Le Quotidien du 11 juin 2025

Le Quotidien

Actualité judiciaire

[A la une] La procureure de Paris répond à Stéphane Plaza qui accuse le parquet d’avoir « truqué » son procès pour violences conjugales

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N2408B3L

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par Axel Valard

Le 10 Juin 2025

Il y a parfois des attitudes qui en disent plus qu’un long discours. Ainsi, plus encore que ses mots, c’est sans doute le petit sourire en coin qu’arborait Laure Beccuau, la procureure de la République de Paris, à la fin de son interview sur BFMTV vendredi 6 juin, qui permet de cerner ce qu’elle pense réellement de l’attitude de Stéphane Plaza. La veille, l’ex-animateur préféré des Français avait donné une conférence de presse au cours de laquelle il a annoncé que son procès avait été « truqué », estimant que le parquet de Paris avait « manœuvré » pour obtenir sa condamnation, au moyen d’un « faux en écriture publique ». Des accusations graves sur lesquelles la procureure ne pouvait être qu’interrogée.

« Stéphane Plaza dit vraiment que le parquet a voulu faire ‘un coup de communication’ en matière de violences conjugales ?! Laissez-moi partager mon étonnement, a-t-elle donc attaqué en réponse à Apolline de Malherbe. Croyez-vous vraiment que le parquet de Paris qui juge par mois 87 procédures de violences conjugales, qui se déplace au sein de services hospitaliers pour mettre en place la possibilité de recueillir des preuves sans qu’il y ait de dépôt de plainte et qui, quand il se déplace, est accompagné par un Premier ministre, qui fait des colloques au sein de sa juridiction auxquels participent journalistes, avocats, policiers… a besoin de Monsieur Stéphane Plaza pour faire sa communication dans sa lutte contre les violences conjugales ? Permettez-moi d’être en distance de ses assertions…».

Deux enquêtes en parallèle.

Des mots polis et choisis donc. Mais aussi ce petit sourire qui ne faisait aucun doute sur le peu de cas qu’elle fait des lourdes accusations portées par l’ancienne star de M6. La veille, dans la prestigieuse Maison de la Chimie dans le septième arrondissement de Paris, encadré par ses deux avocats, Stéphane Plaza avait donc annoncé avoir assigné l’état en justice pour « faute lourde », afin de dénoncer le dysfonctionnement de la justice qui, à ses yeux, a conduit à sa condamnation à douze mois de prison avec sursis pour des violences habituelles sur une de ses anciennes compagnes, le 18 février dernier.

« Depuis plus de deux ans, je vis des moments difficiles qui jouent sur ma santé et celle de ma famille. J’ai l’impression d’avoir été enterré vivant. Cette injustice me tue. Mon destin a été brisé et je le sais. » Ce que Stéphane Plaza appelle « injustice » renvoie en réalité à cette affaire. Pour bien comprendre, il faut remonter le temps jusqu’en juin 2023. À cette époque, c’est l’animateur qui dépose une première plainte pour dénoncer le cyberharcèlement dont lui et ses proches sont victimes. Selon lui, des centaines de messages fleuris destinés à dénoncer ses infidélités.

Quelques mois plus tard, en septembre 2023, Mediapart publie une enquête contenant le témoignage de plusieurs ex-compagnes de l’animateur parlant de faits de violences. Le parquet de Paris ouvre deux enquêtes : la première pour cyberharcèlement, la seconde pour les faits de violences. Le temps file… Mais en janvier 2025, le jour où Stéphane Plaza se présente à la barre du tribunal judiciaire de Paris pour être jugé pour ces faits de violences, on apprend que l’enquête pour cyberharcèlement a été classée sans suite en raison de l’absence d’identification du ou des auteurs de l’infraction.

Rendez-vous le 30 mars 2026 au civil.

Sauf que les nouveaux avocats de Stéphane Plaza ont lu l’enquête sur le cyberharcèlement. Et ils n’ont pas du tout la même lecture que le parquet de Paris. En réalité, « cette enquête a permis d’identifier des auteurs du cyberharcèlement parmi lesquels au moins l’une des accusatrices des faits de violences à l’encontre de Stéphane Plaza, grogne Julien Roelens, l’un de ses avocats. Le problème, c’est que l’enquête a été classée sans suite. Dès lors, tout cela n’a pas pu être abordé lors de l’audience sur les faits de violence. Si cela avait été le cas, le résultat aurait peut-être été différent...».

Évidemment, c’est une lecture très orientée des faits. Si on devait résumer, les nouveaux avocats de Stéphane Plaza estiment qu’il n’a pas eu droit à un procès équitable et que cette situation est due à l’attitude du parquet de Paris. C’est oublier un peu vite que le procès a clairement établi que Stéphane Plaza s’était rendu coupable de faits de violences sur une de ses deux anciennes compagnes, même s’il estime qu’il n’avait pas « fait exprès », que c’était dû à sa « maladresse »… Toujours est-il que désormais c’est à la justice de déterminer s’il s’agit d’un « dysfonctionnement de la justice » ou pas.

