La lettre juridique n°916 du 15 septembre 2022 : Droit pénal fiscal

[Chronique] Chronique de droit pénal fiscal (décembre 2021- juin 2022)

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N2545BZB

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par Renaud Salomon, Avocat général à la Cour de cassation, Professeur associé à l’Université de Paris Dauphine PSL, Membre associé de l’Institut de criminologie et de droit pénal de l’Université Panthéon-Assas

le 14 Décembre 2022

Mots-clés : droit pénal fiscal • infractions • procédure • visites domiciliaires • répression

La présente chronique traite des décisions rendues par le juge pénal en matière de droit fiscal, sur les aspects tant substantiels que procéduraux de la matière, sous la plume de Renaud Salomon, Avocat général à la Cour de cassation, Professeur associé à l’Université de Paris Dauphine PSL, Membre associé de l’Institut de criminologie et de droit pénal de l’Université Panthéon-Assas.

Une dizaine de décisions ont été sélectionnées par l'auteur pour cette nouvelle chronique, couvrant la période de décembre 2021 à juin 2022.


 

Sommaire :

I. Les infractions du droit pénal fiscal

A. Éléments constitutifs

  • Cass. crim., 1er décembre 2021, n° 20-83.235, F-D
  • Cass. crim., 25 mai 2022, n° 20-86.306, F-D

B.  La répression

  • Cass. crim., 22 juin 2022, n° 21-83.360
  • Cass. crim., 1er décembre 2021, n° 20-83.235, F-D

II. La procédure en droit pénal fiscal

A. Les visites domiciliaires et les saisies (LPF, art. L. 16 B)

  • Cons. const., décision n° 2021-980, QPC, du 11 mars 2022
  • Cass. crim., 24 novembre 2021, n° 21-12.819, F-D

B. La prescription en droit pénal fiscal

  • Cass. crim., 13 avril 2022, n° 21-86.494, F-D
  • Cass. crim., 11 mai 2022, n° 20-86.594, F-D

C. Le cumul des sanctions pénales et administratives en matière fiscale

  • Cass. crim., 23 février 2021, n° 21-81.366, F-D

D. Le jugement en droit pénal fiscal

  • Cass. crim., 23 février 2022, n° 21-81.161, F-B

I. Les infractions du droit pénal fiscal  

            A. Éléments constitutifs

            1) Élément matériel

  • Cass. crim., 1er décembre 2021, n° 20-83.235, F-D N° Lexbase : A23327E4 : la disparition de l'impôt après la commission des faits est sans effet sur la constitution de l'infraction, l'article 1741 du code général des impôts n'ayant cessé de réprimer tout fait de soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt commis antérieurement à l'abrogation de la réglementation fiscale concernée.

Un prévenu a été poursuivi pour fraude fiscale aggravée, notamment, pour avoir omis de déclarer, au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune, les avoirs qu’il détenait au travers d’une société, immatriculées aux Iles vierges britanniques. Arguant de ce que la loi de finances 2018 (loi n° 2017-1837, du 30 décembre 2017, de finances pour 2018 N° Lexbase : L7952LHY) a supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune, il a soutenu devant la Haute juridiction que la disparition de cet impôt entraînait celle de l’un des éléments constitutifs du délit de fraude fiscale, de sorte qu’en application du principe de rétroactivité des lois pénales plus douces, l’action publique se trouverait éteinte à son encontre.

Il est vrai que, dans la pratique judiciaire, s’agissant du délit de fraude fiscale générale de l’article 1741 du Code général des impôts N° Lexbase : L6015LMQ, le moyen tiré du principe de rétroactivité in mitius a pu déjà connaître un certain succès dans le domaine des peines (S. Detraz et R. Salomon, Précis de droit pénal fiscal, LexisNexis, coll. Précis fiscal, 2021, n° 449) C’est ainsi qu’en raison du caractère à la fois impératif et non réellement modulable de la peine de publication de la décision de condamnation pénale (CGI, art. 1741, al. 4), le Conseil constitutionnel a abrogé avec effet immédiat les dispositions qui la prévoyaient, pour violation du principe d’individualisation des peines (Cons. const., décision du n° 2010-72/75/82 QPC, du 10 décembre 2010 N° Lexbase : A7111GMC : AJP, 2011, p. 76, obs. J.-B. Perrier ; D. 2011, p. 929, note B. Bouloc, et p. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; Rev. sc. crim. 2011, p. 193, obs. C. Lazerges, et p. 624, obs. S. Detraz ; Rev. sociétés 2011, p. 377, note H. Matsopoulou). Cette abrogation a empêché rétroactivement de prononcer (C. pén., art. 112-1, al. 3 N° Lexbase : L2215AMY) ou d’exécuter (C. pén., art. 112-2, 3°) la peine de publication pour les infractions antérieures (Cass. crim., 10 novembre 2020, n° 19-83.080, F-D N° Lexbase : A510734W : Dr. fisc. 2021, 150, n° 5, obs. R. Salomon. – Cass. crim., 22 mars 2017, n° 16-80.124, F-D N° Lexbase : A7850ULC – Cass. crim., 5 novembre 2014, n° 13-86.202, F-P+B+I N° Lexbase : A6471MZP : Bull. crim. 2014, n° 228 ; JCP E, 2014, 1617 ; Dr. pén. 2015, chron. 8, obs. S. Detraz. – Cass. crim., 12 janvier 2011, n° 10-81.151, F-P+F N° Lexbase : A2994GQX : Bull. crim. 2011, n° 6)

