le salarié de l’avoir demandé ou d’avoir apporté la preuve de l’insuffisance du barème [21].

En définitive, à de rares exceptions près (cependant très remarquées), le contrôle in concreto se révèle à l’analyse soumis à l’enserrement de conditions restrictives qui en pratique ne permettent que rarement d’aller au-delà du barème. En revanche, si le salarié échoue à apporter la preuve du caractère inapproprié d’une indemnisation fondée sur le barème, le raisonnement in concreto peut lui permettre d’accéder au maximum de la fourchette du barème [22]. Dès lors, compte tenu de ce qui vient d’être dit et en l’absence d’une décision de principe de la Cour de cassation sur le contrôle in concreto, les défenseurs des salariés ont aujourd’hui tout intérêt à introduire une demande visant à écarter l’application du barème et inviter les juges du fond à procéder à une analyse in concreto de la situation de leur client. C’est ce qu’à l’évidence n’ont pas fait les conseils du salarié dans l’affaire tranchée par la Cour de cassation le 15 décembre dernier et sur laquelle nous proposons une analyse rapide.

II. Focus sur l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 15 décembre 2021

En l’espèce, un salarié déclaré inapte à occuper son emploi par le médecin du travail est licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Il engage alors une action en justice pour faire constater l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement et obtient gain de cause devant la cour d’appel de Nancy [23] qui lui accorde une indemnité correspondant - compte tenu de son ancienneté de 29 ans - au plafond de l’indemnité prévue par le barème mais exprimé en salaire net. Estimant que le salarié ne pouvait prétendre, « qu'à une indemnité maximale de 63 364,20 euros bruts » et non nets, l’employeur se pourvoit en cassation.

La question de droit soumise à la Cour de cassation n’était donc pas relative à la validité du barème ni à la possibilité pour les juges de s’en carter mais concernait simplement son mode d’expression en salaires bruts et non en salaires nets, contrairement à l’appréciation des juges du fond, qui avaient retenu le salaire net. Rien d’étonnant dès lors à ce que la Cour de cassation casse, sans renvoi, l’arrêt au visa de l’article L. 1235-3 du Code du travail qui prévoit expressément que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est exprimée en mois de salaire brut. La cour se contente donc de répondre aux questions soulevées devant elle - ni la conventionalité du barème ni le contrôle in concreto n'ayant été invoqués - et, ne pouvant soulever d’office des points dont elle n’était pas saisie, valide un montant d’indemnité qui correspond au plafond du barème pour 29 ans d'ancienneté en adoptant un raisonnement classique conforme à celui observé devant des juges du fond (voir supra).

Mais il n’en demeure pas moins que cette décision publiée au Bulletin et qui devrait faire l’objet d’un commentaire est l’occasion pour la Cour de préciser plusieurs choses importantes :

  • au regard du régime social attaché aux indemnités de rupture, elle rappelle que dans la mesure où ils concourent à la réparation d’un préjudice, les dommages et intérêts s’expriment en brut  et, ce qui va sans dire valant mieux en le disant, qu’il faut veiller à le faire préciser dans les chefs de demande ;
  • comme les cours d’appel, elle applique « mécaniquement » le barème quand sa non application n’est pas été soulevée par le salarié en se situant dès lors dans la droite ligne de ce qui est habituellement pratiqué en pareille occasion. En cela, elle contribue, dans une certaine mesure, à construire la doctrine de la Cour de cassation sur les conditions d’application dudit barème.

La solution aurait-elle été différente si le salarié avait, en l’espèce, soulevé la question de la non-application du barème ? Rien n’est moins sûr. Le raisonnement juridique n'aurait certes pas été le même car la Cour aurait été amenée à se prononcer sur la possibilité pour le juge d’opérer un contrôle in concreto et sur la proportionnalité de l’indemnisation octroyée. Cependant, au regard de ce qui a été observé dans les décisions rendues au cours de l’année 2021 par les juridictions du fond (et relayé supra), gageons que la somme octroyée, correspondant aux montants habituellement octroyés par les juges aurait, faute d’éléments de preuve supplémentaires d’une disproportion apportés par le salarié, tout de même été jugée adéquate…


[1] et comportant des montants minimaux et maximaux variables selon l'ancienneté du salarié et la taille de l'entreprise.

[2] Cass. soc., 15 décembre 2021, n° 20-18.782, FS-B N° Lexbase : A17457GQ.

[3] Cass. avis, 17 juillet 2019, n° 15012 N° Lexbase : A4509ZK9 et n° 15013 N° Lexbase : A4508ZK8.

[4] Depuis les avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019, la plupart des juridictions du fond semblent ne plus pratiquer le contrôle abstrait.

[5] Par exemple : CA Reims, 1er décembre 2021, n° 21/00293 N° Lexbase : A82807DZ ; CA Reims, 1er décembre 2021, n° 21/00304 N° Lexbase : A85087DH ; CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 30 novembre 2021, n° 19/08972 N° Lexbase : A72347DB.

[6] Voir par exemple : CA Basse-Terre, 6 décembre 2021, n° 20/00140 N° Lexbase : A29637EH ; CA Rouen, 2 décembre 2021, n° 19/02490 N° Lexbase : A95217DY ; CA Grenoble, 2 décembre 2021, n° 19/03211 N° Lexbase : A96767DQ ; CA Amiens, 2 décembre 2021, n° 20/05266 N° Lexbase : A27887EY ; CA Orléans, 30 novembre 2021, n° 19/01257 N° Lexbase : A68357DI ; CA Rouen, 25 novembre 2021, n° 19/01210 N° Lexbase : A12687DC ; CA Grenoble, 25 novembre 2021, n° 19/02969 N° Lexbase : A07757D3 ; CA Angers, 25 novembre 2021, n° 20/01517 N° Lexbase : A69417DG ; CA Poitiers 18 novembre 2021,  n° 19/03598 N° Lexbase : A37537CY ; CA Amiens, 18 novembre 2021, n° 20/05817 N° Lexbase : A60837CB ; CA Amiens, 18 novembre 2021, n° 20/02285 N° Lexbase : A59997C8 ; CA Caen, 18 novembre 2021, n° 20/01274 N° Lexbase : A17187CM ; CA Dijon, 18 novembre 2021, n° 19/00687 N° Lexbase : A19467C3 ; CA Versailles, 17 novembre 2021 n° 19/00181 N° Lexbase : A02357CP ; CA Toulouse, 12 novembre 2021, n° 19/01943 N° Lexbase : A69267B7 ; CA Toulouse, 12 novembre 2021, n° 19/05500 N° Lexbase : A67987BE ; CA Reims, 10 novembre 2021, n° 20/01401 N° Lexbase : A68517BD; CA Paris, Pôle 6, 3ème ch., 8 novembre 2021, n° 19/02622 N° Lexbase : A35507B4 ; CA Grenoble, 4 novembre 2021, n° 19/03005 N° Lexbase : A93787AL ; CA Limoges, 2 novembre 2020, n° 19/00842 N° Lexbase : A369833D ; CA Aix-en-Provence, 28 octobre 2021, n° 20/00254 N° Lexbase : A00687B7 ; CA Limoges, 19 octobre 2021, n° 20/00284 N° Lexbase : A617849P et CA Angers, 14 octobre 2021, n° 19/00291 N° Lexbase : A140149R.

[7] CA Paris, Pôle 6, 7ème ch., 25 novembre 2021, n° 19/05520 N° Lexbase : A09507DK.

[8] CA Versailles, 28 octobre 2021, n° 19/02859 N° Lexbase : A33397AW : « Mais comme le fait valoir à juste titre la société, le barème issu de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, s'il avait été applicable, ce qui n'est pas le cas, aurait conduit à une indemnisation du salarié à hauteur de trois à quatre mois de salaire, et l'indemnisation à hauteur de six mois de salaire conforme à l'article L. 1235-3 du Code du travail dans sa rédaction applicable au litige, est parfaitement satisfactoire, dès lors que le salarié a retrouvé un emploi dès février 2018 comme cela ressort de son profil Linkedin (sic !) ».

