Le Quotidien du 23 octobre 2025

Le Quotidien

Procédure civile

[Dépêches] L’article 386 du Code de procédure civile n’est pas applicable à la saisie immobilière !

Réf. : Cass. civ. 2, 2 octobre 2025, n° 22-24.252, F-B N° Lexbase : B4980BY4

Lecture: 3 min

N3143B3S

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/124874699-edition-du-23102025#article-493143
Copier

par Alexandre Autrand, doctorant, ATER à l’Université Paris-Est Créteil

Le 22 Octobre 2025

La Cour de cassation considère que les dispositions de l'article 386 du Code de procédure civile, relatives à la péremption de l’instance, ne sont pas applicables à la procédure de saisie immobilière. Dans cette hypothèse, la Cour considère que seule la péremption du commandement de payer valant saisie est encourue, conformément aux dispositions des articles R. 321-20 et R. 321-21 du Code des procédures civiles d’exécution.

Faits et procédure. Le 20 avril 2015, une banque a fait délivrer un commandement de payer valant saisie immobilière à M. et Mme [C], puis les a assignés, par acte du 7 août 2015, à une audience d’orientation. Le 28 avril 2016, l’affaire a fait l’objet d’une radiation. Le 2 septembre 2021, M. et Mme [C] ont déposé des conclusions à fin de péremption d’instance. S’agissant de la banque, cette dernière sollicite la péremption du commandement de payer valant saisie immobilière. Une décision est rendue par le juge de l’exécution saisi, puis un appel est interjeté par devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Cette dernière statue sur ce recours, dans un arrêt du 1er décembre 2022 (CA Aix-en-Provence, 1er décembre 2022, n° 22/04352 N° Lexbase : A22228YX). Par la suite, M. et Mme [C] ont attaqué cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. Les demandeurs au pourvoi font grief à l’arrêt de les débouter de leur demande en constatation de la péremption d’instance. Selon eux, les dispositions du Code de procédure civile relatives à la péremption d'instance sont applicables à l'instance aux fins de saisie immobilière. M. et Mme [C] affirment aussi que la péremption de l’instance opère de plein droit et dessaisit le juge, qui ne peut, par la suite, statuer sur d’autres demandes. Or, les juges du fond ont considéré que la procédure de saisie immobilière n’est pas soumise aux dispositions du Code de procédure civile relatives à la péremption d’instance. Dans son arrêt, la Cour d’appel considère que la procédure de saisie immobilière avait pris fin le 9 juin 2017, date à laquelle la péremption du commandement de payer a été acquise. En statuant ainsi, M. et Mme [C] considèrent que la Cour d’appel a violé notamment les articles R. 121-5 N° Lexbase : L4823NAU et R. 321-20 N° Lexbase : L8667LYN à R.321-22 du Code des procédures civiles d’exécution.

Solution. La Cour de cassation approuve l’argumentation de la Cour d’appel, et rejette le pourvoi. Tout d’abord, la Haute juridiction souligne que la question qui se pose ici, est de savoir si l’article 386 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2277H44 peut être appliqué à la procédure de saisie immobilière. Pour répondre à cette question, la Cour rappelle la lettre des articles R. 121-5, L. 311-1 N° Lexbase : L0429L8E, R. 321-20 et R. 321-21 N° Lexbase : L7887IUN du Code des procédures civiles d’exécution, ainsi que sa jurisprudence de 2008 (Cass. Ass. plén, 16 mai 2008, n° 

08-00.002 N° Lexbase : B4980BY4). Elle déduit de l’ensemble de ces fondements juridiques, que les dispositions du Code des procédures civiles d’exécution prévoient un dispositif de péremption qui est propre à la saisie immobilière. De ce fait, les juges du Quai de l’horloge considèrent que les dispositions de l'article 386 du Code de procédure civile ne sont pas applicables à la procédure de saisie immobilière. Dans cette hypothèse, seule la péremption du commandement de payer valant saisie est encourue, conformément aux dispositions des articles R. 321-20 et R. 321-21 du Code des procédures civiles d’exécution.

