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N2568B3I
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par Axel Valard
Le 30 Juin 2025
De neuf heures du matin à minuit. Toute la journée était prévue pour qu’Éric Ciotti fasse entendre sa voix et ses propositions dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Las, le patron du tout nouveau groupe Union des droites républicaines (UDF) a dû constater, impuissant, que sa « niche parlementaire » avait tourné court, jeudi 26 juin en fin de journée. L’ancien patron des Républicains, rallié aux intérêts de Marine Le Pen à l’occasion de la dissolution de 2024, a échoué à faire adopter ses mesures. Pire, il n’a même pas eu la chance de pouvoir assister au vote d’un de ses textes.
Le plus important d’entre eux à ses yeux n’a donc pas réussi à franchir l’obstacle de l’examen parlementaire. Chagriné par le sort judiciaire de Marine Le Pen, Éric Ciotti proposait en effet d’interdire l’exécution provisoire des peines d’inéligibilité. Une réaction évidente et non dissimulée à la condamnation lourde infligée à la cheffe de file des députés (RN) à cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, prononcée le 31 mars dernier par le tribunal judiciaire de Paris dans l’affaire dite des assistants des eurodéputés du Front national. Et qui obère ses chances de se présenter à l’élection présidentielle de 2027.
Dans les faits, la proposition UDR était simple. Elle ne comportait qu’un article unique formulé en ces termes : « L’article 131-26 du Code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé : ‘L’interdiction du droit de vote et l’inéligibilité ne peuvent faire l’objet d’une exécution provisoire’ ». Pour avoir une chance de le voir adopté, le groupe UDR s’était organisé. Dès le matin, il avait renoncé à proposer une résolution non contraignante sur l’accord franco-algérien de 1968. Pour garder plus de temps pour l’essentiel. Mais, à la mi-journée, après des débats âpres, le groupe de droite a dû se résoudre à laisser tomber.
Pour Gérald Darmanin, « ce n’est pas raisonnable ».
Après avoir présenté son texte, Éric Ciotti a subi un premier revers en découvrant, impuissant, que le gouvernement ne soutiendrait pas cette proposition. Au micro, c’est Gérald Darmanin qui a annoncé cette mauvaise nouvelle pour lui. Si le ministre de la Justice avait tweeté pour appeler au respect de la démocratie lors du procès de Marine Le Pen et indiquer qu’elle devait être combattue « dans les urnes » et non pas dans les tribunaux, le ministre de la Justice a douché les espoirs de son ancien collègue au sein de l’UMP.
« Légiférer dans la circonstance au moment même où nous sommes entre première et deuxième instance pour un procès certes important… Chacun verra que ce n’est pas une bonne façon de faire la loi, a donc indiqué le Garde des Sceaux. La loi doit être abstraite et non répondre à une pression de l’actualité politique. Supprimer cette faculté de l’exécution provisoire en quelques minutes, sans discussion plus avancée, ce n’est pas raisonnable. On ne change pas les règles du droit pendant les procès. Cette question ne peut pas se régler pour le bon plaisir de pouvoir imaginer une candidature à telle ou telle élection… ».
C’était pourtant le but affiché par Éric Ciotti. Choqué que Marine Le Pen soit empêchée de se présenter à la candidature suprême en 2027, il entendait modifier la loi. Avec effet immédiat. En effet, en proposant une loi « plus douce » que celle existant, le patron du groupe UDR aurait contraint la cour d’appel de Paris à en tenir compte lors de l’examen de l’affaire en appel qui n’a pas encore eu lieu mais dont le délibéré est d’ores et déjà fixé « avant l’été 2026 ».
Annoncée, Marine Le Pen n’a finalement pas assisté aux débats.
Dans la foulée de Gérald Darmanin, les groupes parlementaires de gauche s’en sont donné à cœur joie pour torpiller le texte. Visiblement plus au fait des techniques d’examen à l’Assemblée et des mesures permettant une obstruction, ils ont pourri les débats pour empêcher le texte de pouvoir être soumis au vote. Non sans humour. Ainsi, ils sont parvenus assez rapidement à faire renommer la proposition de loi voulue par Éric Ciotti. Ce n’est donc pas une proposition de loi « visant à protéger l’effectivité du droit fondamental d’éligibilité » qui a été examinée mais celle visant à la « création d’une justice de classe »…
Rapidement, le groupe UDR a donc abandonné son combat pour se concentrer sur d’autres mesures qu’il n’est pas plus parvenu à faire adopter. Pourtant annoncée dans l’hémicycle, Marine Le Pen n’a finalement pas fait le déplacement pour assister à ce fiasco. Personne ne sait si elle comptait vraiment sur cette initiative parlementaire pour obtenir un sort plus favorable lors de son procès en appel. À ce jour, la cour d’appel n’a toujours pas communiqué les dates de l’audience. L’élection présidentielle, elle, doit avoir lieu en avril 2027.
