La lettre juridique n°869 du 17 juin 2021

La lettre juridique - Édition n°869

Avocats/Honoraires

[Brèves] Circonstance rendant exigible la créance de rétrocession d’honoraires de l’avocat : les précisions de la Cour de cassation

Réf. : Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 19-20.814, FS-P (N° Lexbase : A92744UZ)

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N7898BY8

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par Marie Le Guerroué

Le 18 Juin 2021

► Le paiement de l’honoraire par le client est la seule circonstance rendant exigible la créance de rétrocession d’honoraires de résultat de l’avocat.

Faits et procédure. Une cliente avait confié la défense de ses intérêts dans une procédure de divorce, d’une part, à un avocat, et, d’autre part, à la société d’avocats. Une convention d’honoraires avait été signée le 27 janvier 2010 entre la cliente, l’avocat et la société prévoyant un honoraire de résultat attribué pour 30 % à l’avocat et pour 70 % à la société. La cliente avait dessaisi l’avocat de son mandat le 16 avril 2010. Le divorce des époux avait été prononcé le 30 décembre 2011. Il avait été mis fin au litige né des conséquences patrimoniales du divorce par une transaction entre les parties. Ayant sollicité en vain de la société la rétrocession de ses honoraires, l’avocat avait, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 28 mars 2012, puis, de nouveau le 11 septembre 2017, saisi le Bâtonnier de l’Ordre des avocats sur le fondement de l’article 179-1 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 2011 organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : O7797B7W), à fin de conciliation préalable et d’arbitrage.

En cause d’appel. Pour déclarer l’avocat irrecevable en toutes ses demandes formées contre la société, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 6 juin 2019 retenait que la créance d’honoraire de résultat issue de la convention du 27 janvier 2010 était devenue exigible à la date où les époux ont partagé à l’amiable et de manière définitive leur régime matrimonial et que le courriel du 22 janvier 2012, par lequel l’avocat indique avoir appris que le divorce s’était terminé par une transaction, révèle sa connaissance du fait qui a rendu exigible la créance d’honoraire de résultat et en déduit que la prescription quinquennale a couru à son encontre à compter du 22 janvier 2012.

Réponse de la Cour de cassation. La Haute juridiction rend sa décision au visa de l’article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC). Elle précise que selon ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Dès lors, en statuant comme elle l’a fait, alors qu’il ne résultait pas de ses constatations qu’à cette date, l’honoraire de résultat avait été payé à la société par la cliente, seule circonstance rendant exigible la créance de rétrocession d’honoraires de l’avocat à l’encontre de la société, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Cassation. La Cour casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 6 juin 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon.

newsid:477898

Construction

[Brèves] Dommages intermédiaires : la reconnaissance de responsabilité du constructeur n’interrompt pas le délai de forclusion

Réf. : Cass. civ. 3, 10 juin 2021, n° 20-16.837, FS-P+R (N° Lexbase : A92384UP)

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N7895BY3

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, Rome Associés, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 16 Juin 2021

► Le délai de dix ans dont bénéficie le maître d’ouvrage pour agir contre le constructeur sur le fondement du droit commun est un délai de forclusion ;
la reconnaissance de responsabilité par le constructeur n’est donc pas interruptive.

Cet arrêt est important. Il vient clarifier la nature de l’action en responsabilité contractuelle de droit commun exercée par le maître d’ouvrage à l’encontre du constructeur.

La jurisprudence était déjà claire sur la nature des actions fondées sur le droit spécial de la responsabilité des constructeurs. Les délais de deux ans et de dix ans instaurés par les articles 1792 (N° Lexbase : L1920ABQ) à 1792-4 (N° Lexbase : L5934LTX) du Code civil sont des délais de forclusion (Cass. civ. 3, 4 novembre 2004, n° 03-12.481, F-P+B N° Lexbase : A7669DDE). Leur interruption nécessite une assignation en justice précisant les désordres dont il est demandé la réparation à l’encontre des constructeurs concernés (Cass. civ. 3, 23 février 2000, n° 98-18.340, publié au bulletin N° Lexbase : A6676CI4). Si un doute subsistait concernant le délai de dix ans de l’article 1792-4-3 du même code (N° Lexbase : L7190IAK) sur le fondement du droit commun de la responsabilité, il vient d’être levé.

En l’espèce, des maîtres d’ouvrage confient des travaux de réfection d’une terrasse à un constructeur. Se plaignant de désordres, ils obtiennent du constructeur son accord pour réaliser les travaux de réparation. Un protocole d’accord est conclu. Il s’agit donc là d’une reconnaissance de responsabilité (V. également, Cass. civ. 3, 21 novembre 2000, n° 99-13.131 N° Lexbase : A3668CYI). Mais les désordres persistent si bien que les maîtres d’ouvrage assignent le constructeur, lequel appelle en garantie son assureur. Les conseillers d’appel condamnent alors que la prescription décennale était soulevée. La reconnaissance de responsabilité a, pour eux, un effet interruptif du délai décennal de l’action en responsabilité contre les constructeurs pour les dommages intermédiaires.

La Haute juridiction censure. Le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l’article 1792-4-3 du Code civil est un délai de forclusion qui n’est pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions relatives à la prescription. La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait n’interrompt pas le délai de forclusion.

Ainsi, les délais ne sont pas régis par les dispositions des articles 2220 (N° Lexbase : L7188IAH) et suivants du Code civil, applicables à la prescription extinctive. Il faut donc bien distinguer les causes d’interruption de celles de la suspension des délais.

Les délais prévus par les articles 1792 à 1792-4 du code précité étant des délais de forclusion, ils sont interrompus par :

Étant rappelé que la jurisprudence apprécie très strictement les conditions de l’interruption des délais. Il suffit, à cet égard, de se rapporter à la jurisprudence sur l’effet interruptif de l’assignation, limitée à la demande dirigée à l’encontre de celui qu’on veut empêcher de prescrire (pour exemple, Cass. civ. 3, 19 septembre 2019, n° 18-15.833, F-D N° Lexbase : A3192ZPW).

Cette harmonisation des régimes applicables aux délais d’action du maître d’ouvrage à l’encontre des constructeurs et des sous-traitants ne peut qu’être approuvée.

newsid:477895

Contrat de travail

[Jurisprudence] Chauffeurs Uber : richesse argumentative d’une mise au point de la cour d’appel de Paris

Réf. : CA Paris, Pôle 6, 8eme ch., 12 mai 2021, n° 18/02660 (N° Lexbase : A80954RA)

Lecture: 21 min

N7954BYA

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par Barbara Gomes, Maîtresse de conférence en droit social à l’Université Polytechnique Hauts-De-France - CRISS

Le 16 Juin 2021

 


Mots-clés : plateforme • travail • uber • uberisation • VTC • chauffeur • travailleur • indépendant • salarié • requalification

Le 12 mai 2021, la cour d’appel de Paris a rendu un arrêt particulièrement intéressant, qui requalifie un chauffeur de la plateforme Uber en salarié. La décision est non seulement conforme à la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, mais elle s’inscrit en outre dans une forme de dialogue des juges européens, faisant écho à l’actualité jurisprudentielle britannique, spécialement dans le souci d’expliciter l’absence d’indépendance du travailleur, mais aussi à la notion de travailleur au sens du droit de l’Union européenne. Un arrêt riche qui ne devrait pas manquer d’inspirer les prétoires comme la doctrine.


 

L’entreprise Uber ne cesse décidément pas d’occuper l’actualité judiciaire. Après un retentissant arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation l’année passée [1], ou celui rendu en mars dernier au Royaume-Uni [2], c’est désormais la cour d’appel de Paris qui se prononce en faveur de la requalification d’un chauffeur de la plateforme VTC (véhicule de transport avec chauffeur) [3].

L’affaire est initiée par un chauffeur, M. X, qui prend acte de la rupture de son contrat de travail [4]. Il estime en effet être lié par une telle convention à Uber, cette dernière n’ayant pas respecté les obligations qui en résultaient. Il saisit ensuite le conseil de prud’hommes de Paris pour faire valoir ses droits de salarié en demandant notamment la requalification de son contrat de prestation de service et de constater que les manquements commis par Uber justifient sa prise d’acte. Par ailleurs, il demande à ce que soit reconnue la qualité de coemployeur des entreprises Uber BV (de droit néerlandais) et Uber France (filiale de droit français) et que lui soient versées un ensemble d’indemnités consécutives à ces demandes parmi lesquelles une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ainsi que le remboursement des frais professionnels [5].

Le conseil de prud’hommes le déboutant de ses demandes, il interjette appel auprès de la cour d’appel de Paris. La cour relève que la plateforme Uber « se présente » bien comme une entreprise technologique qui n’a vocation qu’à offrir « dans le cadre de contrats de partenariats à des professionnels de transport indépendants, une intermédiation électronique permettant aux partenaires d’utiliser son application pour être mis en relation avec des clients potentiels ». Seulement, en dépit de la posture et des termes employés par la plateforme, les conditions d’exécution de l’activité professionnelle indiquent que la relation contractuelle entre M. X. et Uber est d’une autre nature. Pour les juges, il existe un lien juridique de subordination entre le chauffeur et la plateforme qui impose la requalification du contrat de prestation de service en contrat de travail et justifie la prise d’acte du travailleur salarié.

La cour rejette cependant la reconnaissance d’une situation de coemploi, en un court paragraphe, considérant qu’il ne résulte « d’aucun élément que la société Uber France dont les statuts font référence à un objet de promotion de la marque Uber et de participation directe ou indirecte dans toutes opérations ou affaires, ait directement ou indirectement exercé sur M. X les pouvoirs de direction de contrôle et de sanction propres à l’employeur » [6]. La société Uber BV est donc la seule qui prend des décisions relevant de l’exercice d’un pouvoir patronal.

Tout aussi prestement, les juges d’appel refusent de condamner la plateforme pour travail dissimulé en raison du défaut de caractère intentionnel. Pour s’en justifier, ils rappellent que le caractère intentionnel d’une dissimulation d’activité ou d’emploi ne résulte pas de la seule abstention de déclaration de ces activités, puis considèrent que, dans la mesure où « le statut de salarié a été amplement discuté et a nécessité un débat judiciaire nourri de nombreuses controverses », l’indemnité pour travail dissimulé devait être rejetée. Pourtant, le débat et les controverses qui existent partout dans le monde, n’ont-ils pas précisément conduit la Cour de cassation à requalifier des contrats de prestation de service conclus par les plateformes de travail, et notamment par Uber ? La plateforme a sciemment continué ses pratiques en dépit d’une condamnation judiciaire. On s’étonne donc que les juges aient balayé d’un revers de main la reconnaissance d’une situation de travail dissimulé, avec des arguments particulièrement réversibles, témoignant d’une surprenante indulgence à l’égard de la plateforme.

Pour autant, la décision rendue par la cour d’appel de Paris n’en est pas moins intéressante dans son examen de la nature de la relation contractuelle. Les motivations des juges pour justifier la requalification, riches et plurielles, mêlent à une analyse relativement classique de l’exercice du pouvoir [7] (I.) des références plus originales, en prenant soin d’exclure la qualification d’indépendant, tout en faisant appel à la notion de travailleur au sens du droit de l’Union (II.). Les juges parisiens offrent ainsi une analyse fine et précise de la situation juridique du « chauffeur Uber » dans la relation qui l’unit à la plateforme, un portrait qui fait échos au contexte européen. Il s’agit là d’une démarche qui témoigne probablement de la conscience des juges du caractère mondialisé du phénomène, et qui laisse peu de place au doute quant à la position du droit français, en cohérence avec le droit de l’Union.

I. Un examen classique de la nature du lien contractuel

La formule est connue : « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité » [8]. L’enregistrement du chauffeur au répertoire des métiers, sa désignation sous le vocable de « client » de la plateforme et le contrat de prestation de service qui le lie à elle n’est donc pas un obstacle à la requalification. Davantage, si l’exercice de l’activité professionnelle révèle l’existence d’un contrat de travail [9], et en particulier de son critère distinctif, le lien juridique de subordination, les juges se devront de requalifier la convention qui leur est présentée [10]. Il faut donc que ces derniers déterminent si les parties sont liées ou non par un lien juridique de subordination, qui implique l’exercice sur le travailleur d’un pouvoir patronal : un pouvoir direction, un pouvoir de contrôle et pouvoir de sanction [11].

La cour d’appel examine alors avec soin les obligations dont le chauffeur était contractuellement tenu ainsi que les conditions de réalisation de l’activité pour statuer sur l’existence d’un lien de subordination unissant les parties. Pour ce faire, les juges recourent à la technique du faisceau d’indices, qui consiste à collecter un ensemble d’éléments permettant de caractériser l’exercice d’un pouvoir, parmi lesquels figure l’intégration au sein d’un service organisé. En l’espèce, la Cour relève qu’intégrer la plateforme revient à s’insérer dans un service (très) organisé (A.) permettant à Uber de diriger les comportements productifs au-delà d’un simple encadrement général, dès lors que les règles unilatéralement édictées par la plateforme sont assorties de mécanismes de contrôle et de sanction leur conférant une dimension disciplinaire (B.).

A. L’intégration dans un service (très) organisé

L’intégration dans un service organisé est caractérisée lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution de l’activité [12]. Or pour la cour d’appel, il ne fait aucun doute que M. X, en intégrant la plateforme Uber, a intégré un service organisé [13]. Elle liste ainsi longuement [14] l’ensemble des éléments rendant compte de fait que la plateforme détermine unilatéralement et à son profit les conditions d’exécution du service de transport. Tout d’abord, le contrat conclu entre les parties stipule que le chauffeur est tenu de satisfaire aux conditions d’Uber. Ces conditions impliquent le respect de normes élevées de professionnalisme de service et de courtoisie, la vérification des antécédents et des historiques des conducteurs, et toute attitude non conforme peut entraîner une désactivation ou une restriction de l’accès à la plateforme de VTC. Celle-ci entend ainsi maîtriser strictement l’attitude des chauffeurs exerçant leur activité sous son enseigne.

Par ailleurs, la cour relève que la liberté affichée d’accepter ou de refuser des courses s’exerce « sous réserve des politiques d’annulation d’Uber alors en vigueur », qui prévoient précisément que la plateforme dispose de la possibilité de désactiver ou de restreindre l’accès ou l’utilisation par le client à son application. La plateforme entend ainsi contrôler la faculté d’annulation des courses des chauffeurs par la possibilité de leur priver l’accès à l’application.

Le caractère unilatéral de l’organisation du service s’observe en outre tout particulièrement en matière de tarification. La société Uber BV fixe un montant « recommandé » que les chauffeurs n’ont la faculté que de baisser. Il ne leur est pas permis de négocier ce montant ni son calcul avec la plateforme ou les clients. Uber peut même, à sa discrétion, modifier à tout moment le calcul du tarif utilisateur, la société se réservant également le droit de l’ajuster ou de l’annuler notamment en cas de plainte d’un client [15]. La plateforme dispose ainsi d’un contrôle total des tarifs, de leur montant à leur calcul en passant par leur ajustement sans possibilité de résistance des travailleurs. La décision unilatérale de modification des tarifs, effectivement pratiquée par Uber, a ainsi eu pour effet une baisse de la rémunération du chauffeur de 20 à 50 %.

Cette maîtrise du service relève d’un pouvoir de direction des comportements productifs dont la plateforme s’assure au travers du contrat de prestation de service, mais aussi d’un certain nombre d’autres documents (« règles fondamentales Uber », « partenariat Uber »), prévoyant des situations de suspension du partenariat ou encore l’obligation de suivre certaines procédures. Selon la cour, ces documents démontrent « la réalité de conditions d’exécution de la prestation unilatéralement fixées par Uber » notamment en ce qu’elle impose aux chauffeurs de réaliser leur activité de transport au moyen d’un véhicule de moins de quatre ans, alors que l’arrêté du 26 mars 2015 [16] permet le recours à des véhicules âgé de moins de six ans. La plateforme maîtrise ainsi jusqu’au type de véhicule autorisé à rouler sous son enseigne.

L’ensemble de ces constatations auraient sans doute pu permettre de caractériser l’exercice d’un pouvoir de la plateforme dépassant la simple intégration à un service organisé, tant l’emprise de la plateforme est large dans son champ et radicale par l’unilatéralité de ses décisions et de leurs répercussions sur les travailleurs [17]. La cour d’appel poursuit pourtant son analyse, attestant de l’exercice d’un pouvoir sur le chauffeur qui dépasse largement l’intégration dans un service organisé, aussi maîtrisé que l’on puisse le concevoir. Il s’agit sans doute pour les juges de suggérer que les modalités de contrôle et de sanction des manquements contractuels vont au-delà de celles d’une prestation de service, faisant basculer la relation de travail dans un rapport de sujétion.