newsid:493143

Propriété intellectuelle

[Commentaire] Revenus du naming : l'architecte du stade en embuscade

Réf. : TJ Toulon, 4 septembre 2025, n° 24/01921 N° Lexbase : B5515BRP

Lecture: 18 min

N3100B39

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/124874699-edition-du-23102025#article-493100
Copier

par Thibault Lachacinski et Fabienne Fajgenbaum, Avocats à la Cour, Cabinet FAJGENBAUM

Le 22 Octobre 2025

Mots-clés : naming • architecte • marque • droit d’auteur • fondement contractuel

Le jugement rendu le 4 septembre 2025 par le tribunal judiciaire de Toulon inaugure un contentieux inédit : celui de la rémunération de l’architecte d’un stade dans le cadre de son naming. Refusant d’ancrer cette rémunération dans le droit d’auteur, tant moral que patrimonial, le juge fait prévaloir la liberté contractuelle et l’économie du contrat conclu entre l’exploitant et l’architecte. Si la décision consacre la force obligatoire des conventions, elle souligne en creux l’absence de tout fondement légal à une telle rémunération : le naming demeure une opération commerciale autonome, étrangère au droit d’auteur.


 

 

Le 4 septembre 2025, le tribunal judiciaire de Toulon a rendu un intéressant jugement qui interroge, semble-t-il, pour la première fois, les rapports complexes que peuvent entretenir les gestionnaires de stades et les architectes de ces infrastructures à l'occasion de leur naming, défini par cette juridiction comme un « contrat s'apparentant au sponsoring, envisagé […] pour être passé entre l'exploitant de l'enceinte sportive et une marque, et ayant pour objet, en contrepartie d'une redevance versée par la marque contractante, d'associer une dénomination de marque au stade ».

Les faits sont simples. En 2019, la Ville de Paris a confié à une société tierce la gestion du stade Jean Bouin, dont elle est propriétaire et qui sert actuellement de résidence aussi bien au Stade Français pour le rugby qu'au Paris FC nouvellement promu en Ligue 1 de football. Quelques années auparavant, ce stade avait été rénové par l'architecte Rudy Ricciotti. Par contrat du 8 juillet 2019, la société gestionnaire du stade et cet architecte ont conclu un contrat d'autorisation d'exploitation commerciale et temporaire des droits d'auteur sur l'œuvre architecturale, portant entre autres sur les conditions d'un futur naming. Le contrat précisait que la société gestionnaire était en recherche d'un partenaire de naming et stipulait ensuite : « sur le principe, l'Architecte ne s'opposera pas à la conclusion d'un tel contrat pour autant qu'une négociation portant sur les droits patrimoniaux de l'Architecte permettant au partenaire d'exploiter l'image du stade sans le dénaturer et dans des conditions notamment financières à définir soit conduite de bonne foi entre les parties et qu'un accord sur les conditions d'exploitation desdits droits soit conclu entre les parties. En cas de désaccord sur les termes d'un accord, les parties après concertation pourront recourir à une expertise pour que soit définie la juste rémunération de l'Architecte et décidé de la modification de façade choisie sans dénaturation de l'œuvre ».

Un contrat de naming en partenariat a rapidement été envisagé avec Caprisun [1]. À partir de 2020, des négociations ont été engagées, sans toutefois qu'un accord intervienne concernant la rémunération de l'architecte. Par ordonnance du 22 novembre 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulon a alors ordonné une expertise aux fins de détermination de cette rémunération, rapport finalement rendu en novembre 2023. La société gestionnaire du Stade Jean Bouin a par la suite fait assigner l'architecte devant ce tribunal aux fins de fixation de sa rémunération conformément aux conclusions du rapport, pour un montant de 17 021 euros par an dans le cadre d'un éventuel contrat de naming à venir. À titre reconventionnel, l'architecte demandait au tribunal de fixer sa rémunération « au titre de l'exploitation secondaire et durable des droits d'image au titre du naming » à 25 %, calculée sur le montant total net hors TVA des recettes perçues annuellement et sollicitait en outre le versement de la somme de 60 000 euros HT sur la prestation (à intervenir) de conception et réalisation de l'apposition de la signalétique du naming.

