La lettre juridique n°794 du 12 septembre 2019

La lettre juridique - Édition n°794

Actes administratifs

[Brèves] Pas d’abrogation d’une instruction d'un ministre en sa qualité de chef de service à destination de ses seuls agents en raison de son absence de publication

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 24 juillet 2019, n° 427638, mentionné aux tables du recueil Lebon 5N° Lexbase : A4222ZLX)

Lecture: 2 min

N0264BYG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/53610489-edition-n-794-du-12092019#article-470264
Copier

par Yann Le Foll

Le 11 Septembre 2019

► Les instructions d’un ministre, en sa qualité de chef de service, à destination de ses seuls agents, n’entrent pas dans le champ de l’article L. 312-2 du Code des relations entre le public et l'administration, qui exige que les instructions et circulaires décrivant des procédures administratives ou interprétant le droit positif soient publiées sur un des supports légalement prévus à cette fin sous peine d’être réputées abrogées.

Ainsi statue le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 24 juillet 2019 (CE 9° et 10° ch.-r., 24 juillet 2019, n° 427638, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4222ZLX).

Par une instruction des 27 juillet et 2 août 2017, le ministre de l'Intérieur a rappelé aux services de la police nationale et aux unités de la gendarmerie nationale les conditions dans lesquelles devaient être utilisées les armes à feu dites "de force intermédiaire" (AFI). L'instruction indique que l'emploi des AFI permet une réponse graduée et proportionnée à une situation de danger lorsque l'emploi légitime de la force s'avère nécessaire. Au nombre de ces armes, figurent les lanceurs de balles de défense de calibre 40 mm ("B.. de 40 mm"), dont les conditions d'emploi sont indiquées à l'annexe II de l'instruction. 

Cette instruction, par laquelle le ministre de l'Intérieur, en sa qualité de chef de service, a défini à destination des seuls services et unités chargés du maintien de l'ordre les conditions d'utilisation des armes de force intermédiaire, ne comporte pas description des procédures administratives, ni d'interprétation du droit positif au sens et pour l'application de ces dispositions.

Elle ne peut donc être regardée comme abrogée en raison de son absence de publication sur un des supports légalement prévus à cette fin.

 

Rappelons que depuis l’arrêt «Jamart» de 1936 (CE, 7 février 1936, n° 43321 N° Lexbase : A8004AY4), tout chef de service dispose d’un pouvoir réglementaire pour organiser ses services, dans la mesure où les nécessités du service l’exigent et envers les seules personnes qui se trouvent en relation avec le service, soit qu’elles y collaborent, soit qu’elles l’utilisent.

newsid:470264

Collectivités territoriales

[Brèves] Publication de la loi visant à adapter l'organisation des communes nouvelles à la diversité des territoires

Réf. : Loi n° 2019-809 du 1er août 2019, visant à adapter l'organisation des communes nouvelles à la diversité des territoires (N° Lexbase : L7815LRU)

Lecture: 3 min

N0134BYM

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/53610489-edition-n-794-du-12092019#article-470134
Copier

par Yann Le Foll

Le 11 Septembre 2019

► La loi n° 2019-809 du 1er août 2019, visant à adapter l'organisation des communes nouvelles à la diversité des territoires (N° Lexbase : L7815LRU), a été publiée au Journal officiel du 2 août 2019. 

 

L'article 1er de la loi adapte l'effectif du conseil municipal entre le premier et le deuxième renouvellement suivant la création d'une commune nouvelle, avec un minimum fixé au tiers de l'addition des conseillers municipaux élus lors du précédent renouvellement général des conseils municipaux dans chacune des communes regroupées avant la création de la commune nouvelle. Il ne peut également être supérieur à soixante-neuf. 

 

L'article 2 vise à permettre aux maires délégués d'une commune nouvelle de convoquer la conférence municipale qu'ils constituent, le cas échéant, avec le maire, et qui serait par ailleurs renommée «conférence des maires et des maires délégués». 

 

L'article 3 prévoit que, si des vacances de sièges surviennent au conseil municipal entre la création d'une commune nouvelle et l'élection du maire et de ses adjoints, le conseil municipal peut néanmoins procéder à cette élection, par dérogation au principe qui impose que le conseil soit alors complet, à moins qu'un tiers des sièges ou plus soient vacants. 

 

L'article 4 a pour objet de dispenser une commune nouvelle issue de la fusion de toutes les communes membres d'un ou plusieurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de l'obligation de se rattacher à un autre EPCI à fiscalité propre. Une telle commune nouvelle disposerait de l'ensemble des prérogatives directement attribuées par la loi à un tel établissement, et elle serait soumise aux mêmes obligations. La création de la commune nouvelle ne pourrait être décidée par le préfet de département (par une décision discrétionnaire, comme c'est toujours le cas en la matière) que si la demande de non-rattachement a été formulée par les deux tiers au moins des communes intéressées. 

 

L’article 5 du texte prévoit que la délibération des conseils municipaux portant création d'une commune nouvelle est assortie en annexe d'un rapport financier présentant les taux d'imposition ainsi que la structure et l'évolution des dépenses, de la dette et des effectifs de l'ensemble des communes concernées. Ce rapport est affiché à la mairie et mis en ligne sur le site internet de la commune, lorsque ce dernier existe. 

 

L’article 8 indique que les fonctions de maire de la commune nouvelle et de maire délégué sont compatibles. Leur indemnité n'est pas cumulable. 

 

L’article 10 prévoit qu’une annexe de la mairie peut être supprimée par décision du conseil municipal de la commune nouvelle, prise après accord du maire délégué et, lorsqu’il existe, du conseil de la commune déléguée. 

 

Aux termes de l’article 12, le conseil municipal de la commune nouvelle peut décider la suppression d'une partie ou de l'ensemble des communes déléguées, dans un délai qu'il détermine. Le projet de suppression d'une commune déléguée est subordonné à l'accord du maire délégué et, lorsqu'il existe, du conseil de la commune déléguée. 

newsid:470134

Procédure civile

[Brèves] Nullité tendant à contester le caractère exécutoire des décisions de justice en matière de saisie immobilière : une défense au fond

Réf. : Cass. civ. 2, 5 septembre 2019, n° 17-28.471, F-P+B+I (N° Lexbase : A3904ZMK)

Lecture: 2 min

N0236BYE

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/53610489-edition-n-794-du-12092019#article-470236
Copier

par Aziber Didot-Seïd Algadi

Le 11 Septembre 2019

► La nullité invoquée, qui tend à contester le caractère exécutoire des décisions de justice sur le fondement desquelles la procédure de saisie immobilière a été pratiquée, constitue non pas une exception de procédure mais une défense au fond qui peut être proposée en tout état de cause.

 

Telle est la solution retenue par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 5 septembre 2019 (Cass. civ. 2, 5 septembre 2019, n° 17-28.471, F-P+B+I N° Lexbase : A3904ZMK ; sur la possibilité d’invoquer les défenses au fond en tout état de cause, cf. Cass. civ. 1, 28 octobre 2015, n° 14-22.207, FS-P+B+I N° Lexbase : A1472NU3).

 

En l’espèce, un client a souscrit différents prêts auprès d’une banque. Cette dernière ayant cédé ses créances à un fonds commun de titrisation, celui-ci a fait délivrer au client un commandement de payer valant saisie immobilière. A l’audience d’orientation, un jugement d’un juge de l’exécution a rejeté toutes les contestations du client et ordonné la vente forcée des biens et droits immobiliers objets de la saisie. Pour déclarer irrecevable l’exception de nullité des actes de signification des décisions de justice, la cour d’appel (CA Aix-en-Provence, 6 juillet 2017, n° 17/01167 N° Lexbase : A4048WMU) a retenu que le client a soutenu, préalablement au moyen de nullité, deux fins de non-recevoir tirées de la prescription de la créance et du défaut de qualité du créancier poursuivant. 

 

L’arrêt est cassé par la Cour de cassation qui juge qu’en statuant ainsi, la cour d‘appel a violé les articles 71 (N° Lexbase : L1286H4E) et 72 (N° Lexbase : L1288H4H) du Code de procédure civile, ensemble l’article L. 311-2 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5866IRP) (cf. l’Ouvrage «Procédure civile», La défense au fond N° Lexbase : E9904ETY).

newsid:470236

Procédure pénale

[Brèves] Régime dérogatoire de la libération conditionnelle pour les étrangers condamnés pour terrorisme : le Conseil constitutionnel censure l’article 730-2-1 du Code de procédure pénale

Réf. : Cons. const., décision n° 2019-799/800 QPC, du 6 septembre 2019 (N° Lexbase : A5359ZMG)

Lecture: 4 min

N0239BYI

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/53610489-edition-n-794-du-12092019#article-470239
Copier

par June Perot

Le 12 Septembre 2019

► Le cinquième alinéa de l’article 730-2-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4803K8E) est contraire à la Constitution et, spécialement, au principe de proportionnalité des peines, dès lors que ces dispositions ont pour conséquence de priver les étrangers condamnés pour des faits de terrorisme de toute possibilité d'aménagement de leur peine, en particulier dans le cas où elles ont été condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité.

Ainsi statue le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 septembre 2019 (Cons. const., décision n° 2019-799/800 QPC, du 6 septembre 2019 N° Lexbase : A5359ZMG).

Le Conseil avait été saisi par la Chambre criminelle par deux arrêts du 5 juin 2019 (Cass. crim., 5 juin 2019, deux arrêts, n° 19-90.016, FS-D N° Lexbase : A9220ZDT, n° 19-90.012, FS-D N° Lexbase : A9229ZD8). Les deux QPC portaient sur la conformité à la Constitution de l'article 730-2-1 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale (N° Lexbase : L4202K87).