L’assignation de l’État pour « faute lourde » a déjà été prise en compte. Il y aura une audience au civil le 30 mars 2026. Il faudra sans doute attendre cette échéance avant d’envisager le procès en appel de Stéphane Plaza pour les faits de violences.

 

newsid:492408

Avocats

[Brèves] Mauvais traitements subis par un avocat stagiaire dans un commissariat de police : l’Italie condamnée

Réf. : CEDH, 5 juin 2025, Req. 17710/15, Cioffi. Italie disponible en anglais

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N2405B3H

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par Marie Le Guerroué

Le 02 Juillet 2025

Dans une décision du 5 juin 2025, la Cour européenne des droits de l'Homme conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison tant des mauvais traitements subis par l’avocat entre les mains de la police que de l’enquête ultérieurement conduite à ce sujet.

Un avocat stagiaire, avait été conduit dans un commissariat de police à Naples, où il disait avoir subi des mauvais traitements entre les mains de policiers, notamment des coups alors qu'il était à genoux, ainsi que des violences verbales et physiques lorsqu'il avait cherché à demander des informations. Ces faits se seraient déroulés dans le contexte du Forum mondial sur la réinvention du gouvernement, qui s'est tenu à Naples en 2001.

Invoquant les articles 3 N° Lexbase : L4764AQI et 13 N° Lexbase : L4746AQT, l’avocat stagiaire alléguait, en particulier, qu'il avait été maltraité entre les mains de la police et il se plaignait de ce que, par le jeu de la prescription, il n’y avait pas eu de poursuites pour les infractions dénoncées.

La Cour européenne des droits de l’Homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la CESDH à raison tant des mauvais traitements entre les mains de la police que de l’enquête ultérieurement conduite à ce sujet.

La Cour a jugé en particulier que la matérialité des mauvais traitements infligés par la police avait été clairement établie par les juridictions italiennes, qui les avaient notamment qualifiés de « particulièrement odieux ».

La Cour a également jugé inadéquate l'enquête consécutivement menée, dans le cadre de laquelle 31 fonctionnaires avaient été inculpés d’infractions multiples en rapport avec ces événements, mais qui s’est soldée dans la plupart des cas par des classements sans suite par l’effet de la prescription.

newsid:492405

Contrats administratifs

[Jurisprudence] Autolib’ : le (libre-)partage indemnitaire de la sortie de piste contractuelle

Réf. : CAA Paris, 4ème ch., 21 février 2025, n° 24PA00645 N° Lexbase : A86876WN

Lecture: 19 min

N2117B3S

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par Christophe Roux, Professeur de droit public, Directeur de l’EDPL (EA 666), Université Jean Moulin – Lyon 3

Le 10 Juin 2025

Mots clés : contrats • autolib • concessions • libéralités • indemnisation

Par un arrêt du 21 février 2025, la cour administrative d’appel de Paris condamne le syndicat mixte Autolib’ et Vélib’ métropole (SMAVM) à verser à la société Autolib’ une somme d’un peu plus de 66 millions d’euros, assortie des intérêts, pour l’indemniser de la résiliation en 2018 de la convention conclue pour un service d’automobiles électriques en libre-service.


 

Il n’est pas de mauvais contrat ; il n’est que de mauvais contractant. Telle est, en substance, l’aphorisme par lequel l’on serait tenté de résumer la portée de l’arrêt du 21 février dernier, par lequel la Cour administrative d’appel de Paris a accordé – en vertu des stipulations contractuelles – une indemnisation à la société Bolloré suite à la résiliation anticipée de la concession « Autolib’ » qui la liait au SAVM (Syndicat mixte Autolib’ et Velib’ métropole) jusqu’en 2018. Nul n’ignore combien ce fiasco contractuel devait symboliser les affres du pilotage public, le tout prenant cadre dans un bilan « capital(e) » guère reluisant en matière de mobilités, qu’on songe aux difficultés connues par la concession-mère (Vélib), à l’arrêt d’urgence des bandes de trottinettes en free-floating ou, en guise d’ultime avatar, à la tarification faramineuse réservée au stationnement des SUV.  Quoi qu’il en soit, la Chambre régionale des comptes francilienne s’était déjà chargée d’assurer le recollement de ce musée des petites horreurs contractuelles, répartissant au passage les mauvais points entre concessionnaire et concédant. Mal calibrée dès l’origine (au gré de prévisions de trafics et de durée d’utilisation singulièrement optimistes), la concession Autolib’ devait bientôt déraper eu égard aux aspérités du revêtement (déploiement tardif des stations) mais aussi à des choix de trajectoires douteux (tardiveté à actualiser le plan d’affaires ; intégration du système d’information, seul actif valorisable, dans le périmètre des biens propres du concessionnaire)… tout ceci jusqu’à logiquement connaître la sortie de piste en 2018, le SAVM actant la résiliation pour défaut d’intérêt économique de la concession [1].