Bien qu'émettant des doutes quant aux fondements juridiques susceptibles de justifier une telle rémunération (I), le tribunal fait primer la liberté contractuelle et rend après expertise un jugement de Salomon quant à son montant (II). Il rappelle par ailleurs que les architectes ne jouissent d'aucun droit acquis sur la réfection ou la modification de leurs œuvres (III).

I. L'impossible évocation du droit d'auteur pour justifier la rémunération de l'architecte

A. La question procédurale : un match qui se joue à l'extérieur, en terre de rugby

Si Toulon est incontestablement une terre de Rugby, la compétence du tribunal judiciaire de cette ville interroge quelque peu. En effet, le jugement du 4 septembre 2025 fait apparaître que le contrat conclu entre les parties portait sur « l'autorisation d'exploitation commerciale et temporaire des droits d'auteur sur l'œuvre architecturale » et la « cession temporaire de droit d'auteur » : son objet portait donc clairement sur le droit d'auteur. Or, en vertu des dispositions de l'article L.331-1 du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L0398LTW, les actions civiles et les demandes « relatives à la propriété littéraire et artistique, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale » sont exclusivement portées devant des tribunaux judiciaires, déterminés par voie réglementaire, soit dix tribunaux judiciaires en pratique [2].

De toute évidence, le tribunal judiciaire de Paris était la juridiction naturellement compétente pour statuer sur la cession des droits d'auteur portant sur un stade situé à Paris. S'il apparaît probable que la compétence territoriale des juridictions de Toulon a été stipulée dans le contrat ou qu’il s’agit du domicile de l’architecte, il n'en reste pas moins que, en vertu des dispositions précitées, seul le tribunal judiciaire de Marseille aurait été matériellement compétent pour statuer sur une problématique liée au droit d'auteur.

Quoi qu'il en soit, indépendamment du fait qu'il aurait appartenu aux parties de saisir préalablement le juge de la mise en état d'un incident à raison de l'incompétence supposée de la juridiction [3], le jugement du 4 septembre 2025 prend précisément le soin de rappeler que l'œuvre architecturale et les droits d'auteur dont elle est le support ne sont pas en cause au cas d'espèce, dès lors qu'ils ne permettraient pas de justifier la rémunération au titre du naming sollicitée par l'architecte.

B. Le droit moral ne peut pas assoir une rémunération sur une atteinte à venir

Le jugement du 4 septembre 2025 s’inscrit dans la tradition jurisprudentielle qui, tout en rappelant la force du droit moral de l’architecte [4], en circonscrit la portée. Si l’architecte demeure le gardien de l’intégrité de son œuvre, il ne saurait – sauf dénaturation – s’opposer à toute modification ou adaptation de celle-ci. En effet, le droit moral ne peut pas imposer au propriétaire du support matériel une intangibilité absolue de l'œuvre [5].

De façon intéressante mais ouvrant malgré tout la voie à une regrettable insécurité juridique dès lors que la question n'est pas tranchée, le tribunal s'interroge alors sur le point de savoir si la nature même du naming pourrait éventuellement susciter une opposition de principe de l'architecte au nom de son doit moral sur l'œuvre, « tant il est vrai que la dénomination d'une œuvre, même d'usage commercial, participe de l'image de l'œuvre ». Poser la question ne revient-il pas implicitement à y répondre ? En tout cas, la formulation retenue (légèrement ironique ?) laisserait à penser que les juges toulonnais auraient pu retenir une telle atteinte au cas d'espèce, l'architecte ayant « initialement conçu une œuvre portant le nom d'un athlète mort pour la France, et non de boissons sucrées ».

Cette appréciation très extensive de la notion de dénaturation de l'œuvre, sans aucune altération directe de la substance de l'œuvre mais par simple association contextuelle à une dénomination nouvelle, peut questionner. En droit, la Cour de cassation a, par exemple, cassé pour méconnaissance de l'article L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L3346ADB un arrêt d'appel qui avait énoncé que le classement d'une œuvre dans la catégorie des œuvres de compilation ou d'arrangement portait atteinte à la considération reconnue à l'auteur et avait en conséquence retenu une altération de celle-ci [6].

