Lecture: 10 min
N2145B3T
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 05 Juin 2025
Mots clés : rachats d'entreprises • fusions-acquisitions • break up fees • IA générative • options d’achat
Alors que le marché français des fusions-acquisitions n’a crû que de 3 % en 2024, pour atteindre 160 milliards de dollars (155 milliards d’euros), les transactions réalisées à travers le monde ont totalisé dans le même temps 3 538 milliards de dollars, en progression de 12 %. Début 2025, les multinationales cherchaient à développer leur présence aux États-Unis avant de finalement prendre peur devant la politique économique imprévisible de la nouvelle administration Trump. Pour analyser ces bouleversements et aussi appréhender de quelle manière l'IA générative pourrait révolutionner ce secteur, Lexbase a interrogé François Baylion, avocat associé du cabinet BDGS au sein de la pratique fusions-acquisitions et droit des sociétés*.
Lexbase : Quels sont les pièges courants des opérations de fusion-acquisition, de la signature à l'intégration ?
François Baylion : Pour mieux appréhender les pièges et risques juridiques courants des opérations de M&A, il est effectivement utile d’apprécier ces risques au regard des phases d’une opération de M&A.
Avant même la signature de l’opération de M&A, il y a deux phases structurantes dans la gestion des risques : l’initiation du processus M&A et la phase de due diligences.
Lors de ces phases, les risques se posent de façon différente selon que l’on est sell side ou buy side.
Côté sell side, les principaux pièges sont (i) une mauvaise construction du processus de cession (dossier trop diffusé ou auprès des mauvais acteurs de marché, mauvaise gestion de la confidentialité, calendrier de cession mal préparé, droits de tiers non purgés), et (ii) une mauvaise préparation des due diligences (absence de VDD structurées, mauvaise ou non-couverture de certains aspects importants).
Côté buy side, les principaux pièges sont avant tout (i) la réalisation de due diligences insuffisantes ou mal calibrées par rapport à la cible et son secteur, et (ii) une mauvaise appréhension des autorisations réglementaires et antitrust ou du caractère compétitif du deal.
Au moment de la négociation de la documentation d’acquisition et la signature de l’opération de M&A, les principaux risques sont alors :
Enfin, il existe des risques spécifiques qui peuvent être liés à des opérations de M&A plus particulières, dont notamment :
Au total, si les avocats sont peu sollicités sur l’aspect intégration d’une opération de M&A, une meilleure gestion possible des risques juridiques mentionnés ci-avant est de nature à faciliter pour nos clients ce travail d’intégration.
Lexbase : De quelle manière votre cabinet y répond-il ? Avec quelle valeur ajoutée ?
François Baylion : Notre cabinet présente certaines spécificités que nous souhaitons distinctives pour répondre à ces risques en offrant le maximum de valeur ajoutée à nos clients.
L’ensemble de nos associés ont tout d’abord une très bonne compréhension de l’ensemble des parties prenantes à une opération de M&A.
Nous avons ainsi la capacité de comprendre et anticiper la réaction des différentes parties prenantes d’une opération de M&A autres que les parties à l’opération (tutelles, interlopers, etc.) et davantage si l’opération présente des complexités en matière de régulation ou de marchés.
Nous disposons également tous d’une connaissance sectorielle large et d’une expertise qui va au-delà du simple M&A, en ayant des expériences poussées en matière de gouvernance, pré-contentieux, expertise de gestion, suivi de participation, etc.
Nous offrons ainsi à nos clients la possibilité de bénéficier d’une expérience poussée en matière de précédents qui nous permet d’appréhender les risques pouvant ressortir de situations déjà vécues.
Pour exemple, nos associés présentent, en cumulé, plus d’un siècle d’expérience en droit boursier !
Par la qualité de nos parcours et des profils que nous recrutons, nous bénéficions d’une compréhension fine des enjeux financiers des opérations de M&A qui nous permet de recommander à nos clients la meilleure approche face à un risque identifié (traitement en resp & warranties, D&I, ou factorisation dans le prix).
Enfin, nous avons une approche originale quant à notre panel d’intervention en se concentrant essentiellement sur les tâches à haute valeur ajoutée.
Ainsi, pour les exercices de due diligences, nous avons pris pour stratégie de nous appuyer sur des spécialistes de ce type de services dans l’intérêt du rendu au client et de son coût (pratique que nous avons reprise des États-Unis).
Cette spécificité se retrouve également dans notre stratégie internationale où nous privilégions les liens personnels et les équipes les mieux placées sur un sujet donné plutôt que les systèmes d’alliance ou de best friend.