Mais, s’agissant des éléments constitutifs du délit de fraude fiscale, le principe de rétroactivité in mitius n’a pas connu le même succès. En effet, dans un arrêt du 1er décembre 2021, la chambre criminelle à logiquement écarté un moyen similaire à celui soutenu dans la présente affaire, dans la mesure où il se heurtait à un précédent de la chambre criminelle. Cette dernière a jugé, concernant le nouveau statut fiscal des habitants de l’île voisine de Saint Barthélémy, que se rend coupable de fraude fiscale le résident de cette île qui s'est soustrait à l'établissement et au paiement de l'impôt sur le revenu dû au titre des années 1995 et 1996, dès lors que le code des contributions, adopté par le conseil territorial de cette collectivité d'outre-mer et entré en vigueur le 1er janvier 2008, qui a institué un nouveau régime fiscal ne comportant plus d'imposition des revenus pour les personnes y résidant depuis au moins cinq ans, n'a pas abrogé l'article 1741 du code général des impôts et ne saurait avoir un effet rétroactif sur la constitution de ce délit (Cass. crim., 1er juillet 2009, n° 08-86.520, F-P+F N° Lexbase : A9321EI3: Bull. crim., n° 142 .- Cass. crim. 10 février 2010, n° 09-81.195, F-D N° Lexbase : A1891ET9).

Dans le sillage de ces principes, la chambre criminelle rejette ici le pourvoi aux motifs qu’il résulte de l'article 112-1 du Code pénal que le principe de l'application immédiate de la loi pénale plus douce ne trouve pas à s'appliquer lorsque les poursuites ont été engagées à raison d'un comportement qui reste incriminé et que les sanctions encourues n'ont pas été modifiées dans un sens moins sévère. Elle approuve sans réserve la motivation de la cour d’appel, qui a relevé que la loi de finances pour 2018, en son article 31, qui a abrogé l’impôt de solidarité sur la fortune et y a substitué un autre, est étrangère au champ d'application de l'article 112-1 alinéa 2 du Code pénal puisqu'elle n'abroge, ni ne modifie aucune incrimination et ne concerne aucune pénalité.

            2) Élément moral

  • Cass. crim., 25 mai 2022, n° 20-86.306, F-D N° Lexbase : A40197YI : l’élément moral du délit de fraude fiscale générale peut se déduire de la qualité de professionnel de la vie des affaires.

Le délit général de fraude fiscale présente un caractère manifestement intentionnel ainsi qu’il résulte de la lettre même de l’article 1741, al. 1er du Code général des impôts (Cass. crim., 30 mars 2016, n° 16-90.001 QPC, préc. – Cass. crim., 30 mars 2016, n° 16-90.005 QPC : Bull. crim. 2016, n° 114). Il a pu être ainsi jugé que « la constatation que l’omission de souscrire toute déclaration a été volontaire implique par elle-même l’existence de la mauvaise foi, élément constitutif du délit de soustraction frauduleuse à l’établissement ou au paiement de l’impôt », pour rejeter un pourvoi dirigé contre un arrêt d’appel qui avait quant à lui énoncé, en comportant un « motif erroné mais surabondant », que « l’article 1741 sanctionne la simple omission volontaire sans qu’il y ait à rechercher si le prévenu a commis des manœuvres frauduleuses ni agi de mauvaise foi » (Cass. crim., 8 juin 1974, n° 73-92.605, publié au Bulletin N° Lexbase : A6115CGL : Bull. crim. 1974, n° 209).

Mais, comme c’est le cas de la plupart des infractions de droit pénal des affaires (sur ce point relatif au « dol de fonction », v. A. Lepage, P. Maistre du Chambon et R. Salomon, Droit pénal des affaires, LexisNexis, 6ème éd., 2020, n° 623), l’élément intentionnel de la fraude fiscale peut se déduire en particulier de la qualité de professionnel de la vie des affaires de l’agent.

Le juge répressif est en effet conduit à retenir un dol de fonction lorsque le prévenu est un professionnel, en ce qu’il « ne pouvait ignorer » les obligations auxquelles il s’est soustrait : « il assumait ainsi la direction de la société et ne pouvait ignorer le caractère imposable des activités économiques déployées sur le territoire français par le biais de l’établissement stable non déclaré et donc l’obligation de soumettre les opérations à la TVA et les bénéfices à l’impôt sur les sociétés » (Cass. crim., 7 mars 2012, n° 11-83.891, F-D N° Lexbase : A9825IIQ) ; « il est incontestable que ce dernier, qui disposait de plusieurs sociétés en France, ne pouvait ignorer ses obligations fiscales liées au dit établissement stable » (Cass. crim., 12 janvier 2011, n° 09-86.452 N° Lexbase : A3635GR3).