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Réf. : Communique de presse du 27 juin 2025 de Laure Beccuau, Procureure de la République
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N2573B3P
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par La Rédaction
Le 30 Juin 2025
Le 27 juin 2025, la présidente de la 32ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris, désignée par la présidente du tribunal judiciaire de Paris par intérim, a validé la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) conclue, en application de l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7568MMA, entre la procureure de la République de Paris et la société IDEMIA France, anciennement dénommée OBERTHUR Technologies.
Aux termes de la CJIP, la société IDEMIA France s'engage à verser au Trésor public une amende d'intérêt public d’un montant de 15 541 130 euros.
Cette convention intervient dans le cadre d’une information judiciaire ouverte le 7 novembre 2013, notamment des chefs de corruption d’agent public étranger et de blanchiment de ce délit, laquelle a donné lieu à la mise en examen de la société IDEMIA France le 27 juin 2019.
Cette information judiciaire, ouverte après une enquête préliminaire confiée à la Brigade de répression de la délinquance économique de la direction régionale de la police judiciaire de Paris à la suite d’un courrier anonyme, porte notamment sur les conditions de marchés conclus entre la Banque Nationale d’Angola (BNA) et OBERTHUR Technologies, lorsque cette dernière exerçait une activité fiduciaire.
La décision de validation n'emporte pas déclaration de culpabilité et n'a ni la nature ni les effets d'un jugement de condamnation. L'exécution des obligations prévues par la CJIP, soit le paiement de l’amende d’intérêt public, entraînera l'extinction de l'action publique à l'égard d'IDEMIA France.
La CJIP ne traite pas de la situation pénale des tiers, notamment des personnes physiques.
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Réf. : Loi n° 2025-391 du 30 avril 2025, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes N° Lexbase : L4775M9Q
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N2535B3B
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Le 25 Juin 2025
Mots clés : actions de groupe • associations • préjudices indemnisables • sanction civile • tiers financement
La loi dite « DDADUE » du 30 avril 2025 apporte d’importantes modifications à la procédure de l’action de groupe. Elle élargit sensiblement son champ d’application, accroît le nombre d’associations autorisées à engager une telle action et étend les préjudices réparables par une action en réparation. À cette occasion, Lexbase a recueilli l’analyse d’Erwan Poisson, avocat associé chez A&O Shearman, qui nous dévoile les points essentiels de cette réforme*.
Lexbase : Pouvez-vous nous présenter les dispositions principales de la loi du 30 avril 2025 en matière d'actions de groupe ?
Erwan Poisson : L’article 16 de la loi n° 2025-391 du 30 avril 2025, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes N° Lexbase : L4775M9Q, dite « DDADUE » (la « loi du 30 avril 2025 ») transpose la Directive (UE) n° 2020/1828 du 25 novembre 2020, relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs N° Lexbase : L8833LYS, relative aux actions représentatives (la « Directive (UE) n° 2020/1828 ») et réforme le régime des actions de groupe.
Si cette réforme, applicable aux actions de groupe intentées à compter du 2 mai 2025, opère une reprise des règles existantes, elle est également porteuse de plusieurs changements qui pourraient conduire à une augmentation du nombre des actions de groupe devant les juridictions françaises.
En résumé, ce nouveau régime comprend trois axes majeurs.
Tout d’abord, l’action de groupe est désormais ouverte à un plus grand nombre de demandeurs.
En effet, si l’action de groupe reste la prérogative des associations agréées, celles-ci pourront être beaucoup plus nombreuses que les associations actuellement autorisées à intenter des actions de groupe (par exemple, seulement quatorze en matière de consommation). La loi du 30 avril 2025 permet également à d’autres demandeurs d’intenter une action de groupe de manière plus limitée. Les associations déclarées qui justifient de vingt-quatre mois d’activité et dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte peuvent désormais intenter une action en cessation du manquement (mais pas en réparation du préjudice subi).