[9] CA Grenoble, 2 décembre 2021, n° 19/03519 N° Lexbase : A99917DE ; CA Grenoble, 2 décembre 2021, n° 19/03521 N° Lexbase : A94787DE ; CA Grenoble, 2 décembre 2021, n° 19/03172 N° Lexbase : A92907DG ; CA Bordeaux, 25 novembre 2021, n° 19/03753 N° Lexbase : A32167DH ; CA Caen, 25 novembre 2021, n° 20/01496 N° Lexbase : A00667DS ; CA Grenoble, 18 novembre 2021 n° 19/02847 N° Lexbase : A15637CU ; CA Poitiers, 18 novembre 2021, n° 19/03874 N° Lexbase : A38267CP ; CA Caen, 18 novembre 2021 n° 20/01274 N° Lexbase : A17187CM ; CA Poitiers, 18 novembre 2021, n° 19/03695 N° Lexbase : A37227CT ; CA Reims, 10 novembre 2021,  n° 20/01614 N° Lexbase : A69237BZ ; CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 9 novembre 2021 n° 19/08148 N° Lexbase : A38437BX ; CA Bourges, 5 novembre 2021, n° 20/00923 N° Lexbase : A98137AP ; CA Bourges, 5 novembre 2021 n° 20/00923 N° Lexbase : A98137AP ; CA Grenoble, 4 novembre 2021, n° 19/02806 N° Lexbase : A89177AI ; CA Dijon, 4 novembre 2021, n° 19/00675 N° Lexbase : A98877AG ; CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 5 octobre 2021, n° 19/09485 N° Lexbase : A230648W ; CA Grenoble, 30 septembre 2021, n° 18/05249 N° Lexbase : A845547B.

[10] Voir par exemple en ce sens : CA Chambéry, 23 novembre 2021, n° 20/01147 N° Lexbase : A69777CE ; CA Grenoble, 4 novembre 2021, n° 19/02836 N° Lexbase : A03647B4 ; CA Grenoble, 30 septembre 2021, n° 20/02512 N° Lexbase : A887647U ; CA Chambéry, 27 mai 2021, n° 20/00287 N° Lexbase : A06484T8 ; CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 16 mars 2021, n° 19/08721 N° Lexbase : A12804LY ; CA Caen, 14 janvier 2021, n° 19/02533 N° Lexbase : A97484CZ.

[11] CPH Rambouillet, 20 novembre 2020, n° 20/00007 ; CA Bourges, 6 novembre 2020, n° 19/00585 N° Lexbase : A813533P ; CA Limoges, 2 novembre 2020, n° 19/00842 N° Lexbase : A369833D ; CPH Bobigny, 16 septembre 2020, n° 19/00680 ; CA Grenoble, 2 juin 2020, n° 17/0492 ; CPH Saint-Germain-en-Laye, 21 janvier 2020, n° 18/00290 N° Lexbase : A21073PQ ; CA Reims, 25 septembre 2019, n° 19/00003 N° Lexbase : A0301Z4W ; CPH Troyes,  29 juillet 2019, n° 18/00168 ; CPH Grenoble, 22 juillet 2019, n° 18/00267 N° Lexbase : A7355ZKM ; CA Chambéry, 27 juin 2019, n° 18/01276 N° Lexbase : A9035ZGQ ; CPH Martigues, 26 avril 2019, n° 18/00168 N° Lexbase : A4389ZIE.

[12]  G. Loiseau et F. Sauvage, Barème d’indemnités : en revenir au droit note, Bull. Joly Travail, mars 2021, p. 12 ; Ch. Radé, Que le barème nous garde de l’équité des Parlements !, in Controverse : prendre l’exigence de réparation adéquate au sérieux ?, RDT, 2019, p. 677.

[13] CPH Nantes, 5 février 2021, n° 20/00025 N° Lexbase : A98094LU. Voir aussi : CA Chambéry, 23 novembre 2021, préc. ; CA Grenoble, 4 novembre 2021, préc. ; CA Grenoble, 30 septembre 2021, préc. ; CPH Longjumeau, 29 juin 2021, n° 20/00137 ; CPH Longjumeau, 11 juin 2021, n° 20/100147 N° Lexbase : A001143S ; CA Montpellier, 27 mai 2021, préc. ; CA Chambéry, 27 mai 2021, préc. ; CA Paris, 16 mars 2021, préc. ; CA Bourges, 6 novembre 2020, n° 19/00585 N° Lexbase : A813533P.

[14] L’étude exhaustive des décisions de la base de données Lexbase ne donne à voir que 6 arrêts de cours d’appel basés sur le contrôle de proportionnalité et ayant abouti à une indemnisation au-delà du barème, dont la plupart ont été très largement diffusés et commentés.

[15] CA Caen, 18 novembre 2021, n° 20/01274 N° Lexbase : A17187CM.

[16] CA Paris, Pôle 6, 7ème ch., 25 novembre 2021, n° 19/05520 N° Lexbase : A09507DK.

[17] CA Paris, Pôle 6, 5ème ch., 25 novembre 2021, n° 19/05909 N° Lexbase : A03507DC.

[18] V. aussi dans le même sens : CA Reims, 22 septembre 2021, n° 20/00345 N° Lexbase : A128747S.

[19] CA Rouen, 2 décembre 2021, n° 19/01873 N° Lexbase : A97607DT.

[20] CA Reims, 6 octobre 2021, n° 20/01508 N° Lexbase : A314348W.

[21] Voir notamment : CA Grenoble, 2 décembre 2021, n° 19/03519 N° Lexbase : A99917DE ; CA Grenoble, 2 décembre 2021, n° 19/03521 N° Lexbase : A94787DE ; CA Grenoble, 2 décembre 2021, n° 19/03172 N° Lexbase : A92907DG ; CA Rouen, 2 décembre 2021, n° 19/01873 N° Lexbase : A97607DT ; CA Bordeaux, 25 novembre 2021, n° 19/03753 N° Lexbase : A32167DH ; CA Paris, Pôle 6, 5ème ch., 25 novembre 2021, préc. ; CA Paris, Pôle 6, 7ème ch., 25 novembre 2021, préc. ; CA Angers, 25 novembre 2021, n° 18/0078 N° Lexbase : A4254ZAS) ; CA Caen, 25 novembre 2021, n° 20/01496 N° Lexbase : A00667DS ; CA Paris, Pôle 6, 6ème ch., 24 novembre 2021, n° 19/07335 N° Lexbase : A89407C4 ;  CA Versailles, 24 novembre 2021, n° 19/03244 N° Lexbase : A86817CI ; CA Grenoble, 18 novembre 2021 n° 19/02847 N° Lexbase : A15637CU ; CA Poitiers, 18 novembre 2021, n° 19/03874 N° Lexbase : A38267CP ; CA Caen, 18 novembre 2021 n° 20/01274 N° Lexbase : A17187CM ; CA Poitiers, 18 novembre 2021, n° 19/03695 N° Lexbase : A37227CT ; CA Reims, 17 novembre 2021, n° 20/01291 N° Lexbase : A02397CT ; CA Limoges, 15 novembre 2021, n° 20/00570 N° Lexbase : A87557BU ; CA Reims, 10 novembre 2021, n° 20/01714 N° Lexbase : A61557BL ; CA Caen, 10 novembre 2021, n° 21/00544 N° Lexbase : A70177BI ; CA Reims, 10 novembre 2021,  n° 20/01614 N° Lexbase : A69237BZ ; CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 9 novembre 2021 n° 19/08148 N° Lexbase : A38437BX ; CA Bourges, 5 novembre 2021, n° 20/00923 N° Lexbase : A98137AP ; CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 5 octobre 2021, n° 19/09485 N° Lexbase : A230648W ; CA Grenoble, 4 novembre 2021 n° 19/02806 N° Lexbase : A89177AI ; CA Grenoble, 4 novembre 2021, n° 19/02736 N° Lexbase : A92957AI ; CA Dijon, 4 novembre 2021 n° 19/00675 N° Lexbase : A98877AG ; CA Montpellier, 20 octobre 2021, n° 18/01049 N° Lexbase : A6381499 ; CA Reims, 6 octobre 2021, n° 20/01508 N° Lexbase : A314348W ; CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 5 octobre 2021, n° 19/09485 N° Lexbase : A230648W ; CA Grenoble, 30 septembre 2021, n° 18/05249 N° Lexbase : A845547B ; CA Paris, Pôle 6, 5ème ch., 30 septembre 2021, n° 19/07881 N° Lexbase : A841947X ; CA Reims, 22 septembre 2021, n° 20/00345 N° Lexbase : A128747S ; CA Caen, 14 janvier 2021, n° 19/02533 N° Lexbase : A97484CZ ; CPH Longjumeau, 29 juin 2021, n° 20/00137 N° Lexbase : A98784ZU ; CPH Longjumeau, 11 juin 2021, n° 20/100147 N° Lexbase : A001143S.

[22] CA Riom, 30 novembre 2021, n° 19/00663 N° Lexbase : A93977DE ; CA Montpellier, 20 octobre 2021, n° 18/01049 N° Lexbase : A6381499 ; CA Aix-en-Provence, 10 septembre 2021, n° 19/16744 N° Lexbase : A157344Z.

[23] CA Nancy, 11 juin 2020, n° 19/01011 N° Lexbase : A39753NK.