Dans le parfait sillage de ces principes, les juges d’appel, pour retenir l'élément intentionnel du délit de fraude fiscale à l’encontre du prévenu, ont relevé que ce dernier, s'il avait auparavant exercé dans la restauration, était cependant gérant dans le secteur immobilier depuis de nombreuses années, et qu'il ne peut donc valablement invoquer sa méconnaissance des règles fiscales et de mauvais conseils du notaire et de son expert-comptable, puisqu'il a antérieurement personnellement géré son bien immobilier et bénéficié d'une imposition favorable pendant de nombreuses années. Pour conforter encore l’intention coupable du prévenu, la cour d’appel a ajouté qu'il appartenait à celui-ci, compte tenu de l'importance de l'opération et en cas d'hésitation, de prendre l'attache de l'administration, afin de s'assurer du régime fiscal applicable.

La chambre criminelle valide en tout point une telle motivation, de laquelle il ressort qu’a été parfaitement établi l’élément moral du délit de fraude fiscale à l’encontre du prévenu, « lequel, familier des règles fiscales d'un secteur professionnel dans lequel il évoluait depuis longtemps, et qui ne saurait exciper de sa propre négligence pour échapper à ses obligations fiscales, a volontairement appliqué aux plus-values déclarées un taux d'imposition inférieur ».

            B. La répression

  • Cass. crim., 22 juin 2022, n° 21-83.360, F-B N° Lexbase : A166878B : En cas de poursuites concomitantes, le principe ne bis in idem n'interdit le cumul de qualifications lors de la déclaration de culpabilité que lorsque les infractions retenues répriment des faits identiques. Ne méconnait pas ce principe, la cour d'appel qui déclare le prévenu concomitamment coupable des délits de fraude fiscale par dissimulation de sommes sujettes à l'impôt et d'omission d'écritures en comptabilité, qui répriment des faits nécessairement distincts, dès lors que l'article 1741 du Code général des impôts sanctionne la souscription d'une déclaration fiscale minorée, tandis que l'article 1743 du même Code sanctionne l'omission, pour tout contribuable soumis à l'obligation de tenir une comptabilité, de passer ou de faire passer des écritures dans les documents comptables obligatoires.

Dans cette affaire, ayant donné lieu à un arrêt publié de la chambre criminelle, le pourvoi posait la question de l’application du principe ne bis in idem dans le cas particulier, mais très fréquent en pratique, où se trouvent cumulés les délits de fraude fiscale, prévu et réprimé par l’article 1741 du Code général des impôts et d’omission d’écriture en comptabilité, prévu et réprimé par l’article 1743 du même Code. Cet arrêt mérite d’autant plus de retenir l’attention qu’il constitue une des premières applications à la matière fiscale du nouveau critère d’application de ce principe cardinal en droit pénal, dégagé par l’arrêt de principe du 15 décembre 2021 (Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 20-85.924, FP-B N° Lexbase : A17547G3).

Aux termes de cet arrêt, « outre la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l'une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l'autre, un ou des faits identiques ne peuvent donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité concomitantes contre une même personne lorsque l'on se trouve dans l'une des deux hypothèses suivantes :

Dans la première, l'une des qualifications, telle qu'elle résulte des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue.

Dans la seconde, l'une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale ».

Hormis le cas où les qualifications sous lesquelles les faits sont poursuivis sont incompatibles, ce qui n’est pas ici, le cas deux conditions cumulatives sont nécessaires pour que joue l’interdiction de cumul résultant de l’application du principe ne bis in idem, [l’une tient aux faits poursuivis, l’autre aux qualifications retenues] :

  • le ou les faits poursuivis sous des qualifications différentes doivent être identiques,
  • l'une des qualifications, telle qu'elle résulte des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue ou l'une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale.

Si l’une ou l’autre de ces conditions n’est pas remplie, le cumul de qualification est autorisé.

Au cas présent, les juges d’appel ont relevé, après avoir caractérisé la fraude dans son montant et ses modalités, à savoir le fait d’avoir dissimulé des recettes sur trois exercices successifs, en ne déclarant pas les sommes issues de rétrocessions, ces dernières étant versées sur des comptes bancaires non mentionnés en comptabilité, que « la minoration déclarative de résultats imposables constitue enfin un fait distinct de l’omission en comptabilité des recettes constituées par les rétrocessions trimestrielles puis mensuelles sur les forfaits techniques scanner de la clinique à la SEARL ; les omissions comptables n’étaient pas en effet nécessaires à la réalisation de la fraude fiscale, mais elles permettaient à la SEARL, si elle était contrôlée, de restreindre le pouvoir de contrôle de l’administration, ce que celle-ci a considéré et retenu ».

Par ces motifs, les juges d’appel ont, selon la Haute juridiction, parfaitement justifié leur décision de non-cumul. les faits réprimés par le délit de fraude fiscale par dissimulation, d'une part, et le délit d'omission d'écritures en comptabilité, d'autre part, sont nécessairement distincts dès lors que l'article 1741 du Code général des impôts sanctionne la souscription d'une déclaration fiscale minorée, tandis que l'article 1743 du même Code sanctionne l'omission, pour tout contribuable soumis à l'obligation de tenir une comptabilité, de passer ou de faire passer des écritures dans les documents comptables obligatoires.