Lexbase : Le secteur des fusions-acquisitions semble se déplacer vers l'axe transatlantique. Cela vous inquiète-t-il ?
François Baylion : Nous ne pensons pas que les opérations transatlantiques seront dominantes dans le marché M&A en 2025. Comme l’a exprimé le Président Donald Trump, le mouvement MAGA ne veut pas dire Make M&A Great Again !
Nous voyons dans la politique conduite par les États-Unis avec les droits de douane, l’accélération d’une régionalisation des économies, dont les pays européens commencent à percevoir l’intérêt, voire la nécessité.
Pour prendre un exemple, dans le secteur de la Défense, le ministre chargé de l’Économie a annoncé que les investisseurs publics français, notamment la Caisse des Dépôts et Bpifrance, mobiliseront 1,7 milliard d’euros en capital, avec l’objectif d’atteindre jusqu’à 5 milliards d’euros de fonds propres grâce aux co-investissements privés dans des projets de défense. De même, l’Allemagne a annoncé un programme de 100 milliards d’euros sur les prochaines années.
Nous pensons qu’une fois les contrats sécurisés, les acteurs de la défense procéderont à des opérations de croissance externe pour acquérir des technologies ou des fournisseurs clés. Compte tenu de notre statut de cabinet français indépendant, notre connaissance des secteurs régulés, de l’écosystème français et de ses acteurs, nous pourrions jouer un rôle privilégié dans cette tendance de fond.
Ce n’est qu’un exemple des réflexions que nous pouvons mener. À titre d’autre exemple, l’histoire enseigne que dans les périodes de troubles, l’activiste actionnarial peut facilement renaître sur des acteurs placés en difficulté. Nous disposons là encore, sur ce type de sujet, d’une expérience approfondie en matière de réponses aux activistes et de restructuration préalable aux difficultés (cas Comexposium ou Clariane à opposer au précédent Orpéa).
Enfin, si le mouvement des opérations transatlantiques est plus poussé qu’attendu, notre position de cabinet français indépendant offre un certain nombre d’atouts pour nos correspondants américains non présents en France. Nous sommes ainsi capables de leur offrir un haut niveau d’expertise et de compréhension des enjeux locaux, notamment en matière de régulation et d’investissements étrangers en France, éléments indispensables pour la réussite d’une opération cross border.
Lexbase : Des pratiques courantes là-bas comme les break up fees sont-elles amenées à se développer en France ?
François Baylion : Pour comprendre pourquoi la pratique du break up fees n’est pas majoritaire en France dans les opérations de M&A, il faut avant tout regarder son utilité par rapport aux autres instruments de deal protection.
Le break up fee a principalement pour objet de permettre à un vendeur de sécuriser sa transaction en contraignant l’acquéreur à payer une partie du prix d’acquisition (usuellement de l’ordre de 2 %) s’il s’avérait que l’acquéreur n’était pas en mesure de remplir les conditions suspensives, notamment en matière d’autorisations d’investissement ou antitrust.
L’effet pervers de ce type d’instrument de deal protection est qu’il pourrait permettre à un acquéreur de s’offrir une option d’achat (et donc une porte de sortie) si les conditions pour obtenir les autorisations d’investissement ou antitrust étaient plus onéreuses qu’anticipées.
Pour répondre à cette difficulté, la pratique a plutôt développé les clauses de type hell or high water ou des listes blanches ou noires d’engagements plus efficaces pour sécuriser la levée des conditions suspensives, notamment antitrust, par l’acquéreur.
À noter que l’utilisation des breaks up fees reste toutefois pertinente pour un certain types de conditions suspensives (type contrôle de change) avec des acquéreurs présents sur des juridictions où leur responsabilité peut-être plus difficile à rechercher (notamment certains acquéreurs asiatiques). Dans un tel cas, il est également important de s’assurer de la sécurisation de ce break-up fee qui devra alors faire l’objet d’une couverture (notamment une garantie à première demande auprès d’une banque).
Lexbase : Comment l'IA générative pourrait-elle s’installer dans votre pratique ?
François Baylion : Nous avons déjà implanté l’IA générative au sein du cabinet pour de nombreuses tâches avec une valeur ajoutée limitée, telles que la relecture documentaire, la traduction, et un certain nombre de tâches de synthèse. Il en ressort encore la nécessité d’une revue poussée même si ces instruments font gagner un temps conséquent dans l’intérêt de nos clients.
