Lexbase Fiscal n°537 du 25 juillet 2013 : Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Non déductibilité en France d'une provision pour dépréciation de titres détenus à l'étranger lorsqu'une convention fiscale internationale n'impose pas en France l'éventuelle plus-value de cession des titres

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 12 juin 2013, n° 351702, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5884KGZ)

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par Thibaut Massart, Professeur de droit, Directeur du Master Fiscalité de l'entreprise, Université Paris Dauphine, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 25 Juillet 2013

L'arrêt du 12 juin 2013 du Conseil d'Etat précise le régime de déductibilité des provisions constituées pour faire face à la dépréciation des titres de participation dans une filiale étrangère (Droit fiscal n° 25, 20 juin 2013, act. 329). Dans une décision particulièrement ciselée, qui sera publiée au recueil Lebon, le Haut conseil rappelle qu'une provision constituée n'est déductible que lorsque la charge ou la perte qu'elle anticipe est elle-même susceptible d'affecter l'assiette de l'impôt dû au titre d'un exercice futur. Il en ressort qu'une entreprise peut, en principe, constituer une provision pour dépréciation de ses titres de participation, dès lors que la moins-value réalisée lors de la cession de cet élément d'actif est de nature à affecter l'assiette de l'impôt dû. Toutefois, le Conseil d'Etat précise que, lorsqu'une convention fiscale internationale prive la France de son pouvoir d'imposer le gain susceptible d'être réalisé lors de la cession de titres de participation dans la filiale, cette convention fait obstacle à ce qu'une moins-value relative à une telle cession soit prise en compte pour déterminer le montant net des plus-values ou moins-values de même nature entrant dans l'assiette de l'impôt en France. En conséquence, une provision anticipant une telle moins-value ne peut être prise en compte pour la détermination de l'assiette de l'impôt dû. Dans cette affaire, une banque avait constitué, en 1997, une provision pour dépréciation des titres de sa filiale canadienne. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration avait remis en cause cette provision au motif que la Convention franco-canadienne du 2 mai 1975 tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale (N° Lexbase : L6675BHP) pose que le gain résultant de la cession, par une société résidant en France, d'une participation substantielle dans le capital d'une société résidant au Canada, n'est pas soumis, en France, à l'impôt sur les sociétés. Dès lors, pour l'administration, aucune provision pour dépréciation des titres de participation ne pouvait être pratiquée par la banque française, puisqu'une telle provision diminuait l'assiette de son impôt sur les sociétés dû en France. Cette rectification conduisit à la réduction du montant des moins-values nettes à long terme reportables et à l'assujettissement de la société française à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles et temporaires assises sur cet impôt. Après avoir réclamé en vain auprès des services fiscaux et vu sa requête rejetée par le tribunal administratif de Cergy Pontoise, la société avait porté le litige devant la cour administrative d'appel de Versailles. Le 7 juillet 2011, réunie en Assemblée plénière, cette cour avait cependant rejeté le recours de la banque française (CAA Versailles, plén., 7 juillet 2011, n° 09VE01119, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9932HUE, Dr. fisc., n° 5, 2 février 2012, comm. 129, note J.-Ch. Gracia). Les magistrats versaillais avaient indiqué que les provisions constituées en vue de faire face à la dépréciation de titres de participation détenus dans une filiale étrangère et inscrits à l'actif du bilan d'une société exploitée en France sont, dès lors qu'elles sont justifiées au regard des conditions générales posées au 5° du 1 de l'article 39 du CGI (N° Lexbase : L3894IAH), déductibles du bénéfice net de l'exercice à la clôture duquel elles ont été constatées et qui fait l'objet, pour le régime des plus-values et des moins-values à long terme prévu à l'article 39 quindecies du CGI, d'une imposition séparée au taux de 16 %, sous réserve, le cas échéant, des conventions internationales tendant à éviter les doubles impositions. Or, dans cette affaire, la cour affirma qu'il résulte de la combinaison des articles 38 (N° Lexbase : L0289IWM), 39, 1, 5°, 39 quindecies (N° Lexbase : L1467HLW) et 209 (N° Lexbase : L0159IWS) du CGI et des stipulations de l'article 13 § 1 de la Convention fiscale franco-canadienne, que la France et le Canada ont entendu réserver l'imposition des plus-values provenant de la cession d'actions ou de parts faisant partie d'une participation substantielle dans le capital d'une société qui est un résident d'un Etat contractant, à ce dernier Etat. La cour administrative d'appel en déduisait que, symétriquement, les moins-values de cession éventuellement subies par la société BNP Paribas sur les participations substantielles qu'elle détenait dans le capital de sa filiale BNP Canada n'étaient pas déductibles des plus-values de cession des titres de même nature appartenant à son portefeuille, imposables en France. Dès lors, les provisions constituées en vue de faire face à leur dépréciation, correspondant à cette moins-value probable, n'étaient elles-mêmes pas déductibles de l'excédent des plus-values à long terme sur les moins-values à long terme imposable en France au titre de l'exercice clos en 1997. Par suite, les magistrats versaillais jugèrent que c'était à bon droit que l'administration avait réintégré, dans cet excédent, les dotations aux provisions ainsi constituées.

