Lexbase Public n°295 du 4 juillet 2013 : Procédure administrative

[Evénement] Les figures du juge administratif

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 04 Juillet 2013

Le vendredi 28 juin 2013, le Master 2 professionnel Contentieux Public de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et l'Association des Juristes de Contentieux Public (AJCP) organisaient, en salle d'assemblée du Conseil d'Etat, un colloque sur le thème des "figures du juge administratif". Présentes à cet événement, les éditions Lexbase vous propose de revenir plus particulièrement sur les propos introductifs de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat, qui a rappelé la diversité des interventions et des pouvoirs du juge chargé de régler les litiges mettant en cause les personnes publiques. I - Au cours de cette introduction, Jean-Marc Sauvé rappelle que, via ses décisions, le juge administratif dresse une sorte d'autoportrait à travers, notamment, la célèbre formule : "il appartient au juge de [...]". Depuis une vingtaine d'années, celui-ci a vu ses pouvoirs considérablement renforcés par le législateur. En effet, depuis l'intervention de la loi du 8 février 1995, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative (N° Lexbase : L1139ATD), le juge peut ordonner à l'administration, en application de l'article L. 911-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3329ALU), de prendre les mesures d'exécution qu'impliquent nécessairement ses décisions (CE 9° s-s., 12 juillet 1995, n° 161803, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5249ANQ, par exemple au sujet du refus de communication de documents administratifs par un maire annulé au motif que les documents étaient communicables de plein droit). Ce pouvoir d'injonction concerne aussi les organismes privés chargés d'une mission de service public. Précisons que, lorsque l'état de l'instruction ne permet pas au juge administratif d'être éclairé sur le caractère administratif du document dont la communication est demandée sur le fondement de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal (N° Lexbase : L6533AG3), il peut ordonner avant-dire-droit la production de ce document à la formation chargée de l'instruction de l'affaire, sans que, compte tenu de l'objet même du litige, communication de cette pièce soit donnée au requérant (CE 9° et 10° s-s-r., 14 mars 2003, n° 231661, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5598A7H). Le juge n'ayant pas la possibilité de statuer au vu de pièces qui n'ont pas été communiquées aux parties, il lui appartient d'ordonner cette communication concernant les éléments utiles à la solution du litige (CE, S., 6 novembre 2002, n° 194295, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7525A34).

Et Jean-Marc Sauvé de citer les célèbres jurisprudences de ces dernières années qui ont profondément marqué le contentieux administratif : "Association AC" (CE, Ass., n° 255886, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2862DXB, pouvoir reconnu au juge de moduler dans le temps les effets d'une annulation contentieuse), "Société Atom" (CE, Ass., 16 février 2009, n° 274000, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2581EDX, un juge saisi d'une contestation portant sur une sanction que l'administration inflige à un administré doit prendre une décision qui se substitue à celle de l'administration en se plaçant à la date de sa décision et non à celle de la décision de l'administration infligeant la sanction), "Tropic" (CE, S., 16 juillet 2007, n° 291545, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4715DXW, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant ce même juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires), "Béziers I" (CE, Ass, 28 décembre 2009, n° 304802, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0493EQC, le juge du contrat, juge de plein contentieux saisi par une partie, peut relever d'office une irrégularité tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement) et "Béziers II" (CE, S., 21 mars 2011, n° 304806, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5712HIE, le juge du contrat peut dorénavant annuler la décision de résiliation d'un contrat à la demande de l'une des parties). Signalons enfin que, depuis l'arrêt "Epoux Lopez", le juge administratif peut astreindre l'administration à saisir le juge du contrat pour qu'il détermine si le contrat peut être maintenu ou doit être déclaré nul en conséquence de l'annulation de l'acte détachable (CE, S., 7 octobre 1994, n° 124244, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3055ASX).

Par ailleurs, l'action du législateur influence l'office du juge administratif. A ce titre, la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives (N° Lexbase : L0703AIU), a profondément modifié le traitement de l'urgence devant le juge administratif. Le référé-suspension (CJA, art. L. 521-1 N° Lexbase : L3057ALS) permet d'obtenir la suspension de l'exécution d'une décision administrative en matière d'urbanisme (CE 1° et 6° s-s-r., 12 novembre 2007, n° 295798, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5814DZD, pour une décision de préemption), d'environnement (CE référé, 19 mars 2008, n° 313547, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4313D7U, pour une demande de suspension de la mise sur le marchés d'OGM), ou de contrats administratifs (CE, S., 21 mars 2011, n° 304806, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5712HIE, pour une demande de reprise des relations contractuelles). Le référé-liberté (CJA, art. L. 521-2 N° Lexbase : L3058ALT) permet d'obtenir du juge des référés "toutes mesures nécessaires" à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle l'administration aurait porté atteinte de manière grave et manifestement illégale. Le juge se prononce dans ce cas, en principe, dans un délai de 48 heures. Il est souvent utilisé dans le contentieux du droit des étrangers (CE référé, 12 janvier 2001, n° 229039, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2611ATU, pour une demande d'admission au séjour, CE référé, 30 juin 2009, n° 328879, pour la suspension de la procédure d'expulsion N° Lexbase : A5679EI8). Enfin, le référé-conservatoire ou référé "mesures utiles" (CJA, art. L. 521-3 N° Lexbase : L3059ALU) permet de demander au juge toute mesure utile avant même que l'administration ait pris une décision, par exemple, pour la demande de communication d'un document nécessaire pour faire valoir ses droits. Le juge se prononce alors dans un délai variant de quelques jours à un mois maximum (voir, notamment, CE 2° et 7° s-s-r., 1er mars 2012, n° 354628, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8957ID4, pour l'intervention du juge administratif dans la gestion d'un marché).

