La lettre juridique n°233 du 26 octobre 2006

La lettre juridique - Édition n°233

Éditorial

Dura lex au "Bénéfic" du doute

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N4376ALN

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


"Les services financiers [de La Poste] font vivre le réseau sur le territoire puisqu'ils représentent de 60 % à 80 % de l'activité des petits bureaux de poste. Enserrés dans le cadre étroit de la loi de 1990, qui autorise l'assurance mais pas les prêts sans épargne préalable, ils sont menacés d'asphyxie :
- en raison de l'obsolescence de sa gamme de produits, la clientèle ne se renouvelle plus : la moitié des encours est détenue par des plus de 65 ans et les jeunes et les catégories supérieures dédaignent La Poste, en raison, pour les uns, de l'absence de crédits pour les premiers équipements de la vie et, pour les autres, des rigidités sur le crédit immobilier ;
- asphyxie aussi en raison de son rôle de guichet social : La Poste accueille tous les publics à ses guichets, sans aucune discrimination (les interdits bancaires, qui utilisent le mandat postal comme substitut au chéquier, les allocataires du RMI qui utilisent le Livret A comme un compte courant). Les chiffres montrent que le Livret A est 'sur-utilisé' par les personnes défavorisées : 60 % des livrets ont un encours inférieur à 150 euros et représentent seulement 0,7 % des encours mais plus de 40 % des opérations. Le coût de la gestion de ces 'petits livrets' pèse sur La Poste pour 55 millions d'euros par an.
Contrainte par un cadre réglementaire trop rigide, La Poste est menacée de n'être plus, d'ici quelque temps, que 'la banque des pauvres et des vieux'. Sa part de marché s'effondre depuis 20 ans : elle est passée de 30 % à seulement 9 % du marché financier français
".

Le constat est rude ! Sans doute qu'il n'est pas de première objectivité, mais il est tout de même tiré d'un rapport d'information sur la situation de La Poste, remis le 11 juin 2003 par Gérard Larcher, alors sénateur. Ainsi, l'hiatus révélé entre l'établissement financier et sa clientèle, à l'occasion de ce qu'il est communément admis d'appeler "l'affaire Bénéfic", tire sa substance de l'incompréhension légitime entre un établissement financier lancé sur les rails de la concurrence bancaire et une clientèle "reptiliennement" habituée à percevoir en La Poste un délégataire de service public. D'une part, peut-on reprocher à l'établissement financier d'avoir voulu "surfer", en 1999-2000, sur la vague des spéculations boursières et d'avoir souhaité en faire bénéficier sa clientèle, en prenant lui-même part au risque inhérent à tout placement boursier à hauteur de 23 % ; c'est dire combien la confiance d'alors en l'indice boursier avait guidé la main de La Poste, lorsqu'elle avait proposé, sous diverses coutures, ce placement dit "Bénéfic" ? D'autre part, peut-on reprocher aux clients, naturels ou non, de l'établissement financier, et le plus souvent profanes, d'avoir souhaité prendre une part du gâteau boursier, occultant ce fameux risque de pertes inhérent à ce type de placement, et préférant entendre le son de cloche positif des conseillers du réseau financier, dans un contexte médiatique d'euphorie boursière? L'affaire est d'autant plus douloureuse pour l'établissement financier, comme pour sa clientèle, qu'elle concerne près de 300 000 investisseurs, et que la masse contentieuse liée à ce placement est d'importance -sans doute que la possibilité de mener une action de groupe, en l'espèce, eut été un moyen de régler plus rapidement le sort des réclamations, et d'harmoniser ainsi les solutions juridiques et financières y afférentes-. C'est donc entre les velléités commerçantes légitimes de La Poste et la confiance estimée abusée par sa clientèle que la Cour de cassation a dû se prononcer le 19 septembre dernier. Et à cette dichotomie des points de vue, toute troublante soit-elle, la Haute cour n'a pu apporter qu'une solution implacable en droit : le banquier n'a pas, en l'affaire, manqué à son obligation d'information. Et la cour d'appel de Paris de surenchérir, en considérant comme non-trompeuse, ni de nature à induire en erreur, la publicité afférente à la commercialisation des produits "Bénéfic". Ces solutions, toutes rigoureuses soient-elles, ne satisfont pas, bien évidemment, les clients intéressés à l'affaire, mais également certains auteurs. Car à l'obligation d'information pouvait, éventuellement et également, incomber à l'établissement financier, une obligation de mise en garde, voire de conseil. Or, si la Cour de cassation a explicitement écarté l'obligation de conseil, c'est son service de documentation qui a, explicitement, écarté l'obligation intermédiaire de mise en garde. Mais d'évidence, imagine-t-on un responsable commercial d'un établissement financier, après avoir informé un éventuel client des risques de pertes boursières, le mettre en garde des conséquences graves pouvant découler de ces pertes, et lui conseiller la plus grande prudence vis à vis du placement en cause compte tenu de sa surface patrimoniale ? Après tout, le bon sens populaire ne commande-t-il pas qu'"il faut prendre le bénéfice avec les charges". Sur cette épineuse affaire, les éditions juridiques Lexbase vous invitent à lire l'analyse de Richard Routier, Agrégé des facultés de droit, Affaire "Bénéfic" : justice suprême ou suprême injustice ?.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le refus du salarié de voir son contrat transféré

Réf. : Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-46.134, M. Jean-François Fabre et a. c/ Société Kodak Pathé, FS-P+B (N° Lexbase : A7707DRU) ; Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-40.325, 04-40.326 et 04-40.327, M. Daniel Gibernon et a. c/ Cepa, FS-P (N° Lexbase : A7692DRC)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Le principe du maintien des contrats de travail, en dépit d'une modification intervenue dans la situation de l'employeur, constitue une des règles les plus anciennes (loi du 19 juillet 1928) et des plus importantes du Code du travail. Conçue comme un instrument de protection, la règle présente aujourd'hui à l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY) est parfois vécue comme une contrainte intolérable pour des salariés qui souhaitent demeurer au service de leur ancien employeur. Dans deux arrêts en date du 10 octobre 2006, la Chambre sociale de la Cour de cassation précise à quelles conditions le refus d'être transféré peut être caractérisé (II) et que le refus, s'il est établi, produit les effets d'une démission (I).
Résumé

Dans le cadre d'une application volontaire de l'article L. 122-12 du Code du travail, l'accord des salariés, nécessaire à leur transfert, ne saurait résulter de la seule poursuite dans l'exécution du contrat de travail (n° 04-46.134).

Dans le cadre d'une application de plein droit de l'article L. 122-12 du Code du travail, l'existence d'une opposition collective de salariés au remplacement d'un concessionnaire de l'exploitation d'un service public par un autre est impropre à caractériser le refus individuel de chaque salarié de la poursuite de son contrat de travail avec le nouvel employeur lors du transfert effectif de l'entité économique (n° 04-40.325).

Le refus de travailler pour le cessionnaire, s'il est établi, produit les effets d'une démission (n° 04-40.325).



Décisions

- Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-46.134, M. Jean-François Fabre et a. c/ Société Kodak Pathé, FS-P+B (N° Lexbase : A7707DRU)

Cassation (cour d'appel de Paris, 18ème ch., sect. D, 8 juin 2004 N° Lexbase : A9784DCD)

- Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-40.325, 04-40.326 et 04-40.327, M. Daniel Gibernon et a. c/ Société Compagnie d'exploitation des ports et aéroports (Cepa), FS-P (N° Lexbase : A7692DRC)

Cassation (cour d'appel de Montpellier, ch. soc., 5 novembre 2003)

Textes visés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; C. trav., art. L. 122-12 (N° Lexbase : L5562ACY), interprété à la lumière de la Directive 77/187 /CEE du 14 février 1977 (N° Lexbase : L4352GUQ) modifiée par la Directive 98/50 du 21 juin 1998 (N° Lexbase : L9988AUH)

Mots-clés : C. trav., art. L. 122-12, alinéa 2 ; opposition des salariés ; preuve ; effets

Liens base : ;



Faits

1er arrêt (n° 04-46.134) :

La société Kodak-Pathé dont l'activité était la fabrication et la commercialisation de produits liés à la photographie, employait plusieurs salariés dans son établissement de Marne-la-Vallée, dédié à la réception des produits, à la gestion des stocks, à la maintenance du matériel servant au stockage, à la préparation et à l'expédition des commandes.

A la suite de la création, en région parisienne, d'un centre européen de distribution dont la gestion a été confiée à la société Caterpillar logistics France, elle lui a transféré les contrats de travail de quarante-six salariés chargés de la distribution des produits, le 1er octobre 2000, aux mêmes conditions de rémunération et de lieu de travail.

Trente-deux salariés ont saisi le conseil de prud'hommes, le 17 avril 2002, pour obtenir leur réintégration chez leur employeur d'origine et la condamnation de celui-ci à leur payer des dommages-intérêts en réparation de leur préjudice né de la violation de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail.

Pour débouter les salariés de leur demande, l'arrêt attaqué, retenant qu'il ne s'agissait pas d'une application de plein droit de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, mais de son application volontaire, énonce qu'ils ne se sont pas opposés au transfert critiqué et qu'ils ont effectivement travaillé pour la société Caterpillar logistics France à compter de la date prévue, manifestant par là leur consentement audit transfert.

2ème arrêt (n° 04-40.325) :

Mme Milhau, M. Pappalardo et M. Gibernon, ont demandé en justice qu'il soit constaté que leurs contrats de travail s'étaient poursuivis de plein droit avec la société Cepa, qui a succédé à la société Sagim dans la gestion du port des Quilles de la commune de Sète, à laquelle ils étaient affectés.

Ils ont été déboutés de leurs demandes, les arrêts attaqués ayant relevé qu'il résulte de constats d'huissier des 5 et 10 juillet et 13 décembre 2001, de courriers et d'attestations, qu'avec les autres salariés de la société Sagim, ils ont fait obstruction à la reprise de l'exploitation par la société Cepa, ils sont intervenus volontairement devant le tribunal administratif de Montpellier, pour s'opposer à la requête de la commune de Sète qui demandait l'expulsion de la société Sagim du service public portuaire, qu'une ordonnance du président de la même juridiction leur a enjoint, ainsi qu'à la société Sagim, de remettre les moyens nécessaires au fonctionnement de ce service. Par leur opposition volontaire à la prise de possession par la société cessionnaire, ils ont manifesté sans équivoque leur refus de transfert de leur contrat de travail qui s'imposait à eux, ne se plaçant pas sous un lien de subordination avec le nouvel employeur. Ayant agi de la sorte, à leurs risques et périls, ils ne bénéficient plus des dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail.



Solution

1er arrêt (n° 04-46.134) :

1. En déduisant l'accord des salariés de leur absence d'opposition au transfert de leur contrat de travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

2. Cassation

2ème arrêt (n° 04-40.325) :

1. En statuant ainsi, par des motifs qui, s'ils révèlent l'existence d'une opposition collective de salariés au remplacement d'un concessionnaire de l'exploitation d'un service public par un autre, sont impropres à caractériser le refus individuel de chaque salarié de la poursuite de son contrat de travail avec le nouvel employeur lors du transfert effectif de l'entité économique, lequel refus, s'il est établi, produit les effets d'une démission, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

2. Cassation



Commentaire

I - Les conséquences du refus du transfert du contrat de travail

  • Hypothèse d'une cession volontaire de l'entreprise

Dans l'hypothèse d'un transfert, non pas automatique, en application de l'article L. 122-12 du Code du travail, mais volontaire, les contrats ne sont pas automatiquement et collectivement cédés. Il s'agit, en effet, d'une hypothèse de modification du contrat de travail, par changement d'employeur, que chaque salarié doit individuellement accepter, et que chaque salarié peut donc individuellement refuser (Cass. soc., 2 avril 1998, n° 96-40.383, Société Lafitte c/ Mme Maryse Lesbarrères, inédit N° Lexbase : A6934AHB : "dès l'instant que les conditions d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail ne sont pas réunies, le transfert du contrat de travail du salarié ne peut s'opérer qu'avec son accord exprès"). C'est, ici, ce que confirme, au visa de l'article 1134 du Code civil, le premier arrêt (Cass. soc., 10 octobre 2006, M. Jean-François Fabre et a. c/ Société Kodak Pathé, n° 04-46.134, FS-P+B N° Lexbase : A7707DRU).

