Le Quotidien du 7 avril 2025

Le Quotidien

Aide juridictionnelle

[Dépêches] Réforme de la rétribution au titre de l'aide juridictionnelle des avocats assistant plusieurs parties

Réf. : Décret n° 2025-257 du 20 mars 2025, portant sur la rétribution au titre de l'aide juridictionnelle des avocats assistant plusieurs parties N° Lexbase : L0059M93

Lecture: 2 min

N1966B39

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par Yann Le Foll

Le 04 Avril 2025

Le décret n° 2025-257 du 20 mars 2025, portant sur la rétribution au titre de l'aide juridictionnelle des avocats assistant plusieurs parties, amplifie la dégressivité de cette rétribution de l’avocat lorsqu’il intervient dans une série d'affaires présentant des questions semblables à juger.

La part contributive versée par l'État à l'avocat, est réduite par le juge :

  • de 30 % pour la deuxième affaire ;
  • de 40 % pour la troisième ;
  • de 50 % pour la quatrième ;
  • de 60 % de la cinquième à la vingtième ;
  • de 70 % de la vingt et unième à la trentième ;
  • de 80 % de la trente et unième à la cinquantième ;
  • et de 90 % à compter de la cinquante et unième affaire.

Dans ce cas, le greffier compétent reporte cette réduction sur le document justifiant de l'intervention de l'avocat.

Selon une circulaire du ministre de l’Intérieur, faisant référence aux procès des attentats terroristes qui concernent beaucoup de prévenus, « Il s'agit de tenir compte de ce que les diligences de l'avocat ne sont pas strictement multipliées par le nombre de clients qu'il assiste lorsqu'ils sont parties à la même procédure, particulièrement lorsque le nombre de clients est très important ».

Cette même circulaire précise que « l'application de ce dispositif n'est en rien automatique. Elle est soumise à la décision du juge saisi de l'affaire au fond et à son examen des diligences de l'avocat ».

Le texte entrera en vigueur le 1er août 2025.

Pour aller plus loin : 

  • v. ÉTUDE, L’aide juridictionnelle, Le principe d'une rétribution des avocats et des autres auxiliaires de justice au titre de l'aide juridictionnelle, in La Profession d’avocat, Lexbase N° Lexbase : E38873RE..
  • v. Infographie : L'aide juridictionnelle N° Lexbase : X9449APN.

 

newsid:491966

Contrats administratifs

[Jurisprudence] Le délai raisonnable issu de la jurisprudence « Czabaj » n’est pas applicable en matière d’exécution des contrats publics

Réf. : CAA Marseille, 3 mars 2025, n° 24MA00756 N° Lexbase : A197163E

Lecture: 4 min

N2013B3X

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par Goulven Le Ny, Avocat au barreau de Nantes

Le 03 Avril 2025

Mots clés : Czabaj • contrats publics • délégation de service public • forclusion • délais de recours

Dans un arrêt rendu le 3 mars 2025, la cour administrative d’appel de Marseille a précisé le champ d’application de la décision « Czabaj » du Conseil d’État, selon laquelle le destinataire à quoi n’a pas été notifié le délai de recours applicable ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable, qui ne peut en principe excéder un an. La cour précise que ce délai n’est pas applicable aux mesures d’exécution d’un contrat, telle que la réclamation indemnitaire en cause en l’espèce, complétant ainsi la jurisprudence rendue en matière contractuelle.


 

Selon le principe désormais bien connu en contentieux administratif de la décision « Czabaj », le principe de sécurité juridique fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire ou dont celui-ci a eu connaissance. Malgré l’absence de notification des voies et délais de recours, il doit être fait application d’un délai raisonnable, en principe d’un an, au-delà duquel la décision ne peut plus être contestée [1].

Ce principe ayant été dégagé au visa de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3025ALM selon lequel le délai de recours n’est opposable qu’à la condition d’avoir été mentionnée, son application en matière d’exécution des contrats ne paraissait pourtant pas aller de soi. Le délai de recours de deux mois, prévu par le Code n’est en effet pas applicable « à la contestation des mesures prises pour l’exécution d’un contrat » (CJA, articles R. 421-1 N° Lexbase : L4139LUT et R. 421-2 N° Lexbase : L4150LUA).

Le Conseil d’État a déjà tranché la question en matière de passation des marchés publics. Le recours en contestation de la validité du contrat peut être exercé dans le délai raisonnable d’un an « à compter de la date à laquelle il est établi que le requérant a eu connaissance, par une publicité incomplète ou par tout autre moyen, de la conclusion du contrat, c’est-à-dire de son objet et des parties contractantes », lorsque « faute que tout ou partie des mesures de publicité appropriées aient été accomplies, le délai de recours contentieux de deux mois n’a pas commencé à courir » [2].

Reste la question de l’exécution du contrat, qui n’a pas encore été explicitement tranchée par le Conseil d’État.

Une première jurisprudence était intervenue pour préciser que le délai raisonnable d’un an ne trouvait pas à s’appliquer en matière indemnitaire, s’agissant d’un litige de responsabilité médicale, puisque dans ce cas la prescription quadriennale suffisait à la sécurité juridique. Ainsi, « cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés » [3]. On pouvait donc envisager qu’elle soit transposée en matière de responsabilité contractuelle.

Une deuxième jurisprudence était intervenue pour régler la question de manière plus précise, affirmant que « cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux litiges relatifs au règlement financier d'un marché », alors qu’il était question de la contestation par le titulaire d’une notification de pénalités dans le cadre d’un marché soumis au « CCAG Fournitures courantes et services » [4]. Le juge avait fondé sa solution sur le fait que les articles R. 421-1 et R. 421-2 du Code de justice administrative « ne sont pas applicables à la contestation des mesures prises pour l'exécution d'un contrat, en particulier à la décision par laquelle l'administration applique des pénalités à son cocontractant ».

Saisie d’une affaire où il était question de la requête adressée au tribunal administratif à la suite du rejet d’une demande préalable indemnitaire ayant été présentée concernant l’exécution d’un contrat, la cour administrative d’appel de Marseille a logiquement jugé que la jurisprudence « Czabaj » n’était pas applicable.

