Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 7 mai 2025, n° 489396, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A39040RZ
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N2288B37
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par Yann Le Foll
Le 19 Mai 2025
Les justiciables auxquels des décisions d’administration judiciaire prises en matière d’aide juridictionnelle ont causé un préjudice peuvent en obtenir réparation en cas de faute lourde.
Un avocat a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner en réparation du préjudice financier qu'il estime avoir subi du fait de décisions rendues par le président de la section administrative du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Nîmes et le premier vice-président de la cour administrative d'appel de Marseille, lors de l'examen de seize demandes d'aide juridictionnelle présentées par certains de ses clients.
La cour administrative d’appel (CAA Lyon, 8 juin 2023, n° 21LY03204 N° Lexbase : A090293S) a jugé que ces manquements invoqués par le requérant au soutien de sa demande de réparation ne permettaient pas de caractériser, eu égard à l'office du bureau d'aide juridictionnelle et du président de la cour statuant sur un recours formé contre la décision du bureau d'aide juridictionnelle et à la nature des pouvoirs qu'ils exercent, des fautes lourdes de nature à engager la responsabilité de l'État.
Ayant omis, ce faisant, de rechercher si les faits fautifs allégués étaient d'une gravité suffisante pour constituer des fautes lourdes, la cour a entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation et d'une erreur de droit.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, L’aide juridictionnelle, Les personnes bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, in La profession d’Avocat, Lexbase N° Lexbase : E38433RR. |
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N2264B3A
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Le 14 Mai 2025
Mots clés : concurrence • pratiques abusives • versement de commissions • action collective • plateformes numériques
Des hôteliers français et espagnols partent en guerre contre les « clauses de parité » imposées par la plateforme Booking, bien connue des futurs vacanciers à la recherche d’un hébergement au meilleur rapport qualité/prix. Toutefois, ces clauses empêchent les professionnels concernés de proposer leurs chambres à des prix plus bas ou à des conditions plus avantageuses sur d’autres canaux de vente, restreignant de fait leur liberté commerciale. Les commissions excessives versées au géant néerlandais sont également pointées du doigt. Pour en savoir plus sur cette initiative d’ampleur, Lexbase a interrogé Marc Barennes, Geradin Partners, l’un des avocats à l’initiative de cette action*.
Lexbase : Quel est l'objectif de cette action collective ?
Marc Barennes : L’action collective que nous menons contre Booking.com vise à permettre aux hôteliers français, d’une part, d’obtenir réparation pour les préjudices qu’ils ont subis à la suite des pratiques anticoncurrentielles de Booking.com et, d’autre part, d’y mettre fin pour l’avenir [1].
Les pratiques anticoncurrentielles de Booking.com ont consisté, en substance, en de multiples abus de position dominante qui ont conduit les hôteliers à s’acquitter auprès de cette plateforme des commissions excessives par rapport à celles qui auraient dû prévaloir si la concurrence n’avait pas été faussée. Ces abus ont également pu conduire ces hôteliers à perdre des réservations.
Parmi les différents abus identifiés, l’on peut, par exemple, citer les programmes offerts aux hôteliers français, dont les Programmes « Partenaires Préférés » et « Booking Sponsored Benefit », dont les effets ont conduit à réintroduire de manière déguisée les clauses de parité tarifaire, pourtant interdites en France depuis la loi « Macron » de 2015 (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L6265MST).
Lexbase : De quelle manière l’arrêt de la CJUE de septembre 2024 pourrait jouer en votre faveur ?
Marc Barennes : Dans son arrêt « Booking.com » du 19 septembre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (la « CJUE ») a considéré, en substance, que les clauses de parité tarifaire imposées par des entreprises en position dominante constituent des ententes verticales interdites [2].
L’analyse de la CJUE repose sur deux principaux constats : les clauses de parité tarifaire de Booking.com, d’une part, ne sont pas indispensables pour que Booking.com offre ses services sur le marché et, d’autre part, pourraient être remplacées par d’autres mesures moins restrictives de concurrence [3].
La CJUE réaffirme ainsi le caractère illégal des clauses de parité tarifaire, tant dans leur version « étendue », qui interdit aux hôteliers de proposer sur tout autre canal de vente en ligne, y compris leurs propres sites internet, des prix inférieurs à ceux affichés sur Booking.com, que dans leur version « restreinte », qui impose cette interdiction uniquement pour les prix proposés sur d’autres plateformes concurrentes.