Dans la continuité des anciens régimes, les organisations syndicales représentatives peuvent intenter des actions en matière de lutte contre les discriminations et de protection des données personnelles. Il est également prévu que le ministère public puisse exercer une action de groupe (en cessation du manquement en tant que partie principale, ou intervenir en tant que partie jointe, aussi bien dans les actions en cessation du manquement que dans celles en réparation du préjudice subi). Par ailleurs, les « entités qualifiées » des autres États membres de l’UE sont, elles aussi, autorisées à engager une action de groupe en France.
Ensuite, cette réforme étend les préjudices réparables dans le cadre des actions de groupe en réparation. Le nouveau régime permet au demandeur d’intenter une action de groupe pour faire cesser un manquement et/ou pour obtenir réparation du préjudice subi, « quelle qu’en soit la nature ». Alors que les régimes sectoriels antérieurs limitaient les préjudices indemnisables, tous les préjudices, qu'ils soient matériels ou moraux, pourront désormais être indemnisés par le biais d'une action de groupe en réparation. Cette avancée risque néanmoins d'allonger la durée de la procédure et de complexifier les actions de groupe, en raison de la diversité des situations à examiner lors de la phase d’indemnisation.
Enfin, la réforme comporte d’autres innovations telles que l’instauration d’une sanction civile (cf. infra) ou encore l’attribution à des tribunaux judiciaires spécialement désignés d’une compétence spéciale pour connaître des actions de groupe.
Lexbase : Comporte-t-elle un risque accru pour les professionnels visés ?
Erwan Poisson : Compte tenu de l’élargissement de la qualité à agir et de l’harmonisation des préjudices (cf. supra), le nombre d’actions de groupe auxquelles les professionnels pourraient faire face devrait augmenter. Ces innovations sont néanmoins contrebalancées par le choix du législateur de maintenir un système d’opt-in, qui continue d’exiger des victimes du manquement qu’elles manifestent expressément leur volonté de participer à l’action de groupe (contrairement à d’autres États membres de l’UE, comme les Pays-Bas et le Portugal, qui ont choisi une approche plus libérale en adoptant un système d’opt-out pour leurs actions de groupe nationales).
En outre, les professionnels sont désormais exposés à un risque de sanction civile s’ils ont délibérément commis une faute en vue d’obtenir un gain ou une économie indue et que le manquement constaté a causé un ou plusieurs dommages à plusieurs personnes physiques ou morales placées dans une situation similaire.
Cette nouvelle sanction, régie par l’article 1254 du Code civil N° Lexbase : L4998M9Y, est fonction de la gravité de la faute et du profit retiré par son auteur et plafonné à cinq fois ce montant pour une personne morale. La loi nouvelle précise que cette sanction civile ne peut faire l’objet d’une assurance, ce qui renforce son caractère dissuasif. Les sommes versées par les professionnels du fait de cette sanction alimenteront un fonds dédié au financement des actions de groupe.
L’octroi de cette nouvelle sanction civile est toutefois strictement encadré par la loi du 30 avril 2025 : la sanction civile ne peut être demandée que par le ministère public ou le gouvernement et son prononcé doit faire l’objet d’une décision spécialement motivée du juge saisi. La nouvelle sanction n’est applicable qu’aux actions pour lesquelles le fait générateur du manquement du défendeur est postérieur au 2 mai 2025.
Bien que, compte tenu des conditions précitées, le prononcé d’une sanction civile ne devrait concerner que les manquements les plus graves, ce nouveau dispositif marque un durcissement notable du régime de responsabilité applicable aux auteurs de manquements graves et pose ainsi de nouveaux défis en matière de gestion du risque contentieux pour les professionnels visés.
Lexbase : Quelles peuvent être les conséquences de l'extension de la possibilité d'y recourir aux personnes morales ?
Erwan Poisson : La loi du 30 avril 2025 opère un élargissement du champ des bénéficiaires potentiels de l’action de groupe. En effet, l’action de groupe peut désormais être exercée pour le compte de plusieurs personnes physiques ou morales, ouvrant ainsi la voie à des actions de groupe dites « B to B ».