Sur les aspects plus juridiques (recherches et clausiers), compte tenu de notre taille, notre stratégie n’est pas de développer un outil propriétaire mais plutôt de sélectionner les outils les plus performants. Nous sommes actuellement en phase de test des différents outils présents sur le marché (notamment les outils les plus connus comme GeNIA-L, Lexis IA, bientôt Harvey) avec des retours également intéressants.
Dans tous les cas, nous installons ces différents outils en restant vigilants à la confidentialité de nos documents et données clients (notamment en instaurant de bonnes pratiques pour prompter). Nous faisons sur ce sujet preuve de la même rigueur que celle que nous avons employée dans la construction de notre architecture informatique, réseau et téléphonie.
*Propos recueillis par Virginie Natkin, chargée d’affaires grands comptes Avocats et Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:492145
Lecture: 1 min
N2358B3Q
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marie Le Guerroué, Rédactrice en chef de la revue Lexbase Avocats & Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
Le 04 Juin 2025
La revue Lexbase Avocats vous propose de retrouver dans un plan thématique, une sélection des décisions, des textes et de l’information professionnelle qui ont fait l’actualité de la profession d’avocat au cours du mois de mai 2025.
I. L’actualité de la profession
C. Honoraires
D. Institution
II. L’actualité de la pratique professionnelle
C. En procédure administrative
I. L’actualité de la profession
CA Paris, pôle 4, chambre 13, 15 mai 2025, n° 24/10327 N° Lexbase : A946809K : la tenue de propos haineux et antisémites sur internet justifie le refus opposé à une demande d’inscription d’une élève-avocate à l'Ordre des avocats du barreau de Paris.
Cass. civ. 2, 7 mai 2025, n° 23-21.455, F-B, Rejet N° Lexbase : A22450RL : un mandataire d’assuré ne peut se livrer à une activité de consultations juridiques et de rédaction d'actes.
C. Honoraires
CE, 5°-6° ch. réunies, 7 mai 2025, n° 489396, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A39040RZ : les justiciables auxquels des décisions d’administration judiciaire prises en matière d’aide juridictionnelle ont causé un préjudice peuvent en obtenir réparation en cas de faute lourde.
D. Institution
CNB, Résolution, 23 mai 2025 : le CNB a présenté un travail de synthèse à partir des retours des avocats ayant répondu à la Grande consultation nationale. Ce rapport a permis d'identifier 5 grands chantiers prioritaires :
II. L’actualité de la pratique professionnelle
Cass. civ. 2, 7 mai 2025, n° 23-20.113, F-B N° Lexbase : A22460RM : la Cour de cassation rappelle et précise sa jurisprudence en matière d’interruption de la prescription (V. Cass. civ. 2, 8 juillet 2021, n° 20-12.005 N° Lexbase : A48144YX). Elle affirme dans le cadre d’un litige d’assurance, que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un seul et même but.
par Alexandre Autrand
Cass. crim., 7 mai 2025, n° 24-80.764, FS-B N° Lexbase : A22380RC : l’article 730-2-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L2162LZ4, issu de la loi du 3 juin 20216, qui soumet la libération conditionnelle des personnes condamnées pour des infractions à caractère terroriste, à l’avis consultatif d’une commission d’évaluation de dangerosité et permet au tribunal d’application des peines de s’y opposer en cas de trouble grave à l’ordre public, n’a pas pour effet d’aggraver la peine prononcée et s’applique aux condamnations relatives à des faits commis avant leur entrée en vigueur.
par Honoré Clavreul
Cass. crim., 9 avril 2025, n° 24-83.445, F-D N° Lexbase : A66590IH : un délai de cinquante-six minutes après l'interpellation et seize minutes après la notification de la garde à vue pour notifier le procureur de la République d'une telle mesure est justifié par les circonstances de faits dans lesquelles le placement en garde à vue est intervenu, telle la présence d'une manifestation bloquant certains accès et rendant la circulation difficile ou la multiplication d'interpellations.
par Honoré Clavreul
Cass. crim., 9 avril 2025, n° 24-81.733, F-D N° Lexbase : A66370IN : si, selon certains textes internationaux, la violence fondée sur le genre s'entend comme une forme de discrimination, une telle énonciation n'a pas pour objet et ne peut avoir pour effet l'assimilation des violences sexuelles, du harcèlement sexuel ou des violences sur un membre de la famille, au sens de l'article 2-2 du Code de procédure pénale, à une discrimination sexuelle.