Bien que la CJUE ne se prononce pas explicitement sur la pratique de Booking.com consistant à offrir aux hôteliers, via la combinaison des Programmes « Partenaires Préférés » et « Booking Sponsored Benefit », une plus grande visibilité en échange de commissions plus élevées et de l’engagement de proposer sur Booking.com des prix inférieurs à ceux affichés sur d’autres canaux de vente en ligne, cet arrêt implique que toute clause de parité tarifaire, y compris dans leur forme « déguisée », est interdite.
Les autorités espagnole et italienne de concurrence parviennent d’ailleurs à une solution similaire en constatant que la mise en œuvre de ces programmes a des effets anticoncurrentiels similaires à ceux des clauses de parité tarifaire.
Lexbase : De telles actions contre des géants du Net ont-elles déjà eu lieu ?
Marc Barennes : Nous assistons, en France comme ailleurs dans le reste de l’Europe et du monde, à une très forte augmentation des actions judiciaires en indemnisation intentées contre les grandes plateformes numériques, très souvent à la suite de leur condamnation par les autorités de concurrence pour leurs pratiques abusives.
En premier lieu, s’agissant de Booking.com, plusieurs actions menées par les hôteliers sont en cours contre elle dans plusieurs pays européens, tels que l’Espagne et l’Allemagne, ou sont en préparation dans d’autres pays, tels que l’Italie et le Portugal, pour des pratiques similaires à celles mises en œuvre en France.
En Espagne, les hôteliers demandent l’équivalent d’environ 2 % de leur chiffre d’affaires annuel à titre d’indemnisation, tandis qu’en Allemagne 2 600 hôteliers demandent une indemnisation totale de plus de 300 millions d’euros.
En second lieu, d’autres grandes plateformes numériques font également face à des actions judiciaires visant à obtenir réparation des préjudices résultant de leurs comportements anticoncurrentiels. À titre d’exemple, de nombreuses actions sont en cours contre Amazon, Google, ou Meta en France, en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas.
Cette tendance s’inscrit dans un contexte plus général de durcissement réglementaire au niveau européen, marqué par l’entrée en vigueur du Règlement sur les marchés numériques (DMA) en mars 2024.
Lexbase : D'après vous, quelles sont vos chances de succès ?
Marc Barennes : Nous n’agirions pas si nous n’étions pas totalement convaincus que Booking.com a commis des pratiques anticoncurrentielles pour lesquelles les hôteliers sont en droit d’obtenir une indemnisation.
En outre, l’action repose en grande partie sur des pratiques de Booking.com qui ont déjà été sanctionnées en raison de leur caractère anticoncurrentiel tant par la CJUE que par les autorités espagnole et italienne de concurrence. Elle se fonde donc en grande partie sur les conséquences à tirer de ces décisions en termes d’indemnisation au profit des hôteliers.
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.
[1] Pour en savoir plus sur l’action collective, voir le site actioncollectivehotel.fr.
[2] CJUE, 19 septembre 2024, aff. C-264/23, Booking.com BV c/ 25hours Hotel Company Berlin GmbH N° Lexbase : A97925ZP.
[3] Ibid., pts. 60 and suivants.
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Réf. : Cass. civ. 3, 30 avril 2025, n° 23-21.574, F-D N° Lexbase : A76060QR
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N2291B3A
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J AVOCATS, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
Le 19 Mai 2025
La justification, pour un constructeur, de la souscription d’une assurance de responsabilité civile décennale à l’ouverture du chantier est une obligation d’ordre public.
Le non-respect de cette obligation peut justifier la résolution du marché de travaux aux torts du constructeur.
L'obligation de souscrire une assurance décennale pour le constructeur est notamment prévue à l’article L. 241-1 du Code des assurances N° Lexbase : L1827KGR qui dispose que toute personne physique ou morale dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 N° Lexbase : L1920ABQ et suivants du Code civil doit être couverte par une assurance. À l'ouverture de tout chantier, elle doit justifier qu'elle a souscrit un contrat d'assurance la couvrant pour cette responsabilité. Ce contrat d'assurance est réputé comporter une clause assurant le maintien de la garantie pour la durée de la responsabilité décennale.