Surtout, reconnaître aux architectes un tel droit de veto ou de rémunération complémentaire au visa du droit d'auteur apparaît peu opportun, alors qu'ils ont parfaitement conscience de la fonction utilitaire du stade, qu'ils ont parfaitement connaissance de la pratique du naming et que cette dernière est, pour le gestionnaire de l'infrastructure, une nécessité économique. Il convient donc d'opérer une conciliation du droit moral de l'architecte avec les droits et intérêts économiques du gestionnaire et de ne pas dénaturer un droit d’auteur déjà malmené. Par ailleurs, les propriétaires d’œuvres ne doivent pas risquer de se retrouver pris en otage par des demandes excessives ou imprévisibles.

Quoi qu'il en soit, le tribunal évacue le débat en rappelant – très justement –que, si des sommes d'argent peuvent éventuellement être versées à un architecte en cas de modification dénaturant son œuvre, ces montants ont alors la nature d'une indemnité compensant l'atteinte fautive à son droit moral ; elles ne peuvent donc être versées qu'en aval de l'atteinte, au terme d'une condamnation judiciaire ou d'une transaction. En revanche, comme notamment rappelé par la jurisprudence Flunch, l'inaliénabilité du droit au respect de l'œuvre, principe d'ordre public, « s'oppose à ce que l'auteur abandonne au cessionnaire, de façon préalable et générale, l'appréciation exclusive des utilisation, diffusion, adaptation, retrait, adjonction et changement auxquels il plairait à ce dernier de procéder » [7]. Le tribunal en déduit que le versement d'une rémunération à déterminer ne peut en principe découler de la composante morale du droit d'auteur de l'architecte, dans le cadre d'une « compensation anticipée d'une future atteinte ». Le jugement du 4 septembre 2025 ne peut qu'être pleinement approuvé sur ce point.

C. Les droits patrimoniaux d'auteurs ne sont pas affectés par le naming

Le jugement du 4 septembre 2025 s'est également interrogé sur la qualification du naming au regard du droit patrimonial de l’architecte. Il rappelle à cet égard que « le contrat de naming en lui-même ne consiste pas en une utilisation ou reproduction de l'image de l'œuvre […] et est indépendant des droits patrimoniaux de l'architecte » et souligne au surplus que les droits d'exploitation secondaires et dérivés font déjà l'objet d'une rémunération proportionnelle à celle perçue par l'exploitant.

La conclusion à laquelle aboutit le Tribunal est claire : l'architecte se trouve d'ores et déjà rempli "dans ses droits patrimoniaux relatifs à l'exploitation de l'image de son œuvre lorsqu'elle est reproduite à des fins commerciales, c'est-à-dire directement photographiée ou filmée, ou bien représentée sur des produits dérivés". Ainsi, outre qu'aucune des prérogatives patrimoniales du droit d'auteur n'est en cause dans le processus de naming, une rémunération autonome à ce titre conduirait à octroyer à l'architecte une double rémunération pour un seul et même usage. Elle serait donc indue.

II. Un fondement contractuel fragile

Faute de mieux, c'est finalement vers le droit des obligations que se tourne le Tribunal pour justifier le versement à l'architecte d'une rémunération au titre du naming du stade Jean Bouin. Le jugement du 4 septembre 2025 vise plus spécifiquement l'article 1103 du Code civil N° Lexbase : L0822KZH, aux termes duquel les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

A. Un calcul empirique de la rémunération

Pour calculer le montant de la rémunération due à l'architecte, l'expert mandaté par la société gestionnaire avait proposé d'avoir recours à plusieurs méthodes d'évaluation, consistant à rechercher l'existence de contrats similaires [8] voire de jurisprudences similaires [9] ou encore à prendre en considération le barème de tarification imposé par les groupements d'auteurs aux sociétés exploitantes pour l'utilisation d'œuvres audiovisuelles [10]. À suivre son rapport, le prix moyen d'un contrat de naming de stade s'élèverait à moins de 4 000 000 euros en France, en 2023. L'expert avait finalement retenu une rémunération annuelle de 17 021 euros.