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Procédure civile

[Panorama] Panorama 2021 des arrêts de la Cour de cassation en procédure civile (1ère partie)

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par Etienne Vergès, Professeur à l’Université Grenoble Alpes, directeur scientifique de la revue Lexbase Droit privé et de l’ouvrage de procédure civile.

Le 07 Juillet 2023


Mots-clés : impartialité • prescription • représentation en justice • tentative de règlement amiable • exception de nullité • péremption d'instance • la communication électronique • la mise en état • mesure d’instruction in futurum

L’année 2021 a été très riche pour la procédure civile. La Cour de cassation a rendu un nombre considérable d’arrêts, donnant ainsi des précisions sur de nombreux aspects de la matière. Si la réforme de la procédure devant le tribunal judiciaire est encore trop récente pour trouver à s’appliquer fréquemment devant la Haute juridiction, un très grand nombre d’arrêts (environ un quart) portent sur la procédure devant la cour d’appel. Nous y consacrerons un second panorama. Cette première partie est donc dédiée à tous les grands thèmes de la procédure (à l’exception de l’appel). On y retrouve les sujets chers au processualiste : la prescription, la représentation, les exceptions, la péremption, la communication électronique, la mise en état. Un focus particulier sera proposé sur les mesures d’instruction de l’article 145 du Code de procédure civile, qui ont donné lieu cette année à des décisions marquantes.


 

Sommaire

I. Principes directeurs du procès : impartialité de la juridiction

- Cass. civ. 1, 1er décembre 2021, n° 20-17.892, F-D

II. Prescription

- Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 19-20.316, FS-P+R+I

III. Représentation en justice

- Cass. Avis, 18 février 2021, n° 15001
- Cass. com., Avis, 1er décembre 2021, n° 21-70.018, FS-N
- Cass. com., Avis, 1er décembre 2021 n° 21-70.019, FS-N
- Cass. com., Avis, 1er décembre 2021n° 21-70.020, FS-N
- Cass. com., Avis, 1er décembre 2021n° 21-70.021, FS-N

IV. Préalable obligatoire de règlement amiable

- Cass. civ. 2, 15 avril 2021, n° 20-14.106, F-P
- Cass. civ. 2, 1er juillet 2021, n° 20-12.303, F-B

V. Exception de nullité des actes de procédure

- Cass. civ. 2, 4 février 2021, n° 20-10.685, F-P+I

VI. Notifications, significations

- Cass. civ. 2, 2 décembre 2021, n° 19-24.170, F-B

V. Communication électronique

- Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-10.522, F-P

VI. Mesures d’instruction in futurum

- Cass. civ. 2, 4 novembre 2021, n° 21-14.023, F-B
- Cass. civ. 2, 10 décembre 2020, n° 19-22.619, F-P+B+I
- Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 20-14.309, F-P
- Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-11.987, F-P
- Cass. civ. 3, 21 janvier 2021, n° 19-20.801, FS-P
- Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-13.803, F-P
- Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 20-15.673, F-P+I

VII. Péremption d’instance

- Cass. civ. 2, 4 mars 2021, n° 19-25.800, F-D
- Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 19-20.721, F-P +I
- Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 19-16.222, F-P

VIII. Mise en état

- Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 19-16.216, F-P
- Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 19-17.758, FS-P+I
- Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 20-10.689, F-P


I. Principes directeurs du procès : impartialité de la juridiction

  • Le défaut d’impartialité se cache dans les motifs de la décision - Cass. civ. 1, 1er décembre 2021, n° 20-17.892, F-D N° Lexbase : A21507ED

Voici un arrêt qui illustre le défaut d’impartialité subjective (ou personnelle) du juge. Dans cette affaire, l’arrêt rendu par la cour d’appel présentait les conclusions d’une partie sous un jour peu reluisant. La décision attaquée évoquait des écritures « excessivement non synthétiques et inutilement répétitives » et faisait référence au « fatras de développements de l'appelant ».

Cette motivation, pour le moins dénigrante à l’égard de l’appelant, a fait naître, pour la Cour de cassation, « un doute légitime sur l’impartialité de la juridiction » et a provoqué la cassation de l’arrêt d’appel.

Ce type de motivation n’est pas sans rappeler celle qu’avait utilisée une juridiction de proximité. On se souvient des formules sans nuances qui avaient attiré les foudres de la Cour de cassation. Le juge de proximité avait alors jugé que la défenderesse était « pétris de malhonnêteté » et « dotée d'un quotient intellectuel aussi restreint que la surface habitable de sa caravane ». Les termes avaient ainsi été qualifiés d’« injurieux et manifestement incompatibles avec l'exigence d'impartialité » par la deuxième chambre civile (Cass. civ.2, 14 septembre 2006, n° 04-20.524, FS-P+B N° Lexbase : A0226DRS.

On retient de ce nouvel arrêt que les motifs des décisions doivent, certes, qualifier les comportements des parties, mais en des termes juridiques et que le vocabulaire peu châtié des juges du fond peut conduire à une censure sur le fondement du défaut d’impartialité.

II. Prescription

  • L’interruption de la prescription consécutive à une mesure d’instruction in futurum - Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 19-20.316, FS-P+R+I N° Lexbase : A22954CY

La Cour de cassation a rendu le 14 janvier 2021 une importante décision, qui vient préciser les contours des actions interruptives de prescription lorsqu’une demande est formée à des fins probatoires avant tout procès. Cet arrêt est commenté par la Cour elle-même dans la lettre d’actualité de la deuxième chambre civile (n°2 juillet 2021), ce qui permet à cette dernière d’indiquer le sens de sa doctrine. Selon celle-ci, « seule la demande en justice, appelant l’adversaire, interrompt le délai de prescription ».

Ce principe est mis en œuvre dans l’arrêt commenté. En l’espèce, une société invoquant des faits de concurrence déloyale avait saisi le juge sur requête d’une demande de mesure d’instruction fondée sur l’article 145 Code de procédure civile. Une fois que la mesure a été exécutée, les documents ont été mis sous séquestre. Le requérant a alors assigné en référé l’entreprise concurrente pour voir ordonner la main levée du séquestre. La main levée a ainsi été ordonnée. La question se posait de savoir si l’une ou l’autre de ces actions avait interrompu le délai de prescription de l’action au fond.

La Cour de cassation répond à cette question en deux temps. Elle affirme qu’« une requête fondée sur l'article 145 du Code de procédure civile, qui introduit une procédure non contradictoire, ne constitue pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du Code civil N° Lexbase : L7181IA9 ». Elle n’est donc pas interruptive de prescription. En revanche, « la demande en référé, à fin de mainlevée du séquestre de documents recueillis par un huissier de justice (…) interrompt le délai de prescription de l'action au fond ».

La solution ainsi posée s’appuie sur deux raisonnements complémentaires. Le premier consiste à considérer que pour interrompre le délai de prescription de l’action, il faut attraire son adversaire en justice. Le caractère non contradictoire de la requête ne remplit pas ce critère, contrairement à l’action en référé. Le second raisonnement repose sur le lien que la Cour établit entre la demande à fin de mainlevée du séquestre et l’action au fond. La Haute juridiction affirme ainsi que la seconde est « virtuellement comprise » dans la première, puisque les deux actions poursuivent un objectif commun : en l’espèce, obtenir l’indemnisation d’un préjudice. C’est en raison de ce lien que l’action exercée pour obtenir une preuve interrompt la prescription de l’action au fond.

En conclusion, on retiendra que pour interrompre le délai de prescription, une requête sur le fondement de l’article 145 Code de procédure civile ne suffit pas. Il est nécessaire, soit d’agir directement en référé contre son futur adversaire au fond, soit de solliciter (toujours en référé) une main levée de séquestre à la suite de la mesure d’instruction qui aurait été obtenue sur requête.

III. Représentation en justice

Deux avis ont été rendus en 2021 à propos des nouvelles règles de représentation de l’administration et de leurs conséquences sur la communication à l’égard de ces personnes morales.

Le décret n° 2019-1333 réformant la procédure civile N° Lexbase : L8421LT3 a posé le principe selon lequel les personnes morales de droit public (État, régions, départements communes, établissements publics) peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration. Cette dispense générale de représentation par avocat (CPC art. 761 in fine N° Lexbase : L8600LY8) subit la concurrence d’autres textes spéciaux, qui n’ont pas été supprimés en 2019, notamment la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit (N° Lexbase : L5483H3H) qui prévoyait cette représentation par les agents uniquement dans les matières où la représentation par avocat était facultative (art. 2 de la loi).

L’enchevêtrement des textes et l’existence d’une loi qui semblait s’imposer face au décret du 11 décembre 2019 a conduit un juge à solliciter l’avis de la Cour de cassation pour préciser le domaine de la dispense de représentation des personnes morales de droit public.