Selon les requérants, en imposant aux personnes condamnées pour certaines infractions terroristes d’accomplir, pour bénéficier d’une libération conditionnelle, certaines mesures probatoires, ces dispositions méconnaissaient les principes de nécessité et de proportionnalité des peines. En effet, les étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire ou d'une interdiction du territoire n'étant pas éligibles à de telles mesures probatoires, ils seraient, selon les requérants, privés de toute possibilité d'obtenir une libération conditionnelle, ce qui rendrait incompressible, même en cas de réclusion criminelle à perpétuité, la peine à laquelle ils ont été condamnés. Il en résulterait, également, selon eux, une atteinte à un principe de réinsertion qui découlerait de l'article 8 de la DDHC (N° Lexbase : L1372A9P) et une violation du principe d'individualisation des peines et du principe de sauvegarde de la dignité humaine.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel relève qu’en application de l'article 730-2-1 du Code de procédure pénale, l'octroi d'une libération conditionnelle à une personne condamnée à une peine privative de liberté pour des faits de terrorisme autres que la provocation, l'apologie ou l'entrave au blocage de sites internet terroristes est subordonné, lorsqu'elle n'est pas assortie d'un placement sous surveillance électronique mobile, à l'exécution préalable, à titre probatoire, d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur ou de placement sous surveillance électronique pendant une période d'un an à trois ans. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation (v. Cass. crim., 6 mars 2002, n° 01-85.914, FS-P+F N° Lexbase : A3825AYC, Cass. crim., 4 avril 2013, n° 13-80.447, FS-P+B N° Lexbase : A6382KBY et Cass. crim., 7 septembre 2016, n° 15-81.679, F-P+B N° Lexbase : A5168RZG) que ces dispositions font obstacle, pour les condamnés étrangers sous le coup d'une décision d'éloignement du territoire, telle qu'une expulsion ou une interdiction du territoire français, à toute mesure de libération conditionnelle, dès lors que l'exécution de mesures probatoires est incompatible avec la décision d'éloignement du territoire. En conséquence, ces dispositions sont déclarées contraires à la Constitution.

Le Conseil relève par ailleurs (§ 6) que l’exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion.

Effet différé. Le Conseil juge, en l’espèce, que l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de dispenser toutes les personnes condamnées pour certains faits de terrorisme de l'obligation, prévue par le législateur, d'accomplir des mesures probatoires avant de pouvoir bénéficier d'une libération conditionnelle. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Il y a donc lieu de reporter au 1er juillet 2020 la date de l'abrogation des dispositions contestées (cf. l’Ouvrage «Droit pénal général», Y. Carpentier, Définition et champ d'application de la libération conditionnelle N° Lexbase : E2855GAY).

newsid:470239

Procédure prud'homale

[Textes] Du nouveau sur la compétence du futur tribunal judiciaire en droit du travail

Réf. : Décrets n° 2019-912 (N° Lexbase : L8794LR7), n° 2019-913 (N° Lexbase : L8789LRX), n° 2019-914 (N° Lexbase : L8791LRZ) du 30 août 2019, pris en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de la réforme de la justice

Lecture: 16 min

N0277BYW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/53610489-edition-n-794-du-12092019#article-470277
Copier

par Marion Galy, Maître de conférences à l’Université Bretagne Sud, Lab-LEX (EA7480)

Le 11 Septembre 2019


Résumé : Trois décrets du 30 août 2019 (décrets n° 2019-912 N° Lexbase : L8794LR7, n° 2019-913 N° Lexbase : L8789LRX, n° 2019-914 N° Lexbase : L8791LRZ, pris en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de la réforme de la justice N° Lexbase : L6740LPC) sont venus préciser les conditions de mise en place du tribunal judiciaire et la disparition subséquente des tribunaux d’instance et de grande instance au 1er janvier 2020 [1]. Ces décrets étaient particulièrement attendus en droit du travail compte tenu de l’incidence de cette réforme sur la dispersion du contentieux existant en droit du travail. L’étude de ces décrets, et particulièrement de leurs dispositions relatives à la compétence de ce nouveau tribunal judiciaire, de ses chambres de proximité et à la spécialisation de certains tribunaux judiciaires, permet de mesurer la simplification du contentieux du travail réellement obtenue. On s’aperçoit en réalité assez rapidement que les anciennes sources de complexité ont laissé place à de nouvelles.


Trois récents décrets du 30 août 2019 sont venus préciser les conditions de substitution du tribunal judiciaire aux tribunaux d’instance et de grande instance à compter du 1er janvier 2020. Cette substitution avait été actée par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC) et précisée par la loi organique relative au renforcement de l’organisation des juridictions (N° Lexbase : L6739LPB) [2]. Pour rappel, la réforme induite par ces deux textes ne se limitait pas à cette seule question et intéressait non seulement la justice civile mais également la justice pénale, la justice administrative et l’administration pénitentiaire [3].

Loin d’embrasser tous les champs de cette réforme, les décrets soumis au commentaire n’en présentent pas moins d’intérêt en droit du travail. En effet, parmi toutes les mesures de la réforme ayant vocation à s’appliquer aux juridictions du travail [4], c’est bel et bien la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance qui intéressait le plus, avec peut-être les mesures consacrées aux modes alternatifs de règlement des différends [5], la justice du travail. Cette dernière est marquée par une dispersion du contentieux provenant pour partie de la répartition du contentieux entre les tribunaux d’instance et de grande instance. Sans unifier totalement le contentieux du travail de première instance, la mise en place du tribunal judiciaire laissait ainsi augurer une certaine simplification [6]. La disparition des tribunaux d’instance et de grande instance permet, en effet, de supprimer la spécialisation organique qui, lorsqu’elle suscite des difficultés de choix pour le justiciable [7], favorise le recours aux procédures de règlement des incidents de compétence et entraîne l’accroissement de la durée globale du procès avant d’arriver à un jugement sur le fond [8]. Avec une juridiction unique, de telles difficultés disparaissent puisque la répartition s’effectue en interne par des mesures d’administration judiciaire [9]. Derrière cette simplification affichée, certaines dispositions de la réforme laissaient toutefois craindre une persistance de la complexité, sous une autre forme, celle de la spécialisation territoriale. Les précisions apportées par ces décrets, notamment sur la compétence de ce nouveau tribunal judiciaire, de ses chambres de proximité et de l’éventuelle spécialisation de certains d’entre eux, étaient donc particulièrement attendues.

Au-delà du «toilettage» des dispositions en vigueur dans les différents codes (Code de l’organisation judiciaire, Code des assurances, Code de commerce, Code forestier, Code du travail…) pour tenir compte de la disparition des tribunaux d’instance et de grande instance, les décrets apportent de véritables éléments sur la compétence matérielle des tribunaux judiciaires, sur leur éventuelle spécialisation, sur le taux d’appel qui est porté à 5000 euros [10], sur la compétence du juge des contentieux de la protection (qui n’intervient pas en droit du travail) et sur la compétence matérielle et territoriale des chambres de proximité des tribunaux judiciaires. L’étude de ces dispositions permet de confirmer l’unification du contentieux de l’élection et des désignations professionnelles et la disparition consécutive d’un certain nombre d’incertitudes (I). Mais au-delà de cette clarification, de nouvelles sources de complexité pourraient bien voir le jour (II).

I - Les marqueurs de simplification : l’unification confirmée du contentieux des élections et des désignations professionnelles

Une unification confirmée. Le contentieux des élections et des désignations professionnelles relève actuellement des tribunaux d’instance et de grande instance. En procédant à la fusion de ces tribunaux dans le futur tribunal judiciaire, la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice laissait ainsi entrevoir l’unification d’un contentieux jusqu’à présent dispersé. Une disposition de la réforme avait toutefois pu semer le doute sur la réalité de cette unification. Il est en effet prévu que dans les départements dans lesquels sont implantés plusieurs tribunaux judiciaires, certains d’entre eux pourront se voir confier par décret, sur proposition des chefs de cour et après avis des chefs de juridiction concernés, des contentieux spécialisés sur l’ensemble du ressort [11]. La question se posait donc de savoir si le contentieux des élections et des désignations professionnelles serait concerné. On pouvait le supposer puisque le rapport Guinchard avait déjà mis en évidence, il y a quelques années, la nécessité de spécialiser certains magistrats du tribunal d’instance dans la «matière complexe et sensible» du contentieux électoral et s’était prononcé en faveur d’une concentration de ce contentieux dans un seul tribunal d’instance par tribunal de grande instance [12]. Avec cette mesure, le risque que la complexité des répartitions de compétences resurgisse via la spécialisation territoriale était ainsi envisageable. En effet, si certains tribunaux judiciaires spécialement désignés devaient se voir confier l’actuelle compétence des tribunaux d’instance en droit du travail, l’avancée serait réduite à peau de chagrin puisque la question des répartitions de compétences continuerait de se poser entre tous les tribunaux judiciaires et ces tribunaux judiciaires spécialement désignés. Nous avions alors proposé que, dans une telle hypothèse, la compétence des tribunaux spécialement désignés ne coïncide pas avec la compétence actuelle des tribunaux d’instance mais qu’elle la dépasse. Une compétence générale pour tout le contentieux des élections professionnelles et des désignations et pour le contentieux de l’unité économique et sociale (UES) aurait ainsi dû leur être reconnue [13].

Les décrets soumis au commentaire sont finalement rassurants sur ce point. Le contentieux des élections professionnelles et des désignations ne figure pas dans la liste des matières civiles entrant dans la compétence particulière de certains tribunaux judiciaires [14]. Le décret n° 2019-212 attribue d’ailleurs expressément la compétence actuelle du tribunal d’instance pour les élections professionnelles et certaines désignations professionnelles au futur tribunal judiciaire. Le futur article R. 211-3-15 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L0432LSS) (pour l’élection) [15] et les futurs articles R. 211-3-16 (N° Lexbase : L0433LST), R. 211-3-17 (N° Lexbase : L0434LSU), R. 211-3-18 (N° Lexbase : L0435LSW) et R. 211-3-19 (N° Lexbase : L0436LSX) du Code de l’organisation judiciaire (pour les désignations) reprennent à l’identique et respectivement les actuels articles R. 221-27 (N° Lexbase : L3982IMG) et R. 221-28 (N° Lexbase : L6621IAH), R. 221-28-1 (N° Lexbase : L7401LHL), R. 221-29 et R. 2221-30 du Code de l’organisation judiciaire [16].