La banque française se pourvut alors en cassation.

Elle n'obtient malheureusement pas davantage satisfaction devant le Conseil d'Etat.

Le raisonnement utilisé par le Haut Conseil reprend celui développé par la cour administrative d'appel mais en s'appuyant principalement sur le droit interne, alors même que le juge du fond semblait davantage fonder sa solution sur le droit international. Cette stratégie habile permet d'éviter au Conseil d'Etat d'entrer dans un débat complexe et de poser clairement un principe et une exception.

Le principe est celui de la déductibilité par une société française des provisions pour dépréciation des titres de participation qu'elle détient dans une filiale étrangère, puisqu'une telle provision est constituée en vue de faire face à une perte ou une charge susceptible d'affecter l'assiette de l'impôt dû au titre d'un exercice futur. L'exception est celle de la non déductibilité de la provision, dès lors qu'une disposition d'une loi fiscale ou une stipulation d'une convention fiscale internationale énonce que la moins-value réalisée lors de la cession de ces titres de participation n'est pas de nature à affecter l'assiette de l'impôt sur les sociétés dû en France.

Si le principe repose sur les règles les mieux établies du droit interne (1), l'exception suppose l'interprétation d'une convention internationale, exercice d'autant plus délicat lorsque, comme en l'espèce, la Convention ne traite que des gains résultant de la cession des titres de participations et non des éventuelles moins-values (2).

I - Le droit interne

L'apport essentiel de cet arrêt en droit interne réside dans l'affirmation selon laquelle une provision n'est déductible en application du 5° du 1 de l'article 39 du CGI que lorsque la charge ou la perte qu'elle anticipe est elle-même susceptible d'affecter l'assiette de l'impôt dû au titre d'un exercice futur. Cette allégation n'est pas nouvelle, mais son application à une provision pour dépréciation des titres de participation est plus originale.

A - Le rappel : une provision n'est déductible que si la charge ou la perte qu'elle anticipe est elle-même déductible

Rappelons que certaines immobilisations ne sont pas susceptibles de se déprécier par usure, vétusté ou obsolescence, et ne sont donc pas amortissables. Toutefois, elles peuvent subir une dépréciation par rapport à leur valeur d'entrée dans l'actif. Sur le plan comptable, de telles dépréciations doivent être constatées en provision. Sur le plan fiscal, dès lors qu'elles sont susceptibles de réduire le résultat fiscal, les provisions font l'objet d'une réglementation plus stricte. L'article 39-1-5° du CGI autorise, sous certaines réserves, les entreprises industrielles et commerciales à déduire, pour la détermination du résultat fiscal, "les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou à des charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice". La doctrine administrative en déduit qu'une provision ne peut être admise en déduction, pour la détermination du résultat fiscal, que si elle est destinée à faire face soit à une perte ou à une dépréciation d'un élément d'actif, soit à une charge qui aurait été elle-même déductible si l'événement envisagé s'était réalisé au cours de cet exercice (BOI-BIC-PROV-20-10-10 N° Lexbase : X8171AL9). Par suite, elle doit à la fois correspondre à une perte ou à une charge effective, incomber réellement à l'entreprise et être rattachée à une perte ou une charge déductible fiscalement. Cette dernière condition a été expressément admise par la jurisprudence. Le Conseil d'Etat a ainsi jugé que ne peut être admise en déduction, pour la détermination du résultat fiscal, une provision destinée à couvrir des pénalités pour paiement tardif d'impôts exclus des charges déductibles (CE 9° s-s., 27 octobre 1967, n°s 70659 et 70660 N° Lexbase : A8628B83). De même, les juges ont déjà retenu qu'il résulte des dispositions du CGI qu'une entreprise ne peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, qu'à la condition que ces pertes soient subies ou ces charges soient supportées à la suite d'opérations se rattachant à la gestion normale de l'entreprise. En conséquence, une société ne peut constituer des provisions correspondant à des fonds détournés par un ancien dirigeant, même si elle en a assuré le remboursement aux créanciers (CAA Nancy, 2ème ch., 22 mai 2003, n° 98NC01888, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8843DGM, Dr. fisc., n° 10, 4 mars 2004, comm. 302). De même, alors que l'article 39, 1, 5° du CGI interdit expressément la déduction des provisions constituées pour faire face aux indemnités de départ à la retraite, allocations de préretraite, pensions et compléments de retraite, une cour administrative d'appel a pu logiquement estimer que les charges sociales qui en constituent l'accessoire doivent être soumises au même régime fiscal et ne peuvent donc donner lieu à la constitution d'une provision déductible (CAA Bordeaux, 3ème ch., 25 mars 2003, n° 99BX00163, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5684C9E, Dr. fisc., n° 12, 18 mars 2004, comm. 347).