Le tribunal n'a toutefois pas été totalement convaincu par cette approche. Au regard notamment des termes initiaux de la négociation [11], « de la rémunération usuelle des apporteurs d'affaires en contrat de sponsoring, de l'ordre de 5 à 6 % », du contexte économique du prix global des contrats de naming comparables en France, qui conduirait à une rémunération annuelle de l'ordre de 25 000 euros en retenant une rémunération de 1 % sur un contrat à 2 500 000 euros (ou de 2 % sur un contrat d'un montant deux fois moindre), le tribunal retient qu'il y aurait lieu de retenir une rémunération annuelle de 25 000 euros, au titre du contrat de naming, écartant par là-même l’application automatique de la clause de rémunération proportionnelle de 25 % prévue pour les « exploitations secondaires » (art. 4 du contrat).

Ce faisant, délaissant une lecture purement formaliste du contrat, le tribunal a rappelé que la rémunération de l’architecte se doit d'être appréciée au regard de l’économie globale du contrat et des usages du secteur.

B. La difficile justification économique de la rémunération de l'architecte

Le jugement du 4 septembre 2025, s'il tranche fort heureusement avec pragmatisme la question de la rémunération, laisse, en revanche, totalement ouverte la question de la justification de cette rémunération. Comme précédemment rappelé, le tribunal a précisément jugé que le droit à rémunération de l'architecte ne peut trouver sa justification dans le périmètre des droits patrimoniaux d'auteur, pas davantage que dans ses prérogatives de droit moral. Le rapport d'expertise va plus loin, qui considère que « la rémunération du naming n'a pas de justification économique » et souligne même que la rémunération d'un architecte dans le cadre d'un contrat de naming ne serait pas une pratique connue en l'état.

L'architecte est tout aussi flou dans ses demandes, adossant sa rémunération sur l'exploitation des « droits d'image » (sic). Rappelons toutefois qu'il n'existe pas à proprement de droit à l'image des biens (c'est-à-dire de droits exclusifs sur l'image des biens) mais simplement la possibilité pour le propriétaire d'une chose de s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal [12]. A fortiori, un architecte qui n'est pas même propriétaire du stade est donc mal fondé à revendiquer des droits d'image au sens du Code civil sur cette infrastructure.  

En pratique, le contrat conclu le 8 juillet 2019 impose donc au gestionnaire du stade Jean Bouin une obligation de négocier et de rémunérer l’architecte, sans que ce dernier ne s’engage à une prestation effective et alors qu’il ne peut en principe s’opposer au naming, sauf dénaturation. Il est dès lors permis de s'interroger sur le bienfondé d'une clause de rémunération du naming à laquelle ne répond aucune contrepartie tangible à la charge de l'architecte.

L'expert insiste sur l'existence d'une base contractuelle qui prévoit cette rémunération de façon incontestable. De façon assez nébuleuse, son rapport explique que la rémunération aurait une nature double, correspondant, d'une part, à une compensation financière du droit moral et répondant à l'engagement que l'architecte ne s'oppose pas au naming « dès lors qu'il n'y a pas de dénaturation de son œuvre » (? [13]) et, d'autre part, à la rémunération de ses droits patrimoniaux du fait de la covisibilité du nom de la marque sur l'œuvre. Un tel raisonnement, exclusivement fondé sur un prétendu préjudice au titre de prérogatives du droit d'auteur dont le tribunal a confirmé qu'elles n'étaient pas affectées, peine évidemment à convaincre.

Malgré tout, la clause s'insère dans un environnement contractuel plus large et est intégrée à un contrat longuement négocié et conclu entre professionnels qui, chacun, a par ailleurs consenti à son cocontractant des concessions réelles. Pour le tribunal, il s'agissait donc de la « Loi des Parties ». Surtout, le litige ne portant que sur la rémunération associée au naming – dont le principe était « d'ores et déjà acquis entre les parties » –, il n'appartenait pas au tribunal de statuer sur un point de droit dont il n'avait pas été préalablement saisi par les parties [14].