par Honoré Clavreul
C. En procédure administrative
CE, 1° ch., 11 avril 2025, n° 492214, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A48790IK : le délai au terme duquel les parties sont réputées avoir eu communication d'un document, de deux jours ouvrés à compter de la date de mise à disposition de celui-ci dans l'application Télérecours, n'est pas un délai franc.
par Yann Le Foll
CE, 3°-8° ch. réunies, 4 avril 2025, n° 487840, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A05580GR : est précisé l’office du juge dans le cadre d’un pourvoi contre une décision du juge de l'exécution considérant que la décision juridictionnelle initiale avait été partiellement exécutée.
par Yann Le Foll
CE, 5° ch., 4 avril 2025, n° 496465, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A05550GN : le juge de cassation doit censurer l'ordonnance qui lui est déférée dans le cas où il juge qu'il a été fait un usage abusif de la faculté de prononcer un désistement d’office.
par Yann Le Foll
CE, 9e-10e ch. réunies, 13 novembre 2024, n° 473814, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A63836GI : une déclaration rectificative qui tend, par elle-même, à la réparation d’erreurs commises dans l’assiette ou le calcul des impositions ou au bénéfice d'un droit, constitue une réclamation contentieuse préalable lorsqu’elle a été déposée après l’expiration du délai de déclaration. Telle est la solution retenue par le Conseil d’État dans un arrêt du 13 novembre 2024.
par Marie-Claire Sgarra
CE 9° et 10° ch.-r., 8 novembre 2024, n° 475302, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A57156EE : le Conseil d’État devait trancher un litige où un contribuable a fait l'objet de l'exercice du droit spécial de reprise en matière de CFE.
par Marie-Claire Sgarra
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:492358
Réf. : Cass. crim., 20 mai 2025, n° 24-82.660, F-B N° Lexbase : A943609D
Lecture: 7 min
N2355B3M
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Aurélie Salon, Avocat, Docteur en droit, cabinet Ledoux & associés
Le 03 Juin 2025
► La Chambre criminelle valide la possibilité, pour les agents de l’inspection du travail, de signaler des infractions au Code du travail directement au procureur sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale, sans respecter les formalités prévues par l’article L. 8113-7 du Code du travail. Elle considère ainsi que l’absence d’information préalable de l’employeur n’entache pas la régularité des poursuites et consacre la coexistence de deux régimes de signalement.
L’article L. 8113-7 du Code du travail N° Lexbase : L5737K7M encadre les conditions dans lesquelles les agents de contrôle de l’inspection du travail peuvent informer le procureur de la République des infractions constatées dans l’exercice de leurs fonctions. Il prévoit qu’avant toute transmission d’un procès-verbal au Parquet, l’agent doit informer la personne visée des faits susceptibles de constituer une infraction pénale ainsi que des sanctions encourues, afin de lui permettre de présenter ses observations.
De son côté, l’article 40 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L5531DYI impose à tout fonctionnaire ou officier public qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit, d’en informer sans délai le procureur de la République et de lui transmettre tous les éléments utiles. Ce texte de portée générale fonde une obligation de signalement indépendante du champ d’intervention spécifique des agents de l’inspection du travail.
C’est précisément l’articulation entre ces deux procédures de signalement - l’une spéciale, l’autre de droit commun - qui faisait débat dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 20 mai 2025.
Les juges suprêmes ont validé la possibilité, pour l’inspection du travail, de saisir directement le procureur de la République, sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale, y compris lorsqu’il s’agit d’infractions au Code du travail.
Cette solution, qui consacre l’existence de deux voies procédurales distinctes, apparaît légitime dans un objectif de souplesse et d’efficacité. Elle n’en soulève pas moins des interrogations sur les garanties procédurales dont l’employeur serait privé.
1. Deux voies de signalement au Parquet pour les infractions au Code du travail
En l’espèce, une salariée d’une blanchisserie-teinturerie avait été grièvement blessée par une machine non conforme. Après contrôle, l’inspection du travail a signalé les faits au procureur de la République, sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale.
L’employeur poursuivi soulevait alors une exception de nullité, reprochant à l’inspection de ne pas avoir respecté les formalités préalables exigées par l’article L 8113-7 du Code du travail qui impose, avant toute transmission d’un procès-verbal au Parquet, d’informer l’employeur sur les faits susceptibles de constituer une infraction ainsi que sur les sanctions encourues afin de lui permettre de faire valoir ses observations.
Il soutenait que les infractions relatives à la législation du travail ne pouvaient être portées à la connaissance du procureur de la République par l’inspection du travail que sous la forme du procès-verbal, prévu à l’article L. 8112-1 du Code du travail N° Lexbase : L7484K93.