Il restait toutefois, au-delà de l’échec consommé du projet, à solder les conséquences de cette résiliation anticipée dont on pouvait craindre le service après(-mauvaise)-vente et donc la facture. Et pour cause, la société Bolloré déposait une action indemnitaire, réclamant 235 millions d’euros à l’autorité concédante. En vertu des stipulations contractuelles, le SAVM s’était en effet engagé à couvrir les pertes constatées au-delà de 60 millions d’euros (cette somme restant à la charge du concessionnaire), ce seuil étant au final allègrement dépassé (293 millions). Saisi, le tribunal administratif de Paris n’en devait pas moins accorder un répit salvateur au SAVM, ceci au terme d’un jugement remarqué [2]. Constatant qu’aucune stipulation ne permettait de plafonner le montant des pertes mises à la charge du SAVM en cas de résiliation – à tel point que sa contribution aux pertes devenait majoritaire –, le juge devait déceler dans ces clauses un moyen d’ordre public [3] tiré de l’existence d’une libéralité publique prohibée. Le tribunal ajoutait, par ailleurs, que celles-ci seraient – à titre surabondant ? – de nature à méconnaître « les règles applicables à une délégation de service public pour laquelle le risque financier doit être supporté par le concessionnaire ». Manifestant la montée en puissance du principe de prohibition des libéralités publiques [4], cette double motivation n’en avait pas moins laissé les commentateurs dubitatifs, à raison d’un entrelacs de formulations un brin équivoque. Soit qu’on perçoive, pour certains auteurs, deux chefs de nullité contractuelle (présence d’une libéralité + absence de risque concessif) ; soit, pour d’autres, qu’on s’en tienne à l’existence unique du premier (présence d’une libéralité), seulement « éclairé » par le second (l’absence de risque concessif), laissant alors entendre que l’appréhension des libéralités publiques en matière contractuelle se devait d’être toujours « située » au regard du régime applicable aux différentes catégories de contrats publics.

La société Bolloré ayant interjette appel, la Cour parisienne a quant à elle pris la tangente. Occultant la question du risque concessif (I), elle vient – conséquemment ? – rejeter l’existence d’une libéralité publique (II), ouvrant ainsi la voie à une indemnisation de l’ex-concessionnaire. Celle-ci n’en reste pas moins tempérée au final, par une analyse restrictive des chefs d’indemnisation sur un plan matériel mais, surtout, temporel (III).

I. Le risque concessif occulté

C’est bien connu : la summa divisio entre marchés publics, d’un côté, concessions, de l’autre, repose sur le critère de l’onérosité et des modalités de rémunération du cocontractant. Là où, s’agissant des marchés publics, la contrepartie réside dans l’existence d’un prix « déterminé » et « déterminable » [5], c’est au contraire l’existence d’un transfert de risque – lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service – qui permet de caractériser une concession, ce risque, ni théorique ni négligeable, devant naturellement peser sur les épaules du concessionnaire (CCP, art. L. 1121-2 N° Lexbase : L3879LR4). Dans une première lecture « autonomiste » de cet élément, tel était l’argument qu’avait fait valoir le tribunal, estimant que les clauses organisant ici le partage des pertes concessives témoignaient d’un dévoiement de la nature de l’instrumentum. En leur présence, ce dernier n’aurait plus eu ni pour objet ni pour effet de transférer un risque d’exploitation, eu égard à la contribution aux pertes mise contractuellement à la charge de l’autorité concédante, celle-ci étant d’un montant potentiellement supérieur à celui supporté par le concessionnaire (et de fait, la réalité devait rattraper la fiction…). La Cour n’a toutefois pas suivi cette voie et l’on peut la comprendre, tant l’argument manquait de prises solides.

En premier lieu, c’est de manière audacieuse que le tribunal s’était emparé ici, pour les besoins de la cause, de la « nouvelle définition » des concessions issues de la Directive (UE) n° 2014/23 du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014, sur l'attribution de contrats de concession N° Lexbase : L8591IZ9, alors que le contrat d’espèce, signé en 2010, constituait une délégation de service public. Or si, à leur sujet, le Conseil d’État susurrait déjà la notion de risque [6], un tel contrat continuait traditionnellement de se définir comme celui dont la rémunération est « substantiellement assurée par les résultats de l’exploitation » [7], circonstance qu’on aura quelque mal à dénier au contrat d’espèce. En deuxième lieu, en tenant pour acquise la validité de cette prémisse, celle-ci manquait sa cible, puisqu’une telle méconnaissance n’est généralement pas considérée comme susceptible d’entraîner l’annulation du contrat [8].