B. L’exercice d’un pouvoir de contrôle et de sanction

Uber opère un contrôle très strict et unilatéral de l’accès à son application. Elle élabore à cet effet un système d’évaluation [18], laissé à la disposition des clients du service de transport, qui lui permet, à sa discrétion, de désactiver les chauffeurs en dessous de la moyenne qu’elle a elle-même fixée. Par exemple, un rapport a été envoyé à M. X accompagné d’un emoji en forme de « nuage avec des éclairs et signifiant sans ambiguïté la survenance et le signalement à Uber d’un événement fâcheux auquel il a été donné une suite par la société » [19]. La cour l’analyse en un avertissement, constitutif d’une sanction disciplinaire [20]. De même, la faculté du chauffeur de refuser des courses est strictement limitée et susceptible de sanctions de même nature. Ainsi, le rapport hebdomadaire de paiement adressé à M. X comportait une rubrique dédiée à son taux d’acceptation de courses. Or, Uber dispose d’un pouvoir discrétionnaire de déconnexion de ses chauffeurs en cas de refus répétés, pouvoir qu’elle a exercé à l’occasion des trois refus de courses consécutifs de M. X. Cette déconnexion, même temporaire, s’analyse pour la Cour en une sanction disciplinaire [21].

La cour d’appel note enfin que les messages reçus par M. X et la désactivation décidée à raison d’une non-conformité du véhicule ne peuvent s’analyser en une simple obligation professionnelle de sécurité. Ils témoignent d’un critère de qualité du véhicule exigé par la plateforme qui dépasse les exigences de la réglementation applicable aux VTC. Dès lors, là encore, les juges y voient un pouvoir de contrôle sanctionné par l’exercice d’une sanction disciplinaire.

Si l’ensemble de ces éléments permettent de caractériser l’existence d’un lien juridique de subordination, il est intéressant de remarquer que la cour s’attache en outre à relever l’impossibilité de qualifier M. X de travailleur indépendant. La logique des motivations - qui semblent inspirées de la jurisprudence britannique - conduit à penser que la cour d’appel de Paris ait tenue à inscrire sa décision un cadre européen.

II. Absence d’indépendance et recours à la notion de travailleur : des motivations soigneusement enrichies

Après une analyse plutôt classique du rapport de travail, la cour d’appel de Paris se livre à des raisonnements plus originaux et d’une richesse remarquable. Ainsi, les juges poursuivent l’analyse de la relation de travail en excluant explicitement la qualification de travailleur indépendant (A.) et - de façon tout aussi surprenante - en faisant appel à la notion de travailleur au sens du droit de l’Union européenne (B.).

Il est en effet intéressant de noter, sinon une similitude, une certaine inspiration britannique de la décision au-delà de la seule exclusion de la qualification de travailleur indépendant. En effet, au Royaume-Uni, pour exclure la qualification d’entrepreneur, les juges se sont appuyés sur l’intégration dans un service (très) organisé. Cela pourrait en partie expliquer le temps consacré par les juges français à caractériser ce service organisé, indépendamment du pouvoir de contrôle et de sanction de la plateforme [22]. L’idée que ces travailleurs seraient des indépendants dont certaines similarités avec les salariés perturberaient une détermination correcte de leur qualification juridique - encore présente, bien que moins rependue à mesure des requalifications judiciaires - conduit certainement les juges à ne pas seulement caractériser l’existence d’un contrat de travail, mais à démontrer l’impossibilité pour ces travailleurs d’être qualifiés d’indépendants. Or, les juges britanniques se sont attachés à démontrer l'absence de "business undertaking" : l’impossibilité de se constituer une clientèle, de fixer les tarifs, de déterminer ses conditions d’activité, qui est incompatible avec l’idée d’entreprenariat [23]. Surtout, après avoir pris le temps de prouver l’absence d’indépendance du chauffeur, les juges parisiens font référence à la notion de travailleur au sens du droit de l’Union pour justifier l’application du statut salarial, en l’absence de tiers-statut. Une circulation des pratiques qui fait échos par ailleurs à la requalification en workers des chauffeurs Uber dans l’affaire « Aslam and others contre Uber », mais aussi à la décision « Yodel » de la Cour de justice de l’Union, qui concernait cette fois-ci, des livreurs.

A. L’absence d’indépendance

Absence de liberté entrepreneuriale. La cour d’appel ne se contente pas de relever l’exercice d’un pouvoir par la plateforme. Comme les juges britanniques [24], les juges parisiens vont s’attacher à démontrer l’absence d’indépendance des chauffeurs. Plus encore, ils proposent une définition du travailleur indépendant, qui « se caractérise par la possibilité de se constituer une clientèle propre, la liberté de fixer ses tarifs, la liberté de fixer les conditions d’exécution de la prestation de service » [25]. Or, Uber ne permet pas au chauffeur de fixer les tarifs, sinon en proposant des montants inférieurs à ceux édictés par la plateforme, qui au demeurant se réservait la possibilité d’augmenter, de diminuer ou d’imposer le tarif pratiqué. Les juges constatent que M. X ne dispose en outre d’aucune liberté effective de choisir ses courses, le troisième refus consécutif entraînant une désactivation temporaire de son compte - dont M. X a par ailleurs pu attester.

Privé de leurs libertés de choisir leurs courses et de déterminer leurs tarifs, il est difficile d’envisager les chauffeurs Uber comme des entrepreneurs. D’autant que les juges relèvent l’absence de véritable volonté d’entreprendre dans le cas de M. X : l’enregistrement au registre des métiers ne correspond qu’à la réalisation d’une simple modalité d’accès à la plateforme. En effet, l’immatriculation démarre et prend fin de manière concomitante à l’exercice de son activité pour l’application [26].

Autonomie et pluriactivité : absence de preuve d’indépendance. L’autonomie ou la pluriactivité réelle ou supposée des chauffeurs VTC est souvent présentée comme une preuve d’indépendance. Or - et il faut le saluer - les juges s’attachent dans cette décision à distinguer l’autonomie de l’indépendance [27], afin de ne pas laisser les discours sur la liberté organisationnelle supposément laissée au chauffeur perturber le travail de qualification. Ainsi, ils rappellent que le fait de ne pas imposer d’horaire ou jour de travail au chauffeur « ne peut être considéré comme déterminant pour écarter le statut de salarié alors que le droit du travail connaît le système du forfait jours laissant au salarié une liberté de choix de ses jours et heures de travail et donc une liberté d’organisation » [28]. On peut donc être salarié et bénéficier d’une large autonomie.

Opérant une nouvelle fois un rappel bienvenu, la Cour précise en outre que « la faculté de travailler avec une autre plate-forme même concurrente n’est […] pas un élément déterminant pour exclure l’existence d’un contrat de travail » [29]. On peut avoir plusieurs activités et être tout de même salarié, pour chacune ou pour certaines d’entre elles.

Surtout, la Cour poursuit dans sa volonté d’approfondir et d’élargir la richesse de ses motivations en apportant, au soutien de son analyse, une référence au droit de l’Union européenne : la notion de travailleur.

B. La notion de travailleur au sens du droit de l’Union

La référence à la notion de travailleur. Les juges parisiens, après avoir pris soin de qualifier le chauffeur VTC de salarié, mais aussi d’exclure la possibilité qu’il puisse être considéré comme un véritable entrepreneur indépendant, en viennent à la conclusion que « la combinaison de l’ensemble des éléments […] analysés conduit à retenir pour M. X le statut de travailleur au sens du droit de l’Union ». La cour ajoute toutefois qu’en considération de « l’absence de tout autre statut applicable », le chauffeur « était lié à la société Uber par un contrat de travail ». Pourquoi une telle précision ? Faut-il y voir le regret qu’un tiers statut ne permette l’application d’un régime plus adéquat ? L’effort de caractérisation de l’exercice large d’un pouvoir, associé à une volonté d’exclure clairement la qualification d’indépendant ne peut, en toute logique, le laisser penser. Pour comprendre cette référence, il faut sans doute apporter un élément de contexte : la très récente décision britannique qualifiant des chauffeurs Uber de workers [30], mais aussi l’arrêt « Yodel » rendu par la Cour de justice [31].

Un certain nombre de directives, comme celle relative au temps de travail [32], s’adressent en effet aux « travailleurs », c’est-à-dire à toute personne qui accomplit pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération [33]. Cette définition - très proche à celle du salarié français - est dite autonome et propre au droit de l’Union [34], de sorte qu’un travailleur dit indépendant au regard du droit national, pourrait être qualifié de « travailleur » au sens du droit de l’Union dès lors qu’il travaille pour le compte et sous la direction de son cocontractant. Plus encore, les juges considèrent que cette qualification de travailleur s’impose « si son indépendance n’est que fictive, déguisant ainsi une véritable relation de travail » [35].

Or la Cour de justice a récemment eu à se poser la question d’une telle qualification en matière de plateforme. Dans une ordonnance du 22 avril 2020 « Yodel Delivery » [36], les juges européens ont en effet répondu à une question préjudicielle posée par une juridiction britannique : un livreur exerçant son activité pour la plateforme de livraison Yodel Delivery, pouvait-il être considéré comme « travailleur » [37] ? La Cour exprime son inclinaison a priori pour l’indépendance du coursier au vu des facultés qui lui étaient laissées par le contrat. Cependant, elle laisse le soin aux juges nationaux de déterminer la qualification appropriée au regard des éléments qu’ils ont à leur disposition, en rappelant notamment « qu’une personne doit être qualifiée de « travailleur », au sens du droit de l’Union, si son indépendance n’est que fictive » [38].

L’absence de tout autre statut applicable. On comprend ainsi la démarche des juges d’appel parisiens : démontrer le caractère fictif de l’indépendance du chauffeur pour mieux justifier sa qualification de travailleur [39]. La précision est d’autant plus intéressante que l’arrêt français intervient quelques mois à peine après la décision « Uber BV and others v. Aslam and others » qui qualifie les chauffeurs en workers. En rappelant que le droit français ne comporte que deux qualifications - le salariat et l’indépendance - la cour d’appel de Paris fait sans doute entendre qu’elle n’a pas été plus sévère que la Cour suprême britannique, mais qu’elle s’inscrit bien dans son sillage. La décision parisienne est non seulement conforme au droit de l’Union - le statut de salarié permettant l’application des règles applicables aux travailleurs - mais elle est en outre conforme au droit positif français qui oppose à l’exercice du pouvoir patronal le cadre du contrat de travail. Si ce pouvoir, en particulier sa dimension organisationnelle, peut justifier l’application d’un autre statut au Royaume-Uni, en France c’est bien le salariat qui s’impose.

D’autant que, comme l’explique très justement un auteur, dans l’affaire britannique, « les requérants revendiquaient uniquement la qualification de workers [et non d’employee], afin de bénéficier des règles relatives au temps de travail, au salaire minimum et à la protection des lanceurs d'alerte » [40]. Rappelons que « à la différence du droit français, où la qualification de contrat de travail sous-tend l'application de l'ensemble du droit social, le champ d'application personnel du droit anglais est fortement fragmenté. Chaque loi définit un champ d'application qui lui est propre » [41]. Si le litige avait concerné l’application du droit du licenciement, les chauffeurs britanniques auraient sans doute revendiqué l’application du statut d’employee [42].

Loin d’être un appel du pied à un troisième statut, la décision de la cour d’appel pose à l’inverse avec clarté un état du droit positif permettant de répondre à la situation des travailleurs des plateformes sans ambiguïté. De même, quelques mois après le sommet de Porto [43], il est intéressant de relever qu’un document à l’initiative de parlementaires européens propose à la commission un texte pour l’élaboration d’une directive qui attribue aux chauffeurs et livreurs des plateformes la qualité de travailleurs [44]. La décision des juges parisiens ne devrait ainsi pas manquer de résonnance au-delà des portes de la capitale.


[1] Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13.316, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A95123GE). F. Champeaux, Uber rattrapé par la subordination, SSL, 16 mars 2020 ; G. Chastagnol, Arrêt Uber : une victoire à la Pyrrhus contre les plateformes, Option Droit & Affaires, 1er avril 2020 ; G. Loiseau, Menace sur le modèle économique des plateformes de mise en relation en ligne, Comm. com. électr., avril 2020 ; D. Baeur, Kevin Mention l'avocat qui lutte contre l'ubérisation des services, Petites Affiches, 24 avril 2020 ; T. Pasquier, L’arrêt Uber - une décision a-disruptive, AJ contrat, 2020 ; B. Gomes, L'arrêt Uber va contraindre les plateformes de travail à changer de modèle, entretien par M. Caro, LSQ, L’actualité, n° 18021 ; L. Willocx,  L'arrêt Uber, une conception mixte de la subordination, RDT, 2020 ; M. Depincé, D. Mainguy, B. Siau, Requalification de la relation contractuelle entre une plateforme et un chauffeur de VTC en contrat de travail salarié, JCP E, juillet 2020 ; B. Bossu, Le chauffeur Uber est bien un salarié, JCP G, juillet 2020 ; P. Prépin, De l'illusion de l'ubérisation à la réalité du salarié, RDLF, octobre 2020.

[2] Uber BV and others v Aslam and others, 2021, UKSC 5 [en ligne], M. Vicente, Les chauffeurs Uber sont des travailleurs pour la juridiction suprême du Royaume-Uni, SSL, 22 mars 2021, n° 1946.

[3] CA Paris, Pôle 6, 8eme ch., 12 mai 2021, n° 18/02660 (N° Lexbase : A80954RA).

[4] La prise d'acte de la rupture du contrat de travail est un mode de rupture du contrat ouvert au salarié en raison des manquements de l’employeur commis en cours d’exécution du contrat. Elle prend les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits sont justifiés par des manquements suffisamment graves. Autrement, elle prendra les effets d’une démission. G. Auzero, D. Baugard, E. Dockes, Droit du travail, Précis, Dalloz, 2021, 34eme éd., 402.

[5] M. X demande le versement d’un certain nombre d’indemnités (indemnité compensatrice de préavis, de congés payés, indemnité légale de licenciement, pour rupture abusive du contrat de travail, pour licenciement irrégulier ou encore indemnité forfaitaire pour travail dissimulé), ainsi que le remboursement de frais professionnels d’un montant particulièrement élevé (38 088,67 euros).

[6] V. déc., IV.

[7] Notons que la Cour commence l’exposé de ses motifs en reconnaissant la compétence du conseil de prud’hommes, au titre de l’article L. 1411-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1878H9G), à connaître des litiges survenant l’occasion d’un contrat de travail. Certes, en l’espèce, c’est précisément cette qualification qui est en question. Cependant, dès lors que l’appelant estime que le différend s’est élevé « à l’occasion de ce qu’il estime être un contrat de travail », la juridiction prud’homale à toute compétence pour apprécier les conséquences de la rupture de la convention. Le conseillers prud’hommaux étaient donc bien compétents pour connaître du litige. Toutefois, cela ne préjuge pas de la nature de la relation contractuelle. Les juges procèdent donc ensuite à l’examen de cette relation.

[8] A. Jeammaud, L'avenir sauvegardé de la qualification de contrat de travail, à propos de l'arrêt Labbane, Droit social, 2001, p. 22.

[9] « Le contrat de travail étant caractérisé par l’existence d’une prestation de travail, d’une rémunération et d’un lien de subordination juridique entre l’employeur et le salarié », déc..

[10] L’article 12 alinéa 2 du Code de procédure civil ([LXB=L1127H4I ]) dispose que le juge doit « restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ». Et l’article 1156 du Code civil (N° Lexbase : L0874KZE) énonce que l’on doit « dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes ».

[11] Le lien de subordination se définit comme l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a de ce fait, le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution de sanctionner les manquements de son subordonné. V.  Cass. soc., 13 novembre 1996, n° 94-13.187 (N° Lexbase : A9731ABZ), J. Barthélémy, JCP E, 1996, p. 21.

[12]  « Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution de son travail », Ibid. ; v. aussi, A. Arseguel, P. Isou, Des limites à la dérive de la notion de service organisé, Droit social, 1992, p. 296.

[13] « Il résulte que M. X désigné dans ce document sous le vocable 'client', a, en y adhérant, intégré un service organisé par Uber qui déterminait unilatéralement les conditions d’exécution de la prestation », déc..

[14] Cela n’est sans doute pas anodin, cf. II de l’article.

[15] Nous évoquons ici le client-donneur d’ordre - suivant la logique de la plateforme - et non celle de prestataire-exécutant (le travailleur) tantôt perçu comme l’autre client de la plateforme (comme c’est le cas en l’espèce), tantôt comme le travailleur réalisant l’activité proposée par la plateforme de manière indépendante (courante dans les contrats liant les livreurs de repas issus de plateformes). V. B. Gomes, Le crowdworking : essai sur la qualification du travail par l’intermédiation numérique, RDT, 2016, p. 464.

[16] Arrêté du 26 mars 2015, relatif aux caractéristiques des véhicules utilisés par les exploitants de voitures de transport avec chauffeur (N° Lexbase : Z299113M).

[17] Une analyse conforme à celle de l’arrêt du 4 mars 2020, qui précise que l’intégration dans un service organisé unilatéralement par la plateforme est l’indice clé de l’opération de requalification, ibid. 1.

[18] Sur l’évaluation comme expression du pouvoir patronal, v. M. Roussel, L’évaluation professionnelle des salariés, Thèse soutenue à l’Université Paris-Nanterre le 5 décembre 2016 (dir. A. Lyon-Caen) ; en matière de plateformes de travail, v. B. Gomes, Le droit du travail à l’épreuve des plateformes numériques, Thèse soutenue à l’Université Paris-Nanterre le 3 décembre 2018 (dir. A. Lyon-Caen).