II - La part du législateur dans ces évolutions est donc importante. On peut également citer l'arrêt du Conseil d'Etat "Danthony" du 23 décembre 2011 (CE Ass., 23 décembre 2011, n° 335033, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9048H8M), par lequel l'Assemblée du contentieux a jugé que l'ensemble des vices pouvant affecter le déroulement d'une procédure administrative préalable à une décision ne peut entacher sa légalité et justifier son annulation que s'ils ont été susceptibles d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision ou s'ils ont privé les intéressés d'une garantie. Allant au-delà des irrégularités commises lors de la consultation d'un organisme, cette jurisprudence s'inscrit bien dans les pas de la réforme opérée par le législateur via l'article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9), selon lequel "lorsque l'autorité administrative, avant de prendre une décision, procède à la consultation d'un organisme, seules les irrégularités susceptibles d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise au vu de l'avis rendu peuvent, le cas échéant, être invoquées à l'encontre de la décision [...]". En 2001 et par la célèbre jurisprudence "Ternon" (CE, Ass., 26 octobre 2001, n° 197018, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1913AX7), la Haute juridiction administrative a estimé que l'administration dispose d'un délai de quatre mois maximum, à compter de la prise de décision, pour retirer un acte individuel créateur de droits entaché d'illégalité, que le délai de recours ait, ou non, couru à l'égard des tiers et que l'acte soit, ou non, devenu définitif à l'égard de ceux-ci. Cette décision relative au retrait d'une décision individuelle créatrice de droits fixe un nouveau point d'équilibre entre la protection des droits acquis par le bénéficiaire de la décision et la sauvegarde de la légalité.

Le juge administratif ne peut, cependant, se muer en juge administrateur : il ne peut donc procéder à une substitution de motifs ou approfondir le contrôle de légalité pour arriver à un contrôle de l'opportunité. Il a, ainsi, récemment été jugé que celui-ci ne peut, eu égard aux exigences de la procédure contradictoire, régler l'affaire sur un terrain dont les parties n'avaient pas débattu sans avoir mis celles-ci à même de présenter leurs observations sur ce point. Il lui incombe à cette fin, soit de rouvrir l'instruction en invitant les parties à s'exprimer sur les conséquences à tirer de la décision du Conseil d'Etat, soit de juger, par un arrêt avant dire droit, qu'il entend régler le litige, compte tenu de cette décision, sur le terrain juridiquement approprié et en demandant en conséquence aux parties de formuler leurs observations sur ce terrain (CE, S., 19 avril 2013, n° 340093, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4174KCL). Cette jurisprudence s'ajoute donc à celle qui avait permis la modulation des effets des annulations contentieuses (CE, Ass., n° 255886, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1829DCQ, CE 2° et 7° s-s-r., 23 février 2005, n° 264712, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7529DGX), CE, S., 25 février 2005, n° 247866, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8439DGN) ou la modulation dans le temps des effets des décisions du juge au cas où une décision de rejet mettant fin à la suspension d'un acte administratif est prononcée (CE, S., 27 octobre 2006, n° 260767, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4778DSR).

En effet, dès lors que le justiciable perçoit souvent l'acte administratif unilatéral qu'il conteste comme un acte purement intellectuel détaché de la réalité concrète, le juge de l'excès de pouvoir doit se contenter de procéder à une annulation totale ou partielle de l'acte attaqué sans dénaturer l'acte lui-même, d'où l'importance du choix du moyen. Rappelons qu'en vertu de la jurisprudence "Société Intercopie", le requérant n'a pas le droit de développer après le délai de recours contentieux un moyen qui procède d'une cause juridique distincte de la cause juridique à laquelle se rattache les moyens développés dans le délai de recours contentieux (CE, S. 20 février 1953, Société Intercopie). Par un arrêt en date du 7 avril 2011, le Conseil d'Etat est venu préciser que cette solution s'applique devant lui lorsqu'il la juge l'affaire au fond après premier renvoi : même en cas de règlement de l'affaire au fond après cassation, un moyen se rattachant à une cause juridique distincte de celle sur laquelle reposaient les moyens soulevés en première instance dans le délai de recours est irrecevable (CE 1° et 6° s-s-r., 7 avril 2011, n° 330306, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8928HMM).

Les figures du juge administratif sont multiples et l'on est loin d'en avoir exploré toutes les facettes, tant le rôle de celui-ci est en constante évolution. Ce qui lui est à la fois permis (prononcer une mesure d'urgence, annuler une décision administrative, contraindre ou condamner financièrement l'administration) et interdit (prendre une décision administrative, enquêter sur les agissements de l'administration) doit donc continuer à être pris en compte à la fois par l'autorité administrative et le simple justiciable, ceci dans un souci de bon fonctionnement des institutions et de sérénité de la manière dont la justice est rendue.

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