En troisième et dernier lieu, surtout, c’est la pertinence même du raisonnement qui pouvait être mise à l’épreuve, la lecture des clauses pouvant se prêter à toute autre interprétation quant au risque d’exploitation subi. De fait, la caractérisation du risque peut d’abord s’opérer sur une base objective, entre autres au regard de la nature même de l’activité confiée, de l’intensité de la concurrence observée sur le marché pertinent ou, encore, face au risque d’inadéquation entre l’offre et la demande existante [9]. Pour s’en tenir à quelques illustrations, les activités muséales semblent, pour ainsi dire, considérées comme intrinsèquement « risquées » [10] ; tout autant que celle visant à assurer le remorquage des véhicules accidentées sur autoroutes, dont la clientèle n’est – par chance… – nullement captive [11]. L’exploitation d’un service d’auto-partage en libre-service l’est au moins à titre égal : inédit à l’époque, en proie à la concurrence d’autres modes de transports et face à une clientèle… par essence mobile, l’activité restait par ailleurs dépendante – pour sa réussite – du déploiement célère des infrastructures (stations et bornes de recharge) nécessaires. Le risque concessif est également – et cumulativement – apprécié de manière subjective, c’est-à-dire au prisme des stipulations contractuelles, une attention particulière étant logiquement prêtée aux flux financiers – les plus divers : subventions, aides, renonciations à perception, couverture des pertes – entre l’autorité concédante et son concessionnaire. Or il est certes exact que la jurisprudence exige normalement un transfert de risque « significatif » sur le concessionnaire [12] ; elle n’en reste pas moins compréhensive puisque, même en présence d’apports financiers quantitativement et qualitativement élevés provenant de l’autorité concédante, il est jugé que cette circonstance, à elle seule du moins, n’entame nullement l’existence d’un risque d’exploitation [13]. Partant, en l’espèce, il semblait pour le moins constructif de nier l’absence de risque pour la société Bolloré : outre que les contributions financières « courantes » de l’autorité concédante ne venaient nullement couvrir les frais réels d’exploitation, force est d’admettre que les stipulations venaient faire peser les pertes éventuelles à hauteur de 60 millions d’euros sur le seul concessionnaire, somme n’étant – sauf à se placer à l’échelle du groupe – pas plus « théorique » que « négligeable ».

Dès lors et au gré d’une seconde lecture du jugement, c’est sans doute plutôt à la manière d’un étai probatoire que l’argument pointant le défaut (ou l’insuffisance comparative) de risque concessif devait être analysé, ce dernier entendant servir la démonstration d’une libéralité publique « située » par rapport à l’équilibre général propre à un contrat particulier. De fait, la prohibition des libéralités publiques s’exporte à tous les contrats administratifs [14] et même, au-delà, à l’ensemble des contrats publics [15]. Partant son opposabilité reste instrumentalisée de façon souple et adéquate, en fonction de l’économie générale des contrats en cause mais également de leurs conditions particulières d’exécution. C’est ce dont témoigne l’exemple de la libéralité pour renonciation à accession dans le cadre d’un BEA résilié avant terme, l’accession gratuite étant en principe « la rançon » d’un bail de longue durée consenti à un loyer modique [16], ceci conformément « à l’esprit et aux formes » du bail emphytéotique [17]. C’est ce qu’illustre, encore, l’exemple topique des contrats de cession de biens publics, la libéralité n’étant retenue que si la réfaction du prix n’est pas justifiée in abstracto par l’intérêt général puis, in concreto, par l’existence de contreparties suffisantes au regard de la largesse financière consentie [18].

Au final et quand bien même la démarche plébiscitée par le Tribunal administratif contenait quelques apories, il est dommage que la Cour n’ait pas jugé pertinent de se saisir de cette approche contractuellement « orientée » de la libéralité publique. Les clauses d’espèce aboutissaient en effet à une contribution publique aux pertes majoritaire ; cela pouvait légitimement laisser entendre que, au-delà du seuil de 60 millions d’euros, la société concessionnaire devenait, au fond, désintéressée par un risque d’exploitation. De ce point de vue, celle-ci pouvait même contribuer le déficit à creuser par son inaction ou ses propres erreurs, jusqu’à conduire les autorités concédantes à régler une somme qu’elles ne doivent pas.

II. La libéralité écartée

Ceci expliquant peut-être cela, la Cour a explicitement écarté l’existence d’une libéralité publique, celle-ci retenant que les clauses n’ont pas instauré « une indemnisation excédant le montant du préjudice subi par le concessionnaire ». Indubitablement cette portée brute de la décision de la Cour pourra manifester le coup d’arrêt que vient subir le principe de prohibition des libéralités publiques, lequel – trop invasif pour certains [19] – avait fait, il est vrai, l’objet d’une instrumentalisation dispendieuse dans les années récentes, plus particulièrement en droit des biens publics.

Conceptualisé dès l’Ancien Régime en matière financière et prenant appui sur la règle du service fait [20], exhumé au crépuscule du 19e siècle [21], le principe interdisant aux personnes publiques de consentir des libéralités devait en effet jouir d’une belle destinée, quand bien même c’est tardivement qu’on parvint à le séparer de l’un de ses corollaires, le principe selon lequel les personnes publiques ne peuvent être condamnées à payer une somme qu’elles ne doivent pas [22]. Cette fortune singulière n’en a pas moins, dès l’origine, souffert d’une dose d’évanescence marquée, que ce soit relativement à son statut juridique (principe général du droit ?) ou à sa matérialité. Définie par le Code civil comme « l’acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne » (C. civ., art 893 N° Lexbase : L0034HPX), la libéralité se distinguerait de la gratuité via sa capacité à se décliner en versets objectifs, mais aussi subjectifs (animus donandi ou animus testandi), les seconds renvoyant à l’intention de procurer un avantage sans contrepartie. L’appréhension de la libéralité n’en demeure pas moins flottante depuis l’origine alors que, tentaculaire, on l’oppose à toutes les phases contractuelles (passation ou exécution) et plus particulièrement, comme en l’espèce, au sujet des modalités de résiliation des contrats administratifs [23], cette protection devant précisément servir à ne pas dissuader les personnes publiques d’activer leur pouvoir de résiliation unilatérale – dont elles ne peuvent se démettre [24].