[19] À notre connaissance, il semble que ce soit la première fois qu’un émoji est utilisé pour analyser l’exercice du pouvoir patronal. La Cour de cassation et certaines cours d’appel avaient déjà pris en considération un émoticône pour caractériser un accord (« Elle indique que F… a été informé de sa demande de certificat de domicile sur la commune de Muepach (68) le 7 janvier 2019 et que ce dernier y a répondu avec des émojis de joie laissant ainsi transparaître son accord ») : Cass. civ. 1, 12 juin 2020, n° 19-24.108, FS-P+B+I (N° Lexbase : A43303NP) ; interpréter le dérouler d’une transaction (« M. X... a répondu avec un « emoji » d'un visage heureux faisant un clin d'œil ») : Cass. crim., 21 juin 2016, n° 16-81.981, F-D (N° Lexbase : A2403RUK) ; déterminer l’existence d’un harcèlement sexuel (« accompagné d'un emoji souriant, étant précisé que ce message est daté du 29 mars 2017, qu'il est donc postérieur à celui du 16 mars 2017 et qu'il démontre que la jeune fille ne s'était pas offusquée du contenu de ce dernier ») : CA Paris, Pôle 6, 5ème ch., 1er avril 2021, n° 19/04706 (N° Lexbase : A30604NN) ; pour déterminer l’ambiance de travail dans une entreprise (« De même, X… apparaît sur une photographie assise aux côtés de I…, sur une terrasse ensoleillée avec le commentaire suivant : 'Bienvenue chez Wefit Group ! La boite où tu fais tes réunions au soleil (et où tu prends ton goûter (emoji) sur initiative du boss ! [...] Il en faut peu pour être heureux (emojis)’ ») : CA Paris, Pôle 6, 5ème ch., 20 mai 2021, n° 19/04741 (N° Lexbase : A35544SG).

[20] Ibid. Il s’agit d’une sanction au sens de l’article L. 1331-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1858H9P) aux termes duquel constitue une sanction toute mesure autre que les observations verbales prise par l’employeur à la suite d’un agissement considéré comme fautif. Notons que, pour la première fois à notre connaissance, un émoji est utilisé pour analyser l’exercice du pouvoir patronal.

[21] La cour énonce ainsi que « la société ne contestant pas le fait qu’une déconnexion temporaire, et donc une mise à l’écart du système a été imposée à M. X dès lors qu’il n’avait pas accepté de passagers à trois reprises […] ce qui s’analyse en une sanction, peu important que la déconnexion ne soit imposée que pour quelques minutes en raison d’un éventuel effet, au demeurant non démontré, sur les calculs opérés par l’algorythme (sic.) sur la disponibilité des chauffeurs ». Notons que l’orthographe utilisée pour le terme « algorithme » prend ici des airs d’acte manqué, tant il est clair pour les juges que c’est à travers lui que le pouvoir se traduit et s’impose aux travailleurs la cadence.

[22] Une analyse qui reste, surtout, conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation, ibid. 17.

[23] V. not. M. Vicente, Les chauffeurs Uber sont des travailleurs pour la juridiction suprême du Royaume-Uni, préc.. ; V. aussi K. Van de Bergh, Plateformes numérique de mise au travail : mettre fin à une supercherie, RDT, 2018, p. 318 ; V. B. Gomes, Le statut juridique des travailleurs économiquement dépendants. Étude comparée en droit allemand, espagnol, français, italien et anglais, Rapp. pour l'Organisation internationale du travail, décembre 2017, p. 50 ; M. Vicente, Les coursiers Deliveroo face au droit anglais, À propos de la décision Independent Workers'Union of Great Britain (IWGB) v RooFoods Ltd (t/a Deliveroo), Central Arbitration Committee, 14 novembre 2017, Royaume-Uni, RDT, 2018, p. 5.

[24] Ibid.

[25] Déc. II.

[26] Les juges constatent en effet que « la demande d’immatriculation au registre des métiers de M. X formulée le 18 septembre 2014 est tout à fait contemporaine du début de ses fonctions en qualité de chauffeur VTC pour la plate-forme Uber, puisqu’elle le précède de moins d’un mois, la fin de l’activité étant d’ailleurs enregistrée comme étant intervenue le 17 août 2016, et donc au lendemain de l’établissement de la lettre de prise d’acte de la rupture du contrat de travail et en conséquence de la cessation des relations contractuelles avec la société Uber ».

[27] Sur cette distinction, v. not. B. Gomes, Réguler les plateformes numériques de travail : lecture critique du rapport Frouin, Droit social, mars 2020, 207. V. aussi, G. de Terssac, Autonomie et travail, Dictionnaire du travail, PUF, 2012, 47.

[28] Ils ajoutent en outre que « certains salariés, en leur qualité de cadres dirigeants, sont écartés par l’article L. 3111-2 du Code du travail de l’application des dispositions sur la durée du travail, la répartition et l’aménagement des horaires ainsi que de celles relatives au repos et jours fériés ».

[29] En effet, « alors que dans le cadre d’un cumul de plusieurs contrats de travail à temps partiel, le salarié, dans la limite de son obligation de loyauté, peut être amené à travailler pour plusieurs employeurs ayant une activité concurrente », déc.

[30] Le worker est une qualification juridique située entre celle d’employee et d’independant contractor. Pour le comprendre, il faut rappeler que le champ d’application de la législation sociale au Royaume-Uni répond à des logiques différentes qu’en France. Outre-Manche, il fonctionne par cercles concentriques. Au centre on trouve les employees, travailleurs subordonnés liés à l’employeur par un contrat d’emploi ; ensuite, on trouve les workers, une catégorie de travailleurs qui comprend les employees mais aussi, plus largement, toute personne engagée dans une prestation personnelle de travail ; on trouve enfin les travailleurs indépendants « independant contractor », qui sont des entrepreneurs ayant une existence propre sur un marché, en mesure de prendre toutes les décisions concernant leur activité. Chaque loi sociale précise son champ d’application, de sorte que les périmètres des cercles peuvent varier d’une législation à l’autre. Sur la notion de worker, v. G. Davidov, Who is a worker, Industrial Law Journal, Vol. 34, n° 1, mars 2005, p. 58.

[31] B. Gomes, Les travailleurs des plateformes sont-ils des travailleurs au sens du droit de l’Union ? - Statu quo sous forme d’ordonnance motivée de la CJUE, SSL, 11 mai 2020, n° 1907.

[32] Cf. infra.

[33] CJCE, 3 juillet 1986, aff. C-66/85, Lawrie Blum (N° Lexbase : A8251AU7).

[34] CJCE, 19 mars 1964, aff. C-75/63 (N° Lexbase : A6131AUM).

[35] CJUE, 4 déc. 2014, aff. C-413/13, FNV Kunsten Informatie en Media (N° Lexbase : A8163M44) ; CJUE, 13 janvier 2004, aff. C-256/01, Allonby (N° Lexbase : A8565DAH). Par ailleurs, comme en droit français, « il appartient alors aux juges nationaux de recourir à des critères objectifs [permettant] d’apprécier globalement toutes les circonstances de l’affaire dont il est saisi, ayant trait à la nature tant des activités concernées que de la relation entre les parties en cause » (§ 27 - CJCE, 3 juillet 1986, Lawrie Blum, préc. ; CJUE, 14 octobre 2010, aff. C-428/09, Union syndicale Solidaires Isère N° Lexbase : A7321GBR ; CJUE, 26 mars 2015, aff. C-316/13, Fenoll N° Lexbase : A3528NEE). Alors, si « pour des raisons fiscales, administratives ou bureaucratiques », une société recourt à un contrat de prestation de service (indépendant), mais qu’en réalité le travailleur « agit sous la direction de son employeur, en ce qui concerne notamment sa liberté de choisir l’horaire, le lieu et le contenu de son travail […] et est intégrée à l’entreprise […] pendant la durée de la relation de travail », cette personne doit être considérée comme « travailleur » (§ 31).

[36] CJUE, 22 avril 2020, aff. C-692/19, Yodel Delivery Network (N° Lexbase : A23523LP). V. F. Champeaux, Nouvel épisode dans la saga des travailleurs des plateformes, SSL, 14 novembre 2019, n° 1883.

[37] Au sens de la Directive 2003/88/CE (N° Lexbase : L5806DLM) : « La Directive 2003/88/CE, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, fait elle obstacle à certaines dispositions de droit national qui exigent qu’une personne s’engage à effectuer ou prester « personnellement » tout travail ou tout service qu’elle est tenue de fournir pour qu’elle soit couverte par le champ d’application de la Directive ? », CJUE, 22 avril 2020, Yodel Delivery, préc..

[38] Ibid. Ceci est par ailleurs rappelé dans la décision de la cour d’appel : « la personne doit être considérée comme travailleur au sens du droit de l’Union, si son indépendance n’est que fictive, déguisant ainsi une véritable relation de travail ».

[39] Indépendance fictive déjà clairement démontrée dans l’arrêt dit « Uber » de mars 2020 : Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13.316, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A95123GE).

[40] M. Vicente, Les chauffeurs Uber sont des travailleurs pour la juridiction suprême du Royaume-Uni, préc..

[41] Ibid.

[42] Ibid.

[43] La Commission y a lancé la première phase de consultation des partenaires sociaux européens sur la manière d'améliorer les conditions de travail des personnes travaillant par l'intermédiaire de plateformes de travail [en ligne].

[44] V. [en ligne]. Pour des questions de transparence, l’autrice entend informer qu’elle a participé au travail d’élaboration de ce texte au sein d’un groupe d’expert pluridisciplinaire.

newsid:477954

Divorce

[Brèves] Homologation judiciaire des conventions relatives au divorce : pas d’homologation en l’absence d’accord des deux époux !

Réf. : Cass. civ. 1, 9 juin 2021, n° 19-10.550, FS-P (N° Lexbase : A41004UE)

Lecture: 2 min

N7882BYL

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 16 Juin 2021

► Il résulte de l’article 268 du Code civil (N° Lexbase : L2835DZZ) que le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences du divorce qu’en présence de conclusions concordantes des époux en ce sens.

Cette décision s’inscrit dans la parfaite lignée d’un arrêt rendu en 2020 (Cass. civ. 1, 12 février 2020, n° 19-10.088, FS-P+B+I N° Lexbase : A27283ER), par lequel la première chambre civile de la Cour de cassation avait été amenée à énoncer un tel principe, mais à partir d’une simple question de procédure ; pour rappel, la Cour régulatrice, avait dû sanctionner les conseillers d’appel ayant déclaré irrecevable, comme étant présentée par un époux seul, la demande d'homologation d'une convention réglant tout ou partie des conséquences du divorce. La Haute juridiction avait dû rectifier en énonçant qu’une telle demande était tout à fait recevable, mais qu'il appartenait alors simplement au juge de tirer les conséquences de l'absence d'accord de l'autre époux sur cette demande, énonçant alors le principe précité (pour un commentaire détaillé, cf. J. Casey, Sommaires de droit du divorce (janvier - août 2020), spéc. obs. n° 4, Lexbase Droit privé, septembre 2020, n° 835 N° Lexbase : N4475BYE).

Dans l’affaire ici soumise à la Cour de cassation, par jugement du 21 juillet 2017, le juge aux affaires familiales avait prononcé le divorce des époux et homologué l’acte portant liquidation et partage des intérêts patrimoniaux des époux établi en la forme notariée le 7 mai 2016.

En appel, les conseillers versaillais avaient dit n’y avoir lieu à homologation de l’acte notarié du 7 mai 2016, dès lors que l’ex-épouse faisait valoir en cause d’appel que cet acte ne préservait pas suffisamment ses intérêts, ce qui impliquait que ledit acte ne reflétait plus la commune intention des intéressés.

L’ex-époux a formé un pourvoi, reprochant à la cour de ne pas avoir recherché ni expliqué en quoi l’équilibre entre les intérêts des parties n’y était pas préservé.

En vain. L’argument était forcément inopérant au regard du principe énoncé dans l’arrêt de 2020, et rappelé avec force dans le présent arrêt : en l’absence d’accord des deux époux, aucune homologation ne saurait être accordée !

newsid:477882

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Holding animatrice et report de déficits sous agrément en cas de fusion

Réf. : CAA Paris, 8 juin 2021, n° 18PA03711 (N° Lexbase : A09614WI)

Lecture: 4 min

N7950BY4

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par Marie-Claire Sgarra

Le 18 Juin 2021

► La cour administrative d’appel de Paris est revenue, dans un arrêt du 8 juin 2021, sur le transfert sur agrément de déficits en cas de fusion en présence d’une holding animatrice.

Les faits :

  • une société Sopra Group a absorbé, en septembre 2014, dans le cadre d'une opération de fusion absorption, la société Groupe Steria, société de tête du groupe mondial de services informatiques Steria, ainsi que la filiale à 100 % de cette dernière ;
  • la société nouvellement dénommée Sopra Steria Group, a sollicité l'agrément pour permettre le transfert, à son profit, des déficits reportables au 31 décembre 2013 de la société Groupe Steria et des déficits ayant pour origine la société Steria ;
  • la demande a été accueillie partiellement ; la société Sopra Steria Group a présenté un recours gracieux tendant au réexamen de sa demande d'agrément ;
  • la société Sopra Steria Group a saisi le tribunal administratif de Paris d'un REP dirigé contre la décision de refus partiel d'agrément ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
  • le tribunal a annulé la première de ces décisions, a enjoint de procéder au réexamen de la demande de la société Sopra Steria Group dans un délai de quatre mois à compter de la notification du jugement.

Plusieurs points à souligner.

💡 S'agissant des sociétés dont l'actif est principalement composé de participations financières, ce qui est le cas des sociétés holdings, le bénéfice du dispositif de transfert de déficit sur agrément prévu au II de cet article n'est exclu que pour les seuls déficits provenant de la gestion d'un patrimoine mobilier ou immobilier de telles sociétés.

Par ailleurs, il résulte des travaux préparatoires de la loi du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-958, du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L9357ITQ), dont elles sont issues que l'intention du législateur était d'exclure les seules « holdings financières », et non l'ensemble des holdings, dans le but de limiter les possibilités d'exploitation des déficits à des fins d'optimisation fiscale et notamment de lutte contre les « marchés de déficits ».

👉 Ces dispositions ne font dès lors pas obstacle par principe à ce qu'une société holding puisse bénéficier de l'agrément en vue d'imputer sur ses bénéfices ultérieurs les déficits antérieurs non encore déduits de la société absorbée dès lors que les déficits concernés ne proviennent pas d'une activité de gestion d'un patrimoine mobilier ou immobilier au sens de ce texte.

💡 Une société holding qui a pour activité principale, outre la gestion d'un portefeuille de participations, la participation active à la conduite de la politique du groupe et au contrôle de ses filiales et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers, est animatrice de son groupe, et, doit par suite, être regardée comme exerçant une activité distincte de la gestion d'un patrimoine mobilier au sens des dispositions de l'article 209 du Code général des impôts (N° Lexbase : L6979LZI) et qui n'est pas accessoire à une telle gestion.

👉 Les déficits d'une société holding animatrice susceptibles de bénéficier de l'agrément prévu par les dispositions de l'article 209 du Code général des impôts ne se limitent pas aux seuls déficits provenant d'une activité opérationnelle distincte de son activité de gestion de ses filiales et réalisée au seul profit de clients tiers.

👉 Il s'ensuit que l'agrément prévu par ces dispositions ne pouvait être refusé à la société Sopra Steria Group au motif que, du seul fait de la nature de société holding de la société Groupe Steria, les déficits générés par son activité devaient être regardés comme provenant d'une activité de gestion de son patrimoine mobilier faute de résulter d'une activité exercée au profit de sociétés tierces à son groupe.

À noter. La cour administrative d’appel de Paris a rendu, le même jour, deux autres arrêts dans le même sens (CAA Paris, 8 juin 2021, n° 19PA01428 N° Lexbase : A09814WA) et n° 19PA01475 N° Lexbase : A09844WD).

 

 

newsid:477950

Fonction publique

[Brèves] Accès aux données médicales des fonctionnaires lors de l'instruction des demandes de Citis : atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée

Réf. : Cons. const., décision n° 2021-917 QPC du 11 juin 2021 (N° Lexbase : A70894U4)

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N7886BYQ

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par Yann Le Foll

Le 16 Juin 2021

Les modalités d’accès par l’administration aux données médicales des fonctionnaires lors de l'instruction des demandes de congé pour incapacité temporaire imputable au service portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des agents publics.

Disposition contestée. L'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L6938AG3), dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2020-1447 du 25 novembre 2020 (N° Lexbase : L7765LYA), qui détermine les conditions dans lesquelles le fonctionnaire en activité peut bénéficier d'un congé pour invalidité temporaire imputable au service, prévoit à son paragraphe VIII que « Nonobstant toutes dispositions contraires, peuvent être communiqués, sur leur demande, aux services administratifs placés auprès de l'autorité à laquelle appartient le pouvoir de décision et dont les agents sont tenus au secret professionnel, les seuls renseignements médicaux ou pièces médicales dont la production est indispensable pour l'examen des droits définis par le présent article » (notamment le remboursement des divers frais médicaux entraînés par l'accident ou la maladie).

Portée. Les dispositions contestées autorisent des services administratifs à se faire communiquer par des tiers les données médicales d'un agent sollicitant l'octroi ou le renouvellement d'un tel congé, afin de s'assurer que l'agent public remplit les conditions fixées par la loi pour l'octroi de ce congé et, en particulier, qu'aucun élément d'origine médicale n'est de nature à faire obstacle à la reconnaissance de l'imputabilité de l'accident ou de la maladie au service.