En l’espèce, une association maître d’ouvrage entreprend des travaux de rénovation d’un bâtiment. Invoquant l’absence de justification par le constructeur d’une assurance décennale couvrant l’ensemble de ses activités, le maître d’ouvrage résilie le contrat. Se prévalant d’une rupture abusive des relations contractuelles, l’entreprise assigne le maître d’ouvrage en paiement d’un acompte et autres indemnités.
La Cour d’appel de Nîmes, dans un arrêt du 3 août 2023 (CA Nîmes, 3 août 2023, n° 22/01766 N° Lexbase : A31441DS), rejette les demandes de l’entreprise et prononce la résolution du contrat à ses torts. Le constructeur forme un pourvoi en cassation qui est rejeté.
La Haute juridiction rappelle qu’en application de l’article L241-1 précité, la justification par un constructeur, à l’ouverture du chantier, de la souscription d’une assurance RC décennale, est une obligation d’ordre public. Les conseillers ont donc pu, dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation des faits, considérer que son défaut constitue un manquement de gravité suffisante pour justifier la résolution du contrat aux torts du constructeur par application de l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC.
Attention, l’appréciation du manquement reste une question qui reste soumise à l’appréciation des juges du fond. Pour exemple, dans une décision rendue par la Cour d’appel de Douai le 8 février 2018 (CA Douai, 8 février 2018, n° 17/01263 N° Lexbase : A9224XCM), la cour a jugé que le défaut d'attestation d'assurance n'était pas suffisamment grave pour justifier la résolution du contrat, car les travaux ont été réalisés.
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Réf. : Cass. civ. 1, 26 mars 2025, n° 22-23.644, F-B N° Lexbase : A16120CP
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N2227B3U
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par Marion Damy, Docteure en droit, CERFAPS, Université de Bordeaux
Le 19 Mai 2025
Mots-clés : filiation • possession d'état • décès du père • prescription de l'action • point de départ du délai
Le point de départ du délai de prescription de l’action en constatation de la possession d’état commence à courir à la cessation de la possession d’état si elle intervient du vivant du parent à l’égard duquel elle est invoquée ou au décès de celui-ci.
Prescription de l’action en constatation de la possession d’état. En l’espèce, une femme désormais adulte tente d’établir son lien de filiation à l’égard de son père, décédé en 1996. Elle agit aux fins de faire constater la possession d’état qu’a eue son père à son égard lorsqu’elle était enfant au Cameroun puis devenue jeune adulte. Elle produit un certain nombre de pièces permettant de caractériser l’existence de cette possession d’état.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans une décision du 20 octobre 2022, constate l’existence de la possession d’état, mais déclare l’action prescrite, le délai de dix ans pour agir ayant commencé à courir au décès du père, en 1996. Reprochant à la cour d’appel d’avoir constaté l’existence de la possession d’état continue, non équivoque et qui n’aurait pas cessé au décès sans en tirer des conséquences légales, la demanderesse forme un pourvoi en cassation sans succès, la Cour de cassation confirmant la décision rendue en appel.
Point de départ du délai de prescription à la cessation de la possession d’état. Sans s’épancher, la Cour de cassation rappelle la lettre de l’article 330 du Code civil N° Lexbase : L5801ICT, celui prévoyant que « la possession d’état peut être constatée, à la demande de toute personne qui y a intérêt, dans le délai de dix ans à compter de sa cessation ou du décès du parent prétendu ».
Elle rappelle ensuite, sans grande surprise, que « le point de départ du délai de prescription de l’action en constatation de la possession d’état est la cessation de la possession d’état si elle intervient du vivant du parent prétendu ou, dans le cas contraire, le décès de ce dernier ».
La Cour de cassation précise ainsi quelque peu le texte qui ouvrait une légère fenêtre d’interprétation. La demanderesse faisait, en effet, reposer ses prétentions sur une interprétation audacieuse de l’article 330 conduisant à estimer que l’action se prescrit dans un délai de dix ans soit lors de la cessation de la possession d’état que le parent soit vivant ou mort soit au décès du parent. Elle considérait que, malgré le décès de son père, sa possession d’état à son égard n’avait pas cessé ce qui ne permettait pas de considérer que le point de départ du délai de prescription était la date du décès de son père. La Cour de cassation rappelle donc une règle qui semblait pourtant relever de l’évidence : la possession d’état cesse au décès du parent.