À l’épure, Romieu (concl. préc.) définissait la libéralité comme celle « dénuée de contreparties existantes » ; ou, dit autrement, une « obligation sans contreparties » [25]. Le juge devait cependant faire glisser par étapes successives l’appréhension de la libéralité au regard du préjudice subi par le cocontractant, une clause « manifestement disproportionnée » par rapport à ce dernier étant constitutive d’une libéralité [26]. Par la suite et afin de contrer toute « générosité » publique, le Conseil d’État allait cependant plus fermement corseter la liberté contractuelle des personnes publiques, l’indemnisation consécutive à une résiliation formant une libéralité dès lors qu’elle excède le montant réel du préjudice subi par le cocontractant, préjudice calculé en fonction des gains dont le partenaire de l’Administration a été privé ainsi que des dépenses qu’il a normalement exposées et qui n’ont pas été couvertes à la date de résiliation du contrat [27]. Aussi, et à l’issue de cette évolution synthétiquement brossée, la libéralité semble (en matière contractuelle car, ailleurs et notamment en matière domaniale, on l’apprécie avec plus de largesse) toujours davantage se définir objectivement comme celle dont le montant excède le préjudice réellement subi par le cocontractant. Le juge l’apprécierait encore moins dans un rapport de (dis)proportion opéré à la louche, qu’au regard d’un préjudice apprécié, à la pincette, au premier euro, au gré des instruments de suivi comptables et financiers.

Partant, et au regard de cette évolution, c’est logiquement que la Cour a ici décidé d’écarter l’existence d’une telle libéralité. Outre que, précisément, la contribution publique aux pertes formait une obligation contractuelle, les clauses litigieuses entendaient (seulement) couvrir les pertes réellement endurées par le concessionnaire sans conduire à outrepasser le préjudice subi par ce dernier. Implicitement, on pourra lire combien, selon la Cour, cette obligation se semblait pas dénuée de contreparties : d’une part, l’ex-concessionnaire prenait sa part de risques contractuels, acceptant d’éponger les pertes éventuelles jusqu’à 60 millions d’euros ;  d’autre part, il était manifestement peu plausible – au moment de la signature du contrat – qu’une telle concession puisse se révéler à ce point déficitaire, d’autant plus que, conventionnellement, le constat d’un défaut d’intérêt économique autorisait, à tous moments, à s’en extraire (pour limiter la casse). En bref, au regard de l’économie générale de la concession, l’intention originelle d’accorder un avantage au concessionnaire faisait défaut. On perçoit ce faisant combien, en ne raisonnant plus en termes de disproportion, le juge administratif s’est certainement coupé d’un levier souple pour, le cas échéant, déceler plus aisément l’existence d’une libéralité. Il faudra s’en satisfaire lors même que, en instrumentalisant un tel standard, le juge était souvent conduit à opérer une reconstruction – à rebours – de l’historique contractuel, en réinterprétant la volonté publique comme originellement défaillante ; comme si, dit autrement, les clauses devenaient « libérales » a posteriori, au regard du déficit concessif constaté en fin de relation contractuelle. Il faudra surtout s’en satisfaire dès lors que, arrimée au préjudice subi, la prohibition des libéralités implique de raisonner au plus près de la réalité, étant entendu que, entre le fait générateur de l’obligation contractuelle et le préjudice réellement subi, il peut exister des ruptures de lien de causalité à raison de la faute – partiellement ou totalement exonératoire – de la « victime », en l’espèce l’ex-société concessionnaire.

III. L’indemnisation accordée

C’est cette méthode que la Cour vient fait sienne : écartant l’existence d’une libéralité, elle vient certes ouvrir la voie à l’indemnisation contractuellement prévue par les clauses litigieuses. Mais tout ceci en prenant soin de caractériser – et donc d’écarter s’il le faut – les seuls chefs de préjudice réels, le tout en opérant le partage des fautes respectivement attribuées à l’autorité concédante et à l’ex-société concessionnaire, ceci dans le sillage des conclusions déjà dressées par la CRC en 2020 (préc.).

Sur un plan matériel, et au titre des indemnités extracontractuelles, la Cour de s’attarder en premier lieu sur l’indemnisation des « biens de retour » non amortis à l’issue de la concession, précision étant faite de rappeler que le caractère excédentaire ou déficitaire de la concession ne doit nullement entrer en ligne de compte pour accorder de telles indemnités, calculées uniquement au regard de la valeur nette comptable des biens amortis [28]. S’entourant de la définition dite « objective » de la catégorie-reine, circonscrite aux biens « nécessaires » ou « indispensables » à l’exécution du service public [29], la Cour en déduit qu’en font partie les bornes de recharge implantées dans le cadre de ce nouveau service. La Cour d’inclure également en leur sein les modems intégrés aux bornes autant que les frais d’étude nécessaires à l’implantation des stations, ceci alors même que plusieurs d’entre elles ne virent jamais le jour. C’est en revanche avec bien davantage de parcimonie que la Cour a retenu le versement d’indemnités compensant la résiliation (en cascade) des contrats conclus pour l’exécution de la concession ou, encore, les charges d’exploitation et les créances impayées.