Serait-il permis, malgré tout, de déduire du refus du tribunal de faire droit aux demandes de l'architecte au titre de l'article 700 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5913MBM [15] une certaine réserve de sa part quant à la solution juridique ainsi retenue ?

III. L'absence de droit de suivi sur les créations architecturales

De manière traditionnelle, le propriétaire d'une œuvre architecturale est tenu d'effectuer les travaux d'entretien normaux de nature à éviter ou à retarder sa dégradation [16]. Pour autant, l'architecte bénéficie-t-il per se d'un droit acquis à se voir confier cette mission d'entretien ou de rénovation, c'est-à-dire d'une sorte de droit de suivi qui le rendrait alors incontournable ? C'est en tout cas ce que soutenait l'architecte qui demandait au tribunal de juger qu'il était « fondé à solliciter une rémunération sur la prestation de conception et réalisation de l'apposition de la signalétique du naming sur le stade ».

S'agissant de la rénovation d'une fresque monumentale située dans la salle des guichets de la gare de Lyon à Paris, la cour d'appel de Paris a eu l'occasion de juger que l'auteur ne bénéficiait d'aucun monopole ni d'aucun droit de contrôle sur l'entretien et la rénovation de son œuvre, que la SNCF pouvait donc librement confier à un tiers [17]. Au cas d'espèce, le tribunal constate qu'il ne résulte d'aucune clause contractuelle, « ni d'ailleurs de la loi » que la mission de réalisation de la signalétique relative à un nouveau nom du stade (graphisme, dimensions, emplacement notamment des enseignes principales et de la signalétique secondaire) « doive être confiée à l'architecte initial, ni doive être considérée comme un élément de rémunération du naming ».

Consacrant donc la totale liberté contractuelle de l’exploitant, le tribunal poursuit : « l'exploitant, agissant à l'égard de l'architecte comme le propriétaire du bien, n'est nullement tenu à contracter avec cet architecte seul toute modification quelconque de son œuvre, dès lors que celle-ci n'est pas dénaturée et que le nouveau prestataire agirait à l'égard de son confrère conformément aux règles déontologiques de la profession d'architecte en pareil cas ».

De manière surabondante et en réponse à une demande de l'architecte, le tribunal rappelle par ailleurs que nul n'est fondé à demander au juge de fixer le prix d'une prestation qui n'aurait pas été préalablement convenue par contrat. Par un récent arrêt du 4 juin 2025, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a d'ailleurs censuré une cour d'appel au visa des dispositions des articles 1591 N° Lexbase : L1677ABQ et 1592 N° Lexbase : L2395LR7 du Code civil, au motif qu'un tribunal n'a pas le pouvoir de fixer le prix de la vente [18].

***

Le jugement rendu le 4 septembre 2025 par le tribunal judiciaire de Toulon est tout à fait atypique. D'une part, dans la continuité d'une jurisprudence constante, il rappelle que les contrats de naming n'entrent pas dans le périmètre du droit moral, pas davantage que dans celui des droits patrimoniaux d'auteur. D'autre part, le tribunal admet expressément la difficulté à trouver un fondement à la rémunération autonome du naming au profit de l'architecte. Pour autant, respectueux de la force obligatoire des contrats et des obligations auxquelles l'exploitant du stade a librement décidé de consentir (C. civ., art. 1103), le tribunal n'a eu d'autre choix que de trancher la question de la rémunération de l'architecte.

Il est malgré tout permis de considérer que la décision ainsi rendue est de pure espèce et que la solution juridique retenue n'a pas vocation à être généralisée. Hors stipulation contractuelle en ce sens [19], en l'absence de tout fondement légal, rien ne justifie en effet qu'un architecte tire un quelconque avantage économique d'un contrat de naming. Mais que diable allait faire l'exploitant du stade Jean Bouin dans cette mêlée ?