Si elle emploie une motivation similaire à celle retenue par la cour administrative d’appel de Versailles en faisant valoir qu’il est question d’une mesure d’exécution d’un contrat, la solution aurait été également justifiée en affirmant qu’il était question d’un recours indemnitaire.

En effet, un long litige a opposé les parties à l’affaire quant à l’interprétation des clauses d’une délégation de service public. Le juge administratif ayant finalement donné raison au titulaire sur le terrain de l’interprétation des clauses, celui-ci a entrepris un recours indemnitaire, pour lequel il lui avait été donné raison en première instance. Les autorités concédantes ont tenté de faire valoir en appel, sans succès, que le recours était forclos.

La cour administrative d’appel de Marseille fournit ici une nouvelle illustration bienvenue sur les dérogations au principe dégagé par l’arrêt « Czabaj » en matière contractuelle.

 

[1] CE, Ass., 13 juillet 2016, n° 387763, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2114RXL.

[2] CE, 19 juillet 2023, n° 465308 N° Lexbase : A85291BI.

[3] CE, 17 juin 2019, n° 413097 N° Lexbase : A6638ZEL.

[4] CAA Versailles, 1er juillet 2024, n° 21VE02325 N° Lexbase : A43685MQ.

newsid:492013

Électoral

[Point de vue...] Réflexions sur une réserve d’interprétation méconnue, une proportionnalité ignorée et des électeurs en colère

Lecture: 13 min

N2003B3L

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par Jean Pierre Camby, docteur en droit et Jean Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel

Le 02 Avril 2025

Mots clés : assistants parlementaires • détournements de fonds publics • probité des élus • exécution provisoire • inéligibilité

Le 31 mars 2025, le tribunal correctionnel de Paris a largement confirmé les réquisitions du parquet en date du 13 novembre 2024 : contre Marine Le Pen, quatre ans de prison, dont deux avec sursis, 100 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire ; des peines semblables contre les vingt-six autres prévenus, dont Louis Aliot, maire de Perpignan ; une amende de deux millions d’euros contre le parti lui-même.


 

S’agissant de l’exécution provisoire de l’inéligibilité, cette sévérité contraste avec la position prise par le Conseil constitutionnel trois jours auparavant [1]. Cette décision du Conseil a pu être diversement interprétée, les uns niant son incidence sur l’affaire des eurodéputés du RN, les autres insistant au contraire sur le lien entre les deux affaires, tout en soulignant la prudence et la finesse d’analyse du Conseil constitutionnel. Ces divergences d’interprétation s’expliquent si on veut bien tenir compte de ce qui était à juger de part et d’autre. Il n’en reste pas moins  que la réserve d’ interprétation émise par le Conseil a été méconnue par le juge pénal.

I. L’objet de la QPC   

« Les dispositions contestées [2]…. en tant qu'elles s'appliquent à des élus ayant fait l'objet d'une condamnation pénale déclarée exécutoire par provision sur le fondement de l'article 471 du Code de procédure pénale, alors que cette sanction n'est pas devenue définitive », soulèvent une question présentant un caractère sérieux, avait estimé le Conseil d’État en renvoyant la question au Conseil en décembre 2024.

Étaient contestés deux articles du Code électoral portant l’un sur l’inéligibilité aux élections municipales des individus privés d’éligibilité, l’autre sur sa conséquence : la déchéance immédiate du mandat en cours.  « Les dispositions en cause ne portent pas sur l'éligibilité à une élection présidentielle » nous dit-on.  

Toutefois, pour mesurer la portée de la décision du Conseil constitutionnel du 28 mars, et les incidences qu’elle aurait dû avoir sur la décision rendue trois jours plus tard par le tribunal judiciaire de Paris, on ne peut se borner à ce constat. Ce qui est essentiellement en jeu, depuis les réquisitions rendues dans l’affaire de l’emploi des assistants de députés européens du Rassemblement national , c’est l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité. Lorsque celle-ci est prononcée par le juge, en application de l’article 471 (quatrième alinéa) du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7652LP4 [3], elle est d’effet immédiat : l’intéressé ne peut plus se porter candidat à une élection et ses mandats électoraux (autres que parlementaires), s’il en exerce, sont interrompus. Et ce, alors même qu’il n’est pas définitivement jugé. Le droit d’éligibilité et le droit au recours en sont nécessairement affectés.

Le Conseil constitutionnel intègre dans son contrôle la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à la loi [4]. À cet égard, le Conseil d’État juge qu’ « il résulte de ces dispositions que, dès lors qu'un conseiller municipal ou un membre de l'organe délibérant d'un établissement public de coopération intercommunale se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d'une condamnation devenue définitive ou d'une condamnation dont le juge pénal a décidé l'exécution provisoire, le préfet est tenu de le déclarer démissionnaire d'office » [5].

La question de l’inéligibilité d’un élu municipal avec exécution provisoire est donc surplombée par celle, plus générale, du prononcé d’une mesure d’exécution provisoire d’inéligibilité, qui s’articule avec celle de la déchéance immédiate du mandat. Ces deux questions touchent tous les mandats, avec cette différence que la déchéance du mandat parlementaire n’est, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, jamais prononcée avant condamnation définitive [6].

La question posée au Conseil par la QPC soulevée par l’élu mahorais était de savoir si l’exécution provisoire d’une inéligibilité était conforme à la nature des mandats politiques – et plus particulièrement à la liberté de l’électeur. Était d’abord en cause la possibilité, pour le juge pénal, de suspendre « immédiatement » l’exercice d’un mandat, alors que l’inéligibilité prononcée n’est pas définitive. Mais, au-delà de l’effet immédiat de l’inéligibilité sur l’exercice du mandat, se posait la question de son incidence sur la possibilité de se présenter à une élection future. L’effet immédiat de l’inéligibilité résulte en effet, que ce soit pour la poursuite du mandat ou pour le droit de se présenter à une élection, des dispositions combinées de l’article 131-26-2 du Code pénal N° Lexbase : L8084MAN (issu de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique N° Lexbase : L6340MSM, dite « Sapin 2 »), qui punit le détournement de fonds publics de la peine complémentaire « automatique » d’inéligibilité, et de l’article 471 du Code de procédure pénale, qui permet de donner un effet immédiat aux peines complémentaires.