La réponse de la Cour de cassation est claire (avis n° 15001). Cette dernière affirme que le législateur n’a pas envisagé de limiter la dispense de représentation au profit des personnes publiques et qu’il s’en déduit que la possibilité pour les personnes morales de droit public de se faire représenter par leurs agents s’applique même lorsque la représentation par avocat est obligatoire, à l’exclusion des dispositions particulières présentant un caractère dérogatoire.

Cette dispense a des conséquences sur la communication entre les avocats et les agents de ces administrations. Dans son avis n° 21-70.018, la Chambre commerciale détaille les deux régimes de communication applicables. Soit la personne morale de droit public est représentée par un fonctionnaire ou un agent. Les avocats des parties adverses doivent alors faire signifier leurs mémoires à l’administration par voie d’huissier. Soit l’administration choisit d’être représentée par un avocat (malgré la dispense). La communication se fait alors selon les règles applicables aux notifications entre avocats (notamment par la communication électronique lorsque celle-ci est obligatoire ou facultative).

IV. Préalable obligatoire de règlement amiable

  • Les formalités que doit accomplir le demandeur pour satisfaire au préalable obligatoire de règlement amiable - Cass. civ. 2, 15 avril 2021, n° 20-14.106, F-P [LXB=A80914P] - Cass. civ. 2, 1er juillet 2021, n° 20-12.303, F-B N° Lexbase : A21064YN

Depuis l’instauration du préalable obligatoire de règlement amiable, d’abord devant le tribunal d’instance (loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle N° Lexbase : L1605LB3, puis aujourd’hui devant le tribunal judiciaire (pour les litiges dont le montant ne dépasse pas 5 000 euros ou portant sur un conflit de voisinage – CPC art. 750-1 N° Lexbase : L9295LTG), on se demandait quel était l’effort que devait fournir le demandeur pour justifier avoir accompli une tentative de règlement amiable. La question se posait particulièrement lorsque l’adversaire se dérobait à la sollicitation du demandeur en refusant d’y répondre. Après le décret du 11 décembre 2019, on a pu croire que le demandeur avait la possibilité de saisir le juge d’une requête à des fins de désignation d’un conciliateur (CPC art. 820 N° Lexbase : L5408L8S), mais le décret du 11 octobre 2021 a douché les espoirs des plaideurs, en précisant que la requête aux fins de conciliation est irrecevable lorsque la tentative préalable de règlement amiable est obligatoire.

Dans les deux arrêts du 15 avril et du 1er juillet 2021, la Cour de cassation semble admettre de façon assez souple la démonstration d’une tentative de règlement amiable par le demandeur. Ces arrêts concernent le régime antérieur à la création du tribunal judiciaire, mais ils sont riches en enseignement, car sur ce point, le droit applicable n’a pas changé.

Dans la première espèce, le demandeur avait mentionné dans sa demande en justice le fait qu’il avait envoyé un courrier à l’autre partie en vue d’un accord. Cette justification paraissait insuffisante pour la cour d’appel, mais l’arrêt est cassé pour manque de base légale. Cette cassation disciplinaire semble indiquer que la cour d’appel aurait dû retenir cette justification comme suffisante.

Dans la seconde espèce, la demanderesse faisait état dans ses écritures du recours à un médiateur de la consommation et elle ajoutait qu’elle avait été empêchée dans cette tentative en raison du comportement de son contradicteur. Une nouvelle fois, les juges du fond ont trouvé cette justification insuffisante. La cour d’appel a jugé que la demanderesse ne faisait pas la preuve du « respect du formalisme requis » (mais de quel formalisme parle-t-on puisque le code ne dit rien de ce formalisme ?). La Cour de cassation casse à nouveau pour manque de base légale. Ici encore, la cassation semble indiquer qu’une simple mention d’une tentative de saisine d’un médiateur de la consommation suffit à démontrer la recherche d’un règlement amiable.

Ainsi la Cour de cassation semble admettre qu’une simple mention précise de la tentative de règlement amiable, par une lettre adressée à son adversaire ou par une tentative de saisine d’une instance de conciliation suffit à rendre l’action en justice recevable.

V. Exception de nullité des actes de procédure

  • L’erreur dans la désignation du demandeur est un vice de forme - Cass. civ. 2, 4 février 2021, n° 20-10.685, F-P+I N° Lexbase : A81594EW

Cet arrêt montre que la Cour de cassation sait parfois appliquer le formalisme avec discernement. Dans cette espèce, la dénomination de la société défenderesse était erronée dans les actes de procédure (société « l’araignée sous la roche » à la place de « l’araignée de la roche »).

La cour d’appel avait cru voir dans cette irrégularité une « société inexistante dépourvue de la capacité d’ester en justice », marquant ainsi un vice de fond entraînant la nullité de la déclaration d’appel.

La Cour de cassation revient à plus de raison en affirmant que « l'erreur relative à la dénomination d'une partie n'affecte pas la capacité à ester en justice qui est attachée à la personne, quelle que soit sa désignation, et ne constitue qu'un vice de forme ». La nullité de la déclaration d’appel était donc soumise à la preuve d’un grief causé au défendeur (grief inexistant en l’espèce).

VI. Notifications, significations

  • Signification à personne absente : l’huissier n’est pas tenu d’aller chercher la personne sur son lieu de travail - Cass. civ. 2, 2 décembre 2021, n° 19-24.170, F-B N° Lexbase : A90927D4

Voilà une décision utile, qui précise l’étendue des obligations de l’huissier, et par voie de conséquence, la régularité de la signification. Dans cette espèce, un huissier s’est présenté à l’adresse du destinataire de l’acte et, constatant son absence, a reçu confirmation auprès d’une personne présente que cette adresse était la bonne. L’arrêt n’est pas explicite à ce sujet, mais il semble que le destinataire se trouvait alors sur son lieu de travail. La question s’est donc posée de savoir si l’huissier avait l’obligation de se présenter sur ce lieu de travail pour tenter de signifier à personne.

La Cour de cassation répond par la négative, en affirmant que l’absence de la personne destinataire de l’acte à son domicile caractérise l’impossibilité d’une remise à personne. L’huissier de justice constatant cette impossibilité pouvait donc se contenter de procéder à une signification à domicile. Elle précise que l’huissier n’avait ni l’obligation de se présenter à nouveau ni celle de procéder à une signification sur le lieu de travail.  

V. Communication électronique

  • La panne informatique au sein du cabinet d’avocat constitue bien une cause étrangère - Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-10.522, F-P N° Lexbase : A54664UY

Les arrêts sur la cause étrangère, qui permettent à l’avocat de procéder à une communication sur support papier sont peu nombreux et parfois peu explicites. Ainsi, l’arrêt du 10 juin 2021 est heureux, en ce qu’il vient apporter une confirmation à une solution qui avait été esquissée par le passé (Cass com. 18 mai 2016, n° 14-17.909, F-D N° Lexbase : A0863RQZ ; Cass civ.2, 6 septembre 2018, n° 16-14.056, F-P+B N° Lexbase : A7227X33).

Dans l’espèce commentée, l’avocat d’une partie avait subi une panne informatique dans son cabinet d’avocat, qui avait suscité l’intervention durant trois jours d’un prestataire de service pour résoudre la difficulté. Durant cette période, l’avocat avait remis au greffe un acte sur support papier. La cour d’appel a considéré que cette remise était irrégulière, car l’avocat ne justifiait pas d’une panne de sa clé RPVA et qu’il aurait pu accéder au réseau par une autre poste informatique.

L’arrêt est cassé et la Cour de cassation reconnaît que la panne informatique frappant le cabinet d’avocat « rendait impossible la navigation sur internet et avait pour origine la défectuosité d’un câble réseau ». Elle caractérise ici la « cause étrangère » justifiant la remise sur support papier.

La solution est heureuse et elle dispense ainsi l’avocat touché par une panne informatique de l’obligation d’aller frapper à la porte d’un confrère pour accéder au réseau.

VI. Mesures d’instruction in futurum

  • Le contrôle étroit exercé par la Cour de cassation sur les motifs justifiant la mesure d’instruction sur requête.
  • L’introduction du contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et les intérêts antinomiques en présence.