  • Hypothèse d'un transfert par application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail

La jurisprudence affirme depuis longtemps le caractère automatique du transfert des contrats au cessionnaire, en application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, transfert qui s'opère "par l'effet de la loi". Le cédant n'a donc pas à notifier le transfert aux salariés pour le leur rendre opposable (Cass. soc., 14 décembre 1999, n° 97-43.011, M Dermoncourt c/ Mlle Riblet et autre, publié N° Lexbase : A6356AGI). Les entreprises ne peuvent pas non plus limiter conventionnellement le nombre des salariés transférés (Cass. soc., 3 mars 1982, n° 80-14310, Association Interdépartementale pour l'Emploi dans l'Industrie et le Commerce Assedic Nancy c/ Société Nouvelle Soloci, Tresse, Lorbat, publié N° Lexbase : A8395CEN) ; tout au moins peuvent-elles décider de la charge finale du coût des licenciements décidés par le cessionnaire postérieurement au transfert (Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 04-14.788, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4285DQR ; v. Cession d'unité de production en phase de liquidation judiciaire : le transfert des contrats de travail s'impose !, Lexbase Hebdo n° 225 du 25 juillet 2006 - édition sociale N° Lexbase : N1220ALR).

Le salarié ne saurait donc renoncer au transfert de son contrat, sauf disposition légale contraire, ni s'y opposer.

  • Conséquences d'un refus de transfert du salarié dans le cadre de l'article L. 122-12

Lorsque le transfert d'entreprise s'opère dans le cadre prévu par l'article L. 122-12 du Code du travail, et qu'un salarié refuse de passer au service du cessionnaire, la Cour de cassation le considère classiquement comme démissionnaire (Cass. soc., 5 novembre 1987, n° 85-40.629, Mme Pradel c/ Société toulousaine de transports routiers, publié N° Lexbase : A1516ABR : "le refus sans motif valable de Mme Pradel de poursuivre le contrat de travail avec la société Delagnes s'analysait en une démission privative de toute indemnité" ; Cass. soc., 26 septembre 1990, n° 87-41.092, Mme Mercier et autre c/ Société V Distribution, publié N° Lexbase : A9055AAM).

La Cour de justice n'a pas jugé autrement. Dans un arrêt en date du 7 mars 1996 (CJCE, 7 mars 1996, aff. C-171/94, Albert Merckx et Patrick Neuhuys c/ Ford Motors Company Belgium SA N° Lexbase : A7247AHU), cette dernière a, en effet, indiqué que "l'article 3, paragraphe 1, de la directive (Directive 77/187 /CEE du 14 février 1977 N° Lexbase : L4352GUQ) ne fait pas obstacle à ce qu'un travailleur employé par le cédant à la date du transfert d'entreprise s'oppose au transfert au cessionnaire de son contrat ou de sa relation de travail. Dans cette hypothèse, il appartient aux Etats membres de déterminer le sort réservé au contrat ou à la relation de travail avec le cédant. Cependant, lorsque le contrat ou la relation de travail est résilié en raison d'une modification du niveau de la rémunération accordée au travailleur, l'article 4, paragraphe 2, de la directive impose aux Etats membres de prévoir que la résiliation est intervenue du fait de l'employeur" (n° 39). A contrario, l'arrêt indique donc qu'en l'absence de modification du niveau de rémunération, la rupture peut valablement être réputée imputable au salarié, ce qui est par conséquent conforme avec la qualification de démission retenue par la Cour de cassation française.

  • Les doutes sur la pérennité de cette analyse

Les dernières évolutions de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, relatives à la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, pouvaient faire penser qu'une évolution de l'analyse traditionnelle était possible, dans la mesure où les règles du jeu avaient changé. Les arrêts rendus le 25 juin 2003 ont, en effet, considéré que la prise d'acte par le salarié produisait soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit ceux d'une démission, selon que les griefs formulés à l'encontre de l'employeur étaient ou non établis et d'une gravité suffisante (Cass. soc., 25 juin 2003, cinq arrêts, n° 01-42.679, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8977C8Y ; n° 01-42.335, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8976C8X ; n° 01-43.578, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8978C8Z ; n° 01-41.150, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8975C8W ; n° 01-40.235, F-P+B+R+I N° Lexbase : A8974C8U, voir "Autolicenciement": enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 101 du 31 décembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9951AAS).

Dans ces conditions, la Cour de cassation allait-elle étendre l'application de cette jurisprudence à des cas voisins, dont celui d'un refus de transfert faisait partie ? C'est précisément à cette extension que se livre la Cour, dans l'arrêt rendu le 10 octobre 2006, qui affirme que le refus du transfert, à condition qu'il soit établi, "produit les effets d'une démission". La formule est donc exactement la même que celle adoptée en présence d'une prise d'acte infondée par le salarié de la rupture de son contrat de travail.

  • Une extension critiquable

Cette extension nous semble, toutefois, bien mal venue. Certes, le salarié qui refuse de passer au service du cessionnaire souhaite, dans une certaine mesure, rompre son contrat avec ce dernier et demeurer au service du cédant. Mais on pourrait tout aussi bien soutenir que le salarié ne souhaite pas rompre son contrat, puisqu'il souhaite continuer à travailler au service du cédant, mais simplement exercer son droit de choisir son employeur.

Nous pensons qu'une autre qualification devrait prévaloir. Dans la mesure où le transfert du contrat s'opère par l'effet de la loi, le contrat de travail du salarié se trouve ipso jure transféré au moment de la cession d'entreprise. Sauf lorsque ce dernier démissionne formellement de son emploi, ou prend acte de la rupture, son refus de se présenter à son nouvel employeur s'apparente à une faute disciplinaire que le cessionnaire est en droit de sanctionner. Les conséquences indemnitaires pour le salarié sont alors les mêmes lorsque cessionnaire l'aura licencié pour faute grave puisqu'il perdra le bénéfice de l'indemnité de licenciement et le droit à préavis. Il pourra, toutefois, bénéficier des allocations de chômage, ce qui constitue une différence appréciable. La sanction du comportement perdrait, ainsi, son caractère automatique et pourrait être modulée, en fonction des circonstances.

II - Les éléments de fait prouvant le refus du transfert d'entreprise

  • Hypothèse du transfert volontaire de l'entreprise

Pour que cette qualification, très contestable, de refus produisant les effets d'une démission soit retenue, encore faut-il que le salarié ait refusé son transfert. Or, dans ces deux affaires, la Cour de cassation casse deux arrêts d'appel qui avaient cru pouvoir caractériser ce refus, à tort.

Dans la première affaire (n° 04-46.134), il s'agit d'une classique hypothèse de refus d'une modification du contrat de travail. La Cour de cassation rappelle, ici, un principe bien acquis depuis l'arrêt "Raquin" rendu en 1987 : "l'employeur ne peut, sans l'accord du salarié, modifier substantiellement le contrat individuel de travail et [...] il lui incombe soit de maintenir les conditions contractuellement concernées, soit de tirer les conséquences du refus opposé par l'intéressé, l'acceptation par celui-ci ne pouvant résulter de la poursuite par lui du travail" (Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-41.902, M. Raquin et autre c/ Société anonyme Jacques Marchand, publié N° Lexbase : A1981ABY ; Dr. ouvrier 1988, p. 259, note P. Tillie ; Dr. soc. 1988, p. 140, note J. Savatier ; D. 1988, jur. p. 58, note Y. Saint-Jours), "ni de l'absence de protestation [...]" (Cass. soc., 13 janvier 1999, n° 97-41.519, M. Robert Vallar c / Société Cophoc, inédit N° Lexbase : A3096AGR).

Sur ce point, l'affirmation dans l'arrêt du 10 octobre selon laquelle il n'est pas possible de déduire l'accord des salariés de leur absence d'opposition au transfert de leur contrat est parfaitement logique.

  • Hypothèse du transfert légal

Dans la seconde affaire, les faits étaient plus complexes, dans la mesure où une quarantaine de salariés avait "fait obstruction à la reprise de l'exploitation par la société CEPA", étaient "volontairement devant le tribunal administratif de Montpellier, pour s'opposer à la requête de la commune de Sète qui demandait l'expulsion de la société Sagim du service public portuaire" et avaient été expulsés par décision de justice. La cour d'appel avait cru pouvoir déduire de ces éléments une manifestation non équivoque de leur refus du transfert des contrats de travail qui, pourtant, s'imposait juridiquement à eux.

Or cet arrêt est cassé, la Chambre sociale de la Cour de cassation affirmant que si les éléments visés "révèlent l'existence d'une opposition collective de salariés au remplacement d'un concessionnaire de l'exploitation d'un service public par un autre, [ils] sont impropres à caractériser le refus individuel de chaque salarié de la poursuite de son contrat de travail avec le nouvel employeur lors du transfert effectif de l'entité économique".

En d'autres termes, un refus collectif n'est pas assimilable à une somme de refus individuels.

Par ailleurs, et on ne pourra que suivre la Cour sur cette voie, les salariés désiraient faire obstacle au transfert de l'entreprise, en exploitant des voies de droit, voire des voies de fait, mais pas réellement faire obstacle précisément au transfert des contrats de travail. En toute hypothèse, leur comportement ne témoignait pas d'une volonté non équivoque de démissionner de leur nouvelle entreprise, loin s'en fallait, ce qui justifiait pleinement la solution finalement retenue.

On le voit, le refus d'assimiler le refus individuel de transfert et le combat mené collectivement par des salariés contre le transfert de leur entreprise, vise à protéger les salariés contre les conséquences d'un tel refus, c'est-à-dire d'une démission et de ses conséquences néfastes. Or, en qualifiant le refus des salariés non pas de démission, mais de licenciement, la Cour permettrait aux juges du fond de tenir compte du contexte dans lequel se déroule le transfert pour déterminer, sans doute de manière plus fine et équitable, les droits des salariés.

newsid:94275

Bancaire

[Jurisprudence] Affaire "Bénéfic" : justice suprême ou suprême injustice ?