Une unification source de simplification. L’unification ainsi permise par le tribunal judiciaire réjouira tous ceux qui critiquaient ce partage de compétences et le présentaient comme se réalisant «par défaut», ou «dans des conditions qui […] complexifient inutilement la situation» [17]. Certains auteurs allaient jusqu’à souhaiter la suppression de ce partage de compétences et envisageaient un transfert de compétences tantôt au profit du tribunal d’instance [18], tantôt au profit du tribunal de grande instance [19]. Une clarification des répartitions de compétences entre les deux juridictions avait certes progressivement été opérée, mais il est vrai qu’un certain nombre d’incertitudes persistaient. Elles tenaient à l’absence d’attribution expresse de quelques contentieux. C’était notamment le cas de certaines désignations professionnelles échappant à la compétence du tribunal d’instance. En l’absence d’une attribution générale de compétence pour l’ensemble des désignations professionnelles intervenues dans l’entreprise, le tribunal d’instance n’était actuellement compétent qu’à l’égard des seules désignations pour lesquelles existait une attribution spéciale de compétence. Les autres relevaient, par défaut, de la compétence du tribunal de grande instance [20]. Il pouvait ainsi exister un décalage entre la perception que pouvait avoir le justiciable du tribunal d’instance comme juge des élections et des désignations professionnelles et le caractère limité de sa compétence en ce domaine. Des incertitudes étaient ensuite observables dans le contentieux de la reconnaissance d’une unité économique et sociale. En effet, malgré l’admission des actions en reconnaissance d’UES à titre principal et la diversification des conséquences liées à une telle reconnaissance [21], la Cour de cassation n’a jamais remis en cause l’attribution prétorienne de compétence au profit du tribunal d’instance [22]. Elle a même réaffirmé cette compétence dans un avis en 2007 en s’appuyant sur la prééminence du lien entre la reconnaissance d’une UES et la mise en place des institutions représentatives du personnel [23]. Pourtant, l’absence de texte spécifique consacrant cette compétence [24], ajoutée à la déconnexion de la reconnaissance d’une UES du contentieux électoral depuis la loi du 20 août 2008 [25], fragilisent l’affirmation d’une compétence du tribunal d’instance [26] et laissent penser à une compétence du tribunal de grande instance. Ces incertitudes sont levées par la présente réforme. Les contentieux sus-évoqués ne sont certes pas expressément attribués au nouveau tribunal judiciaire mais cela n’aura pas les mêmes conséquences qu’actuellement puisqu’une seule juridiction est désormais compétente. Rappelons que le futur tribunal judiciaire bénéficiera, à l’instar de l’actuel tribunal de grande instance, d’une compétence générale d’attribution [27].

II - De nouvelles sources de complexité 

Une complexité résultant de la compétence des chambres de proximité. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a prévu que les anciens tribunaux d’instance situés dans la même ville qu’un tribunal de grande instance seraient absorbés par le tribunal judiciaire tandis que, dans les villes dans lesquelles il n’existe qu’un tribunal d’instance, celui-ci deviendrait une chambre de proximité dénommée «tribunal de proximité» [28]. Le siège, le ressort ainsi que les compétences matérielles de ces chambres devaient être fixés par décret. C’est désormais chose faite avec le décret n° 2019-914 qui ne confère pas moins de soixante-six contentieux aux chambres de proximité [29]. Un certain nombre d’entre eux concernent le droit du travail : le contentieux des marins, le contentieux des actions personnelles ou mobilières dont la valeur n’excède pas 10 000 euros et le contentieux des établissements distincts. En elle-même, cette compétence matérielle des chambres de proximité ne suscite pas de difficulté puisqu’elle tend simplement à rapprocher le justiciable de la juridiction pour certains contentieux. Autrement dit, ces contentieux relèvent soit du tribunal judiciaire, soit des chambres de proximité lorsqu’elles existent. Tel est notamment le cas du contentieux des marins qui échappe par exception à la compétence du conseil de prud’hommes. Jusqu’à présent, ce contentieux relevait des tribunaux d’instance. La compétence du tribunal judiciaire pour «les contestations relatives à la formation, à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail entre l’employeur et le marin, dans les conditions prévues par le livre V de la cinquième partie du Code des transports» est désormais expressément visée au futur article R. 211-3-5 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L0422LSG) [30]. Celle des chambres de proximité est quant à elle prévue au tableau IV-III, 29°, annexé à l’article D. 212-19-1 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L0391LSB).

Si le contentieux des marins ne présente pas de difficulté majeure, plus délicate est en revanche la question de la répartition des compétences entre le tribunal judiciaire et ses chambres de proximité relativement au contentieux de la participation. Jusqu’à présent, le tribunal de grande instance était compétent pour connaître des litiges relatifs à l’application des accords de participation [31]. Certains auteurs estimaient qu’il existait en la matière un partage de compétences avec le tribunal d’instance [32], en se fondant sur la référence dans l’article R. 3326-1 du Code du travail (N° Lexbase : L4037IAR) à la compétence générale du tribunal de grande instance. C’était cependant à tort selon nous puisque l’article R. 311-1 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L0751IEK), visé dans l’article R. 3326-1 du Code du travail (N° Lexbase : L4037IAR), avait depuis longtemps été abrogé. La mise en place du tribunal judiciaire devrait ainsi définitivement mettre un terme à de telles incertitudes. D’autres difficultés pourraient cependant apparaître. Le futur article R. 211-3-26 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L0443LS9) prévoit en effet que «le tribunal judiciaire a compétence exclusive dans les matières déterminées par les lois et les règlements». Or, parmi les matières listées au futur article R. 211-3-26 du Code de l’organisation judiciaire [33], le contentieux de la participation n’y figure pas. Peut-on alors toujours se référer à l’article R. 3326-1 du Code du travail (N° Lexbase : L4037IAR), dont on a mis en évidence qu’il était plus que dépassé, pour affirmer la compétence exclusive du tribunal judiciaire en ce domaine ? La réponse à cette question est en réalité déterminante compte tenu de la compétence des chambres de proximité pour «les actions personnelles et mobilières jusqu’à la valeur de 10 000 euros et les demandes indéterminées qui ont pour origine l’exécution d’une obligation dont le montant n’excède pas 10 000 euros, en matière civile» [34]. Ainsi, de deux choses l’une, soit le contentieux de la participation relèvera de la compétence exclusive du tribunal judiciaire et les chambres de proximité ne pourront en connaître quel que soit le montant en jeu, soit le contentieux de la participation relèvera des tribunaux judiciaires et des juridictions de proximité (lorsqu’elles existent) lorsque l’enjeux est inférieur à 10 000 euros et des seuls tribunaux judiciaires au-delà de 10 000 euros. Une réécriture de l’article R. 3326-1 du Code du travail s’avère ainsi urgente sur ce point. Elle sera d’ailleurs l’occasion de mettre davantage en évidence les limites de la compétence du tribunal judiciaire qui existeront en ce domaine. De nombreuses exclusions de compétence sont en effet actuellement prévues à l’article L. 3326-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1228H9D) pour le tribunal de grande instance [35].

La compétence des chambres de proximité pour le découpage de l’entreprise en établissements distincts pourrait également susciter certaines difficultés. Pour rappel, les établissements distincts peuvent être déterminés par accord d’entreprise et à défaut par un accord conclu entre l’employeur et le comité social et économique, adopté à la majorité des membres titulaires élus de la délégation du personnel du comité lorsque l’entreprise est dépourvue de délégué syndical [36]. Encore à défaut, il revient à l’employeur de fixer le nombre et le périmètre des établissements distincts, compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement [37]. L’autorité administrative intervient en cas de contestation de la décision de l’employeur pour fixer ces modalités, avec un recours actuellement possible devant le tribunal d’instance [38]. Ces contestations entrent désormais dans la compétence des chambres de proximité. Le tableau IV-II annexé à l’article D. 212-19-1 du Code de l’organisation judiciaire vise en effet les contestations «relatives à la décision du directeur  régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi relative à la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts mentionnée aux articles R. 2313-2 et R. 2313-5 du Code du travail». Le contentieux des établissements distincts relèvera ainsi soit des tribunaux judiciaires, soit des chambres de proximité lorsqu’elles existent alors que, nous l’avons vu, ces chambres n’auront en revanche aucune compétence pour connaître du contentieux des élections professionnelles.

Une complexité résultant de la spécialisation de certains tribunaux. Comme précédemment évoqué, le futur article L. 211-9-3 du Code de l’organisation judicaire (N° Lexbase : Z74133RE), issu de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, offre la possibilité de désigner spécialement un tribunal judiciaire pour connaître de certaines matières civiles ou de certains délits et contraventions lorsqu’il existe plusieurs tribunaux judiciaires dans un même département. Derrière cette mesure, l’idée défendue est que l’éparpillement du traitement de certains contentieux techniques et de faible volume en matière civile ou pénale empêche toute spécialisation des magistrats dans des matières complexes et que cela peut entraîner des situations d’isolement professionnel de certains magistrats [39]. L’article 3 du décret n° 2019-12 vient justement fixer la liste de ces matières. En droit du travail, cette spécialisation concerne seulement la matière pénale. Le futur article R. 211-4, II, 1° du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L6555LEI) prévoit en effet, en substance, qu’en matière pénale, les tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement de l’article L. 211-9-3 connaissent seuls, dans l’ensemble du département des délits et contraventions prévus et réprimés par le Code du travail [40]. Ce sont le premier président de la cour d’appel et le procureur général près cette cour qui, après avis des chefs de juridiction et consultation des conseils de juridiction concernés en ce domaine, pourront proposer la désignation des tribunaux de leur ressort dans les matières listées à l’article R. 211-4 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L6555LEI). Il conviendra ainsi d’être particulièrement attentif dans les départements comportant plusieurs tribunaux judiciaires afin d’identifier le tribunal compétent.

Les difficultés restent dès lors assez mesurées en droit du travail puisque la spécialisation se cantonne pour l’instant à la seule matière pénale. Mais pour combien de temps encore ?


[1] Décret n° 2019-912 du 30 août 2019, modifiant le Code de l’organisation judiciaire et pris en application des articles 95 et 103 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L8794LR7) ; décret n° 2019-913 du 30 août 2019, pris en application de l’article 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L8789LRX) ; décret n° 2019-914 du 30 août 2019, modifiant le Code de l’organisation judiciaire et portant diverses adaptations pour l’application de l’article 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L8791LRZ).