Position des Sages – vie privée. Les renseignements dont les services administratifs peuvent obtenir communication des tiers sont des données de nature médicale, qui peuvent leur être transmises sans recueillir préalablement le consentement des agents intéressés et sans que le secret médical puisse leur être opposé.

Or, d'une part, ce droit de communication est susceptible d'être exercé par les « services administratifs » placés auprès de l'autorité à laquelle appartient le pouvoir d'accorder le bénéfice du congé. Ainsi, en fonction de l'organisation propre aux administrations, ces renseignements médicaux sont susceptibles d'être communiqués à un très grand nombre d'agents, dont la désignation n'est subordonnée à aucune habilitation spécifique et dont les demandes de communication ne sont soumises à aucun contrôle particulier.

D'autre part, les dispositions contestées permettent que ces renseignements soient obtenus auprès de toute personne ou organisme.

Dès lors, ces dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.

Décision. Le paragraphe VIII de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 doit être déclaré contraire à la Constitution, cette déclaration d'inconstitutionnalité prenant effet le 11 juin 2021.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les conditions de travail, Les congés pour raisons de santé, in Droit de la fonction publique, (dir. P. Tifine), Lexbase (N° Lexbase : E07723NW).

newsid:477886

Licenciement

[Brèves] Prescription de l’action en réparation du préjudice subi et remboursement des indemnités chômages en cas de nullité du licenciement pour harcèlement moral

Réf. : Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-21.931, FS-P (N° Lexbase : A41064UM)

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N7883BYM

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par Charlotte Moronval

Le 16 Juin 2021

► Une salariée, qui demande la nullité de son licenciement en raison du harcèlement moral dont elle est victime, est recevable à exercer une action en réparation du préjudice subi dans les cinq ans qui suivent le prononcé du licenciement ;

Le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.

En l’espèce. Une salariée saisit la juridiction prud’homale en vue de faire constater la nullité de son licenciement pour inaptitude et condamner son employeur à lui verser différentes sommes, en particulier au titre du harcèlement moral et de la rupture de son contrat.

Sur la prescription de l’action en réparation du préjudice subi. La Chambre sociale rappelle, en application de l’article 2224 Code civil (N° Lexbase : L7184IAC), que le point de départ du délai de prescription est le jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

La cour d’appel, qui a relevé que la salariée soutenait avoir été victime d’agissements de harcèlement moral au-delà de sa mise en arrêt de travail pour maladie et demandait pour ce motif la nullité de son licenciement prononcé le 17 novembre 2009, en a exactement déduit qu’elle avait jusqu’au 17 novembre 2014 pour saisir le conseil de prud’hommes, peu important qu’elle ait été en arrêt maladie à partir du 7 avril 2009.

Ensuite, ayant constaté que l’action de la salariée au titre du harcèlement moral n’était pas prescrite, la cour d’appel a à bon droit analysé l’ensemble des faits invoqués par la salariée permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral, quelle que soit la date de leur commission.

Sur le remboursement des indemnités de chômage. Après avoir décidé que le licenciement de la salariée était nul, son inaptitude définitive à son poste de travail résultant de son état dépressif réactionnel aux agissements de harcèlement moral dont elle avait fait l’objet, la cour d’appel retient qu’en application de l’article L. 1235-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0274LM4), il y a lieu d’ordonner le remboursement par la société des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle emploi à la salariée postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois.

En statuant comme elle l’a fait, alors que le licenciement de la salariée a été prononcé le 17 novembre 2009, soit avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 (N° Lexbase : L8436K9C), et qu’ainsi le remboursement des indemnités de chômage ne pouvait être ordonné en cas de nullité du licenciement, la cour d’appel a violé l’article 2 du Code civil (N° Lexbase : L2227AB4) et l’article L. 1235-4 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016, applicable en la cause.

newsid:477883

Procédure civile

[Brèves] RPVA et acte de procédure : la panne informatique peut constituer une "cause étrangère" empêchant la remise par voie électronique

Réf. : Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-10.522, F-P (N° Lexbase : A54664UY)

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N7881BYK

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 16 Juin 2021

 Dans la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique ; l’irrecevabilité sanctionnant cette obligation est écartée lorsqu’un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit, l’acte étant en ce cas remis au greffe sur support papier ; tel est le cas pour l'avocat justifiant de l'intervention d'une société à son cabinet pour rechercher une panne  rendant impossible la navigation sur internet.

Faits et procédure. Dans cette affaire, le preneur à bail de locaux à usage commercial a assigné sa bailleresse en nullité du congé avec offre d’indemnité d’éviction qui lui a été délivré, et subsidiairement, a sollicité la désignation d’un expert pour évaluer cette indemnité. L’expert ayant constaté l’existence d’une sous-location, la bailleresse a fait délivrer un commandement visant la clause résolutoire pour sous-location interdite, en sollicitant son acquisition passé le délai d’un mois de la délivrance.

La cour d’appel a rendu un premier arrêt constatant la résiliation de plein droit du bail commercial aux torts du locataire, du fait de la sous-location et ordonnant son expulsion. Cet arrêt a été cassé (Cass. civ. 3, 2 juillet 2013, n° 12-15.573, F-D N° Lexbase : A5491KI9). La cour d’appel de renvoi a rejeté la demande de résiliation de bail.

Le pourvoi. La demanderesse fait grief à l’arrêt rendu le 4 octobre 2019 par la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion sur renvoi après cassation (Cass. civ. 3, 5 octobre 2017, n° 15-25.018, F-D N° Lexbase : A1886WUE) d’avoir déclaré irrecevable la déclaration de saisine remise au greffe sur support papier.

En l’espèce, la cour d’appel a retenu que la déclaration de saisine après renvoi de la Cour de cassation a été remise au greffe sur support papier sans qu’il ne soit établi que le conseil de la demanderesse ait été dans l’impossibilité d’avoir accès au RPVA. Bien plus, la cour d’appel relève qu’il n’est pas fait état d’aucune panne affectant sa clé RPVA, précisant qu’elle pouvait être utilisée sur tout autre poste informatique disposant d’un accès internet, notamment à l’ordre des avocats ou dans un cabinet d’un de ses confrères.

Solution. Énonçant la solution précitée au visa de l’article 930-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7249LE9), la Cour de cassation censure le raisonnement des juges d’appel, énonçant que l’arrêt constatait que le conseil de la demanderesse justifiait de l’intervention d’une société durant trois jours, aux fins de recherche de panne touchant son matériel informatique, laquelle rendait impossible la navigation sur internet et avait pour origine la défectuosité d’un câble de la Live box.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : L’appel, Les dispositions communes à l'appel avec représentation obligatoire, in Procédure civile, (dir. E. Vergès), Lexbase (N° Lexbase : E2914GA8).

 

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Responsabilité

[Panorama] Panorama d’actualité de droit du préjudice corporel (février 2021 – mai 2021)

Lecture: 1 min

N7925BY8

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par Clément Cousin, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles de l’université catholique de l’ouest | Nantes, Chercheur associé au laboratoire droit et changement social, UMR CNRS/Univ. Nantes, Membre suppléant du collège d'experts placé auprès de l'ONIAM,

Le 16 Juin 2021

 


Mots-clés : dommage corporel • indemnisation • préjudices patrimoniaux • préjudices extra-patrimoniaux • évaluation de la réparation • victime directe • victime indirecte • droit des assurances • secret médical • véhicules autonomes

Cette chronique couvre la période du 28 février 2021 au 31 mai 2021 au inclus. Le droit du préjudice corporel étant une spécialité couvrant plusieurs domaines du droit, cette chronique couvre les normes ayant notamment trait au droit de la responsabilité, des assurances et de la procédure (pénale, civile et administrative).

Pour (ré)accéder au précédent panorama, Panorama d'actualité de droit du dommage corporel (décembre 2020 - février 2021) : Lexbase Droit privé, 1er avril 2021, n° 860 (N° Lexbase : N6990BYK).


 

Sommaire

I. Normes légales

II. Normes réglementaires

- Décret n° 2021-364 du 31 mars 2021, relatif aux modalités de remise des certificats médicaux aux victimes de violences
- Ordonnance n° 2021-442 du 14 avril 2021, relative à l'accès aux données des véhicules ; et ordonnance n° 2021-443 du 14 avril 2021, relative au régime de responsabilité pénale applicable en cas de circulation d'un véhicule à délégation de conduite et à ses conditions d'utilisation

III. Normes prétoriennes

A. Généralités

- TJ Paris, 29 mars 2021
- Cass. civ. 2, 11 mars 2021, 19-17.384, F-P
- Cass. crim., 16 mars 2021 n° 20-80.125, F-D
- Cass. civ. 2, 1er avril 2021, 19-16.877, F-D
- Cass. civ. 2, 8 avril 2021 n° 20-10.621, F-P
- CE 6 mai 2021, n° 428154

B. Postes de préjudice

B1. Préjudices des victimes directes

- CE 10 mars 2021, n° 433790
- CE, 2 avril 2021, n° 427283
- CE 27 mai 2021, n° 433863

- Cass. civ. 2, 11 mars 2021, n° 19-15.043, F-D
- CE, 27 mai 2021, n° 431557, mentionné aux tables du recueil Lebon
- Cass. civ. 2, 6 mai 2021, n° 19-23.173, FS-P+R
- CE, 24 mars 2021, n° 428924, mentionné aux tables du recueil Lebon

B2. Préjudices des victimes indirectes en cas de décès de la victime directe

B3. Préjudices des victimes indirectes en cas de survie de la victime directe

B4. Liquidation du préjudice

C. Procédures

D. CIVI

E. Droit des assurances

- Cass. civ. 2, 11 mars 2021, n° 19-15.043, F-D

IV. Publications

- Demandes, offres, décisions en matière de dommage corporel : étude statistique (Etude de Christophe Quézel-Ambrunaz)


I. Normes légales : rien à signaler

II. Normes réglementaires

  • Modalités de remise des certificats médicaux aux victimes de violences (décret n° 2021-364 du 31 mars 2021 N° Lexbase : L9038L37)

Ce décret du 31 mars 2021 vient préciser une évidence : la communication à la victime des documents médicaux la concernant. Il est en effet fréquemment opposé à la victime/patient le secret médical et surtout le secret de l’instruction. Ainsi, au motif que l’examen se fait sur réquisition, le certificat médical de constatation ne lui est pas remis.

Le nouvel article D1-12 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9255L38) est maintenant aussi clair que possible : il ne peut être opposé quoi que ce soit à la victime souhaitant que lui soit communiqué les documents médicaux.

Le tout sera maintenant de savoir si ces dispositions seront appliquées et l’on peut d’ores et déjà regretter que la remise de ces documents soit conditionnée à une demande expresse de la victime. Pourquoi ne pas avoir systématisé leur remise, sauf opposition de la victime ?

En revanche, il faut se féliciter que cette remise se fasse sous n’importe quelle forme (papier, électronique) et à tout moment de la procédure, y compris sur rendez-vous par le conseil.

Reste la question de savoir si cette remise ne se fera pas au détriment de la victime, notamment s’il vient à être consulté par un tiers fortuitement dans un contexte de violences conjugales.

  • La responsabilité afférente aux accidents causés par des véhicules autonomes (ordonnance n° 2021-442 du 14 avril 2021, relative à l'accès aux données des véhicules N° Lexbase : L1729L4S ; et ordonnance n° 2021-443 du 14 avril 2021, relative au régime de responsabilité pénale applicable en cas de circulation d'un véhicule à délégation de conduite et à ses conditions d'utilisation N° Lexbase : L1730L4T)

Par ces deux ordonnances du 14 avril 2021, le Gouvernement a réglementé la responsabilité pénale afférente aux véhicules autonomes et l’accès aux données de ces véhicules.

On y trouve réglée une question centrale aux articles L. 123-3 du Code de la route (N° Lexbase : L2005L4Z) et L. 1514-5 (N° Lexbase : L2025L4R) du Code des transports notamment, celle de l’accès aux données issues de ces véhicules. Ainsi, les forces de l’ordre peuvent accéder aux données en cas d’accident impliquant un dommage corporel, ce qui était déjà le cas en cas d’équipement GPS. L’évolution vient du second article qui permet aux assureurs et au fonds de garantie d’accéder à ces données sans le consentement de la personne. Attention, la seule donnée à laquelle il est possible d’accéder est l’horodatage des changements de délégation de conduite à conduite sans assistance et vice versa.

III. Normes prétoriennes

A. Généralités

  • Médiator, 1er round (TJ Paris, 29 mars 2021 ; cf. Laïla Bedja, Mediator : un jugement hors normes, Le Quotidien Lexbase, 31 mars 2021 N° Lexbase : N7000BYW ;  Ana Zelcevic-Duhamel, En santé publique, ne trompe pas qui peut - À propos de l’affaire du Mediator, Lexbase Droit privé, n° 866, mai 2021 N° Lexbase : N7639BYL)

Le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 29 mars 2021 était très attendu. Bien qu’un appel ait été formé, il comporte quelques points intéressants. On notera ainsi la reconnaissance d’un préjudice lié au consentement faussé des victimes qui ont été trompées par la société Laboratoires Servier sur la sécurité et les risques afférents au Médiator. On note aussi la reconnaissance du préjudice d’angoisse tant pour les victimes directes que pour les proches.

  • Lien de causalité entre le préjudice moral d’un enfant conçu après les faits et le décès d’un proche (Cass. civ. 2, 11 mars 2021, 19-17.384, F-P N° Lexbase : A02084LB)

Nous le disions dans une précédente chronique (Panorama d’actualité de droit du dommage corporel (septembre – novembre 2020), Lexbase Droit privé, 17 décembre 2020, n° 848 N° Lexbase : N5814BYY), l’admission de l’indemnisation de l’enfant à naître du fait du décès d’un proche questionnait quant au lien entre l’enfant et la victime mais pas concernant la condition de conception de l’enfant. Si l’on s’interroge ainsi sur les limites qu’édictera la Cour de cassation quant aux personnes dont le décès pourra justifier un préjudice pour l’enfant conçu (après s’être prononcée à l’égard des grand-parents, la Cour ira-t-elle jusqu’aux oncles et tantes, aux cousins, aux cousins issus de Germain ?), il était néanmoins clair à nos yeux que la condition de la conception était expresse.

L’arrêt du 11 mars 2021 confirme cette position en rejetant le pourvoi formé contre un arrêt rejetant la demande d’indemnisation d’un enfant conçu après l’enlèvement et la séquestration de sa sœur.

  • Opposabilité du secret médical au médecin conseil d’assurance (Cass. crim., 16 mars 2021 n° 20-80.125, F-D N° Lexbase : A89144LQ)

Une victime avait engagé une procédure d’indemnisation amiable au cours de laquelle un médecin conseil d’assureur avait rédigé un rapport. Celui-ci avait été transmis à son mandant puis à l’assureur de la partie responsable. La procédure amiable ayant été interrompue pour une orientation contentieuse, un médecin expert judiciaire a été nommé et, lors de l’expertise, s’est vu remettre, par le médecin conseil d’assurance, le premier rapport, malgré l’opposition de la victime.

Les premiers juges absolvent le médecin conseil d’assurance au motif qu’elle n’avait pas connaissance de la mission du médecin expert qui précisait l’impossibilité de se voir communiquer des documents médicaux sans l’accord de la victime.

La Chambre criminelle fait une appréciation stricte de l’article 226-13 du Code pénal (N° Lexbase : L5524AIG) et retient la prévention en passant outre l’argument du défaut de connaissance de la mission de l’expert judiciaire par le médecin conseil d’assurance. Il est donc passible d’une sanction sur le fondement de l’article 226-13 et la partie civile peut obtenir réparation de son préjudice.

La question est intéressante : peut-on obtenir la cassation d’un arrêt ayant mal classé les indemnités visant à réparer le dommage ? Concrètement, une partie de ce qui revenait à l’incidence professionnelle avait été indemnisée au titre des postes de pertes de gains professionnels en considérant que la victime, du fait de l’accident, n’avait pu entrer dans la vie professionnelle qu’avec retard.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation rend une décision tout à fait intéressante en ne sanctionnant pas les juges du fond pour avoir mal ventilé les sommes et en s’attachant uniquement à la question de savoir si le même préjudice avait été indemnisé deux fois, ce qui n’était pas le cas ici.

Le libéralisme de la deuxième chambre civile surprend agréablement. Elle revient ici à l’essence de la nomenclature, ventiler pour mieux apprécier le préjudice et, donc, le réparer dans son intégralité.

L’état antérieur non incapacitant n’est pas de nature à permettre une réduction de l’indemnité à verser à la suite d’un accident du travail.

Ici, la révélation d’un état antérieur lattent n’a pas d’incidence sur l’indemnisation. Si la position est très classique tant en matière civile (Cass. civ. 1, 28 janvier 2010, n° 08-20.571, F-D N° Lexbase : A7638EQX) qu’en matière criminelle (Cass. crim., 30 janvier 2007, n° 05-87.617, F-P+F N° Lexbase : A3011DU3), elle a ici été appliquée à notre connaissance pour la première fois à une décision de la cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail.

L’arrêt pose un intéressant problème de méthode : à quel moment faut-il prendre en compte la situation médicale de la personne au moment d’évaluer la perte de chance imputable au responsable ? Faut-il envisager l’imputation des conséquences de cette situation avant ou après l’application du taux de perte de chance ?