Il en ressort que la déductibilité de la provision est liée à la déductibilité de la charge ou de la perte.

B - L'apport de l'arrêt : une provision pour dépréciation de titres n'est déductible que si la perte qu'elle anticipe est elle-même déductible

Selon le raisonnement adopté par le Conseil d'Etat, une provision pour dépréciation des titres de participation anticipe une moins-value qui pourrait survenir lors de la revente des titres. Cette moins-value constitue une perte au sens de l'article 39-1-5° du CGI.

Il faut, par conséquent, clairement distinguer la perte subie par la filiale, perte qui pourrait éventuellement justifier la dépréciation des titres, de la perte soufferte par la société mère, lors de la revente d'un de ces éléments d'actif.

Pour bien marquer cette distinction, le Conseil d'Etat rappelle que le 2 de l'article 38 du CGI définit le bénéfice net imposable en indiquant qu'il "est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt". A vrai dire, le Conseil d'Etat aurait également pu s'appuyer sur la définition résultant du 1 de l'article 38 du CGI. Selon ses termes, le bénéfice imposable est "le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation". Or, c'est bien de la cession d'un élément d'actif dont il s'agit, puisque le bloc de titres de participation figure au patrimoine de la société mère. Le Conseil d'Etat préfère insister sur le 2 de l'article 38 du CGI, dans la mesure où la deuxième phrase de cet alinéa définit l'actif net en mentionnant qu'il "s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés", ce qui permet au Haut conseil de recentrer le débat sur les conditions de fond de la déductibilité de la provision.

On soulignera que la distinction entre la perte subie par la filiale et la perte résultant de l'éventuelle moins-value liée à la cession des titres de participation détenus par la société mère n'est parfois pas si nette à la lecture de la législation fiscale. Par exemple, les vingt-cinquième et vingt-sixième alinéas du 5° du 1 de l'article 39 du CGI prévoient que la provision éventuellement constituée par une entreprise en vue de faire face à la dépréciation d'une participation dans une filiale implantée à l'étranger n'est admise sur le plan fiscal que pour la fraction de son montant qui excède les sommes déduites en application des dispositions des articles 39 octies A du CGI et non rapportées au résultat de l'entreprise. Cette règle, issue l'article 6 de la loi de finances pour 1972 (loi n° 72-1147 du 23 décembre 1972), afin de favoriser les implantations françaises à l'étranger et de développer les exportations, institue un régime de déduction provisoire, sous forme de provision, qui varie selon la nature et les investissements réalisés, des pertes subies à l'étranger ou de sommes investies en capital. Même si ce dispositif a été supprimé par l'article 31 de la loi de finances rectificative pour 2003 (loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003 N° Lexbase : L6330DME), il est intéressant de faire remarquer que le montant de la provision déductible est lié à celui de la perte réalisée par la filiale. Le I de l'article 39 octies A du CGI précise, en effet, que "les entreprises françaises qui investissent à l'étranger en vue de l'installation d'un établissement de vente, d'un bureau d'études ou d'un bureau de renseignements, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une société dont elles détiennent au moins 10 % du capital, peuvent constituer en franchise d'impôt une provision d'un montant égal aux pertes subies au cours des cinq premières années d'exploitation de leur établissement ou de cette société, dans la limite des sommes investies en capital au cours des mêmes années" (voir également BOI-BIC-PROV-60-11 N° Lexbase : X5808ALP).

Dans la présente affaire, il était particulièrement important de dissocier la perte réalisée par la filiale de l'éventuelle moins-value subie par la société mère afin de recentrer le débat sur le droit interne et non sur le droit international. La cour administrative d'appel de Versailles avait, en effet, commencé sa démonstration en invoquant le I de l'article 209 du CGI selon lequel, dans sa version alors applicable, "les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés [...] en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, [...] ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions". Cette disposition fonde le principe de territorialité de l'impôt sur les sociétés en assujettissant à l'impôt sur les sociétés en France, d'une part, les bénéfices des entreprises exploitées en France et, d'autre part, les bénéfices dont l'imposition est attribuée à la France par une convention fiscale. En réalité, l'affirmation préliminaire de ce principe n'avait pas d'intérêt particulier, dès lors que la question principale portait sur la déductibilité d'une provision liée à la dépréciation d'un élément d'actif détenu par une société française et venant réduire l'assiette de l'impôt sur les sociétés dû en France. Si le Conseil d'Etat mentionne également l'article 209 du CGI au début de son argumentation, ce n'est pas pour évoquer le principe de territorialité de l'impôt figurant dans ce texte mais uniquement pour rappeler que cette disposition spécifie également que les articles 38 et suivants du CGI sont applicables en matière d'impôt sur les sociétés. Le Haut conseil en reste au droit interne et peut ainsi clairement affirmer qu'une provision constituée par une société mère française pour faire face à la dépréciation des titres d'une filiale, que cette dernière soit d'ailleurs française ou étrangère, est en principe déductible de l'assiette de l'impôt sur les sociétés dû par cette société mère, dès lors que cette provision ne fait qu'anticiper une perte future liée à la moins-value que la société mère réalisera lorsqu'elle cédera ses titres de participation, c'est-à-dire lorsqu'elle se séparera d'un élément d'actif figurant à son bilan.

Mais le Conseil d'Etat précise également qu'il existe une exception à ce principe lorsqu'une disposition de la loi fiscale ou une stipulation d'une convention fiscale internationale fait obstacle à ce que la moins-value réalisée lors de la cession d'un élément d'actif est de nature à affecter l'assiette de l'impôt dû. Cette exception a un domaine étendu, puisqu'elle ne s'applique pas uniquement aux titres de participation mais à l'ensemble des éléments d'actif. L'exception vise deux cas de figure. Le premier est celui d'une disposition interne qui empêcherait qu'une cession d'un élément d'actif puisse affecter l'actif net imposable. On soulignera que la cession des titres de participation affecte l'actif net imposable, mais que l'imposition est soumise à un régime particulier, celui des plus ou moins-values à long terme. En conséquence, comme le rappelle l'article 39 du CGI, "la provision pour dépréciation qui résulte éventuellement de l'estimation du portefeuille est soumise au régime fiscal des moins-values à long terme défini au 2 du I de l'article 39 quindecies".

Le second cas de figure est celui d'une convention fiscale internationale qui ferait obstacle à ce que la moins-value réalisée lors de la cession d'un élément d'actif affecte l'assiette de l'impôt sur les sociétés dû en France. Cette hypothèse oblige de déplacer l'analyse sur le terrain du droit international. Ce que fait le Conseil d'Etat dans la présente affaire.

II - Le droit international

Alors que la cour d'appel semblait aborder simultanément le droit interne et le droit international, le Conseil d'Etat applique l'approche classique en la matière, en recherchant d'abord si le contribuable est imposable en France, puis, le cas échéant, en vérifiant si une convention internationale ne fait pas obstacle à cette imposition (V. en ce sens, CE 8° et 9° s-s-r., 17 mars 1993, n° 85894, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8711AML ; Dr. fisc., 1993, n° 25, comm. 1093 ; RJF, 5/1993, n° 612, concl. J. Arrighi de Casanova, p. 359 ; V. également, P. Dibout, L'inapplicabilité de l'article 209 B du CGI face à la Convention franco-suisse du 9 septembre 1966 (à propos de l'arrêt CE, ass., 28 juin 2002, Schneider Electric) ; Dr. fisc., 2002, n° 36, étude 28 ; CE 3° et 8° s-s-r., 13 juillet 2007, n° 290266, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2858DX7 ; Rec. CE 2007, tables p. 776 ; Dr. fisc., 2007, n° 43, comm. 937, note J.-Ch. Gracia ; RJF, 11/2007, n° 1302 ; BDCF, 11/2007, n° 132, concl. F. Séners).