La cour d’appel a rejeté cette analyse, précisant que, si les dispositions de l’article L. 8113-7 du Code du travail prévoient un cadre applicable au constat des infractions au Code du travail par les agents de contrôle de l’inspection du travail, celles-ci ne font pas obstacle à la saisine du procureur de la République sur le fondement général de l’article 40 du Code de procédure pénale.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation était donc invitée à trancher la question suivante : l’inspection du travail peut-elle signaler une infraction au Code du travail directement au procureur sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale, sans respecter la procédure spéciale prévue par le Code du travail ?
Les juges répondent par l’affirmative. Ils rappellent qu’aucune disposition du Code du travail n’exclut expressément le recours à l’article 40 du Code de procédure pénale et en déduisent que l’inspection du travail était fondée à saisir le procureur de la République sur ce fondement.
Cette lecture des textes consacre la possibilité, pour l’inspection du travail, de recourir à l’un ou l’autre des deux régimes distincts de signalement au procureur de la République en cas d’infraction au Code du travail :
2. Des garanties procédurales réduites pour les employeurs en cas de signalement direct ?
Reste la question plus délicate des garanties procédurales, que soulevait également l’employeur. En effet, la voie de l’article 40 du Code de procédure pénale ne prévoit ni information préalable de l’employeur, ni possibilité de présenter des observations permettant d’éclairer le Parquet avant sa prise de décision.
Pour l’entreprise, la procédure suivie portait ainsi atteinte à ses droits de la défense. En l’absence d’information préalable sur les faits reprochés, elle estimait ne pas avoir été mise en mesure de présenter ses observations, en méconnaissance de l’article L. 8113-7 du Code du travail, mais également de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme N° Lexbase : L7558AIR.
Sur ce point, la Cour de cassation estime que cette absence de formalité préalable doit être relativisée par le fait que la société poursuivie a pu exercer ses droits dans le cadre de l’enquête préliminaire, notamment en application de l’article 77-2 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1320MA7.
En effet, afin d’améliorer l’effectivité du principe du contradictoire dans le cadre de l’enquête préliminaire, cet article a été modifié en 2021 pour permettre au procureur de la République de mettre à disposition des personnes mises en cause ou victimes tout ou partie de la procédure et recueillir leurs observations.
En outre, il est à noter que le représentant de l’employeur est, en pratique, systématiquement entendu dans le cadre de l’enquête préliminaire. Il bénéficie dans ce cadre, puis devant la juridiction répressive, de la possibilité de se défendre.
Dès lors, l’absence de possibilité de présenter des observations auprès de l’inspection du travail ne saurait être assimilée à une absence de contradictoire. Le recueil des observations de l’employeur est en réalité reporté à d’autres étapes de la procédure pénale.
La Cour de cassation précise en conséquence que, s’il est exact que la société prévenue n’a pu faire connaître à l’inspection du travail ses observations avant la saisine du procureur de la République, une telle circonstance n’est pas de nature à entacher de nullité les poursuites.
En d’autres termes, l’information de l’employeur et la possibilité de formuler des observations, exigées par l’article L. 8113-7 du Code du travail, ne constituent pas des conditions de validité de l’action publique.
Tout ceci étant précisé, il faut reconnaître l’utilité des échanges contradictoires au stade des investigations. Il est donc souhaitable que la saisine directe du procureur de la République par les agents de l’inspection du travail, hors situation d’urgence, reste exceptionnelle. Il est de bonne justice et dans l’intérêt de toutes les parties que le Parquet, comme le prévoit l’article 77-2 du Code de procédure pénale, dispose s’il le souhaite d’un maximum d’informations et de points de vue pour prendre la meilleure décision à l’issue de l’enquête.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La responsabilité pénale de l’employeur, Les suites de l’enquête, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E052103P. |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:492355
Réf. : CJUE, 29 avril 2025, aff. C-452/23, Fastned Deutschland GmbH & Co. KG c/ Die Autobahn GmbH des Bundes N° Lexbase : A41600PR
Lecture: 12 min
N2377B3G
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Elise Simon, Avocate, et Anne-Andréa Vilerio, Avocate, cabinet Parme Avocats
Le 13 Juin 2025
Mots clés : concession • in house • avenant • modification substantielle • commande publique • absence de mise en concurrence.