Le Conseil d’État opte pour la première des solutions en expliquant que l’évaluation de la perte de chance découlant du geste fautif doit résulter d’une comparaison de deux situations : celle découlant d’une prise en charge normale et celle découlant du geste fautif. Ainsi, il faut intégrer, dans le calcul, les conséquences de l’état de santé de la victime avant et non après la fixation du taux de perte de chance.

Le Conseil censure ainsi une solution qui pouvait conduire à prendre en compte deux fois l’état de santé de la victime. Néanmoins, il paraît raisonnable de penser que les juges ont de facto évalué correctement la perte de chance.

B. Postes de préjudice

B1. Préjudices des victimes directes

1) Préjudices patrimoniaux

a) Préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

- Dépenses de santé actuelles : rien à signaler

- Frais divers :

  • Les frais de médecin conseil et de transport liés à la procédure ne peuvent se voir appliquer le taux de perte de chance (CE 10 mars 2021, n° 433790 N° Lexbase : A63084KT)

La perte de chance implique d’affecter la liquidation d’un coefficient correspondant au taux de perte de chance. Si cette pondération est évidente pour les postes de préjudice liés au dommage lui-même, la question s’est posée du champ de son application concernant les dépenses liées à la procédure elle-même.

Le Conseil d’Etat cantonne la pondération liée à la perte de chance aux préjudices « relatifs à [l’] état de santé » de la personne, excluant de facto les préjudices liés à la procédure.

La solution est logique puisqu’en l’absence de faute engageant la responsabilité de l’administration, la procédure n’aurait pas été menée à son terme et les frais liés à l’expertise et au conseil n’auraient pas été exposés. En revanche, dès qu’une instance est mise en œuvre, la victime doit être assistée d’un médecin conseil et conseillée par un avocat. Cet aspect des frais divers est donc binaire : ou tout ou rien.

- Pertes de gains professionnels actuels : rien à signaler

b) Préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation)

- Dépenses de santé futures : rien à signaler

- Frais de logement adapté : rien à signaler

- Frais de véhicule adapté : rien à signaler

- Assistance par tierce personne :

L’expertise concluait à un besoin en ATP permanent « pour la satisfaction des besoins vitaux » de la victime et à un DFP de plus de 95 %. Les juges du fond ont néanmoins accordé une aide en ATP à hauteur de 12 heures quotidiennes, excluant de facto la période nocturne.

Le Conseil d’État censure, pour dénaturation des faits, cette solution.

La solution est intéressante mais doit être remise en contexte, il s’agissait ici d’un enfant lourdement handicapé. La position du Conseil est néanmoins parfaitement claire sur le principe : dès lors que les expertises décrivent des besoins nocturnes en ATP, le juge doit en tirer toutes les conséquences. Les discussions ont tendance à devenir complexes mais il faut revenir sur l’essentiel : la victime peut-elle, la nuit, faire face seule à toutes les situations? Un feu par exemple.

Dans un arrêt du 27 mai 2021, le Conseil d’Etat rend une décision importante en matière d’assistance par tierce personne fondée sur l’indemnisation intégrale. En effet, il indique que les juges du fond doivent, lorsqu’ils déterminent le coût d’une heure d’assistance par tierce personne, se référer « soit au montant des salaires des personnes à employer augmentées des cotisations sociales dues par l’employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations ».

La nouveauté ici n’est pas le rappel d’une position admise d’inclusion des charges patronales ni celui de pouvoir opter ou pour le salariat ou pour la prestation de service, mais bien le montant du taux horaire, en l’espèce de 13 euros.

Le Conseil d’Etat censure ainsi la position de la cour administrative d’appel qui avait déterminé un tel taux horaire au motif qu’il ressortait du dossier que l’assistance adaptée à « sa situation de handicap s’élevait [à] un coût plus d’une fois et demie supérieur au montant retenu ».

La décision fera la joie des avocats de victimes qui y verront un moyen de pouvoir contester le pouvoir souverain des juges du fond dans la détermination du taux horaire. Il faut néanmoins constater que l’état de la santé de la victime était préoccupant, celle-ci ici « est affectée d’un déficit moteur cérébral majeur qui ne lui laisse aucune autonomie mais la rend totalement dépendante de son entourage et nécessite une surveillance constante, y compris la nuit. » (CAA Bordeaux, 2e ch., 25 juin 2019, n° 17BX00912 N° Lexbase : A4201ZIG). La cour administrative d’appel évalue aussi sur une année de 412 jours pour gommer les jours fériés et les congés mais fixe à 13 euros en application de son pouvoir souverain, sérieusement réduit par le Conseil.

Alors, quelles conséquences en tirer, pour les juridictions de l’ordre administratif ? D’abord que les juges doivent maintenant motiver spécialement le montant du taux horaire adopté. Ensuite qu’ils ne peuvent négliger les pièces éclairant cette fixation. Enfin, qu’ils peuvent opter pour le plus faible des taux du salariat et de la prestation de service.

Qu’on se permette sur ce dernier point une observation. Le salariat implique un coût de gestion important (management, contrat, responsabilité afférente) qui, lorsqu’il est recouru à une prestation de service, est intégré dans le coût final de celle-ci. Ainsi, il y a fort à parier que dans la très grande majorité des cas, le coût de l’emploi direct sera inférieur à celui de la prestation de service. Très concrètement, cela revient à priver la victime de la prise en charge du coût de la gestion administrative et donc à lui faire supporter ces inconvénients sans indemnisation afférente.

Enfin, on constatera que la solution de la cour administrative d’appel était une directe application du barème de l’ONIAM et plus précisément pour le plus faible des deux taux horaires prévus (le plus élevé est de 18 euros) (Référentiel indicatif d’indemnisation par l’ONIAM, p. 9).

- Pertes de gains professionnels futurs (PGPF) :

La CSG est une contribution dont le montant varie selon la nature des revenus voire sujet à exonération. En conséquence, il faut intégrer ce paramètre dans la détermination du revenu de référence. Cela implique de ne pas se fier uniquement au net imposable mais prendre en compte la CSG déductible sous peine, comme c’était le cas ici, de dénaturation d’un écrit clair et précis.

- Incidence professionnelle :

  • Un arrêt d’espèce intéressant (CE, 27 mai 2021, n° 431557, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A16324TM)

L’arrêt est « d’espèce » mais éclaire de manière intéressante l’incidence professionnelle. Il concernait un plombier ne pouvant plus exercer. Le Conseil d’Etat juge que le poste d’incidence professionnelle englobe la privation des « bénéfice relationnels et sociaux » procurés par la profession de plombier. Cela signale une position classique sur l’incidence professionnelle en ce que ce poste de préjudice vise aussi à compenser les « petites joies du métier », ici de plombier : rendre service, échanger, palabrer, etc..

  • La deuxième chambre civile de la Cour de cassation persiste et signe en admettant le cumul PGPF totaux et IC (Cass. civ. 2, 6 mai 2021, n° 19-23.173, FS-P+R N° Lexbase : A32544RX)

Dans un arrêt, cette fois-ci de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, c’est non un plombier mais un mineur-boiseur qui, inapte au travail, se voit reconnaître le droit de cumuler PGPF et incidence professionnelle. La deuxième chambre civile avance « l’existence d’un préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail, indemnisable au titre de l’incidence professionnelle ».

On pourrait s’arrêter là. Mais ce serait sans se rappeler que le point est disputé. En effet, la deuxième chambre civile et la Chambre criminelle sont d’accord pour admettre un cumul d’indemnisation totale des PGPF avec une indemnisation de l’incidence professionnelle. La résistance est venue en 2019 de la première chambre civile (Cass. civ. 1, 11 décembre 2019, n° 18-24.383, F-D N° Lexbase : A1447Z84 ; cf. nos obs. in Pan., Panorama d’actualité de droit du dommage corporel (octobre - décembre 2019), Lexbase Droit privé, 30 janvier 2020, n° 811 N° Lexbase : N1988BYB).

Il faut donc lire la publication au bulletin de cette décision comme un rappel de la constance de la position de la deuxième chambre sur ce point.

- Préjudice scolaire, universitaire ou de formation :  rien à signaler

- Frais divers : rien à signaler

2) Préjudices extra-patrimoniaux

a) Préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

- Déficit fonctionnel temporaire :  rien à signaler

- Souffrances endurées :  rien à signaler

- Préjudice esthétique temporaire :  rien à signaler

b) Préjudices extra-patrimoniaux permanents (après consolidation)

- Déficit fonctionnel permanent :

  • Le cas d’école du borgne devenu aveugle (CE, 24 mars 2021, n° 428924, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A26124MP)

C’est un cas d’école qui a été soumis au Conseil d’Etat. Il n’a d’ailleurs pas résisté à le mentionner aux tables du recueil Lebon. Ce cas est celui du borgne qui devient aveugle.

Le Conseil rend une décision on ne peut plus classique : le DFP résultant de l’atteinte ne doit pas être diminué du taux de DFP découlant de l’état antérieur. En somme, la détermination du DFP doit prendre en compte l’état antérieur sans pour autant aller jusqu’à réduire le DFP du fait de cet état antérieur.

- Préjudice d'agrément : rien à signaler

- Préjudice esthétique permanent : rien à signaler

- Préjudice sexuel : rien à signaler

- Préjudice d'établissement : rien à signaler

- Préjudices permanents exceptionnels : rien à signaler

c) Préjudices extra-patrimoniaux évolutifs (hors consolidation)

- Préjudices liés à des pathologies évolutives : rien à signaler

- Préjudices des victimes indirectes (victimes par ricochet) : rien à signaler

B2. Préjudices des victimes indirectes en cas de décès de la victime directe

1) Préjudices patrimoniaux

- Frais d'obsèques : rien à signaler

- Pertes de revenus des proches : rien à signaler

- Frais divers des proches : rien à signaler

2) Préjudices extra-patrimoniaux

- Préjudice d'accompagnement : rien à signaler

- Préjudice d'affection : rien à signaler

B3. Préjudices des victimes indirectes en cas de survie de la victime directe

1) Préjudices patrimoniaux

- Pertes de revenus des proches : rien à signaler

- Frais divers des proches : rien à signaler

2) Préjudices extra-patrimoniaux

- Préjudice d'affection : rien à signaler

- Préjudices extra-patrimoniaux exceptionnels : rien à signaler

B4. Liquidation du préjudice

1) Recours des tiers payeurs : rien à signaler

2) Imputation des créances des tiers payeurs : rien à signaler

C. Procédures

1) Procédure pénale : rien à signaler

2) Procédure civile : rien à signaler

3) Contentieux administratif : rien à signaler

D. CIVI : rien à signaler

E. Droit des assurances

Le sujet est chronique dans ce panorama et la précision ici apportée est une évidence : le juge, lorsqu’il condamne l’assureur au doublement du taux d’intérêt, doit fixer le point de départ de ce doublement.

Il ne faut pas saisir la solution comme offrant au juge une possibilité de réduire, par ce biais, la pénalité (en retardant le point de départ). En effet, la position peut s’expliquer par un débat sur la date précise de la demande d’indemnisation ou sur la date de l’accident.

IV. Publications

  • Demandes, offres, décisions en matière de dommage corporel : étude statistique (Etude de Christophe Quézel-Ambrunaz)

Une étude majeure vient d’être publiée en ligne via HAL, celle du centre de recherche en droit Antoine Favre. Portée par le Professeur Christophe Quézel-Ambrunaz dont l’autorité n’est plus à discuter, elle analyse un échantillon de 307 décisions ayant trait au dommage corporel.

Cette étude statistique quantitative – chose rare dans le milieu juridique français –, outre les constats malheureusement classiques dont celui de la moindre indemnisation des femmes, débouche sur des conclusions prometteuses qui sont une critique assez dense des référentiels d’indemnisation. Le point le plus dérangeant est leur faiblesse méthodologique.

newsid:477925

Santé publique

[Brèves] Vente de CBD : pas d’interdiction en l'absence de produit stupéfiant

Réf. : Cass. crim., 15 juin 2021, n° 18-86.932, F-D (N° Lexbase : A09344WI)

Lecture: 4 min

N7959BYG

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par Adélaïde Léon

Le 23 Juin 2021

► L’interdiction, même provisoire, de la commercialisation de produits contenant du CBD ne peut être ordonnée en l’absence de preuve que les produits en cause entrent dans la catégorie des produits stupéfiants.

Rappel des faits. À l’occasion d’une perquisition dans les locaux de l’établissement « The pot Company », commercialisant des produits à base de cannabidiol (CBD), les policiers ont procédé aux tests de dépistage au haschich et à la marijuana sur plusieurs produits contenant du CBD, dont certains ont réagi positivement, puis ont adressé à un laboratoire un scellé aux fins de faire procéder à la recherche de traces éventuelles de delta-9- tétrahydrocannabinol (THC – substance active du cannabis).

Les cogérants du commerce ont été mis en examen des chefs de détention, acquisition, offre ou cession non autorisée de stupéfiants, usage illicite de stupéfiants et infractions aux règlements sur le commerce ou l’emploi de médicament, plante, substance ou préparation classée comme vénéneuse.

Le juge d’instruction a ordonné la fermeture provisoire de l’établissement pour une durée de six mois.

Les cogérants ont interjeté appel de cette décision.

En cause d’appel. La chambre de l’instruction a infirmé l’ordonnance du juge d’instruction et ordonné la mainlevée de la fermeture de l’établissement au motif que cette mesure s’avérait prématurée en l’absence de détermination par expertise de l’origine du cannabidiol et de la présence de THC dans les produits saisis au-delà du test effectué par les services de police.

Le procureur général a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction.

Moyens du pourvoi. Il était fait grief à la chambre de l’instruction d’avoir prononcé la mainlevée de la fermeture de l’établissement alors qu’il résulte du Code de la santé publique que le CBD est un des principes actifs du cannabis et qu’il est interdit au même titre que le tétrahydrocannabinol et que les dérogations instituées par l’arrêté du 22 août 1990 (portant application de l'article R. 5132-86 du Code de la santé publique pour le cannabis N° Lexbase : L2568LM3) ne concernent que certaines parties de la plainte (fibre et graines) et certaines variétés de cannabis (Sativa L) et à la condition que ces plantes soient très faiblement dosées en THC. En l’espèce, le CBD contenu dans les produits contrôlés ne répondait par aux conditions leur permettant de ne pas être classés comme stupéfiant.

Décision. La Chambre criminelle rejette le pourvoi.

La Cour souligne qu’il ressort des constatations des juges d’appel que le cannabidiol n’est inscrit ni sur la liste des substances vénéneuses, ni sur la liste des substances stupéfiantes et peut être obtenu par un procédé de synthèse chimique qui n’est pas interdit ou peut être extrait de chanvre issu de plusieurs variétés (Sativa, Indica ou Spontanea) auxquelles s’appliquent des dispositions juridiques différentes.

La Cour constate, s’agissant de la variété Indica, que la chambre de l’instruction a relevé que la formulation des dispositions du Code de la santé publique prête à confusion dès lors que celles-ci :

  • posent, d’une part, une interdiction des substances ou principes actifs des drogues ou psychotropes ;
  • et prévoient, d’autre part, une exception à l’interdiction du THC, lequel constitue le principe actif permettant de qualifier le cannabis de drogue ou stupéfiant.

S’agissant de la variété Sativa, la Cour souligne que les juges d’appels ont constaté que des dérogations relatives aux opérations de fabrication, de transport, d’importation, d’exportation, de détention, d’offre, de cession, d’acquisition ou d’emploi, peuvent être accordées à des fins thérapeutiques.

La Chambre criminelle déduit de ces constatations que c’est à juste titre que la chambre de l’instruction a ordonné la mainlevée de la fermeture de l’établissement. Selon la Haute juridiction, l’interdiction, même provisoire, de la commercialisation de produits contenant du CBD ne peut être ordonnée en l’absence de preuve que les produits en cause entreraient dans la catégorie des produits stupéfiants.

Contexte. Le 14 juin 2019 (Cass. crim., 14 mai 2109, n° 18-86.932, F-D N° Lexbase : A0993ZD7), la Chambre criminelle avait sursis à statuer dans l’attente d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne répondant à une question préjudicielle portant sur la conventionnalité des dispositions dérogatoires instituées par l’arrêt du 22 août 1990 limitant la culture du chanvre, son industrialisation et sa commercialisation aux seules fibres et graines. La décision de la Cour est attendue le 23 juin 2021.

newsid:477959

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Conclusions] Les services de restauration scolaire ne sont pas assujettis à la TVA - Conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 28 mai 2021, n° 441739, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A48674TG)

Lecture: 24 min

N7935BYK

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par Romain Victor, Rapporteur public au Conseil d’État

Le 16 Juin 2021


Mots-clés : TVA • assujettissement • cantines scolaires • concurrence 

Les cantines scolaires, en tant que service éducatif, sont exonérées de TVA. Telle est la solution dégagée par le Conseil d’État dans un arrêt du 28 mai 2021. Lexbase Fiscal vous propose les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Romain Victor.

Notons que le Conseil d’État a retenu la même solution dans un arrêt du même jour concernant les piscines municipales.

Lire en ce sens, MC. Sgarra, Non-assujettissement à la TVA d’une commune exploitant une piscine municipale : appréciation de la condition de distorsion de concurrence, Lexbase Fiscal, juin 2021, n° 868 (N° Lexbase : N7802BYM).