L’intégration des personnes morales parmi les bénéficiaires potentiels de l’action de groupe devrait renforcer son attractivité. L’action de groupe pourrait se substituer à l’action groupée, qui s’est développée en parallèle de l’action de groupe, en particulier en droit de la concurrence et en droit boursier et financier.
Cette innovation pose néanmoins des difficultés dans la mesure où il s’agit d’une « surtransposition » de la Directive (UE) n° 2020/1828. Il appartiendra à la jurisprudence de déterminer si des entités qualifiées françaises peuvent intenter des actions de groupe transfrontalières au bénéfice de personnes morales situées dans d’autres États membres de l’Union européenne alors qu’une telle possibilité n’est pas prévue pour les actions de groupe transfrontalières aux termes de la Directive (UE) n° 2020/1828.
Lexbase : Y a-t-il des nouveautés concernant leur financement ?
Erwan Poisson : La loi du 30 avril 2025 transpose les principes essentiels de la Directive (UE) n° 2020/1828 relatifs au financement des actions de groupe par des tiers, en reconnaissant expressément la possibilité du tiers financement tout en l’assortissant de garanties.
Ce financement ne doit avoir ni pour objet ni pour effet qu’un tiers puisse exercer une influence sur l’introduction ou la conduite d’une action de groupe. Le financement par des tiers fera l’objet d’une publication dans des conditions déterminées par un décret, qui n’a pas encore été publié.
Afin de prévenir les risques d’instrumentalisation, la réforme encadre le recours au tiers financement : lorsque l’action de groupe tend à l’indemnisation de préjudices, le demandeur doit démontrer l’absence de conflit d’intérêts avec le tiers financeur, notamment lorsque ce conflit est susceptible de porter atteinte à l’intérêt des personnes représentées. En cas de doute ou de contestation, le juge peut exiger du demandeur qu’il apporte la preuve de l’absence de conflit d’intérêts avec le tiers qui a financé l’action de groupe. Et, si le juge estime que l’indépendance du demandeur n’est pas suffisamment garantie, il pourra prononcer l’irrecevabilité de l’action de groupe qu’il a intentée.
S’inspirant du modèle anglo-saxon du third party funding, l’autorisation explicite en droit français du tiers financement pourrait permettre de lever les obstacles financiers auxquels sont parfois confrontées les associations à but non lucratif, principales demanderesses à l’action de groupe.
Ces nouvelles dispositions pourraient susciter un intérêt accru des financeurs pour les actions de groupe en France, d’autant plus qu’aucun mécanisme de plafonnement de la rémunération des tiers financeurs n’a été instauré par la loi nouvelle, contrairement aux règles applicables par exemple en Allemagne ou en République tchèque, à la suite de la transposition de la Directive (UE) n° 2020/1828.
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
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Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 20 mai 2025, n° 498461, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : B3006AAL
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par Jérôme Duvignau, Avocat associé - Richer & Associés Avocats
Le 27 Juin 2025
Mots clés : recouvrement de créance • titre exécutoire • biens situés à l'étranger • saisine du juge • voies d’exécution
Dans un arrêt rendu le 20 mai 2025, le Conseil d’État précise l’articulation entre titre exécutoire et action judiciaire pour recouvrer une créance d’une collectivité territoriale.
En matière de recouvrement de créance, la jurisprudence administrative est bien ancrée : « une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre » [1].
Cette application du principe du « privilège du préalable » connaît quelques exceptions que le juge administratif vient de compléter par un arrêt du 20 mai 2025.
I. Le recouvrement d’une créance d’une collectivité territoriale doit, en principe, passer par l’émission d’un titre exécutoire
Comme cela ressort de la jurisprudence « Préfet de l’Eure », au nom du privilège du préalable, une collectivité territoriale est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu’elle a le pouvoir de prendre, elle-même.
Le Conseil d’État rappelle systématiquement ce principe issu de la jurisprudence « Préfet de l’Eure » et, encore récemment, dans cet arrêt du 20 mai 2025 : « Une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre » [2].
Il s’agit d’une « règle fondamentale du droit public » [3].
S’agissant du recouvrement d’une créance d’une collectivité territoriale, la règle se décline de la manière suivante : « les collectivités territoriales, qui peuvent émettre des titres exécutoires à l'encontre de leurs débiteurs, ne peuvent saisir directement le juge administratif d'une demande tendant au recouvrement de leur créance » [4].
Autrement dit, la collectivité territoriale créancière ne peut saisir le juge administratif, notamment par l’intermédiaire du référé provision de l’article R. 541-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2548AQG, pour obtenir le recouvrement de sa créance.
Une telle action judiciaire serait irrecevable.
Par conséquent, la collectivité territoriale devra émettre un titre exécutoire pour recouvrer sa créance.
II. Un large choix pour l’action en recouvrement s'offrant à la collectivité territoriale
Depuis l’arrêt « Département de l’Eure », il est jugé que :
« lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, la faculté d'émettre un titre exécutoire dont dispose une personne publique ne fait pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge administratif d'une demande tendant à son recouvrement, notamment dans le cadre d'un référé-provision engagé sur le fondement de l’article R. 541-1 du Code de justice administrative » [5].
Ainsi, en matière contractuelle, la collectivité territoriale créancière dispose de la faculté :
Toutefois, comme le précise la jurisprudence, il s’agit bien d’une faculté pour la collectivité territoriale d’engager l’une ou l’autre des actions, de sorte que la collectivité créancière ne peut engager simultanément les deux actions.
Si la collectivité venait à saisir le juge administratif après l’émission d’un titre exécutoire, cette action serait jugée irrecevable, la demande étant considérée comme dépourvue d’objet :
« Considérant que les collectivités publiques peuvent, en matière contractuelle, soit constater elles-mêmes les créances qu'elle détiennent sur leurs cocontractants et émettre des titres exécutoires, soit saisir le juge administratif d'une demande tendant au recouvrement de ces créances ; que toutefois, elles ne peuvent pas saisir d'une telle demande le juge lorsqu'elles ont décidé, préalablement, à cette saisine, d'émettre des titres exécutoires en vue de recouvrer les sommes en litige; que dans un tel cas, dans la mesure où la décision demandée au juge aurait les mêmes effets que le titre émis antérieurement, la demande présentée est dépourvue d'objet et par suite irrecevable » [6].
Le Conseil d’État rappelle encore cette solution aujourd’hui [7].
En tout état de cause, si la collectivité créancière opte pour l’action judiciaire, le choix de cette dernière dépendra de la nature de la créance.
Dès lors qu’il est acquis que cette créance est incontestable tant dans son principe que dans son montant, le référé-provision de l’article R. 541-1 du Code de justice administrative pourra être introduit. En revanche, dans le cas contraire, une action au fond devra être privilégiée.
III. La saisine directe du juge administratif en matière de créances publiques par la collectivité territoriale
Cette autre exception est justifiée par la particularité du régime des voies d’exécution à l’encontre des personnes publiques.
En effet, soit ces voies d’exécution sont inexistantes s’agissant de l’État soit, en raison des conditions de mise en œuvre de l’article L. 1612-15 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L8456AAG, elles ne permettent pas de contraindre la collectivité territoriale débitrice. Ainsi, le Conseil d’État en tire les conséquences dans l’optique de garantir une voie certaine et efficace de recouvrement des créances publiques :
« en raison tant de l'absence de voies d'exécution à l'encontre des personnes publiques que, s'agissant des collectivités territoriales, des limitations apportées par l'article L. 1612-15 du Code général des collectivités territoriales à l'inscription d'office à leur budget des dépenses obligatoires, il en va toutefois différemment dans l'hypothèse où le débiteur est une personne publique ; que, dans ce cas, faute de pouvoir contraindre la collectivité débitrice, la collectivité créancière n'est pas tenue de faire précéder sa demande par l'émission d'un titre de recettes rendu exécutoire » [8].
L’exception au principe du privilège du préalable s’explique ici par l’impossibilité ou tout du moins la difficulté, pour la collectivité territoriale, d’obtenir le recouvrement de sa créance publique.
C’est bien cette idée de difficulté dans le recouvrement qui justifie, pour le Conseil d’État, la consécration d’une nouvelle exception.
IV. La possibilité de saisir le juge administratif en cas d’impossibilité pour la collectivité territoriale d’exécuter le titre exécutoire émis
Comme vu précédemment, en matière contractuelle, dans le cas où la collectivité a opté pour la voie du titre exécutoire, elle n’est plus recevable à saisir le juge administratif.