Réf. : Cass. com., 19 septembre 2006, cinq arrêts, n° 05-15.304, F-P+B (N° Lexbase : A2802DR9), n° 05-15.305, F-D (N° Lexbase : A2803DRA), n° 05-14.343, F-P+B (N° Lexbase : A2800DR7), n° 05-14.344, F-P+B (N° Lexbase : A2801DR8) et n° 04-19.522, F-D (N° Lexbase : A2798DR3)

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N4249ALX

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Le 07 Octobre 2010

L'énorme contentieux suscité par l'affaire "Bénéfic", qui n'en finit pas de déclencher passions (1) et divisions (2), continue d'égrener ses solutions. Celles-ci viennent, toutefois, de prendre un tour inattendu. Alors que certains souscripteurs ont pu être accueillis par les juges du premier degré, la solution paraît devoir s'inverser devant les juridictions supérieures, et ce, quel que soit le terrain sur lequel sont placés les griefs. Par cinq arrêts du même jour, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a ainsi pu décider, le 19 septembre 2006 (3), que le banquier n'avait pas manqué à son obligation d'information. Le 27 septembre 2006, c'est la cour d'appel de Paris qui a pu considérer que la publicité n'était pas, en l'espèce, trompeuse ou de nature à induire en erreur. On ne commentera pas ici cette dernière décision, prise en matière répressive (et qui, ayant fait l'objet d'un pourvoi en cassation, ne peut être publiée). Mais le sens commun à tous ces arrêts invite à la réflexion.
En effet, les précisions apportées par les cinq arrêts de la Chambre commerciale de la Cour de cassation sur l'obligation d'information ou de conseil, et plus généralement, le caractère trompeur ou non trompeur de la publicité, peuvent être source d'incompréhension. Notamment, parce que le juge laisse en suspens deux questions : celle de la commercialisation vigoureuse, voire agressive, de produits financiers auprès d'une clientèle sociologiquement profane, et celle des obligations s'imposant au banquier prestataire de service d'investissement pour certains produits, qui, sans être spéculatifs, n'en sont pas moins complexes. I - L'obligation d'information et de conseil

Dans la première espèce, des parts d'un fonds commun de placement "Bénéfic" (FCP Bénéfic ci-après) avaient été directement souscrites ; le contrat prévoyant "qu'à l'issue d'une période de trois ans, le souscripteur retrouverait, en cas de stabilité ou de hausse de l'indice CAC 40, le montant de la somme investie majoré de 23 % et qu'en cas de baisse de l'indice supérieure à 23 %, la valeur liquidative serait minorée à proportion de cette baisse corrigée de plus 23 %". Se référant aux mentions du document publicitaire, les premiers juges retiennent la responsabilité de La Poste au motif qu'elle aurait "manqué à son obligation d'information et de conseil, [en] privant son contractant de la possibilité d'appréhender l'exacte portée de son engagement". Cette décision est cependant censurée, faute de ne pas "préciser en quoi l'information délivrée par La Poste aurait été incomplète, inexacte ou trompeuse" (4).

La seconde espèce, qui concernait le même produit à cela près qu'il s'agissait, cette fois, de contrats collectifs d'assurance sur la vie ayant pour support le FCP Bénéfic (5), devait conduire les juges suprêmes à la même décision : la solution des premiers juges étant identique, elle est pareillement censurée. Deux observations seront cependant faites au passage. D'une part, la commercialisation du FCP Bénéfic par le biais de contrats collectifs d'assurance sur la vie est soumis à la régulation de la Commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance (CCAMIP), devenue en 2005 (6) l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM). D'autre part, une divergence de vues semble exister entre l'ACAM et l'AMF sur cette question (7).

Quoi qu'il en soit, on retiendra donc déjà que La Poste est, ici, tenue d'une obligation d'information et que celle-ci est satisfaite dès lors qu'elle n'est pas incomplète, inexacte ou trompeuse.

La question s'est posée de savoir, encore, si La Poste avait aussi un devoir de conseil. Les trois derniers arrêts du 19 septembre 2006 répondent implicitement par la négative en retenant que les documents remis étaient suffisamment éclairants pour percevoir le risque de perte. Dans la troisième espèce, le tribunal d'instance de Saint-Gaudens avait, en effet, décidé "qu'en s'abstenant de prévenir son client des risques liés à l'importante et imprévisible variabilité des marchés financiers et à leur possible baisse très au-delà de 23 %, susceptible de transformer le gain envisagé en une perte énorme, même si elle est corrigée de 23 %, La Poste n'a pas respecté son devoir de conseil". Mais pour la Chambre commerciale, une telle décision encourt la censure dès lors "que le document publicitaire explique que les 23 % sont calculés sur la valeur liquidative de l'Euro 50 à trois ans, ce qui 'protège le capital investi jusqu'à 23 % de baisse de l'Euro 50'" (8).

Le même attendu est repris pour la quatrième espèce (9), et la décision est également censurée pour la cinquième, mais pas pour les mêmes raisons. Si la juridiction du premier degré avait aussi été conduite à condamner la Poste, elle ne pouvait se référer "au seul document publicitaire [...] sans rechercher, comme elle y était invitée, si la notice d'information remise [au souscripteur] faisait mention du risque lié à la baisse du CAC 40" (10). En d'autres termes, peu importe l'insuffisance du document publicitaire si la notice contient l'information utile. Si on peut comprendre l'esprit d'une telle solution, elle n'est pas pleinement convaincante. Ainsi, par exemple, un document publicitaire volontairement lacunaire sur les limites des protections, laissant croire en gras que le capital serait garanti, alors qu'il n'en serait rien en maigre dans la notice, pourrait être admis. Ce serait pourtant éminemment dangereux.

En faisant une lecture d'ensemble des cinq arrêts du 19 septembre 2006, le banquier a donc une obligation d'information et non de conseil. Mais quid de l'obligation intermédiaire (11) de mise en garde ? Coupant court à tout raisonnement en faveur d'une telle interprétation, le service de documentation et d'études de la Cour de cassation est venu énoncer que "ces arrêts confirment la jurisprudence [...] selon laquelle le banquier n'a un devoir de mise en garde envers ses clients que pour les opérations qui présentent un caractère spéculatif [ce qui] n'était pas le cas du produit Bénéfic". En exonérant, ici, le banquier de toute obligation de mise en garde, les juges suprêmes ne reconnaissent donc finalement que l'obligation d'information.

Dès lors, le raisonnement est juridiquement implacable : les clients étant informés qu'ils ne subiraient pas de perte, "même si la Bourse baissait", sauf "au-delà de 23 % de baisse", ils ne peuvent reprocher au banquier un quelconque défaut de renseignement.

Cela étant, on peut se demander si une telle solution ne va pas quelque peu à l'encontre du régulateur qui dispose expressément que "la personne qui commercialise des parts de FCP [...] est soumise aux obligations prévues aux articles 322-63 (N° Lexbase : L5663G8A) et 322-64 (N° Lexbase : L5664G8B)" du règlement général de l'AMF, lequel article 322-64 précise, au contraire, que "le devoir d'information et de conseil comporte la mise en garde contre les risques encourus" (12). La solution posée par les arrêts du 19 septembre 2006, relayée par le service de documentation et d'études de la Cour de cassation excluant tout devoir de mise en garde, se concilie mal avec cette disposition, laquelle existait, au demeurant, bien avant l'entrée en vigueur du règlement général de l'AMF (13).

On rappellera aussi les règles de bonne conduite de l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2557DKW), lesquelles imposent aux prestataires de service d'investissement de "s'enquérir de la situation financière de leurs clients, de leur expérience", et de leur "communiquer, d'une manière appropriée, les informations utiles" ; ces règles devant être appliquées "en tenant compte de la compétence professionnelle, en matière de service d'investissement, de la personne à laquelle le service d'investissement est rendu". Il peut paraître étonnant, alors, qu'une information non personnalisée, c'est-à-dire délivrée sans égard à la compétence du souscripteur, puisse être ici jugée suffisante.

II - Le caractère trompeur ou non trompeur de la publicité

Déboutés sur le terrain de l'obligation d'information, les souscripteurs de produits Bénéfic pouvaient-ils être mieux accueillis sur celui de la publicité fausse ou de nature à induire en erreur (14) ? Dans son arrêt du 27 septembre 2006, et contre l'avis du ministère public (15), la cour d'appel de Paris ne retient pas la publicité trompeuse. Même si un éventuel pourvoi, formé devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation, peut encore changer la solution, il paraît difficile de retenir la tromperie du banquier alors qu'aucune carence d'information n'a précédemment été constatée par la Chambre commerciale.

L'interprétation stricte qui prévaut en matière répressive peut expliquer que le banquier ne soit pas pénalement responsable ; l'information sur une possibilité de baisse ayant été objectivement délivrée. Reste que ce n'est pas ce qui semble avoir été perçu par tous les souscripteurs. C'est une chose d'écrire que les 23 % seront calculés sur la valeur liquidative de l'indice -CAC 40 ou Euro 50- à trois ans, ce qui garanti le capital investi jusqu'à 23 % de baisse. C'est une toute autre chose qui peut avoir été en fait comprise. Si, pour reprendre le jargon des publicitaires, "en mémorisation spontanée", seul le message "23 % garantis sur trois ans" a déterminé l'épargnant profane à confier ses économies, un problème subsiste. Selon la formule employée dans certaines publicités, où il était promis aux épargnants qu'ils resteraient "gagnants même si le CAC baisse" avec un taux de rendement de "+ 23 % à trois ans que le CAC fasse 0 % ou plus" (16), l'hypothèse d'une telle assimilation n'est en tout cas pas que d'école. Surtout si cette interprétation est tacitement ou explicitement appuyée par le conseiller, dont l'entregent et le pouvoir de conviction auront facilement raison des hésitations des néophytes ou des plus faibles.

La question des produits déceptifs, dont la "déceptivité" s'apprécie la plupart du temps moins au regard de la lettre stricto sensu, que de la présentation qui en a été faite, n'est pas nouvelle. C'est un peu la vieille histoire de "la Suze" et de "la Ruse". Elle ne paraît pourtant pas, ici, être sans solution.
Elle pourrait, en tout cas, rejoindre les dispositions édictées par le régulateur -naguère à l'article 33 bis du règlement n° 89-02 de la COB sur les OPCVM (N° Lexbase : L4739A4B), aujourd'hui à l'article 411-53 du règlement général de l'AMF précité-, lequel prescrit ici aussi de s'enquérir des objectifs, de l'expérience en matière d'investissement et de la situation du client afin de lui proposer des produits adaptés à sa situation, mais encore, de lui communiquer les informations utiles afin de lui permettre de prendre une décision d'investissement ou de désinvestissement en toute connaissance de cause. Plus généralement, les règles de bonne conduite de l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier précitées devraient proscrire toute formule susceptible de conduire l'épargnant à se fourvoyer. Ne serait-ce que parce qu'elles imposent aux prestataires de service d'investissement de "se comporter avec loyauté et [d'] agir avec équité au mieux des intérêts de leurs clients".

Les solutions rapportées, qui ne mettent naturellement pas fin à l'affaire "Bénéfic", appellent plusieurs remarques. On peut certainement leur reprocher, au strict plan juridique, de faire abstraction des règles posées par le régulateur en matière de produit d'épargne collective. Au regard de la sociologie moyenne de la clientèle, elles peuvent aussi susciter chez celle-ci un certain sentiment d'incompréhension. Or, il n'est de bonne justice que celle qui est comprise. Certes, en se référant au CAC 40 ou à l'Euro 50, le produit Bénéfic n'était pas spéculatif au sens classique du terme. Mais s'agissant d'un "fonds communs de placement couplant une composante taux et une composante actions assimilable à la vente d'une option de vente d'un indice exerçable à l'échéance de trois ans, dont le prix d'exercice était le niveau initial de l'indice" (17), la science du procédé n'était pas à la portée de tout épargnant. La documentation commerciale devant être cohérente avec, d'une part, les opportunités réellement offertes par la diversité des protections, et, d'autre part, le rendement et le risque (18), une obligation renforcée n'aurait pas été inconcevable ici. D'autant que la documentation commerciale est souvent la seule qui soit vraiment lue.

Ainsi qu'il a été justement observé, l'obligation de mise en garde devrait s'imposer dans la commercialisation de produits financiers complexes (19). La Cour de cassation aurait peut-être pu alors profiter de l'occasion qui lui était ici offerte pour transposer l'obligation de mise en garde des opérations spéculatives, aux opérations complexes. Ou encore, ce qui revient au même, étendre à l'épargnant non initié sa jurisprudence sur l'obligation de mise en garde de l'emprunteur profane -lancée par la première chambre civile (20), et reprise par la Chambre commerciale (21)-, en la cantonnant aux opérations complexes.