 

 

1.- Située dans le département de la Dordogne, Sarlat-la-Canéda compte un peu moins de 9 000 habitants. Plutôt que de traiter avec les mastodontes du secteur de la restauration collective, la commune a fait le choix, comme nombre de communes de sa taille, d’exploiter en régie directe le service de la restauration scolaire au sein des écoles maternelles et élémentaires publiques situées sur son territoire, au profit des élèves demi-pensionnaires – ils sont 900 environ. Les repas, dont les menus sont élaborés par une diététicienne, sont confectionnés par des employés communaux à la cuisine centrale municipale, à partir de produits locaux et de saison, et livrés tôt chaque matin aux six restaurants scolaires de la ville, où ils seront plus tard réchauffés et servis à table. La tarification est fonction du quotient familial, le prix unitaire d’un repas s’établissant entre 0,80 euros et 4,75 euros.

La commune s’est interrogée, comme d’autres communes, sur sa situation au regard de la taxe sur la valeur ajoutée et a tôt fait de considérer qu’il serait financièrement avantageux pour elle d’être assujettie à la taxe à raison des opérations du service de la restauration scolaire, dont l’exploitation lui procure des recettes atteignant péniblement 50 % de ses dépenses. C’est ainsi que, le 21 décembre 2015, le maire de Sarlat a écrit à l’administration fiscale pour demander que soit remboursé à la commune, au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2013, un crédit de TVA de 20 217 euros correspondant à la différence entre les montants de taxe déductible payés sur ses achats (31 727 euros) et la taxe qu’elle aurait dû collecter lors de la facturation aux parents d’élèves des frais de restauration scolaire (11 510 euros).

L’administration a rejeté sa demande par une décision du 13 juin 2016, en se fondant sur le motif que la fourniture de repas aux élèves des établissements d’enseignement du premier degré constituait une prestation de services étroitement liée à l’activité d’enseignement exonérée de TVA en vertu des dispositions du a du 4° du 4 de l’article 261 du CGI (N° Lexbase : L7044LZW[1], qui assurent la transposition des dispositions du i) du paragraphe 1 de l’article 132 de la Directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ), ayant repris les termes du i) du paragraphe 1 du A de l’article 13 de la sixième Directive [2], et aux termes desquelles « 1. Les États membres exonèrent les opérations suivantes : / […] i) l’éducation de l’enfance ou de la jeunesse, l’enseignement scolaire ou universitaire […] ainsi que les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectués par des organismes de droit public de même objet ou par d’autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l’État membre concerné ».

Ce faisant, l’administration s’est conformée à sa propre doctrine publiée au BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-50 (N° Lexbase : X5092AL8), dont les paragraphes 40 et 50, énoncent que « L’exonération s’applique aux prestations d’enseignement proprement dites ainsi qu’aux prestations de services ou livraisons de biens qui sont étroitement liées à cet enseignement (logement et nourriture des internes ou demi-pensionnaires, articles ou fournitures scolaires, tels que livres ou cahiers, qui constituent le complément obligé et inséparable de l’enseignement dispensé) » et que « Les cantines scolaires et universitaires sont également exonérées de TVA […] ».

La commune a porté le litige devant le tribunal administratif de Bordeaux qui a rejeté sa demande par un jugement du 4 juillet 2018. Elle a interjeté appel mais a eu la surprise de voir sa requête rejetée par une ordonnance prise en application des dispositions du dernier alinéa de l’article R. 222-1 du CJA (N° Lexbase : L2796LPA), en date du 12 mai 2020, par laquelle le président de la 4ème chambre de la cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé, d’une part, qu’« [i]l ne [pouvait] être sérieusement contesté que les cantines scolaires nécessaires pour fournir un repas aux élèves en demi-pension sont au nombre des services étroitement liés à l’enseignement scolaire », d’autre part, que le droit interne ne méconnaît pas les objectifs de la Directive « en ce qu’il ne prévoit pas qu’un établissement scolaire puisse opter pour l’assujettissement à la TVA des fournitures de repas aux élèves par les cantines scolaires ».

C’est cette ordonnance que la commune vous demande d’annuler, étant indiqué qu’un pourvoi, affecté à la 3ème chambre et au stade de l’admission, a été introduit sous le n° 442538 par la commune voisine de Marsac-sur-l’Isle contre une ordonnance identique du 16 juin 2020.

Pour conclure ce prologue, nous relevons enfin que si la décision attaquée est une ordonnance, au demeurant sommairement et imparfaitement motivée, de rejet pour défaut manifeste de fondement de la requête d’appel, la question que soulève la demande de la commune de Sarlat, inédite dans votre jurisprudence et d’un grand intérêt pratique pour les collectivités territoriales, est loin d’être évidente et a d’ailleurs donné lieu à des jurisprudences divergentes des juges du fond, les tribunaux administratifs de Toulouse et de Limoges ayant statué en sens opposé par des jugements plus rigoureusement motivés [3].

2.- Trois moyens sont invoqués à l’appui du pourvoi, dans un ordre contestable, car la commune fait porter sa critique, d’abord, sur l’ordonnance en tant qu’elle a jugé que l’activité de restauration scolaire était exonérée et, ensuite seulement, sur l’ordonnance en tant qu’elle a jugé (ou aurait à tout le moins jugé) que la commune était placée en dehors du champ de la taxe, c'est-à-dire qu’elle n’avait pas la qualité d’assujettie.

2.1.- La commune reproche à l’auteur de l’ordonnance attaquée, par son deuxième moyen, d’avoir commis une erreur de droit en jugeant que la loi ne lui permettait pas d’opter pour un assujettissement à la TVA de la fourniture de repas aux élèves.

Elle se prévaut des dispositions du premier alinéa de l’article 256 B du CGI (N° Lexbase : L5161HLQ) qui, tout en prévoyant le non-assujettissement à la TVA des personnes morales de droit public pour certaines de leurs activités exercées en tant qu’autorités publiques, opère un retour à la règle générale d’assujettissement à la taxe de toute personne exerçant à titre onéreux une activité économique lorsque le non-assujettissement de la personne publique en cause est à l’origine de distorsions de concurrence d’une certaine importance.

Il est certain que l’ordonnance, dont la rédaction est assez flottante, a au moins implicitement admis que la commune était placée en dehors du champ de la taxe, sans quoi elle n’aurait normalement pas eu à prendre parti sur le point de savoir si elle exonérée sur le fondement de l’article 261, 4, 4°, a, puisque la question de savoir si un assujetti peut prétendre à une mesure d’exonération, et avoir ainsi la qualité d’assujetti non redevable, se pose en aval de celle d’un éventuel non-assujettissement [4].

Nous signalons d’emblée que la question de l’assujettissement fait consensus entre le ministre et la commune : les parties considèrent en effet que l’activité de restauration scolaire est bien dans le champ de la TVA. Le ministre mentionne en peu de mots que « le caractère concurrentiel de l’activité en cause exclut la collectivité » du champ d’application de l’article 256 B du CGI. Et la commune revendique, de son côté, depuis l’origine du contentieux, son assujettissement, tout en faisant valoir que son non-assujettissement entraînerait des distorsions de concurrence d’une certaine importance sur le marché au détriment des opérateurs privés. Il s’agit cependant d’une question d’ordre public dont vous seriez fondé à vous saisir d’office si vous n’étiez saisis d’un moyen en ce sens.

Or, pour des raisons tout à fait voisines de celles que nous venons de rappeler dans l’affaire « Commune de Castelnaudary » (CE 8ème et 3ème ch.-r., 28 mai 2021, n° 442378, publié au recueil Lebon), il nous semble difficile de nous unir au consensus ambiant dès lors que, d’une part, la commune agit en tant qu’autorité publique, dans le cadre du régime de droit public qui lui est applicable, en définissant par des décisions à caractère réglementaire les modalités d’organisation du service public, lorsqu’elle assure le service de la restauration scolaire, d’autre part que, sur le marché de la restauration scolaire dans les établissements d’enseignement du premier degré, la seule présence des grands opérateurs privés de la restauration collective ne doit pas occulter la réalité des conditions d’exploitation qui conduisent à écarter l’existence d’une concurrence véritable.

Il résulte en effet de l’article 147 de la loi n° 98-657, du 29 juillet 1998, d’orientation relative à la lutte contre les exclusions que les tarifs les plus élevés pratiqués par un service public administratif à caractère facultatif ne peuvent être supérieurs au coût par usager de la prestation concernée. Cette règle générale est déclinée pour la restauration scolaire par les dispositions de l’article R. 531-53 du Code de l’éducation (N° Lexbase : L3682IE4) dont il résulte que les tarifs pratiqués, qui sont fixés par la collectivité territoriale ayant la charge de l’établissement desservi, « ne peuvent, y compris lorsqu'une modulation est appliquée, être supérieurs au coût par usager résultant des charges supportées au titre du service de restauration, après déduction des subventions de toute nature bénéficiant à ce service ».

Dans un schéma de fixation administrative d’un prix qui se trouve en tout état de cause plafonné au coût de revient, nous avons beaucoup de mal à trouver des indices d’une concurrence réelle et non faussée et à nous faire à l’idée que le non-assujettissement de la commune à la TVA serait, par lui-même, la cause d’une distorsion de concurrence résultant de ce que les opérateurs privés seraient taxés alors que les collectivités territoriales ne le seraient pas [5].

2.2.- À supposer que vous considériez que l’activité économique en cause est dans le champ de la taxe, au motif qu’il ne serait pas établi que la commune agit en tant qu’autorité publique (ce que nous pouvons admettre) ou que des distorsions de concurrence d’une certaine importance seraient identifiables (ce dont nous doutons sérieusement), il resterait à déterminer si elle n’est pas exonérée.

Par le premier moyen de son pourvoi, la commune soutient qu’en regardant la restauration scolaire comme une prestation étroitement liée à l’enseignement scolaire, comme telle exonérée de TVA, le président de la 4ème chambre de la cour de Bordeaux a entaché son ordonnance d’erreur de droit.

Il n’est peut-être pas inutile de commencer par cerner les contours de la notion même d’enseignement scolaire au sens du régime de la TVA, avant de s’intéresser à la notion de prestations étroitement liées.

Il résulte de la jurisprudence communautaire que « la transmission de connaissances et de compétences entre un enseignant et des élèves est un élément particulièrement important de l’activité d’enseignement » [6] (cela ne surprend pas) et que « la notion d’« enseignement scolaire ou universitaire », aux fins du régime de la TVA, renvoie, en général, à un système intégré de transmission de connaissances et de compétences portant sur un ensemble large et diversifié de matières, ainsi qu’à l’approfondissement et au développement de ces connaissances et de ces compétences par les élèves et les étudiants au fur et à mesure de leur progression et de leur spécialisation au sein des différents degrés constitutifs de ce système » [7].

La cour a précisé que la notion ne se limitait pas aux enseignements qui conduisent à des examens mais comprenait « d’autres activités dans lesquelles l’instruction est donnée dans des écoles ou des universités en vue de développer les connaissances et les aptitudes des élèves ou des étudiants, pourvu que ces activités ne revêtent pas un caractère purement récréatif » [8].

La notion d’enseignement recouvre ainsi des activités « qui se distinguent tant du fait de leur nature propre [la transmission de connaissances et de compétences] qu’en raison du cadre dans lequel s’effectue leur exercice » [écoles, collèges, lycées, universités, centres de formation d’apprentis et autres établissements d’enseignement général ou technique] ».

En conclusion, l’activité d’enseignement « est constituée par un ensemble d’éléments qui incluent concomitamment ceux relatifs aux relations s’établissant entre enseignants et étudiants ainsi que ceux formant le cadre organisationnel de l’établissement dans lequel l’instruction est fournie » [9].

Ceci étant posé, on peut rappeler que la Cour de justice s’est penchée à trois reprises sur la notion de prestations de services « étroitement liées » à l’enseignement :

  • dans son arrêt « Commission c/ Allemagne » [10] de 2002, elle a jugé que l’Allemagne avait méconnu les objectifs de la sixième directive en exonérant les activités de recherche exercées à titre onéreux par des établissements publics d’enseignement supérieur car, bien qu’elles soient « fort utiles à l’enseignement universitaire », elles n’étaient pas indispensables pour atteindre l’objectif de formation des étudiants en vue de leur permettre d’exercer une activité professionnelle ;

 

  • dans l’affaire « Horizon College » [11] de 2007, elle était interrogée sur le cas d’un établissement d’enseignement qui mettait à titre onéreux à disposition d’un autre établissement d’enseignement du personnel d’enseignement ;
  • enfin dans l’arrêt « Brockenhurst College » [12] de 2017, elle était interrogée sur l’exonération des prestations à titre onéreux de services de restauration et de spectacles fournies par les élèves d’un établissement d’enseignement dans le cadre de leur formation initiale, et plus précisément de travaux pratiques.

La Directive de 2006 ne comportant pas de définition de la notion de prestations de services « étroitement liées », la Cour a apporté cinq précisions, les plus importantes étant celles qui ne découlent pas directement des textes appliqués.

i) elle a observé que les exonérations mentionnées à l’article 132 de la Directive avaient pour objet de favoriser certaines activités d’intérêt général : celles et uniquement celles qui sont mentionnées spécialement et de manière détaillée par cet article ;

ii) elle a rappelé que l’article 132 était d’interprétation stricte tout en soulignant que l’interprétation retenue ne devait pas priver d’effets utiles l’exonération ; elle a même observé, dans l’arrêt « Commission c/ Allemagne » [13] et dans un arrêt « MDDP » [14] qu’une interprétation « particulièrement stricte » serait malvenue dans la mesure où l’exonération des prestations liées est destinée à éviter de renchérir le coût de l’enseignement, prestation principale ;

iii) la Cour a dit, comme elle l’avait fait pour les prestations liées à une prestation de soins médicaux exonérée [15], que des opérations ne sauraient être considérées comme étroitement liées à l’enseignement que tant qu’elles sont effectivement fournies en tant que prestations accessoires, c’est-à-dire lorsqu’elles ne constituent pas pour la clientèle une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire ;

iv) la Cour a rappelé qu’en vertu des termes mêmes du i) du paragraphe 1 de l’article 132, tant la prestation principale d’enseignement que la prestation étroitement liée devaient être effectuées par des organismes de droit public de même objet ou par d’autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l’État membre ;

et v) la Cour a rappelé qu’en vertu des dispositions de l’article 134 de la Directive, les opérations étroitement liées ne peuvent être exonérées que si elles sont indispensables à l’accomplissement de la prestation principale et si elles ne sont essentiellement destinées à procurer à l’organisme des recettes supplémentaires par la réalisation d’opérations effectuées en concurrence directe avec celles d’entreprises commerciales soumises à la TVA.

Il vous reste à appliquer cette batterie d’indications au cas des cantines scolaires en vue de choisir, à notre avis, entre les deux seules solutions que sont soit le rejet du pourvoi, soit le renvoi d’une question préjudicielle à la Cour de justice.

C’est en faveur de la solution de rejet que nous nous sommes déterminé, au bénéfice des observations suivantes.

1°) Nous ne sommes pas dans la configuration d’une prestation de services ou d’une livraison de biens à titre onéreux qui serait réalisée par un établissement d’enseignement au profit de tiers. Les destinataires de la prestation principale (l’enseignement scolaire) et de la prestation accessoire (la restauration scolaire) sont les mêmes : ce sont les élèves.

2°) Si la restauration ne peut, en elle-même, être regardée comme une activité d’enseignement, nonobstant sa dimension éducative, la CJUE inclut dans l’enseignement, nous l’avons souligné, non seulement les relations enseignants-élèves, mais aussi « les éléments […] formant le cadre organisationnel de l’établissement ». Or les élèves demi-pensionnaires prennent leurs repas, en règle générale, dans les lieux mêmes de leur établissement scolaire, dans l’enceinte duquel la cantine est située. De ce point de vue, et même si les personnels qui fournissent l’une et l’autre activité n’ont pas le même employeur, le restaurant scolaire nous paraît constituer un élément du cadre organisationnel de l’école. Le lien étroit revêt dans cette mesure une dimension topographique : mêmes clients donc, et mêmes lieux.

3°) La commune qui fournit la prestation de services de restauration scolaire en régie est un « organisme de droit public de même objet » que « l’organisme » exerçant l’activité d’enseignement au sens du i) du paragraphe 1 de l’article 132, étant rappelé qu’en vertu des dispositions du Code de l’éducation et du CGCT [16], « la commune a la charge des écoles publiques » [17], même si c’est l’État qui définit les programmes, fixe le calendrier scolaire, organise les examens, recrute et emploie le personnel enseignant et de direction.

4°) Si la restauration scolaire ne constitue pas, pour les élèves, une fin en soi, elle est néanmoins le moyen d’obtenir la prestation principale aux meilleures conditions, et répond pour ce motif à la définition de la prestation accessoire ; il est assez évident que, compte tenu de l’organisation du temps scolaire en France, qui repose sur le principe d’une journée entière passée au sein de l’établissement scolaire, sous réserve du mercredi, la cantine permet aux élèves de profiter complètement du temps consacré aux apprentissages ; la transmission des connaissances et des compétences ne serait pas de même qualité si les élèves avaient le ventre vide l’après-midi ou s’ils devaient faire un long trajet aller-retour entre leur domicile et l’établissement, sans compter que, pour certains élèves, la qualité nutritionnelle et la variété des repas pris à la cantine peuvent être très supérieures à celles des repas pris dans leur famille ou de pique-niques qu’ils apporteraient.