Cass. civ. 2, 4 novembre 2021, n° 21-14.023, F-B N° Lexbase : A06927BA - Cass. civ. 2, 10 décembre 2020, n° 19-22.619, F-P+B+I N° Lexbase : A593039I -Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 20-14.309, F-P N° Lexbase : A67934MK - Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-11.987, F-P N° Lexbase : A92944UR - Cass. civ. 3, 21 janvier 2021, n° 19-20.801, FS-P N° Lexbase : A24294EP - Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-13.803, F-P N° Lexbase : A93684UI - Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 20-15.673, F-P+I N° Lexbase : A23004C8

L’année 2021 a été l’occasion pour la Cour de cassation d’étoffer sensiblement le régime des mesures d’instruction in futurum. Certaines décisions sont de simples rappels, mais d’autres sont de véritables enrichissements de ce régime.

La Cour s’est d’abord penchée sur les motifs légitimes qui peuvent donner lieu à une telle mesure d’instruction avant le procès.

Elle a rappelé utilement que l’article 145 Code de procédure civile n’exige pas que le demandeur ait à établir le bien-fondé de l’action en vue de laquelle la mesure d'instruction est sollicitée (Cass. civ. 2, 4 novembre 2021, n° 21-14.023, F-B N° Lexbase : A06927BA). En effet, l’action en recherche de la preuve ne se confond pas avec l’action au fond. Elle se contente de la préparer. Il convient donc simplement de démontrer que la preuve recherchée est pertinente pour établir, plus tard, le bien-fondé de la demande. Toutefois, cette démonstration nécessite souvent d’apporter une forme de commencement de preuve (un adminicule oserait-on dire).

C’est toute la difficulté de l’objet du litige devant le juge de l’article 145 Code de procédure civile et la Cour de cassation adopte une attitude quelque peu ambiguë concernant l’étendue du contrôle qu’elle exerce sur des juridictions du fond. Elle rappelle ainsi que « l'appréciation du motif légitime au sens de ce texte relève du pouvoir souverain du juge du fond » (Cass. civ. 2, 10 décembre 2020, n° 19-22.619, F-P+B+I N° Lexbase : A593039I. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle validé la décision d’appel selon laquelle aucun des documents produits par le demandeur n’apportait la moindre consistance à ses soupçons de fautes de gestion. Le demandeur ne procédait que par déductions et affirmations. Il ne démontrait donc pas l’existence d’un litige plausible et crédible.

De fait, les mesures d’instruction in futurum occupent aujourd’hui un terrain très spécifique : celui des litiges entre entreprises. Ce type de mesures est ainsi susceptible d’être détourné de sa finalité première, pour être utilisé comme un moyen d’intrusion dans les secrets d’affaires d’un concurrent. C’est pour cette raison que, malgré l’affirmation d’un pouvoir souverain des juges du fond, la Cour de cassation exerce, en réalité, un contrôle assez étroit sur la mesure en exigeant que la recherche demandée soit guidée par la nécessité de l’exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 20-14.309, F-P N° Lexbase : A67934MK. Ces intérêts antinomiques au droit à la preuve sont désormais bien connus. Pour les personnes physiques, il s’agit essentiellement du droit au respect de la vie privée. Pour les personnes morales, il s’agit en général du secret des affaires, et parfois plus particulièrement du secret bancaire. L’arrêt précité du 4 mars 2021 est ainsi le premier à imposer l’examen de la balance « droit à la preuve / intérêts antinomiques » dans le domaine de l’article 145 Code de procédure civile. Dans cette espèce, la société sud radio cherchait à connaître les modalités de la mesure des audiences par la société Médiamétrie. Elle demandait en justice la production des questionnaires utilisés pour les études de parts d’audience des radios. La cour d’appel avait considéré que la mesure d'instruction ordonnée visait, sous couvert de vérification des conditions de mesure d'audience, à la détermination de la méthodologie mise en œuvre par la société Médiamétrie. En d’autres termes, la demande de preuve n’était pas utile à un procès, mais elle constituait une intrusion dans les secrets d’affaires de la société Médiamétrie. Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation ne se contente pas de renvoyer l’appréciation de cette situation aux juges du fond, elle affirme que « la cour d'appel, fais[ait] ainsi ressortir que la mesure ordonnée n'était pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et était disproportionnée aux intérêts antinomiques en présence ». En d’autres termes, elle exerce un véritable contrôle sur cette balance.

Ce contrôle étroit se vérifie à propos d’un arrêt rendu quelques mois plus tard (Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-11.987, F-P N° Lexbase : A92944UR). L’action portait sur des actes de concurrence déloyale et le demandeur souhaitait accéder à des messages stockés sur le système informatique de plusieurs entreprises en utilisant des mots-clés (Google, accord, entente, salarié, avis, LinkedIn) et les noms et prénoms de salariés prétendument débauchés par ces entreprises. La cour d’appel avait fait droit à cette demande, estimant que l’ordonnance sur requête ne ciblait pas des documents personnels ou couverts par le secret professionnel. Cette appréciation est cassée pour manque de base légale. La Cour de cassation reproche aux juges du fond de n’avoir pas fait ressortir précisément en quoi cette recherche par des mots-clés génériques étaient suffisamment circonscrite dans le temps et dans l’objet. Les juges du fond se voient encore reprocher de ne pas avoir explicité en quoi l’atteinte portée au secret des affaires était limitée aux nécessités de la recherche des preuves en lien avec le litige et proportionnée au but poursuivi.

Cet arrêt montre l’étroitesse du contrôle exercé par la Cour de cassation. En effet, la décision de la cour d’appel était particulièrement motivée au regard des critères posés par la Cour de cassation. En filigrane, c’est bien une mauvaise appréciation de la situation de fait par les juges du fond qui est censurée sur le terrain du défaut de base légale. La Cour de cassation estime qu’une recherche de documents (des messages) au moyen de mots-clés génériques ne cible pas suffisamment l’objet des preuves à atteindre et crée une disproportion entre l’atteinte au secret des affaires et les nécessités du droit à la preuve du demandeur.

À travers ce contrôle, la Cour de cassation manifeste sa volonté de ne pas transformer l’article 145 CPC en procédure de discovery à la française et d’interdire ce que les juristes américains appellent une fishing expedition (une partie à la pêche aux informations chez le concurrent).

L’autre question qui a beaucoup agité la Cour de cassation est celle du régime de la procédure sur requête. On sait qu’une mesure d’instruction in futurum peut être recherchée soit en référé (en assignant celui qui détient la preuve), soit par requête. Il est de jurisprudence constante que la voie de l’ordonnance sur requête est soumise à la condition que les circonstances exigent les mesures probatoires ne soient pas prises contradictoirement (Cass. civ. 2, 30 janvier 2003, n° 01-01.128, FS-P+B N° Lexbase : A8355A49). Dans un arrêt du 21 janvier 2021 (n° 19-20.801, FS-P N° Lexbase : A24294EP), la troisième chambre civile rappelle que cette condition doit être contrôlée d’office par le juge saisi de la demande en rétractation d’une ordonnance sur requête. Ce contrôle s’impose même lorsque la personne concernée par la mesure d’instruction est un tiers à la procédure initiale et que la requête ne préjudicie pas à ses intérêts. L’effet de surprise est souvent le motif qui justifie la requête. Toutefois, une simple mention de cet effet de surprise est insuffisante. Le juge saisi doit ainsi caractériser, en fait, les circonstances qui justifient de déroger au contradictoire (Cass. civ. 2, 26 juin 2014, n° 13-18.895, F-P+B (N° Lexbase : A1513MST). L’appréciation de ces circonstances fait, encore ici, l’objet d’un contrôle très serré. Ainsi, dans une espèce où une société de gestion de garanties soupçonnait un couple d’organiser frauduleusement son insolvabilité et avait sollicité une mesure d’instruction sur requête, la deuxième chambre civile relève dans l’arrêt d’appel les faits qui justifiait de procéder à une mesure non contradictoire. Plus précisément, elle juge que le demandeur avait exposé « de façon détaillée dans sa requête » le contexte qui laissait craindre une intention frauduleuse, le risque de dissimulation des preuves recherchées et la nécessité de ménager un effet de surprise (Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-13.803, F-P N° Lexbase : A93684UI). L’arrêt d’appel est alors cassé pour violation de la loi, ce qui montre que c’est bien la manière dont les juges du fond ont apprécié la situation factuelle qui est contrôlée ici et censurée.

Lorsque la requête est ordonnée, les difficultés procédurales ne sont pas terminées, comme en témoigne un arrêt qui porte sur la nature des documents qui doivent être communiqués au destinataire de la demande de preuve (Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 20-15.673, F-P+I N° Lexbase : A23004C8). L’article 495 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6612H7Z précise sommairement à propos de la procédure d’ordonnance sur requête qu’une copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée. Dans l’arrêt commenté, le moyen du pourvoi reprochait à la cour d’appel de n’avoir pas tenu compte du fait que les pièces qui avaient justifié la requête n’avaient pas été communiquées, ce qui empêchait le destinataire de la requête d’évaluer l’opportunité d’un recours. La Cour de cassation s’en tient à une interprétation littérale du texte précité, en précisant que seule une copie de la requête et de l’ordonnance est exigée « à l’exclusion des pièces invoquées à l’appui de la requête ».