Sur les autoroutes allemandes, l’extension de concessions existantes pour y intégrer l’installation de bornes de recharge électrique a suscité des recours de la part d’opérateurs concurrents. En cause : des contrats initialement attribués sans appel d’offres à une société publique postérieurement privatisée. La CJUE a jugé qu’une telle modification n’est possible sans procédure de mise en concurrence que si elle découle de circonstances imprévisibles, sans remettre en cause l’attribution initiale une fois les délais de recours expirés.
Sur les autoroutes allemandes, la vitesse est libre, mais le déploiement des bornes de recharge pour les voitures électriques, lui, reste entravé.
En cause : un cadre juridique complexe, entre concessions, privatisations et concurrence parfois inexistante.
Autobahn Tank & Rast et Ostdeutsche Autobahntankstellen, opérateurs allemands en situation quasi monopolistique, assurent l’exploitation d’environ 90 % des stations-service et aires de repos situées le long des autoroutes fédérales, en vertu d’environ 360 contrats de concession conclus avec l’État fédéral.
Sur ce total, 280 concessions avaient été attribuées, entre 1996 et 1998, sans procédure d’appel d’offres, au prédécesseur des deux exploitants actuels. Ces contrats, d’une durée maximale de quarante ans, avaient alors été passés avec une entité in house, société publique entièrement détenue par l’État allemand, laquelle a, par la suite, fait l’objet d’une privatisation.
En 2022, les autorités publiques ont modifié environ 360 de ces contrats pour y intégrer l’installation et l’exploitation de bornes de recharge pour véhicules électriques.
C’est dans ce contexte que les sociétés Fastned et Tesla, actives sur le marché concurrentiel de la recharge électrique, ont contesté, devant les juridictions allemandes, l’extension de ces concessions sans mise en concurrence préalable. Selon elles, de telles modifications contractuelles, compte tenu des montants en jeu, auraient dû donner lieu à une procédure concurrentielle, en application du droit de l’Union.
Saisie d’une question préjudicielle présentée par l’Oberlandesgericht Düsseldorf, Cour d’appel régionale allemande, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE »), réunie en grande chambre, a été appelée à interpréter les dispositions du droit européen applicables à l’attribution et à la modification des concessions accordées à des entités in house.
Plus précisément, elle devait se prononcer sur la possibilité de modifier un contrat initialement attribué sans mise en concurrence, lorsque, au moment de la passation de cet avenant, le concessionnaire ne présente plus les caractéristiques juridiques requises pour relever de ce régime dérogatoire.
Partant, la CJUE considère que, pour qu’une modification substantielle soit autorisée sans mise en concurrence sur le fondement de l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la Directive 2014/23/UE du 26 février 2014, sur l'attribution de contrats de concession N° Lexbase : L8591IZ9 (ci-après « la Directive »), encore faut-il qu’elle soit rendue nécessaire, et non simplement souhaitable, par la survenance de circonstances imprévisibles au moment de la conclusion du contrat (I).
La Cour rappelle également que la circonstance selon laquelle la concession a été initialement attribuée à une entité in house, bien que cette dernière ait été ultérieurement privatisée, ne fait pas obstacle, en soi, à une modification contractuelle sans nouvelle procédure d’attribution. Elle précise, en outre, que la régularité de l’attribution initiale ne saurait être remise en cause si le délai de recours ouvert à cette fin est expiré, conformément aux principes de sécurité juridique et de stabilité contractuelle (II).
I. La modification contractuelle d’une concession
S’il est désormais acquis en droit interne qu’un contrat de concession peut faire l’objet de modifications sans qu’il soit nécessaire d’engager une nouvelle procédure de mise en concurrence, par la conclusion d’un avenant, conformément aux articles L. 3135-1 N° Lexbase : L7143LQM et R. 3135-1 N° Lexbase : L3654LRR et suivants du Code de la commande publique, la décision ici analysée précise, en droit de l’Union européenne, les conditions encadrant les modifications substantielles (A), ainsi que celles rendues nécessaires par des circonstances imprévues (B).
A. La modification d’une concession en droit de l’Union européenne
Le droit de l’Union encadre les modifications des contrats de concession en cours d’exécution, afin de prévenir tout contournement des obligations de publicité et de mise en concurrence qui s’imposent lors de l’attribution initiale.
L’objectif est d’éviter que des ajustements contractuels, en apparence techniques ou ponctuels, ne dissimulent en réalité de nouvelles concessions, contrairement aux obligations de mise en concurrence.