Comment ignorer que, si, au terme de la procédure, la peine d’inéligibilité est annulée, son exécution provisoire, en interdisant une candidature,  aura entraîné des effets irrémédiables sur les candidatures en présence et donc sur la liberté de l’électeur ?

La question posée au Conseil avait donc une portée dépassant celle du sort des mandats en cours des élus municipaux.  Elle concernait notamment l’élection présidentielle. La loi organique du 6 novembre 1962, relative à l’élection présidentielle N° Lexbase : L5341AGW, prévoit en effet qu’une personne inéligible ne peut concourir à cette élection. Elle le fait par renvoi à l’article L. 199 du Code électoral N° Lexbase : L7941I7A, aux termes duquel : « Sont inéligibles les personnes désignées à l'article L. 6 et celles privées de leur droit d'éligibilité par décision judiciaire en application des lois qui autorisent cette privation. »

II. La décision n° 2024-1129 QPC du 28 mars 2025

Le Conseil devait se prononcer sur l’exécution provisoire de l’inéligibilité et non pas seulement sur l’interruption immédiate du mandat à laquelle elle conduit. Il était appelé à le faire au regard « notamment du droit d'éligibilité, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 3 de la Constitution ».

Les principes généraux du droit pénal ne sont pas principalement en jeu dans la QPC, puisque c’est l’exécution de la peine qui est en cause, et non sa nécessité ou sa proportionnalité.

Après avoir rappelé que l’individualisation de la peine d’inéligibilité était assurée, le Conseil écarte sans ménagement l’argument, avancé lors de l’audience, selon lequel le prononcé de l’exécution provisoire ne serait pas assorti de garanties suffisantes : « le juge décide si la peine doit être assortie de l’exécution provisoire à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne peut présenter ses moyens de défense, notamment par le dépôt de conclusions, et faire valoir sa situation» .

On en arrive ensuite au cœur de la décision. Il tient dans une réserve d’interprétation explicite, de portée « directive » : « Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure (l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité) est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ».

Cette réserve une fois émise, le Conseil se prononce sur la déchéance du mandat, qui, pour être immédiate, ne prive pas de voie de recours : « l ’intéressé peut former contre l’arrêté prononçant la démission d’office une réclamation devant le tribunal administratif ainsi qu’un recours devant le Conseil d’État. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence constante du Conseil d’État que cette réclamation a pour effet de suspendre l’exécution de l’arrêté ».

Preuve que la décision ne s’intéresse pas qu’au mandat municipal, il est également répondu au fait que la déchéance immédiate ne s’applique pas au mandat parlementaire. La différence de traitement est justifiée : « au regard de leur situation particulière et des prérogatives qu’ils tiennent de la Constitution, les membres du Parlement se trouvent dans une situation différente de celle des conseillers municipaux ».

Il résulte en outre de ses termes mêmes que la réserve d’interprétation s’applique non seulement aux mandats en cours, mais encore aux élections futures. Quel sens aurait sinon la référence à la liberté des électeurs ?

Conformément à sa jurisprudence antérieure, le Conseil constitutionnel ne censure pas, dans son principe, l’exécution provisoire de l’inéligibilité. Cette mesure, considère-t-il, a pour objet de prévenir la récidive, de garantir la bonne exécution des décisions de justice et de contribuer à « renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants ». Mais il assortit cette bénédiction d’une forte réserve d’interprétation. Celle-ci est explicite et porte, de façon générale, sur l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité.

Quelle est  la valeur d’une telle réserve  au regard de la décision du juge pénal ? Dans la thèse qu’il  consacre au sujet  en 1998 , Alexandre Viala observe que « le juge ordinaire est alors tenu par des règles éthiques et des principes d’action bien déterminés dont le contenu ne renvoie pas à sa seule conscience. Ces règles servent d’étalon fixe et extérieur à l’interprète pour dégager la signification d’une règle de droit » [7]. Il ne s’agit, ajoute-t-il, que d’un « rétrécissement de la marge de subjectivité du juge ordinaire qui ne peut que dédramatiser son choix : l’embarras du choix du juge est moindre, sa discrétionnalité réduite, sa responsabilité sociale atténuée et la gravité de sa fonction minimisée » [8].

III. La décision du tribunal correctionnel de Paris du 31 mars 2025

Pourquoi les commentateurs (à commencer par l’AFP) ont-ils autant nié le lien entre la QPC jugée le 28 mars par le Conseil constitutionnel et le jugement rendu trois jours plus tard par le tribunal correctionnel ? Et pourquoi ont-ils autant minimisé la réserve, pourtant claire, du Conseil sur la nécessité, pour l’exécution provisoire d’une  inéligibilité, de ne pas emporter de conséquences excessives sur la liberté de l’électeur et les mandats en cours? Il résulte pourtant de ses termes mêmes que, en se référant à la liberté des électeurs, la réserve s’applique non seulement aux mandats en cours, mais encore à toutes les élections futures. 

Comment expliquer ce déni du lien entre les deux affaires? Incompréhension ? Mauvaise grille de lecture soufflée aux organes de presse ? Information puisée auprès d’ « experts » s’enferrant dans une analyse à courte vue ? Volonté de soutenir par avance l’autorité judiciaire quelle que soit sa décision ? Souhait de voir le tribunal interdire la candidature de Marine Le Pen à la prochaine présidentielle? Un peu de tout cela à la fois ? Toujours est-il que le juge pénal a pu se sentir encouragé à ne pas en tenir compte.

La réserve émise le 28 mars 2025 par le Conseil est-elle impérative ou seulement « persuasive » ? On peut en discuter. En tout état de cause, qu’il s’agisse des assistants des eurodéputés du RN ou de futures autres affaires du même type, le juge pénal doit se demander si l’exécution provisoire de l’inéligibilité n’emporte pas de conséquences disproportionnées sur la liberté de l’électeur aux prochaines élections. Éluder cette question le 31 mars revenait à ignorer la réserve d’interprétation et, ce faisant, à méconnaître l’autorité conférée par l’article 62 de la Constitution N° Lexbase : L0891AHH à la chose jugée par le Conseil constitutionnel.  