VII. Péremption d’instance

La péremption d’instance demeure un incident fréquent qui suscite un important contentieux devant la Cour de cassation, tant ses conséquences sont lourdes pour les parties (anéantissement des actes accomplis, nécessité de réintroduire une instance, risque de la prescription).

  • La décision d’ordonner une expertise n’entraîne pas, par elle-même, la suspension du délai de péremption - Cass. civ. 2, 4 mars 2021, n° 19-25.800, F-D N° Lexbase : A00384KM

La réalisation d’une expertise au cours de l’instance au fond crée une situation délicate pour les parties, car cette mesure probatoire suspend le temps du procès. En effet, les parties sont dans l’attente des résultats de l’expertise pour effectuer de nouvelles diligences, et en particulier pour conclure au regard du rapport de l’expert. Durant cette période, il est difficile d’exiger des parties qu’elles réalisent des diligences, ce d’autant plus qu’elles ne sont pas maîtres de la durée de l’expertise. Pourtant, l’arrêt commenté rappelle que les parties doivent se méfier des effets indésirables d’une mesure d’instruction qui s’éternise. En l’espèce, une mesure d’expertise avait été ordonnée avant dire droit par le tribunal de commerce et le rapport n’avait été déposé que quatre ans plus tard. Le délai de péremption de deux ans était donc largement écoulé. La question qui se posait était donc de savoir si le jugement avant dire droit avait suspendu ce délai, puisque les parties n’avaient rien d’autre à faire qu’à attendre les résultats de l’expertise. La Cour de cassation répond par la négative. Elle affirme que le jugement ordonnant l’expertise n’emportait pas, par lui-même, sursis à statuer et n’entraînait pas la suspension du délai de péremption. Elle ajoute que la radiation de l’affaire dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise n’exonère pas les parties de leur obligation d’accomplir des diligences pour continuer l’instance.

Cette solution est sévère à l’égard des parties et il convient de se demander quelles sont leurs options pour éviter que le délai ne coure contre leur gré. La première solution se trouve dans la décision commentée. Lorsqu’une expertise est ordonnée, il est possible de demander au juge de prononcer le sursis à statuer. La décision de sursis suspend le cours de l’instance jusqu’à la survenance de l’évènement qu’elle détermine (par exemple le dépôt du rapport de l’expert, CPC art. 378) et, dans ce cas précis, le délai de péremption ne court plus, car la suspension de l’instance est définie par rapport à la survenance d’un évènement déterminé (CPC art. 392). Le sursis est donc une arme efficace, qui suspend le cours du délai de péremption et dispense les parties de toute diligence. En revanche, lorsque le sursis n’a pas été prononcé, les parties sont tenues d’accomplir des diligences. Elles peuvent le faire en adressant des lettres à l’expert, qui manifestent leur intention de ne pas abandonner la procédure en cours (Cass, civ. 2, 15 octobre 1975, n°74-11.078, protestations exprimées auprès de l’expert et mise en demeure de celui-ci de déposer son rapport). La demande de sursis au cours de l’opération d’expertise est également interruptive du délai de péremption (Cass. civ. 2, 11 septembre 2003, n°01-12.331).

  • L’exécution même partielle de la décision de première instance interrompt le délai de péremption de l’instance d’appel - Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 19-20.721, F-P +I N° Lexbase : A23014C9

L’interruption du délai de péremption est encore le sujet de l’arrêt rendu le 14 janvier 2021. Il s’agissait cette fois d’une difficulté liée à l’exécution de la décision de première instance. Dans cette situation, l’affaire peut être radiée du rôle jusqu’à exécution (CPC, nouv. art. 524 N° Lexbase : L9293LTD). La question se pose de savoir si la partie condamnée en première instance n’exécute la décision que partiellement. Le rétablissement de l’affaire n’est pas ordonné, mais la partie procède bien à une diligence. La Cour de cassation affirme ainsi que « tout acte d'exécution significative de cette décision manifeste la volonté non équivoque de l'exécuter et constitue, par conséquent, une diligence interrompant le délai de péremption de l'instance d'appel ». Elle en déduit que l’interruption du délai résulte d’une exécution partielle, pourvu qu’elle soit significative (voir dans le même sens, Cass. civ. 2, 19 novembre 2020, n°19-25.100 à propos du paiement de dommages-intérêts à l’exclusion des intérêts).

  • Le jugement acquiert force de chose jugée au moment de la décision constatant la péremption d’instance - Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 19-16.222, F-P N° Lexbase : A92534UA

Dans cette décision, la Cour de cassation a abordé les conséquences de la péremption d’instance sur la date d’acquisition de la force de chose jugée du jugement frappé d’appel. Le débat devant la haute juridiction portait sur le point de savoir si la péremption de l’instance en cause d’appel conférait au jugement la force exécutoire au jour de la péremption ou plutôt, de façon rétroactive, au jour des dernières diligences accomplies entre les parties. Dans cette espèce, ces deux dates étaient séparées par dix années. La Cour de cassation tranche cette question en retenant que le jugement n'acquiert force de chose jugée qu’au moment où la décision qui constate la péremption d’instance acquiert autorité de la chose jugée.

VIII. Mise en état

  • Le juge de la mise (JME) en état ne dispose pas du pouvoir d’écarter les pièces des débats.
  • Le juge de la mise en état qui écarte une pièce des débats commet un excès de pouvoir qui peut donner lieu à un appel-nullité immédiat.
  • L’autorité de la chose jugée des décisions du juge de la mise en état s’impose même à la cour d’appel qui ne peut statuer sur une exception déjà tranchée par le JME.
  • La formation de jugement saisie d’une demande de révocation de l’ordonnance de clôture est tenue de répondre à cette demande.

Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 19-16.216 , F-P N° Lexbase : A66884MN - Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 19-17.758, FS-P+I N° Lexbase : A22964CZ - Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 20-10.689, F-P N° Lexbase : A67074MD

Trois décisions relatives à la mise en état ont marqué l’année 2021.

La première fait écho à une solution déjà posée devant la cour d’appel (Cass. avis, 21 janvier 2013, n° 1300003 (N° Lexbase : A8266I3K). La Cour de cassation juge qu’aucune disposition du Code de procédure civile ne confère au juge de la mise en état le pouvoir d’écarter du débat une pièce produite par une partie. C’est donc le tribunal judiciaire (la formation de jugement) qui détient le pouvoir exclusif d’écarter des pièces des débats (Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 19-16.216, F-P N° Lexbase : A66884MN). Pour justifier sa décision, la Cour de cassation énonce que les attributions du juge de la mise en état sont limitativement énumérées. En effet, le Code de procédure civile lui confère la mission de veiller à la ponctualité de la communication des pièces. Le juge peut encore exercer les pouvoirs relatifs à l’obtention et à la production des pièces. Mais dans une lecture stricte du code, la deuxième chambre civile considère qu’aucune de ces attributions ne lui permet de sanctionner une partie en écartant une pièce.

La solution est rendue sous l’empire du droit applicable avant 2020 devant le tribunal de grande instance, mais les textes réformés par le décret du 11 décembre 2019 n’ont rien changé sur ce point. Elle est donc applicable au tribunal judiciaire.

Dans la même décision, la Cour de cassation répond à une question connexe qui semble revêtir une grande importance. En effet, en l’espèce, la partie dont la pièce a été écartée a formé un appel contre l’ordonnance du juge de la mise en état. Cet appel a été déclaré irrecevable au motif que la décision attaquée était insusceptible d’un recours immédiat. Elle ajoute que l’appel aurait été recevable s’il s’était agi d’un appel-nullité fondé sur l’excès de pouvoir du juge. Or, pour la cour d’appel, le juge de la mise en état ne s’était pas attribué un pouvoir qu’il n’avait pas, mais il avait éventuellement exercé une compétence qu’il n’avait pas.

La deuxième chambre civile censure cette argumentation. Elle affirme de façon laconique que la cour d’appel a « consacré la méconnaissance par le juge de la mise en état de l’étendue de ses pouvoirs ». On en déduit que l’appel-nullité était immédiatement recevable.

Toutefois, le motif de l’arrêt de cassation laisse perplexe. En effet, la Cour de cassation ne dit rien de la distinction entre l’incompétence et l’excès de pouvoir. Elle semble même fondre les deux dans un même moule. Pourtant, le Code de procédure civile évoque bien les compétences du juge de la mise en état et non ses pouvoirs (CPC art. 789 N° Lexbase : L9322LTG). Est-ce à dire qu’un juge qui exerce une compétence qu’il n’a pas commet nécessairement un excès de pouvoir ? Comment dès lors, distinguer la voie de l’exception d’incompétence et celle de l’appel-nullité pour excès de pouvoir ? Sur ce point, la décision commentée ne laisse que des interrogations.