En définitive, la réponse à notre interrogation du départ -justice suprême ou suprême injustice ?- n'est pas très aisée. L'affaire "Bénéfic" est l'illustration même du contentieux qui met finalement tout le monde mal à l'aise. L'établissement financier, d'abord, qui, tout en pouvant considérer objectivement avoir pleinement rempli ses obligations légales, est submergé de réclamations et doit quand même être interpellé par le trouble de sa clientèle. Les souscripteurs, ensuite, qui, subjectivement et en masse, se sont manifestement trompés sur la nature de leur placement, ce qui peut certainement leur donner le sentiment d'avoir été leurrés. Le juge, également, qui peine à puiser dans le droit positif matière à endiguer un dysfonctionnement qui ne semble relever ni d'un délit, ni d'un manquement très évident. Le commentateur, enfin, qui peut être assez perplexe devant une solution somme toute un peu rapide.

La rigueur de la Cour de cassation, probablement moins dictée par le souci de protéger le banquier en tant que tel, que l'établissement public, et donc les deniers publics, peut certainement se concevoir. Nul doute cependant que l'extension du devoir de mise en garde aux opérations complexes proposées aux profanes -fût-ce sous la forme d'un obiter dictum-, eût été mieux comprise.

Richard Routier
Agrégé des facultés de droit


(1) J.-J. Defaix, T. Michel, Affaire de la Poste contre les épargnants (les secrets du plan Harpon, de Bénéfic et autres produits financiers), Ed. Carnot, 2005.
(2) Sur le contraste des premières décisions : v. R. Routier, "Le défaut d'information justifiant le non-paiement du banquier" in Faut-il encore payer ses dettes ?, Colloque de la Faculté de droit de l'Université du sud Toulon-Var, 18 mai 2005, LPA n° 63 (n° spéc.), 29 mars 2006, p. 15, et spéc. p. 18.
(3) Cass. com., 19 septembre 2006, cinq arrêts, n° 05-15.304, Etablissement public La Poste c/ Armengaud, F-P+B, n° 05-15.305, Etablissement public La Poste c/ Basart, F-D, n° 05-14.343, Etablissement public La Poste c/ Rigaut, F-P+B, n° 05-14.344, Etablissement public La Poste c/ Huet, F-P+B et n° 04-19.522, Etablissement public La Poste c/ Redonnet, F-D cités en référence.
(4) Cass. com., 19 septembre 2006, n° 05-15.304 préc.
(5) Cass. com., 19 septembre 2006, n° 05-15.305 préc.
(6) Loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005, art. 14 (N° Lexbase : L5277HDS).
(7) La CCAMIP, selon la presse, aurait ainsi rédigé en 2004 un rapport confidentiel très critique à l'égard de la Poste, lequel aurait fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat avant d'être présenté au TGI de Paris en 2005 (Le Parisien, 28 novembre 2005 ; LCI live, 29 novembre 2005), tandis que l'AMF, statuant sur les deux dernières générations de produits (soit 8,25 % de la collecte totale qui s'est élevée à 1,503 milliard d'euros), a pu mettre hors de cause La Poste (AMF, Décision de la Commission des sanctions du 15 décembre 2005 N° Lexbase : L6244HGD).
(8) Cass. com., 19 septembre 2006, n° 05-14.343 préc.
(9) Cass. com., 19 septembre 2006, n° 04-19.522 préc.
(10) Cass. com., 19 septembre 2006, n° 05-14.344 préc.
(11) R. Routier, Obligations et responsabilités du banquier, Dalloz 2005, n° 351.12.
(12) Règlement général de l'AMF, art. 411-53 (N° Lexbase : L5984G87).
(13) Règlement COB n° 96-03, art. 20 (N° Lexbase : L4766A4B).
(14) C. consom., art. L. 121-1 (N° Lexbase : L6565ABR).
(15) CA Paris, audience du 7 juin 2006.
(16) AFP Général, dépêche du 7 juin 2006.
(17) Décision AMF, 15 décembre 2005, à l'égard de La Poste, sanction préc.
(18) Position de l'AMF sur les stratégies de type "gestion coussin" : communiqué de presse AMF du 24 mai 2005 (N° Lexbase : L6387G83).
(19) En ce sens : X. Delpech, Affaire "Bénéfic" : La Poste n'a pas manqué à son obligation d'information, Dalloz actualité, 25 septembre 2006.
(20) Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, quatre arrêts, n° 03-10.115, Françoise Grimaldi c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) de Charente-Périgord, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9133DI4), Bull. civ. I n° 326, n° 03-10.770, M. Franck Guigan c/ Crédit lyonnais, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9139DIC), Bull. civ. I, n° 325, n° 02-13.155, M. Joël Seydoux c/ Société BNP Paribas, D.S (N° Lexbase : A0277DKH), Bull. civ. I, n° 324 et     n° 03-10.921, M. Simon Jauleski c/ Société BNP Paribas, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9140DID), Bull. civ. I n° 327, D. 2005, AJ p. 2276, obs. X. Delpech, Jur. p. 3094, note B. Parance, et 2006, Pan. p. 167, obs. D-R. Martin et H. Synvet ; Banque, n° 673, oct. 2005, p. 94, note J.-L. Guillot, M. Boccara Segal. Cass. civ. 1, 2 novembre 2005, n° 03-17.443, Mme Angèle Kuntzmann c/ Société Cetelem, F-P+B (N° Lexbase : A3277DLX), Bull. civ. I n° 397, R. Routier, Nouveau contour de l'obligation du prêteur de mettre en garde l'emprunteur profane, Lexbase Hebdo n° 194 du 15 décembre 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N1885AKZ) ; Cass. civ. 1, 21 février 2006, n° 02-19.066, Claude Levrai c/ Crédit lyonnais, F-P+B (N° Lexbase : A1696DN7), JCP éd. E, 2006, p. 611, note D. Legeais. Cass. civ. 1, 12 juillet 2006, n° 05-12.699, M. Armand Prano, F-P+B (N° Lexbase : A5024DQ7) et n° 04-13.192, M. Bernard Fillol, F-P+B (N° Lexbase : A4272DQB). Cass. civ. 1, 27 juin 2006, n° 04-18.845, Mme Yvette Garreau, épouse Taborsky, F-P+B (N° Lexbase : A1004DQA).
(21) Cass. com., 3 mai 2006, n° 02-11.211, M. Gilbert Joffre c/ Banque française commerciale Océan Indien (BFCOI), FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A2447DPC), D. 2006, p. 1618, note J. François ; Gaz. pal. 28-29 juin 2006, p. 5, note S. Piedelièvre ; RD bancaire et fin. 2006, n° 4, p. 12, note F.-J. Crédot, T. Samin ; n° 04-15.517, Crédit lyonnais c/ M. Jean Pouth, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A2486DPR), D. 2006, p. 1445, note X. Delpech ; Gaz. pal. 28-29 juin 2006, p. 5, note S. Piedelièvre ; JCP éd. E, 2006, p. 996, note D. Legeais ; et n° 04-19.315, Mme Eliane Daviot, épouse Mainguy c/ Société Natiocrédibail, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A2499DPA), Gaz. pal. 28-29 juin 2006, p. 5, note S. Piedelièvre ; RLDC juill-août 2006, p. 36, note G. Marraud des Grottes. Cass. com., 20 juin 2006, n° 04-14.114, M. Jean-Claude Souesme, FS-P+B (N° Lexbase : A0961DQN) ; D. 2006, n° 27, p. 1887, note X. Delpech ; JCP éd. E, 2006, n° 36, p. 1466, note D. Legeais.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] La loyauté dans la négociation collective n'interdit pas d'apporter des modifications unilatérales au projet d'accord adressé aux parties pour signature

Réf. : Cass. soc., 12 octobre 2006, n° 05-15.069, Fédération nationale des personnels des secteurs financiers CGT Case 537 c/ Fédération des syndicats chrétiens des organismes et professions agricultures CFTC et autres, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7816DRW)

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N4277ALY

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Le 07 Octobre 2010

On peut désormais tenir pour acquis que la négociation collective est soumise à l'exigence de loyauté. Dans un important arrêt rendu le 12 octobre dernier, paré du fameux label "P+B+R+I", la Cour de cassation vient tirer toutes les conséquences de cette exigence en affirmant, en substance, qu'une partie ne peut critiquer les modifications apportées au projet d'accord soumis à la signature après la dernière séance de négociation, lorsque ni cette partie ni aucune autre partie à la négociation n'en a sollicité la réouverture en raison de ces modifications avant l'expiration du délai de signature. Ainsi que le relève la Cour de cassation dans le communiqué (1) accompagnant cette décision, "la solution retenue fait donc confiance aux négociateurs pour apprécier l'importance des modifications apportées et si elles nécessitent une nouvelle discussion (2)"
Résumé

Si la nullité d'un accord est encourue lorsque toutes les organisations syndicales représentatives n'ont pas été convoquées à la négociation, une partie ne peut critiquer les modifications apportées au projet d'accord soumis à la signature après la dernière séance de négociation, lorsque ni cette partie ni aucune autre partie à la négociation n'en a sollicité la réouverture, en raison de ces modifications, avant l'expiration du délai de signature.



Décision

Cass. soc., 12 octobre 2006, n° 05-15.069, Fédération nationale des personnels des secteurs financiers CGT Case 537 c/ Fédération des syndicats chrétiens des organismes et professions agricultures CFTC et autres, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7816DRW)

Rejet (cour d'appel de Paris,18ème ch., sect. C, 27 janvier 2005)

Textes concernés : C. trav., art. L. 132-1 (N° Lexbase : L5292ACY) ; C. trav., art. L. 132-9 (N° Lexbase : L5689ACP)

Mots-clés : négociation collective ; exigence de loyauté ; choix des interlocuteurs ; interdiction des négociations séparées ; modifications unilatérales ; réouverture des négociations.

Liens base : ;



Faits

Le 13 janvier 2000, a été conclu entre la Fédération nationale du Crédit agricole (FNCA) et plusieurs organisations syndicales représentatives, un accord sur le temps de travail applicable à l'ensemble des caisses régionales et aux organismes adhérents à la convention collective nationale du Crédit agricole. Cet accord a été étendu par arrêté du ministre de l'Agriculture et de la Pêche, le 7 mars 2000. Le recours pour excès de pouvoir contre cet arrêté ayant été rejeté par décision du Conseil d'Etat du 17 juin 2002 (CE Contentieux, 17 juin 2002, n° 226936, Fédération nationale CGT des personnels des secteurs financiers N° Lexbase : A3583A34), cinq syndicats régionaux ont saisi le tribunal de grande instance d'une demande d'annulation de l'accord à laquelle s'est associée, notamment, la Fédération nationale des personnels des secteurs financiers Case CGT, non signataire de l'accord.

La demande d'annulation était fondée, d'une part, sur des modifications qui auraient été apportées au texte de l'accord après la dernière séance de négociation et avant l'expiration du délai prévu pour sa signature, d'autre part sur le régime juridique de la négociation de cet accord qui ne serait pas un accord de branche, et enfin sur diverses irrégularités tenant au contenu de l'accord.



Solution

"Mais attendu que si la nullité d'un accord est encourue lorsque toutes les organisations syndicales représentatives n'ont pas été convoquées à sa négociation, une partie ne peut critiquer les modifications apportées au projet d'accord lorsque l'existence de négociations séparées n'est pas établie et lorsque ni cette partie ni aucune autre partie à la négociation n'en a sollicité la réouverture en raison de ces modifications avant l'expiration du délai de signature" ;

"D'où il suit que la cour d'appel, qui a constaté que la preuve de négociations séparées n'était pas rapportée et devant laquelle il n'était pas allégué qu'une réouverture de la négociation avait été sollicitée, a légalement justifié sa décision".