Si le texte contesté laissait, peut-être, place à cette précision, la solution paraît néanmoins de l’ordre d’un rappel au regard des conditions d’existence d’une possession d’état. L’article 311-1 du Code civil N° Lexbase : L8856G9U prévoit, en effet, que la possession d’état s’établit par la réunion suffisante de faits révélant le lien de filiation entre un enfant et son parent. Elle repose ainsi sur un comportement actif et réciproque du parent et de l’enfant dont les principales manifestations sont évoquées par ce même article : la fama, le tractatus et le nomen. S’il est possible de réaliser ce comportement lors de la grossesse et, ainsi, de caractériser une possession d’état prénatale (pour une illustration récente v. par ex. CA Angers, 23 mars 2023, n° 21/022187), le décès du parent éteint, de fait, tout comportement parental et, à l’évidence, fait automatiquement cesser une possession d’état, en l’absence de relations réciproques entre l’enfant et le parent.
Intérêt renouvelé de l’établissement de la filiation par possession d’état. Si la décision clarifie une règle à la clarté peu discutée, elle s’inscrit surtout dans le regain d’intérêt que connaît l’établissement de la filiation par possession d’état. La possession d’état est en effet surtout utilisée au titre de la contestation des liens de filiation, venant renforcer un titre afin de le sécuriser. Son recours comme mode d’établissement est plus marginal et paraît avoir été conservé principalement pour permettre l’établissement de la filiation d’un père décédé avant la naissance de son enfant.
Pour autant, l’évolution des configurations familiales contemporaines et le développement de la parenté d’intention ont renouvelé le contentieux relatif à l’établissement d’un lien de filiation par possession d’état. Fondée sur une réalité sociale et affective, la possession d’état semblait en effet une voie toute tracée pour répondre aux demandes d’établissement d’un lien de filiation n’entrant pas dans les configurations prévues par le droit de commun de la filiation, imposant à la Cour de cassation de rappeler que ce mode d’établissement s’inscrit dans le droit commun de la filiation. La possession d’état révèle en effet un lien de filiation vraisemblablement biologique. Partant, l’établissement de la filiation par possession à la suite d’une PMA ou d’une GPA est impossible (V. par ex., Cass. civ. 1, 6 avril 2011, trois arrêts, n° 09-66.486 N° Lexbase : A5705HMA, n° 10-19.053 N° Lexbase : A5707HMC et n° 09-17.130 N° Lexbase : A5704HM9, FP-P+B+R+I ; A. Gouttenoire, Lexbase Droit privé - archive, avril 2011, n° 436 N° Lexbase : N9639BRG ; D. 2011. 1522, note D. Berthiau et L. Brunet ; D. 2011. 1001, édito. F. Rome ; D. 2011. 1064, entretien P. Labbée ; D. 2011. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; D. 2011. 1995, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; D. 2012. 308, spéc. 320, obs. J.-C. Galloux ; D. 2012. 1033, obs. M. Douchy-Oudot ; D. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2011. 262, obs. B. Haftel ; AJ fam. 2011. 266, interview Domingo ; AJCT 2011. 301, obs. C. Siffrein-Blanc ; RTD civ. 2011. 340, obs. J. Hauser ; Rev. crit. DIP 2011. 722, note P. Hammje.) et le rapport entre possession d’état et lien biologique a récemment été encore précisé à la suite d’une demande d’avis relative à une action en constatation intentée par un homme qui savait ne pas avoir de lien de sang avec l’enfant qu’il élevait depuis sa naissance (Cass. civ. 1, 23 novembre 2022, Avis n° 22.70-013 N° Lexbase : A10738UB ; D. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 2023. 662, obs. P. Hilt ; AJ fam. 2023. 233, obs. Saulier ; RTD civ. 2023. 81, obs. A.-M. Leroyer ; JCP 2022, n° 1352, note Favier ; Dr. fam. 2023, n° 20, obs. M. Lamarche). L’établissement de la filiation par possession d’état risque donc encore de devoir faire parler de lui !
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Réf. : Proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme et du logement, n° 1240, déposée le mardi 1er avril 2025.