 

[1] Nom de la société suisse productrice de boissons fruités que dirige le propriétaire du club de rugby résident du stade Jean Bouin (Stade français).

[2] Cf. art. D. 211-6-1 du Code de l'organisation judiciaire N° Lexbase : L1626LSZ et le Tableau VI annexé à ce code.

[3] CPC, art. 74 N° Lexbase : L1293H4N, 75 N° Lexbase : L1411LGD et 789 N° Lexbase : L9730MMC (exceptions de procédure).

[4] Ayant toutefois écarté toute atteinte, s'agissant des serres d'Auteuil : TGI Paris, 10 novembre 2016, n° 15/17625 N° Lexbase : A8153SLK.

[5] Cass. civ. 1, 7 janvier 1992, n° 90-17.534, publié N° Lexbase : A5466AHW – Cass. civ. 1, 20 décembre 2017, n° 16-13.632, F-D N° Lexbase : A0650W9X.

[6] Cass. civ. 1, 6 février 1996, n° 94-12.612, inédit N° Lexbase : A3830CN8.

[7] Cass. civ. 1, 2 avril 2009, n° 08-10.194, F-D N° Lexbase : A1072EGS.

[8] Il n'en existe aucun !

[9] Une seule décision identifiée par le tribunal, à savoir CE, 2° et 7° s-s-r., 11 septembre 2006, n° 265174, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0374DRB (stade de la Beaujoire) ; toutefois, l'affaire ne portait pas sur une problématique de naming mais sur un cas « classique » d'agrandissement du stade pour accueillir les matchs de la coupe du monde football 1998 ; ses enseignements sont donc difficilement transposables au cas d'espèce.

[10] Tarification appliquée à un nombre de diffusions calculée à raison d'une diffusion télévisuelle de match par mois outre quatre reportages par an, soit 16 représentations en plein écran et 16 représentations en décor.

[11] 12 % revendiqués par l’architecte ; 1 % proposé par la société gestionnaire du stade.

[12] Cass. ass. plen., 7 mai 2004, n° 02-10.450 N° Lexbase : A1578DCG ; cf. également, CA Paris, 17 avril 2019, n° 18/01893 N° Lexbase : A3661Y9H.

[13] S'il n'y a pas d'atteinte au droit moral, pourquoi alors proposer une compensation ?

[15] Frais de justice.

[16] Cass. civ. 1, 3 décembre 1991, n° 90-15.725, publié N° Lexbase : A5364AH7.

[17] Sauf à établir que la rénovation était inappropriée : CA Paris, 4 mars 2022, n° 20/13051 N° Lexbase : A63027P4

[18] Cass. com., 4 juin 2025, n° 24-11.580, F-B N° Lexbase : B4256AED, B. Saintourens, Lexbase Affaires, juin 2025 N° Lexbase : N2431B3G.

[19] Et sous réserve du respect de ses droits d'auteurs.

newsid:493100

Responsabilité

[Podcast] L’article 1254 : la révolution de l’amende civile ?

Lecture: 1 min

N3104B3D

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/124874699-edition-du-23102025#article-493104
Copier

Le 15 Octobre 2025

► Dans ce nouvel épisode de LexFlash, nous recevons Louis Thibierge, Agrégé des facultés de droit, Professeur à Aix-Marseille Université, avocat au barreau de Paris, arbitre.

Il analyse l’article 1254 du Code civil, récemment introduit, qui marque une évolution majeure en droit de la responsabilité civile.

Présentée comme une innovation de rupture, cette disposition introduit une sanction civile qui ne dit pas son nom, évoquant par certains aspects les punitive damages du droit anglo-saxon.

Quels effets concrets peut-on attendre de cette réforme ? S’agit-il d’une véritable acclimatation des logiques de Common Law ou d’une tentative qui restera sans portée pratique ?

Un décryptage éclairant sur les enjeux juridiques et théoriques de ce nouvel article.

► Retrouvez également cet épisode en podcast sur Youtube, Spotify, Deezer et Apple Podcasts.

 

newsid:493104

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus