Réf. : Cass. civ. 2, 5 juin 2025, n° 23-11.468, F-B N° Lexbase : B5695AEN
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N2492B3P
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par Yann Bougenaux, Avocat associé, cabinet Oren Avocats
Le 20 Juin 2025
► La Cour de cassation confirme sa jurisprudence selon laquelle la prise en charge d’une rechute par la CPAM ne fait pas courir de nouveau le délai de prescription de deux ans permettant d’intenter une action en reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur.
Dans son arrêt du 5 juin 2025, publié au Bulletin, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence relative au délai de prescription en matière de faute inexcusable et de l’absence d’incidence de la prise en charge d’une rechute.
Un salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle peut tenter d’engager une procédure de reconnaissance de faute inexcusable à l’encontre de son employeur afin de bénéficier d’une indemnisation plus favorable.
Cette procédure est encadrée par des délais stricts, prévus à l’article L. 431-2 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L2713LWE, en ce qui concerne les accidents, et aux articles L. 461-1 N° Lexbase : L8868LHW et L. 461-5 N° Lexbase : L8865LHS du même Code, s’agissant des maladies professionnelles.
Il convient de retenir que le délai prévu par le Code de la Sécurité sociale est de deux ans mais que le point de départ peut varier et il sera retenu le point de départ le plus tardif afin de limiter les effets stricts du délai.
Pour synthétiser, les points de départ du délai les plus fréquents sont les suivants :
L’évènement le plus récent sera retenu.
Le cas qui était soumis à la Cour de cassation concernait un évènement imprévisible en cas de maladie professionnelle, en l’espèce une rechute.
La rechute est constituée d’un évènement nouveau, qui peut être une aggravation de la lésion initiale ou l’apparition d’une nouvelle lésion résultant directement de la maladie professionnelle originelle.
Ce qui distingue la rechute d’une nouvelle lésion (au sens juridique), c’est que la rechute intervient nécessairement après consolidation.
La rechute peut donc intervenir plusieurs années après la reconnaissance de la maladie professionnelle ou après la cessation du paiement de l’indemnité journalière, qui sont les deux points de départ les plus fréquent en matière de reconnaissance de faute inexcusable.
En particulier, la Cour de cassation devait se pencher sur le cas d’un salarié victime de l’amiante et dont la maladie professionnelle avait été reconnue en 2004.
Dans ce type de cas, la maladie professionnelle initiale peut être d’une gravité modérée mais s’aggraver de manière très importante par la suite.
En l’occurrence, le salarié s’était fait diagnostiquer un épaississement pleural en 2004 puis un mésothéliome 13 ans après en 2017, qui a entrainé son décès dans un délai très bref.
Ainsi, le salarié (ou ses ayants droits) sollicite que la rechute permette d’ouvrir un nouveau délai de deux ans pour solliciter la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur en raison de l’aggravation de sa pathologie.
Initialement, le salarié n’avait pas intenté cette action dans la mesure où les séquelles n’étaient pas, selon lui, particulièrement importantes.
Il change d’avis après avoir constaté une aggravation très importante de sa pathologie.
En face du côté employeur, se pose la question de la sécurité juridique, la maladie ayant été diagnostiquée 13 ans avant.
La cour d’appel (CA Nîmes, 29 novembre 2022, n° 20/00868 N° Lexbase : A55258XW, puis la Cour de cassation, ont toutes les deux rejetés l’argument des demandeurs en procédant à une application stricte des textes relatifs au délai de prescription.
La Cour rappelle alors que le Code de la Sécurité sociale prévoit une prescription de deux ans en cas de reconnaissance de maladie professionnelle.
Le salarié, qui se savait donc victime d’une maladie professionnelle, pouvait donc solliciter la reconnaissance de la maladie professionnelle de son employeur.
Puis la Cour rappelle que la rechute n’est pas considérée comme une nouvelle maladie mais la seule aggravation de la maladie initiale.
Il n’y a donc pas de nouveau délai qui s’ouvre dans ce cas.
Il s’agit d’une application stricte des textes, au détriment des salariés victimes et au bénéfice d’une sécurisation des cas permettant d’éviter des contentieux trop tardifs.
Pour les salariés, il convient dès lors d’engager une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, indépendamment de la gravité des lésions, surtout dans des cas de maladie professionnelle liée à l’amiante où il est malheureusement très fréquent que la pathologie s’aggrave de manière très importante plusieurs années après.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : L’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles, La faute inexcusable, in Droit de la protection sociale, Lexbase N° Lexbase : E56114QU. |
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Réf. : Communiqué du CNB, 16 juin 2025
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N2495B3S
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par La Rédaction
Le 20 Juin 2025
Le CNB et la Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ) envisagent la signature d'une charte de recommandations de bonnes pratiques dans le cadre des dossiers couverts par l'aide juridictionnelle.
Se posent en effet dans les relations quotidiennes entre avocats et commissaires de justice de nombreuses difficultés, en particulier dans le cadre de l'aide juridictionnelle.
Des problèmes surgissent principalement en raison de la modicité de l'indemnité d'aide juridictionnelle (AJ) allouée à chaque professionnel, et aboutissent à créer une ambiguïté quant aux rôles respectifs, aux modes d'interaction et à la transmission des documents.
En pratique, ces difficultés concernent notamment la transmission des actes et des pièces ainsi que le rédacteur des documents et, parfois même, des questions de paiement de frais et de provisions, lesquelles en particulier donnent lieu à des interrogations quant au fondement de la demande formulée par le commissaire de justice ou encore sur le fait que le bénéficiaire de l'AJ en soit ou non exempté.
Ces questions juridiques, qui engendrent au quotidien des tensions, pourraient être résolues par une charte-cadre établissant de bonnes pratiques et répondant aux principales interrogations des avocats et des commissaires de justice, tout en protégeant les intérêts des justiciables.
Cette charte détaillera tous ces points. Le projet a été revu par les commissaires de justice sous différents angles, auxquels le CNB s'est partiellement opposé. Notamment, les commissaires de justice ont souhaité élargir cette charte, initialement axée sur l'aide juridictionnelle, en proposant d'autres perspectives. Ce projet a été élaboré à l'issue d'une collaboration entre les commissions Accès au droit et à la justice et Règles et usages.
La signature est prévue pour ce 23 juin 2025.
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Réf. : Cass. com., 26 mars 2025, n° 24-10.254, F-D N° Lexbase : A34770D7
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N2418B3X
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Le 12 Juin 2025
►Dans cet épisode de LexFlash, Cédric Dubucq, avocat à la cour chez Bruzzo Dubucq, décrypte un arrêt marquant rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 26 mars 2025.
La question centrale :
Peut-on étendre une procédure collective au dirigeant d’une société, même en l’absence de faute de gestion ?
Une décision qui pourrait redessiner les contours de la responsabilité des dirigeants en droit des entreprises en difficulté. Un éclairage essentiel pour les avocats, mandataires, chefs d’entreprise et tous les praticiens du droit des affaires.
►Retrouvez cet épisode sur Youtube, Deezer, Spotify et Apple Podcasts.
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Réf. : CAA Toulouse, 3ème ch., 10 juin 2025, n° 23TL01454 N° Lexbase : B1236AIM
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N2487B3I
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par François Camelot, intervenant en droit public des affaires, Panthéon-Assas université et Souraya Creusevault, élève-avocate
Le 20 Juin 2025
Mots clés : marché public de travaux • garantie décennale • garantie biennale • élément d’équipement dissociable • article 1792-7 du Code civil
Par un arrêt du 10 juin 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse précise les conditions d’application des garanties biennale et décennale, rappelant les exigences propres à chacune lorsqu’un désordre affecte un élément d’équipement dissociable de l’ouvrage.
I. Rappel des faits et de la procédure
Dans le cadre de la construction de la nouvelle faculté de médecine de Montpellier, la société publique locale Arac, agissant pour le compte de la région Occitanie, a confié à la société Cofely Ineo, désormais Ineo MPLR, la réalisation d’un lot de travaux incluant notamment la fourniture et la pose des équipements audiovisuels.
Après réception des travaux en février 2017, des désordres ont été constatés sur certains des écrans installés par l’entreprise dans les amphithéâtres, conduisant à leur immobilisation pour éviter tout risque de chute.
À la suite d’une expertise judiciaire ordonnée en 2019, la société Arac a saisi le tribunal administratif de Montpellier afin d’obtenir la condamnation de Cofely Ineo sur le fondement, à titre principal, de la garantie décennale, et à titre subsidiaire, de la garantie biennale. Le tribunal a rejeté l’ensemble des demandes de la société requérante, laquelle a interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Toulouse.
Par un arrêt du 10 juin 2025, la cour confirme le rejet de la demande fondée sur la garantie décennale, estimant que les désordres en cause ne sont pas de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination. Elle accueille toutefois la demande fondée sur la garantie biennale, en écartant l’application de l’article 1792-7 du Code civil N° Lexbase : L6351G94 qui exclut des garanties des constructeurs les équipements à usage professionnel.
Par cette décision, la cour rappelle d’une part les conditions classiques de mise en œuvre des garanties des constructeurs, tout en apportant d’utiles précisions pour les hypothèses où les désordres portent sur des éléments d’équipement dissociables de l’ouvrage.
II. Des éléments d’équipement a priori exclus du champ des garanties légales
En vertu des principes, dont s’inspire l’article 1792 du Code civil, sont couverts au titre de la garantie décennale, d'une part, les dommages compromettant la solidité de l’ouvrage, et d'autre part, ceux le rendant impropre à sa destination [1], dès lors que ces vices n’aient pas été décelés au moment de la réception de l’ouvrage. Peu importe en cela que le dommage concerne un élément d’équipement dissociable ou non de l’ouvrage, tant que le dysfonctionnement prive ce dernier de sa destination. Le Conseil d’État [2], tout comme la Cour de cassation [3], a ainsi pu admettre que des dysfonctionnements affectant des éléments d’équipement étaient susceptibles de rendre l’ouvrage impropre à sa destination et dès lors relever de la garantie décennale.
La cour considère ici en toute logique que les dysfonctionnements affectant les écrans des amphithéâtres, quelle que soit leur ampleur, ne font pas obstacle à la tenue des cours et ne peuvent dès lors relever de la garantie décennale. S’agissant de la preuve du dommage, la Cour estime que le risque de généralisation, pourtant relevé par l’expert judiciaire, ne suffit pas à caractériser un désordre avéré. Faute d’éléments concrets relatifs à l’extension des désordres, et en l’absence d’atteinte à la destination de l’ouvrage, elle rejette les demandes principales de la société Arac fondées sur la garantie décennale.
Par ailleurs, l’exception posée par l’article 1792-7 du Code civil aurait aussi pu conduire le juge à écarter les éléments d’équipement du champ des garanties constructeurs. Aux termes de cet article, sont exclus des garanties biennales et décennales « les éléments d'équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage ».
C’est sur ce fondement que le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande fondée sur la garantie biennale : les écrans installés dans les amphithéâtres ont été regardés comme exclusivement destinés à l’activité d’enseignement, et donc qualifiés d’équipements professionnels exclus du champ des garanties légales en vertu du Code civil.
Ce raisonnement trouve un écho dans la jurisprudence judiciaire. Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a jugé que tout équipement purement fonctionnel, qu’il soit dissociable ou non, installé à l’occasion de travaux constitutifs d’un ouvrage, est ainsi exclu du bénéfice des garanties dès lors que sa finalité est exclusivement professionnelle [4].
Le raisonnement suivi en première instance, dans l’affaire commentée, s’inscrit dans cette même logique : un équipement purement professionnel, sans fonction constructive ou utilitaire à l’échelle de l’ouvrage, demeure en dehors du champ des garanties légales.
III. Une jurisprudence administrative en faveur d’une protection renforcée du maître d’ouvrage
À l’inverse de la juridiction de première instance, la Cour écarte expressément l’application des principes de l’article 1792-7 du Code civil, pour retenir la garantie biennale à l’égard des équipements audiovisuels. Elle juge que ces équipements, bien qu’ayant une finalité professionnelle, ne sauraient être exclus du champ des garanties légales dès lors que le désordre, non apparent à la réception, était objectivement constaté et survenu dans le délai légal de deux ans.
Par cette solution, le juge administratif réaffirme son autonomie dans l’interprétation des garanties applicables aux marchés publics de travaux [5]. Elle s’inscrit dans le prolongement d’un arrêt « Société Rousseau » [6], par lequel le Conseil d’État a refusé d’appliquer l’article 1792-7 à un équipement professionnel installé dans le cadre d’un marché public. Dans ses conclusions, le rapporteur public M. Pichon de Vendeuil relevait l’inadéquation d’une application trop stricte des règles du Code civil aux marchés publics de travaux, dans la mesure où les équipements à visée professionnelle sont omniprésents et participent souvent à l’usage même de l’ouvrage.
Pour autant, la cour encadre l’application de la garantie biennale, en ne retenant son application qu’au seul désordre avéré, et constaté dans le délai légal. Les demandes relatives aux autres équipements, ainsi que les prétentions indemnitaires fondées sur des préjudices immatériels ou des frais accessoires, sont rejetées, faute de justificatifs suffisants.
Dès lors, la position de la Cour traduit une volonté de ne pas restreindre de manière excessive le champ des garanties offertes au maître d’ouvrage public. L’application mécanique de l’article 1792-7, tel qu’interprété par certaines juridictions judiciaires, reviendrait à exclure nombre d’équipements pourtant essentiels au fonctionnement des ouvrages, au seul motif de leur finalité professionnelle. Une telle lecture conduirait à priver les maîtres d’ouvrage publics de toute protection en cas de désordres affectant des installations techniques devenues centrales dans l’usage des ouvrages.
S’il en résulte une application différenciée des garanties entre le juge judiciaire et le juge administratif, et que ce dernier se révèle être quelque peu sélectif dans son application des principes issus du Code civil, cette solution présente un intérêt certain : elle renforce la protection du maître d’ouvrage public sans pour autant méconnaître les exigences du régime légal. Néanmoins, il convient de rappeler que les garanties légales des constructeurs ne revêtent pas, en droit public, un caractère d’ordre public [7].
Ainsi, les parties à un marché public de travaux peuvent convenir de l’application intégrale du régime civil, y compris de l’article 1792-7. Une telle clause relève de la liberté contractuelle, mais suppose que le maître d’ouvrage mesure les implications d’une telle renonciation, notamment la perte du cadre protecteur propre à la jurisprudence administrative.
[1] CE, 2 février 1973, n° 82706 N° Lexbase : A1796AQL.
[2] CE, 8 décembre 1999, n° 138651 N° Lexbase : A4291AX9.
[3] Cass. civ. 3, 15 juin 2017, n° 16-19.640 N° Lexbase : A6831WHH.
[4] Cass. civ. 3, 6 mars 2025, n° 23-20.018 N° Lexbase : A441863Z.
[5] CE, 15 avril 2015, n° 376229 N° Lexbase : A9536NGB.
[6] CE, 5 juin 2023, n° 461341 N° Lexbase : A71949Y4.
[7] CE, 15 avril 2015, n° 376229, préc.