Cet arrêt doit être mis en perspective avec une autre décision rendue à propos du juge de l’exécution (Cass. civ. 2, 15 avril 2021, n° 19-20.281, F-P N° Lexbase : A81344PX). La Cour de cassation y affirme que le juge de l’exécution est compétent pour connaître de la contestation d'une mesure d'exécution forcée et par conséquent qu’il « n’entre pas dans ses attributions » de se prononcer sur une demande de dommage-intérêts contre le créancier saisissant. Elle en déduit que « le juge de l'exécution ne dispose pas du pouvoir juridictionnel de statuer sur celle-ci » et que ce défaut de pouvoir constitue une fin de non-recevoir qui peut être proposée en tout état de cause.

Une nouvelle fois, dans cet arrêt, la confusion entre l’incompétence (matérielle) et le défaut de pouvoir est troublante et les conséquences quant au régime de la sanction (exception de procédure ou fin de non-recevoir) mériterait certainement de plus amples éclaircissements de la part de la Cour de cassation. En effet, s’il s’agit d’une question de compétence, les parties peuvent soulever une exception d’incompétence et former un appel sur la compétence. En revanche, s’il s’agit d’un excès de pouvoir, la demande excédant le pouvoir du juge est sanctionnée par une fin de non-recevoir et à la décision peut faire l’objet d’un appel nullité.

Plus simple est la solution émanant de l’arrêt du 14 janvier 2021 (Cass. civ. 2, 14 janvier 2021, n° 19-17.758, FS-P+I N° Lexbase : A22964CZ), qui porte sur l’étendue de l’autorité de la chose jugée des décisions du juge de la mise en état. En l’espèce, une exception d’incompétence territoriale avait été soulevée devant le juge de la mise en état, lequel avait jugé le tribunal compétent. Cette décision n’avait fait l’objet d’aucun appel et la procédure avait suivi son cours d’abord devant la formation de jugement, puis devant la cour d’appel saisie d’un appel sur le fond. Devant la cour d’appel, l’appelant a soulevé une nouvelle fois l’exception d’incompétence. La cour d’appel a fait droit à cette exception, a déclaré le tribunal incompétent et infirmé le jugement dans toutes ses dispositions.

En prenant cette décision, la cour d’appel a porté atteinte à l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance du JME. En effet, la Cour de cassation rappelle que la cour d’appel, comme le tribunal (en l’espèce il s’agissait du tribunal de grande instance), ne peut statuer sur une question déjà tranchée par le juge de la mise en état. Or, la décision du JME n’avait fait l’objet d’aucun recours. Dès lors, l’exception de procédure était irrecevable devant la cour d’appel et cette dernière aurait dû relever d’office cette fin de non-recevoir.

Dans cette affaire, l’erreur de l’appelant était d’avoir attendu la procédure d’appel pour soulever un nouvelle fois une exception qui avait été rejetée, alors qu’il aurait dû interjeter un appel immédiat contre la décision du JME en se fondant sur l’article 795 (nouveau) du Code de procédure civile (appel immédiat contre les décisions qui statuent sur une exception de procédure).

Une dernière décision intéressante concerne la demande de révocation de l’ordonnance de clôture (Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 20-10.689, F-P N° Lexbase : A67074MD). Cette demande est formée par voie de conclusions, soit devant le JME (avant l’audience de plaidoiries), soit devant la formation de jugement. Formées nécessairement après la clôture de l’instruction, ces conclusions sont recevables et saisissent la juridiction à laquelle elles sont adressées. La Cour de cassation affirme ainsi qu’il appartient au juge saisi de répondre à cette demande de révocation, fût-ce pour la rejeter. Elle casse ainsi l’arrêt qui avait négligé ou ignoré la demande dont elle était saisie et s’était contenté de statuer au fond.

newsid:480103

Procédure civile

[Brèves] Quid de la recevabilité des écritures et pièces communiquées trois heures avant l’audience de plaidoiries ?

Réf. : Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-19.978, F-B N° Lexbase : A14907IZ

Lecture: 2 min

N0102BZS

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 24 Janvier 2022

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 13 janvier 2022, précise que les conclusions et pièces déposées trois heures avant une audience de plaidoiries sont irrecevables, dès lors qu’aucun motif ne justifie un tel comportement qui est contraire à la loyauté des débats et au principe du contradictoire ; le dépôt tardif de nouvelles écritures et de nouvelles pièces, mettant dans l'impossibilité la partie adverse d'en prendre connaissance en temps utile ; cette appréciation relève du pouvoir souverain des juges d’appel.

Faits et procédure. Dans cette affaire, un commandement de payer valant saisie immobilière a été délivré sur le fondement d’un acte notarié à une société. Un associé de la société défenderesse a assigné la société poursuivante de la saisie immobilière, devant le tribunal de grande instance en nullité du contrat de prêt. Dans l’attente de la décision du tribunal de grande instance, le juge de l’exécution à sursis à statuer sur la procédure de saisie immobilière. La société poursuivante a été autorisée par le premier président de la cour d’appel à interjeter appel immédiat de ce jugement.

Le pourvoi. La demanderesse fait grief à l’arrêt rendu le 4 juin 2020 par la cour d’appel de Rouen, d’avoir déclaré irrecevables ses conclusions et pièces déposées le 20 janvier 2020.

En premier lieu, les juges d’appel ont relevé qu’en application d’une ordonnance un calendrier de procédure avait été fixé, et que l’intimée a conclu le 20 décembre 2019, date correspondant au dernier jour du délai qui lui était imparti, sans communiquer ses pièces et malgré une sommation du 24 décembre 2019.

En second lieu, la cour d’appel énonce que l’appelante a répliqué par des conclusions notifiées dès le 6 janvier 2020, alors que l’intimée a attendu le 20 janvier 2020, jour de l’audience de plaidoiries fixée par l’ordonnance rendue par la juridiction du premier président, pour notifier à son tour de nouvelles écritures par un premier envoi, suivi de trois notifications RPVA contenant la totalité de ses pièces.

Solution. Énonçant la solution précitée, la Cour de cassation valide le raisonnement des juges d’appel et rejette les pourvois, énonçant que la cour d’appel n’avait pas à rechercher si l’intimée avait été en mesure de s’expliquer sur la demande de rejet de ses écritures tardives et des pièces.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les principes directeurs du procès civil, Le principe du contradictoire imposé aux parties, in Procédure civile, (dir. E. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E6888ETB.

 

newsid:480102

Procédure pénale

[Brèves] PLEX : précisions sur les modalités de notifications du dépôt d’un avis d’audience sur la plate-forme

Réf. : Cass. crim., 12 janvier 2022, n° 21-86.075, F-B N° Lexbase : A31437IA

Lecture: 3 min

N0101BZR

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par Adélaïde Léon

Le 26 Janvier 2022

► Constitue une trace écrite d’un envoi par un moyen de télécommunication, au sens de l’article 803-1, I, du Code de procédure pénal, le document figurant au dossier indiquant qu’un avis d’audience devant la chambre de l’instruction a été déposé sur PLEX pour l’avocat du mis en examen, lequel a été averti de ce dépôt par courriel. L’existence d’un justificatif de réception de ce message et l’accord exprès du destinataire pour qu’il puisse être procédé aux notifications par ce moyen de communication électronique ne sont pas des conditions requises par l’article 803-1, I, du Code de procédure pénale.

Rappel de la procédure. Un individu est mis en examen des chefs, notamment, d’infractions à la législation sur les stupéfiants, importation de stupéfiants en bande organisée, exportation de stupéfiants en bande organisée et association de malfaiteurs.

Le juge des libertés et de la détention (JLD) rend une ordonnance plaçant l’intéressé en détention provisoire. L’avocat de ce dernier relève appel de l’ordonnance.

En cause d’appel. La chambre de l’instruction confirme l’ordonnance du JLD. Le mis en examen forme un pourvoi contre l’arrêt d’appel.

Moyens du pourvoi. Il était fait grief à la chambre de l’instruction d’avoir violé l’article 803-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1638MAW en confirmant l’ordonnance de placement en détention provisoire alors que l’avocat du mis en examen n’avait pas reçu de convocation pour l’assister devant cette juridiction, ladite convocation ayant été adressée par le biais de la plate-forme PLEX sans que l’avocat ait donné un accord exprès pour l’utilisation de ce procédé et sans trace écrite ni preuve de réception figurant au dossier.