La décision QPC du 28 mars 2025 devrait pourtant conduire le juge pénal à plus de retenue dans les affaires impliquant des élus, alors surtout que prononcer l’inéligibilité avec exécution provisoire semble devenu un réflexe, au nom du « devoir d’exemplarité [9].

Sur un sujet aussi sensible que celui de la participation de Marine Le Pen à la prochaine élection présidentielle, qui conditionne la suite de sa carrière et le devenir de son parti, le  tribunal judiciaire de Paris a choisi d’entrer en conflit avec le Conseil constitutionnel. Il a en outre pris le risque de frustrer et d’indigner une partie importante de ce « peuple français » au nom duquel il statue. Comment ne pas voir que les conséquences d’une décision aussi clivante que celle qu’il a prise peuvent être délétères sur le climat politique de ce pays ?  Comment ne pas comprendre que l’émotion provoquée par cette décision va nourrir la révolte contre l’État de droit et ceux qui doivent en être les garants  ?

Déjà ici incertaine par sa finalité (prévenir la récidive ? assurer un bon fonctionnement de la justice ?), l’exécution provisoire de l’inéligibilité est  en porte-à-faux manifeste avec la réserve d’interprétation. Elle va  en effet à l’encontre de la « liberté de l’électeur», essentielle à la démocratie, que cette réserve  vise précisément à garantir.

En décidant d’exclure de l’élection présidentielle une de ses candidates de premier plan , le tribunal correctionnel de Paris s’est placé dans une position intenable : celle d’arbitre de la compétition électorale.  


[1] Cons. const., décision n° 2025-1129 QPC, du 28 mars 2025 N° Lexbase : A50490CY.

[2] Selon l’article L. 230 du Code électoral N° Lexbase : L0449IZN : « Ne peuvent être conseillers municipaux : / 1 ° Les individus privés du droit électoral (...) ». Selon l’article L. 236 du même code N° Lexbase : L2591AA9 : « Tout conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un des cas d'inéligibilité prévus par les articles L. 230, L. 231 et L. 232 est immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours de la notification, et sauf recours au Conseil d'État, conformément aux articles L. 249 et L. 250 ».

[3] « Les sanctions pénales prononcées en application des articles 131-4-1 à 131-11 et 132-25 à 132-70 du Code pénal peuvent être déclarées exécutoires par provision ».

[4] Cons. const., décision  n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010. P. Deumier, L'interprétation de la loi : quel statut ? quelles interprétations ? quel(s) juge(s) ? quelles limites ? RTDciv. : revue trimestrielle de droit civil, janvier-mars 2011, n° 1, p. 90-96. D. Rousseau, L'art italien au Conseil constitutionnel : les décisions des 6 et 14 octobre 2010, La Gazette du Palais, 27 octobre 2010, n° 293-294, p. 12-15

[5] CE, 29 mai 2024 n° 492285 N° Lexbase : A99565D4.

[6] Cons. const., décision n° 2022-27 D du 16 juin 2022 N° Lexbase : A500677K

[7] Les réserves d’interprétation dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, LGDJ , 1998 , 235

[8] Idem, p. 263

[9] J.-E. Schoettl, Le Figaro, 29 mars 2025.

newsid:492003

(N)TIC

[Observations] L’exploitation du logiciel Child Protection System : un traitement de données à caractère personnel qui ne dit pas son nom…

Réf. : Cass. crim., 12 mars 2025, n° 23-80.407, F-B N° Lexbase : A526364P

Lecture: 14 min

N2007B3Q

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par Alice Mornet, Maître de conférences, Avignon Université J.PEG. Membre associé IRDEIC, École de droit de l’Université de Toulouse

Le 23 Avril 2025

Mots-clés : enquête • droit à la protection des données à caractère personnel • preuve • Union européenne • directive police/justice • surveillance.

Dans cet arrêt rendu le 12 mars 2025, la Chambre criminelle de la Cour de cassation vient sauver l’utilisation, dans le cadre des procédures pénales françaises, du logiciel « Child Protection System », quoi qu’il en coûte pour la cohérence du droit à la protection des données à caractère personnel. 


 

En novembre 2022, près d’une cinquantaine d’hommes soupçonnés de détention d’images pédopornographiques ont été interpellés. Si ce coup de filet a pu être organisé, c’est grâce au logiciel « Child Protection System » [1] (CPS) dont l’utilisation quasi clandestine [2] par les services enquêteurs est ici sauvée par la Haute juridiction. 

            En l’espèce, à partir de données recueillies à l’aide du logiciel CPS, un individu a été identifié comme ayant téléchargé et partagé des fichiers à caractère pédopornographique. La réalisation d’une perquisition à son domicile et l’exploitation de son matériel informatique ont révélé qu’il détenait effectivement de tels fichiers. Le 15 mars 2021, le tribunal correctionnel l’a condamné à huit mois d’emprisonnement avec sursis, cinq ans d’interdiction d’activité en lien avec les mineurs et une confiscation. Le prévenu a interjeté appel, ainsi que le ministère public, à titre incident. La Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt en date du 10 janvier 2023, a confirmé le jugement en toutes ses dispositions aux motifs que le logiciel litigieux, implanté aux États-Unis, ne relevait pas de la compétence de la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL). Qu’ainsi, les exigences d’habilitation ayant été respectées et l’utilisation du logiciel, par les services répressifs français, ayant été nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi, il n’était pas démontré que celle-ci était contraire à la loi. Un pourvoi en cassation est formé. 

            Le moyen s’articule en deux branches. D’une part, il est reproché aux juges du fond d’avoir confirmé le jugement alors que les enquêteurs, en utilisant le logiciel CPS afin d’identifier une adresse IP, ont mis en œuvre un traitement de données à caractère personnel illicite, faute d’avoir été autorisé par arrêté du ou des ministres compétents après avis motivé et publié de la CNIL. En décidant le contraire, la cour d’appel a, selon le moyen, violé les articles 3 de la directive 2016/680 du 27 avril 2016 (Directive police-justice), 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, 31 de la loi Informatique et Libertés et préliminaire, 427 N° Lexbase : L3263DGX, 591 N° Lexbase : L3975AZA et 593 N° Lexbase : L3977AZC du Code de procédure pénale. D’autre part, selon le pourvoi, en retenant, pour écarter l’illicéité, que les mesures mises en œuvre par les enquêteurs étaient nécessaires et proportionnées à l’objectif poursuivi, la cour d’appel a violé les mêmes dispositions.   

            La question posée à la Chambre criminelle était donc la suivante : l’utilisation, dans le cadre d’une procédure pénale française, de données à caractère personnel issues d’un logiciel étranger non autorisé dans les conditions de la loi Informatique et Libertés est-elle licite ?  

            La Haute juridiction répond par l’affirmative. Elle relève que « le logiciel CPS constitue un traitement de données personnelles conçu et mis en œuvre aux États-Unis » qui ne peut donc « être considéré comme étant mis en œuvre pour le compte de l’État français ». Dès lors, il n’a pas à faire l’objet d’une autorisation gouvernementale dans les conditions prévues à l’article 31 de la loi Informatique et Libertés. En revanche, selon la Cour de cassation, l’utilisation des données issues du logiciel doit s’inscrire dans le cadre de la loi précitée et respecter les exigences de la directive police-justice et du Code de procédure pénale. En l’espèce, la Chambre criminelle relève que l’exploitation des données a été effectuée par des officiers de police judiciaire « régulièrement habilités et saisis, agissant dans le cadre d’une enquête préliminaire régulière, sans provocation ni stratagème, ni détournement des règles de procédure, qui ont dressé des procès-verbaux dans les formes prescrites par le code de procédure pénale, et dont le contenu a pu être discuté contradictoirement devant les juges ». Pour l’ensemble de ces raisons, l’utilisation du logiciel CPS est licite et le moyen doit être rejeté. 

            La Cour de cassation évince ainsi l’argument de l’illicéité de la mise en œuvre du traitement (I) pour constater que son utilisation est, quant à elle, tout à fait licite (II).

I. Le constat discutable de la licéité de la mise en œuvre du traitement

            La Haute juridiction confirme le raisonnement des juges du fond ayant écarté l’application des exigences de licéité (A) au prix d’une lecture erronée de la notion de traitement (B).

A. L’éviction des exigences de licéité du traitement

            L'auteur du pourvoi reproche aux enquêteurs d’avoir utilisé, pour identifier son adresse IP, le logiciel CPS alors que ni celui-ci « ni les bases de données qu’il permet de constituer, n’ont fait l’objet d’une demande d’avis de la part du CNIL, ni a fortiori d’une autorisation du ministre compétent ». Aussi, selon le moyen, le traitement opéré était illicite et la procédure ainsi menée, entachée de nullité. Il est vrai qu’en vertu de l’article 31 de la loi Informatique et Libertés les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l’État et ayant pour finalité, notamment, la prévention, la recherche et la constatation des infractions pénales doivent être autorisés par arrêté, après avis motivé et publié de la CNIL. L’applicabilité de cet article étant discutée, vérifions ses conditions. D’abord, il convient d’être en présence d’un traitement de données à caractère personnel. En l’espèce, le logiciel CPS permet d’obtenir et d’enregistrer les adresses IP des utilisateurs consultant ou transférant des contenus pédopornographiques [3], lesquelles sont assurément des données à caractère personnel [4]. Ensuite, la finalité du traitement doit s’inscrire dans la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales. Le logiciel étant utilisé pour identifier les pédocriminels, cette exigence ne pose aucune difficulté. Enfin, le traitement doit être mis en œuvre pour le compte de l’État. Selon le moyen, la consultation et l’utilisation par les enquêteurs des adresses IP issues du logiciel suffisent à remplir cette condition. En revanche, selon la cour d’appel, approuvée par la Chambre criminelle, le fait que le logiciel ait été conçu par une association américaine et soit implanté aux États-Unis exclut toute mise en œuvre « pour le compte de l’État français » et, de facto, l’application de l’article 31 de loi Informatique et Libertés. Un tel raisonnement, s’il peut apparaître spontanément convaincant, repose, en réalité, sur une lecture erronée de la notion de traitement. 

B. Une lecture erronée de la notion de traitement 

            Le moyen invoque, très justement, une violation de l’article 3 de la directive police-justice définissant, notamment, la notion de « traitement ». Selon le législateur européen, ce terme renvoie à « toute opération ou tout ensemble d’opérations (…) appliquées à des données à caractère personnel ou des ensembles de données à caractère personnel, telles que la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la structuration, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion, la limitation, l’effacement ou la destruction [5] ». Partant, quand l’article 31 de la loi Informatique et Libertés réclame l’autorisation des « traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l’État » il apparaît s’appliquer à toute opération réalisée sur des données. Il est ainsi difficile de soutenir que, lorsque des autorités répressives nationales opèrent dans le cadre d’une procédure pénale française, elles n’agissent pas « pour le compte » de l’État. De même, lorsqu’elles consultent, extraient ou transmettent les données issues du logiciel CPS, il semble acquis qu’elles « mettent en œuvre un traitement de données à caractère personnel ». Peu importe alors que ce logiciel soit basé aux États-Unis et qu’il ait pour responsable une fondation américaine, seule compte son utilisation en France, laquelle doit être autorisée dans les conditions de l’article 31 de la loi Informatique et Libertés. Par ailleurs, si le législateur avait entendu exclure les seules utilisations de données du champ de cette disposition, il aurait visé, en lieu et place du terme de « traitement », celui de « fichier ». Également défini par les textes, ce dernier apparaît plus approprié au logiciel CPS en désignant « tout ensemble structuré de données à caractère personnel accessibles selon des critères déterminés, que cet ensemble soit centralisé, décentralisé ou réparti de manière fonctionnelle ou géographique [6] ». Peu surprenante [7], la lecture restrictive de la Chambre criminelle méconnaît, une fois encore en la matière, les exigences de la Cour de justice de l’Union européenne. Effectivement, celle-ci a récemment affirmé « que le législateur de l’Union a entendu donner une portée large à la notion de “traitement” [8] », conférant ainsi à la directive police-justice la portée qu’elle mérite [9].  