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Réf. : Loi n° 2025-127 du 14 février 2025, de finances pour 2025 N° Lexbase : L4133MSU
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N2447B3Z
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Le 16 Juin 2025
Dans le cadre du renforcement des mesures visant à lutter contre les pratiques d’arbitrage de dividendes dites « CumCum », la loi de finances pour 2025 a introduit certaines modifications concernant l’imposition des personnes physiques associées résidant fiscalement hors de France. Lexbase a interrogé Antoine Aufrand, Ingénieur Fiscal et patrimoniale, Fondateur et Gérant du cabinet Hypérion Strategy*.
Lexbase : Pouvez-vous nous expliquer les règles relatives à la retenue à la source sur les dividendes ?
Le régime français de la retenue à la source sur les dividendes distribués à des non-résidents repose sur une assise normative claire, fondée sur l'article 119 bis, 2 du Code général des impôts N° Lexbase : L5816M8W. Ce dernier dispose que les revenus distribués par des personnes morales établies en France à des personnes qui n'y ont ni leur domicile fiscal ni leur siège sont soumis à une retenue à la source, prélevée au moment de la mise en paiement des revenus.
Cette retenue est opérée au taux de droit commun de 12,8 % lorsqu'il s'agit de personnes physiques, taux aligné depuis 2018 sur le prélèvement forfaitaire unique. Pour les personnes morales, le taux est fixé à 25 %, également depuis 2022, en cohérence avec le taux de droit commun de l'impôt sur les sociétés. Ce taux peut toutefois être porté à 75 % lorsque le bénéficiaire est résidant d'un État ou territoire non coopératif au sens de l'article 238-0 A du CGI N° Lexbase : L6050LMZ.
Ces taux, posés en droit interne, sont à considérer sous réserve des stipulations contraires des conventions fiscales internationales. Celles-ci peuvent prévoir des taux réduits, voire une exonération pure et simple de retenue à la source en France lorsque la convention consacre une imposition exclusive dans l’État de résidence. C'est notamment le cas de certaines conventions conclues avec les Émirats arabes unis, le Qatar ou encore le Koweït.
Ce cadre conventionnel, conjugué à l'absence de retenue à la source pour certains résidents français (exonération de plein droit ou à raison de leur statut), a donné lieu à des pratiques d'arbitrage de dividendes dites « CumCum ». Celles-ci consistent, pour un investisseur non-résident, à transférer temporairement la propriété des titres à un résident fiscal français à l'approche de la date de détachement du dividende, afin de bénéficier d'une imposition allégée, voire nulle. Le dividende est ainsi perçu sans ou avec une faible retenue à la source, avant que les titres ne soient rétrocédés à leur propriétaire initial. Le gain net est partagé entre les parties au montage.
Pour lutter contre ces schémas, la loi de finances pour 2019 a introduit l'article 119 bis A du CGI N° Lexbase : L5817M8X. Ce texte prévoit que les dividendes versés à raison de cessions ou de transferts temporaires de titres intervenus dans une période de 45 jours incluant la date de détachement sont réputés être soumis à la retenue à la source, sauf preuve contraire. Il s'agit d'un dispositif anti-abus spécifique, fondé sur une présomption de fraude.
Lexbase : Quels sont les changements opérés par la loi de finances sur ces aspects ?
La loi de finances pour 2025 modifie en profondeur l'équilibre du régime existant, en réponse à une jurisprudence du Conseil d'État venue censurer la position administrative précédente. Elle apporte trois ajustements notables.
Premièrement, elle insère, à compter du 16 février 2025, une référence expresse au « bénéficiaire effectif » dans le texte de l'article 119 bis du CGI. Jusqu'alors, cette notion n'était présente que dans la doctrine administrative, laquelle avait été invalidée par le Conseil d'État dans son arrêt du 8 décembre 2023 (CE Contentieux, 8 décembre 2023, n° 472587, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A859817L). Le juge administratif avait estimé que l'administration ne pouvait subordonner l'application des conventions fiscales à la qualité de bénéficiaire effectif sans base légale expresse.