Observations

I -L'exigence de loyauté dans la négociation collective

Si notre Code du travail réglemente dans le détail la conclusion et l'exécution des conventions et accords collectifs de travail, il est resté pour le moins silencieux sur leur négociation. Ainsi que l'a relevé un auteur, "ce silence du législateur français n'est pas tout à fait surprenant. Il s'explique certainement en partie par le peu d'intérêt que les juristes français ont porté à la négociation collective dans les relations de travail" (J. Pélissier, La loyauté dans la négociation collective, Dr. ouvrier 1997, p. 496). En outre, et parce que les conventions et accords collectifs sont fondamentalement des contrats, on ne peut manquer de relever que l'absence de réglementation de la négociation collective fait écho au silence du Code civil sur la phase de négociation précontractuelle (3).

Cela étant, il convient de relever, avec d'autres, que l'exigence de bonne foi trouve à s'appliquer dans la négociation collective que ce soit au regard de certaines dispositions éparses du droit du travail ou de la jurisprudence de la Cour de cassation (4).

  • La nécessité de convoquer l'ensemble des syndicats représentatifs

Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, la nullité d'un accord est encourue lorsque toutes les organisations syndicales représentatives n'ont pas été convoquées à sa négociation. Loin d'être nouvelle, cette solution a été affirmée par la Cour de cassation dès 1988 (Cass. soc., 13 juillet 1988, n° 86-16.302, Société Nouvelles Messageries de la presse parisienne c/ Syndicat de la région parisienne livre, papier, presse, publié N° Lexbase : A7734AGK ; v. aussi, Cass. soc., 10 mai 1995, n° 92-43.822, M. Plé Christian c/ Société Vandenostende, inédit N° Lexbase : A8537CQA). Bien plus, dans des arrêts postérieurs, et alors que la solution n'allait pas de soi (5), la Cour de cassation a considéré qu'un accord collectif ne peut être révisé sans que l'ensemble des organisations syndicales représentatives ait été invité à sa négociation (Cass. soc., 26 mars 2002, n° 00-17.231, Société Sanofi Synthelabo c/ Syndicat FO Sanofi, publié N° Lexbase : A3930AY9 ; Cass. soc., 17 septembre 2003, n° 01-10.706, Fédération Chimie CGT FO atome c/ Union des industries chimiques, publié N° Lexbase : A5312C9M).

La règle est donc désormais très claire, aucune négociation ne peut être valablement menée sans que tous les syndicats représentatifs dans le champ d'application considéré aient été convoqués. Il n'en reste pas moins évident que chaque organisation reste, ensuite, libre de venir s'asseoir à la table des négociations.

  • L'interdiction de négociations séparées

Si le Code du travail interdit explicitement que les négociations d'une convention de branche susceptible d'extension puissent être menées séparément (C. trav., art. L. 133-1 N° Lexbase : L5694ACU), il n'en va pas de même pour les autres négociations. Tel paraît, cependant, être le sens de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. soc., 13 juillet 1988, préc. ; v. aussi, Cass. soc., 9 juillet 1996, n° 95-13.010, Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT et autres c/ Société IBM France et autres N° Lexbase : A2173AAQ). Cette position doit être entièrement approuvée, dans la mesure où elle est conforme à l'exigence de loyauté qui doit présider à la négociation d'un accord collectif (v. aussi, J. Pélissier, op. cit., p. 499).

L'interdiction de négociations séparées apparaît, également, en filigrane, dans la décision commentée, lorsque la Chambre sociale vient préciser qu'une partie ne peut critiquer les modifications apportées au projet d'accord soumis à la signature après la dernière séance de négociation "lorsque l'existence de négociations séparées n'est pas établie [...]".

II - Mise en oeuvre

  • Solution

L'arrêt commenté fait une application des principes précités d'une manière relativement pragmatique. Rappelons que l'auteur du pourvoi demandait la nullité de l'accord collectif en raison de modifications apportées au texte de l'accord, après la dernière séance de négociation et avant l'expiration du délai prévu pour sa signature. Sans nier ces modifications, la Chambre sociale refuse, après les juges du fond, de faire droit à cette demande, en affirmant que "si la nullité d'un accord est encourue lorsque toutes les organisations syndicales représentatives n'ont pas été convoquées à sa négociation, une partie ne peut critiquer les modifications apportées au projet d'accord lorsque l'existence de négociations séparées n'est pas établie et lorsque ni cette partie ni aucune autre partie à la négociation n'en a sollicité la réouverture en raison de ces modifications avant l'expiration du délai de signature".

Il convient de le relever d'emblée que la Cour de cassation ne rejette, en aucune façon, la possibilité d'apporter des modifications unilatérales à un projet d'accord proposé à la signature, après la dernière séance de négociations. Elle soumet, toutefois, cette faculté à de strictes conditions qui sont à mettre en relation avec l'exigence de loyauté dans la conduite de la négociation collective.

  • Portée

Il ressort clairement de l'arrêt que ne saurait être admise l'adjonction à un projet d'accord de modifications qui seraient le fruit de négociations séparées. Cela étant, il ne faut pas en déduire que seules des modifications consécutives à une négociation avec l'ensemble des organisations syndicales pourraient être admises. En effet, et ainsi que l'indique la Chambre sociale dans son communiqué, "ne seraient pas non plus admissibles des modifications intervenues dans des conditions telles que l'ensemble des parties n'auraient pas été à même d'en discuter ou de faire des contre-propositions avant la date fixée pour la signature de l'accord".

Il faut donc comprendre que, pour la Cour de cassation, les partenaires sociaux sont maîtres du déroulement de la négociation. En effet, elle ne dit pas que les modifications doivent, dans tous les cas, être soumises à la négociation. Responsabilisant les partenaires sociaux, la Cour de cassation leur laisse la faculté d'apprécier l'opportunité de demander la réouverture des négociations. Par suite, de deux choses l'une : ou bien l'une des parties à la négociation demande la réouverture des négociations au regard des modifications apportées au projet d'accord et celles-ci ne peuvent en aucune façon intervenir sans que cette négociation ait eu lieu ; ou bien aucune des parties en cause n'exige une telle réouverture et les modifications entreront en vigueur dès lors que le texte aura recueilli la signature d'une ou de plusieurs organisations syndicales de salariés (6). En d'autres termes, si aucune des parties ne s'est manifestée antérieurement à l'expiration du délai de signature, elle perd tout droit de critique à l'égard des modifications opérées et, par voie de conséquence, quant à la validité de l'accord, de ce point de vue là.

Cela étant, et c'est sans doute le seul bémol que l'on apportera à la solution retenue dans l'arrêt sous examen, cette latitude laissée aux partenaires sociaux n'a de sens que si un délai précis a été arrêté pour la signature de l'accord. La Cour de cassation ne dit pas autre chose lorsqu'elle prend soin de relever, toujours dans son communiqué, qu'"en décidant que, jusqu'à l'expiration du délai de signature convenu, les parties ont la possibilité de demander la réouverture des négociations pour faire leurs observations ou contrepropositions, l'arrêt considère donc que jusqu'à cette date, la négociation est en cours, et invite ainsi implicitement les partenaires sociaux à fixer un terme au délai de signature pour marquer le terme de la négociation". Reste à se demander ce qu'il adviendrait de la solution retenue, faute pour les parties à la négociation d'avoir fixé, d'un commun accord, un tel délai. Sans doute pourrait-on alors considérer que la signature de l'acte, dans les conditions légales, par un ou plusieurs syndicats, met un terme à la négociation. Il n'en demeure pas moins, qu'en pratique, les parties concernées signent rarement l'accord en même temps. Or, il nous semble difficile d'admettre que la négociation prend fin dès lors qu'au moins une signature a été apposée au bas de l'acte juridique. Cette dernière ne semble, en effet, pas de nature à interdire à une autre organisation syndicale de demander la réouverture des négociations.

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) On ne peut que prendre acte de l'importance qu'il convient désormais d'attribuer aux communiqués de la Cour de cassation (v. sur la question, F. Guiomard, Sur les communiqués de presse de la Chambre sociale de la Cour de cassation, RDT 2006, p. 222.
(2) On relèvera que l'arrêt commenté comporte, en outre, deux rappels importants, d'une part, sur les compétences respectives de la juridiction judiciaire et de la juridiction administrative pour apprécier la validité d'une convention collective étendue et, d'autre part, sur les accords de branche relatifs à la modulation du temps de travail (v., sur ces questions, le communiqué préc. de la Cour de cassation).
(3) Lacune qui pourrait être comblée si l'avant-projet de réforme du droit des obligations était, à terme, transposé dans notre droit positif.
(4) V. en ce sens, J. Pélissier, art. préc. ; Y. Chalaron, La conduite de la négociation, Dr. soc. 1990, p. 584 ; M. Miné, La loyauté dans le processus de négociation collective d'entreprise, Travail et Emploi, n° 84, 2000, p. 47.
(5) Compte tenu du fait qu'un avenant de révision ne peut être valablement signé que par un syndicat de salariés signataire ou adhérent à la convention initiale (C. trav., art. L. 132-7 N° Lexbase : L4696DZX).
(6) A défaut de demande de réouverture de la négociation, la signature vaut approbation des modifications apportées et la non signature vaut désapprobation. Ainsi qu'il ressort du communiqué de la Chambre sociale, le Conseil d'Etat, comme les juges du fond qui avaient écarté la critique en raison du caractère purement formel ou déclaratif des modifications contestées, en avaient, ainsi, apprécié la portée eu égard au contenu de l'accord. La solution retenue par la Cour de cassation repose au contraire sur l'analyse des conditions de la négociation de l'accord.

newsid:94277

Marchés publics

[Jurisprudence] Spécifications techniques et référence aux marques dans les cahiers des charges

Réf. : CE, 2° et 7° s-s-r., 11 septembre 2006, n° 257545, Commune de Saran (N° Lexbase : A0372DR9)

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N4039AL8

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par Marie-Hélène Sanson, Juriste marchés publics au sein d'un organisme national de protection sociale

Le 07 Octobre 2010

Par une décision des 7ème et 2ème sous-sections réunies rendue le 11 septembre dernier, le Conseil d'Etat a précisé les principes applicables en matière de spécifications techniques et d'indemnisation des candidats irrégulièrement évincés des procédures de marchés publics. Bien qu'elle soit rendue à propos de faits très antérieurs au Code des marchés publics du 1er août 2006, les enseignements de cette décision conservent aujourd'hui tout leur intérêt. Rappel des faits
La commune de Saran a lancé au mois de juillet 1994 un appel d'offres ouvert relatif à l'aménagement et à la réfection de deux voies de circulation. La société Gallaud a remis une offre dans le cadre du lot n° 2 de cette consultation, portant sur la fourniture de matériaux. L'offre de ce candidat a été rejetée par la commission d'appel d'offres de la commune le 20 septembre 1994. Le 29 décembre 1998, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté la demande d'annulation de la décision de la commune ainsi que la demande d'indemnisation formulée par la société Gallaud, en raison du non-respect par le candidat du règlement de la consultation. Saisie en appel par le candidat, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé le 14 mars 2003, le jugement du tribunal et la décision de la commission d'appel d'offres et a condamné la commune de Saran à verser à la société Gallaud une indemnité de 15 200 euros. La commune de Saran a alors saisi le Conseil d'Etat en cassation. Le Conseil d'Etat examine dans cette décision la régularité de la description du besoin figurant dans le cahier des charges et rappelle les principes applicables en matière d'indemnisation des candidats rejetés.

Les spécifications techniques figurant dans les cahiers des charges

La cour administrative d'appel de Nantes avait relevé que, malgré l'absence de référence à toute marque dans le cahier des charges, les documents contractuels auxquels renvoyait le règlement de la consultation se référaient à une spécification technique et aux normes et caractéristiques techniques des produits d'une marque de pavés déterminés, en l'occurrence la marque "Quartzo". La cour avait, par ailleurs, constaté que trois des cinq propositions remises dans le cadre de la consultation provenaient de sociétés très liées à la marque évoquée, puisqu'il s'agissait du fabricant, du distributeur et de l'agent commercial des produits de la marque, le marché ayant été finalement attribué au distributeur. Pour la cour, il y avait là une atteinte au principe d'égalité des candidats et elle avait alors accueilli les demandes de la société Gallaud.

Le Conseil d'Etat observe alors à son tour que le cahier des clauses techniques particulières de la consultation définissait les tailles des pavés à fournir par référence aux pavés de type Quartzo ou similaire, que les caractéristiques mécaniques et physiques exigées des produits proposés par les candidats étaient celles des pavés Quartzo, caractéristiques dont, par ailleurs, pour certaines d'entre elles, étaient supérieures à la norme NF et exprimées dans une norme étrangère et qu'enfin le cahier des charges renvoyait à une annexe qui était la copie d'une page du catalogue des produits de la marque évoquée, dont le nom avait été supprimé. Le Conseil d'Etat confirme, alors, l'atteinte à l'égalité de traitement des candidats.

La collectivité publique avait pris soin de ne pas faire de référence explicite à la marque des pavés recherchés. Pour autant, le juge considère que la reprise dans le cahier des charges des normes et caractéristiques des produits d'une marque constitue une atteinte à l'égalité entre les candidats.

En effet, la Directive 93/37/CEE du Conseil du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (N° Lexbase : L7740AU9) (article 10 et annexe III) applicable en l'espèce, comme la Directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services applicable aujourd'hui (N° Lexbase : L1896DYU), interdisent les spécifications techniques ayant pour effet de favoriser ou d'éliminer des candidats :

- article 10.6 de la Directive 93/37/CEE : "les Etats membres interdisent l'introduction [...] de spécifications techniques [...] qui ont pour effet de favoriser ou d'éliminer certaines entreprises" ;

- article 23.2 de la Directive 2004/18/CE : "les spécifications techniques doivent permettre l'accès égal des soumissionnaires et ne pas avoir pour effet de créer des obstacles injustifiés à l'ouverture des marchés publics à la concurrence".

Les spécifications techniques sont ainsi formulées, notamment, par référence aux normes nationales transposant des normes européennes, aux agréments techniques européens, aux spécifications techniques communes (Directive 93/37/CEE, art. 10.2 ; Directive 2004/18/CE, art. 23.3).

Dans le domaine des travaux, les spécifications techniques sont ainsi les prescriptions techniques définissant les caractéristiques requises d'un matériau telles que, notamment, la propriété d'emploi, la sécurité, les dimensions, les procédures d'assurance qualité, la terminologie des symboles, les essais et méthodes d'essai, l'emballage, le marquage, l'étiquetage, les règles de conception et de calculs des ouvrages, les conditions d'essai, de contrôle et de réception des ouvrages ainsi que les techniques et méthodes de construction, etc. (annexe III de la Directive 93/37/CEE, annexe VI de la Directive 2004/18/CE, arrêté du 28 août 2006 relatif aux spécifications techniques des marchés et des accords-cadres pris pour l'application de l'article 6 du Code des marchés publics du 1er août 2006 N° Lexbase : L6750HK9).

Pour les Directives 93/37/CEE et 2004/18/CE et le Code des marchés publics du 1er août 2006, des spécifications techniques ne peuvent mentionner une fabrication ou une provenance déterminées, une marque, un brevet ou un type, dès lors que ce type d'indication aurait pour effet de favoriser ou d'éliminer certaines entreprises ou certains produits (Directive 93/37/CEE, art. 10.6 ; Directive 2004/18/CE, art. 23.8 ; Code des marchés publics, article 6.IV N° Lexbase : L2666HPG).

La réglementation communautaire et la réglementation nationale posent donc la même interdiction. Mais cette interdiction n'est pas absolue. Directives et Code des marchés publics prévoient en effet les deux mêmes limites. La référence à des marques est possible dans l'hypothèse où elle est justifiée par l'objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans l'hypothèse où elle est indispensable à la description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché. Cette référence doit alors être accompagnée de la mention "ou équivalent".

La décision du Conseil d'Etat relative à la consultation lancée par la commune de Saran s'inscrit précisément dans ce cadre. Elle sanctionne la collectivité publique après avoir relevé qu'en l'espèce "ces spécifications propres à une marque de pavés ne sont pas justifiées par l'objet du contrat".

Une appréciation préalable des circonstances de chaque achat doit permettre de déterminer si la référence à une marque est possible parce qu'elle est indispensable à la compréhension du besoin par les candidats ou parce qu'elle est justifiée par l'objet du marché. Une autre décision du Conseil d'Etat à propos d'une consultation relative à la rénovation de la voirie d'un quartier de la ville de Bordeaux fournit un exemple de référence légitime à une marque dans un cahier des charges. Dans cette espèce, le Conseil d'Etat observe qu'"il ne résulte pas des pièces du dossier qu'en choisissant, à ce stade (celui de la préparation du dossier de consultation) un produit d'une marque déterminée, la personne responsable du marché ait méconnu le principe d'égalité entre les candidats, dès lors que seul ce produit répondait aux exigences du cahier des clauses techniques particulières" (CE, 12 mars 1999, n° 171293, Entreprise Porte N° Lexbase : A4738AXR).

Les règles d'indemnisation des candidats évincés

La cour administrative d'appel avait accordé, on s'en souvient, une indemnité de plus de 15 000 euros à la société Gallaud. Cette décision de la cour est intervenue près de neuf années après le rejet de l'offre de la société. Si après un tel délai, l'annulation de la décision attaquée revêtait vraisemblablement un caractère symbolique, il en va autrement de la réparation pécuniaire du préjudice. Cette question revêt, en effet, une importance particulière pour les deux parties, le candidat évincé étant désormais peut-être réticent pour répondre aux consultations de la collectivité, la collectivité publique se trouvant dans l'obligation de verser une indemnité peut-être significative sur le plan budgétaire.

Le Conseil d'Etat rappelle alors la méthode de détermination d'une éventuelle indemnité.

Il importe, tout d'abord, d'examiner si le candidat était dépourvu de toute chance de remporter le marché. Si tel était le cas, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Si en revanche il s'avère qu'elle disposait d'une chance d'être attributaire, elle a droit au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter une offre. Il doit vraisemblablement s'agir des frais de constitution et d'envoi du dossier ainsi que le temps/homme passé à la préparation de la réponse technique et financière, ce point pouvant s'avérer non négligeable dans le cas de prestations intellectuelles de type maîtrise d'oeuvre (hors cas du concours) ou conception graphique (affiches, journaux...).

Il importe de rechercher ensuite si le candidat avait "des chances sérieuses" d'être retenu. Dans ce cas, l'entreprise doit être indemnisée du manque à gagner que représente son éviction irrégulière. Dans ce manque à gagner, le juge précise qu'il convient d'intégrer, sans traitement spécifique, les frais engagés pour présenter une offre. En l'espèce, le juge conclut à l'absence de "chance sérieuse". Le Conseil d'Etat relève, en effet, dans un développement relativement long que parmi les pièces et documents à produire par les candidats figurait un contrat de garantie portant "sur la tenue des pavés et notamment sur la couleur et la résistance au gel et au sel de déverglaçage". La société Gallaud avait fourni à l'appui de son offre une police d'assurance garantissant uniquement les pavés bénéficiant de la norme NF, ce qui n'était pas de cas des pavés à fournir dans le cadre de la consultation litigieuse. Après une demande de renseignements complémentaires de la collectivité, la société Gallaud a produit une nouvelle police d'assurance étendue aux pavés sans norme NF mais ne couvrant pas la tenue de leur couleur. Ce non-respect du règlement de la consultation impliquant la non-conformité de l'offre, caractérise pour le juge l'absence de chance sérieuse d'être retenue et interdit donc à la société Gallaud d'être indemnisée.

newsid:94039

Marchés publics

[Jurisprudence] Le paiement des travaux supplémentaires dans le cadre d'un marché conclu à prix global et forfaitaire

Réf. : CAA Bordeaux 2ème ch., 6 juin 2006, n° 03BX02384, Société MAS Venant aux droits de la société Bigorre Construction (N° Lexbase : A4150DQR)

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N4032ALW

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par Chrystel Farnoux, conseiller juridique à la Chambre de Commerce et d'Industrie de l'Essonne

Le 07 Octobre 2010

L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 6 juin 2006 a été rendu dans une matière où les contentieux sont nombreux. En effet, cet arrêt aborde le sujet épineux de la charge financière des travaux non prévus par le marché. Malgré le caractère constant des conclusions rendues par la jurisprudence administrative, le nombre d'arrêts reste très important. Ce phénomène est très certainement dû à la complexité que revêt, pour les parties au litige, la qualification juridique des faits, qualification conduisant au paiement, ou non, au profit du titulaire, du montant des travaux litigieux. Les réponses devant être apportées (aux fins de déterminer à qui revient la charge financière des travaux) à certaines questions déterminantes peuvent, en effet, être divergentes : les travaux étaient-ils indispensables ? Simplement utiles ? Etaient-ils prévus par le cahier des charges ou, à défaut, les clauses contractuelles les rendaient-ils, a minima, prévisibles ? L'arrêt ici étudié, bien que sans grande originalité au regard de l'état constant de la jurisprudence, nous donne cependant l'occasion de refaire le point sur ce vaste sujet ainsi que sur les décisions récentes rendues en la matière.

Nous allons donc, dans un premier temps, rappeler brièvement la distinction entre un marché conclu à prix unitaires et un marché conclu à prix forfaitaire (I). Puis, après avoir tenté de définir les contours de la notion de "travaux supplémentaires" (II), nous analyserons les hypothèses dans lesquelles le paiement desdits travaux, par le maître d'ouvrage, est de droit (III).

I. Marché conclu à prix unitaires et marché conclu à prix forfaitaire : un partage de risques différent entre les cocontractants

Les marchés conclus à prix unitaires sont ceux au sein desquels le (les) prix sur lequel (lesquels) le maître d'ouvrage et le titulaire se sont entendus, est (sont) appliqué(s) aux quantités effectivement livrées (marchés de fournitures) ou effectivement exécutées (marchés de service ou de travaux).

Le prix unitaire est généralement prévu quand le volume n'est pas connu lors du lancement de la consultation. Le marché prend généralement la forme d'un marché à bons de commande avec ou sans indication de minimum et maximum (déterminés en valeur ou en quantité).

Ce type de marché est plus rarement prévu dans le cadre des marchés publics de travaux, marchés qui sont les plus susceptibles, eu égard aux aléas existants (climat, nature du sol ou des bâtiments réhabilités), de réserver de mauvaises surprises au maître d'ouvrage et donc d'engendrer des surcoûts financiers non budgétés par ce dernier. Ainsi, le marché à prix forfaitaire est plus protecteur du maître d'ouvrage.

Le cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux (dit CCAG Travaux) précise, à cet effet, que les marchés à prix unitaires, "s'appliquent à une nature d'ouvrage ou à un élément d'ouvrage dont les quantités ne sont indiquées dans le marché, qu'à titre prévisionnel" (article 10.2 N° Lexbase : L6908G8D).