  • Cass. crim., 1er décembre 2021, n° 20-83.235, F-D N° Lexbase : A23327E4 : la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 instituant des circonstances aggravantes nouvelles du délit de fraude fiscale ne peut s'appliquer à des faits antérieurs à son entrée en vigueur.

La loi n° 2013-1117, du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière N° Lexbase : L6136IYW a supprimé les circonstances aggravantes antérieures de la fraude fiscale pour y substituer de nouvelles, d’une portée plus large, incluant de la sorte les faits précédemment visés par la loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-354, du 14 mars 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L4518IS7). Les peines encourues sont en pareil cas portées à sept ans d’emprisonnement et 3 000 000 d’euros d’amende, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction.

Dans le sillage d’un précédent (Cass. crim., 23 octobre 2019, n° 18-85.847, F-D N° Lexbase : A6539ZSY : Dr. fisc. 2019, chron. 437, R. Salomon), la chambre criminelle casse, dans son arrêt du 1er décembre 2021, au visa du principe de survie de la loi ancienne plus douce, sur les seules peines prononcées, un arrêt de cour d’appel qui avait appliqué les nouvelles circonstances aggravantes issues de la loi du 6 décembre 2013 à des faits de fraude fiscale commis antérieurement à son entrée en vigueur.

Ce principe de non-rétroactivité in pejus des lois plus sévères est d’autant plus essentiel en droit pénal fiscal que la caractérisation d’une circonstance aggravante produit le cas échéant d’autres effets que l’aggravation des peines. Elle peut ainsi correspondre à une hypothèse de fraude « grave » au sens de la jurisprudence constitutionnelle, permettant le cumul des sanctions pénales et fiscales (Cass. crim., 11 septembre 2019, nos 18-81.067 N° Lexbase : A9082ZMC et 18-81.040 N° Lexbase : A9081ZMB, FS-P+B+I+R: JCP G 2019, 1086, note E. Dezeuze et S. Detraz; JCP E Dr. fisc. 2019, chron. 437, R. Salomon : « la gravité pouvant résulter […] des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes »), à une hypothèse de dénonciation obligatoire au ministère public (S. Detraz et R. Salomon, Droit pénal fiscal, préc., nos 1514 et s.) ou encore, à une hypothèse autorisant l’intervention d’« officiers fiscaux judiciaires » (Idid., nos 1613 et s.).

II. La procédure en droit pénal fiscal

            A. Les visites domiciliaires et les saisies (LPF, art. L. 16 B)

  • Cons. const., décision n° 2021-980, QPC, du 11 mars 2022 N° Lexbase : A38557QT : les dispositions de l’article L. 16 B du LPF permettant la saisie de documents appartenant à des tiers stockés sur des serveurs informatiques situés hors des lieux dont la visite est autorisée sont conformes à la Constitution.

Lorsqu’il existe des présomptions d’agissements frauduleux en matière d’impôt sur le revenu ou sur les bénéfices ou de taxes sur le chiffre d’affaires, l’administration peut, sur autorisation judiciaire, effectuer des visites en tous lieux où des documents se rapportant aux agissements présumés sont susceptibles d’être détenus ou d’être accessibles ou disponibles et procéder à leur saisie, quand bien même ces documents sont stockés sur des serveurs informatiques situés dans des lieux distincts (LPF, art. L. 16 B N° Lexbase : L0419LTP).

Saisi de la question de savoir si ces dispositions méconnaissent le droit au respect de la vie privée en permettant la saisie de documents appartenant à des tiers et le droit à un recours juridictionnel effectif en ne prévoyant pas une obligation d’information de ceux-ci, le Conseil constitutionnel répond par la négative :

  • d’une part, l’article L. 16 B du LPF procède à une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale et le droit au respect de la vie privée ;
  • d’autre part, les recours contre l’ordonnance autorisant la visite ou contre le déroulement des opérations peuvent être formés non seulement par la personne visée par l’ordonnance et l’occupant des lieux visités, mais aussi par toute personne ayant qualité et intérêt à contester la régularité de la saisie d’un document.
  • Cass. crim., 24 novembre 2021, n° 21-12.819, F-D N° Lexbase : A51387DN : constitutionnalité de la jurisprudence de la chambre criminelle avalisant la pratique des ordonnances de visite domiciliaire pré-rédigée par l’administration.

En matière de rédaction par le juge des libertés et de la détention des ordonnances autorisant les visites et les saisies domiciliaires, la lettre de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales tout comme la jurisprudence ne se montrent guère exigeantes.

De longue date, il est acquis que les motifs et le dispositif des ordonnances, même pré-rédigés par l’administration, sont réputés établis par le juge qui les a rendues et signées (Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-24.526, F-P+B N° Lexbase : A6133ITC : Dr. fisc. 2012, chron. 493, R. Salomon. – Cass. com., 14 novembre 2018, préc. – Cass. com., 16 octobre 2019, n° 18-12.108, F-D N° Lexbase : A9320ZRM – Cass. com., 20 novembre 2019, n° 18-15.423, F-D N° Lexbase : A4730Z3L : Dr. fisc. 2020, chron. 131, R. Salomon), peu important que la décision d’autorisation ait été rendue dans les mêmes termes que d’autres décisions visant les mêmes personnes et rendues par d’autres magistrats dans les limites de leur compétence (Cass. com., 29 octobre 1991, n° 90-13.368, publié au Bulletin N° Lexbase : A5199AHZ, Bull. 1991, IV, n° 322 - Cass. com., 20 octobre 1998, n° 96-30.023 N° Lexbase : A5583ACR : Bull. IV, n° 251 - Cass. com., 15 décembre 2009, n° 09-12.734, F-P+B N° Lexbase : A0942EQX : Bull. civ. 2009, IV, n° 171. – Cass. com., 4 mai 2010, n° 09-15.588, F-D N° Lexbase : A0808EX9 – Cass. com., 2 février 2010, n° 09-10.028, F-D N° Lexbase : A6117ERY – Cass. com., 1er juin 2010, n° 09-16.127, F-D N° Lexbase : A2219EYT – Cass. com., 14 décembre 2010, n° 10-13.601, F-D N° Lexbase : A2743GNW : JCP E, 2011, 1214, note F. Martinet ; Dr. fisc. 2012, chron. 493, R. Salomon - Cass. com., 25 septembre 2012, n° 10-13.601 N° Lexbase : A2743GNW : Dr. fisc. 2012, chron. 493, R. Salomon). Cass. com., 20 octobre 1998, n° 96-30.023 N° Lexbase : A5583ACR, Bull. 1998, IV, n° 251).

Ici, était à nouveau contestée la constitutionnalité de cette pré-rédaction de l’ordonnance, comme contraire à la prohibition des « arrêts de règlement » (C. civ., art. 5 N° Lexbase : L2230AB9), ainsi qu’aux principes de de motivation des décisions judiciaires, d'indépendance de l'autorité judiciaire et d'impartialité du juge.

Mais le mémoire spécial du demandeur à la question prioritaire de constitutionnalité était voué à un échec certain au regard de la convergence des positions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.

En effet, le premier, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2010-19/27 QPC du 30 juillet 2010, a jugé l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-776, du 4 août 2008, de modernisation de l’économie N° Lexbase : L7358IAR conforme à la Constitution.

Et, à la date de cette dernière décision, la seconde jugeait déjà, de manière constante, que les motifs et le dispositif des ordonnances rendues en application de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales sont réputés établis par le juge qui les a rendues et signées, et que la circonstance que ces décisions soient rédigées dans les mêmes termes que d'autres décisions visant les mêmes personnes et rendues par d'autres magistrats dans les limites de leur compétence est sans incidence sur leur régularité.

La chambre commerciale, dans son arrêt du 24 novembre 2011, en déduit que les modifications apportées à l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales par les textes intervenus depuis la loi du 4 août 2008 et jusqu'à la loi du 29 décembre 2016 sont sans incidence sur la constitutionnalité de la portée que lui confèrent les interprétations jurisprudentielles en cause, au regard des griefs formulés par la question prioritaire de constitutionnalité, de sorte que la question ne présente pas de caractère sérieux.

            B. La prescription en droit pénal fiscal

  • Cass. crim., 13 avril 2022, n° 21-86.494, F-D N° Lexbase : A08647UK : une confusion enfin levée entre la prescription du droit de l’administration de déposer plainte et la prescription de l’action publique.

Quoique la Cour de cassation semble les avoir elle-même parfois confondues, il convient de distinguer soigneusement en procédure pénale fiscale deux types de prescription, qui trouvent leur siège dans deux dispositions bien distinctes du Livre des procédures fiscales :

  • la prescription de l’action publique (LPF, art. L. 230, al. 1er N° Lexbase : L9536IYT), laquelle est en principe acquise après « six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise » (il convient de réserver l’hypothèse visée à l’alinéa 3 de l’article L. 230 du Livre des procédures fiscales, qui prévoyant la suspension de cette prescription à raison de la saisine de la Commission des infractions fiscales) ;
  • la prescription, propre au droit de l’administration de déposer plainte (LPF, art. L. 230, al. 2 et 3 .- Cass. crim., 23 février 2011, n° 10-88.068, F-D N° Lexbase : A1824HDW : Bull. crim. 2011, n° 37). Cette seconde prescription connaît un léger particularisme par rapport à la précédente, en ce qu’ici les plaintes peuvent être déposées jusqu’à la fin de la sixième année qui suit celle au cours de laquelle l’infraction a été commise ou dans les six ans qui suivent l’affirmation jugée frauduleuse dans le cas de la fraude fiscale de l’article 1837 du Code général des impôts Ce particularisme du délai, par rapport au droit commun, peut s’expliquer par l’existence d’une fraude à l’impôt entraînant pour le Trésor public une perte de rentrée fiscale au cours d’un exercice budgétaire. (A. Lepage, P. Maistre du Chambon et R. Salomon, Droit pénal des affaires, préc., n° 1610).

Afin de dissiper tout éventuel malentendu, la circulaire commune des ministères des Finances et des comptes publics et de la Justice relative à la lutte contre la fraude fiscale du 22 mai 2014 a clairement relevé que « conformément à l'article L. 230 du livre des procédures fiscales, tel que modifié par la loi du 6 décembre 2013, l'administration fiscale dispose désormais d'un délai de six ans pour déposer plainte en matière de fraude fiscale, alors que ce délai était jusqu'alors de trois ans [...] Cet allongement concerne le seul délai initial dans lequel doit intervenir le dépôt de la plainte et la réalisation par le parquet du premier acte interruptif de prescription. Le régime de la prescription est ensuite celui du droit commun, [...] prévu par l'article 8 du code de procédure pénale » (Circulaire commune du ministère des Finances et des Comptes publics et du ministère de la Justice, NOR : FCPE1412006C N° Lexbase : L3669I3B).

Dans la présente affaire, jugée, le 13 avril 2022, par la chambre criminelle, le demandeur à la question prioritaire de constitutionnalité soutenait qu’en ce qu'il ne précise pas si l'allongement du délai (de trois à six ans) concerne à la fois le délai de plainte de l'administration fiscale et le délai de prescription de l'action publique, l'article L. 230 du Livre des procédures fiscales, dans sa version issue de l'article 53 de la loi n° 2013-1117, du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, porterait atteinte au principe de nécessité des peines, à la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, au principe de la légalité et de la séparation des pouvoirs ainsi qu'aux principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique.

Mais, au regard des principes généraux précités, le mémoire spécial était voué à l’échec. C’est donc en toute logique que la chambre criminelle, par son arrêt du 13 avril 2022, a dit n’y avoir lieu à transmettre aux Sages de la rue de Montpensier la question prioritaire de constitutionnalité posée, faute de caractère sérieux, dès lors qu’il résulte clairement des dispositions de l'article L. 230 du Livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117, du 6 décembre 2013, que le délai porté de trois à six ans est celui dont dispose l'administration fiscale pour déposer plainte, délai qui ne modifie pas celui de la prescription de l'action publique du délit de fraude fiscale.

  • Cass. crim., 11 mai 2022, n° 20-86.594, F-D N° Lexbase : A32094RB : Il résulte de l'article 7 du code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017-242, du 27 février 2017, portant réforme de la prescription en matière pénale N° Lexbase : L0288LDZ que seul peut être regardé comme un acte d'instruction ou de poursuite le procès-verbal dressé par les agents de l'administration des douanes dans l'exercice de leurs attributions de police judiciaire et à l'effet de constater les infractions, à l'exclusion des actes de l'enquête administrative qui en ont constitué le prélude. Encourt la censure l'arrêt de la cour d'appel qui énonce que le procès-verbal d'intervention et d'audition établi par les agents des douanes, qui constate la remise par le prévenu de différents documents permettant l'exercice du contrôle, est un acte interruptif de prescription, alors que ce document ne constatait aucune infraction, ni ne relatait aucun acte d'enquête portant sur une infraction préalablement révélée.

Depuis la loi n° 2017-242, du 27 février 2017, l’article 9-2 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L0382LDI prévoit une liste limitative d’actes interruptifs, s’inspirant de la jurisprudence antérieure, dont « tout acte d'enquête » émanant du ministère public, tout procès-verbal dressé par un officier de police judiciaire ou « un agent habilité exerçant des pouvoirs de police judiciaire tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction ».

Rentrent dans cette catégories d’actes interruptifs de la prescription ceux « tendant à la mise en mouvement de l’action publique » visés par un certain nombre de textes (CPP, art. 80, 82 et 87), tout « acte d’enquête » ou procès-verbal « tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d’une infraction », tout « acte d’instruction prévu aux articles 79 à 230 du Code de procédure pénale, tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d’une infraction », et tout jugement ou arrêt, même non définitif, non entaché de nullité (CPP, art. 9-2, 1° à 4°). Constituent de tels actes ceux qui ont pour objet de constater les délits et d’en découvrir ou d’en convaincre les auteurs (S. Détraz et R. Salomon, Précis de droit pénal fiscal, LexisNexis, coll. Précis fiscal, 2021, n° 1530).

À ce jour, la Cour de cassation ne s’est jamais prononcée sur le point de savoir le procès-verbal d’intervention, établi en application de l’article L. 34 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L3891MAD, est interruptif de prescription.

Toutefois, déjà, de manière prémonitoire, la doctrine relevait que les termes de l’article 9-2 du Code de procédure pénale laissent « a priori incertain le sort des contrôles administratifs qui peuvent être réalisés in abstracto sans indice préalable d’infraction (mais qui peuvent l’être in concreto en présence d’un tel soupçon) » (S. Detraz, JurisClasseur Lois pénales spéciales, V° Impôts Fasc. 70 : Impôts, Contributions indirectes. Contentieux, n° 248).

C’est à l’évidence en raison du fait qu’un tel acte, applicable en l’absence de tout soupçon de fraude, relève d’un simple contrôle administratif de l’administration que la chambre criminelle répond ici par la négative. En effet, l’acte litigieux s’analyse en un procès-verbal relatant une intervention, visé par l’article L. 34 du Livre des procédures fiscales et applicable en l’absence de tout soupçon de fraude. Il s’agit d’un contrôle de la part de l’administration, à l’occasion duquel la remise des documents ne correspond qu’à une simple présentation et aucune saisie n’est autorisée tant qu’une infraction n’a pas été constatée.