            À l’analyse, la Chambre criminelle semble, elle-même, peu à l’aise avec son raisonnement. En effet, elle déclare que « le logiciel CPS constitue un traitement de données personnelles » n’ayant pas à faire l’objet d’une autorisation gouvernementale, mais que l’utilisation des données qu’il contient doit, quant à elle, respecter les exigences de protection des données à caractère personnel.  

II. Le constat opportuniste de la licéité de l’utilisation des données issues du traitement

            La Chambre criminelle va parvenir à sauver l’utilisation du logiciel CPS en la soumettant aux exigences de protection des données (A) et, surtout, du Code de procédure pénale (B). 

A. L’application restrictive des exigences de protection des données

            Si la cour d’appel a purement et simplement évacué les règles de la protection des données de son raisonnement, la Chambre criminelle tente, maladroitement, de sauver les apparences. Elle concède ainsi que « l’utilisation, par les autorités françaises, des données issues de ce traitement doit s’inscrire dans le cadre relatif à la protection des données, en particulier la loi du 6 janvier 1978 » et peut « intervenir à l’occasion d’enquêtes (…) conduites dans les conditions prévues par la directive européenne n° 2016/680 du 27 avril 2016, dite directive police-justice ». Même si la Haute juridiction se garde bien de le dire, l’utilisation de ces données constitue donc bien un traitement soumis aux textes susvisés. Or, une fois l’exigence de licéité évincée, quelles sont les garanties devant être respectées ? À l’analyse, la Chambre criminelle n’en tire aucune, exception faite de la mention selon laquelle le ministère de l’Intérieur doit être considéré comme étant le responsable de ce traitement. Il faut bien avouer qu’il aurait été particulièrement audacieux, pour la Cour, de s’appesantir sur les garanties énoncées par les textes. En ce cas, elle aurait été contrainte de faire état de l’article 8 de la directive police-justice selon lequel un traitement n’est licite que s’il est « fondé sur le droit de l’Union ou le droit d’un État membre », dont une disposition doit préciser « au moins les objectifs du traitement, les données à caractère personnel devant faire l’objet d’un traitement et les finalités du traitement ». Plus encore, à ne raisonner que sur la loi Informatique et Libertés, elle aurait dû appliquer ses articles 87 et 89 selon lesquels tout traitement de données à des fins pénales doit être prévu par une disposition législative ou réglementaire. Comment se sortir de l’impasse ? La Chambre criminelle y parvient en se cachant habilement derrière les garanties procédurales.

B. L’application habile des exigences du Code de procédure pénale

            La Haute juridiction ne sauve l’utilisation du logiciel CPS qu’en raison du respect du Code de procédure pénale. Elle relève, en effet, que l’exploitation des données « a été effectuée, au cas d’espèce, par des officiers de police judiciaire régulièrement habilités et saisis, agissant dans le cadre d’une enquête préliminaire régulière, sans provocation ni stratagème, ni détournement des règles de procédure, qui ont dressé des procès-verbaux dans les formes prescrites par le code de procédure pénale, et dont le contenu a pu être discuté contradictoirement devant les juges ». Concrètement, qu’en était-il du respect des garanties énoncées ? Concernant l’habilitation, d’abord, la Chambre criminelle approuve les juges du fond qui soulignent que l’enquêteur avait « été formé et habilité à utiliser le logiciel CPS ». Il semble toutefois difficile de vérifier l’exigence d’habilitation s’agissant d’un fichier qui, en France, ne repose sur aucune base textuelle…[10] Ensuite, l’affirmation de la Haute juridiction selon laquelle l’enquête pénale est régulière ne devrait pas avoir d’incidence sur la régularité d’un acte d’enquête pris isolément, sauf à y voir une appréciation in globo, chère à la Cour européenne des droits de l’Homme. Enfin, et même s’il était avancé par le moyen, l’argument tenant à la loyauté de la preuve apparaît hors sujet : il ne s’agit pas, en l’espèce, de discuter de la loyauté de l’usage du logiciel CPS, mais de sa légalité. À l’évidence, le correctif du contradictoire ne peut tout sauver et les exigences de la directive police-justice doivent trouver leur place dans le cadre de la procédure pénale. À défaut, la Chambre criminelle risque de valider l’utilisation clandestine, par les autorités répressives, de dispositifs toujours plus attentatoires aux droits fondamentaux. Qu’aurait-elle décidé, par exemple, si elle avait été saisie de la mise en œuvre, par les forces de l’ordre, du logiciel d’analyse vidéo Briefcam ? Aurait-elle eu le courage du tribunal administratif de Grenoble qui, faute de détermination claire des garanties entourant son utilisation par la commune de Moirans, a annulé la décision de son maire de le mettre en œuvre [11] ? Il est permis d’en douter d’autant que la CNIL risque de ne pas être d’un grand secours. De façon très contestable, elle a effectivement considéré que l’utilisation de Briefcam trouvait son fondement textuel dans les dispositions relatives aux logiciels de rapprochement judiciaire [12]. Partant, pour sauver le logiciel CPS, le même raisonnement semble pouvoir être adopté… 

            La lutte contre la pédocriminalité a-t-elle justifié ce sauvetage périlleux ? Ce n’est pas certain. La Haute juridiction prend en effet le soin de relever que l’utilisation du logiciel CPS peut « intervenir à l’occasion d’enquêtes portant sur des infractions pénales, dont la consultation et la détention d’images pédopornographiques ». Aucune exigence tenant à la nature ou à la gravité des infractions en cause n’apparaît donc posée, quoi qu’il en coûte pour le droit à la protection des données à caractère personnel. 

 

[1] A. Lepoivre, Qu’est-ce que le “child protection system”, ce logiciel “super puissant” utilisé pour traquer les fichiers pédopornographiques ?, Le Figaro, 25 avril 2023 [en ligne]. 