Ainsi, de manière assez fréquente, lors de l'établissement de son marché public de travaux, le maître d'ouvrage prévoit que la réalisation dudit marché, se fera à prix global et forfaitaire tant parce que ce type de prix est plus adapté à la réalisation d'une opération de travaux que pour, comme précisé antérieurement, couvrir un maximum de risques, notamment, de dérapage financier de l'opération.

Le prix forfaitaire est donc appliqué, quelles que soient les quantités exécutées, quels que soient les travaux à exécuter pour aboutir au résultat. A ce titre, la circulaire du 5 octobre 1987 relative à la détermination des prix initiaux et des prix de règlement, dispose, rappelons-le, que le prix forfaitaire "rémunère le titulaire pour une prestation, indépendamment des quantités mises en oeuvre pour sa réalisation". Cette définition est précisée par le CCAG Travaux dans son article 10.2 précité et ce, dans les termes suivants : "tout prix qui rémunère l'entrepreneur pour un ouvrage, une partie d'ouvrage ou un ensemble de prestations défini par le marché et qui ou bien est mentionné explicitement dans le marché comme étant forfaitaire ou bien, ne s'applique dans le marché qu'à l'ensemble de prestations qui n'est pas de nature à être répété".

Cette forme de prix implique donc, comme nous allons le voir plus précisément, tout au long de cette étude, que les soumissionnaires apportent une attention particulière tant à l'étude du dossier de consultation qu'à l'établissement de leur offre financière afin d'y inclure, non seulement, les travaux (dans notre cas d'espèce) prévus par le cahier des charges, mais aussi, rendus prévisibles par les clauses y figurant, par un professionnel averti.

II. La notion de "travaux supplémentaires"

Afin de déterminer si les travaux réalisés par l'entrepreneur, titulaire du marché, et dont ce dernier demande le paiement, sont des travaux supplémentaires, la jurisprudence procède à l'analyse des faits aux fins de les qualifier juridiquement. Ainsi, cette dernière vérifie si les travaux concernés étaient prévus par le cahier des charges ou si, alors même qu'ils n'y figuraient pas expressément, pouvaient valablement être prévus par le titulaire lors de l'établissement de son offre. Ainsi, au-delà des termes mêmes des clauses contractuelles et (plus particulièrement celles figurant dans le cahier des clauses techniques particulières), la juridiction administrative vérifie si à défaut d'être prévus, les travaux pouvaient être prévisibles.

L'étude de la jurisprudence, notamment récente, dont la ligne de conduite ne faillit pas, permet d'avancer les pistes suivantes.

Ne sont pas considérés comme des travaux supplémentaires :

- de manière évidente, les travaux prévus dans le cahier des charges (arrêt ici analysé du 6 juin 2006) ;
- les travaux nécessités par des circonstances prévues par le cahier des charges, celui-ci les ayant considérées comme prévisibles (ex : conditions climatiques définies par les clauses contractuelles et considérées comme prévisibles donc, par conséquent, comme devant être incluses dans le prix du marché) ;
- les travaux qui auraient dû être prévus par le titulaire eu égard aux visites et études devant, selon les prescriptions du cahier des charges, être effectuées par l'entrepreneur aux fins d'évaluation, par ce dernier, de l'étendue de ses obligations (CAA Versailles, 4ème ch., 4 juillet 2006, n° 04VE01249, SARL Gilet N° Lexbase : A2505DR9) ;
- les travaux dont la nécessaire réalisation ne pouvait échapper au titulaire compte tenu des compétences professionnelles attachées à sa profession et le cas échéant, de sa spécialisation dans le domaine concerné (arrêt précité du 4 juillet 2006).

Plus généralement, dans tous les cas où le titulaire disposait, notamment via le cahier des charges (mais pas seulement), d'une information suffisante, compte tenu de ses compétences, pour lui permettre d'envisager les travaux futurs à réaliser et par conséquent, pour les inclure dans le prix forfaitaire constitutif de son engagement. Ainsi les travaux exécutés dans le cadre d'un marché à prix forfaitaire, sont loin d'être systématiquement considérés comme des travaux supplémentaires et ce au regard du principe rappelé, maintes fois, par la juridiction administrative, cette dernière considérant que dans le cadre d'un marché à prix global et forfaitaire, l'entreprise doit "mesurer elle-même, l'étendue des obligations auxquelles elle accepte de souscrire" (CAA Nancy, 3ème ch., n° 98NC02633, 30 mars 2006, Société SPAPA N° Lexbase : A1898DPY confirmant une jurisprudence constante établie notamment par la Haute juridiction : CE, 10 mai 1974, n° 83364 et 83371, Commune de San-Gavine-di-Fiumorbo (Corse) et Groupement des entrepreneurs de Bâtiment et Travaux Publics de la Corse N° Lexbase : A7243B7E).

Comme précisé ci-dessus, dans notre cas d'espèce (arrêt de la cour administrative d'appel étudié), les travaux ne sont pas considérés comme supplémentaires car définis, par le cahier des charges, comme potentiellement réalisables, au regard d'études antérieurement réalisées par le maître d'ouvrage et dont les conclusions figurent au sein dudit cahier des charges.

III. Le paiement des travaux supplémentaires

Cependant, nonobstant le fait que les travaux n'ont pas, dans notre cas d'espèce, été qualifiés de "travaux supplémentaires", la cohérence de l'analyse et la volonté de tracer les contours de la problématique avec un maximum d'exhaustivité, nous conduisent à rappeler les principes applicables en matière de paiement des travaux supplémentaires.

En effet, alors même que les travaux sont considérés comme supplémentaires, la jurisprudence peut considérer que le maître d'ouvrage n'est pas tenu de les rémunérer. A l'instar de ce qui fut dit concernant la notion de "travaux supplémentaires", les principes, établis par la jurisprudence sont constants.

A. Travaux supplémentaires donnant lieu à rémunération ou à indemnisation

Peuvent être rémunérés par le maître d'ouvrage, alors même que le marché a été conclu à prix global et forfaitaire, les travaux entrant dans l'une des trois catégories suivantes :

- premier cas de figure : les travaux sont indispensables afin que le marché puisse être exécuté, dans les règles de l'art. Dans l'hypothèse d'une telle qualification, ces travaux devront donc être pris en charge, d'un point de vue financier, par le maître d'ouvrage, alors même que leur exécution n'aurait pas fait l'objet d'un ordre de service de sa part. La notion de "travaux indispensables" peut couvrir un champ d'application relativement large. Ainsi, un arrêt récent de la cour administrative d'appel de Nancy, en date du 17 octobre 2005, a considéré que les travaux mis en oeuvre par le titulaire, sur sa propre initiative, étaient indispensables dans la mesure où la solution prévue par le cahier des charges était irrégulière au regard des règles existant en la matière (CAA Nancy, 4ème ch., 17 février 2005, n° 00NC00598, Commune de Still N° Lexbase : A7234DLI). Le maître d'ouvrage devait donc en assurer le paiement.

Le règlement des dits travaux, par l'administration, est rappelé constamment par le juge administratif :

- récemment, cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 4ème ch., 4 juillet 2006, n° 04VE01249, SARL Gilet, précité), cour administrative d'appel de Nancy (CAA Nancy, 3ème ch., 30 mars 2006, n° 98NC02633, Société SPAPA N° Lexbase : A1898DPY) ;
- pour d'autres arrêts permettant d'appréhender cette notion : cour administrative d'appel de Nancy (CAA Nancy, 3ème ch., 10 novembre 2004, n° 98NC02495, Commune de Pont-de-Roide c/ Sarl menuiserie Mettey N° Lexbase : A9787DHX) ; cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 4ème ch., 9 avril 2004, n° 01NT02276, M. Philippe Jean et Hôpital local de Lesneven N° Lexbase : A3622DDI) ; cour administrative d'appel de Douai (CAA Douai, 17 février 2004, n° 01DA00448, Commune de Lille N° Lexbase : A6721DBK) ; Conseil d'Etat (CE 1° et 2° s-s-r., 14 juin 2002, n° 219874, Ville d'Angers N° Lexbase : A9177AYK) ; cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 4ème ch., 6 février 2001, n° 96PA00869, SEMAEC - Commune de Créteil N° Lexbase : A8314BHE : refus, dans ce dernier cas, de travaux comme indispensables).

- deuxième cas de figure : les travaux supplémentaires ayant pour origine une décision modificative ou une faute du maître d'ouvrage, ayant engendré des coûts non prévus lors de l'établissement, par le titulaire, de son offre. Ces travaux doivent faire l'objet d'un règlement par le maître d'ouvrage.

Le principe a été rappelé récemment dans l'arrêt précité de la cour administrative d'appel de Nancy du 30 mars 2006.

Pour d'autres arrêts rendus en la matière : cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 4ème ch., 9 avril 2004, n° 01NT02276, M. Philippe Jean et Hôpital local de Lesneven N° Lexbase : A3622DDI) ; cour administrative d'appel de Douai (CAA Douai, n° 01DA00448, 17 février 2004, Commune de Lille N° Lexbase : A6721DBK) ; Conseil d'Etat (CE 1° et 2° s-s-r., 14 juin 2002, n° 219874, Ville d'Angers N° Lexbase : A9177AYK ; CE 2° et 6° s-s-r., 12 octobre 1988, n° 56690, Société anonyme "Entreprise Olin" N° Lexbase : A9951APA).

- troisième cas de figure : les travaux entrant dans le champ d'application "des sujétions techniques imprévues". Une distinction doit d'ores et déjà être soulignée. Dans cette hypothèse, il ne s'agira pas d'un règlement mais d'une indemnisation impliquant donc, le cas échéant, une prise en charge partielle du surcoût par le titulaire du marché.

L'application de la théorie des sujétions imprévues suppose la réunion des conditions cumulatives suivantes :

- extériorité ;
- imprévisibilité des circonstances ;
- surcoût exceptionnel ;
- caractère matériel du fait imprévisible (à la différence des conditions de mise en oeuvre de la théorie de l'imprévision).

Le juge administratif mettra en oeuvre la théorie des sujétions techniques imprévues, sous réserve que l'économie du marché soit bouleversée.

L'arrêt récent de la cour administrative d'appel de Marseille (CAA Marseille, 6ème ch., 3 mai 2006, n° 02MA00386, Société Carillion BTP N° Lexbase : A8789DP9) a accepté l'indemnisation du titulaire en considérant que ce dernier n'aurait pu, même à l'aide de sondages, anticiper "la particulière résistance d'une marge de zone rocheuse" qui avait engendré des coûts supplémentaires.

Pour d'autres arrêts concernant la mise en oeuvre de la théorie des sujétions techniques imprévues :

sur l'acceptation de mise en oeuvre de cette théorie : Conseil d'Etat 28 février 1979 (CE contentieux, n° 5952, M. Voisin N° Lexbase : A0267AK4) ; cour administrative d'appel de Douai du 12 février 2004 (CAA Douai, 1ère ch., n° 02DA00230, M. Etienne Tête c/ communauté urbaine de Lyon N° Lexbase : A6762DB3) ; Conseil d'Etat, 13 décembre 1961 (CE contentieux, n° 50341, Ministre des Travaux Publics c/ Société nationale de construction N° Lexbase : A8008DRZ) ;
sur le refus d'application de mise en oeuvre de cette théorie : cour administrative d'appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 2ème ch., 11 juin 2001, n° 97BX30587, Centre hospitalier de Cayenne N° Lexbase : A1846BE4 ; 2ème ch., 16 février 1998, n° 94BX01791, Société Sade-Compagnie Générale de travaux d'hydraulique N° Lexbase : A3357BE3) ; cour administrative d'appel de Marseille (CAA Marseille, 2ème ch., 21 novembre 2000, n° 98MA00892, Département du Var N° Lexbase : A3884BMS).