[2] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC) ; loi organique n° 2019-221 du 23 mars 2019, relative au renforcement de l’organisation des juridictions (N° Lexbase : L6739LPB).

[3] Parmi les mesures les plus emblématiques de la réforme, sont généralement cités la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance, la tentative de règlement amiable préalable à certaines demandes en matière civile, la suppression de l’obligation de tenir une audience de conciliation en matière de divorce sans consentement mutuel, la mise en place d’une juridiction nationale unique pour les injonctions de payer, l’expérimentation d’une Cour criminelle composée de juges professionnels, la création d’un parquet national antiterroriste, l’expérimentation de cours d’appel spécialisées ou encore le recours à l’ordonnance pour réformer la justice des mineurs.

[4] Sur ce point, voir nos obs., Loi de programmation et de réforme pour la justice, pas de réelle révolution pour le droit du travail, Lexbase, éd. soc., 2019, n° 779 (N° Lexbase : N8397BXB).

[5] Ibid..

[6] En ce sens, F. Guiomard, Un nouveau programme pour la justice du travail, RDT, 2018, p. 229.

[7] C. Bléry, La notion de spécialisation, in C. Ginestet (dir.), La spécialisation des juges, PUT, 2012, p. 13, spéc. p. 19, spéc. p. 21.

[8] S. Guinchard, Rapport de synthèse, in C. Ginestet (dir.), La spécialisation des juges, PUT, 2012, p. 223, spéc. p. 230.

[9] En ce sens, C. Bléry, La notion de spécialisation, op. cit., spéc. p. 21.

[10] Futur article R. 211-3-24 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L0441LS7) (décret n° 2019-912, préc., art. 2).

[11] Futur article L. 211-9-3 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : Z74133RE) (loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, art. 95)

[12] Rapport Guinchard, L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, La Documentation française 2008, p. 244. Selon ce dernier, le contentieux des élections professionnelles ne requiert pas de proximité géographique particulière.

[13] Voir nos obs., Loi de programmation et de réforme pour la justice, pas de réelle révolution pour le droit du travail, op. cit. (N° Lexbase : N8397BXB).

[14] Futur article R. 211-4, I du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L6555LEI) (décret n° 2019-912, préc., art. 3).

[15] Décret n° 2019-912, préc., art. 2.

[16] Cette abrogation aurait pu permettre d’actualiser le contenu des articles afin de tenir compte de la substitution au comité d’entreprise, aux délégués du personnel et au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail du comité social et économique (CSE).

[17] L. Pécaut-Rivolier, Le paradoxe d’un contentieux éclaté, », in Ph. Waquet (dir.), 13 paradoxes en droit du travail, Lamy, 2012, coll. Lamy Axe droit, 2012, p. 383, spéc. p. 391.

[18] Ibid. Cette dernière envisage que le tribunal d’instance pourrait devenir le juge naturel du contentieux des institutions représentatives du personnel, qu’il s’agisse du fonctionnement, des expertises, des difficultés dans le déroulement des séances, mais également de l’ensemble des litiges collectifs, à la condition que des moyens soient alloués à ces juges.

[19] Rapport "Lacabarats", L’avenir des juridictions du travail : vers un tribunal prud’homal du XXIème siècle, rapport remis à la garde des Sceaux, ministre de la Justice, juillet 2014, p. 14, spéc. p. 53. Est envisagée la réunion entre les «mains d’un juge spécialisé de tous les contentieux généralistes de droit du travail, collectifs ou individuels, qui ne sont pas dévolus à un juge particulier».

[20] Relèvent notamment de la compétence du tribunal de grande instance la désignation des représentants dans le comité d’entreprise européen institué par accord, mais également la désignation des représentants dans les instances de représentation instituées par accord pour la constitution d’une société européenne, d’une société coopérative européenne ou d’une société issue d’une fusion transfrontalière. Il en va de même du contentieux de la désignation du représentant de proximité, créé par l’article 1 de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales (N° Lexbase : L7628LGM). Aucun décret n’a en effet attribué ce contentieux au tribunal d’instance.

[21] Cass. soc., 2 juin 2004, n° 03-60.135, publié (N° Lexbase : A5244DC9), Bull. civ, V, n° 157 ; Dr. soc., 2004, p. 913, obs. J. Savatier (N° Lexbase : A5244DC9) ; A. Cœuret, Le juge compétent pour connaître de l’UES, SSL, 2007, n° 1303, p. 7.

[22] Voir notamment, Cass. soc., 29 octobre 2003, n° 02-60.820, n° 02-60.821 et n° 02-60.831, F-P+B (N° Lexbase : A0116DAK), Bull. civ, V, n° 267.

[23] Cass. avis, 19 mars 2007, n° 06-00.020, inédit (N° Lexbase : A3996ICY), JCP éd. S, 2007, 1458, note G. Blanc-Jouvan ; JSL, 2007, n° 211, note J.-E. Tourreil. Voir les critiques formulées à l’encontre de cet avis : Ph. Waquet, Le contentieux électoral et la procédure d’avis devant la Cour de cassation, RDT, 2007, p. 540 et T. Grumbach, La compétence du tribunal d’instance en matière d’UES, au cœur d’un conflit de logiques, RDT, 2007, p. 743.

[24] L’article L. 2313-8 du Code du travail (N° Lexbase : L8557LRD) vise en effet la possible reconnaissance de l’UES par «décision de justice», sans davantage de précision. La compétence du tribunal d’instance pour les actions mobilières ne permet pas davantage d’affirmer sa compétence dans la mesure où la demande de reconnaissance d’une UES présente un caractère indéterminé.

[25] Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 11-20.232 et n° 11-20.233, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8982IBB), Bull. civ, V, n° 37 ; G. Auzero, Toutes les décisions en matière de reconnaissance d'une UES sont désormais susceptibles d'appel !, Lexbase, éd. S, 2012, n° 473 (N° Lexbase : N0226BTK). Voir également, L. Pécaut-Rivolier, L’unité économique et sociale, quel avenir ?, in Dossier spécial, Les périmètres sociaux de l’entreprise, Dr. soc., 2012, p. 974, spéc. p. 978. La Cour de cassation reconnaît, elle-même, dans cet arrêt que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008, «la demande en reconnaissance ne peut plus […] être formulée à l’occasion d’un contentieux en matière d’élection professionnelle ou de désignation de représentants syndicaux». Elle réaffirme toutefois dans le communiqué relatif à cet arrêt la compétence du tribunal d’instance en reprenant les termes de son avis de 2007.

[26] En ce sens, M. Cloitre, L’unité économique et sociale, Thèse, Université de Rennes I (dactyl.), 2013, p. 194 et suiv.. Contra, M.-L. Morin, L. Pécaut-Rivolier et Y. Struillou, Le guide des élections professionnelles et des désignations de représentants syndicaux dans l’entreprise, 3ème éd., Dalloz, 2015, coll. Guides Dalloz, n° 611-45.

[27] Futur article L. 211-3 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L7827HN9).

[28] Futur article L. 212-8 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : Z74512RE).

[29] Tableau IV-II annexé à l’article D. 212-19-1 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L0391LSB). Il faut préciser que des attributions supplémentaires ont été conférées à certaines chambres de proximité (tableau IV-III annexé à l’article D. 212-19-1 du Code de l’organisation judiciaire) et que d’autres compétences supplémentaires pourront être attribuées aux chambres de proximité par les chefs de cour, après avis des chefs de juridiction, en fonction du besoin de justice sur un territoire donné.

[30] Décret n° 2019-912, préc., art. 2.

[31] C. trav., art. R. 3326-1 (N° Lexbase : L4037IAR).

[32] En ce sens, C. Gaillard et A. Sybillin, Prud’hommes, Rép. proc. civ., Dalloz, 2014, n° 205. Ces derniers se réfèrent d’ailleurs à des arrêts datant d’une époque où la compétence du tribunal d’instance était expressément visée par l’article R. 442-26 du Code du travail (N° Lexbase : L6507DBM). Voir notamment, Cass. soc., 20 octobre 1977, n° 76-40.880, publié (N° Lexbase : A3136CIY), Bull. civ, V, n° 558 ; Dr. soc., 1978, p. 127, obs. J. Savatier.

[33] Décret n° 2019-912 précité, art. 2.

[34] Tableau IV-II annexé à l’article D. 212-19-1 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L0391LSB) (décret n° 2019-914 précité).

[35] Echappent actuellement à la compétence du tribunal de grande instance, la contestation de la valeur des éléments retenus pour calculer la réserve spéciale de participation (lorsqu’elle est établie selon la formule de calcul fixée par la loi), les litiges portant sur le montant des salaires déclarés à l’administration fiscale et sur le calcul de la valeur ajoutée, les contestations relatives aux montants du bénéfice net et des capitaux propres à l’entreprise (lorsqu’ils sont établis par une attestation du commissaire aux comptes ou de l’inspecteur des finances publiques) et les litiges ne portant pas sur l’accord de participation mais sur le bénéfice du droit à participation.

[36] C. trav., art. L. 2313-2 (N° Lexbase : L8477LG3) et L. 2313-3 (N° Lexbase : L8476LGZ).

[37] C. trav., art. L. 2313-4 (N° Lexbase : L8475LGY).

[38] C. trav., art. L. 2313-5 (N° Lexbase : L8474LGX) et R. 2313-2 (N° Lexbase : L6285LMQ).

[39] Dossier de presse du ministère de la Justice à propos de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, mars 2019, p. 30.

[40] Décret n° 2019-912, préc., art. 3.

newsid:470277

Procédures fiscales

[Conclusions] Le refus d’accès au régime d’intégration fiscale est une décision susceptible de faire l’objet d’un REP

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 1er juillet 2019, n° 421460, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3526ZH3)

Lecture: 18 min

N0241BYL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/53610489-edition-n-794-du-12092019#article-470241
Copier

par Romain Victor, Rapporteur public au Conseil d’Etat

Le 11 Septembre 2019

La décision par laquelle l’administration s’oppose à l’option formulée pour la constitution d’un groupe intégré peut être attaquée dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir.

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 1er juillet 2019. Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Romain Victor.