5°) Soumettre à la taxe la fourniture de repas par les cantines aurait certes pour effet de procurer à la commune un surcroît de ressources, compte tenu de l’insuffisance structurelle des recettes sur les dépenses, mais elle aurait concomitamment pour effet de renchérir le coût de l’enseignement pour les parents d’élèves, ce qui va directement à l’encontre de l’objectif poursuivi par les exonérations prévues par la Directive.

6°) Notre dernière observation concerne le caractère indispensable de la restauration scolaire à l’accomplissement de l’activité d’enseignement, qui ne peut se résumer à la seule utilité pour la prestation principale de la prestation accessoire.

Cette condition nous confronte à un paradoxe qui tient à ce que la restauration scolaire est un service public facultatif, ainsi que le retient votre arrêt de Section « Commissaire de la République de l’Ariège c/ Commune de Lavelanet » du 5 octobre 1984, aux termes duquel : « la création d’une cantine scolaire présente pour la commune […] un caractère facultatif » [18], et ainsi que l’a rappelé le législateur lorsqu’il a inséré dans le code de l’éducation, en 2017 [19], un article L. 131-31 affirmant que l’inscription à la cantine des écoles primaires est un droit pour tous les enfants scolarisés, « lorsque ce service existe ». Et même lorsque le service existe, votre récent arrêt Commune de Besançon (CE 4° et 1° ch.-r., 22 mars 2021, n° 429361, publié au rec., concl. R. Chambon N° Lexbase : A00384MD) juge que la collectivité territoriale qui en est responsable peut légalement refuser d’y admettre un élève lorsque, à la date de la décision, la capacité maximale d’accueil du service est atteinte. Enfin, la fréquentation de la cantine est également facultative pour les élèves, dont les parents peuvent privilégier d’autres choix, pour des raisons pratiques, économiques ou du fait de leurs convictions religieuses.

Vous pourriez être tentés d’en tirer qu’un service public facultatif ne saurait constituer le complément indispensable de l’activité d’enseignement.

Toutefois, nous pensons que le paradoxe n’est qu’apparent.

Le caractère indispensable de la prestation accessoire par rapport à l’activité principale doit résulter, selon la Cour de justice, de ce que la première est d’une nature ou d’une qualité telle que, sans son concours, il ne saurait être assuré que l’enseignement dont bénéficient les élèves est d’une valeur équivalente. Or nous croyons fermement que tel est le cas.

On peut bien sûr concevoir des écoles sans cantine. Il y en a d’ailleurs, quelques-unes. Et, sans restauration scolaire, les élèves pourraient malgré tout s’alimenter, en apportant le pique-nique préparé par les parents ou en retournant chez eux, lorsque la distance le permet et que les parents ou des proches sont disponibles pour confectionner des repas.

Mais l’on voit bien que cette organisation non seulement n’est pas optimale pour les élèves, leurs parents et leurs professeurs, dans une société développée, mais aussi ne favorise pas l’atteinte des objectifs assignés au service public de l’éducation, alors que le code de l’éducation rappelle qu’il est « conçu et organisé en fonction des élèves », qu’il « contribue […] à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative », qu’il « a pour but de renforcer l’encadrement des élèves dans les écoles et établissements d’enseignement situés dans des zones d’environnement social défavorisé et des zones d’habitat dispersé » [20] et comprend des actions d’éducation à la santé [21] et, maintenant, d’éducation à l’alimentation [22].

Or, ainsi que le retient encore l’arrêt « Commune de Besançon », un intérêt général s’attache à ce que tous les élèves puissent bénéficier du service public de la restauration scolaire. Et si la cantine est un inlassable sujet de débat au sein de la communauté éducative, parfois aussi un objet de polémique électorale [23], c’est qu’il ne se réduit pas à une dimension strictement alimentaire : c’est aussi, et de manière croissante, un lieu d’apprentissage de la vie collective, du goût, des bonnes pratiques nutritionnelles, et comme le montre le cas de Sarlat, un bon moyen de sensibiliser les enfants à l’origine et à la qualité des produits qu’ils consomment, à la saisonnalité ou au bien-être animal.

Au bout de notre réflexion, nous sommes en définitive étreints par le même sentiment d’évidence qui a saisi l’auteur de la décision attaquée et l’a conduit à juger, par une simple ordonnance, qu’on ne pouvait sérieusement nier que la cantine scolaire est en lien étroit avec l’enseignement scolaire.

Enfin, il nous paraît assez manifeste que l’activité de restauration scolaire n’est pas essentiellement destinée à procurer à la commune des recettes supplémentaires au sens des dispositions du b) de l’article 134 de la Directive, pour les raisons qui ont été dites en ce qui concerne la tarification plafonnée au coût de revient [24].

2.3.- Le dernier moyen de la commune peut être plus rapidement écarté. Il est tiré de ce que l’auteur de l’ordonnance l’aurait entachée d’erreur de droit en lui opposant que le droit à remboursement d’un crédit de TVA était subordonné à la condition d’une collecte effective de la TVA par la commune.

Si l’ordonnance jugeait cela, il faudrait l’annuler car il s’agirait d’une erreur grossière.

Si la directive subordonne le bénéfice du droit à déduction tant à des exigences de fond [25] qu’à des conditions de forme, qui intéressent en particulier les modalités d’exercice du droit à déduction et de son contrôle par l’administration et concernent la comptabilité, la facturation et les déclarations, la jurisprudence constante de la Cour de justice est en ce sens que le principe fondamental de neutralité de la TVA exige que la déduction de la TVA amont soit accordée dès lors que les exigences de fond sont satisfaites, quand bien même certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis (CJUE, 21 octobre 2010, aff. C-385/09 Nidera Handelscompagnie BV (N° Lexbase : A2204GCM) ; CJUE, 28 juillet 2016, aff. C-332/15, point 45, Astone (N° Lexbase : A0125RYB) ; CJUE, 12 septembre 2018, aff. C-69/17, point 34, Siemens Gamesa N° Lexbase : A7628X3W).

Est ainsi fondé à faire valoir son droit à déduction l’assujetti qui a omis de s’identifier à la TVA, de déclarer un commencement d’activité ou de souscrire une déclaration de TVA, s’il remplit les conditions de fond de la déduction [26] et agit dans les délais de réclamation fixés par l’État membre concerné.

Un assujetti peut ainsi apporter pour la première fois la démonstration, dans une réclamation présentée sur le fondement de l’article L. 190 du LPF (N° Lexbase : L3311LCM), par laquelle il demande bénéfice du droit à déduction résultant des dispositions législatives et réglementaires assurant la transposition de la directive, qu’il avait la qualité d’assujetti et qu’il remplissait les autres conditions de fond pour bénéficier du droit à déduction, sans qu’on puisse lui opposer qu’il n’ait pas facturé la taxe et qu’il ne l’ait ni collectée ni reversée au Trésor.

Toutefois, malgré les imprécisions de la rédaction, nous ne pensons pas que l’ordonnance doive être lue comme ayant fondé la solution de rejet de l’appel sur le motif erroné tiré de ce que la commune n’aurait pas effectivement collecté et reversé la TVA au Trésor, cette circonstance ayant été relevée « en passant », comme une pure circonstance de fait dont il est possible de faire abstraction.

Par ces moyens nous concluons au rejet du pourvoi.

 

[1] Aux termes duquel « Sont exonérés de la TVA : / […] 4° a. les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées dans le cadre : / de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur dispensé dans les établissements publics et les établissements privés […] ».

[2] Directive 77/388/CEE, du Conseil du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme.

[3] TA Toulouse, 16 avril 2019, n° 1800067, 1800068, 1800069, « Commune de Cornebarrieu » ; TA Limoges, 26 décembre 2019, n° 1701293, « Commune de Déols ».

[4] Cf. sur cette logique l’avis contentieux « Centre hospitalier de Vire » (CE 9° et 10° ch.-r., 12 avril 2019, n° 427540 (N° Lexbase : A2813Y93), RJF, 2019, n° 642, concl. E. Bokdam-Tognetti C642),

[5] CJUE, 25 mars 2010, aff. C-79/09, Commission c/ Pays-Bas, point 90 (N° Lexbase : A9885ETB).

[6] CJUE, 28 janvier 2010, aff. C-473/08, Eulitz, point 30 (N° Lexbase : A6692EQW).

[7] CJUE, 14 mars 2019, aff. C-449/17, A & G Fahrschul-Akademie GmbH, point 26 (N° Lexbase : A6940Y3G).

[8] CJUE, 28 janvier 2010, aff. C-473/08, Eulitz ; point 29.

[9] CJCE., 14 juin 2007, aff. C-434/05, Horizon college, points 18 à 20 (N° Lexbase : A8188DW8) et arrêt Eulitz, point 30.

[10] CJCE, 20 juin 2002, aff. C-287/00, Commission c/ Allemagne (N° Lexbase : A2776A39).

[11] Cf. arrêt « Horizon College » précité.

[12] CJUE, 4 mai 2017, aff. C-699/15, Brockenhurst College (N° Lexbase : A9962WBL).

[13] Cf. sur ce point l’arrêt « Commission c/ Allemagne » précité, point 47.

[14] CJUE, 28 novembre 2013, aff. C-319/12, MDDP sp. z o.o. Akademia Biznesu, point 26 (N° Lexbase : A4048KQY).

[15] La Cour a renvoyé aux points 27 à 30 d’un arrêt du 11 janvier 2001, « Commission/France » (aff. C‑76/99 N° Lexbase : A0203AWG) ainsi qu’aux points 17 et 18 d’un arrêt du 1er décembre 2005 « Ygeia » (aff. C-394/04 et aff. C-395/04 N° Lexbase : A7840DLX), à propos des dispositions similaires du b) du paragraphe 1 du A de l’article 13 de la sixième Directive, reprises au b) du paragraphe 1 de l’article 132 de la Directive de 2006.

[16] L’article L. 2121-30 du CGCT (N° Lexbase : L8544AAP) donne compétence au conseil municipal pour décider de la création et de l’implantation des écoles et classes élémentaires et maternelles d’enseignement public, dans le cadre de la répartition française des compétences entre l’État () et les collectivités territoriales (qui possèdent et gèrent les locaux, organisent les activités périscolaires, le cas échéant logent les instituteurs et emploient du personnel périscolaire).

[17] Cf. article L. 212-4 du Code de l’éducation.

[18] CE Section, 5 octobre 1984, n° n° 47875, Commissaire de la République de l’Ariège c/ Commune de Lavelanet (N° Lexbase : A5613ALH), rec. p. 315. Cette solution a été confirmée pour ce qui concerne les départements, s’agissant des collèges (CE 3° et 8° ch.-r., 24 juin 2019, n° 409659, Département d’Indre-et-Loire, rec. p. 226 N° Lexbase : A3717ZGR), en dépit de la rédaction de l’article L. 213-2 du code de l’éducation, dans sa rédaction issue de l’article 82 de la loi du 13 août 20014 relative aux libertés et responsabilités locales, selon lequel « Le département a la charge des collèges. À ce titre, il en assure […] le fonctionnement […]. Le département assure l’accueil, la restauration, l’hébergement […] dans les collèges dont il a la charge ». La solution vaut symétriquement pour les régions, en ce qui concerne les lycées.

[19] Par l’article 186 de la loi n° 2017-86, du 27 janvier 2017, relative à l’égalité et citoyenneté (N° Lexbase : L6432LC9).

[20] C. éduc., art. L. 111-1 (N° Lexbase : L6766LRZ).

[21] C. éduc., art. L. 121-4-1 (N° Lexbase : L3161L4T).

[22] C. éduc., art. L. 312-7-3.

[23] Cf. CE 3° ss, 9 juin 2015, n° 385327 (N° Lexbase : A8995NM4).

[24] Au surplus, la Cour de justice considère que les exonérations de l’article 132, paragraphe 1, sous i), combinées à celles de l’article 134, ne s’opposent pas à ce que des opérations étroitement liées aux prestations de services éducatifs exonérées soient elles-mêmes exonérées de TVA y compris lorsqu’elles sont fournies par des organismes non publics à des fins commerciales (v. arrêt « MDDP » précité, points 32 et 33).

[25] Avoir la qualité d’assujetti, avoir bénéficié d’une livraison de biens ou d’une prestation de services rendue par un autre assujetti ; utiliser en aval les biens ou les services grevés de la TVA pour les besoins de ses propres opérations taxée.

[26] Il n’en va différemment qu’en cas de fraude ou si la violation des exigences formelles a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites (CJUE, 12 juillet 2012, aff. C-284/11, EMS-Bulgaria Transport, point 71 N° Lexbase : A8483IQA).

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Voies d'exécution

[Jurisprudence] Enchères immobilières : mise en garde sur la garantie de solvabilité de l’adjudicataire

Réf. : Cass. civ. 2, 20 mai 2021, n° 20-15.111, F-P (N° Lexbase : A25274SE)

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par Aude Alexandre Le Roux, avocat associé AARPI TRIANON Avocats, secrétaire-adjoint de l’AAPPE.

Le 18 Juin 2021


Mots-clés : vente aux enchères publiques • séquestre • caisse des dépôts et consignation (CDC), adjudicataire •caution bancaire • irrévocable • chèque de banque • garantie autonome • ordonnance juge commissaire •vente sur liquidation judiciaire • adjudication • cahier des conditions de vente

Fidèle à sa stricte position en matière de justificatif de solvabilité de tout candidat adjudicataire, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation refuse de considérer que la garantie autonome telle que prévue à l’article 2321 du Code civil (N° Lexbase : L1145HIA) puisse s’assimiler aux garanties prévues à l’article R. 322-41 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L2460ITB).


 

Par arrêt rendu en date du 20 mai 2021, la Cour de cassation apporte une précision complémentaire aux garanties de solvabilité dont peut justifier l’adjudicataire lors des ventes aux enchères publiques à la barre du tribunal judiciaire.

Le contexte de la vente aux enchères est particulier puisqu’il s’agit d’une vente aux enchères publiques intervenant sur liquidation judiciaire de la société Jean Caby. 

Ladite vente d’un ensemble immobilier ainsi que d’une partie d’immeuble à usage industriel a été autorisée par ordonnance du juge commissaire.

En dépit de son caractère juridictionnel, l’ordonnance autorisant la vente par adjudication rendue par le juge commissaire est soumise au délai de validité du commandement de saisie immobilière et ce par renvoi de l’article R. 642-27 du Code de commerce (N° Lexbase : L2658ITM) aux règles strictes du Code des procédures civiles d’exécution et plus spécialement à ses titres « Ier et II du livre III du Codes des procédures civiles d’exécution ».

Par avis rendu en date du 18 avril 2018, la Chambre commerciale a tranché la question de la compétence du juge pouvant connaître de la demande de prorogation des effets de ladite ordonnance à la faveur du juge de l’exécution (Cass. avis, 18 avril 2018, n°15009 N° Lexbase : A5577XL7).

Anciennement fixé à deux ans, ce délai de validité a été porté à cinq ans par le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 (N° Lexbase : Z7419194), disposition entrée en vigueur au 1er janvier 2021. 

Cette nouvelle durée de validité est applicable aux instances en cours. Attention toutefois, concernant la prorogation des ordonnances ayant déjà fait l’objet d’une prorogation pour une durée de deux ans par jugement rendu par le juge de l’exécution, il convient de se référer aux observations formulées relatives au commandement de saisie [1].

L’audience d’adjudication se tient le 5 juin 2019. À l’issue de l’écoulement du chronomètre de 90 secondes suivant la dernière enchère, la société Sofim Promotion est déclarée adjudicataire au prix de 18 500 000 euros. 

L’avocat des liquidateurs soulève la nullité de la dernière enchère, et partant, de l’adjudication, au motif que la garantie produite n’est pas conforme à la lettre de l’article R. 322-41 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L2460ITB), qui prévoit que l’adjudicataire remet à son avocat, avant de porter les enchères une caution bancaire irrévocable ou un chèque de banque représentant 10 % de la mise à prix avec un minimum de 3 000 euros. 

L’avocat des liquidateurs objecte notamment que la garantie produite n’a effet que jusqu’au 16 août 2019, soit dans un délai inférieur à celui laissé à l’adjudicataire par le cahier des conditions de vente pour s’acquitter du prix de vente.

Par jugement d’adjudication du même jour, le juge de l’exécution de Lille annule l’enchère portée par l’avocat de la société Sofim Promotion et constate la nullité de l’adjudication intervenue à son profit.

Sur les nouvelles enchères portées consécutivement, l’immeuble est adjugé au profit de la société Dubois Promotion au prix de 18 160 000 euros.

L’adjudicataire initial évincé interjette appel du jugement d’adjudication. 

Le jugement d’adjudication déroge au principe posé par le premier alinéa de l’article R. 311-7 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L7260LEM) selon lequel les jugements rendus en matière de saisie immobilière sont susceptibles d’appel. Le jugement d’adjudication ne peut donc être frappé d’appel. Exception est toutefois faite par le deuxième alinéa de l’article R. 322-60 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L2479ITY) lorsqu’il tranche une contestation. Dans cette hypothèse, appel peut en être interjeté de ce chef dans un délai de 15 jours suivant sa notification.