C’est toutefois au stade du calcul de la compensation des pertes concessives au-delà du seuil de 60 millions d’euros que l’analyse de la Cour méritera principalement l’attention, celle-ci venant considérablement tempérer les prétentions indemnitaires de la société Bolloré. En écartant toutefois, et en premier lieu, l’idée selon laquelle le défaut d’intérêt économique de la concession lui serait imputable. Certes, la Cour vient constater que la concessionnaire y a – sciemment ? –  contribué. Pêle-mêle : en augmentant le parc automobile en 2015 à une époque où la sous-utilisation du service était déjà manifeste ; en ne procédant pas à une recapitalisation pourtant prévue dans le cadre du plan d’affaires initial ; en augmentant dans de grandes largesses la valeur nette du système d’information, creusant ainsi toujours plus le déficit concessif. Elle juge toutefois que ces manquements ne peuvent, à eux seuls « et à supposer même qu’ils puissent être qualifiés de graves », expliquer les pertes, lesquelles trouvent leur source principale dans des prévisions de trafics et de chiffres d’affaires « excessivement optimistes », mais aussi dans le retard de déploiement du service, nullement imputable à l’ex-concessionnaire.

De manière déterminante, la cour a néanmoins retenu que la garantie des pertes (supérieures à 60 millions d’euros) conventionnellement prévue impliquait ipso facto que le concessionnaire prenne toutes les dispositions nécessaires pour mettre à même l’autorité concédante de constater le défaut d’intérêt économique de la concession et, le cas échéant, de procéder à sa résiliation, ceci sans attendre que le déficit se creuse. Or, selon la Cour, c’est dès 2013 que la société Bolloré aurait dû signifier à l’autorité concédante ce défaut d’intérêt économique : en l’absence de prolongation de la durée du contrat, la viabilité de la concession se révélait en effet déjà insoutenable, même en imaginant l’adoption de mesures correctrices. La société Bolloré ayant refusé d’actualiser le plan d’affaires demandé fin 2013 par le SAVM, c’est ainsi au 30 novembre de cette même année que la Cour a décidé de clôturer les comptes et le montant du déficit concessif afférent (104 millions), l’ex-concessionnaire ne pouvant en définitive, en application de la clause contractuelle, prétendre qu’au versement d’une somme de 44 millions d’euros (104 – 60). En somme, une victoire à la Pyrrhus pour la société Bolloré ; à qui perd, gagne pour l’autorité concédante.


[1] CRC Île-de-France, Synd. Mixte Autolib' et Vélib' métropole (SAVM), novembre 2020, Dr. adm. 2021-1, alerte 13, note C. Roux.

[2] TA Paris, 12 décembre 2023, n° 1919348/3-3 N° Lexbase : A23210MW, AJDA, 2024, p. 1920, note J.-Fr. Lafaix, Contrats-Marchés publ., 2024, comm. 77, note G. Eckert, Dr. adm., 2024, alerte 36, note Ph. Coleman.

[3] CE, 3 mars 2017, n° 392446 N° Lexbase : A0086TSY, AJDA, 2017, p. 1678, note F. Lombard, RTD com., 2017, p. 297, obs. F. Lombard, BJCP, 2017, p. 211, concl. G. Pellissier.

[4] v. J.-Ph. Ferreira, Le principe d’interdiction des libéralités par les personnes publiques, AJDA, 2023, p. 2028.

[5] CAA Lyon, 22 mars 2012, n° 11LY01404 N° Lexbase : A1652IKE, Contrats-Marchés publ., 2012, comm. 151, obs. M. Ubaud-Bergeron, AJDA, 2012, p. 806, chron. C. Vinet.

[6] CE, 7 novembre 2008, n° 291794 N° Lexbase : A1733EBS, Contrats-Marchés publ. 2008, comm. 296, note G. Eckert, BJCP, 2009, p. 55, concl. N. Boulouis.

[7] CE, 30 juin 1999, n° 198147 N° Lexbase : A3236AX7, AJDA, 1999, p. 714, concl. C. Bergeal, note J.-M. Peyrical, CJEG, 1999, p. 344, concl. C. Bergeal, LPA, 28 février 2000, n° 41, p. 10, obs. C. Boiteau, Dr. env. novembre 1999, p. 3, note D. Blondel, RFDA, 1999-6, p. 1147, étude L. Vidal.

[8] CE, 28 juin 2019, n° 420776 N° Lexbase : A2201ZHY, BJCP, 2019, p. 355, concl. G. Pellissier et obs. Ph. Terneyre, JCP éd. A, 2019, n° 2362, note F. Linditch, Contrats-Marchés publ. 2019, comm. 327, note J. Dietenhoeffer.