La CJUE rappelle dans cette affaire qu’une modification d’un contrat de concession peut être effectuée sans nouvelle procédure d’attribution sur le fondement de l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la Directive, sous réserve de la réunion de trois conditions cumulatives :
Cette disposition offre ainsi une marge d’adaptation encadrée, sans pour autant consacrer une faculté de modification illimitée.
Dans ce cadre, la CJUE précise utilement que le droit applicable à l’appréciation du caractère substantiel de la modification est celui en vigueur à la date de ladite modification, et non celui applicable à la date de la conclusion du contrat initial, permettant d’assurer une continuité contractuelle.
Par conséquent, l’antériorité de la passation de la concession par rapport à l’entrée en vigueur de la Directive ne fait pas obstacle à l’application des règles prévues par son article 43, paragraphe 1, sous c).
Cette précision consacre une approche souple et dynamique du droit applicable, fondée sur la date de l’acte modificateur, et non sur celle de l’attribution initiale.
B. Les modifications rendues nécessaires par des circonstances imprévisibles
Plus encore, la CJUE considère, au regard de l’esprit de la Directive, que les pouvoirs adjudicateurs doivent pouvoir disposer d’une certaine marge d’appréciation pour adapter un contrat de concession en cours d’exécution, lorsqu’ils sont confrontés à des circonstances extérieures imprévisibles, et ce, sans être contraints d’engager une nouvelle procédure d’attribution.
À cet égard, elle précise que la modification peut être regardée comme « rendue nécessaire », au sens de l’article 43, paragraphe 1, sous c), de ladite Directive, dès lors que :
« La modification d’une concession est “rendue nécessaire”, au sens de cet article 43, si des circonstances imprévisibles exigent d’adapter la concession initiale afin d’assurer que l’exécution correcte de celle-ci puisse perdurer. »
De ce fait, la Cour insiste sur le strict respect des conditions énoncées à l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la Directive. Elle rappelle en particulier que la modification ne peut être admise si elle est simplement utile ou opportune, par la survenance de circonstances imprévisibles au moment de la conclusion du contrat.
Ainsi, une telle faculté d’adaptation, bien que reconnue, demeure toutefois strictement encadrée. Elle ne saurait, en particulier, justifier une modification portant atteinte à la nature globale de la concession.
La Cour rappelle ainsi que :
« [...] tel est le cas, notamment, lorsque les travaux à exécuter ou les services à fournir sont remplacés par quelque chose de différent ou lorsque le type de concession est fondamentalement modifié. »
Autrement dit, la modification ne peut ni dénaturer l’objet du contrat initial, ni conduire à une substitution d’objet ou de régime juridique.
II. Les effets de la privatisation d’une société publique sur ses contrats de concession
La CJUE ne remet pas en cause les critères de qualification d’une entité in house (A), mais précise les conditions d’application de ce régime dérogatoire. Elle y intègre désormais une exigence nouvelle : la prise en compte des évolutions structurelles susceptibles d’intervenir en cours d’exécution du contrat (B), sans pour autant permettre de remettre en cause rétroactivement la régularité de l’attribution initiale (C).
A. Les critères classiques de qualification d’entité in house
Il convient de rappeler que la notion d’entité in house, telle que définie à l’article 17 de la Directive et issue de la jurisprudence constante de la CJUE, notamment de l’arrêt « Teckal » [1], permet à un pouvoir adjudicateur de confier un contrat de concession ou un marché public sans procédure de mise en concurrence à une personne morale.
Deux conditions cumulatives permettent de bénéficier de ce régime dérogatoire, que sont :
Autrement dit, ce régime dérogatoire autorise une collectivité publique à conclure un contrat sans recourir aux procédures de mise en concurrence, à la condition que soient réunis les critères organique et fonctionnel caractérisant ce lien in house.
Or, dans l’affaire en cause, la concession avait été initialement conclue sans mise en concurrence, l’autorité concédante ayant invoqué et constaté l’existence d’un lien organique et fonctionnel étroit avec son cocontractant, société publique.
Dans ce cadre, il convient de préciser que par un premier arrêt du 11 janvier 2005 « Stadt Halle » [2], la CJUE avait écarté de manière catégorique les structures d’économie mixte du champ des relations dites in house. À ce titre, elle a jugé que la seule participation, même minoritaire, d’une entreprise privée au capital d’une société à laquelle participe également un pouvoir adjudicateur fait obstacle à l’exercice, par ce dernier, d’un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services. Autrement dit, la simple présence d’un actionnaire privé, aussi minime soit-elle, empêche de satisfaire à la condition de contrôle fixée par l’arrêt « Teckal ». Cette interprétation de principe a par la suite été réaffirmée par la Cour dans un arrêt du 21 juillet 2005, « Coname » [3].