La cour d’appel de Douai confirme le jugement déféré.

Sofim Promotion se pourvoit en cassation. À l’appui de son pourvoi, elle fait grief à la cour d’appel d’avoir confirmé le jugement d’adjudication du juge de l’exécution de Lille en retenant notamment, pour annuler son enchère, que la garantie présentée n’était pas conforme dès lors qu’elle prenait fin le 17 août 2019, soit avant l’expiration du délai prévu pour le paiement du prix par l’adjudicataire, alors qu’aucune disposition du Code des procédures civiles d’exécution, ni davantage le cahier des conditions de vente n’imposait cette condition de durée.

Le demandeur au pourvoi souligne ainsi la violation des articles R. 322-41 et R. 322-56 (N° Lexbase : L2475ITT) du Code des procédures civiles d’exécution. Il objecte en outre que la sanction prononcée par la cour d’appel est disproportionnée comparativement à la légère défaillance de la consignation et à la privation de la propriété devant en résulter au visa des articles R. 322-48 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L2467ITK) et de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

La Cour de cassation n’est pas sensible à cette argumentation et, par un motif de pur droit substitué à ceux critiqués, rappelle les dispositions de l’article R. 322-41 du Code des procédures civiles d’exécution ; partant elle constate que la garantie fournie en l’espèce s’intitule « garantie autonome (article 2321 du Code civil paiement à terme) paiement à terme » et n’est donc pas un cautionnement bancaire irrévocable. 

En conséquence, elle rejette le pourvoi.

I.L’incidence de la validité de la garantie de solvabilité de l’adjudicataire sur la validité de l’adjudication ou de la surenchère 

Les garanties permettant au candidat de porter les enchères sont énumérées à l’article R. 322-41 du Code des procédures civiles d’exécution (A), l‘irrespect de ces exigences pourra entraîner la nullité de l’adjudication (B).

A.Les garanties actuelles

Afin de participer à une vente aux enchères à la barre du tribunal judiciaire, tout amateur doit justifier de sa solvabilité. Ainsi, l’article R. 322-41 du Code des procédures civiles d’exécution dispose qu’avant de porter les enchères, l’avocat se fait remettre par son client un chèque de banque correspondant à 10 % du montant de la mise à prix, avec un minimum de 3 000 euros ou une caution bancaire irrévocable.

Cette disposition est pleinement applicable aux ventes sur liquidation judiciaire par renvoi de l’article R. 642-27 du Code de commerce.

En pratique, l’enchère portée au profit d’un amateur dont la garantie de solvabilité ne respecterait pas le formalisme visé à cet article encourt la nullité.

A cet égard, par un mécanisme qui permet d’alléger incontestablement le nombre d’incidents qui pourraient survenir lors de l’audience d’adjudication la lettre de l’article R. 322-48 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit qu’une enchère régulièrement portée couvre la nullité des enchères précédentes.

Toutefois, la nullité de la dernière enchère entraîne de plein droit la nullité de l’adjudication (CPCEx, art. R. 322-48 al.3).

Toujours dans un souci de célérité et compte tenu des enjeux et du coût que représente la tenue de l’audience d’adjudication, les contestations relatives à la validité des enchères sont formées verbalement à l’audience. Le juge de l’exécution doit donc statuer sur le champ et le cas échéant reprendre la tenue des enchères ab initio (CPCEx, art. R. 322-49 (N° Lexbase : L2468ITL).

C’est précisément dans ces conditions que l’avocat des liquidateurs de la société Jean Caby fut amené à émettre une contestation à l’encontre de la garantie produite par Sofim Promotion s’apercevant que cette dernière contenait une limite de validité au 16 août 2019, date à laquelle sa défaillance n’aurait pas pu être constatée et la garantie autonome actionnée. En effet, la vente étant intervenue le 5 juin 2019, l’adjudicataire détenait la possibilité de payer le prix jusqu’au 17 septembre 2019. 

Les délais de paiement du prix de vente sur liquidation judiciaire dérogent en effet aux délais de paiement applicables aux ventes sur adjudication sur licitation ou sur saisie immobilière.

L’adjudicataire dispose d’un délai de trois mois à compter de la date de vente définitive pour s’acquitter du prix de vente et ce, à peine de réitération des enchères.

(Article 12 du cahier des conditions de vente en matière de vente des actifs immobiliers dependant d'une liquidation judiciaire).

Outre les délais, les modalités de paiement du prix diffèrent également. Ainsi à l’occasion d’une vente sur liquidation judiciaire, le prix de vente est versé entre les mains du liquidateur qui en délivrera reçu. A la différence des ventes sur licitation ou sur saisie immobilières lors desquelles le prix est consigné entre les mains du séquestre désigné au cahier des conditions de vente.

En outre, le prix d’une vente sur liquidation judiciaire produit intérêts à compter de la date d’adjudication définitive, ces intérêts seront en outre majorés de cinq mois à compter d’un délai de cinqmois suivant la date d’adjudication définitive conformément aux dispositions de l’article L. 313-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7599HIB) (article 10 du cahier des conditions de vente). Ce mode de calcul des intérêts diffère grandement des ventes sur licitation ou sur saisie immobilière à l’occasion desquelles le cours des intérêts ne commence à courir que dans un délai de deux mois suivant la date d’adjudication définitive (article 15 du cahier des conditions de vente sur saisie immobilière et article 13 du cahier des conditions de vente sur licitation).

L’avocat intervenant en matière de vente aux enchères judiciaires devra ainsi prendre garde à alerter son client sur l’impact de ces intérêts, qui n’est pas neutre dans la fixation du prix d’adjudication et de l’enveloppe globale destinée à l’acquisition. Il devra également se libérer valablement du prix de vente entre les mains du liquidateur et non pas du séquestre. En effet, dans cette hypothèse, à défaut de règlement dans le délai de trois mois précité, la réitération des enchères pourrait être poursuivie. 

L’avocat devra en outre alerter son client sur le fait que par analogie avec les ventes sur saisie immobilière, l’adjudicataire défaillant d’une vente sur liquidation judiciaire ne peut prétendre répéter les sommes déjà versées. Sa défaillance est donc lourdement sanctionnée.

Le juge de l’exécution faisait droit à cette analyse annulait l’enchère portée par Sofim Promotion au prix de 18 500 000 euros, et s’agissant de la dernière enchère, prononçait la nullité de l’adjudication.

Au surplus, devant la cour d’appel les liquidateurs soutiennent que ladite garantie contrevenait aux dispositions de l’article R. 322-41 du Code des procédures civiles d’exécution et ne constituait pas une caution bancaire irrévocable, la banque l’ayant justement révoquée afin d’en émettre une nouvelle dans les minutes ayant suivi l’adjudication.

Le juge de l’exécution fait droit à cette analyse annulait l’enchère portée par Sofim Promotion au prix de 18 500 000 euros et s’agissant de la dernière enchère prononçait la nullité de l’adjudication.

B.Des garanties similaires lors de l’audience d’adjudication initiale ou de surenchère 

La Cour de cassation fait preuve d’un rigorisme certain concernant l’application de l’article R. 322-41 du Code des procédures civiles d’exécution et des justificatifs de solvabilité admis afin de porter les enchères. Diverses tentatives de substitution à ces garanties ont surgi à l’occasion de surenchères. En effet, à l’occasion de celles-ci l’avocat atteste seulement s’être fait remettre de son mandant une caution bancaire irrévocable ou un chèque de banque du dixième du prix principal de la vente (CPCEx, art. R. 322-51 N° Lexbase : L2470ITN) à la différence de l’audience d’adjudication initiale lors de laquelle la garantie remise fait l’objet d’une consignation (CPCEx, art. R. 322-41).

Ainsi, par arrêt en date du 10 mars 2011, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation refuse d’assimiler à une caution bancaire irrévocable, l’attestation de nantissement émise au profit de la CARPA. Dans ces conditions, la surenchère formée à l’appui de laquelle l’avocat du surenchérisseur attestait s’être fait remettre à la fois des chèques de banque et de ce nantissement à titre de garantie est irrecevable (Cass. civ. 2, 10 mars 2011, n° 10-15.486, F-P+B N° Lexbase : A1736HDN).

En l’état des textes, le virement fait sur le compte CARPA de l’avocat ne saurait davantage constituer la caution bancaire irrévocable attendue. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation en juge ainsi même dans l’hypothèse où les publicités annonçant la vente sur surenchère mentionnaient qu’une telle garantie pouvait être constituée pour l’audience de surenchère (Cass. civ. 2, 18 février 2016, n° 14-29.052, F-P+B N° Lexbase : A4563PZZ).

Il est vrai qu’un solde de compte CARPA peut toujours faire l’objet d’une saisie attribution et que dans une telle situation la garantie fournie se verrait purement et simplement anéantie.

II. Vers une nécessaire modernisation des garanties

À l’heure des crypto-monnaies, le recours au chèque de banque et à la caution bancaire irrévocable peut paraître pour le moins obsolète. Si une modernisation doit incontestablement être envisagée, elle devra l’être dans un cadre strict (A). L’avocat intervenant en matière de ventes aux enchères publiques immobilières verra son rôle renforcé (B).

A. Dans un cadre strict

Les ventes aux enchères publiques immobilières suscitent un intérêt croissant et drainent un public important. Des garanties financières strictes doivent donc s’appliquer compte tenu tout d’abord du coût et des enjeux de ces procédures.

En l’espèce, la cour d’appel de Douai distinguait dans cette affaire précisément les pourtours de la caution bancaire irrévocable en opposition à la garantie financière autonome, instruments de garantie fréquemment assimilés à tort, tout en distinguant la principale faiblesse de la seconde :la date de son terme et ses conséquences.

La différence fondamentale entre ces deux sûretés personnelles réside principalement dans le caractère accessoire de la caution qui suit ainsi l’obligation principale alors que la garantie autonome, par nature indépendante de l’obligation principale, comporte son propre terme extinctif. La nuance est d’importance : si la caution est toujours tenue après l’arrivée du terme par son obligation de règlement au titre des dettes nées antérieurement bien que son obligation de couverture ait pris fin, le garant sera définitivement libéré par l’arriéré du terme.

La difficulté posée par la garantie produite en l’espèce résidait dans le fait que le terme fixé était inférieur aux délais impartis à l’adjudicataire pour payer le prix, à savoir trois mois à compter de la date d’adjudication définitive (article 12 du cahier des conditions de vente) comme il l’a été évoqué supra. Dans ces conditions la garantie n’aurait pas pu être valablement actionnée dès lors qu’elle n’aurait pas été mise en œuvre avant l’écoulement de ce délai de trois mois.

Le demandeur au pourvoi tentait de résoudre cette difficulté en opposant l’alinéa 3 de l’article R. 322-41 du Code des procédures civiles d'éxécution dont la rédaction actuelle prêterait à « la somme encaissée par le séquestre ou la Caisse des dépôts et consignations est restituée dès l'issue de l'audience d'adjudication à l'enchérisseur qui n'a pas été déclaré adjudicataire »À la faveur de ces dispositions, il soutient ainsi que la garantie autonome devait faire l’objet d’un encaissement immédiat de la somme garantie dans les mêmes conditions qu’un chèque de banque. Cette appréciation erronée desdites dispositions, seul le chèque de banque faisant l’objet d’un encaissement, dénuait en outre de tout intérêt le recours à la caution bancaire au détriment du chèque de banque.

Si la question du terme de la garantie apparaît incontestablement cruciale en matière de vente aux enchères immobilières judiciaires, il n’en demeure pas moins que celle-ci pourrait sans doute être envisagée comme autre alternative aux garanties habituelles à condition toutefois de couvrir un laps de temps suffisamment important et en tout cas jusqu’à l’issue d’une éventuelle vente sur réitération.

B. La place centrale de l’avocat en matière de ventes aux enchères

L’importance des actes passés en matière de vente aux enchères immobilières et le rôle crucial de l’avocat intervenant en cette matière ont rendu nécessaire le recours au pouvoir écrit remis par son client, par dérogation au mandat général dont dispose l’avocat en toutes matières. Cette exigence était gravée à l’article 707 du Code de procédure civile ancien (N° Lexbase : L6912H77). À l’occasion du dépôt au greffe de la déclaration d’adjudicataire l’avocat devait en outre déposer une acceptation, ou présenter son pouvoir. Cette nécessité était encore accrue par l’article 12-2 alinéa 4 du Règlement Intérieur Harmonisé (RIH), (issu de la décision à caractère normatif des 26 et 27 mars 1999) « Même en présence de son client à l’audience, il doit être muni d’un pouvoir spécial de ce dernier pour enchérir et d’instructions écrites précisant le montant maximum en lettre et en chiffres de l’enchère autorisée… ».

Si ces dispositions n’ont pas été reprises au sein du Règlement Intérieur National (RIN) tel qu’issu de la décision à caractère normatif n° 2005-003 du Conseil National des Barreaux, il n’en demeure pas moins que le rôle de l’avocat intervenant en matière de ventes aux enchères publiques à la barre du tribunal est prépondérant.

Après avoir vérifié l’identité de son client, il devra s’assurer que ce dernier ne fait l’objet d’aucune interdiction d’enchérir qui frappe le débiteur saisi, les auxiliaires de justice intervenus dans la procédure, les magistrats de la juridiction devant laquelle la vente est poursuivie ou de toute personne interposée (CPCEx, art. R. 322-39 N° Lexbase : L2458IT9).

Dans un temps très restreint, il devra encore faire preuve d’un devoir de conseil quant aux différentes sommes à acquitter, quant aux conditions d’occupation du bien et leurs conséquences, quant aux interrogations résultant des renseignements figurant au cahier (copropriété le cas échéant, urbanisme…).

Il devra encore vérifier que son client n’a pas fait l’objet d’une condamnation à une peine visée à l’article L. 322-7-1 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L9882LMX) et devra se faire remettre l’attestation sur l’honneur exigée (CPCEx, art. R. 322-41-1 N° Lexbase : L8428LQ9).

Enfin, il devra vérifier la validité et la conformité de la garantie de solvabilité produite.

Les garanties limitativement énumérées à l’article R. 322-41 du Code des procédures civiles d’exécution peuvent sembler quelque peu dissuasives pour tout candidat à l’adjudication.

En effet, en pratique, les visites se tiennent quelques jours avant la date fixée pour l’audience d’adjudication. L’amateur qui souhaite porter les enchères ne se préoccupera bien souvent de l’obtention de son chèque de banque qu’à l’issue de celles-ci. Si certaines banques émettent le précieux sésame dans la journée, d’autres opposent des délais impressionnants : de 48 heures jusqu’à parfois près de dix jours. L’erreur du client ou de la banque quant à son libellé n’est pas occasionnelle mais prive de la possibilité de porter les enchères.

Dans ces conditions, certains candidats se verront d’office éliminés comptetenu de ces délais importants. S’il reste toujours la caution bancaire irrévocable, son strict formalisme évincera les non-initiés, à la faveur des professionnels marchands de biens et autres filiales.

En outre, le chèque de banque peut toujours faire l’objet d’une falsification.

Le virement bancaire constitue aujourd’hui un moyen de paiement rapide et efficace. Si la Cour de cassation refuse à ce jour de retenir comme preuve de solvabilité un virement effectué sur le compte CARPA de l’avocat, une évolution des dispositions réglementaires semble souhaitable. L’avocat justifierait ainsi avoir réceptionné de son client les 10 % de la mise à prix, somme qui pourrait, immédiatement à l’issue de l’audience d’adjudication, être remise au séquestre.

Une question d’importance mériterait également sans doute d’être étudiée à l’occasion d’une prochaine réforme. Si les garanties produites par les adjudicataires qui ne paieraient pas le prix dans les délais impartis sont acquises aux créanciers participant à la distribution, et le cas échéant au débiteur (CPCEx, art. R. 322-41) lors des ventes aux enchères publiques sur saisie immobilière, licitation ou liquidation judiciaire, la question de la garantie des frais de procédure exposés demeure également cruciale. Elle demeure bien souvent réglée par les règlements intérieurs des barreaux, bien qu’aucun texte légal ou règlementaire ne dise un mot de cette question pourtant d’importance. Certains règlements se contentent de prévoir la remise d’un chèque personnel couvrant le montant des frais préalables lorsque d’autres exigeront un chèque de banque couvrant à la fois les frais préalables, émoluments, allant même jusqu’à solliciter jusqu’à dix pour cent de l’enchère maximale. En la matière, prudence est, à n’en pas douter, mère de sûreté.

Les frais préalables d’un montant incompressible représentent pour les adjudications à prix faibles ou modérés une part de dépense non négligeable pour l’adjudicataire mais également pour le poursuivant qui doit en faire l’avance. Si la charge de ces frais demeure celle de l’adjudicataire initial en cas de défaillance de sa part (CPCEx, art. R. 322-72 N° Lexbase : L2491ITG), la difficulté de leur recouvrement par le créancier poursuivant à l’encontre de ce tiers défaillant en cas de réitération des enchères, permet de s’interroger. Une harmonisation des pratiques semble souhaitable afin de sécuriser davantage les intérêts des parties en cause.


[1] A. Alexandre Leroux, Janus ou la notion de caducité en matière de saisie immobilière, Lexbase Droit privé, février 2021, n° 854 (N° Lexbase : N6403BYS).

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