1.- Le pourvoi de la société Biomnis soulève une question très pure qui intéresse l’exception de recours parallèle et le principe de distinction des contentieux.

2.- Cette société d’exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est à Lyon, exerce une activité de laboratoire d’analyses médicales. Par lettre recommandée du 7 mai 2013 elle a notifié au service des impôts des entreprises de Lyon 7ème son option à compter du 1er janvier 2013 en faveur du régime de l’intégration fiscale prévu à l’article 223 A du Code général des impôts (N° Lexbase : L1889KG3), qui permet à une société de se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû sur l’ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital. Elle a joint à son courrier, conformément aux prescriptions de l’article 46 quater-0 ZD de l’annexe III au Code général des impôts (N° Lexbase : L5650LQC), la liste des filiales appelées à être membres du groupe intégré, au nombre de deux, à savoir les sociétés Centre de biologie médicale 69 (CBM69) et Centre d’explorations fonctionnelles (CEF), sises respectivement à Villeurbanne et à Paris 14ème et dont elle détient 99,99 % du capital, ainsi que les attestations de ces sociétés faisant connaître leur accord pour que cette dernière, en tant que mère intégrante, retienne leurs propres résultats pour la détermination du résultat d’ensemble.

Par lettre du 12 juin 2013, l’administration fiscale a toutefois fait connaître à la société Biomnis qu’elle n’était pas éligible au régime de l’intégration fiscale. Elle a relevé que si la société détenait 99,99 % des droits financiers dans ses filiales CBM69 et CEF, elle ne détenait que 49,90% des droits de vote, alors que l’article 46 quater-0 ZF de l’annexe III au Code général des impôts (N° Lexbase : L4658KNT) dispose que : «Pour l’application des dispositions de l’article 223 A […], la détention de 95 % au moins du capital d’une société s’entend de la détention en pleine propriété de 95 % au moins des droits à dividendes et de 95% au moins des droits de vote attachés aux titres émis par cette société». Le service l’a enfin informée qu’elle pouvait contester la «légalité» de la «cette décision» dans un délai de deux mois devant le tribunal administratif de Lyon en application de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3025ALM).

C’est ce qu’a fait la SELAS Biomnis en saisissant ce tribunal, par une requête du 2 août 2013, d’un recours en excès de pouvoir.

Par jugement du 11 octobre 2016, coté C+, ce tribunal a annulé la décision contestée en se fondant sur le motif tiré de ce que le pouvoir réglementaire avait illégalement restreint le champ d’application de la loi fiscale en fixant une condition de détention de 95 % des droits financiers et des droits de vote, là où l’article 223 A n’exige qu’une détention de 95 % «du capital».

Signalons qu’avant même que le tribunal ne rende son jugement, l’article 71 de la loi de finances rectificative pour 2014[1] a complété l’article 223 A pour prévoir directement dans la loi, par sécurité, que, pour l’application de cet article «la détention de 95 % au moins du capital d’une société s’entend de la détention en pleine propriété de 95 % au moins des droits à dividendes et de 95 % au moins des droits de vote attachés aux titres émis par cette société».

Le ministre a interjeté appel et, par un arrêt du 12 avril 2018, également coté C+, mais pour une autre raison que le jugement, et publié à la RJF 2018 n° 834, la cour administrative d’appel de Lyon, sur conclusions contraires de sa rapporteure publique, Mme Isabelle Bourion, a annulé le jugement et rejeté la demande de première instance.

La cour a jugé, sur un moyen relevé d’office, que «la décision litigieuse ne constitue pas un acte détachable de la procédure d’imposition à l’impôt sur les sociétés » de sorte que, « pour regrettable que soit la circonstance que le service des impôts a donné une indication contraire, elle ne peut être déférée à la juridiction administrative par la voie du recours en excès de pouvoir et ne pourrait être critiquée qu’à l’occasion d’un éventuel recours contentieux dans le cadre de la procédure prévue aux articles R. 190-1 et suivants du LPF».

Bref, elle a opposé à la société Biomnis une classique exception de recours parallèle, en la renvoyant à un «éventuel» plein contentieux fiscal.

C’est cet arrêt que la société défère à votre censure en soulevant un unique moyen d’erreur de droit de la cour à avoir jugé irrecevable son recours en excès de pouvoir contre la décision de l’administration lui signifiant qu’elle n’était pas éligible au régime d’intégration.

3.- L’arrêt de la cour de Lyon est sans doute d’une irréprochable orthodoxie juridique.

Vous jugez de longue date que le recours pour excès de pouvoir n’est pas ouvert au justiciable lorsqu’une autre voie de droit plus naturelle et ayant des effets pratiques identiques s’offre à lui, conformément au principe de l’exception de recours parallèle (30 novembre 1877, n° 51299, «De Séré», rec. p. 944). Les litiges fiscaux relevant du plein contentieux, les contribuables se voient ainsi barrer la route du recours en excès de pouvoir contre tous les actes qui les concernent directement, lorsque ces actes sont jugés non détachables de la procédure d’imposition (CE Assemblée, 29 juin 1962, n° 53090, «Société des aciéries de Pompey», rec. p. 438), sauf à ce que soit en cause le refus d’un agrément ou d’une autorisation (v. en matière d’intégration fiscale, à propos d’un transfert de déficit d’ensemble, votre récent arrêt du 28 novembre 2018, (CE 8° et 3° ch.-r., 28 novembre 2018, n° 417173, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2469YNR, «Min. c/ Sté Ypso France SAS» ) ou sauf à ce que la voie du plein contentieux ne puisse elle-même être empruntée par le requérant, typiquement lorsque celui-ci n’est pas assujetti à l’impôt à raison de son revenu fixé par l’administration, mais que ce revenu sert de base au calcul de prestations sociales (CE Section, 8 mai 1981, n° 17929, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7511AKE, «Marquiset», RJF, 1981, n° 712).

Est ainsi irrecevable, au nom de l’exception de recours parallèle :

-le recours d’une association contre la réponse de l’administration lui indiquant qu’elle est assujettie aux impôts commerciaux (CE 3° et 8° ch.-r., 26 mars 2008, n° 278858, publié au recueil Lebon [LXB=] «Association Pro Musica»,  rec. p. 116, RJF, 2008, n° 719, concl. F. Séners, BDCF, 2008, n° 80),

 

-le recours d’une entreprise contre la lettre l’informant qu’elle ne remplit pas les conditions pour bénéficier d’une exonération (CE 26 juillet 1991, n° 80430, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9109AQG, «Min. c/ SA Compagnie des Entrepôts et Gares frigorifiques»,  T. pp. 823-834, RJF, 1991, n° 1291),

-le recours dirigé contre la décision de l’administration refusant de faire droit à une demande de report en arrière (CE 8° et 9° ch.-r., 30 juin 1997, n° 178742, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0501AEB, «Min. c/ SA Sectronic» rec. p. 271, RJF, 1997, n° 776),

-ou encore le recours contre la décision ministérielle refusant à un exploitant individuel le bénéfice de l’exonération d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur les sociétés prévue par l’article 44 sexies du Code général des impôts (N° Lexbase : L3941KWU) en faveur des entreprises nouvelles (CE 8° et 9° ch.-r., 8 septembre 1999, n° 196426, «Pelfrene», mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4155AX8, T. p. 757, RJF, 1999, n° 1344).

Face à cette règle d’airain, le contribuable ne dispose en réalité que d’une seule échappatoire. Il peut prétendre neutraliser l’exception de recours parallèle en apportant la démonstration que le recours de plein contentieux fiscal qu’il pourrait un jour introduire n’est pas d’une efficacité équivalente à un recours en excès de pouvoir et que le premier ne peut donc valablement se substituer au second. Ce n’est donc pas un motif d’indisponibilité du recours de plein contentieux, mais un motif tiré de l’efficience supérieure du recours en excès de pouvoir qui conduit à faire exception à l’exception de recours parallèle.

On peut voir sur ce point votre arrêt «SARL Les Courses» du 29 novembre 2002 (CE 8° et 3° ch.-r, n° 224644, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4721A4M, T. pp. 711-901 sur un autre point, RJF, 2003, n° 170, concl. P. Collin, BDCF, 2003, n° 22, Dr. Fisc. 2003 c. 678), à propos d’une décision du ministre de refuser l’application du régime spécial de la presse en matière de TVA, dans lequel a joué, comme l’indiquent les conclusions, la volonté d’assurer au contribuable «un minimum de sécurité juridique» et qui s’inscrit à la suite de précédentes décisions ayant ouvert le recours en excès de pouvoir, non seulement contre la décision de l’administration indiquant à un contribuable qu’il ne bénéficie plus du régime dérogatoire de TVA en raison du retrait du certificat d’inscription par la commission paritaire des publications et agences de presse (CE Section, 3 novembre 1978, «Lamothe-Lemaire»,  rec. p. 411, concl. B. Martin-Laprade, Dr. Fisc. 1979, n° 12, c. 593), mais aussi contre le refus par cette même commission de délivrer un certificat d’inscription (CE Section, 18 mai 1979, «Lallement», rec. p. 215).

Votre décision de Section «Export Press» (CE Section, 2 décembre 2016, n° 387613, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9075SNG, RJF, 2017, n° 168, concl. E. Cortot-Boucher, C168) se rattache à ce courant de jurisprudence. Vous y avez jugé que si la prise de position formelle de l’administration sur une situation de fait au regard d’un texte fiscal en réponse à une demande présentée par un contribuable sur le fondement des 1° à 6° et du 8° de l’article L. 80 B (N° Lexbase : L9021LNG) ou de l’article L. 80 C du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L7607HEH) ne peut pas, en principe, compte tenu de la possibilité d’un recours de plein contentieux devant le juge de l’impôt, être contestée par le contribuable par la voie du recours pour excès de pouvoir, cette voie de droit est cependant ouverte lorsque la prise de position de l’administration, à supposer que le contribuable s’y conforme, entraînerait des effets notables autres que fiscaux et qu’ainsi, la voie du recours de plein contentieux devant le juge de l’impôt ne lui permettrait pas d’obtenir un résultat équivalent. Il en va ainsi, notamment, lorsque le fait de se conformer à la prise de position de l’administration aurait pour effet, en pratique, de faire peser sur le contribuable de lourdes sujétions, de le pénaliser significativement sur le plan économique ou encore de le faire renoncer à un projet important pour lui ou de l’amener à modifier substantiellement un tel projet.