B. Travaux supplémentaires ne donnant pas lieu à rémunération ou à indemnisation

Certains travaux peuvent revêtir la qualification de travaux supplémentaires, c'est-à-dire considérés comme non prévus ou comme prévisibles (cf. supra). Pour autant, le juge administratif considère, en vue notamment de contrôler les dérapages d'entrepreneurs peu soucieux des procédures relatives aux ordres de service et donc en vue de protéger les deniers publics, que le maître d'ouvrage n'aura pas à rémunérer ou à indemniser certains travaux supplémentaires.

Ainsi, faute de décision expresse prise par le maître d'ouvrage, les travaux réalisés sur simple initiative de l'entrepreneur, devront rester à la charge de ce dernier si lesdits travaux étaient simplement utiles et non indispensables (CAA Versailles, n° 04VE01249 du 4 juillet 2006, précité).

Le fait que lesdits travaux aient été exécutés correctement importe peu (même arrêt).

D'autres circonstances telles que le fait que les travaux supplémentaires viennent compenser des travaux prévus par le marché mais non réalisés, permettent le règlement du marché (CAA Douai, 2ème ch., 20 décembre 2001, n° 99DA00320, Maison de retraite du pays de Condé-sur-Escaut N° Lexbase : A1028BMZ).

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Électoral

[Textes] Conditions d'exercice des mandats municipaux en cours de mandature : à propos d'une récente circulaire du ministère de l'Intérieur

Réf. : Circulaire du ministère de l'Intérieur du 9 août 2006, relative à l'élection et au mandat des assemblées et des exécutifs locaux, n° NOR/INT/A/06/00075/C (N° Lexbase : L9070HSQ)

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Le 07 Octobre 2010

Le régime des mandats locaux oscille entre deux références, le Code électoral, qui définit les modalités de désignation des assemblées locales et le Code général des collectivités territoriales, qui détermine les règles de fonctionnement de ces mêmes assemblées. Comment assurer l'articulation entre les deux ? L'élection des exécutifs locaux figure dans le second, la démission relève du second mais l'élection pour pourvoir à la vacance de siège consécutive ressortit au premier code. Or les questions de début, d'interruption et de fin de mandat sont de celles qui se posent constamment aux autorités locales, tant déconcentrées que décentralisées. On doit donc se monter reconnaissant au ministère de l'Intérieur d'avoir diffusé (en plein mois d'août !) une circulaire qui fait très largement le point sur ces questions (un sommaire (1) abondant détaille plus de 40 pages de textes !).

Il n'est évidemment pas question de reprendre, ni même de résumer, un tel document. S'agissant des seuls conseils municipaux, on se bornera au commentaire des trois points sur lesquels l'accent mérite d'être mis plus particulièrement :

- la dissolution d'un conseil municipal ;
- les effets de la démission d'un conseiller municipal ;
- les effets de la démission du maire et des adjoints en cours de mandat.

I. La dissolution d'un conseil municipal

Le cadre légal de cette procédure est des plus succincts : il se résume par le premier alinéa de l'article L. 2121-6 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8170AAT) ainsi libellé : "un conseil municipal ne peut être dissous que par décret motivé rendu en conseil des ministres et publié au Journal officiel".

La circulaire (2) en dit un peu plus. La jurisprudence du Conseil d'Etat encadre le recours à la dissolution. Les faits générateurs à l'origine d'une dissolution se traduisent par l'impossibilité manifeste de faire fonctionner les instances municipales. Les dissensions au sein du conseil municipal doivent revêtir une particulière gravité qui aboutit à un blocage durable et irréversible de l'assemblée municipale.

Le maire face à son conseil municipal se trouve dans la situation d'un président dans un régime présidentiel et non d'un Premier ministre dans un régime parlementaire. Une fois élu, sauf interruption de son mandat, il le reste pour la même durée que son conseil municipal. Il n'existe pas de procédure comparable à la motion de censure parlementaire par laquelle un conseil municipal forcerait son maire à la démission.

La circulaire évoque (3) deux cas de figure usuels :

- l'impossibilité de désigner le maire ;
- l'impossibilité de faire adopter le budget primitif de la commune.

La référence indispensable au constat de gravité de la crise exclut une dissolution pour des raisons de pure opportunité, ce qui suppose que l'on ait déjà épuisé d'autres solutions possibles du conflit. Par exemple, si des démissions sont intervenues dans le conseil municipal, des élections complémentaires pourraient modifier la majorité de l'assemblée.

Toutefois, le recensement des 160 décrets de dissolution publiés au Journal officiel depuis 1989, les deux derniers datés du 25 août 2006 (4), conduit à nuancer cette appréciation. Cette période a vu trois séries d'élections municipales générales :

- en mars 1989 ;
- en juin 1995 ;
- en mars 2001.

Entre ces mandatures successives, on ne constate pas de régularité dans la fréquence des décrets, qui se répartissent de la manière suivante :

- 71 pendant la mandature 1989-1995 ;
- 43 pendant la mandature 1995-2001 ;
- 46 depuis 2001 (jusqu'en août 2006 inclus).

La procédure, pour exceptionnelle qu'elle apparaisse aux termes de la circulaire, n'en demeure pas moins, en définitive, assez usitée. Il est vrai qu'elle concerne, pour l'essentiel, des communes rurales et peu peuplées.

II. Les effets de la démission des conseillers municipaux

Le régime de la démission varie selon qu'il s'agit de celle d'un conseiller, simple membre du conseil municipal, ou de celle du maire ou de l'un de ses adjoints.

Pour un conseiller municipal, la date d'effet est celle de la réception de sa lettre de démission par le maire. Elle est irrévocable : on ne peut ainsi démissionner et revenir simultanément sur sa décision (5). Se pose alors la question des modalités de remplacement de l'élu démissionnaire qui s'effectue différemment, selon le régime électoral du conseil municipal, lui-même fonction du nombre d'habitants de la commune.

Pour les communes comptant moins de 3 500 habitants

La loi (6) ne fait obligation de pourvoir les sièges vacants que si le nombre de vacances excède le tiers de l'effectif du conseil municipal, à l'exception de l'hypothèse de l'élection du maire (cf. infra).

Toutefois, si un conseil municipal peut fonctionner sans être complet, il ne s'ensuit pas qu'il soit impossible de procéder à une élection complémentaire. Il appartient alors au préfet d'apprécier si un nombre de vacances, insuffisant pour provoquer mécaniquement une élection complémentaire, peut néanmoins justifier un scrutin. A cette question, le juge administratif a répondu par l'affirmative (7).

S'il s'agit simplement de compléter le conseil municipal, le régime électoral applicable en cours de mandature est celui qui prévalait lors du dernier renouvellement général (8). C'est le cas en particulier si la commune, entre-temps, a dépassé le seuil de 3 500 habitants. Une décision récente du Conseil d'Etat vient de le confirmer (9).

Pour les communes comptant 3 500 habitants ou plus

Leur régime électoral, nettement plus encadré, est très différent. Présentées dans un certain ordre au moment du dépôt des candidatures en préfecture, les listes comprennent un nombre de candidats égal au nombre de sièges à pourvoir (10), ce qui permet de faire appel au suivant de liste : la personne qui suit dans cet ordre le dernier candidat préalablement proclamé élu, est désignée pour pourvoir le siège vacant (11). Dans l'hypothèse où celle-ci serait indisponible ou refuserait son mandat, c'est la suivante qui serait proclamée et ainsi de suite.

Dans ces communes, le recours à une élection partielle en cas de vacances de sièges est donc plus rare. Certes, il faut au moins un tiers de sièges vacants mais aussi constater l'impossibilité de recourir au suivant de liste, avec la même exception dans l'hypothèse de l'élection du maire. Le conseil municipal est alors renouvelé en totalité, avec interruption du mandat de tous ses membres, y compris donc ceux élus lors du renouvellement général.

Enfin, dans un cas comme dans l'autre, en principe, pas d'élection partielle à proximité d'un renouvellement général. La loi renforce le nombre nécessaire de vacances (la moitié au lieu d'un tiers) pour organiser une élection partielle lors de la dernière année de mandature (12). A l'horizon des prochaines élections municipales, ce terme interviendra à compter du 1er mars 2007.

III. Les effets de la démission du maire et des adjoints

Le maire préside le conseil municipal dont il demeure membre. Son remplacement ne peut s'effectuer que par un conseil municipal au complet, c'est-à-dire sans siège vacant (13). Cette procédure revêt une complexité graduelle selon le contexte.

Le cas le plus simple résulte de la démission du maire ou de l'adjoint de son seul mandat exécutif, alors qu'il demeure membre de l'assemblée communale. Dans ce cas, la procédure se résume au choix d'un membre du conseil municipal en son sein (14).

Lorsque la démission porte à la fois sur le mandat de maire (ou d'adjoint) et celui de conseiller municipal, il est procédé à l'élection de son successeur par un conseil siégeant au complet (15). Il faut alors pourvoir au préalable tous les sièges vacants :

- par appel au suivant de liste dans les communes comptant 3 500 habitants ou plus ;
- par une élection complémentaire dans les autres communes.

L'importance de l'élection du maire suffit à forcer les exceptions prévues pour les autres hypothèses de remplacement des élus municipaux :

- dans les communes comptant moins de 3 500 habitants, il doit être procédé à une élection complémentaire même si moins d'un tiers des sièges sont vacants ;
- dans une commune comptant 3 500 habitants ou plus, le fait de ne pas pouvoir compléter l'effectif du conseil municipal par appel aux suivants de liste conduit à organiser une élection partielle ;
- la restriction qui prévaut dans l'année précédant un renouvellement général ne joue pas lorsqu'il s'agit de remplacer le maire : on peut alors être conduit à renouveler tout le conseil municipal en dépit de la proximité du renouvellement général.

Comme le montre la jurisprudence citée par la circulaire, le juge administratif est conduit à concilier plusieurs principes en fonction du contexte :

- le respect de l'expression du suffrage universel ;
- le principe de continuité des mandats ;
- la volonté de faire respecter la finalité des procédures en limitant le risque de manoeuvre.

Pour une large part, cette complexité résulte de l'émiettement des communes qui conduit à une grande diversité des contextes municipaux. En comparaison, rien de tel pour les autres collectivités, qu'elles soient départementales ou régionales.

Guy Prunier
Chargé de mission au Conseil constitutionnel


(1) Circulaire, p. 45 à 47.
(2) Circulaire, 1.4.1 et 1.4.2, p. 10 et 11.
(3) Circulaire, 1.4.2, p. 11.
(4) Journal officiel du 26 août 2006 : décret du 25 août 2006, portant dissolution du conseil municipal de La Roquette-sur-Var (Alpes-Maritimes) (N° Lexbase : L6529HKZ) ; décret du 25 août 2006 portant dissolution du conseil municipal de Loudes (Haute-Loire) (N° Lexbase : L6530HK3).
(5) Circulaire, 1.3.3, p. 8.
(6) C. élect., art. L. 258 (N° Lexbase : L9638DNB).
(7) Circulaire, 4.2.2 c, p. 5.
(8) CGCT, art. R. 2121-3 (N° Lexbase : L1327ALQ).
(9) CE, 23 août 2006, n° 289727, Elections municipales partielles de Villeneuve-les-Béziers (N° Lexbase : A8905DQU).
(10) C. élect., art. L. 260 (N° Lexbase : L2617AA8).
(11) C. élect., art. L. 270 (N° Lexbase : L9635DN8).
(12) Circulaire, 1.2.2, p. 3.
(13) CGCT, art. L. 2122-8 (N° Lexbase : L8604AAW).
(14) Circulaire, 2.4.1, p. 22.
(15) Circulaire, 1.2.2 b, p. 3.

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