[2] Il est fait état de l'utilisation de ce logiciel dans la presse, ainsi que dans deux documents émanant du gouvernement et du Sénat : Ministère de la Justice, Question écrite avec réponse n° 90312, 20 octobre 2015 ; M. Mercier, Rapport d’information sur les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs, Sénat, 7 février 2018, p. 25 [en ligne]. 

[3] Il convient de préciser que l’identification des titulaires des adresses IP suppose la mise en œuvre de réquisitions adressées aux opérateurs de communications électroniques, dans les conditions de l’article 60-1-2 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7997MBS.

[4] CJUE, 3e ch., 24 novembre 2011, Aff. C-70/10, Scarlet Extended SA c/ Sté Belge des auteurs, compositeurs et éditeurs, SCRL (SABAM) N° Lexbase : A9797HZU, § 51 – D., 2011, 2925, obs. C. Manara ; RSC, 2012, 163, obs. J. Francillon ; RTD Eur., 2012, 404, obs. F. Benoît-Rohmer ; LEPI, 2012, 21201, 1, obs. C. Bernault ; Comm. com. électr., 2012, 6, 63, comm. A. Debet ; CJUE, 2e ch., 19 octobre 2016, Aff. C-582/14, Patrick Breyer c/ Bundesrepublik Deutschland N° Lexbase : A9760R7M – Dalloz IP/IT, 2017, 120, obs. G. Peronne, E. Daoud ; D., 2016, obs. E. Autier ; Comm. com. électr., 2016, 12, 104, comm. N. Metallinos. 

[5] Art. 3, § 2, Directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, JO L 119 du 4 mai 2016, p. 89. 

[6] Art. 2, al. 2, loi n° 78-17, du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L8794AGS ; Art. 3, § 6, Directive (UE) 2016/680, op. cit

[7] V. par exemple, Cass. crim., 10 mai 2023, n° 22-86.186, F-B N° Lexbase : A26259TE – JCP G, 2023, 27, 834, comm. E. Dreyer ; AJ Pénal, 2023, 296 ; Dalloz actualité, 2 juin 2023, obs. M. Pirrotta ; A. Mornet, Captations d’images à l’aide d’un caméscope : la photographie jurisprudentielle est encore floue …, Lexbase pénal, juin 2023 N° Lexbase : N5915BZ4.

[8] CJUE, gde ch., 4 octobre 2024, Aff. C-548/21 CG c/ Bezirkshauptmannschaft Landeck N° Lexbase : A0502584, § 71 – JCP G, 2024, 45, 1329, comm. A. Mornet ; Comm. com. électr., 24, 12, 113, comm. A. Latil ; Europe, 2024, 12, 486, obs. M. Glinel ; Dalloz IP/IT, 2025, 172, obs. E. Daoud et C. Veltz ; Dalloz IP/IT, 2024, 550, obs. A.-L. Bofua ; D., 2024, 2099, obs. B. Auroy ; AJ Pénal, 2024, 567, obs. M. Audibert ; Gaz. Pal., 2024, 39, 16, comm. J.-B. Thierry ; P. Le Guen, L’accès par la police au cours d’une enquête pénale aux données contenues dans un téléphone portable n’est pas limité à la lutte contre la criminalité grave, Lexbase Pénal, octobre 2024 N° Lexbase : N0547B3N.

[9] En matière commerciale, la conception extensive de la notion de traitement n’est pas inédite. V. à ce sujet, A. Mornet, Les fichiers pénaux de l’Union européenne. Contribution à l’étude de la protection des données à caractère personnel, Mare & Martin, 2023, n° 200 et s. 

[10] Il est intéressant de relever que, pour la cour d’appel, l’absence d’habilitation « n’est pas de nature à entraîner une quelconque nullité de procédure mais influe éventuellement sur la qualité de la preuve ». Une telle lecture apparaît contraire aux arrêts récents de la Chambre criminelle voyant dans cette absence une cause de nullité. V. par ex., Cass. crim., 5 mars 2024, n° 23-84.864, F-B N° Lexbase : A83392RB – Procédures, 2024, 5, 122, comm. A.-S. Chavent-Leclère ; RSC, 2024, 407, comm. A. Chauvelot ; Dalloz actualité, M. Slimani, Qualité à agir en nullité d’une géolocalisation et habilitation à la consultation du fichier TAJ : quelques rappels et précisions, 19 mars 2024 [en ligne]. 

[11] TA, Grenoble, 24 janvier 2025, n° 2105328 N° Lexbase : A44036TA.  

[12] C. proc. pén., art. 230-20 et s. N° Lexbase : L5992LMU et R. 40-39 et s. N° Lexbase : L1014I3X. CNIL, Décision n° MED-2024-150 du 15 novembre 2024 [en ligne], mettant en demeure le ministère de l’intérieur. 

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Responsabilité administrative

[Questions à...] Chlordecone : Une reconnaissance pleine et entière des fautes de l’État mais une indemnisation des victimes en demi-teinte ? Questions à Christophe Lèguevaques, avocat au barreau de Paris

Réf. : CAA Paris, 8ème ch., 11 mars 2025, n° 22PA03906 N° Lexbase : A554864A

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N1970B3D

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Le 02 Avril 2025

Mots clés : pollution • chlordécone • indemnisation • préjudice d'anxiété • faute de l’État

Dans un arrêt du 11 mars 2025, la cour administrative d’appel de Paris juge que l’État a commis des fautes en accordant des autorisations de vente d’insecticides à base de chlordécone, en permettant leur usage prolongé, en manquant de diligence pour évaluer la pollution liée à cet usage, y mettre fin, en mesurer les conséquences et informer la population touchée. Elle juge que l’État doit réparer, lorsqu’il est démontré, le préjudice moral d’anxiété des personnes durablement exposées à cette pollution. Elle estime, toutefois, que la seule invocation d’une exposition au chlordécone, indépendamment de ses conséquences personnelles et en l’absence de justification les étayant de façon individuelle, ne permet pas de justifier d’un préjudice réparable. Pour nous éclairer sur cette décision, Lexbase a interrogé Christophe Lèguevaques, avocat au barreau de Paris, l'un des avocats qui a porté cette action devant les juridictions administratives en complément du volet pénal*.