Notons dès à présent que la demande de rescrit ne constitue pas véritablement une issue en l’espèce car, d’une part, l’éligibilité à l’intégration fiscale n’entre pas dans les rescrits particuliers mentionnés au 2° de l’article L. 80 B, et d’autre part, la demande de rescrit général prévue au 1° du même article n’ouvre droit à aucun recours «Export Press» en l’absence de réponse de l’administration.

4.- L’hésitation est bien sûr permise, mais il nous semble à la réflexion que, statuant en 2019, et tenant compte de la dynamique de votre jurisprudence, il est souhaitable que vous ouvriez le recours en excès de pouvoir contre la décision de l’administration signifiant à un contribuable qu’il n’est pas éligible au régime de l’intégration fiscale - car il ne fait guère de doute qu’il s’agit bien là d’un acte faisant grief (étant observé sur ce point que l’administration a elle-même qualifié son courrier du 12 juin 2013 de «décision») alors même qu’aucun texte ne prévoit l’intervention d’une telle décision.

Confrontée à une réponse de l’administration lui faisant connaître qu’elle n’est pas éligible au régime d’intégration, une société peut choisir entre deux attitudes.

Le choix n° 1, c’est de renoncer à son projet, de déclarer ses résultats individuels de l’exercice en cours et d’introduire ensuite une réclamation contre sa propre déclaration en «demandant le bénéfice d’une disposition législative ou réglementaire» au sens du premier alinéa de l’article L. 190 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L8480AES), les sociétés filiales appelées à faire partie du groupe pouvant de leur côté former une réclamation contre leur imposition dans les mêmes conditions.

Le choix n° 2, c’est de passer outre l’avis de l’administration, au risque de s’exposer à un contrôle fiscal -ce qu’aucune entreprise ne voit d’un très bon œil- et à ce que l’administration détricote le groupe et reconstitue le passé en notifiant des rectifications à la fois à la société mère et aux sociétés filiales, l’absence d’éligibilité au régime de l’intégration fiscale impliquant de la part du vérificateur de faire application des règles, assez complexes, régissant la cessation du groupe, telles qu’elles sont prévues à l’article 223 S du Code général des impôts (N° Lexbase : L9030LNR).

Il n’est donc certes pas impossible d’entrevoir, à l’horizon, un recours de plein contentieux. Toutefois, nous pensons que le contribuable, mais aussi l’administration, et le juge de l’impôt, auraient intérêt à ce que la question de l’applicabilité du régime d’intégration soit tranchée assez en amont.

Du point de vue du contribuable, il convient de prendre l’exacte mesure des contraintes que déclenche l’option en faveur du régime de l’intégration fiscale, lesquelles sont normalement justifiées par les avantages qu’il en escompte. La constitution d’un groupe fiscal implique en effet une organisation matérielle fiscale, comptable et financière assez lourde pour les sociétés qui ont vocation à en faire partie. Le mémento Intégration fiscale Francis Lefebvre 2018/2019 relève sur ce point (n° 585 et s.) que cette organisation, fonction de la taille du groupe et de la complexité des opérations internes à retraiter, est «liée aux obligations déclaratives et à l’élaboration des liasses fiscales qui combinent des éléments relevant du droit commun, des résultats individuels et des données spécifiques à l’intégration fiscale. Elle doit également permettre des travaux préprogrammés tels que l’application pratique des conventions de répartition d’impôt dans le groupe, les mises à jour annuelles du périmètre, la détermination de la capacité distributive des sociétés membres et des travaux plus occasionnels comme le suivi des conséquences des vérifications des sociétés du groupe ou des opérations de restructuration pouvant affecter le groupe». Il convient ainsi de prévoir des mécanismes de remontée d’informations en provenance des filiales. L’obligation de «suivre un processus rigoureux et spécifique est encore plus marquée dans les groupes publiant des comptes consolidés, dès lors que l’intégration fiscale a des incidences sur le résultat consolidé et sur les impôts différés», et dans les groupes d’intégration horizontale.

La sécurité juridique, le besoin de visibilité, constituent, chacun le sait, des attentes fortes de la part des acteurs économiques et il nous semble qu’il serait difficile justifiable, au nom de la distinction des contentieux, de contraindre, non pas une seule entreprise, mais un ensemble de sociétés liées souhaitant se regrouper, à «prendre leur risque» et vivre dans l’incertitude d’un contrôle fiscal à venir.

Cette incertitude est d’autant plus pénalisante que le régime de l’intégration fiscale est structurant, que l’option en faveur de ce régime est indissolublement liée à un calcul d’optimisation reposant sur la compensation des résultats positifs et négatifs des sociétés du groupe et qu’elle est fréquemment exercée juste avant et/ou juste après l’acquisition par la société tête de groupe d’une autre société et de son «stock de déficits».

Enfin, ce qui nous empêche d’adhérer à la solution orthodoxe de l’arrêt attaqué, du point de vue du contribuable, c’est l’adjectif « éventuel » dans la phrase de l’arrêt indiquant que le contribuable ne pourra déférer la décision querellée «qu’à l’occasion d’un éventuel recours de plein contentieux», car outre que ce plein contentieux fiscal peut naître et se dénouer très tardivement, il peut même, en cas de déficit d’ensemble, être longtemps différé car nous doutons, eu égard aux termes de l’article L. 190 du Livre des procédures fiscales, qu’un contribuable puisse réclamer, en dehors d’une procédure de rectification, pour obtenir la révision d’un déficit qu’il a lui-même déclaré. Aussi l’horizon du recours de plein contentieux peut-il, à la date à laquelle l’administration se prononce sur l’éligibilité au régime d’intégration, être à ce point éloigné dans le temps qu’il justifie d’ouvrir la voie du recours en excès de pouvoir qui certes n’apportera pas de réponse instantanée, le dossier en témoigne, mais présente l’avantage de pouvoir être introduit immédiatement. Le recours en excès de pouvoir n’est sans doute pas plus rapide que le recours de plein contentieux, mais il est moins lent, et il est immédiat…

Nous nous autorisons ensuite à penser que, du côté de l’administration, il n’y a rien à craindre de l’ouverture du recours en excès de pouvoir. A titre liminaire, vous noterez :

i) que le service des impôts des entreprises de Lyon 7ème a notifié les voies et délais de recours contre la décision signifiant à la requérante l’inéligibilité au régime d’intégration,

ii) que l’administration n’a jamais opposé de fin de non-recevoir à la société Biomnis fondée sur l’exception de recours parallèle ;

et iii) qu’en cassation, le ministre s’en rapporte à votre sagesse sur cette question de procédure contentieuse.

Nous en déduisons assez naturellement que la solution du recours en excès de pouvoir n’est pas dolosive pour l’administration. Elle l’est d’autant moins, à dire vrai, que l’existence même du recours, si vous ouvrez la voie au recours en excès de pouvoir, dépendra entièrement d’elle, selon qu’elle prendra ou non position au vu de la notification de l’option pour le régime d’intégration.

Enfin, la solution ne présente pas d’inconvénient notable pour le juge administratif, qui connaît déjà du contentieux d’excès de pouvoir, très proche, des refus d’agréments fiscaux, et auquel il appartiendra de se prononcer sur les conditions légales d’accès au régime des groupes intégrés, qui reposent sur des critères objectifs. Enfin il ne sera de toute évidence pas inondé par un flot de litiges.

PCMNC à l’annulation de l’arrêt, au renvoi de l’affaire à la cour et à ce que l’Etat verse la somme de 3 000 euros à la requérante au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4).

 

[1] Loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014, art. 71 (N° Lexbase : L2844I7H).

newsid:470241

Sociétés

[Textes] Loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019, de simplification, de clarification et d'actualisation du droit des sociétés : dispositions relatives aux sociétés par actions simplifiées (SAS)

Réf. : Loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019, de simplification, de clarification et d'actualisation du droit des sociétés (N° Lexbase : L1638LR4)

Lecture: 19 min

N0287BYB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/53610489-edition-n-794-du-12092019#article-470287
Copier

par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université de Bordeaux

Le 11 Septembre 2019

Les dispositions contenues dans la loi du 19 juillet 2019, et qui visent spécifiquement les sociétés par actions simplifiées, sont peu nombreuses mais méritent une attention particulière.  Les modifications apportées apparaissent d’importance, touchant à des questions sensibles et fréquemment rencontrées en pratique. D’une manière générale, il ressort des textes nouveaux une accentuation de la singularité de cette forme de société et, indirectement, de son attractivité, au regard, notamment, de la société anonyme.

Les réformes issues de cette loi supposeront une attention particulière de la part des associés (ou des personnes susceptibles d’acquérir cette qualité) ainsi que des professionnels du droit qui les conseillent, non seulement pour les intégrer dans la gestion juridique de la société mais aussi pour tenter de bien en mesurer les conséquences potentielles et, le cas échéant, de prendre les décisions qui soient conformes à leurs intérêts.  

Sans doute doit-on placer sous la rubrique d’une simplification du fonctionnement de la SAS l’essentiel des dispositions nouvelles, qu’il s’agisse du régime juridique des apports à la société (), des conditions d’octroi d’avantages particuliers à certains associés () ou, de manière plus délicate, de l’adoption de clauses statutaires d’exclusion ().  

1° - La simplification des apports à la SAS (art. 27 et 28)

Apports en industrie : suppression de l’obligation d’évaluation a posteriori (art. 27). La possibilité ouverte aux associés de SAS de réaliser un apport en industrie, résultant de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l’économie (N° Lexbase : L7358IAR), a contribué de manière notable, au moins sur le plan des principes, à accentuer l’originalité de cette forme de société, vis-à-vis de la société anonyme, pour laquelle la prohibition demeure la règle. Cette faculté venait s’ajouter aux autres facteurs d’attractivité de cette forme sociétaire, par les opportunités qui pouvaient y être attachées [1]. Le régime applicable aux apports en industrie pouvant être effectués au profit d’une SAS comportait toutefois une règle singulière que l’on ne retrouve ni dans les dispositions générales relatives aux sociétés, figurant au Code civil (C. civ., art. 1843-2 (N° Lexbase : L2016ABB et 1843-3 N° Lexbase : L2017ABC), ni dans les dispositions particulières relatives aux SARL, société commerciale pour laquelle ce type d’apport est admis (C. com., art. L. 223-7 N° Lexbase : L5832AIT). Il résultait de l’alinéa quatre de l’article L. 227-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7283LQS) que les statuts de la société devaient fixer le délai au terme duquel, après leur émission, les actions résultant d’apports en industrie feront l’objet d’une évaluation, menée dans les conditions prévues à l’article L. 225-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L7669LBN).