            C. Le cumul des sanctions pénales et administratives en matière fiscale

  • Cass. crim., 23 février 2021, n° 21-81.366, F-D N° Lexbase : A04717P7 : Méconnait la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel la cour d’appel qui a omis de rechercher, préalablement au prononcé de toute peine de nature à réprimer les faits de fraude fiscale commis, si la répression pénale était justifiée au regard de la gravité des faits retenus, alors que le prévenu faisait valoir qu'il avait fait l'objet d'une pénalité fiscale sur le fondement de l'article 1729 du Code général des impôts.

Véritable Serpent de mer du droit fiscal, la question du cumul des répressions pénale et fiscale est à nouveau discutée dans la présente affaire. Il est vrai que le fait que les mêmes agissements frauduleux exposent le fraudeur à des pénalités de nature administrative (intérêts de retard, majorations de droit et amendes) et à des sanctions proprement pénales - pour réprimer les infractions les plus graves - explique le caractère récurrent de ce contentieux.

Ce mouvement s’est amplifié à l’aune de la jurisprudence récente, rendue en la matière. A raison du changement de circonstances résultant de l’arrêt « Grande Stevens c/ Italie » rendu, le 14 mars 2014, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 4 mars 2014, n° 18640/18, « Grande Stevens et a. c/ Italie » : Dr. sociétés 2014, comm. 87, note S. Torck) et, surtout, de la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 (Cons. const., 18 mars 2015, nos 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC : JCP G, 2015, 368, note F. Sudre ; JCP G 2015, 369, note J.-H. Robert ; Dr. sociétés 2015, comm. 94, obs. S. Torck ; Dr. sociétés 2015, comm. 99, obs. R. Salomon ; RJDA, 5/2015, n° 356) - ayant tous deux proscrit le cumul en matière boursière - , la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur la compatibilité du cumul des sanctions pénales et administratives en matière de fraude fiscale avec le principe de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines.

Les Sages de la rue de Montpensier ont alors, par deux décisions du 24 juin 2016 (Cons. const., décision nos 2016-545 et 2016-546 QPC, du 24 juin 2016 N° Lexbase : A0909RU9 : Dr. fisc. 2016, comm. 405, note S. Detraz ; Dr. fisc. 2016, 439, obs. R. Salomon) – ultérieurement accueillies par la chambre criminelle (Cass. crim., 11 septembre 2019, nos 18-81.040 N° Lexbase : A9081ZMB, 18-81.067 N° Lexbase : A9082ZMC, 18-81.980 N° Lexbase : A9083ZMD, 18-82.430 N° Lexbase : A9084ZME et 18-84.144 N° Lexbase : A9086ZMH, FS-P+B+R+I : Dr. pén. 2019, comm. 181, obs. Ph. Conte ; Dr. fisc. 2019, comm. 420, obs. M. Stoclet ; Dr. fisc. 2019, chron. 437, obs. R. Salomon ; D. 2020, p. 567, note M. Fouquet ; RTD com. 2020, p. 506, obs. L. Saenko ; Rev. Lamy dr. aff. 1er février 2020, n° 156, note H. Robert ; Gaz. Pal. 4 février 2020, n° 5, p. 64, obs. F. Fourment ; Gaz. Pal. 22 octobre 2019, n° 36, p. 14, note E. Dezeuze) – estimé qu’il est possible, en matière de fraude fiscale, de cumuler les pénalités administratives à caractère répressif et les sanctions pénales, mais sous trois réserves.

Mais le Conseil a aussitôt assorti sa décision d’une triple réserve d’interprétation (sur ces trois réserves, v. S. Detraz et R. Salomon, Précis de droit pénal fiscal, préc., n° 65 et s.).

La deuxième réserve, seule ici visée par le moyen, est celle relative à la gravité des faits de fraude fiscale, justifiant une double sanction fiscale et pénale. En effet, en application du principe de nécessité des peines, les sanctions pénales, prévues aux articles 1741 et suivants du Code général des impôts, ne peuvent s’appliquer qu’ « aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt », cette particulière gravité pouvant, selon le Conseil constitutionnel, « résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention ».

De son côté, par deux de ses arrêts du 11 septembre 2019, la chambre criminelle a énoncé que « seuls, les faits présentant une certaine gravité au regard des critères généraux fixés par la réserve peuvent faire l’objet, en complément de sanctions fiscales, de sanctions pénales » (Crim., 11 septembre 2019, n° 18-84.144 et n° 18-81.067 et n° 18-81.040, P+B+I+R: JCP G 2019, 1086, note E. Dezeuze et S. Detraz; JCP E Dr. fisc. 2019, chron. 437, R. Salomon).

Les critères de gravité – qui doivent être contemporains de la commission des faits, et aucunement postérieurs à ceux-ci – sont ceux retenus par le Conseil constitutionnel, recoupant ceux de l’administration fiscale pour choisir la voie pénale : montant des droits fraudés, nature des agissements ou circonstances de leur intervention. S’agissant de ces dernières, il peut s’agir notamment des circonstances aggravantes de la fraude fiscale, énumérées à l’alinéa 2 de l’article 1741 du Code général des impôts.