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N2292B3B
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par Ugo Ivanova, avocat associé, cabinet IB Avocats
Le 19 Mai 2025
Mots clés : urbanisme • simplification • complexité du droit • accélération des recours • recours gracieux
Si le raccourci est trop pentu, mieux vaut conserver le chemin convenu. La chose est connue : le droit de l’urbanisme est trop complexe et cette complexité s’oppose au bon développement du territoire.
On ne compte plus les lois et décrets qui se sont succédé ces dernières décennies pour lutter contre « ce fléau » de la complexité (loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l’environnement N° Lexbase : L6312MSL, loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové N° Lexbase : L6496MSE, dite « loi ALUR », loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique N° Lexbase : L6325MS3, dite « loi ELAN »…).
L’année 2025 n’échappe pas à cette règle et elle aura donc droit à son propre cru de « décompléxification » du droit de l’urbanisme au travers de la proposition de loi dite « Huwart ».
Un mot d’ordre : raccourcir.
Raccourcir les évolutions des documents d’urbanisme, raccourcir les délais pour contester des autorisations d’urbanisme, raccourcir les délais de production de logements sociaux et raccourcir le périmètre d’application des documents d’urbanisme par l’avènement des dérogations aux règles considérées comme trop strictes.
Si la méthode du raccourci préfigure cette loi, la marotte, elle, ne change pas : le droit de l’urbanisme et les contentieux afférents ne doivent être qu’au service du développement et de l’aménagement durable des territoires et que de cela.
Le développement et l’aménagement durable des territoires peuvent-ils toutefois justifier toutes les propositions même si ces dernières peuvent engendrer une atteinte à une bonne participation du public et au droit de disposer d’un recours effectif devant les tribunaux ?
Deux éléments méritent d’être précisés tant leurs avènements marqueraient, de notre point de vue, un recul démocratique et une contre-productivité sans précédent.
La première d’entre elles porte sur l’évolution des documents d’urbanisme. L’exposé des motifs de la loi note à ce titre « qu’au premier rang des difficultés relevées par les collectivités territoriales et les porteurs de projets figurent les lourdeurs liées à l’élaboration et à l’évolution des documents de planification en matière d’urbanisme : les plans locaux d’urbanisme et les schémas de cohérence territoriale. Ces procédures sont difficilement lisibles pour les élus locaux : à titre d’exemple, il existe aujourd’hui quatre procédures distinctes d’évolution des plans locaux d’urbanisme, applicables selon les modifications qui y sont apportées ».
L’objectif de « faciliter les procédures d’urbanisme », mentionné dans l’article 1er de la proposition de loi, se traduit, notamment, par l’élargissement des cas dans lesquels la procédure de modification simplifiée s’appliquera, en augmentant « de 20 % à 50 % le seuil de majoration de construction au-delà duquel une procédure de modification doit être mise en place ».
Aller vite donc, toujours plus vite, pour « refaire la ville sur la ville ».
Or, comme la fin ne justifie pas les moyens, aller vite ne justifie pas tous les reniements.
La procédure de modification simplifiée, d’une durée effectivement plus courte qu’une procédure de modification dite « de droit commun », se différencie principalement de la seconde par l’absence d’enquête publique.
Une simple mise à disposition du public est alors effectuée, cette dernière étant bien moins contraignante et bien moins pesante qu’une enquête publique, laquelle nécessite de saisir le président du tribunal administratif afin que soit désigné un commissaire enquêteur.
La relation demeure donc bipartite et naturellement déséquilibrée : d’un côté la collectivité et de l’autre les administrés qui ne peuvent que « prendre note » des modifications proposées.
L’enquête publique, quant à elle, est une forme de participation qui permet au public de s’informer sur le projet et de formuler des observations auprès d’un tiers indépendant : le commissaire enquêteur.
Plus encore que la forme tripartite dont le tiers est indépendant et impartial, l’enquête publique est surtout un formidable outil démocratique en ce que le maître d’ouvrage – la collectivité – est obligé de tenir compte des observations du public, ce qui n’est pas le cas dans le cadre d’une simple mise à disposition du public.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une simple mise à disposition du public est cantonnée aux procédures de modifications simplifiées, car les modifications sont minimes et sans grands impacts sur les droits des administrés.
En souhaitant augmenter le recours à cette forme expresse de procédure, et donc en généralisant la mise à disposition du public au détriment des enquêtes publiques, la proposition de loi affiche clairement sa volonté de s’affranchir d’un commissaire enquêteur trop encombrant et impartial dans l’objectif, encore une fois, de faciliter le développement et l’aménagement du territoire.