[9] V. CJUE, 21 mai 2015, aff. C-269/14, Kansaneläkelaitos N° Lexbase : A2381NIZ, Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 180, note M. Ubaud-Bergeron, Europe 2015, comm. 264, obs. A. Bouveresse.

[10] CE, 9 décembre 2016, n° 396352 N° Lexbase : A4021SPM, Contrats-Marchés publ., 2016, comm. 52, note G. Eckert, BJCP, 2017, p. 117, concl.  G. Pellissier, obs. S. Nicinski, Dr. adm., 2017, comm. 38, note Ph. S. Hansen.

[11] Cass. com., 22 juin 2022, n° 19-25.434 N° Lexbase : A165778U, Contrats-Marchés publ. 2022, comm. 275, obs. G. Eckert, Dr. adm.n 2022, alerte 102, obs. S. Hourson.

[12] CJCE, 10 septembre 2009, aff. C-206/08, Eurawasser N° Lexbase : A8887EKD, AJDA, 2009, p. 2276, chron. ibid. 2010, p. 162, note D.-A. Camous, RFDA, 2011, p. 377, chron.

[13] CJUE, 10 novembre 2022, aff. C-486/21, Sharengo N° Lexbase : A40498SR, Contrats-Marchés publ. 2023, comm. 47, note H. Hoepffner ; CE, 24 mars 2022, n° 449826 N° Lexbase : A34177RY, AJDA, 2022, p. 1408, note M.-C. Vincent-Legoux, JCP éd. A, 2022, n° 2234, note J.-B. Vila, BJCP, 2022, p. 203, concl. M. Le Corre.

[14] J. Salenne-Bellet, Les libéralités dans les contrats administratifs, RFDA, 2023, p. 461.

[15] F. Brenet, Interdiction des libéralités et contrats publics, AJDA, 2023, p. 2046 ; CE, 16 décembre 2022, n° 455186 N° Lexbase : A67478ZW, Contrats-Marchés publ. 2023, comm. 90, note G. Eckert, JCP éd. A, 2023, n° 2008, note J. Martin, AJDA, 2023, p. 672, note J. Bousquet, RDI, 2023. P. 475, obs. I. Hasquenoph, RTD com., 2023. 64, obs. F. Lombard, BJCP, 2023, p. 87, concl. T. Pez-Lavergne.

[16] CE, 13 septembre 2021, n° 439653 N° Lexbase : A9243444, JCP éd. A, 2021, 2315, note Ch. Roux, Dr. adm. 2021, comm. 51, note G. Eveillard, Contrats-Marchés publ., 2021, comm. 319, note P. Soler-Couteaux, Dr. voir. 2021, n° 222, p. 192, concl. R. Victor, AJCT, 2022, p. 43, note M. Bahouala.

[17] J.-J. Bienvenu, L'esprit et les formes sur le bail emphytéotique, Mél. L. Richer, LGDJ, 2013, p. 493.

[18] CE, 14 octobre 2005, n° 375577 N° Lexbase : A3716NTS, JCP éd. A ,2016, n° 2031, note M. Cornille, AJDA, 2016, p. 1125, note N. Foulquier, Dr. adm. 2016, comm. 9, note G. Eveillard.

[19] C. Giraud, Pour en finir avec le principe de prohibition des libéralités publiques, JCP éd. A, 2019, n° 2128.

[20] V. J.-Ph. Ferreira, art. préc.

[21] CE, 17 mars 1893, Chemins de fer de l’Est et du Nord, Lebon, p. 245, concl. J. Romieu.

[22] CE Sect., 19 mars 1971, n° 79962 N° Lexbase : A2915B8H, Lebon 235, concl. M. Rougevin-Baville, AJDA, 1971, p. 274, chron. D. Labetoulle, RDP, 1972, p. 234, note M. Waline.

[23] CE, 4 mai 2011, n° 334280 N° Lexbase : A0953HQD, Lebon, 205, RDI, 2011, p. 396, note S. Braconnier, RFDA, 2012, p. 455, chron., BJCP, 2011, p. 285, concl. B. Dacosta, Dr. adm., 2011, comm. 67, note F. Brenet.

[24] CE Ass., 6 mai 1985, n° 41589 N° Lexbase : A3186AMX, Lebon. 141, AJDA, 1985, p. 620, note E. Fatôme et J. Moreau.

[25] G. Pellissier, concl. sur CE, 9 décembre 2016, n° 391840 N° Lexbase : A4014SPD, Lebon T. 697.

[26] CE, 4 mai 2011, n° 334280, préc.

[27] CE, 16 décembre 2022, n° 455186, préc.

[28] V. CE, 4 mai 2015, n° 383208 N° Lexbase : A4465NHT, Contrats-Marchés publ., 2015, comm. 182, note P. Devillers, AJDA, 2015, p. 902, JCP éd. A, 2015, n° 2296, obs. J. Martin ; CE, 27 janvier 2020, n° 422104 N° Lexbase : A65033CT, Contrats-Marchés publ., 2020, comm. 122, note G. Eckert.