En l'espèce, la convention fiscale litigieuse était la Convention franco-canadienne du 2 mai 1975, tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale. Malheureusement, cette Convention n'aborde expressément ni la question de la déductibilité des provisions pour dépréciation des titres de participation qu'une société française détiendrait dans une filiale canadienne, ni celle du traitement de la moins-value en cas de cession de ces mêmes titres de participation.

En interprétant les stipulations de la Convention fiscale, le Conseil d'Etat, confortant la position de l'administration fiscale et des juges d'appel, estime que les éventuelles moins-values qui seraient réalisées en cas de cession de titres d'une filiale canadienne dont la société mère détiendrait plus de 25 % du capital sont sans incidence sur l'impôt dû en France par cette société mère, ce qui conforte l'idée que la provision qui anticipe une telle perte n'est pas déductible de l'assiette de l'impôt sur les sociétés dû en France. Pour parvenir à ce résultat, le Conseil d'Etat considère, implicitement mais sûrement, que la perte est l'opposé du gain et que les deux peuvent être traités symétriquement. Ce postulat est malheureusement mis à mal par la jurisprudence la plus récente.

A - La perte est le symétrique du gain

Dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige, la Convention franco-canadienne du 2 mai 1975 mentionnait au paragraphe 3 de l'article 13 : "Les gains provenant de l'aliénation : a) D'action ou de parts faisant partie d'une participation substantielle dans le capital d'une société qui est un résident d'un Etat contactant [...] sont imposables dans cet Etat ; [...] il existe une participation substantielle lorsque le cédant, seul ou avec des personnes associées, possède directement ou indirectement au moins 25 % des actions ou des parts d'une catégorie quelconque du capital d'une société". Par ailleurs, aux termes du paragraphe 2 de l'article 23 de cette même convention, il était indiqué : "En ce qui concerne la France, la double imposition est évitée de la manière suivante : a) Les revenus autres que ceux visés à l'alinéa b) ci-dessous, au nombre desquels ne figurent pas les gains mentionnés au paragraphe 3 de l'article 13, sont exonérés des impôts français visés au paragraphe 3 de l'article 2, lorsqu'ils sont imposables au Canada en vertu de la Convention". Le Conseil d'Etat pouvait alors en déduire sans souffrir de critique "qu'il résulte de ces stipulations combinées que le gain résultant de la cession, par une société résidant en France, d'une participation substantielle dans le capital d'une société résidant au Canada, n'est pas soumis, en France, à l'impôt sur les sociétés". Mais la question ne consistait pas à déterminer si la plus-value d'une cession de titres de participation qu'une société française détient dans une filiale canadienne était imposée en France ou au Canada, mais de décider si une moins-value en cas de cession de ces titres devait venir en réduction de l'assiette de l'impôt dû en France ou au Canada, puisqu'une provision ne fait qu'anticiper une telle moins-value. Pour parvenir à ce résultat, le Conseil d'Etat doit poser un principe de symétrie entre le droit d'imposition des bénéfices et la faculté de déduction des pertes. Ce principe, a priori de bon sens, a été récemment consacré par la Cour de justice de l'Union européenne alors même qu'elle avait été réticente à l'admettre jusque-là (CJUE, gde ch., 29 novembre 2011, aff. C-371/10, pt. 58 N° Lexbase : A0292H39 : Dr. fisc., 2012, n° 5, comm. 125). Fort de ce principe consacré, le Conseil d'Etat pouvait alors clore sa démonstration en affirmant dans son cinquième considérant que "l'exonération des gains provenant de la cession [...] impliquait l'absence de toute incidence [...] des éventuelles moins-values qui seraient réalisées en cas de cession de titres de la filiale canadienne" pour en déduire "que l'administration fiscale avait pu, à bon droit, réintégrer les provisions constituées pour faire face à la dépréciation de ces titres".

Le raisonnement semble implacable. Pourtant, la jurisprudence récente de la CJUE montre qu'il pourrait se fissurer, car le traitement fiscal des pertes n'est pas nécessairement symétrique à celui des bénéfices.

B - Lorsque la perte se dissocie du gain

Soulignons d'abord que les stipulations de la Convention fiscale signée entre la France et le Canada ayant été analysées par les magistrats dans cette affaire ne sont aujourd'hui plus en vigueur. Cette évolution ne modifie cependant pas la portée de cette présente décision, car le Conseil d'Etat y trouve l'occasion de poser un principe général de déductibilité des provisions qui dépasse largement le seul cadre des relations franco-canadiennes.