Espérons que les discussions à venir à l’assemblée générale et au Sénat viennent rectifier cette proposition afin que le public n’en soit pas le grand perdant.
Il l’est d’autant plus à l’aune de la principale évolution proposée, cette dernière revenant sur une règle figée depuis plus de 50 ans : le délai de recours de deux mois pour contester une autorisation d’urbanisme (C. urb., art. R. 600-2 N° Lexbase : L2033ICB).
La proposition de loi « Huwart », dont l’objectif affiché est « d’accélérer le traitement des affaires contentieuses en matière d’urbanisme », vise à ce titre à réduire le délai pour contester une autorisation d’urbanisme, le faisant passer de deux mois à un mois seulement, et met également fin au caractère suspensif du recours gracieux, ce dernier n’emportant plus prorogation du délai pour saisir le juge.
Exit donc les recours gracieux.
L’incrédulité qui nous saisit face à une telle proposition est, à n’en pas douter, partagée par l’ensemble des praticiens du droit de l’urbanisme.
L’on en vient même à se demander si les auteurs de la proposition de loi ont pris la peine de prendre conseil auprès de professionnels du droit tant la proposition est farfelue.
Elle l’est tout d’abord par son effet totalement contreproductif qui en résultera : si l’objectif affiché est d’accélérer le traitement des affaires contentieuses, c’est un engorgement supplémentaire des tribunaux qui en émanera.
En effet, et reprenant le droit actuel, un tiers qui souhaite contester une autorisation d’urbanisme peut former un recours gracieux auprès de l’autorité administrative compétente dans un délai de deux mois suivant l’affichage sur le terrain de l’autorisation d’urbanisme. La collectivité dispose alors d’un délai de deux mois pour répondre – favorablement ou non – à ce recours. Le tiers dispose alors, si la décision est défavorable, d’un nouveau délai de deux mois pour saisir le tribunal administratif compétent.
Ce sont donc 6 mois pendant lesquels des arguments sont proposés, des réponses apportées, des clarifications soufflées, des précisions adoptées. Ce sont 6 mois pendant lesquels le tiers peut affiner et sous-peser sa décision de saisir le tribunal administratif d’un recours en excès de pouvoir, ce recours étant alors souhaité et fondé sur des éléments sérieux.
Ce sont également 6 mois qui permettent éventuellement d’obtenir, avant toute saisine juridictionnelle, gain de cause ou d’engager des négociations amiables avec le porteur de projet.
La proposition de loi supprime tout cela en consacrant un seul et unique délai d’un mois pour saisir le tribunal administratif et en supprimant – en prime – l’effet suspensif du recours gracieux.
Quelle en sera, à n’en pas douter, la principale conséquence ? L’introduction tous azimuts de recours plus ou moins fondés, ou pas fondés du tout, devant les tribunaux administratifs dans l’unique objectif de cristalliser les délais de recours.
La logique est donc tout simplement complètement renversé : l’analyse du dossier – à concevoir même que le dossier de permis soit communiqué dans les délais – l’opportunité des moyens d’annulation et la stratégie d’attaque ne se fera plus a priori mais a posteriori, lorsque le juge sera d’ores et déjà saisi.
En résultera également à coup sûr une augmentation exponentielle des jugements de désistement, lesquels encombreront encore plus des juridictions déjà exsangues par manque de moyens.
C’est donc tout l’inverse d’une simplification et d’un raccourcissement qui en ressortira, les tribunaux se retrouveront gorgés de recours dont l’unique objectif sera de sécuriser un délai trop court pour appréhender sereinement des dossiers de permis parfois lourds et nécessitant des heures de travail.
Le droit des citoyens à disposer d’un recours effectif est également en jeu puisque, compte tenu de ce nouveau délai proposé, de très nombreux administrés n’auront pas le temps de se faire assister par un avocat spécialisé et se retrouveront alors, confronté au parcours du combattant que représente la recevabilité des requêtes, sous l’épée de Damoclès d’une irrecevabilité soulevée d’office par le tribunal.
Les débats à venir sur cette proposition de loi s’avèrent donc cruciaux afin d’éviter que la vitesse n’emporte tout avec elle.
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