[29] CCP, art. L. 3132-4 N° Lexbase : L4183LRD ; pour un bilan sur la question, v. Ch. Roux, Commune de Douai, 10 ans après : bien des interrogations en retour…, JCP éd. A, 2023, n° 2048 ;  J.-B. Vila, Dix ans après la décision Commune de Douai : un anniversaire en pallier ou l’aboutissement des principes ?, Contrats-Marchés publ. 2022, étude 6, Les dix ans de l’arrêt Commune de Douai, AJDA, 2022, dossier, p. 2279 et s.

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Social général

[Podcast] Valorisation des jours de repos : le flou du forfait jours

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Le 04 Juin 2025

Dans ce nouvel épisode de Lexflash, on s'intéresse à un point critique du droit du travail : la valorisation (ou non) des jours de repos dans le cadre du forfait jours.

Avec : Sofiane Coly, avocat associé et Audrey Mourer, Responsable du Pôle Paie, cabinet Dairia.

  • Pourquoi certains jours de repos ne sont-ils pas rémunérés ?
  • Quelle est la position de la jurisprudence ?
  • Quelles conséquences concrètes pour l’entreprise comme pour le salarié ?

Retrouvez cette épisode sur Youtube, Deezer, Spotify et Apple Podcasts.

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Voies d'exécution

[Dépêches] La prescription de l’action en liquidation d’astreinte court à compter du jour où l’astreinte a pris effet !

Réf. : Cass. civ. 2, 22 mai 2025, n° 22-22.416, F-B N° Lexbase : B3030AAH

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par Alexandre Autrand, doctorant, Université de Limoges, école doctorale Gouvernance des Institutions et des Organisations, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques

Le 03 Juillet 2025

La Cour de cassation précise sa jurisprudence au sujet du délai de prescription de l’action en liquidation d’astreinte (V. Cass. civ. 2, 21 mars 2019, n° 17-22.241 N° Lexbase : A8961Y4N). Elle considère que la prescription de l’action ne court pas, de manière distincte, pour chaque jour de retard pendant lequel l'obligation n'a pas été exécutée, mais à compter du jour où l'astreinte a pris effet.


Faits et procédure. En 2003, une Cour d’appel condamne les sociétés Batimap et Sodega à régulariser un acte de vente, avec la société Paru portant sur des terrains et des immeubles, sous astreinte d’un certain montant par jour de retard, à compter de la première convocation du notaire. Par acte du 19 janvier 2021, la société Paru a assigné la société Batimap devant le juge de l’exécution, aux fins de liquidation de l’astreinte et d’allocation de dommages et intérêts pour le préjudice subi, en raison du défaut de signature de l’acte de vente, pour la période de mars 2013 à janvier 2016. Suite à la décision rendue par le juge de l’exécution, un appel est interjeté. La Cour d’appel de Basse-Terre statue sur ce recours, dans un arrêt du 25 juillet 2022. Ensuite, la société Paru décide d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. La demanderesse au pourvoi fait grief à l’arrêt d’infirmer en toutes ses dispositions la décision de première instance et de déclarer irrecevable sa demande de liquidation d’astreinte. Au soutien de son pourvoi, la société Paru affirme que la dette d’astreinte de la société Batimap est née le 26 mars 2013, date à laquelle la société a été convoquée pour la signature de l’acte de vente. La demanderesse au pourvoi affirme que cette dette s’est consolidée le 27 janvier 2016, date à laquelle la société Batimap a régularisé la vente. La société Paru considère que la prescription quinquennale de l’action en liquidation d’astreinte n’a pas un point de départ unique, mais autant de points de départ que de jours compris entre le 26 mars 2015 et le 27 janvier 2016. Dès lors, la société Paru estime que pour déterminer si son action était prescrite, il convenait de se placer à la date de l’assignation, soit au 19 janvier 2021, et de remonter 5 années en arrière. Or, les juges du fond ont retenu que la prescription de l’action en liquidation d’astreinte à un point de départ unique. Pour ces derniers, le point de départ de la prescription est situé au 26 février 2013, date de la lettre portant convocation de la société Batimap par le notaire. En retenant que le délai de prescription quinquennale de l’action en liquidation d’astreinte expirait le 26 février 2018, la société Paru considère que la Cour d’appel a violé l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC.

Solution. La Cour de cassation rejette cette argumentation, en rappelant sa jurisprudence (V. Cass. civ. 2, 21 mars 2019, n° 17-22.241), au sein de laquelle elle considère que l’action en liquidation d’astreinte est soumise au délai de prescription prévu par l’article 2224 du Code civil. Après avoir rappelé la lettre de l’article R. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2179ITU, la Haute juridiction considère qu’une condamnation assortie d’une astreinte confère à son bénéficiaire une action en liquidation de cette astreinte, à l’issue de laquelle celui-ci est susceptible de disposer d’une créance de somme d’argent. La Cour considère que cette condamnation n’octroie à pas à son bénéficiaire une action en paiement des sommes payables par années ou à des termes périodiques. Par conséquent, la Cour affirme que le délai de prescription de l’action en liquidation d’astreinte court à compter du jour où l’astreinte a pris effet. Ainsi, la Cour approuve l’argumentation des juges du fond et rejette le moyen de la société Paru.

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