 

Lexbase : Comment le juge s'est-il positionné jusqu'ici dans cette affaire de contamination au chlordécone ?

Christophe Lèguevaques : Dans cette affaire, la position des juges varie selon la juridiction saisie.

Tandis que les juridictions administratives se montrent enclines à reconnaître cette contamination et à sanctionner les responsables, les juridictions pénales ont pour l’instant adopté une approche plus timide.

En effet, alors que le 24 juin 2022, le tribunal administratif de Paris reconnaissait la responsabilité de l’État pour « négligences fautives » [1], le Pôle de santé publique, accidents collectifs et environnement du tribunal judiciaire de Paris rendait, le 2 janvier 2023, une ordonnance de non-lieu. Il faut bien reconnaître que depuis le début, le Parquet fait tout pour empêcher toutes les investigations affirmant péremptoirement des arguments de droit (prescription, application de la loi dans le temps) tout minimisant la gravité des faits et en ne tirant pas toutes les conséquences des connaissances acquises de la science depuis … 1962.

Néanmoins, nous avons bon espoir que l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris fasse date et permette de relancer le dossier pénal devant la Chambre de l’instruction tout comme l’arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui a statué sur notre question prioritaire de constitutionnalité.

Lexbase : Quel est l'intérêt essentiel de l'arrêt rendu le 11 mars 2025 par la CAA de Paris ?

Christophe Lèguevaques : Compte tenu de l’histoire rattachée à cette pollution, cet arrêt revêt une portée majeure, je laisse aux universitaires le soin de vérifier si le qualificatif d’ « historique » est opportun.

En reconnaissant les nombreuses fautes commises par l’État – notamment, l’octroi de renouvellement d’autorisations de vente de produits insecticides à base de chlordécone sans étude sanitaire requise, l’octroi de dérogations pour prolonger leur usage en dépit de leur dangerosité, le manque de diligence dans l’évaluation, la cessation, la gestion et l’information de la pollution engendrée et de ses conséquences – et en le condamnant à indemniser le préjudice moral et/ou d’anxiété des personnes durablement exposées, la cour franchit une étape essentielle dans la prise de conscience collective de ce scandale sanitaire et pose la première pierre de sa réparation.  

Ce faisant, cette décision représente un précédent significatif en matière de contentieux environnemental. Il appartient aux victimes d’un préjudice corporel – les ouvrières et les ouvriers des bananeraies en premier lieu – de s’en saisir pour obtenir réparation. On peut même espérer que cette jurisprudence soit transposable dans d’autres sortes de pollutions comme le glyphosate ou les PFAS.

Lexbase : Vous avez néanmoins jugé cette décision en partie décevante. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?

Christophe Lèguevaques : Cette déception résulte du champ d’indemnisation retenu. Sur les 1286 appelants, la cour ne condamne l’État à n’indemniser que onze (neuf hommes et deux femmes) d’entre eux, ayant pu établir le lien entre leur exposition et le risque, la survenue ou la récidive du cancer de la prostate, le risque accru de naissance prématuré et un risque d’impact sur le développement cognitif et le comportement de l’enfant.

Cette grille d’indemnisation, particulièrement restrictive, souffre des lacunes scientifiques encore existantes. En effet, toutes les conséquences de la contamination au chlordécone ne sont pas pleinement connues. Faute de financement adéquat, les études sur les cancers hormonodépendants « féminins » sont en retard sur celles concernant le cancer de la prostate. Mais il n’en demeure pas moins vrai que depuis 1979, le CIRC/OMS a classé le chlordecone comme cancérigène probable, quel que soit le sexe. Depuis 1990, on sait qu’il s’agit d’un perturbateur endocrinien. Et il est établi, comme pour le distilbène, qu’il a un effet épigénétique qui peut se transmettre à des générations qui n’ont jamais été exposées directement au chlordécone (un enfant né dans l’hexagone de parents ayant vécu les trente premières années de leur vie aux Antilles, par exemple).

Ainsi, il est donc essentiel d’encourager les pouvoirs publics à mener des études et expertises plus approfondies, en particulier s’agissant des femmes – éternelles oubliées – afin d’améliorer notre connaissance scientifique sur ce polluant organique persistant et partant, mieux en anticiper les effets.

Lexbase : Y a-t-il d'autres décisions à venir en la matière ?

Christophe Lèguevaques : D’autres décisions sont attendues dans le cadre de la procédure pénale notamment.

Pour rappel, par arrêt du 13 novembre 2024, la Chambre de l’instruction avait sursis à statuer sur l’appel de l’ordonnance de non-lieu du 2 janvier 2023 dans l’affaire du chlordécone et renvoyée la question prioritaire de constitutionnalité que nous avions soulevée au sujet du dol spécial (animus necandi) exigé pour le crime d’empoisonnement tel qu’interprété depuis l’arrêt de la Chambre criminelle du 18 juin 2003 [2] rendu dans l’affaire du sang contaminé.

La Cour de cassation ayant, par un arrêt du 5 février 2025, jugé n’y avoir pas lieu à renvoi de cette question prioritaire de constitutionnalité, nous avons récemment appris que le dossier pourrait être renvoyé à une audience qui se tiendra fin septembre prochain.

À cet égard, l’arrêt du 11 mars 2025 constitue un appui fondamental que nous comptons mobiliser dans nos nouvelles écritures. Par ailleurs, les récentes et nombreuses constitutions de parties civiles dans cette procédure pénale pourraient constituer des moyens sérieux dans la perspective d’une infirmation de l’ordonnance de non-lieu.

Enfin, dans un contexte plus large, nous examinons enfin les suites à donner à cet arrêt eu égard à la pollution rémanente des sols et des eaux, telle que confirmée par l’arrêt de la cour administrative d’appel.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.


[1] TA Paris, 24 juin 2022, n° 2006925 N° Lexbase : A616878X.

[2] Cass. crim., 18 juin 2003, n° 02-85.199 N° Lexbase : A8130C8M.

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