Cette règle avait été édictée afin d’assurer qu’au fil du temps, l’évaluation qui avait été faite de l’apport en industrie initialement, et qui se traduisait par l’octroi, en contrepartie, d’un certain nombre d’actions émises par la SAS, demeurait d’actualité. La règle était contraignante puisqu’elle imposait le recours à un professionnel, le commissaire aux apports, qui pouvait porter une appréciation de la valeur actuelle de l’apport en industrie sur des bases assez différentes de celles retenues par les associés eux-mêmes lors de l’apport initial [2]. En outre, des difficultés pouvaient surgir lorsqu’il s’agissait de fixer, dans les statuts, le délai au terme duquel cette nouvelle évaluation devait être faite. L’associé apporteur pouvait, assez logiquement, préférer une durée plus longue que celle envisagée par ses coassociés.

En procédant à l’abrogation de la dernière phrase du quatrième alinéa de l’article L. 227-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L2397LR9), le législateur, par l’adoption de la loi du 19 juillet 2019, réalise certainement une simplification du fonctionnement des SAS et aligne le régime de l’apport en industrie au sein d’une SAS sur celui prévu pour la SARL qui, comme indiqué ci-dessus, ne comporte aucune disposition qui imposerait une nouvelle évaluation de cet apport au terme d’un délai déterminé par les associés. Bien sûr, cette modification du cadre légal laisse entière la possibilité pour les associés de décider, au titre de leur liberté dans l’établissement des stipulations statutaires, de maintenir une règle semblable. En pratique, il sera sans doute opportun que cette question soit abordée lors de la constitution de la société, ou en cours de vie sociale, notamment lorsque l’apport en industrie est susceptible de voir sa valeur s’éroder par l’effet de l’écoulement du temps (savoir-faire, connaissances techniques, relations d’affaires…).

Apports en numéraire : nomination d’un commissaire aux comptes en cas de libération par compensation de créances (art. 28). L’apport en numéraire qu’un associé a promis d’effectuer au profit de la SAS, et en contrepartie duquel il entend recevoir des actions, se traduit, habituellement, par le versement de la somme au compte bancaire ouvert au nom de la société. Toutefois, l’associé peut exécuter son obligation par le jeu de la compensation avec des créances, liquides et exigibles, qu’il détient à l’encontre de la société. L’alinéa deux de l’article L. 225-146 du Code de commerce (N° Lexbase : L8973LQE), qui ne figure pas dans la liste des textes relatifs à la SA déclarés inapplicables à la SAS par l’alinéa trois de l’article L. 227-1, impose, dans une telle hypothèse, l’établissement d’un certificat, tenant lieu de certificat du dépositaire, émanant soit d’un notaire, soit d’un commissaire aux comptes. Dès lors qu’une SAS peut entrer dans la catégorie des sociétés par actions qui ne sont pas tenues, légalement, de nommer un commissaire aux comptes, il a été prévu par le législateur d’ajuster le cadre normatif et d’ajouter à l’article L. 227-9-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L2398LRA) un alinéa destiné à répondre à cette situation.

Ce texte nouveau prévoit que lorsque la SAS n’atteint pas les seuils imposant la nomination d’un commissaire aux comptes, il lui est possible de procéder à une telle désignation pour l’application du second alinéa de l’article L. 225-146 du Code de commerce. La règle nouvelle doit être bien comprise. L’hypothèse visée est celle de l’absence de commissaire aux comptes pour la SAS considérée, situation qui devrait être plus fréquente compte tenu de relèvement des seuils relatifs à l’obligation de certification des comptes des sociétés commerciales par l’effet de l’adoption de la loi «PACTE» (cf. C. com., art. D. 221-5 N° Lexbase : L8634LQT, réd. issue du décret n° 2019-514 du 24 mai 2019 N° Lexbase : L3628LQG). Dans une telle occurrence, la libération d’un apport en numéraire qu’un associé entendrait effectuer par compensation avec une créance qu’il détiendrait à l’encontre de la société se trouverait confrontée à l’absence du commissaire aux comptes qui doit, selon les dispositions de l’alinéa deux de l’article L. 225-146 du Code de commerce, établir le certificat de dépôt des sommes en cause. La loi du 19 juillet 2019, de manière pertinente, permet alors à la SAS concernée de procéder à la désignation d’un commissaire aux comptes mais dont la mission est seulement de remplir les obligations qui lui incombent à propos de la libération de l’apport en numéraire par le jeu de la compensation de créances. En d’autres termes, cette désignation spéciale n’emporte pas la nomination d’un commissaire aux comptes qui serait chargé de la mission générale de certification des comptes de la société. Bien sûr, si la SAS a procédé à la nomination d’un commissaire aux comptes, alors même qu’elle n’y serait pas tenue au regard des critères légaux, il appartiendra à ce professionnel d’établir le document requis par l’alinéa deux de l’article L. 225-146 du Code de commerce, la société n’ayant pas à procéder à la désignation d’un autre commissaire à cet effet.

On rappellera que le texte précité permet à la société de charger un notaire, en lieu et place d’un commissaire aux comptes, pour l’établissement du certificat constatant la libération de l’apport en numéraire par compensation. Une comparaison préalable des honoraires perçus pourra être utilement effectuée.

2° - La simplification de l’octroi d’avantages particuliers (art. 27)

Suppression du rapport du commissaire aux apports, lors de la constitution de la société. L’alinéa trois de l’article L. 227-1 du Code de commerce comporte la liste des textes relatifs à la société anonyme qui sont déclarés expressément inapplicables à la SAS. A ce titre, la loi de simplification du 19 juillet 2019 vient apporter un complément pour y ajouter l’alinéa deux de l’article L. 225-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L5885AIS). Ce texte prévoit que si des avantages particuliers sont stipulés dans les statuts de la société, un rapport doit être établi à leur propos, sous sa responsabilité, par un commissaire aux apports, et être annexé auxdits statuts. Il s’agit là d’étendre aux avantages particuliers la règle qui est posée, à l’alinéa premier de cet article, pour les apports en nature. Cela peut viser toute faveur, de nature pécuniaire ou autre (ex. place dans un organe de direction de la société), accordée à titre personnel à un associé et qui ne se traduit pas par l’octroi d’actions relevant de la catégorie des actions de préférence. Compte tenu de l’importance que ces avantages peuvent représenter et de l’inégalité qu’ils traduisent entre les associés, l’exigence de l’établissement d’un rapport d’un commissaire aux apports était, assez logiquement, imposée.

En écartant l’application de cette règle lorsque des avantages particuliers sont octroyés lors de la constitution d’une SAS, la loi nouvelle réalise certainement ce qui sera perçu comme une simplification du processus d’adoption de cette forme sociétaire, de nature à accentuer encore l’attractivité de cette société au regard de la société anonyme. Compte tenu de la réforme ainsi réalisée, il appartiendra aux associés de fixer librement, selon leur accord, la nature et l’étendue des avantages particuliers sans devoir solliciter l’intervention d’un tiers professionnel. Bien évidemment, pour cette question, comme pour d’autres aboutissant à laisser aux associés la liberté d’évaluer la pertinence des règles qu’ils retiennent pour le fonctionnement de la société, il sera sans doute prudent, pour le professionnel du droit (avocat ou notaire) qui prêterait son concours lors de la constitution de la société, d’envisager avec les associés ce point sensible afin de s’assurer qu’il est bien admis par chacun que l’octroi à certains d’entre eux d’avantages particuliers ne suppose pas l’intervention d’un commissaire aux apports.

L’intégration de la référence à l’alinéa deux de l’article L. 225-14 du Code de commerce dans la liste des textes relatifs à la SA qui sont déclarés inapplicables à la SAS, par l’alinéa trois de l’article L. 227-1, a imposé une mesure d’ajustement normatif à l’alinéa cinq de ce dernier texte. Cet alinéa faisait référence à l’article L. 225-14 du Code de commerce dans son ensemble, alors qu’il ne visait que les apports en nature, lesquels relèvent de l’alinéa premier du texte. Dès lors que le législateur écarte l’alinéa deux des textes applicables à la SAS, la référence que comporte l’alinéa cinq de l’article L. 227-1 du Code de commerce ne peut plus viser, mécaniquement, que l’alinéa premier de l’article L. 225-14 du Code de commerce. C’est ce que réalise la loi du 19 juillet 2019, par la modification qu’elle apporte à l’alinéa cinq de l’article L. 227-1 du Code de commerce. En procédant à cet ajustement de texte, le législateur n’instaure donc pas une règle nouvelle.

Maintien du rapport du commissaire aux apports, en cours de vie sociale. L’attention doit être attirée sur le fait que si le législateur a supprimé l’obligation de faire établir un rapport sur les avantages particuliers lors de la constitution de la société (qui figure à l’article L. 225-14 du Code de commerce), il n’a pas touché à l’article L. 225-147 du Code de commerce (N° Lexbase : L7662LBE) qui comporte les règles applicables lorsque l’avantage particulier est octroyé en cours de vie sociale, lors d’une augmentation du capital. Ce texte impose, dans cette hypothèse, la désignation d’un commissaire aux apports, à l’unanimité des actionnaires ou, à défaut, par décision de justice afin que ce dernier établisse, sous sa responsabilité, un rapport par lequel il apprécie la valeur des avantages particuliers en cause. Cette règle, relative aux sociétés anonymes, n’étant pas visée dans les exclusions figurant à l’alinéa trois de l’article L. 227-1, elle doit donc être respectée lors d’une augmentation du capital d’une SAS.