Décision. La Cour rejette le pourvoi. La Haute juridiction souligne que la plate-forme PLEX, objet d’une convention signée entre le ministère de la Justice et le CNB concernant la communication électronique en matière pénale entre les juridictions ordinaires du premier et second degré et les avocats, permet la transmission de copies de procédure pénale ainsi que des notifications prévues à l’article 803-1 du Code de procédure pénale.

La Chambre criminelle précise par ailleurs que le document figurant au dossier, indiquant qu’un avis d’audience devant la chambre de l’instruction a été déposé sur PLEX pour l’avocat de l’intéressé, constitue une trace écrite d’un envoi par un moyen de télécommunication au sens de l’article 803-1, I du Code de procédure pénale. En l’espèce, l’avocat du mis en examen avait été averti du dépôt par un courriel qu’il indique n’avoir découvert qu’après avoir reçu notification de l’arrêt.

Or, la Cour affirme que ni l’existence d’un justificatif de réception de ce message, ni l’accord exprès du destinataire pour qu’il puisse être procédé aux notifications par ce moyen de communication électronique ne sont des conditions requises par l’article 803-1, I précité.

Dès lors, le demandeur ne pouvait en l’espèce se faire grief de ce que la notification à son avocat de l’avis d’audience avait été réalisée par l’envoi d’un courriel indiquant le dépôt de la convocation sur la plate-forme PLEX pour l’utilisation de laquelle ce conseil n’avait pas donné d’accord exprès et ne disposait par de preuve de réception.

newsid:480101

Successions - Libéralités

[Brèves] Rapport des libéralités : ne pas confondre le rapport « spécial » dû par le conjoint survivant avec le rapport dû par les héritiers ab intestat

Réf. : Cass. civ. 1, 12 janvier 2022, deux arrêts, n° 20-12.232 N° Lexbase : A01957I3, et n° 19-25.158 N° Lexbase : A01917IW, FS-B+R

Lecture: 3 min

N0124BZM

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 19 Janvier 2022

► Il résulte de la combinaison des articles 758-5 et 758-6 du Code civil que le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt dans les conditions définies à l'article 758-6 ;
► les règles concernant le rapport des libéralités (reçues par les héritiers ab intestat) prévues aux articles 843 et suivants du Code civil sont donc inapplicables au conjoint survivant ; il en va ainsi notamment de la présomption de dispense de rapport des legs prévue à l'article 843 du Code civil.

Par ces deux arrêts rendus le 12 janvier 2022, promis à la plus large publication (aux honneurs du bulletin et de son rapport annuel), la Cour de cassation opère une clarification d’importance, qui a vocation à éviter toute confusion entre deux mécanismes bien distincts :  

- le mécanisme du rapport des libéralités, d’une part, qui concerne les libéralités dues par les héritiers ab intestat, et dont le régime est prévu aux articles 843 N° Lexbase : L9984HN4 et suivants du Code civil ;
- et le mécanisme de l’imputation des libéralités reçues par le conjoint survivant, prévu par les articles 758-5 N° Lexbase : L3485AWY et 758-6 N° Lexbase : L9839HNQ du Code civil, que la Cour suprême choisit de dénommer « rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt ».

Ce dernier s’opère dans les conditions définies à l’article 758-6 ; à ce propos, la Haute juridiction avait déjà eu l’occasion de préciser qu’il résulte des articles 757 N° Lexbase : L3361AB4, 758-6 et 1094-1 N° Lexbase : L0260HPC du Code civil qu'en présence d'enfants ou de descendants, les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s'imputent sur les droits de celui-ci dans la succession, de sorte qu'il ne peut recevoir une portion de biens supérieure, soit à la quotité disponible en faveur d'un étranger, soit au quart en pleine propriété et aux trois quarts en usufruit, soit encore à la totalité des biens en usufruit seulement.

Les affaires en cause. Dans chacune des deux affaires, un époux était décédé en laissant pour lui succéder son épouse et ses deux enfants issus d'un précédent mariage.

Dans la première affaire, le de cujus avait acquis un appartement avec son épouse par un acte contenant un pacte tontinier ; dans la seconde, il avait, aux termes d’un testament authentique, institué son épouse légataire à titre particulier d'une maison d'habitation, des meubles s'y trouvant et d'une certaine somme d'argent.

Des difficultés étaient survenues lors des opérations de partage de la succession ; chacune des épouses survivantes faisait grief à l'arrêt attaqué de dire que la libéralité dont elle bénéficiait (dans la première affaire, pacte tontinier jugé constitutif d’une donation déguisée ; dans la seconde, legs à titre particulier) s'imputait sur ses droits légaux.

Décisions de la Cour de cassation. La Cour de cassation rejette les pourvois formés par les épouses, après avoir pris soin de rappeler le contenu détaillé des articles 758-5 et 758-6, et énoncé qu’il résulte de la combinaison de ces articles que « le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt dans les conditions définies à l'article 758-6 ».

Et d’ajouter, dans la seconde affaire, pour écarter l’argument avancé par le demandeuse au pourvoi, que la présomption de dispense de rapport des legs prévue à l'article 843 du Code civil est inapplicable au conjoint survivant.

newsid:480124

Voies d'exécution

[Brèves] Actes de publicité préalable à l’adjudication : une formalité substantielle, sanctionnée par une nullité pour vice-forme !

Réf. : Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-18.155, F-B N° Lexbase : A14877IW

Lecture: 3 min

N0113BZ9

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 21 Janvier 2022

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 13 janvier 2022, vient préciser que les actes de publicité préalable à l'adjudication constituent une formalité substantielle, sanctionnée par une nullité pour vice de forme qui ne peut être prononcée qu'à charge pour celui qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité ; par ailleurs, la désignation et la description du bien doivent être exemptes d'erreurs et correspondre à la réalité au bien saisi.

Faits et procédure. Dans cette affaire, une banque a engagé une procédure de saisie immobilière. La vente amiable autorisée par le jugement d’orientation n’ayant pas abouti, la vente forcée du bien a été ordonnée et la date d’adjudication fixée. Par ordonnance sur requête, un huissier a été autorisé à pénétrer dans le bien immobilier pour actualiser le procès-verbal descriptif. Les débiteurs ont saisi le juge de l'exécution d'une demande de nullité des annonces légales et affiches publiées à l'initiative du créancier poursuivant et ont assigné la banque en rétractation de l’ordonnance précitée. L’adjudicataire est intervenu volontairement à l’instance devant la cour d’appel.

Le pourvoi. Les demandeurs font grief à l’arrêt (CA Nîmes, 30 janvier 2020, n° 19/00429 N° Lexbase : A32923DB, d’avoir rejeté leur demande tendant à prononcer la nullité de l'annonce légale et de l'affiche apposée au greffe et de leur demande subséquente tendant à voir prononcer la caducité du commandement de payer valant saisie. En l’espèce, les juges d’appel pour rejeter les demandes des débiteurs, ont considéré que les règles de publicité préalable découlant des dispositions des articles R. 322-31 N° Lexbase : L4956LTQ à R. 322-36 N° Lexbase : L2455IT4 du Code des procédures civiles d'exécution n’étaient pas prescrites à peine de nullité, et ne constituaient pas une formalité substantielle. Par ailleurs, la cour d’appel retient que les actes de publicité étaient identiques à la désignation des biens saisis tels que figurant dans le commandement et le cahier des conditions de vente et contiennent une description sommaire conforme à l'article R. 322-31 du Code des procédures civiles d'exécution.

Solution. Énonçant les solutions précitées au visa des articles R. 311-10 N° Lexbase : L2429IT7, R. 322-31 du Code des procédures civiles d'exécution et 114 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1395H4G, la Cour de cassation censure le raisonnement des juges d’appel, et casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt d’appel.

Les Hauts magistrats rappellent qu’il incombe au créancier poursuivant, un ou deux mois avant l'audience d'adjudication, d'annoncer la vente forcée, cette publicité ayant comme objet de permettre l'information du plus grand nombre d'enchérisseurs possible. Pour respecter cette obligation doit rédiger un avis qu’il dépose au greffe du juge de l’exécution, pour qu’il soit affiché sans délai dans les locaux de la juridiction, à un emplacement aisément accessible au public, et faire procéder à sa publication dans un des journaux d'annonces légales diffusé dans l'arrondissement de l'immeuble saisi. En conséquence, la cour d’appel aurait dû rechercher, comme il lui était demandé, si la description du bien dans les actes de publicité correspondait à sa description réelle et non à celle figurant dans le commandement valant saisie et dans le cahier des conditions de vente et, le cas échéant, si une telle erreur de description du bien avait causé un grief aux débiteurs.

newsid:480113

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