Dans l’affaire analysée, au moment où une modification substantielle du contrat a été envisagée, cette entité ne répondait plus aux conditions de qualification in house. Cette évolution s’expliquait, notamment, par une transformation de sa structure de gouvernance ainsi que par l’élargissement de son périmètre d’activités, effets de sa privatisation.
Le fondement juridique qui avait permis l’attribution sans mise en concurrence avait donc disparu.
Dans ce contexte, les autorités allemandes s’interrogeaient sur la modification d’un tel contrat, portant notamment sur son objet, qui imposait le recours à une nouvelle procédure d’attribution au regard du droit européen.
Cette question soulève un enjeu fondamental : celui de la compatibilité d’une adaptation contractuelle avec la perte du régime dérogatoire initialement applicable.
B. L’extension de ce régime dérogatoire
La CJUE juge que la perte, en cours d’exécution, de la qualité d’entité in house par le cocontractant ne constitue pas, en elle-même, un obstacle à la possibilité de modifier substantiellement un contrat de concession sans mise en concurrence.
Autrement dit, les autorités concédantes peuvent, sous réserve du respect des conditions strictement définies à l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la Directive, dont l’appréciation relève du juge national, procéder à la modification d’une concession en cours d’exécution, y compris dans l’hypothèse où le cocontractant, initialement qualifié d’entité in house, a perdu cette qualité.
La Cour estime qu’imposer le maintien du statut in house comme condition préalable à la validité de la modification reviendrait à restreindre indûment le champ d’application de l’article 43, paragraphe 1, sous c), sans que cette restriction trouve de fondement dans le texte même de la Directive ni dans sa finalité.
Une telle lecture compromettrait l’effet utile de la disposition, dont l’objectif est précisément de permettre l’adaptation du contrat aux circonstances imprévisibles, indépendamment de l’évolution de la qualité juridique du cocontractant au moment de la modification.
Pour autant, il importe de souligner que la Cour insiste sur le caractère strictement encadré de cette faculté de modification. En effet, celle-ci ne peut être valablement mobilisée que si la modification est rendue nécessaire, et non simplement souhaitable ou opportune, par la survenance de circonstances imprévisibles au moment de la conclusion du contrat initial.
Une telle exigence vise à préserver l’équilibre entre la continuité des relations contractuelles et les principes fondamentaux de concurrence et de transparence qui régissent le droit de la commande publique de l’Union.
C. Évolution dans le temps de la forme juridique de l’entité in house : pas de contrôle à titre incident de la régularité de l’attribution initiale
Enfin, la CJUE considère que dans le cadre d’un recours dirigé contre la modification d’un contrat de concession, les juridictions nationales ne sont pas tenues de se prononcer sur la régularité de l’attribution initiale du contrat, dès lors que le délai de recours prévu par le droit national pour contester cette attribution est expiré.
Par cette précision, la Cour réaffirme la distinction structurante entre deux séquences juridiques : d’une part, celle de l’attribution, encadrée par des délais de recours ; et d’autre part, celle de l’exécution du contrat, régie par un régime juridique autonome, portant notamment sur la question des modifications substantielles.
Il en résulte que, même en présence d’une transformation profonde de la nature juridique du cocontractant, telle qu’une privatisation intervenue postérieurement à l’attribution, l’ordre juridique de l’Union ne permet pas de remettre en cause rétroactivement la validité de l’attribution initiale une fois les voies de recours épuisées.
Cette position s’inscrit dans une logique de sécurité juridique et de stabilité des relations contractuelles, principes fondamentaux du droit de la commande publique européenne.
[1] CJCE, 18 novembre 1999, aff. C-107/98 N° Lexbase : A0591AWS.
[2] CJCE, 11 janvier 2005, aff. C-26/03 N° Lexbase : A9511DEY.
[3] CJCE, 21 juillet 2005, aff. C-231/03 N° Lexbase : A1664DKT.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:492377
Lecture: 1 min
N2380B3K
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 04 Juin 2025
Dans ce nouvel épisode de Lexflash, on s'intéresse à un point critique du droit du travail : la valorisation (ou non) des jours de repos dans le cadre du forfait jours.
Avec : Sofiane Coly, avocat associé et Audrey Mourer, Responsable du Pôle Paie, cabinet Dairia.
Retrouvez cette épisode sur Youtube, Deezer, Spotify et Apple Podcasts.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:492380