Dans la présente affaire, les juges du fond se sont bornés à contrôler le respect de la troisième réserve posée par le conseil constitutionnel et ont jugé que le moyen soulevé par le prévenu tenant à l’insuffisante gravité des faits était inopérant.

Les juges d’appel n’évoquent la gravité des faits - sans pour autant les définir précisément au regard de la jurisprudence précitée - qu’à l’occasion de la motivation de la peine prononcée.

En l’absence de toute possibilité de qualification par la chambre criminelle des faits qui lui étaient soumis, et alors que le prévenu faisait valoir qu'il avait déjà fait l'objet d'une pénalité fiscale sur le fondement de l'article 1729 du Code général des impôts, la cassation est alors prononcée.

            D. Le jugement en droit pénal fiscal

  • Cass. crim., 23 février 2022, n° 21-81.161, F-B N° Lexbase : A75207NT : Le prévenu ne saurait se faire un grief de ce qu'il n'a pas eu, ainsi que son avocat, la parole en dernier, comme le prescrit l'article 513, alinéa 4, du Code de procédure pénale, dès lors que la cour d'appel n'étant saisie que des seules dispositions relatives à la solidarité fiscale, l'action publique n'était plus en cause.

Le demandeur au pourvoi a reproché ici aux juges du fond de l’avoir condamné à la solidarité fiscale prévue à l’article 1745 du Code général des impôts N° Lexbase : L1736HNM en méconnaissance de l’ordre de parole prévu aux articles 460 N° Lexbase : L3864AZ7 et 513 N° Lexbase : L3904AZM du Code de procédure pénale, sans que son conseil ait été entendu en dernier.

Il est vrai qu’en procédure pénale, il est classiquement admis que le prévenu ou son avocat doivent toujours avoir la parole les derniers. (CPP, art. 513, dernier al. - Pour une application : Cass. crim., 20 septembre 2000, n° 99-81.392, publié au Bulletin N° Lexbase : A3249AUU, Bull. crim., n° 272).

Toutefois, cette règle doit tenir compte de l’évolution de la jurisprudence postérieure relative à la nature de la mesure de solidarité. Cette dernière ne s’analyse désormais ni en une peine, ni en une punition, que ce soit au sens du Code pénal (Cass. crim., 23 mars 2016, n° 14-88.507, FS-D N° Lexbase : A3552RAS, Dr. pén. 2016, chron. 9, n° 3, obs. S. Detraz ; Dr. fisc. 2016, 321, obs. R. Salomon) ou au sens de 5 l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (CE 3° et 8° ch.-r., 8 décembre 2017, n° 414303, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0787W7B – Cass. crim., 25 février 2015, n° 14-85.300, F-D N° Lexbase : A5101NCW : Dr. fisc. 2015, 279, n° 6, obs. R. Salomon ; Dr. pén. 2015, comm. 51, obs. J.-H. Robert – Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13-87.692, F-D N° Lexbase : A1645MSQ : Dr. pén. 2015, comm. 23, obs. J.-H. Robert ; Dr. fisc. 2014, 460, obs. R. Salomon ; Rev. pénit. 2014, p. 665, obs. S. Detraz – Cass. crim., 12 septembre 2012, n° 12-80.574, F-D N° Lexbase : A2493ITI – Rappr. Cons. const., décision n° 2010-90 QPC, du 21 janvier 2011 N° Lexbase : A1523GQH – Comp. Cons. const., décision n° 2016-546 QPC, du 24 juin 2016 N° Lexbase : A0910RUA et Cons. const., décision n° 2016-545 QPC, du 24 juin 2016 N° Lexbase : A0909RU9 et de proportionnalité du cumul des sanctions pénales et fiscales : Cass. crim., 23 octobre 2019, n° 18-85.088, préc. – Cass. crim., 21 mars 2018, n° 17-87.423, F-D N° Lexbase : A9945YGG – CE 3° et 8° ch.-r., 8 décembre 2017, n° 414303, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0787W7B, ou encore, au sens de l’article 4 du protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne 7 des droits de l’homme et de l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Cass. crim., 6 décembre 2017, n° 16-81.857, F-P+B N° Lexbase : A1222W7E : Bull. crim. 2017, n° 282 ; Dr. fisc. 2018, comm. 165, note Guilland ; Dr. fisc. 2018, 167, n° 10, obs. R. Salomon - Cass. crim., 11 juillet 2017, n° 15-86.825, F-D N° Lexbase : A9729WMB : Dr. fisc. 2017, 566, nos 5 à 7, obs. R. Salomon ; RTD com. 2018, p. 1029, note B. Bouloc).

La solidarité étant désormais analysée comme une simple mesure civile (S. Detraz et R. Salomon, Précis de droit pénal fiscal, LexisNexis, Précis fiscal, 2021, n° 830), c’est donc logiquement que, par un arrêt publié du 23 février 2022, la Haute juridiction affirme désormais que la règle selon laquelle le prévenu doit avoir la parole en dernier ne s’applique pas en la matière.

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