Deuxièmement, à compter du 1er janvier 2026, la loi prévoit que, même en présence d'une convention exonératoire, la retenue à la source devra être appliquée par défaut. Le bénéficiaire pourra obtenir son remboursement uniquement s'il démontre qu'il est le bénéficiaire effectif des dividendes et qu'il satisfait à toutes les conditions prévues par la convention. Il s'agit d'un renversement de la logique jusqu'alors admise : la preuve de l'exonération repose désormais sur le contribuable.
Enfin, les établissements payeurs auront l'obligation de pratiquer systématiquement la retenue selon les taux de droit interne, à moins que le bénéficiaire ne fournisse dès l'origine l'ensemble des éléments justifiant de son droit à exonération, notamment l'attestation de résidence fiscale (formulaire 5000) et les documents probants relatifs à la qualité de bénéficiaire effectif.
Ce nouveau dispositif consacre une approche matérialiste, orientée vers la réalité économique des flux et des entités. Il s’agit d’une réorientation claire vers une logique de transparence, fondée sur la substance plutôt que sur la forme.
Lexbase : L'administration fiscale a, dans un rescrit en date du 17 avril dernier, donné des précisions sur ces nouvelles mesures. Quels sont les éléments apportés par l'administration ?
Le rescrit du 17 avril 2025 fournit deux types de précisions attendues : d'une part, sur le fait générateur de la retenue à la source, et d'autre part, sur les modalités temporelles d'application du nouveau régime.
Concernant le fait générateur, l'administration opère une distinction entre les versements directs de dividendes et les transferts de valeur. Dans le premier cas, la retenue est exigible à la date de mise en paiement. Dans le second, elle devient due dès lors que l'accord sur la chose (c.-à-d. la nature des actifs ou droits transmis) et le prix est considéré comme définitivement conclu entre les parties. Cette précision est essentielle pour appréhender les montages contractuels qui permettent de découpler la propriété juridique des titres et la perception effective du dividende.
Quant à l'entrée en vigueur, l'administration distingue également les deux situations. Les distributions effectuées à compter du 16 février 2025 sont soumises aux nouvelles règles. En revanche, pour les transferts de valeur, le dispositif ne s'applique qu'à ceux pour lesquels l'accord sur la chose et le prix intervient postérieurement à cette date. Cette clarification permet d'éviter toute remise en cause des opérations antérieures non encore dénouées, sous réserve qu'elles aient été convenues avant le 16 février.
Lexbase : Ces éléments sont-ils pleinement clarifiants ou laissent-ils encore place à des incertitudes sur certains montages ?
Si ce rescrit constitue une avancée dans la délimitation du champ d'application des mesures, il subsiste des incertitudes notables.
En premier lieu, la définition exacte des « transferts de valeur » demeure lacunaire. Le texte laisse entendre qu'il vise notamment les schémas de prêt-emprunt de titres, mais il ne s’exprime pas de manière exhaustive sur les opérations hybrides, telles que les conventions de gestion fiduciaire, les contrats de swap économique ou les montages impliquant des entités relais.
En deuxième lieu, la preuve de la date de l'accord sur la chose et le prix pourrait se révéler délicate en pratique, en particulier pour les opérations réalisées sur plateformes ou dans le cadre de mandats de gestion sans formalisation expresse. L'absence de formalisme exigé laisse place à une forte insécurité juridique.
Enfin, le traitement des opérations dites "mixtes", c'est-à-dire celles initiées avant le 16 février 2025 mais finalisées postérieurement, reste ambigu. Le rescrit n'indique pas si la date à retenir est celle de l'intention, de la résolution contractuelle, ou de l'exécution effective.
Dans ce contexte, il est recommandé aux opérateurs en particulier aux établissements financiers et aux entités résidentes distribuant des dividendes de constituer une documentation probatoire rigoureuse, et d'envisager, dans les situations complexes, le recours au rescrit individualisé. La sécurisation juridique des montages passe nécessairement par une traçabilité accrue et une vigilance documentée sur les éléments de substance économique.
*Propos recueillis par Marie-Claire Sgarra, Rédactrice en chef de Lexbase Fiscal et Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
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