L’exception dégagée par le Conseil d’État permet aux collectivités territoriales ayant émis un titre exécutoire afin d’assurer le recouvrement d’une créance de, désormais, sous certaines conditions, saisir le juge administratif :
« il en va cependant différemment lorsque la collectivité publique justifie, d'une part, de vaines tentatives d'exécution du titre exécutoire qu'elle a préalablement émis, notamment sur des biens situés en France, et d'autre part, de l'utilité d'une décision rendue par une juridiction française pour le recouvrement de sa créance sur des biens ou fonds à l'étranger » [9].
En reprenant le considérant du Conseil d’État, dans l’arrêt examiné, la saisine du juge administratif dépendra impérativement des conditions cumulatives suivantes :
Justement, dans cette affaire, le Conseil d’État rejette la demande de provision au motif que Voies navigables de France ne démontre pas les vaines tentatives d’exécution des titres émis, d’autant plus que le Conseil d’État souligne que la société débitrice dispose d’actifs saisissables en France.
En l’état de la rédaction de cet arrêt du 25 mai 2025, une question subsiste quant au champ d’application exact de cette jurisprudence, puisqu’au regard des conditions de mise en œuvre de cette exception, force est d’admettre que les conditions énoncées sont cumulatives et non alternatives.
Par conséquent, le champ d’application de cette exception paraît, en l’état, très réduit, a priori limité aux débiteurs dont les principaux actifs saisissables se situent à l’étranger, en lien avec le droit de l’Union européenne et le Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 N° Lexbase : L9189IUU.
En effet, en dehors de cette hypothèse très spécifique, on comprendrait mal quel avantage trouverait un créancier doté d’un titre exécutoire n’ayant pas permis de saisies du débiteur, à saisir la juridiction administrative. C’est pour cela que le Conseil d’État réaffirme que les moyens de recouvrement d’une créance ne sont pas cumulatifs.
En tout état de cause, et au-delà des potentielles difficultés de recouvrement, en matière contractuelle, la voie judiciaire est à privilégier. Et pour cause, tant le titre exécutoire que les mesures d’exécution sont susceptibles de contestations judiciaires générant un véritable risque et, en tout cas, repoussant la possibilité d’obtenir concrètement le recouvrement de la créance.
[1] CE, 30 mai 1913, n° 49241, Rec. p. 583.
[2] CE, 24 février 2016, n° 395194 N° Lexbase : A1632QDS ou encore CE, 20 mai 2025, n° 498461 N° Lexbase : B3006AAL.
[3] CE, 2 juillet 1982, n° 25288 N° Lexbase : A1806ALH.
[4] Arrêt commenté.
[5] CE, 24 février 2016, n° 395194 N° Lexbase : A1632QDS.
[6] CE, 15 décembre 2017, n° 408550 N° Lexbase : A1354W8N.
[7] CE, 20 mai 2025, n° 498461 N° Lexbase : B3006AAL.
[8] CE, 31 mai 2010, n° 329483 N° Lexbase : A2061EYY ou encore CAA Marseille, 15 juillet 2013, n° 10MA03124 N° Lexbase : A9269MLU.
[9] CE, 20 mai 2025, n° 498461 N° Lexbase : B3006AAL.
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Réf. : Cass. soc., 20 juin 2025, n° 25-11.250, FS-B N° Lexbase : B0316ALB
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N2555B3Z
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par Charlotte Moronval, Rédactrice en chef
Le 30 Juin 2025
Sont transmises au Conseil constitutionnel, deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les dispositions des articles L. 1332-2 et L. 1232-3 du Code du travail, qui ne prévoient pas la notification, aux salariés faisant l’objet d’une procédure disciplinaire, de leur droit de se taire au cours de leur entretien préalable.
Une salariée est licenciée pour faute grave. À l’occasion de sa saisine de la juridiction prud’homale pour obtenir la condamnation de son employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle demande le renvoi au Conseil constitutionnel de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) :
La Chambre sociale de la Cour de cassation considère que les questions posées ne sont pas dépourvues de caractère sérieux, en ce qu'il pourrait être estimé qu'un salarié faisant l'objet d'une procédure de licenciement pour motif disciplinaire ne peut être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés par l'employeur, sans être préalablement informé du droit qu'il a de se taire.
En conséquence, elle décide qu'il y a lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La procédure applicable au licenciement pour motif personnel, L'audition du salarié au cours de l'entretien préalable au licenciement, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E9077ESY et ÉTUDE : La procédure disciplinaire, Le déroulement de l’entretien, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E043503I. |
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