Cependant, on peut douter qu'un tel principe soit totalement en conformité avec la jurisprudence de l'Union européenne.

Du fait de la règle de symétrie entre le droit d'imposer les bénéfices d'une société et l'obligation de prendre en compte les pertes subies par ladite société, les autorités fiscales d'un Etat membre ne devraient pas avoir à tenir compte, dans le cadre du traitement fiscal d'une société mère résidant dans ledit pays, des pertes liées à l'activité d'une filiale établie dans un autre Etat membre, dès lors qu'elles ne sont pas en droit d'imposer les bénéfices de cette filiale. Mais ce principe de symétrie comporte aujourd'hui des exceptions, et l'Etat membre de la société mère est parfois contraint de supporter les pertes d'une filiale non résidente, alors même qu'il n'aurait pas la faculté d'imposer les bénéfices de cette filiale. Cette orientation a été prise par la CJUE en 2005 dans l'affaire "Marks & Spencer" (CJCE, gde ch., 13 décembre 2005, aff. C-446/03 N° Lexbase : A9386DL9 ; Rec. CJCE 2005, I, p. 10837, pt 35 ; Dr. fisc., 2005, n° 51, act. 260 ; Europe, 2006, comm. 48, note F. Mariatte ; RJF, 2/2006, n° 227, concl. M. L. Poiares Maduro ; Daniel Gutmann, La fiscalité française des groupes de sociétés à l'épreuve du droit communautaire. Réflexions sur l'affaire "Marks & Spencer" pendante devant la CJCE ; Dr. fisc., 2004, n° 14, étude 15). D'autres décisions, comme l'arrêt de la CJUE du 21 février 2013, affaire "A Oy" (v. nos obs., Lexbase Hebdo n° 526 du 30 avril 2013 - édition fiscale N° Lexbase : N6886BT9), sont venus conforter cette inclinaison. La législation d'un Etat membre serait ainsi incompatible avec le droit de l'Union si elle n'offre pas à une société mère résidente la possibilité de démontrer que sa filiale non résidente a épuisé les possibilités de prise en compte des pertes qu'elle subit et qu'il n'existe pas de possibilités qu'elles puissent être prises en compte dans son Etat de résidence au titre des exercices futurs soit par elle-même, soit par un tiers.

Dans le cas qui nous préoccupe, il ne s'agit pas pour la société mère française de prendre en compte directement les pertes réalisées par sa filiale. La prise en compte est indirecte et passe par la dépréciation des actions que la société mère possède dans sa filiale. Il n'y a donc a priori pas de risque de double emploi des pertes, puisque les pertes comptables exposées par la société mère en raison de la dépréciation de la valeur de ses participations dans sa filiale étrangère font l'objet, sur le plan fiscal, d'un traitement distinct de celui réservé aux pertes subies par la filiale elle-même (CJCE, 2ème ch., 29 mars 2007, aff. C-347/04 N° Lexbase : A7814DUX ; Rec. CJCE, 2007, I, p. 2647, pt 34 ; Dr. fisc., 2007, n° 15, act. 401 ; RJF, 2007, n° 776).

Mais, à suivre le Conseil d'Etat, une société mère française ne pourrait déduire les provisions constituées pour la dépréciation des titres détenus dans une filiale canadienne alors qu'il est constant que la même société mère pourrait déduire de son bénéfice imposable au taux de 16 % les provisions afférentes à la dépréciation de titres détenus dans une filiale établie en France. Comme le soulignait déjà Jean-Christophe Gracia en commentant l'arrêt d'appel (CAA Versailles, plén., 7 juillet 2011, n° 09VE01119, précité), "il y a donc là assurément une différence de traitement entre une situation purement interne et une situation transnationale susceptible de constituer un désavantage fiscal pour la société mère et donc une entrave à la libre circulation des capitaux". D'autant que la société française, si elle cède ses titres et réalise une moins-value, ne pourra déduire cette perte que sur son bénéfice imposable au Canada au titre des plus-values de cession de titres de filiales canadiennes, ce qui supposerait que la banque française dispose d'autres filiales au Canada. Mais si tel n'est pas le cas, la perte, et par-delà la provision, semblent définitivement perdues, ce qui nous rapprochent de la jurisprudence "Marks&Spencer". Or, aucune raison impérieuse d'intérêt général ne semble pouvoir justifier une telle restriction à la liberté de circulation des capitaux (En ce sens J.-Ch. Gracia, note précitée), si bien que la portée de l'arrêt du 12 juin 2013 ne peut qu'être relativisée.

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