3°- La simplification du régime des clauses d’exclusion (art. 29)

Suppression d’une décision unanime. Parmi les caractéristiques les plus notables du régime juridique de la SAS, par différence avec celui de la SA, figurent les clauses statutaires aménageant les rapports entre associés et, plus généralement, l’exercice des droits qui sont attachés à leur qualité. Dans la perspective d’une société dont la nature contractuelle serait prépondérante, il avait été admis, dès l’adoption de la loi instaurant, en 1994, la SAS dans le droit français (loi n° 94-1 du 3 janvier 1994 N° Lexbase : L2852AWK), que certaines clauses statutaires ne pourraient être insérées dans les statuts (ou modifiées ultérieurement) qu’à la suite d’un vote unanime des associés. L’article L. 227-19 du Code de commerce (N° Lexbase : L2103LEM) prévoyait qu’il en était ainsi à propos des clauses relatives à l’inaliénabilité des actions, à l’agrément préalable à toute cession d’actions et aux hypothèses de cession forcée des titres. L’ordonnance n° 2017-747 du 4 mai 2017 (N° Lexbase : L1670LEL) a procédé à l’extraction des clauses d’agrément du dispositif imposant un vote unanime, en les rattachant à un régime juridique plus souple, ne supposant qu’une décision collective, prise dans les conditions prévues par les statuts.

La loi du 19 juillet 2019 se présente, sur le point envisagé, comme se situant dans la continuité de ce qui avait été réformé en 2017 en prenant une position semblable en ce qui concerne les clauses prévoyant qu’un associé peut être tenu de céder ses actions, hypothèse que l’on dénomme plus commodément par le vocable «clauses d’exclusion». Lors des travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption de la loi du 19 juillet 2019, il a été mis en avant que cette modification aboutirait à ce que les associés d’une SAS se prononcent à la majorité sur les clauses concernant le retrait forcé d’un associé comme l’accueil d’un nouvel associé, «de façon symétrique et cohérente» [3].

L’observation a été faite [4], à juste titre nous semble-t-il, que l’alignement du régime des clauses d’exclusion avec celui adopté, récemment, pour les clauses d’agrément suscitait des réserves. Soumettre à l’accord des associés en place une opération consistant, pour l’un d’entre eux, à céder tout ou partie des actions qu’il détient dans la société et donc, le cas échéant, à provoquer l’entrée d’un nouvel associé au sein de la société, n’apparaît pas équivalent, au regard du respect des droits attachés à la qualité d’associé, au fait d’imposer à un associé de céder les titres qu’il détient et donc de quitter la société. La discussion a été portée sur le terrain de l’augmentation de l’engagement d’un associé, situation qui impose, en application de l’article 1836 du Code civil (N° Lexbase : L2007ABX), le consentement de l’associé concerné, ce qui conduirait à imposer un vote pris à l’unanimité des associés pour insérer ou modifier, une clause statutaire d’exclusion. Il a, en effet, été jugé que l’introduction d’une telle clause dans les statuts [5], comme l’ajout d’un cas d’exclusion à une clause existante [6] constituait une augmentation des engagements de l’associé. Pour autant, il apparaît bien difficile d’en conclure que la réforme réalisée sur ce point par la loi du 19 juillet 2019 doive être ignorée. D’une part, le caractère assez indéterminé de la catégorie des actes constituant une augmentation des engagements d’un associé vient fragiliser cette vision de l’intervention du législateur et, d’autre part et surtout, le texte de l’article L. 227-19 du Code de commerce, tel que modifié, constitue une règle spéciale par rapport à la règle générale figurant à l’article 1836 du Code civil, conduisant à devoir reconnaître la suprématie de la première sur la seconde.

Pour autant, cette réforme ne doit pas être minimisée et l’attention des personnes envisageant d’intégrer une SAS en qualité d’associé devront être clairement informées sur le risque désormais encouru qu’une telle clause soit insérée (ou modifiée) dans les statuts sans que leur consentement soit nécessairement requis, en rupture avec le droit antérieur.   

Obligation d’une décision collective. Poursuivant l’alignement avec le sort réservé, deux ans plus tôt, à la clause d’agrément, le législateur de 2019 accompagne la suppression de l’obligation d’unanimité par l’exigence de soumettre toute insertion ou modification d’une clause statutaire d’exclusion à l’adoption d’une décision collective prise par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts (C. com., art. L. 227-19, al. 2, mod.).

On peut déjà observer, pour se rassurer, que le législateur écarte en conséquence toute possibilité d’une décision d’exclusion d’un associé qui ne résulterait que de l’initiative d’un dirigeant de la société, fut-ce le président, ou d’un organe collégial ad hoc. La décision aboutissant à imposer à un associé de céder ses actions, et donc de quitter la société, ne peut émaner que des associés eux-mêmes, selon le processus décisionnel retenu dans les statuts de la SAS. Un renvoi est donc, implicitement mais nécessairement, fait à l’article L. 227-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L2484IBM) qui est relatif à l’adoption des décisions collectives. Sans qu’il soit utile de reprendre ici l’ensemble des règles qui régissent les prises de décisions collectives, on retiendra que, compte tenu de l’importance d’une décision touchant la possibilité pour un associé de se voir contraint de céder les actions de la société, sans doute sera-t-il opportun qu’un choix éclairé soit effectué par les associés, lors de l’adoption des statuts initiaux ou d’une modification de ceux-ci en cours de vie sociale. Outre les modalités selon lesquelles l’avis de chaque associé sera recueilli (assemblée, consultation écrite…), c’est surtout le niveau d’assentiment requis qui devra retenir particulièrement l’attention. Une exigence de quorum et d’une majorité renforcée pourrait apparaître constituer une protection minimale bienvenue. La question devrait, à notre avis, être toutefois envisagée de retenir un vote unanime pour une décision ayant un tel objet, dès lors que si, par suite de la réforme, l’unanimité n’est plus imposée par la loi, les associés sont libres de s’y référer dans le cadre des stipulations statutaires. Une unanimité d’origine statutaire pourrait bien se substituer à l’unanimité ancienne d’origine légale.

On signalera que l’alignement du régime de la clause d’exclusion sur celui relatif à la clause d’agrément résultant de l’ordonnance précitée de 2017, suscite la même interrogation quant à l’application dans le temps de la modification opérée. A défaut de précision sur ce point dans la loi du 19 juillet 2019, le doute subsiste de son application aux SAS déjà constituées ou seulement aux sociétés qui seront constituées après son entrée en vigueur. La conception contractuelle, qui apparaît prépondérante pour cette forme de société devrait, nous semble-t-il, militer pour une application de la version de l’article L. 227-19 du Code de commerce issue de cette loi aux sociétés nouvellement constituées [7].

 

[1] V. not. notre étude, «Apporter son industrie à la SAS : quelles opportunités pour les associés ?», in La SAS : 25 ans après, ouvrage collectif, sous la direction de J.-Ch. Pagnucco, Actualités de droit de l’entreprise, tome 37, p. 27.

[2] V. M. Germain et P.-L. Périn, La société par actions simplifiée, éd. Joly, 6ème éd., n° 305-12.

[3] Sénat, rapport n° 657, p. 77.

[4] V. BRDA, 9/19, p. 26 ; M. Caffin-Moi, «Le droit de demeurer associé dans la SAS (interrogations sur le régime des clauses d’exclusion», in La SAS : 25 ans après, ouvrage préc., p. 115.

[5] CA Paris, 3ème ch., sect. A, 27 mars 2001, n° 2001/12023 (N° Lexbase : A9290A79), RJDA, 10/01, n° 973.

[6] CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 17 février 2015, n° 14/00358 (N° Lexbase : A4837NBR), RJDA, 5/15, n° 341.

[7] V. B. Dondéro, Exigence de l’unanimité dans les SAS : conflit de lois dans le temps, Gaz. Pal., 21 mars 2017, p. 66.   

newsid:470287

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Taux réduit de TVA applicable aux photographies d’art : la France condamnée par la CJUE

Réf. : CJUE, 5 septembre 2019, aff. C-145/18 (N° Lexbase : A3893ZM7)

Lecture: 2 min

N0261BYC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/53610489-edition-n-794-du-12092019#article-470261
Copier

par Marie-Claire Sgarra

Le 13 Septembre 2019

La Directive TVA (Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 N° Lexbase : L7664HTZ) s’oppose à une réglementation nationale qui limite l’application du taux réduit de TVA aux seules photographies présentant un caractère artistique.

Telle est la solution retenue par la CJUE dans un arrêt en date du 5 septembre 2019 (CJUE, 5 septembre 2019, aff. C-145/18 N° Lexbase : A3893ZM7).

 

En l’espèce, à la suite d’une vérification de comptabilité d’une SARL ayant pour activité la réalisation et la vente de photographies, l’administration a remis en cause le taux réduit de TVA que la société avait appliqué à la livraison de certaines photographies au titre de la période du 1er février 2009 au 31 janvier 2012. Le tribunal administratif d’Orléans avait rejeté la demande de la société et la cour administrative de Nantes  (CAA Nantes, 21 avril 2016, n° 15NT00073 N° Lexbase : A2480RLG) avait rejeté l’appel formé contre ce jugement. Par suite, le Conseil d’Etat avait décidé de surseoir à statuer (CE 3° et 8° ch.-r., 20 février 2018, n° 400837, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9562XDI).

 

Pour la Cour de justice, pour être considérées comme des objets d’art pouvant bénéficier du taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée, les photographies doivent avoir été prises par leur auteur, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, à l’exclusion de tout autre critère, en particulier l’appréciation, par l’administration fiscale nationale compétente, de leur caractère artistique.

Par ailleurs la Directive TVA doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui limite l’application du taux réduit de TVA aux seules photographies présentant un caractère artistique, dans la mesure où l’existence de ce dernier caractère est subordonnée à une appréciation de l’administration fiscale nationale compétente qui n’est pas exercée dans les limites de critères objectifs, clairs et précis, fixés par cette réglementation nationale, permettant de déterminer avec précision les photographies auxquelles ladite réglementation réserve l’application de ce taux réduit, de manière à éviter de porter atteinte au principe de neutralité fiscale.

Un commentaire de cette décision sera publié ultérieurement.

 

newsid:470261

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.